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octobre 12, 2015

Politique étrangère française au Moyen-Orient et l'islamisme ??

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.






Sommaire:


A) "La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient?" - le point de vue d'Hubert Védrine - Françoise Feugas - Orient XXI

B) L'islamisme aujourd'hui : du quiétisme au djihâdisme - diversités et réalités géopolitiques - Anne-Clémentine Larroque - Diploweb 
 
C) Divers liens sur l'Islam sur Université Liberté



 A) "La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient?" - le point de vue d'Hubert Védrine
 
« J’espère ne désespérer personne ». C’est par cette phrase quelque peu anxiogène qu’Hubert Védrine introduit son propos, à la toute fin du colloque. Dans l’intitulé « La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient ? », il a d’abord lu une référence à la « politique arabe de la France », et croit y déceler la nostalgie d’une période de l’histoire qui ne reviendra jamais. Des éléments structurants du monde se sont désagrégés depuis l’époque mitterrandienne où l’on se demandait déjà si « politique arabe » était une référence, une injure ou un idéal à reconstruire. La politique étrangère française du temps du « gaulo- mitterrandisme » ne se souciait guère de l’opposition entre chiites et sunnites. Du reste, le fondamentalisme religieux de quelques-uns n’entrait pas en ligne de compte dans la relation avec un monde arabe « un peu idéalisé ». Aujourd’hui, cette question est au premier plan et « concerne absolument tout le monde, du Maroc à l’Indonésie, à n’importe quelle banlieue d’Europe ou au Sahel ». La façon de considérer le conflit israélo-palestinien était alors complètement différente. Mais l’espérance de sa résolution au bout d’un processus de paix que l’on croyait possible s’est éteinte avec l’assassinat de l’ancien premier ministre israélien Yitzhak Rabin en 1995. « Il est de plus en plus clair maintenant que c’est fini, dit-il. « les sionistes religieux fanatiques ont gagné. » Il faut ajouter à cette nouvelle donne la fin de la dépendance américaine au pétrole saoudien, et bien sûr le retour de l’Iran sur la scène internationale avec l’accord conclu le 14 juillet dernier sur le nucléaire, malgré l’engagement considérable de Benyamin Nétanyahou pour l’empêcher et les craintes de l’Arabie saoudite. La Russie était complètement absente du jeu international depuis la fin de l’Union soviétique en décembre 1991. Ce n’est qu’avec les événements récents des trois ou quatre dernières années qu’elle a retrouvé un rôle dans la région — ou plutôt que ce rôle est devenu visible. 

Le plus petit commun dénominateur
Les trois quarts des pays européens n’ont aujourd’hui aucune politique étrangère digne de ce nom. L’expression commune européenne est donc forcément celle du « plus petit commun dénominateur, sur la base de principes sympathiques mais complètement inopérants ». Des politiques particulières ou de voisinage se mènent au cas par cas. « L’expression européenne est un cas où le total est inférieur à la somme des parties », dit-il. Elle « se transformera peut-être un jour en quelque chose de créatif mais pour le moment, ce n’est pas le cas. » L’Europe se contente donc d’assister à la désagrégation de ce qui avait été mis en place après la première guerre mondiale avec les accords Sykes-Picot et lors de la conférence de San Remo, quand les « puissances chrétiennes » ont mis fin à la domination, jugée par eux abusive, de l’empire ottoman en le disloquant. Cette configuration géopolitique a longtemps tenu par des procédés assez autoritaires, voire répressifs. « Tout un siècle de dureté, de cruauté (...) est en train de se désagréger en créant un tableau nouveau. On voit bien que personne ne contrôle l’ensemble. Personne ne peut refaire Sykes-Picot (...). Même en additionnant un Américain et un Chinois, un Américain et un Russe, cela ne marcherait pas. » Il n’y a donc pas de puissance « plus ou moins globale », ni de puissance régionale qui puisse imposer sa loi, même si beaucoup interagissent dans un jeu complexe. L’Iran reste fort, sans doute plus encore après l’accord ; pas suffisamment cependant pour imposer sa solution à toute la région. La Turquie non plus, qui a « un peu rêvé d’une sorte d’époque néo- ottomane dont aucun Arabe ne veut, bien sûr, et on voit bien que cela s’est heurté à des difficultés et qu’ils sont plutôt sur la défensive ». L’Égypte ne peut guère espérer plus que contrôler le Sinaï et influencer l’est de la Libye. En Arabie saoudite, le roi veut rassembler un « front sunnite », stopper le retour iranien et combattre les chiites « par Syriens et Yéménites interposés ». Mais Riyad, qui était dans une lutte frontale contre les Frères musulmans, se voit plus ou moins contrainte de passer des compromis avec eux. Ce qui embarrasse sans doute Abdel Fattah Al-Sissi, qui mène contre eux une répression féroce en Égypte. « Quant aux autres pays, bien malin qui peut prédire ce qu’ils seront dans 20 ou 30 ans. » Aucune puissance au monde n’est aujourd’hui capable d’avoir un schéma d’ensemble et encore moins de l’appliquer ; et « toutes les théories complotistes surestiment de façon déroutante la puissance des comploteurs potentiels. » 

Des États sous influence
Il y a une politique étrangère française de facto, parce qu’il faut bien prendre des décisions et entretenir des contacts avec les uns ou les autres. Au Maghreb, elle paraît quelque peu tâtonnante. « Elle n’est pas toujours en complète contradiction avec les orientations d’avant, mais elle n’est pas toujours claire non plus, et on ne sait pas très bien où elle va », mais on peut le dire tout aussi bien de la politique américaine, à l’exception notable de l’Iran. L’accord sur le nucléaire le 14 juillet dernier est en effet le résultat d’une réelle politique stratégique qui aura des conséquences tout à fait importantes dans la durée. En revanche, concernant Israël, Barack Obama avait bien tenté de demander l’arrêt la colonisation de la Cisjordanie, mais Nétanyahou lui a opposé une fin de non-recevoir. Car l’influence des lobbies est très grande : celle des colons en Israël tout autant que celle d’Israël sur le Congrès américain, sans parler du fameux lobby très intelligemment construit au fil du temps par le Likoud, énorme, évangéliste... et républicain. L’état d’affaiblissement des systèmes de décision démocratiques oblige à tenir compte, dans les analyses internationales, des phénomènes de diasporas, d’influence, de lobbying. Il y a quelques années, on aurait encore pu faire de l’analyse internationale un peu abstraite, en tout cas en ne parlant que des États. Mais ils sont précisément limités dans leur action, tiraillés, influencés. En tous cas, Obama ne s’est jamais tout à fait relevé politiquement du refus de Nétanyahou ; il a simplement réussi à résister à sa campagne, extrêmement forte et virulente, contre l’accord nucléaire avec l’Iran. La politique américaine est donc extrêmement affaiblie sur ce point. 

