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juin 24, 2015

L'islamo-fascisme - islamo-gauchisme - Islamisme - wahhabisme - salafiste - chiite - sunnite

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


Sommaire:

A) (Algérie) Mohamed Aïssa : « le danger des imams autoproclamés » - Mustapha Benfodil - El Watan

B) La banalité de l’Etat islamique – une insurrection comme une autre ? - Reyko Huang - Orient XXI


C) « Si Daech n’existait pas, il aurait fallu l’inventer » - Lina Kennouche - L’Orient le Jour

D) Yémen : l’intervention saoudienne est un échec. La solution ne peut pas être militaire. - Didier Billion - IRIS - l’Obs

E) Frappes antiterroristes - TTU Online

F) Quelle stratégie face à Daech ? - Sélim Ben Abdesselem* - IRIS

G)  Aden-Beyrouth, deux villes façonnées par la violence - Laurent Bonnefoy - Orient XXI 
H) Décapitation et islamisation - Par Frédéric Le Quer - http://politiqart.com

I) Jacques Julliard : « Qu'est-ce que l'islamo-gauchisme ? » - Par

 


 

A) (Algérie) Mohamed Aïssa : « le danger des imams autoproclamés »


L’occasion pour le ministre des Affaires religieuses de défendre bec et ongles son projet. Un projet que nous pourrions résumer en trois points : 

promotion d’un «référent religieux national» inspiré de ce qu’il appelle «le vécu de Cordoue», «déradicalisation» du religieux et «sécurisation de la vie intellectuelle» dans et hors les murs de la mosquée en boutant les «chouyoukh autoproclamés» et les charlatans de tout poil qui officient sur les chaînes populistes, et enfin, formation d’une nouvelle élite religieuse pour encadrer les mosquées. Des imams ouverts, cultivés, et armés d’un background solide imprégné d’un islam «déwahhabisé», plus en phase avec notre algérianité. Tout un programme, oui. Pédagogue au possible, s’exprimant pratiquement de bout en bout en français, le ministre a défendu avec entrain ses idées, faisant preuve d’une «alacrité» (ou «Allah-Crité» pour reprendre le mot d’un facebooker bien inspiré) qu’on aurait tort de réduire à une simple opération de com’. Florilège. 

Le défi de la «déradicalisation»
D’abord, une déclaration de principe. Le ministre expose rapidement sa démarche. «Je suis en conformité avec ce qui se passe ou qui devrait se passer dans les autres secteurs en matière de promotion du référent religieux national, en matière de déradicalisation, en matière d’interpellation de la communauté musulmane en général mais surtout du peuple algérien», se lance-t-il. Il explique que «cette «pratique référentielle de la religion (...) jaillit de l’expérience vécue dans ce pays et dans le Maghreb arabe en général, et qui prend en référence le vécu de l’Andalousie et surtout le vécu de Cordoue. Nous nous inscrivons toujours dans cette démarche et nous entretenons un dialogue avec d’autres pays qui s’intéressent de très près à notre programme de déradicalisation». Mohamed Aïssa (dont le nom à lui seul est une onomastique de la tolérance) défend l’idée de la «wassatiya» en soulignant que cette pratique référentielle «s’inscrit dans le juste-milieu, la modération, l’ouverture sur l’autre et la diversité». Disséquant le paysage religieux national, il relève : «Des extrémismes sont nés en Algérie. Ils se sont manifestés suite à une déclaration ou une autre. Pour moi, c’est bénéfique à partir du moment où il y a toujours le débat, le dialogue, le feedback, à la suite de toute idée diffusée dans les mass-media ou à travers les mosquées. Je pense que le plus intéressant, c’est que nous sommes arrivés depuis une année à tracer un programme d’action réel et fonctionnel.» Il annonce, dans la foulée, les nouveaux instruments institutionnels qui seront créés incessamment pour accompagner ce plan de «déradicalisation» : une «académie de la fatwa» pour «immuniser la vie religieuse dans l’enceinte de la mosquée», et un observatoire contre les dérives sectaires et l’extrémisme religieux pour «la sécurisation de la vie intellectuelle, de la vie religieuse, en dehors de la mosquée». Les deux institutions n’attendent plus que le quitus du gouvernement. «Durant le mois de juin, nous allons soumettre le projet de l’Observatoire (au gouvernement, ndlr). 

Ultérieurement, nous allons soumettre le projet de l’Académie de la fatwa», précise M. Aïssa. 

«On croit que l’islam tolérant est un islam instrumentalisé par le Système»
Ahmed Lahri, le modérateur des débats, s’est livré ensuite à un jeu de questions-réponses avec son invité du jour. «Quels sont les dossiers qui vous ont semblé assez compliqués à gérer ?» interroge notre confrère. «Ce qui m’a le plus marqué, Si Ahmed, c’est surtout les mentalités qui ont besoin de beaucoup d’efforts, de beaucoup de temps et de beaucoup de polémiques quelquefois pour réagir», rétorque le ministre. «Nous avons, en Algérie, des idées reçues. Nous avons quelque part cette conviction que la rigidité de la vie religieuse, c’est ça la religion.» Citant Soufiane Athaouri, un savant des premiers temps de l’islam, Mohamed Aïssa fera remarquer que «la vraie jurisprudence, ce n’est pas de dire ce qui est illicite mais de dire ce qui est licite». Allusion à tous ces prédicateurs ombrageux qui n’ont que le mot «haram» à la bouche. Pour lui, le challenge, c’est de «trouver des solutions à la vie de tous les jours. A une population musulmane qui veut vivre son époque tout en étant ancrée dans la tradition de l’islam. C’est ce qui est difficile et nous avons ces idées reçues qui nous poussent quelquefois à croire que l’islam tolérant est un islam instrumentalisé par le système politique. Que l’islam ‘officiel’, c’est l’islam du Président, c’est l’islam du ministre. Et qu’il faut avoir un ‘islam d’opposition’, un islam qui ne serait pas instrumentalisé, et qui serait l’islam ‘réel’. Cette dualité est très dangereuse», explique le ministre. Et de poursuivre : «Nous avons remarqué que le peuple algérien a été «embrigadé» par des cheikhs «autoproclamés» qui ont jalonné la vie cultuelle auprès des mosquées, et surtout dans les mass-media». Selon lui, «ces cheikhs autoproclamés, en vérité, sont détachés de la réalité des Algériens». Il estime néanmoins qu’ils exploitent «la superstition» qui gagne un secteur de la société. Il ne fait aucun doute sur le fait, insiste-t-il, que «seul un imam bien formé est capable d’orienter le croyant...» «Un imam bien formé est un imam qui se ressource dans la tradition du Prophète (alayhi assaltou wa salam) et dans la Révélation, le Saint Coran, mais qui prend aussi en considération la donne temps et la donne espace, à savoir que nous vivons au XXIe siècle et que nous sommes en Algérie», plaide le conférencier. 

«Aucun d’entre eux n’est imam»
«L’approche fournie par les imams des 17 000 mosquées algériennes est l’islam authentique», assure-t-il. «C’est l’islam qui a été pratiqué par nos aïeux, c’est l’islam qui a fait l’Andalousie, qui a fait Cordoue, c’est l’islam qui a été un catalyseur de cette population diverse dans sa langue, diverse dans ses idéologies et diverse dans ses régions.» Le ministre le reconnaît sans ambages : la mission est loin d’être facile. «Cela est difficile parce que ça demande un contact direct, et le contact direct est parasité actuellement par ce qui est diffusé sur les mass-media.» Interrogé sur les profils de ces «chouyoukhs autoproclamés», le ministre note d’abord que ce qui anime les chaînes qui les accueillent sur leurs plateaux, c’est la recherche du sensationnel. Dressant un portrait-robot de ces «télécoranistes» qui ne sont pas sans rappeler les télévangélistes américains, il note : «Ces gens, nous remarquons premièrement qu’ils ne sont pas formés. Aucun d’entre eux n’est imam. Aucun d’eux n’a été formé dans les instituts spécialisés. Nous en avons 13. Ils ne sont pas titulaires d’un diplôme universitaire en sciences islamiques. Ils se sont autoproclamés cheikhs en profitant de la confusion qui régnait durant les années de terrorisme et ils se sont implantés dans notre champ. Ils ont embrigadé les jeunes de leur quartier. Et, subitement, avec l’ouverture du champ médiatique, ils ont été invités par des chaînes qui cherchent la sensation, et ils ont eu un pupitre très dangereux.» 


«Nous réinterpellons Miloud Chorfi pour qu’il intervienne»
A la question de savoir si des actions concrètes ont été entreprises de concert avec le ministère de la Communication et l’Autorité de régulation de l’audiovisuel pour mettre un peu d’ordre dans ce bazar des fatwas, Mohamed Aïssa a affirmé que des discussions étaient engagées dans ce sens : «Je me suis entretenu avec le président de l’Autorité de régulation et j’ai même proposé à ce que son collectif soit conforté par des cadres de mon ministère, des inspecteurs centraux. (...) Je crois que l’Autorité de régulation est preneuse, nous attendons un geste de leur part. Je dois dire qu’à chaque fois, nous réinterpellons Miloud Chorfi pour qu’il intervienne. Je crois qu’il a déjà commencé un travail. Nous attendrons ses résultats. Mais nous demandons une diligence et une prise en charge immédiate parce que le danger vient de ces cheikhs autoproclamés. Nous ne connaissons pas leur affiliation, nous ne savons pas qui les paie, nous ne savons pas qui les a formés, et leur prêche est irrationnel en général et relève du virtuel d’autres fois. Ils se réfèrent à internet, aux réseaux sociaux, pour piocher leurs réponses. Or, les réseaux sociaux sont piégés, nous le savons tous. Les réseaux sociaux sont actuellement le fief du daéchisme.» Faisant sienne une réflexion de Ben Badis en parlant du wahhabisme, il professe : «Le wahhabisme est peut-être bénéfique pour les pays dans lesquels il est né, il ne l’est pas pour l’Algérie.» Mohamed Aïssa se désole, au cours du débat, du sort réservé à l’immense Mohamed Arkoun. «Arkoun, c’est la référence mal comprise», concède- t-il. Mohamed Aïssa plaide ardemment pour la réappropriation de notre corpus théologique en citant l’œuvre des Abdelhak El Ichbili, Mohamed Ben Abdelkrim El Meghili, Abou El Abass El Ouencharissi, l’imam El Mazouni, ou encore le cheikh Ben Alioua, fondateur de la zaouïa El Alawiya de Mostaganem. Et de conclure : «Nous ne connaissons pas ces érudits savants qui sont notre référent. Pourtant, ce sont eux qui ont légiféré pour les Algériens. Ce sont leurs orientations qui ont fait de nous la vraie nation du juste milieu. La preuve est que nous sommes immunisés contre le radicalisme et l’extrémisme violent. Et ceux d’entre nous qui y succombent, qui fléchissent, qu’on les interpelle par ce référent, par ce background. Il y va de notre salut.» 

Mustapha Benfodil



B) La banalité de l’Etat islamique – une insurrection comme une autre ?

L’attention des médias occidentaux, concernant l’organisation de l’État islamique (OEI), porte essentiellement sur sa dimension religieuse et sa violence. Certains analystes tentent de trouver un sens à son idéologie, ainsi qu’à la démarche de ceux qui font le choix de la rejoindre. D’autres avancent que sa capacité apparemment sans limite à brutaliser et terroriser a peu d’équivalents parmi les organisations violentes, à tel point qu’Al-Qaida l’a désavoué. En réalité, les agissements de l’OEI ne constituent pas un cas unique dans l’histoire récente et toute analyse qui se limite au fait religieux passe à côté de ses finalités politiques. 

La couverture médiatique s’est focalisée d’abord sur le caractère exceptionnel de la violence de l’organisation de l’État islamique (OEI). Dans l’orchestration de ses meurtres et dans la façon dont il les livre en images aux yeux horrifiés du monde entier, ce groupe serait sans équivalent. Cependant, le dépeindre ainsi, c’est oublier notre malheureuse Histoire — y compris notre histoire récente —, nourrie d’extrêmes violences contre des populations civiles à des fins politiques. On peut difficilement affirmer que les actions de l’OEI sont plus atroces que celles commises par les Khmers rouges au Cambodge, la Résistance nationale mozambicaine (Renamo) au Mozambique dont les combattants sont devenus des spécialistes des enlèvements, viols et mutilations de femmes, hommes et enfants, ou que l’usage systématique, en tant qu’arme, des violences sexuelles pendant la guerre de Bosnie. De même, les décapitations mises en scène par ce groupe ne sont pas plus effroyables que les milliers de « disparitions forcées » opérées en coulisses dans le conflit du Salvador. En termes de violence, la seule différence entre eux et l’OEI est que ce dernier œuvre à l’ère des réseaux sociaux et qu’il utilise ceux-ci au maximum pour provoquer la peur. 



D’autres exemples similaires
L’OEI n’est pas un cas unique de mobilisation d’une interprétation théologique comme élément d’une campagne politico-idéologique. En Indonésie, au lendemain de l’indépendance de cette colonie hollandaise en 1948, le mouvement Dar al-islam a voulu créer un État islamique et ses combattants ont déclenché des rébellions violentes. En Ouganda, le mouvement Lord’s Resistance Army (LRA) et son prédécesseur, The Holy Spirit Movement, avaient pour objectif d’établir une théocratie fondée sur les Dix Commandements. La LRA est aujourd’hui responsable de l’un des plus longs conflits en cours en Afrique. L’OEI n’est pas non plus la seule organisation à rejeter des frontières existantes. En Indonésie, la Jamaa islamiya qui a succédé dans les années 1990 à Dar al-islam prônait un État islamique recouvrant l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, une partie de la Thaïlande et les Philippines. Ce n’est pas non plus la seule organisation violente à avoir développé des réseaux de trafiquants et d’intermédiaires pour garantir des revenus énormes à partir de ressources naturelles comme le pétrole. Elle est emblématique de ces organisations rebelles ou terroristes qui capitalisent sur la faiblesse politique et institutionnelle des États où ils sont implantés pour lancer des opérations militaires et contrôler des territoires. Elle ne se démarque pas plus quand elle crée avec succès dans les villes conquises son propre système de gouvernance civile. C’est vrai que dans des villes comme Raqqa en Syrie, l’OEI a collecté des impôts, construit des infrastructures, mis en place une police de la circulation et fait fonctionner les boulangeries, tout en imposant des codes sociaux stricts sous la menace de sévères sanctions pour les comportements déviants, dont l’exécution publique. Ceci dit, en Inde, en plus de créer des structures de gouvernance sophistiquées, les naxalites avazient leur propre système bancaire. Les rebelles érythréens entretenaient quant à eux une usine pharmaceutique tout en animant une branche humanitaire qui travaillait avec des ONG internationales, tandis que leurs voisins les rebelles tigréens mettaient en œuvre une réforme agraire globale. L’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) avait développé un système postal avec des timbres internationalement reconnus alors qu’il était en conflit violent et intense avec les États officiels établis. Et comme l’OEI aujourd’hui, de nombreux groupes, y compris la National Resistance Army en Ouganda ou les rebelles maoïstes népalais, avaient un code de conduite pour leurs combattants, avec des sanctions en cas de violation qui incluaient l’exécution des coupables. Les critiques diront qu’à la différence des autres groupes, l’OEI est unique par sa volonté de modifier l’ordre politique international en poursuivant son objectif de créer un État islamique. Certes, c’est une aspiration radicale qui surpasse les autres organisations en termes de ferveur révolutionnaire et d’échelle. Mais elle demeure justement cela — une aspiration — et l’histoire des conflits n’a pas manqué de cas de la sorte, jugés menaçants, révolutionnaires et formidables en leur temps. Le discours reste un discours. 

Pour une analyse politique
L’objectif ici n’est pas de nuancer la menace posée par l’OEI. Il s’agit de souligner que, dans une perspective comparatiste, elle n’est pas si exceptionnelle que cela. La resituer dans une perspective théorique et historique plus large — c’est-à-dire au-delà du cadre du « terrorisme islamiste » et au-delà de la période post-11-Septembre — est important, car exagérer ce qui la distingue revient à déformer la menace qu’elle représente, à renforcer sa légitimité sans le vouloir et, pire que tout, à faire le jeu de ses chefs. Le fait que le comportement de l’organisation de l’État islamique (OEI) soit semblable à celui de tant d’autres organisations militantes — et cela en dépit de tous ses efforts pour se présenter comme la seule vraie avant- garde d’un État islamique — suggère à l’inverse l’existence d’une logique stratégique sous- jacente. Et devrait pousser les experts à traiter le groupe comme un acteur politique et à chercher à identifier ses buts politiques, ses capacités, ses moteurs et ses calculs stratégiques. Ceux qui travaillent sur les conflits et les soulèvements ne seront pas étonnés par le développement de services sociaux et médicaux, ni par le fait que l’OEI fasse payer des impôts aux résidents locaux, possède une organisation à la structure élaborée (qui n’apparait pas bien différente de l’organigramme d’autres groupes insurgés), impose une discipline stricte parmi ses combattants et tue de façon sélective. Ce sont des comportements « classiques » de la part d’acteurs armés non étatiques disposant d’une certaine force militaire. Une analyse centrée sur la dimension religieuse apparaît moins utile. Non que l’aspect religieux ne soit pas important : il contribue à mobiliser autour du groupe, attire des flots de nouvelles recrues et menace les gouvernements et populations occidentales islamophobes exactement de la manière souhaitée par le groupe. Mais toute analyse de l’idéologie de l’OEI qui ne s’interroge pas sur les choix du groupe pour formuler et propager son idéologie de la façon dont il le fait risque de se détacher du champ politique et de servir potentiellement de relais non critique au discours du groupe. En revanche, une analyse centrée sur l’acteur ne se contente pas d’interroger le discours et les actes de l’OEI ; elle s’intéresse aux raisons et aux finalités. Car même des leaderships extrémistes et apparemment fanatiques sont rationnels et stratégiques. Ils décident constamment, à partir d’évaluations de situations, des meilleurs modes d’action pour atteindre leurs objectifs, que ce soit au sujet du renforcement de la force militaire, du contrôle des territoires ou des populations. C’est ainsi, notamment, que l’OEI a mis son idéologie en sourdine pour faire alliance avec ce qui reste du parti Baas de Saddam Hussein. Les chefs de l’OEI exercent leur pouvoir bien au-delà de la religion, alors que les médias font comme s’ils en n’étaient que des adeptes aveugles, comme si leur idéologie était d’origine divine et non pas conçue et propagée méthodiquement. La prudence commande de ne pas faire d’hypothèses infondées sur les raisons des agissements de ses combattants et de considérer la pluralité des motivations. Les fantassins de base proclameront toujours qu’ils obéissent à une injonction divine pour justifier leurs campagnes quotidiennes de destruction et leurs tueries. Ils ne peuvent pas faire autrement s’ils veulent survivre, même si les uns et les autres ont rejoint l’organisation pour toutes sortes de raisons, parmi lesquelles certainement la conviction religieuse, mais aussi le goût de l’aventure, la vengeance, la pression de l’entourage, la coercition, la corruption et bien d’autres encore. Conclure que l’explication de leur comportement est à chercher exclusivement dans leur dévotion religieuse revient à largement sous-estimer la nature humaine et à accepter sans distance critique la propagande de cette organisation. Les gens ne font pas ce qu’ils font parce qu’ils sont musulmans, chrétiens, serbes ou hutus, ni parce que l’islam, le christianisme ou toute autre ancienne haine raciale leur dicte de le faire. Ils font ce qu’ils font parce qu’ils pensent que cela les aide à atteindre certains objectifs. L’analyse qui se focalise sur la dimension religieuse est une impasse qui nous empêche de nous demander si dans les mêmes circonstances, ces mêmes acteurs agiraient différemment s’ils adhéraient à une autre religion ou une autre idéologie. 