Du bon côté de l’histoire
Après les « printemps arabes » que l’on n’a pas vu venir, il y a eu l’Égypte et le coup d’État militaire du 3 juillet 2013 contre le président élu Mohamed Morsi. La France a considéré de façon pragmatique et relativement empiriste qu’après tout, il fallait « faire avec » Abdel Fattah Al-Sissi. Pour certains hommes politiques français, la leçon à tirer des événements intervenus au Proche-Orient entre 2011 et 2013 a été qu’il fallait désormais se placer « du bon côté de l’histoire » en aidant à renverser Bachar Al-Assad. Or, si cette position est honorable moralement, elle a conduit à une impasse. Globalement, la politique occidentale qui s’est concentrée sur le fait qu’Assad devait partir n’a donné aucun résultat, d’où des évolutions plus réalistes dans la période récente. Ainsi François Hollande a-t-il finalement autorisé à la défense ce qu’elle demandait depuis un an : mener des frappes aériennes en Syrie, où se trouvent la tête et les camps d’entraînement de l’organisation État islamique (OEI). Domine désormais l’idée qu’Assad doit certes quitter le pouvoir ; non pas comme une condition sine qua non à toute négociation avant, mais « à un moment ou un autre ». Sur cet aspect de la politique française, l’hésitation prévaut. Quant à la politique de la France vis-à- vis du Maghreb, elle se résume à « s’entendre le moins mal possible simultanément avec l’Algérie et le Maroc. » Après l’Égypte, l’Iran. La France a maintenu jusqu’au bout une politique très dure sur l’accord avec l’Iran, ce que Riyad a su apprécier concrètement par des achats de Rafale, de Mistral, etc. « Il n’y a pas à critiquer la France d’en profiter, après tout. » En revanche, distinguant les opportunités économiques et commerciales de ce qui pourrait ressembler à un début d’alliance, Hubert Védrine prévient : si ces « opportunités » devaient prendre l’allure d’une sorte d’alliance avec le « front sunnite » qu’appelle de ses vœux l’Arabie saoudite, cela ne correspondrait à aucun des intérêts fondamentaux de la France. Il défend la position de Nicolas Sarkozy dans la question libyenne. « J’ai essayé d’être honnête avec la décision de Sarkozy à l’époque, en rappelant qu’il ne s’est pas excité sur le sujet tout seul. Il y a quand même eu un début de printemps arabe, la révolte de Benghazi, la menace de Mouammar Kadhafi de noyer cette révolte “dans une rivière de sang” — et il l’aurait sans doute fait —, la demande du Conseil de coopération du Golfe (CCG) d’une intervention protectrice, la demande de la Ligue arabe. » C’est pourquoi, dans la résolution de l’ONU au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression », l’intervention militaire en Libye ne fait pas partie de la liste des interventions unilatérales non légitimes (au contraire de l’intervention américaine en Irak en 2003). On peut néanmoins s’interroger sur le bien-fondé et les objectifs de cette intervention, note-t-il, quand on constate l’état actuel de décomposition de la Libye, même si du point de vue européen, le principal problème réside dans le fait que le verrou libyen anti-immigration ait sauté. « Il aurait peut- être fallu instaurer une espèce de protectorat provisoire, mais aucun Libyen ne le voulait »

Interventionnisme ou isolationnisme ?
Dans un tel contexte, qu’est devenue la politique étrangère française ? s’interroge l’ancien ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac. Il n’y a que des « morceaux de politique française juxtaposés ». Dans le conflit syrien, l’hésitation demeure : l’OEI est-elle la menace majeure ? Ou doit-on considérer que l’objectif numéro 1 est le régime syrien ? Quel est l’intérêt de la France à le renverser ? La hiérarchisation des objectifs, la clarification n’ont été faites ni par la France ni par personne. Dès lors, que faire face à cette décomposition du Moyen-Orient en cours ? Le choix est large, de l’interventionnisme à une non-intervention quasi totale. La position de la France pourrait consister à prendre acte de son impuissance et à attendre qu’une sorte de traité de Wesphalie soit instauré entre pays arabes pour réorganiser la région. Quelqu’un comme l’ancien premier ministre Dominique de Villepin n’est pas loin de dire qu’il ne faut plus jamais intervenir nulle part, même au titre du chapitre VII de la Charte de l’ONU. La position inverse consisterait à considérer que la menace de l’OEI est sérieuse, et qu’en conséquence il convient de se donner les moyens d’y mettre fin en mettant sur pied une véritable coalition, beaucoup plus large que celle qui aujourd’hui ne fonctionne pas. Elle devrait comprendre la Russie (et non pas le régime syrien), l’Iran et la Turquie qui abandonnerait son double jeu. C’est du reste ce que demandent les militaires américains : une fois l’objectif atteint, que fait-on ? La réponse se trouve du côté d’une solution politique pour l’Irak et pour la Syrie, affirme-t-il sans évoquer à aucun moment la résolution du conflit israélo-palestinien. « Sur l’Irak, on ne peut pas le faire sans l’Iran ; c’est moins impossible depuis l’accord du 14 juillet, mais avant c’était considéré comme impensable ». En ce qui concerne la Syrie, il faut être en mesure de garantir la sécurité des alaouites, exposés à une vengeance contre le régime syrien qu’ils représentent. Et entrer dans un vrai débat à propos de Bachar Al-Assad. Quelles sont les garanties de reconstruction de la Syrie ? Est-elle simplement encore possible ? Ceux qui envisagent d’éradiquer l’OEI doivent aller jusqu’au bout du raisonnement en envisageant « l’après », c’est-à-dire des solutions politiques. « Le simple fait de l’énoncer dit à quel point on en est loin ». Par conséquent, le plus probable est qu’on reste dans un entre-deux, par peur de devoir s’allier avec la Russie, ce qui est pourtant incontournable, affirme-t-il. 