Reyko Huang 




C) « Si Daech n’existait pas, il aurait fallu l’inventer »

Richard Labévière, expert des questions internationales et stratégiques, écrivain et rédacteur en chef de ProcheetMoyen-Orient.ch/Observatoire géostratégique, analyse le changement de posture des États-Unis dans le traitement des questions liées au terrorisme. 

Dans un contexte international volatile et fragmenté, marqué par la disparition progressive du leadership américain, la multiplication des acteurs et la fin des alliances stables, la configuration de la menace terroriste est de plus en plus complexe. Comment a évolué le traitement du phénomène terroriste par les puissances occidentales et leurs alliés ? Comment expliquer les contradictions entre la déclaration d'une guerre totale contre le terrorisme incarné par des organisations comme le groupe État islamique (EI ou Daech), et dans la pratique, un conflit de moyenne et basse intensité contre l'EI ? Pourquoi l'approche politique de résolution des crises a été supplantée par la logique sécuritaire du maintien, de l'entretien et de la gestion de ces situations ? Richard Labévière, expert des questions internationales et stratégiques, rédacteur en chef de ProcheetMoyen-Orient.ch/Observatoire géostratégique, répond à L'Orient-Le Jour. 

Le 27 mai 2015, à Genève, vous avez organisé un colloque sur le terrorisme dans lequel vous parlez d'« anciennes menaces » mais de « nouveaux enjeux ». Qu'entendez- vous par là ?
Le premier point sur les anciennes menaces était de montrer la vraie filiation historique de Daech. Souvent les observateurs pressés ont l'habitude de dire que Daech est né en Irak. Mais avant l'Irak, ce groupe s'est inspiré des méthodes et de l'idéologie des islamistes armés algériens, le Groupe islamique armé (GIA), qui entre 88 et 98 ont été les terroristes de la décennie sanglante (tortures et massacres collectifs au nom de la restauration du califat). Dans les méthodes d'assassinat et dans l'idéologie, ces islamistes ont donc été les précurseurs de Daech. Maintenant en ce qui concerne les nouveaux enjeux face à la menace terroriste et ses transformations, nous sommes passés par plusieurs stades. L'isolement international de pays comme l'Algérie qui a fait face seul au terrorisme à l'époque, puis après le 11 septembre et à partir du moment où les États-Unis sont touchés sur leur sol, la guerre contre le terrorisme qui devient l'affaire du monde entier. Après les révoltes arabes et jusqu'à ce jour, la grande nouveauté que l'on peut observer est la gestion de crises. On gère la menace terroriste sans chercher à la résoudre ou à l'éradiquer. La gestion de crise est devenue un mode de gouvernance. On canalise, on oriente, on instrumentalise. 

Pourquoi estimez-vous que c'est après les révoltes arabes que le changement a été initié ?
Rappelons-nous pourquoi les Américains ont décidé d'éliminer Oussama Ben Laden (chef d'el-Qaëda) en mai 2011 alors qu'ils savaient depuis 4 ans qu'il était au Pakistan et ne bougeaient pas ? Parce que les révoltes arabes de janvier 2011 avaient commencé et que l'administration américaine ne voulait surtout pas qu'el-Qaëda récupère et instrumentalise la contestation, quand la réponse thermidorienne à ces révoltes à l'époque était les Frères musulmans. En mai 2011, on mise donc sur les Frères, et cela va s'avérer une catastrophe. À partir du moment où la dernière approche des États-Unis au Moyen-Orient a échoué, il n'y a pas eu d'approche politique régionale précise face à la crise syrienne, à l'implosion de l'Irak, aux conséquences de la guerre en Libye qui a touché tous les pays voisins de la zone sahelo- saharienne des côtes marocaine à la Corne de l'Afrique. 

Comment se traduit aujourd'hui la gestion du terrorisme au Moyen-Orient ?
Prenons un exemple parlant, le sommet anti-Daech organisé par François Hollande en juin à Paris. Premièrement, il n'invite pas l'Iran qui est un pays majeur pour combattre Daech. Deuxièmement, la France fait partie de la coalition qui comprend une cinquantaine de pays ; or face aux participants à la conférence, M. Hollande explique que la lutte contre Daech sera longue sur le plan opérationnel (d'où l'idée de gestion), estimant en outre qu'il ne faut pas changer de stratégie parce que celle de la coalition est la plus adaptée. Or n'importe quel militaire sait parfaitement que l'on n'éradique pas une formation comme Daech simplement avec des bombardements aériens. C'est un principe de stratégie militaire. Dans ce genre de conflit, si l'on ne déploie pas de troupes au sol pour entrer dans une confrontation directe (ce que la France a fait au Mali, combats de corps à corps entre forces spéciales et jihadistes) cela ne donnera rien. Dans le cas de Daech, nous sommes dans cette fameuse équation : on ne résout pas le problème par des décisions militaires frontales, on gère sur le long terme et d'une certaine façon on en tire profit. Sur ce point précis, un expert du Pentagone avait affirmé que si l'on voulait véritablement venir à bout de l'EI, il faut 10 mille militaires au sol, une bataille frontale décisive et l'affaire est réglée. Or aujourd'hui, près de la moitié des avions de la coalition rentrent à leur base avec leurs bombes qu'ils n'ont pas larguées. Nous pouvons prendre également l'exemple d'el-Qaëda que l'on aide dans un pays et que l'on combat ailleurs. On les soutient en Syrie, mais on tue leur chef au Yémen à 2-3 jours d'intervalle. Tout cela révèle qu'il n'y a plus de politique proche et moyen-orientale construite parce que ce n'est plus central aujourd'hui pour les États-Unis. Il faut replacer le logiciel géopolitique à son bon niveau. Nous avons oublié qu'au début de son second mandat, Barack Obama avait rappelé la chose suivante : l'avenir des intérêts américains se situe en Asie- Pacifique et en Asie centrale. Cela ne passe plus par le contrôle du Moyen-Orient, mais par ce que Zbigniew Brzeziński appelait Eurasie, c'est-à-dire les routes de Marco Polo, de Venise à Vladivostok. C'est pour cela que la priorité, avant de résoudre au cas par cas les crises au Moyen-Orient, reste la normalisation avec l'Iran et la recherche d'un accord sur le nucléaire. L'obsession américaine est aujourd'hui de contenir la Chine et le retour de la Russie comme puissance régionale dans son accord stratégique avec Pékin. De cette priorité-là découle des postures au Moyen-Orient qui vont être différentes en fonction des situations. 

En l'absence d'une approche régionale globale, y a-t-il néanmoins des lignes rouges à ne pas franchir dans la région ?
Oui, il y a 4 lignes rouges qui ne bougent pas. La défense de Bagdad, parce que symboliquement après 2003 les Américains ne peuvent pas permettre que Daech prenne Bagdad. La défense et la protection de la Jordanie qui est un protectorat américano-israélien. Le Kurdistan qui reste une des dimensions essentielles de l'évolution de l'arc de crise et de la transformation à venir parce que du Kurdistan dépend la façon dont les acteurs tentent d'instrumentaliser la question kurde. Le Liban également parce que dans leur absence de vision globale encore une fois, les États-Unis et la France ne peuvent se permettre que l'on revive une instabilité générale telle que l'on a pu la vivre entre 1975 et les accords de Taëf de 1990. Même s'il y a encore des situations grises, des incursions dans la Békaa, et les conséquences que l'on connaît de la bataille du Qalamoun syrien. Aujourd'hui, il est certain que les États-Unis gèrent les crises au coup par coup. Mais surtout de la manière dont ils gèrent la criminalité chez eux. Dans les différents États les plus problématiques avec les gangs et les mafias, il y a un modus vivendi, on ne démantèle pas le crime organisé, on le canalise et on le gère. On protège les zones riches avec des sociétés militaires privées, et on laisse les criminels raqueter les parties les plus pauvres de la société américaine. Donc on instaure des sociétés à plusieurs vitesses avec des ghettos, des zones protégées, des zones abandonnées. La politique étrangère étant une extension de la politique intérieure. 

Vous considérez que le « terrorisme » est devenu le stade suprême de la mondialisation, cette évolution dans le traitement du phénomène serait selon vous liée à la transformation du système capitaliste ?
Oui, le terrorisme rapporte et s'inscrit dans la logique de la mondialisation économique parce que la lutte contre le terrorisme génère des millions d'emplois dans les industries d'armement, de communication, etc. Le terrorisme est nécessaire à l'évolution du système capitaliste lui- même en crise, mais qui se reconfigure en permanence en gérant la crise. Cette idée de gestion sans résolution est consubstantielle au redéploiement du capital. Dans un brillant essai, La part maudite, Georges Bataille avait expliqué à l'époque en 1949 que toute reconfiguration du capital nécessite une part de gaspillage qu'il appelle la consumation et aujourd'hui on peut dire que le terrorisme est cette part de « consumation » organiquement liée à l'évolution du capitalisme mondialisé. Si Daech n'existait pas, il faudrait l'inventer. Ça permet de maintenir une croissance du budget militaire, des millions d'emplois de sous- traitance dans le complexe militaro-industriel américain, dans la communication, dans l'évolution des contractors, etc. La sécurité et son maintien est devenue un secteur économique à part entière. C'est la gestion du chaos constructif. Aujourd'hui des grandes boîtes, comme Google par exemple, supplantent l'État et les grandes entreprises en termes de moyens financiers pour l'investissement et la recherche dans le secteur militaire américain en finançant des projets de robots et de drones maritimes et aériens. Tout cela transforme le complexe militaro-industriel classique et rapporte beaucoup d'argent. Pour cette transformation le terrorisme est une absolue nécessité, Daech n'est donc pas éradiqué mais entretenu parce que cela sert l'ensemble de ces intérêts. Et là nous ne tombons pas dans la théorie du complot, c'est une réalité quand on examine l'évolution de l'économie. 

Quelles sont les conséquences de cette logique ?
C'est surtout qu'on encourage les causes et les raisons sociales de l'émergence du terrorisme. On ne dit pas suffisamment que ceux qui aujourd'hui s'engagent dans les rangs de Daech et reçoivent un salaire proviennent des lumpen prolétariat de Tripoli ou autres zones où les gens vivent dans une extrême pauvreté parce que l'évolution du capitalisme affaiblit les États, les politiques sociales, et les classes les plus défavorisées sont dans une situation de survie de plus en plus complexe. Sans réduire le phénomène à une seule cause, le mauvais développement et la déglingue économique constituent tout de même une raison importante de l'expansion de Daech. Face à cela, les États-Unis ont entretenu la situation de faillite des États de la région sahelo-saharienne et favorisé la création de micro-États mafieux. Cette logique de traitement sécuritaire montre que l'argent est devenu le facteur principal des relations internationales aujourd'hui. La raison pour laquelle l'Arabie saoudite, le Qatar sont devenus des partenaires tellement importants pour les pays occidentaux c'est parce qu'ils ont de l'argent et dans leur logique de Bédouins, les Saoudiens pensent que l'on peut tout acheter. L'argent a supplanté l'approche politique des relations internationales, c'est la donnée principale et la direction de la gestion des crises. D'où ce poids totalement démesuré de l'Arabie saoudite, du Qatar, des Émirats, du Koweït, dans la gestion des crises du Proche et Moyen-Orient. Quand on voit que les Saoudiens arrosent d'argent le Sénégal, et que ce dernier envoie 200 soldats au Yémen on sent le poids de l'argent. On voit aussi comment cette course à l'argent explique la nouvelle diplomatie française. 

C'est- à-dire ?
Du temps du général de Gaulle et de François Mitterrand, on parlait d'une politique arabe de la France, aujourd'hui on parle d'une politique sunnite de la France. La diplomatie française colle aujourd'hui aux intérêts saoudiens, parce que la France vend de l'armement, des Airbus à Riyad, aux Émirats, au Koweït... Ça représente 35 milliards de dollars lourds pour le Cac 40. C'est une diplomatie de boutiquier où la vision stratégique de l'intérêt national et de la sécurité nationale est supplantée par la course à l'argent. Les élites administratives et politiques ne parlent plus de la défense de l'intérêt national mais de la défense de leurs intérêts personnels. L'argent explique leur démission et leur trahison des élites. Dans ce contexte-là, la liberté d'expression s'est réduite à une simple alternative être ou ne pas être Charlie. S'exerce aujourd'hui une « soft » censure qui fait que dans les médias mainstream on peut difficilement faire des enquêtes ou critiquer l'Arabie saoudite ou le Qatar. La diplomatie est gérée par une école néoconservatrice française qui a substitué à la politique et l'approche internationale, une morale des droits de l'homme qui est un habillage à la course à leurs intérêts financiers. 

Lina Kennouche avec Richard Labévière, expert des questions internationales et stratégiques, écrivain et rédacteur en chef de ProcheetMoyen-Orient.ch/Observatoire géostratégique





D) Yémen : l’intervention saoudienne est un échec. La solution ne peut pas être militaire.

L’actualité internationale est ainsi faite qu’une crise politique d’ampleur peut faire la une des médias durant quelques jours, voire quelques semaines, puis disparaître ensuite presque totalement des mêmes médias alors qu’aucun des éléments l’ayant fait naître n’a été résolu. Le cas du Yémen constitue une illustration de cette observation. Il y a trois mois, le 26 mars, l’Arabie saoudite lançait une offensive aérienne, nommée "Tempête décisive", contre ce pays, avec l’aide d’une coalition d’une dizaine d’Etats, dont le but proclamé était de rétablir dans ses fonctions le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi. Ce dernier avait en effet été chassé du pouvoir par les milices houthistes et avait trouvé refuge en Arabie saoudite. Quelle est la situation qui prévaut désormais au Yémen ? 

Un bilan humain et militaire catastrophique
Le bilan humain est catastrophique : après quatorze semaines de bombardements aériens, on dénombre plus de 2000 morts et 10.000 blessés, la plupart civils, et 80% de la population ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence dans le pays le plus pauvre du monde arabe. D’un point de vue militaire, l’agression saoudienne est un échec à peu près complet. L’objectif affiché de détruire l’armement lourd des houthistes n’a visiblement pas été atteint. Au début du mois de juin, ces derniers ont même réussi à tirer trois missiles Scud vers le nord qui ont explosé au-dessus du sol saoudien. Par ailleurs, l’intervention saoudienne devait permettre d’empêcher qu’Aden, la deuxième ville du pays, ne tombe aux mains des houthistes : en réalité, la zone portuaire a été presque entièrement détruite mais les combats se poursuivent néanmoins dans le reste de la ville et pas un seul soldat de la coalition dirigée par les Saoudiens n’y a posé un pied. La perspective d’une intervention terrestre, un temps envisagé, a vite été abandonné à cause du refus des Égyptiens et des Pakistanais d’y participer. Quant aux 2000 soldats sénégalais promis, on attend toujours leur arrivée sur le terrain... 

Concurrence entre AQPA et Daech
D’un point de vue politique enfin, la volonté saoudienne de montrer sa force et de s’imposer comme leader du monde arabe sunnite ne semble pas non plus concrétisée. On peut même considérer que malgré un contrôle efficace de leur communication par les responsables de Riyad l’échec de leur stratégie apparaît au grand jour, ce qui a pour conséquence potentielle d’affaiblir le nouveau monarque saoudien, Salman, et son fils, Mohamed Ben Salman, ministre de la Défense. Last but not least, les organisations djihadistes parviennent à s’affirmer sur le territoire yéménite. Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) a profité du chaos politique et de l’effondrement du pouvoir central pour renforcer ses positions, parvenant à contrôler le port de Moukalla et une partie du sud-est du pays. En outre, une concurrence acharnée semble se dessiner entre l’AQPA et Daech, ce dernier ayant revendiqué une série d’attentats meurtriers dans la capitale, Sanaa, le 17 juin. Cinq explosions ont simultanément eu lieu devant des mosquées fréquentées par la communauté zaïdite, branche du chiisme majoritaire chez les houthistes, et devant le domicile d’un responsable houthiste. 

Des revendications irréconciliables
Le bilan de leur intervention semble ainsi constituer un échec complet pour les dirigeants saoudiens. C’est dans ce contexte que des consultations de paix pour le Yémen ont été organisées à Genève le 16 juin. Comme il était malheureusement prévisible, elles se sont achevées trois jours plus tard sans atteindre le moindre résultat et sans qu’aucune date d’un prochain rendez-vous ait été fixée. Chaque partie portait des revendications irréconciliables. Le gouvernement, dirigé par Abd Rabbo Mansour Hadi, en exil en Arabie saoudite s’arc- boutait sur la résolution 2216 adoptée le 20 avril par le Conseil de sécurité de l’ONU, exigeant le retrait des milices houthistes des zones qu’elles ont progressivement conquises depuis septembre 2014. Quant aux houthistes, ils se refusent à reconnaître cette résolution et demandent à être traités à égalité avec le gouvernement en exil. Facteur aggravant, une récente déclaration de Abd Rabbo Mansour Hadi, expliquant que l’influence de l’Iran au Yémen était plus dangereuse que celle d’Al-Qaïda exprime de façon préoccupante les erreurs de perspective actuellement à l’œuvre parmi les alliés des Saoudiens, d’autant que le seul aéroport yéménite à ne pas avoir été bombardé est celui de Moukalla contrôlé par AQPA. La surestimation obsessionnelle du président yéménite en exil, et de ses tuteurs arabes du Golfe, de l’importance de Téhéran empêche à ce stade la perspective d’un compromis politique. Erreur d’autant plus funeste que l’Iran ne s’est en réalité pas beaucoup investi au Yémen. Les assertions répétées en boucle sur sa présence militaire au Yémen n’ont jamais été prouvées et ses relations avec les houthistes sont récentes et peu étroites. Il faut réaffirmer que ces derniers ont avant tout un agenda yéménite et ne peuvent pas sérieusement être considérés comme les supplétifs de Téhéran. 