À la recherche d’une dynamique
« Je ne dis pas qu’on ne peut rien faire ; il y a toujours quelque chose à faire », conclut-il à propos de la Syrie. Mais pour agir, encore faut-il savoir quels sont les intérêts vitaux de la France. Pour les peuples, c’est évident : qu’ils puissent revivre en paix. Pour la France et tous les pays impliqués, c’est neutraliser les menaces de terrorisme, même lointaines. Il n’y a pas tellement d’autres intérêts vitaux ; pas d’intérêt vital pétrolier dans l’affaire syrienne, par exemple. Cette question des intérêts vitaux est au fondement de toute politique étrangère, laquelle ne se limite pas à s’empêtrer dans des guerres de position ; c’est la recherche d’une dynamique. Par conséquent, répondre à l’interrogation posée par le colloque : « la France a-t- elle encore une politique au Moyen-Orient » revient à les déterminer clairement. Il est nécessaire de maintenir des liens bilatéraux avec chaque pays arabe, mais il est impossible d’en faire une synthèse. Malgré tout, l’affirmer écarte de facto toute posture radicalement isolationniste. Certes, le décalage entre l’idée que la France se fait de son rôle, de ses responsabilités et sa capacité d’action réelle est à la fois ridicule et attristant, mais « ce n’est pas parce qu’on ne contrôle pas tout, qu’on ne peut pas refaire Sykes-Picot, qu’on s’en fiche, advienne que pourra », résume-t-il tout en expliquant qu’il cherche à esquisser une sorte de ligne équilibrée, quelque part entre l’action intempestive et irresponsable et l’inaction totale. Reconstruire une politique de la France envers les pays arabes ne peut se faire que laborieusement, « sans oublier qu’il y a par ailleurs une gigantesque bataille historique et longue au sein de l’islam et que de toutes façons il faut qu’on aide les modernisateurs, ou
qu’au moins on ne les handicape pas par nos politiques (...). C’est un long chemin. Je ne vois pas comment être plus optimiste que ce que je dis là maintenant. »

Françoise Feugas



B) L'islamisme aujourd'hui : du quiétisme au djihâdisme - diversités et réalités géopolitiques


La distinction établie entre islam et islamisme permet de mieux comprendre la diversité des islamismes. L’analyse actuelle des islamismes requiert de prendre en compte avec vigueur des paramètres à la fois politiques, historiques, géographiques et nationaux qui influent sur les mouvances islamistes actuelles et sur leur géopolitique. Voici un texte de référence pour construire une connaissance consolidée d’un sujet d’importance. 

DEPUIS les attentats perpétrés contre le journal français Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, l’Europe puis la Tunisie, symboles de la démocratie, ont connu les attaques et les menaces des groupes djihadistes basés au Moyen-Orient. Cette déferlante de violences terroristes est massivement revendiquée par l’Etat Islamique, né officiellement le 29 juin 2014, et appelé Daech par ses détracteurs. Pourtant, l’EI ne se résume pas à une organisation criminelle. Son recrutement, la formation de ses partisans, sa médiatisation, son financement, sa prétention à devenir un Etat, démontrent qu’il existe « une puissance Daech ». Cette nouvelle machine de guerre totalitaire repose sur la mise en action de principes idéologiques djihadistes (basés sur le takfirisme), c’est-à-dire, l’une des lectures contemporaines, la plus radicale, de ce qu’on appelle l’islamisme. En même temps, islamisme, ce néologisme à la sémantique plurielle ne se limite pas à la concrétisation radicale et violente de l’EI ou de sa mère-porteuse, Al-Qaïda. Dans mon ouvrage, j’ai tenté d’établir l’analyse et la synthèse des diverses réalités islamistes. Le suffixe -isme détermine la revendication idéologique d’un groupe à son adhésion à un système de valeurs ancré sur un principe philosophique, religieux, politique, économique : par exemple, l’athéisme, le féminisme, le socialisme, le libéralisme, etc. Le mot islamisme prend aujourd’hui plusieurs sens et la formation de cette notion à partir de sa racine - islam - fait l’objet de nombreuses critiques de la part des partisans-mêmes de la religion musulmane, non- islamistes dans leur grande majorité. Le contexte historique et géopolitique du Moyen-Orient depuis le XIXe siècle au moins, et la présence plus ou moins marquée de l’Occident, ont joué un rôle de taille dans la construction de ce que l’on appelle la nébuleuse islamiste. Au départ, cette idéologie s’est organisée sur un projet politique en plaçant le message coranique au centre de sa doctrine. Ainsi, le projet politique émane du message religieux, mais s’en détache aussi. L’islamisme n’est pas l’islam. Pourtant, l’amalgame prévaut souvent, car si l’islam est avant tout une religion de loi et donc du droit, elle est aussi empreinte de l’idée de gouvernance, dès les origines. La dimension politique fait donc partie intégrante de l’islam. Cependant, et il paraît fondamental de le souligner, les principes islamistes poussent le projet de construction politique plus loin. Dans la perspective islamiste, la structure étatique islamique doit englober toute la société, ses lois, ses principes économiques, ses individus. L’islamisme présente donc un aspect totalisant, à la fois politique et social. La mise en actes politiques appelle des moyens très variés. Pour mettre en place une structure de pouvoir islamiste et assurer sa prédominance sur la société musulmane, il existe trois configurations, et donc trois types d’islamisme. L’activisme politique d’abord, l’activisme missionnaire ensuite, et la troisième voie : l’activisme violent et terroriste, appelé également djihâdisme. Ces trois systèmes de pensée fondent des courants dont les moyens d’action diffèrent : action politique pour le premier ; prosélytisme, quiétisme et prédication pour le deuxième, violences et attentats pour le troisième. Il paraît donc nécessaire de questionner la double nature religieuse et politique de l’islam afin de comprendre comment les islamismes traduisent une interprétation politique du message religieux initial qui, depuis les années 1970, a été réinterprété politiquement jusqu’aux dérives totalitaires des djihadistes actuels de l’EI.
Nous développons spécifiquement ici les fondements et enjeux des islamisme politiques puis djihadistes. 

I. Les islams dans l’Islam : du religieux au politique
A. L’islam : une religion politique totale
L’islam constitue la troisième religion monothéiste, révélée par le Prophète Muhammad dans la première moitié du VIIe siècle après JC, dans la péninsule arabique. Islam signifie en arabe se soumettre aux lois de Dieu. Allah, pour les croyants musulmans, renvoie au Dieu unique, créateur de l’Univers. Son prophète, Muhammad, chef de guerre du clan des Qurayshites, - une tribu arabe puissante de la Mecque -, a été choisi par Allah. L’islam reconnaît les différents prophètes des religions monothéistes juive et chrétienne, il place Muhammad comme le dernier d’entre eux. Le caractère prosélyte de la religion musulmane s’est imposé dés le départ : l’islamisation a permis à la religion de se développer très rapidement de la deuxième moitié du VIIe siècle au début du VIIIe siècle. Aux côtés de l’islam, il existe l’Islam. En effet, la naissance de la religion musulmane s’est accompagnée d’une expansion du domaine géographique sur lequel elle exerce une influence ; le Dâr-al-Islam, « Domaine de l’Islam ». Il correspond à un ensemble géopolitique gouverné par un musulman et où les lois privées sont encadrées par la Charia. L’Islam renvoie donc au territoire se trouvant sous domination arabo-musulmane. La réglementation religieuse a des incidences fortes dans la vie civile et politique de l’Islam. Si le livre saint des musulmans est le Coran, il fait partie d’un ensemble appelé Loi islamique ou Charia, composé aussi de la Sunna pour les Sunnites. Elle tire son essence du Coran et de la Sunna et englobe certains principes de droit : et de deux sources de droit : l’ijma et le Qiyâs. En effet, le caractère politique de l’islam est précisément déterminé par la nature et l’encadrement de la Charia. Elle est protégée et appliquée grâce au fiqh : réglementation juridique qui régit l’organisation interne de la communauté des croyants à la fois dans le domaine religieux mais aussi dans le secteur politique et social. L’ensemble de ces règles concerne l’Oumma : la communauté des musulmans évolue à l’échelle de la planète. C’est la contraction de l’Oumma islamiyya : la communauté islamique. La Charia est à la fois religieuse et sociale. Suivie par les musulmans des Etats islamistes, elle ne s’applique pas de la même manière et selon les mêmes règles, dans les différents Etats qui l’ont adoptée. 

B. les courants de l’islam : sunnisme, chiisme et bien plus encore
Si l’islam demeure numériquement la deuxième religion au monde, il se divise en plusieurs branches. L’islamisation est un processus qui touche le Moyen-Orient et le Nord de l’Afrique aujourd’hui, mais également l’Afrique subsaharienne dans sa partie nord-Ouest et la région des Grands lacs, une partie de l’Asie Centrale et l’Indonésie. Les sunnites suivent la Sunna (actions et paroles du Prophète au quotidien) et respectent la tradition de succession du Prophète, depuis les origines. Les sunnites constituent presque 90 % de la population musulmane mondiale. Les chiites, un peu plus de 10% de la communauté, se sont opposés à la succession originelle et ont choisi de suivre Alî, cousin et gendre du Prophète, au sein du parti du Shia. Ils ne reconnaissent pas la Sunna et considèrent que l’imam est la source unique de l’autorité spirituelle et temporelle de l’islam. Pour les sunnites, il demeure un simple chef de prière. La famille chiite se scinde en plusieurs branches parmi lesquelles : les zaydites, les duodécimains et les ismaéliens. En lien avec leur opposition à la succession du Prophète, les chiites donnent une place centrale à l’imam, le véritable Guide de la communauté. Chacune des mouvances chiites est établie en fonction des modalités de succession de l’imam. Les zaydites (au Yémen notamment) sont les moins rigides à l’inverse des duodécimains (en Iran et en Irak), majoritaires, qui croient que le douzième imam (IXe siècle) n’est pas mort. N’ayant pas de chef religieux depuis, ils ont accepté la tutelle temporelle des sunnites, ce qui leur a valu leur intégration et leur a assuré plus de succès que les deux autres courants. Cependant, l’exemple des guerres civiles syrienne ou yéménite actuelles montre que sunnites et chiites peuvent encore s’opposer radicalement. L’opposition des courants religieux musulmans se nomme la fitna : c’est-à-dire la guerre au cœur de l’islam qui sème le désordre et la discorde au sein de l’Oumma. Celle-ci peut inclure des confrontations entre sunnites comme c’est le cas entre les partisans de l’EI contre les kurdes.