Le fantasme de la menace iranienne
Ainsi, derrière le conflit local qui fait rage, se profile en réalité le bras de fer entre les États arabes du Golfe, emmenés par l’Arabie saoudite, et l’Iran. L’Arabie saoudite tente, par tous les moyens, de se replacer au centre du jeu régional et de s’imposer comme le leader pour s’opposer à ce qu’elle appelle "l’expansionnisme iranien". Ce processus est en cours depuis plusieurs mois déjà. On a ainsi observé la volonté de faire rentrer le Qatar dans le rang, le soutien saoudien indéfectible apporté au régime contre révolutionnaire du maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi, la forte contribution financière à la modernisation de l’armée libanaise via le règlement de l’intégralité des livraisons de matériels de guerre français ou encore le jeu des nominations politiques récentes voulues par le nouveau roi Salman au sein de l’appareil d’État saoudien. Les opérations militaires massives menées contre le Yémen s’inscrivent dans cette perspective. C’est pourquoi ladite communauté internationale doit se ressaisir et clairement déterminer ses priorités. Au niveau régional, le défi principal est bien celui incarné par les organisations djihadistes et la difficulté de les combattre efficacement. A contrario, l’Iran apparaît comme un facteur de stabilité et un allié dans la lutte contre les djihadistes. Si l’on veut être, politiquement et diplomatiquement, un tant soit peu efficace, c’est à partir de ces paramètres fondamentaux qu’il est nécessaire de se déterminer, de manière à exercer des pressions équilibrées sur toutes les parties au conflit et entamer un processus de résolution équitable de la crise.
 

Didier Billion 



E) Frappes antiterroristes

Coup sur coup, deux figures de la mouvance Al-Qaida ont été la cible des frappes de drones américains. 

Au Yémen, la mort du chef d’Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA), Nasser al Wouhaïchi, et de deux autres de ses membres, a été confirmée le 15 juin par le groupe, cinq jours après qu’une nouvelle opération de ce type ait été menée, cette fois dans la région de Moukalla, au sud-est du pays. Au Sahel, c’est Mokhtar Belmokhtar, ancien responsable d’AQMI, à la tête du groupe Al-Mourabitoune, qui était visé lors d’un raid aérien à Ajdabiya, dans l’est de la Libye, où se tenait, le 10 mai, une réunion du groupe Ansar Al-Charia, lié à la mouvance Al-Qaida, à laquelle le cerveau de l’attaque du site gazier d’In-Amenas, en Algérie, en 2013, devait participer. Le groupe libyen a confirmé, le 16 juin, que le raid aérien — des chasseurs-bombardiers F-15 Strike Eagle armés de bombes guidées et des drones d’obser- vation, selon le Pentagone — avait bien conduit à la mort de sept de ses membres, mais a démenti celle du Belmokhtar. Cette attaque était, en réalité, une troisième tentative, les deux premiers raids ayant été annulés en vol avant que les appareils américains n’entrent en Libye : la cible visée s’était déplacée. Ce qui fait dire aux spécialistes que les Etats-Unis disposent de renseignements précis. Alors que les Etats-Unis ont fait de l’usage des drones une arme privilégiée de leur «guerre contre le terrorisme» dans de nombreux pays, et notamment à plusieurs reprises au Yémen, dont 11 pour la seule année, il s’agirait d’une première pour la Libye, selon des sources françaises. Washington et ses alliés occidentaux ont toujours présenté la mort de responsables d’Al-Qaida comme un coup dur pour l’organisation et une nouvelle victoire contre le terrorisme. Or, affaiblir Al-Qaida, ou ce qu’il en reste, contribue dans le même temps à renforcer l’Etat islamique (EI), analysent les experts. La montée en puissance de l’EI, qui a su récupérer le leadership djihadiste au détriment d’Al-Qaida, non seulement monopolise l’attractivité des nouvelles recrues, y compris à l’étranger, mais étend également sa présence sur des zones traditionnellement sous influence d’Al-Qaida. Et notamment au Yémen et en Libye. Dans un des derniers numéros de sa publication en ligne, Dabiq, l’EI qualifiait Al-Qaida d’«entité en train de couler», affirmant qu’il ne «tolérer(ait) aucun autre groupe islamiste» dans les territoires où il opère. Dans le jeu de concurrence entre les deux groupes, qui bénéficie à l’EI, la neutralisation par les Etats-Unis de responsables stratégiques et opérationnels d’Al-Qaida, ennemis de l’EI, est une aubaine pour l’organisation d’Al-Baghadi. Alors que la stratégie menée par la coalition menée par les Etats-Unis en Irak et en Syrie contre elle montre ses limites, les militaires des pays occidentaux qui en font partie restent convaincus que l’EI sera vaincu militairement. Preuve de ce volontarisme positif : leurs services de renseignement n’ont pas préparé de scénario faisant l’hypothèse d’une victoire de l’EI...
  



 F) Quelle stratégie face à Daech ?

Retour 70 ans en arrière. En 1945, les démocraties occidentales venaient à bout du péril nazi au bout de six ans de guerre et d’une succession d’erreurs qui avaient laissé Hitler étendre son emprise sur l’Europe depuis son arrivée au pouvoir en 1933 et les scandaleux accords de Munich qui lui avaient abandonné la Tchécoslovaquie en lui ouvrant la voie de toute l’Europe orientale. Et, comme chacun sait, ces mêmes démocraties occidentales n’auraient certainement pas gagné la guerre sans une alliance conclue avec l’Union soviétique de Staline après la rupture du pacte germano-soviétique, autre erreur dont celui-ci n’avait pas perçu la menace lorsqu’il l’avait conclu. Cette alliance de raison et de convergence d’intérêts s’est donc imposée avec Staline malgré ce précédent et nonobstant le fait que son régime ait eu à son passif un nombre de morts et de déportés largement susceptible de rivaliser avec les nazis. Toutefois, une différence de taille pouvait distinguer les régimes nazi et stalinien aux yeux des occidentaux : contrairement au premier, le second ne menaçait pas directement la sécurité de l’Occident au-delà de sa zone d’influence. Justement, l’obtention de cette zone d’influence en cas de victoire fut la condition posée par Staline pour prêter main forte aux alliés. Et, comme chacun sait, ceux-ci y ont souscrit lors du partage du monde acté à Yalta. 


Face à la capacité d’extension de l’organisation de l’État islamique (Daech), peut-on ignorer les rapports de force sur le terrain ?
Aujourd’hui, en 2015, la situation dans le monde arabo-musulman avec l’émergence de Daech et l’extension inquiétante de la zone tombée sous sa domination en Irak et en Syrie, d’une part, et en Libye, d’autre part, ainsi que sa capacité à susciter des ralliements ailleurs comme avec Boko Haram au Nigéria, pose aux puissances occidentales et aux États arabes ou musulmans hostiles à Daech une question quasi-similaire : une victoire est-elle possible sans une large alliance et sans la fin des guerres fratricides entre arabes et musulmans sunnites et chiites hostiles au groupe djihadiste, nonobstant les nombreuses erreurs commises par les uns et les autres et le prix à payer pour acter les ralliements à une telle alliance ? Alors que Daech gagne du terrain partout, la réponse est sans doute négative. D’ailleurs, l’existence simultanée de plusieurs zones de conflit dominées par Daech vient rappeler que, contrairement à l’Allemagne hitlérienne, l’organisation de l’État islamique tire une part de sa force du fait que son idéologie ne prenne pas ses racines dans un territoire identifié à une nation appelée à dominer le monde, mais bien dans une idéologie transnationale susceptible de susciter des ralliements de partout, où le djihadisme sunnite peut avoir prise. En face, les composantes d’une éventuelle coalition anti-Daech ne peuvent être que ceux qui le combattent déjà dans les zones disputées ou qui auraient la capacité et l’intention de le faire. Autrement dit, au Proche- Orient, l’Iran et ses alliés essentiellement chiites, parmi lesquels figurent, outre l’Irak, le régime de Bachar el-Assad en Syrie, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien, bien qu’inscrit dans la mouvance islamiste sunnite des Frères musulmans, et les nouveaux maîtres du Yémen, les Houtis chiites alliés à l’ancien dictateur sunnite déchu Ali Abdallah Saleh, que l’Arabie saoudite et ses alliés sunnites essaient de déloger du pouvoir. En Libye, Daech a face à lui une multitude de factions obéissant le plus souvent à des regroupements tribaux, comprenant à la fois des nostalgiques du régime de Kadhafi et d’autres l’ayant fait tomber, parmi lesquels figurent des groupes islamistes de diverses obédiences allant de factions proches des Tunisiens d’Ennahdha à des salafistes a priori non-djihadistes, avec deux gouvernements rivaux incapables de s’entendre. Dans les deux cas, l’impossible unification des forces anti-Daech est aussi urgente qu’indispensable. 