C. L’interprétation du Coran au cœur de la complexité islamique
Le fondamentalisme est une idéologie visant à rappeler le retour aux fondements d’un message dont le sens aurait été dévoyé au fil du temps. Toutes les grandes religions monothéistes connaissent des mouvances fondamentalistes en leur sein. L’enjeu est la création d’une version qui interprète les textes sacrés d’une religion de façon littérale, sans prendre en compte la transformation des sociétés concernées. Dans l’islam, les fondamentalistes souhaitent revenir au message originel diffusé dans les sourates du Coran et dans les hadiths (paroles du Prophète compilées au IXe siècle) qui forment la Sunna. Les premières formes de fondamentalisme musulman apparaissent peu après la période prophétique. Elles ont évolué jusqu’aux wahhabisme et salafisme actuels. Les fondamentalistes contemporains admettent l’interprétation mot à mot du Coran, c’est-à-dire l’exégèse appelée tafsir. Ce qui différencie les mouvances islamistes actuelles demeure l’application de l’ijtihad : l’« effort de réflexion ». En islam, c’est l’interprétation personnelle des sources coraniques par les docteurs en droit musulman qui sert à fabriquer des normes juridiques. Elle suppose une utilisation de la Raison ; les wahhabites n’utilisent pas la Raison et restent très proches des normes existantes à la différence des réformistes salafistes qui s’en servent. Ainsi, le fondamentalisme s’incarne d’abord chez les wahhabites, mais les liens entre wahhabites et salafistes sont devenus ténus à partir des années 1970 et de fait, le fondamentalisme a pu conquérir aussi certaines branches salafistes. 

II. Du fondamentalisme à la naissance d’une revendication politique et sociale : les islamismes
A. Le Réveil d’une revendication islamiste: du wahhabisme (XVIIIe siècle) au réformisme salafiste (XIXe siècle)
Les premières formes d’islamisme, en tant qu’idéologie politico-religieuse, sont apparues dés le IXe siècle, moins de deux cents ans après la révélation de Mohammed. Ibn Hanbal (780- 855), le fondateur de l’école islamiste dite hanbalite s’oppose à l’« islam éclairé » imposé de force par le calife abasside de l’époque. Ainsi, les hanbalites ont contesté l’ordre politique établi en tentant d’imposer un ordre moral et social très sectaire. Le wahhabisme, doctrine islamiste saoudienne développée au Moyen-Orient (Qatar par exemple) demeure l’héritier légitime du hanbalisme : une des quatre écoles religieuses nées entre la mort du Prophète et le IXe siècle. L’école hanbalite refuse toute prise en compte du contexte historique et social d’écriture du Coran et de la Sunna. Elle demeure la plus rigoriste. Deux successeurs au mouvement hanbalite ont permis à cette doctrine d’émerger : - au XIIIe siècle, Ibn Taymiyya , juriste rendu célèbre par son intransigeance et son intolérance envers les mauvais musulmans et les Infidèles (chrétiens, juifs, païens), - cinq siècles plus tard, Mohammed Ibn Abd al- Wahhab rejette tout autant la présence des mécréants dans tout l’Empire ottoman, dont son Arabie natale dépend alors. Issu d’une famille qui suit la doctrine hanbalite, il a voyagé dans de nombreux pays de l’Empire avant d’écrire un ouvrage sur l’Unicité de Dieu. C’est à partir de cette œuvre autant que du combat de son fondateur que le mouvement wahhabite se développe. Mais à la différence du hanbalisme, ce mouvement n’est pas seulement doctrinal ; il a une dimension politique. En effet, pour donner un bras armé à sa doctrine, Abd al-Wahhab a conclu un pacte avec un conquérant arabe, Muhammad Ibn Saoud. Ce dernier favorise alors la diffusion du wahhabisme au gré de ses conquêtes, de celles de ses descendants, à partir de leur région d’origine – le Nejd [1]. Mais en deux siècles, le wahhabisme s’étend bien au-delà car la famille Saoud parvient en 1932 à constituer un État très puissant et très vaste : le Royaume d’Arabie saoudite. L’État saoudien a ainsi fondé ses racines sur le terreau doctrinal wahhabite.

Dans l’actualité récente, on a montré la proximité entre les wahhabites saoudiens et les salafistes, notamment égyptiens. Pourtant, si elle peut être mise en lien, leur pensée s’inscrit dans un contexte historique et géopolitique différent et les deux mouvances ne doivent pas être confondues. La salafiyya n’est donc pas le wahhabisme. Les salafistes se réclament des penseurs wahhabites, mais leur mouvement n’est pas né en Arabie saoudite. En effet, le salafisme a pris forme dans un ensemble géographique disparate (Égypte, Syrie, Irak et Inde), à partir du XVIIIe siècle. Il n’apparaît véritablement qu’au XIXe siècle, un siècle après la naissance du wahhabisme. De l’arabe salaf, ancêtre, la salafiyya prône un retour aux valeurs des pieux ancêtres, c’est-à-dire aux principes des fondateurs de l’Islam, depuis le VIIe siècle. Il s’agit du Prophète mais aussi de ses quatre premiers successeurs : les califes Rashidun, « les bien guidés » qui ont régné tour à tour, au VIIe siècle, sur le Dâr-al-Islam naissant : Abou Bakr, Omar, Othman et Ali. Pour les salafistes, la Sunna et le Coran doivent être compris et lus sans faire appel à la raison individuelle mais uniquement par la mise en application et l’imitation des gestes et paroles du Prophète. C’est pourquoi de tous les islamistes, les salafistes sont ceux qui ont la lecture la plus littérale des textes sacrés. En d’autres termes, les wahhabites ne vont pas aussi loin. D’abord née d’une réflexion très moderne, la doctrine salafiste a mué vers un fondamentalisme puritain, se confondant avec le wahhabisme saoudien. Mais la construction de la doctrine salafiste obéit à des logiques historiques différentes. En effet, trois âges distincts ont marqué l’évolution doctrinale de la salafiyya : du XIXe siècle aux années 1990. Au départ, contrairement aux wahhabites, les penseurs salafistes n’ont pas basé leur doctrine sur la pensée hanbalite. Ils sont partisans d’une pratique de l’interprétation ouverte à l’ensemble des quatre écoles juridiques sunnites : ils s’appuient sur la rigueur juridique de l’école hanbalite mais non sur son radicalisme. Aussi, au XIXe siècle, deux grands penseurs et fondateurs du mouvement ont impulsé la création du mouvement réformiste salafiste : Jamal al-Din dit al-Afghani (1838-1897) et Muhammad Abduh (1849-1905). Il s’agit du premier âge du salafisme. Cette première vague ne s’autoproclame pas « salafiste » mais réformiste ; l’identification du courant s’élabore seulement au XXe siècle. Leur objectif est de préparer le monde musulman au questionnement posé au monde entier par l’Occident, en pleine industrialisation. L’arrivée des Occidentaux dans l’Empire ottoman notamment, a imposé naturellement à l’Oumma une analyse de la solidité de ses structures et de ses valeurs : son identité, sa culture, ses fondements spirituels et intellectuels. Le mouvement réformiste incarne donc une révolution dans l’idéologie islamiste : il marque le réveil de l’esprit de l’islam, à l’échelle sociale et politique. Les fondateurs du salafisme ont estimé que la société musulmane devait se réformer et imposer un retour aux valeurs des « pieux ancêtres » car, selon eux, la société ottomane est en train de péricliter à tout niveau. Le salafisme est donc, au départ, un compromis entre un retour aux valeurs des pères fondateurs de l’Islam et l’intégration des nouveautés apportées par l’Occident. Par exemple, l’ouverture aux progrès technologiques était souhaitée par les salafistes du Premier Age. L’Occident ne représentait pas une menace mais plutôt un modèle dont il fallait se servir pour réformer le monde musulman. Seulement, suite à l’effondrement de l’Empire ottoman dans les années 1920, les Occidentaux ont cherché à investir ce nouvel espace. Les salafistes ont alors intégré à leur doctrine une volonté de résistance au modernisme et se sont rattachés davantage aux mouvements fondamentalistes wahhabites de l’Arabie centrale. En d’autres termes, il s’est agi d’un regain de résistance identitaire basé sur l’identité religieuse. Cela correspond à la seconde vague du salafisme articulée autour de la figure centrale d’Hassan Al-Banna (1906-1949), fondateur égyptien de la confrérie des Frères musulmans. Pour lui, la présence occidentale en Égypte génère des pratiques contraires aux valeurs de l’islam. Il est partisan d’un salafisme nouveau. Certains chercheurs refusent de lier aujourd’hui salafisme et Frères Musulmans. Il vrai qu’en Egypte ou en Tunisie par exemple, ces mouvances sont détachées ; leurs objectifs et moyens d’action diffèrent et par conséquent leur doctrine aussi. Les salafistes de cette deuxième vague ont accepté d’intégrer la culture religieuse soufie dans leur pensée, courant mystique de l’islam que les wahhabites rejettent. Autre rupture avec le wahhabisme, les salafistes comme les Frères musulmans n’intègrent pas le rôle de l’autorité politique de la même manière dans leur doctrine. Les wahhabites relient historiquement le pouvoir politique des monarques saoudiens à la pensée islamiste. Pour les Frères musulmans, cet automatisme n’est pas envisageable. Salafisme et wahhabisme saoudien peuvent, néanmoins, être concordants à partir des années 1950. Les Frères musulmans, persécutés en Égypte et en Syrie, sont accueillis en Arabie saoudite et chargés de diffuser les valeurs islamistes aux jeunes dans les écoles et universités. Les Frères assurent donc la moralisation de la société en préparant la communauté dès son plus jeune âge ; c’est un islamisme basé sur la prédication et qui commence par le bas. Ainsi, islamisme politique et islamisme de prédication se rencontrent et se complètent. Leur rapprochement est néanmoins à nuancer car les Frères musulmans, salafistes réformistes, ne sont pas inféodés à la famille politique saoudienne. L’arrivée des Américains en Arabie saoudite les pousse rapidement vers l’Irak. Un nouveau courant émerge et radicalise les thèses du salafisme de deuxième génération. Le jeu politique a donc un impact direct sur le mariage idéologique des wahhabites et des Frères musulmans salafistes du deuxième âge. À partir des années 1980, wahhabites et Frères musulmans ne sont plus considérés comme alliés. Partisans de l’islam politique, les Frères s’opposent aux pratiques saoudiennes. Cependant, le salafisme ne se cantonne pas à la version donnée par les Frères musulmans. Le troisième âge salafiste est nourri par les thèses de l’intellectuel saoudien, Sayyid Qotb (1906-1966). Son émergence est aussi précipitée par la révolution chiite iranienne et à partir de 1979, le salafisme se referme sur les thèses wahhabites les plus puritaines. Les thèses de Qotb ont nourri l’émergence d’une idéologie radicale devenue le djihadisme (voir III). Finalement, trois types de courants salafistes ont été déterminés (Bernard Rougier) : . Le salafisme originel, littéraliste et missionnaire qui n’admet de ses partisans ni la participation au pouvoir politique, ni leur utilisation des médias modernes. . Le salafisme réformiste, représenté par le courant de la Sahwa. Ses partisans dépassent la fonction de missionnaires des premiers. Ils ont vocation à diffuser au plus grand nombre leur vision de l’Islam et leur vision politique du monde. Ils condamnent l’influence des Occidentaux sur les dirigeants du Moyen-Orient, car elle déstabilise l’ensemble de l’Oumma. Le pouvoir temporel doit suivre les préceptes du religieux et non l’inverse. . Enfin, le salafisme djihâdiste est lui-même divisé en plusieurs mouvements. De manière générale, il prône le devoir de djihâd pour tous les musulmans. C’est le cœur de la doctrine. Il existe des djihâdistes locaux comme en Palestine qui n’ont pas vocation à imposer un califat mondial, et des djihâdistes internationaux, dont les membres d’Al-Qaida font partie. Aujourd’hui, les trois courants salafistes ont généré des groupes politiques comme non- politiques, aux moyens d’action différents qui n’ont pas nécessairement de liens entre eux dans les pays qu’ils touchent. 