Au Proche-Orient, l’Iran chiite allié incontournable faute de puissance sunnite ?
Pour ce qui est du conflit en Irak et en Syrie d’abord, la question posée est donc bien celle de l’inclusion dans une telle alliance de la seule vraie puissance militaire du Proche-Orient, en dehors d’Israël, à savoir l’Iran chiite et ses alliés, malgré ce qu’est le régime des Mollah et les crimes imputables à celui d’Assad, quitte à envisager d’en juger ses responsables ultérieurement. Force est de constater que le recul d’Assad sur le terrain n’a quasiment bénéficié qu’à l’organisation de l’État islamique ou à des factions comme le Front al-Nosra, lié à Al-Qaïda, qui ne sera donc jamais un allié fiable, malgré le soutien qui lui serait apporté par l’Arabie saoudite ou le Qatar qui, une fois encore, joueraient avec le feu sans être rappelés à l’ordre par leurs soutiens occidentaux. Des Occidentaux qui continuent de jouer la carte saoudienne dans le conflit yéménite contre les Houtis soutenus par l’Iran, en tentant peut-être un nouveau pari hasardeux consistant à introniser l’Arabie saoudite comme chef de file du camp sunnite, notamment grâce à l’aval du nouvel homme fort de l’Égypte, le Général Sissi, parvenu au pouvoir en évinçant les Frères musulmans avec l’appui des Saoudiens et de leur parti-relai salafiste Al-Nour. Mais un tel pari pourrait être rapidement voué à l’échec en raison de l’incapacité prévisible de l’armée saoudienne et de ses alliés d’engager une intervention au sol face aux Houtis au-delà des bombardements aériens actuels, une réticence trahissant peut être un réel aveu de faiblesse de cette coalition et, a fortiori, son incapacité à mener une guerre plus large face à Daech ? Est-ce à dire qu’il n’y aurait pas aujourd’hui de puissance militaire sunnite de taille au Proche-Orient depuis la chute du régime de Saddam Hussein, en dehors peut-être de la Turquie, mais dont le jeu trouble du gouvernement envers Daech ne permet pas d’envisager d’y voir un allié sûr, d’autant plus que les islamistes y ont gagné les récentes élections et pourrait gouverner avec l’extrême-droite ? En effet, il n’y a guère de doutes sur ce dernier point, vu la suspicion manifestée par le gouvernement turc à l’égard du soutien des Occidentaux aux Kurdes combattant l’organisation djihadiste et sa volonté de favoriser la chute du régime d’Assad à n’importe quel prix. Quant aux Saoudiens, ils n’ont pas été en mesure de rallier à leur cause les deux puissances militaires sunnites que sont le Pakistan, dont le Parlement a refusé d’engager son armée au sein de la coalition anti-Houtis, et l’Égypte qui, malgré la puissance militaire qui lui est reconnue et la proximité du Général Sissi avec l’Arabie saoudite, n’apparaît aucunement prête à s’engager dans une guerre dans la péninsule arabique ou au Proche-Orient, dans le cas où elle aurait à se prémunir d’une éventuelle extension du conflit libyen à son territoire. Enfin, ce constat en appelle un autre : l’Iran chiite est aujourd’hui la seule puissance militaire digne de ce nom du Proche-Orient susceptible de tenir tête, avec ses alliés, à Daech. Ceci d’autant plus que, quel que soit le dessein de l’Iran, les chiites apparaissent aujourd’hui comme des alliés sûrs face aux djihadistes, même si la marginalisation des sunnites en Irak après la chute de Saddam Hussein et en Syrie par la dynastie Assad, représente l’erreur majeure des régimes alliés de l’Iran que celui-ci n’a pas cherché à stopper, et dont Daech a su tirer bénéfice en ralliant à lui nombre d’anciens officiers bâasistes sunnites victimes de l’épuration et autant de stratèges militaires, ainsi que des tribus ou des citoyens sunnites s’estimant lésés par le nouveau pouvoir chiite. A ce jour, le gouvernement irakien tente de rattraper l’erreur continue de ses prédécesseurs et de rallier les tribus sunnites dans sa lutte contre Daech, indépendamment de l’hypothèse d’une inclusion ou non de l’Iran dans une éventuelle coalition. 

Un Yalta proche-oriental en contrepartie du soutien de l’Iran ?
La première erreur à réparer par l’Iran et ses alliés chiites serait donc évidemment de faire cesser la marginalisation des sunnites, et de leur donner des gages solides pour l’avenir à ce propos, afin que ce conflit ne continue pas de dégénérer en une guerre entre chiites et sunnites au lieu d’opposer Daech à ses adversaires, aussi divers soient-ils. Mais dans l’hypothèse où la mise à l’écart de l’Iran cesserait en vue de son inclusion dans une large alliance anti-Daech, comme pourrait peut-être le laisser supposer le récent assouplissement de l’attitude des États- Unis sur le dossier du nucléaire iranien, quelles seraient les conditions de l’Iran à ce ralliement ? Sans doute la reconnaissance d’une zone d’influence sur la sphère chiite incluant l’Irak, vu comme l’extension arabe de la sphère iranienne, la Syrie, en fonction de ce que les alaouites et leurs alliés parviendraient à garder, un partage du pouvoir favorable au Hezbollah au Liban et aux Houtis au Yémen, avec le Hamas palestinien qui, tout en étant d’obédience islamiste sunnite, reste pour l’Iran un moyen de pression sur Israël et combat à Gaza les groupes liés à Al-Qaïda ou à Daech. Mais l’hypothèse d’une inclusion de l’Iran dans une coalition contre le groupe djihadiste, même si elle venait à s’imposer en raison de son caractère incontournable, serait évidemment très mal vue par l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et Israël, notamment. A charge pour les Occidentaux d’obtenir des gages de l’allié potentiel iranien en faveur de ces États opposés à une telle alliance, afin de faire taire leurs réticences face à l’objectif majeur de combattre Daech. Une sorte de Yalta proche-oriental pourrait alors s’imposer en assurant à chacun de trouver la garantie de sa propre sécurité et de sa zone d’influence strictement limitée par rapport à celles de ses voisins. L’Iran ne pourrait donc obtenir à la fois sa zone d’influence sur la sphère chiite, tout en continuant d’être vu comme une menace par les États sunnites voisins ou par Israël. Cela supposerait donc d’abord un accord global sauvegardant les intérêts mutuels des chiites et des sunnites à travers une règle de partage du pouvoir empêchant la marginalisation des uns ou des autres, ainsi que des minorités. Concernant Israël, des solutions seraient à trouver sur le nucléaire iranien et la question palestinienne, pour lesquelles une double influence américaine et iranienne pourrait être susceptible de faire évoluer les positions d’Israël et du Hamas, tout en confortant celle du Fatah, affaibli par l’enlisement des négociations avec Israël. 

En Libye, première urgence : éviter l’extension du conflit et contenir l’influence de Daech ?
L’évolution de la situation de la Syrie et de l’Irak pourrait laisser craindre le pire pour la Libye, qui est peut-être déjà atteint, mais aussi pour le reste de l’Afrique du Nord si le conflit venait à s’étendre aux États voisins, même si la Libye reste entourée des trois puissances militaires régionales majeures que sont l’Algérie à l’ouest, l’Égypte à l’est et le Tchad au sud. Les voisins les plus vulnérables seraient alors certainement la nouvelle démocratie qu’est la Tunisie à l’ouest, dont les faibles moyens militaires posent la question de sa capacité à se défendre en cas de pénétration massive du groupe djihadiste sur son territoire, ainsi que le Niger au sud, qui fait face au même problème. Dans ces conditions, l’Algérie, l’Égypte et le Tchad ont un rôle majeur à jouer en vue d’éviter toute extension du conflit, sachant que leur propre sécurité serait directement menacée dans le cas où Daech déciderait de se constituer des bases-arrières sur les territoires des maillons-faibles que sont, militairement parlant, la Tunisie et le Niger. Des tentatives en ce sens ont déjà été observées à travers les attentats perpétrés dans certaines zones de ces pays, qui pourraient être destinés à ouvrir la voie à des opérations de plus grande envergure, à terme, profitant de l’extrême difficulté de contrôler un territoire désertique. Il est toutefois vrai qu’à ce jour l’organisation de l’État islamique a déjà fort à faire pour défendre ses positions en Libye avant de penser à s’attaquer à d’autres territoires, à moins de pouvoir compter sur le ralliement de groupes locaux comme Boko Haram. Mais, si Daech venait à prendre le dessus en Libye, rien ne l’empêcherait plus de ne pas passer à l’étape suivante, en donnant le signal du réveil de cellules dormantes sur d’autres territoires et en envisageant d’attaquer ceux-ci s’ils sont trop faiblement défendus. Dans ces conditions, face à une éventuelle attaque de Daech contre les deux États frontaliers de la Libye les plus vulnérables que sont la Tunisie et le Niger, un ferme engagement des trois puissances régionales à ne pas rester inertes serait indispensable, sachant que leur propre sécurité serait en jeu à court terme. L’organisation djihadiste pourrait ainsi d’autant plus difficilement envisager de passer à l’action contre les États voisins face à la perspective de se trouver pris en tenaille entre les armées algérienne à l’ouest, égyptienne à l’est et tchadienne au sud et accuser ainsi de lourdes pertes sans pouvoir progresser sur le terrain. Evidemment, cette stratégie d’encerclement géographique de Daech en vue d’éviter tout débordement du conflit au-delà de la Libye, devrait aussi impliquer, dans la mesure du possible, son isolement en termes de ravitaillement supplémentaire en armes, en pétrole et en vivres, par terre, mer et air, tout en sachant qu’il dispose déjà de réserves considérables sur le territoire libyen lui- même. Quant aux puissances occidentales, si leur soutien aux États de la région et aux factions armées combattants les djihadistes peut être déterminant, peu d’entre eux envisagent sérieusement une intervention directe, autant en raison du risque d’enlisement sur le terrain que face à celui de voir une telle action perçue par certains comme une ingérence étrangère et une tentative d’invasion, en favorisant le ralliement de certaines tribus et factions armées à Daech, aux antipodes de l’objectif poursuivi 

L’hypothétique alliance libyenne anti-Daech, même assortie de garanties de partage du pouvoir ?
Evoquer une solution politique et une alliance anti-Daech en Libye suppose de tenir compte, à la fois, des rivalités tribales et politiques qui traversent ce pays et qui l’ont mené au chaos depuis la chute de Kadhafi. La difficulté de constituer une telle alliance a encore été confirmée avec le récent échec des négociations sous l’égide de l’ONU, s’il venait à perdurer, en vue du rapprochement des deux gouvernements que connaît actuellement la Libye : celui de Tobrouk, ville située à l’extrême est du pays, le seul reconnu par la communauté internationale et composé de non-islamistes et d’ancien soutiens du régime déchu de Kadhafi, et celui de Tripoli, la capitale à proximité de la frontière tunisienne, composé d’une coalition de milices se réclamant de la Révolution de 2011 combattant aujourd’hui Daech, mais dominé par les factions islamistes, dont celles proches des Frères musulmans et des Tunisiens d’Ennahdha, mais aussi des salafistes. Or, aujourd’hui, dans le contexte libyen, tout rapprochement de ce genre sera conditionné par des garanties à apporter aux différentes factions armées et groupes tribaux en vue d’éviter la marginalisation des uns ou des autres en cas de reconquête du pouvoir, sur l’ensemble du territoire ou une partie de celui-ci, voire dans l’hypothèse d’une partition en différentes entités correspondant aux territoires tribaux qu’on ne peut écarter. Mais concernant les interlocuteurs actuels que sont les gouvernements de Tobrouk et de Tripoli, la question de la représentativité réelle des différents groupes les composant se pose également, afin de pouvoir évaluer leur véritable poids dans une négociation de ce type et leur capacité d’influence sur les groupes tribaux qu’ils sont censés représenter. Des garanties de non-marginalisation à l’égard de l’ensemble des factions en présence impliqueraient ainsi, non seulement le partage du pouvoir politique, mais sans doute aussi un accès équitable entre les territoires au produit de la rente pétrolière inégalement répartie sur l’ensemble du pays. Une solution de ce type apparaît en tout cas comme l’autre urgence majeure de la situation. 