B. De l’apprentissage des pratiques politiques à la mise en place des régimes politiques islamistes : révolution chiite, printemps arabes et résistance politique ou terroriste La réalisation d’un projet politique n’existe pas dans tous les groupes islamistes. Seuls les Frères Musulmans, les salafistes réformistes et les chiites khomeynistes embrassent cette ambition. Cependant, si ces trois tendances visent l’instauration de la Charia, les moyens utilisés pour y parvenir et les modes d’application de la Loi islamique ne sont pas les mêmes. Très schématiquement, deux types d’islamisation peuvent s’opposer dans la mise en place du projet : par le haut, l’institution de la Charia permet au peuple de s’islamiser, ou par le bas, l’islamisation du peuple génère la création d’un État islamique. Aussi, dans le cadre de l’activisme radical, la lutte des djihâdistes résistants à la politique anti-islamique d’un régime exprime un message politique à prendre en compte. Trois types d’intégration politique des islamismes dans le monde : l’islamisme consacré par l’État, l’islamisme légitimé par les élections ou associé au pouvoir, puis les groupes islamistes résistants et clandestins. 

L’islamisme consacré par l’État
Prenons l’exemple de l’Iran, véritable modèle révolutionnaire à suivre pour l’ensemble des islamistes du Dâr-al-Islam, chiites comme sunnites. L’activisme révolutionnaire et chiite est né avec un homme : l’ayatollah Khomeiny, il a instauré la théocratie chiite en 1979 en renversant le Shah d’Iran soutenu par les Américains. Ce courant islamiste est national puisqu’ancré en Iran, mais il montre une dominante présente au sein de tous les mouvements islamistes chiites : la capacité des ayatollahs, des oulémas et des mollahs d’encadrer les croyants, en autonomie vis-à-vis de la sphère étatique, tout en continuant de faire progresser les connaissances en matière de normes religieuses. La révolution islamique de 1979 a défini un cumul de deux fonctions pour le grand ayatollah. Il cumule le rôle d’autorité politique, à côté d’un président de la République élu au suffrage universel, et demeure le chef spirituel de la nation : son Guide Suprême. En 2015, ce dernier est Ali Khamenei et le Président de la République élu : Hassan Rohani. Les mollahs iraniens exercent un contrôle important sur l’exécutif et sur la stricte application de la charia dans toute la société iranienne. L’islamisme chiite s’incarne dans l’organisation de la République islamique iranienne. 

Islamismes consacrés par les urnes
La reconnaissance politique des partis islamistes se réalise pleinement lors de leur participation aux élections présidentielles ou législatives. Elle consacre leur pouvoir politique s’ils parviennent à les gagner. Évidemment, les mandats sont, en principe, temporaires et parfois interrompus mais ils traduisent l’évolution du degré d’ancrage politique des islamismes à l’échelle étatique. Les Printemps arabes ont favorisé l’apparition de la prise de pouvoir légale des islamistes et leur insertion dans le jeu politique démocratique en Tunisie, en Egypte et même au Maroc. Entre 2011 et 2012, en Égypte et en Tunisie, les élections portent les islamistes au pouvoir, au Yémen elles les y associent et, en Libye, elles les incluent au jeu politique. Pourtant, la stabilité politique n’est pas acquise et aucun des partis islamistes n’exercent aujourd’hui seul, le pouvoir. Dans d’autres pays comme la Turquie ou le Liban, les islamistes ont été intégrés avant 2011 aux appareils politiques par le biais d’élection, soit en tant que parti élu soit en tant que groupe rattaché à une coalition. 

Clandestinité et résistance politique des islamismes
L’interdiction des partis politiques islamistes par les pouvoirs publics laisse aux islamistes deux possibilités : l’action clandestine ou l’exil. Pour les activistes clandestins, le djihâd devient légitime, ils jugent leurs gouvernants comme des impies car ils ne protègent plus l’Oumma. Le Président égyptien actuel, Al-Sissi, a déclaré illégale l’organisation des Frères Musulmans égyptiens, le 25 décembre 2013. Il les assimile à des terroristes au même titre que les partisans de l’Etat Islamique. En dehors de la région arabe-musulmane, il existe également des conflits violents liés à la revendication politique mais aussi nationale et culturelle de certains groupes islamistes. C’est le cas des Ouïghours en Chine d’Asie centrale et des islamistes du Caucase pour les Russes. Aux périphéries de ces « États continents », les territoires intégrés au prix de conquêtes difficiles et tardives la Tchétchénie, définitivement russe au milieu du XIXe siècle et le Xinjiang, devenu chinois en 1949 , concentrent des peuples marqués par une forte identité ethnique et religieuse. Depuis le 11 septembre 2001, le Mouvement islamiste du Turkestan oriental dont se réclament les Ouïghours est sévèrement réprimé par l’administration chinoise au nord-ouest du Xinjiang ; de violentes confrontations ont encore lieu aujourd’hui. Du côté russe, après les deux guerres russo-tchétchènes des années 1990, le mouvement djihâdiste s’est autoproclamé en 2007 chef de « l’émirat du Caucase », à partir duquel il fomente régulièrement des attentats contre Moscou (l’émir du Caucase, Dokou Oumarov, est mort en mars 2014). Pour la Chine et la Russie, islamisme et terrorisme se confondent.