 Sélim Ben Abdesselem*
*ancien député à l’Assemblée nationale constituante de la République tunisienne



G)  Aden-Beyrouth, deux villes façonnées par la violence

Franck Mermier, anthropologue et directeur de recherche au CNRS, s’intéresse de longue date au fait urbain dans le monde arabe et à son articulation avec les traditions et cultures. Spécialiste des stratifications sociales dans la vieille ville de Sanaa ainsi que du milieu de l’édition libanaise, il publie Récits de villes : d’Aden à Beyrouth. Son approche comparative mêle histoire, géographie, politique, sociologie et anthropologie. Dans un Proche-Orient explosif, s’intéresser ainsi au Yémen et au Liban n’est pas anodin. L’ouvrage érudit de Franck Mermier, publié chez Actes Sud, n’est pas seulement un portrait croisé d’Aden et de Beyrouth ou une réflexion sur les « citadinités arabes ». Il dévoile en filigrane le parcours de recherche de Franck Mermier et porte une dimension biographique claire qui donne tout son sens au mot « récits présent dans le titre. C’est aussi ce qui le rend passionnant. L’introduction est à cet égard un modèle d’introspection et de réflexivité, tant elle donne à voir un retour sur quarante années d’interactions avec le terrain. Le choix de s’intéresser à ces deux villes du monde arabe, si différentes, est marqué par une dimension affective évidente. L’auteur aime profondément Aden et Beyrouth, toutes deux disputées, « déglinguées », parfois anarchiques et dont le caractère urbain est lui-même discuté. Aden et Beyrouth se sont développées récemment, notamment sous l’effet de la colonisation (britannique d’un côté et française de l’autre), et ont connu une croissance rapide fondée sur une population cosmopolite. Plus que tout, elles ont à plusieurs reprises payé le prix du sang. Songeons aux images du centre ville de Beyrouth éventré par la guerre civile (1975-1990) ou à la violence extrême, moins connue certes, qui frappa Aden en 1986 ; en une semaine, les rivalités au sein du parti socialiste firent officiellement 4330 morts, sans doute deux fois plus en réalité. 

Violences et bastions de quartiers
La guerre constitue, à travers l’ouvrage, l’un des termes principaux de la comparaison et, dans l’un comme l’autre cas d’étude, possède une actualité évidente. Aden est confrontée depuis fin mars 2015 à une offensive menée par les miliciens houthistes alliés aux forces de l’ancien président Ali Abdallah Saleh déchu en 2011. Le terrible coût humain et les destructions au cœur de la ville (générées également par les bombardements saoudiens des positions houthistes dans Aden) mettent à mal la culture urbaine décrite par Mermier. À Beyrouth, si la violence reste encore contenue, la ville est elle-même mise à l’épreuve, du fait de l’afflux massif de réfugiés syriens et de la polarisation confessionnelle à l’œuvre. Dans ce contexte, Récits de villes possède une pertinence manifeste. Les plus pessimistes verront peut-être dans ce livre la description d’un monde et de cultures qui sont en train de s’écrouler, laissant la place au chaos et à la barbarie, islamiste ou ultra-libérale. En s’appuyant autant sur de longues enquêtes de terrain que sur une impressionnante bibliographie en arabe et en langues européennes, Franck Mermier s’interroge sur la construction des quartiers, dans leur dimension ethno-confessionnelle à Beyrouth, et tribalo-régionale à Aden. Sa thèse stipule que ces dimensions ont été pour une large part le fruit de l’immixtion de la politique, notamment partisane, dans la ville. Les frontières entre quartiers se sont en effet ancrées au cours des phases d’affrontement et marquent dès lors le paysage. La dispute des territoires et des espaces façonne la citadinité en même temps qu’elle met en danger l’urbanité même de deux villes, autrefois caractérisées par leur cosmopolitisme. Les fractures politiques et communautaires saturent ainsi l’espace public. Mermier écrit : « Scène de règlement de compte politique mais aussi lieu d’affirmation des foyers d’identification rivaux, la ville est ainsi remodelée en permanence par la violence et les dissensions. » (p. 143) L’auteur revient longuement sur la « bataille du ciel » que se livraient au cours de la décennie 2000 la mosquée Mohammad Al-Amin et la cathédrale Saint Georges à Beyrouth : minaret contre clocher, lequel serait le plus haut ? L’enjeu n’était pas seulement interconfessionnel mais également intracommunautaire, signalant les luttes de leadership au sein de chaque groupe constitué. Cette politisation de l’espace selon des lignes communautaires ne doit pas faire oublier combien les logiques sociales sont également à l’œuvre. La relégation dans les quartiers périphériques des populations pauvres ou étrangères se double à Beyrouth d’une reconfiguration verticale, avec la construction de grandes tours investies par les catégories les plus aisées. La démonstration est particulièrement convaincante. Récits de villes laisse notamment entrevoir combien Beyrouth a donné lieu à de nombreuses réflexions de la part des urbanistes, géographes, sociologues et autres historiens. La capitale libanaise a été abordée à travers une impressionnante variété de problématiques. Franck Mermier récapitule habilement les enjeux scientifiques induits et les confronte aux dynamiques les plus récentes. L’ouvrage exige dès lors certaines connaissances préalables. À cet égard, en complément des photographies présentes à travers l’ouvrage, quelques cartes auraient sans doute été utiles. 

Aden, coloniale puis révolutionnaire
Si Beyrouth est l’objet d’une foisonnante littérature scientifique tant en arabe qu’en langues européennes, il en va tout autrement d’Aden. Cette ville qui a fait fantasmer tant de générations à travers Arthur Rimbaud, Paul Nizan et quelques capitaines et officiers anglais restait à bien des égards sous-étudiée. Certes, à compter de 1839, la colonisation britannique avait produit un certain savoir anthropologique et historique sur une ville qu’elle avait quasiment créée de toutes pièces. De ce fait, les mémoires de commerçants, soldats et diplomates étrangers abondaient. Mais une fois l’indépendance acquise en 1967, les universitaires britanniques ont manifestement cessé de s’intéresser au pays et à la ville. Les Soviétiques, grands alliés du régime sud-yéménite dans les années 1970 et 1980, prirent le relais mais rêvaient sans doute trop le Yémen pour produire une connaissance fine des enjeux sociaux — religieux et tribaux notamment. Ils contribuaient néanmoins, avec d’autres « camarades plus ou moins désenchantés, tel l’Irlandais Fred Halliday, le Libanais Fawwaz Traboulsi ou la Française Helen Lackner, à une exploration fine des mobilisations politiques « anti-impérialistes ». Les sources yéménites restaient quant à elles pour une large part parcellaires et, il faut le reconnaitre, peu marquées par les problématiques et méthodes contemporaines des sciences sociales. Ali Nasser Mohamed, ancien président du Yémen du Sud socialiste (en 1978 puis entre 1980 et 1986), s’était ainsi lancé au milieu des années 2000 dans la publication d’un volumineux ouvrage iconographique d’Aden qui faisait la part belle aux photos prises de lui lors de visites de leaders tiers-mondistes. La société telle qu’elle est en était pour une large part absente. Face à ces diverses lacunes, l’apport de l’ouvrage de Franck Mermier sur Aden est incontestable. Il a pu s’appuyer sur quelques monographies, biographies mais surtout sur les souvenirs d’érudits et d’intellectuels adénites, d’anciens militants « progressistes ou encore d’acteurs politiques réfugiés à Londres mais aussi... à Beyrouth ! Il illustre combien Aden, en l’espace de moins de deux siècles, a été bousculée et marquée par les luttes politiques. Après le départ des Anglais en novembre 1967, tout ce que la planète comptait de leaders et militants « gauchistes » ont trouvé dans la capitale du Yémen du Sud un lieu de convergence autant qu’une base logistique. Militants radicaux tels le Vénézuélien Carlos, le Palestinien Georges Habache et l’Allemand Hans-Joachim Klein se retrouvaient ainsi au Sailor’s Club autour d’une Sira, bière brassée localement, pour refaire le monde. La résistance palestinienne, la guérilla dans le Dhofar voisin en Oman ou en Érythrée façonnaient alors l’image d’Aden et son développement. 

« Citadinités arabes »
Le récit livré par Franck Mermier signale finalement combien la place de cette ville en tant que « carrefour de la révolution internationale lui a assuré autant de prestige qu’elle a ancré sa déconnexion avec son hinterland et le reste du Yémen. Cette disjonction continue à se faire sentir et à peser sur l’avenir de la ville comme du Yémen dans son ensemble. Elle s’incarne dans les enjeux identitaires qui structurent le mouvement sécessionniste sudiste si populaire aujourd’hui. Si les Adénites mettent volontiers en avant la spécificité de leur destin, regardant souvent avec dédain la population du nord, cette dernière le leur rend bien. La vendetta tribalo-islamiste en 1994 consécutive à une première défaite des sécessionnistes sudistes ainsi que l’offensive menée par les miliciens houthistes (originaires des régions septentrionales) depuis mars 2015 illustrent pleinement cette dimension des relations d’Aden avec le reste du Yémen. Enfin, ces deux récits de villes donnent lieu à une réflexion sur les « citadinités arabes », confrontées à des problématiques universelles autant qu’à certaines spécificités historiques. Derrière les débats sur les cultures et usages urbains dans le monde arabe apparaît la vieille question de l’orientalisme et de l’essentialisation des sociétés de cette région du monde. L’auteur offre à cet égard dans ses chapitres conclusifs un impressionnant (mais ardu !) « état de l’art » qui vient réintégrer pleinement les réflexions menées à propos d’Aden et de Beyrouth dans des enjeux communs, partagés, au-delà des questions de violence spécifiques, par ce qu’il convient peut-être d’appeler l’ensemble du genre urbain.



H) Décapitation et islamisation

La décapitation d’un citoyen français sur le sol français pour des raisons religieuses est un événement extraordinaire. Les guerres de religion au XVIe siècle entre catholiques et protestants ont offert ce genre de spectacle. Mais la révolution entre 1792 et 1794 si elle pouvait avoir des raisonances anticléricales montrait surtout un dur conflit entre classes sociales. Et depuis, hormis dans la rubrique des faits divers, jamais, sauf erreur, une chose pareille ne s’est produite.

Donc il faut reconnaître que nous sombrons doucement mais surement. Les reportages émasculés concernant l’entourage du bourreau persistent toujours dans la même veine. Des voisins et des membres de la famille s’étonnent que l’assassin soit cette personne si gentille et serviable aimant tant ses enfants! L’idée d’un égarement voire d’une erreur judiciaire tente d’être insinuée dans les esprits. Mais ces gens démontrent surtout, à leur dépens, que n’importe lequel d’entre eux est un terroriste en puissance. Avec cette façon dont ils font bloc derrière leur alter ego, le tueur, c’est tout un milieu qui cherche avec ses mots à faire douter le reste de la population et à banaliser l’horreur car il est sur la voie de la compréhension et de l’identification. Bien sûr, toujours les mêmes personnalités bien payées pour le job, vont sincèrement ou cyniquement ensuite se répandre sur les plateaux de télévision pour exprimer ce qu’est l’islam en vrai d’après eux et ils seront relayés par la troupe des bien pensants, rampante et servile, prête à adorer n’importe quelle idole du moment qu’elle en profite.

Pendant ce temps médiatique, incontournable et systématiquement identique au précédent,  le chef de l’état et le gouvernement refont le coup de l’appel à l’unité nationale. C’est du réchauffé, certes, mais ça a si bien marché en janvier! « Aimez vous les uns les autres », « embrassons nous Folleville! », et le planétaire « Je suis Charlie » sont rappelés à la rescousse d’un état qui se décompose et dans lequel l’ethnicisation avance à toute vitesse. Si les frontières de la France sont des passoires, d’autres frontières s’instaurent à l’intérieur du pays entre deux territoires et sont de plus en plus étanches. De là partent des banderilles décidées de l’étranger et tirées par des individus qui permettent de faire avancer l’idéologie religieuse qui les anime. Pendant que notre sol est attaqué de l’intérieur, pendant que des imprécations toujours plus violentes sont lancées contre des français et alors qu’elles sont suivies d’effets,  les dirigeants dépassés s’aplatissent proposant subsides, école à la carte, logements et réglementations spécifiques pour ne surtout pas heurter nos envahisseurs.

Français, faites-vous décapiter dans le calme et la tolérance! C’est le programme des années à venir.

Par  

 

I) Jacques Julliard : « Qu'est-ce que l'islamo-gauchisme ? »

La gauche se divise sur le Burkini. L'historien Jacques Julliard dans ses carnets du Figaro avait livré une puissante réflexion sur l'islam et la gauche. Elle peut être éclairante dans le débat actuel.

Il y a un problème de l'islamo-gauchisme. Pourquoi et comment une poignée d'intellectuels d'extrême gauche, peu nombreux mais très influents dans les médias et dans la mouvance des droits de l'homme, ont-ils imposé une véritable sanctuarisation de l'islam dans l'espace politique français? Oui, pourquoi ces intellectuels, pour la plupart agnostiques et libertaires, se sont-ils brusquement pris de passion pour la religion la plus fermée, la plus identitaire, et, dans sa version islamiste, la plus guerrière et la plus violente à la surface du globe? Pourquoi cette étrange intimidation, parée des plumes de la morale? Pourquoi ne peut-on plus parler de l'islam qu'en présence de son avocat?

Le résultat est stupéfiant, aberrant. On vient en effet d'assister, en l'espace de deux ou trois ans, à la plus incroyable inversion de presque tous les signes distinctifs de la gauche, ceux dans lesquels traditionnellement elle se reconnaît et on la reconnaît.

Au premier rang d'entre eux, la laïcité. Longtemps, elle fut pour elle le marqueur par excellence pour s'opposer à la droite.


Or voici que brusquement, elle est devenue suspecte à une partie de l'extrême gauche intellectuelle, qui a repris sans vergogne à son compte les errances de Nicolas Sarkozy sur la prétendue «laïcité ouverte». Car la laïcité de papa, dès lors qu'elle s'applique à l'islam, et non plus au seul catholicisme, apparaît soudain intolérante, voire réactionnaire. Pis que cela, elle charrierait avec elle de vagues relents de revanche catholique! Depuis que l'Église s'y est ralliée, elle serait devenue infréquentable!

Or la République à son tour est devenue suspecte. N'a-t-elle pas une connotation presque identitaire, «souchienne» disent les plus exaltés, pour ne pas dire raciste? N'est-elle pas le dernier rempart de l'universalisme occidental contre l'affirmation bruyante de toutes les minorités? N'est-elle pas fondée sur ce qui rapproche les hommes plutôt que sur ce qui les distingue? Un crime majeur aux yeux des communautaristes.

Il ne reste plus qu'à faire entrer le dernier suspect: c'est le peuple lui-même! N'est-ce pas Frédéric Lordon, un des porte-parole des Nuits debout (2 000 participants) qui attribue à son mouvement le mérite d'avoir «lavé» la place de la République de ses passions tristes, la commémoration officielle, la panique (un million de personnes)? Tout est dit, tout est enfin avoué.La récusation du peuple par les bobos, qu'ils soient modérés, façon Terra Nova, ou extrémistes, façon islamo-gauchiste, est un fait politique de grande importance, propre à transformer, selon le mot lumineux de Léon Blum, un parti de classe en parti de déclassés.
Il y a quelque chose d'insolite dans le néocléricalisme musulman qui s'est emparé d'une frange de l'intelligentsia. Parce que l'islam est le parti des pauvres, comme ils le prétendent? Je ne crois pas un instant à ce changement de prolétariat. Du reste, allez donc voir en Arabie saoudite si l'islam est la religion des pauvres. Je constate plutôt que l'islamo-gauchisme est né du jour où l'islamisme est devenu le vecteur du terrorisme aveugle et de l'égorgement.

Pourquoi cette conversion? Parce que l'intelligentsia est devenue, depuis le début du XXe siècle, le vrai parti de la violence. Si elle préfère la Révolution à la réforme, ce n'est pas en dépit mais à cause de la violence. Sartre déplorait que la Révolution française n'ait pas assez guillotiné. Et si je devais établir la liste des intellectuels français qui ont adhéré au XXe siècle, les uns à la violence fasciste, les autres à la violence communiste, cette page n'y suffirait pas. Je préfère citer les noms des quelques-uns qui ont toujours témoigné pour la démocratie et sauvé l'honneur de la profession: Camus, Mauriac, Aron. Il doit y en avoir quelques autres. Je laisse le soin aux psychologues et aux psychanalystes de rechercher, dans je ne sais quel réflexe de compensation, une explication de cette attirance des hommes de plume et de parole pour le sang, en un mot de leur préférence pour la violence.

L'autre explication, je l'ai déjà suggéré, c'est ce qu'il faut bien appeler la haine du christianisme. Il est singulier de voir ces âmes sensibles s'angoisser des progrès de la prétendue «islamophobie», qui n'a jamais fait un mort, hormis les guerres que se font les musulmans entre eux, quand les persécutions dont sont victimes par milliers les chrétiens à travers le monde ne leur arrachent pas un soupir. Singulier que le geste prophétique du pape François, ramenant symboliquement de Lesbos trois familles de migrants musulmans, ne leur ait pas tiré un seul applaudissement. Ils ont abandonné la laïcité, mais ils ont conservé l'anticléricalisme. Pis, l'antichristianisme.

Quant à moi, qui continue de croire plus que jamais à la République, au peuple, à la laïcité, au Sermon sur la montagne, je ne laisserai jamais dire que cette gauche-là représente la gauche.

Historien des gauches, éditorialiste à Marianne, Jacques Julliard est l'une des grandes figures de la vie intellectuelle en France.



 
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