III. De la résistance identitaire à l’activisme violent et terroriste : les djihadismes
A. Les fondements d’une idéologie radicale : du Coran aux Pères fondateurs du djihadisme
Le moyen ultime pour les islamistes les plus radicaux de sauvegarder l’unité de l’Oumma ou de lutter contre les forces mécréantes est le djihâd, « le combat sacré ». Le Coran évoque le grand djihâd, un combat personnel sur soi pour devenir meilleur et le petit djihâd ou djihâd par l’épée .Le petit djihâd est donc défensif ou offensif. Il devient défensif s’il existe une menace sur l’Oumma, tout musulman doit y participer. Le djihâd offensif est utilisé dans le cadre de la conquête du Dâr-al-Islam. Le djihâdisme contemporain marque un passage déterminant dans l’évolution structurelle de l’ensemble des islamismes. Il est le fruit et le moteur de l’islamisme radical. Il ne partage avec les deux autres formes d’islamismes – missionnaire et politique , que leur finalité : créer un État islamique. Mais les djihâdistes restent hostiles à la simple prédication et à la coopération avec le pouvoir politique. Le terme djihâdisme est donc un néologisme, indiquant la volonté d’adhérer au petit djihâd. Dès lors, l’usage du djihâd demeure la matrice de leur croyance religieuse. Les islamistes djihâdistes sont sunnites, ils établissent la guerre sainte contre les régimes impies à l’intérieur du Dâr-al- Islam ou à l’extérieur quand ils considèrent que le territoire est occupé par une puissance non musulmane menaçante ( en Afghanistan pendant la guerre contre les Soviétiques (1979-1989 par exemple). Le djihâd est donc le mode opératoire principal des djihâdistes afin de conquérir ou reconquérir le pouvoir. C’est la manifestation de la défense armée de l’Oumma. Au début de la conquête coloniale au XIXe siècle, un djihâd de résistance a lieu en Algérie, au Soudan et en Libye. Mais il peut également concerner d’autres acteurs du monde islamique, il engendre ainsi la fitna (le désordre entre les musulmans). L’actuelle lutte de l’État Islamique, contre les forces chiites irakiennes et syriennes ou contre les Kurdes sunnites, en donne un exemple concret. La construction idéologique du djihadisme contemporain s’est élaborée à partir des thèses anciennes d’Ibn Tamiyya (hanbalite du XIVe siècle) adjointes à celles de Maududi et de Sayyid Qotb plus récemment. La pensée du théologien Maududi est à l’origine de l’islamisme pakistanais. Maududi demeure l’une des trois figures islamistes les plus importantes du XXe siècle, aux côtés d’Hassan Al-Banna et de l’ayatollah Khomeiny. Né en Inde, ce sunnite fondamentaliste est proche des milieux déobandis (mouvement islamiste né en 1867 dans le Nord indien, prônant l’encadrement religieux de la vie quotidienne par la production de fatwas et s’étant diffusé dans les années 1970 en Afghanistan et au Pakistan, après intégration des principes wahhabites, les écoles deobandies sont à l’origine du mouvement des Talibans). Maududi a une vision nouvelle sur le rôle de la religion musulmane dans l’État pakistanais qu’il voit naître. Il promeut sa langue officielle, l’ourdou, tout en défendant la constitution d’un État islamique plus global, à l’échelle de l’Empire des Indes. Il s’oppose au nationalisme et au pouvoir des oulémas mais croit en la construction d’un État islamique, qui sera capable d’islamiser le peuple, par le haut. La révolution islamique constitue le cœur de son projet. Elle passe par l’application du djihâd par l’activisme politique. Bien qu’il ait inspiré Qotb et nombre d’islamistes radicaux et clandestins, Maududi agit en toute transparence. En 1941, il fonde légalement un parti : la Jamat Ulema Islami (JUI). Plus tard, et partant d’Egypte, les idées de Sayyid Qotb ont à leur tour fortement marqué les groupes islamistes jusqu’aux membres djihâdistes d’Al-Qaida. Avec elles, l’intransigeance salafiste émerge : les soufis sont considérés comme hérétiques car ils se livrent au culte des saints ; les chrétiens et les juifs les « gens du Livre » toujours respectés dans la tradition musulmane – sont traités de mécréants, c’est-à-dire d’incroyants. Cependant, au-delà de cette vision, le discours de Qotb va plus loin : il prône un islamisme radical qui défend le djihâd en terre mécréante mais aussi en territoire musulman quand celui- ci est menacé par des idées contraires à la Loi islamique, c’est-à-dire d’influence occidentale. Il oppose «vrais musulmans» et «apostats». En acceptant des compromis avec les Américains, les souverains saoudiens font partie des apostats. Du discours de Sayyid Qotb est né un nouveau courant de pensée : le takfirisme. Les partisans takfiri doivent excommunier les autres musulmans jugés impies. Il s’agit d’une lecture radicale du discours de Qotb visant à séparer les bons musulmans du monde impie, et ceux générant la fitna. Ce groupe d’islamistes radicaux, la Société des musulmans, se structure au moment où Sadate, le président égyptien, restreint le champ d’action des islamistes égyptiens, à partir de 1977. Isolé au départ, le mouvement s’exporte dans les pays du Golfe et fait des émules chez les étudiants égyptiens des Gamaat islamiyya. À partir du moment où les takfiri sont arrêtés, les Gamaat se radicalisent. Séparées des Frères Musulmans mais suivant Qotb, elles incarnent un salafisme violent et djihâdiste et recrutent parmi les populations pauvres et urbaines. Leur dissolution, après l’assassinat de Sadate – dont elles sont les responsables , les mènent à la radicalisation terroriste dans le monde musulman comme aux États-Unis dans les années 1980-1990. Elles sont intégrées au sein du groupe du Djihâd islamique égyptien dans les années 1990, responsables entre autres, des attentats sur le site touristique de Louxor. Les Gamaat ont essaimé leur pensée et leurs modes d’action en Afrique subsaharienne et en Asie centrale. Dans le monde musulman, après le départ des colonisateurs occidentaux, au tournant des années 1950 et 1960, trois types de djihâd se mettent donc en place progressivement : celui des partisans de S. Qotb dans les années 1970 et 1980, dans le cadre de la guerre d’Afghanistan contre les Soviétiques ; le djihâd des années 1990 contre les régimes militaires algérien, égyptien et en Bosnie ; enfin, depuis la fin des années 1990, le nouveau djihâd contre l’Occident. Ce dernier est la raison d’être du mouvement Al-Qaida. En effet, cette forme d’activisme est devenue une idéologie qui s’est mondialisée ; elle prend racine dans les premières formes du takfirisme. La naissance d’Al-Qaida s’explique par une réorientation de la logique du djihâd internationalisé construit en Afghanistan, contre les anciens alliés des moujahidines, les Américains. Ainsi, les membres de l’organisation s’attaquent à la fois aux « ennemis proches », c’est-à-dire aux gouvernements impies du monde musulman Moyen- Orient et Afrique subsaharienne mais également aux « ennemis lointains » : les États-Unis et leurs alliés, dont les Infidèles : juifs comme chrétiens. Al-Qaïda représente le renouveau du djihadisme. L’objectif de ses deux fondateurs – Abdullah Youssouf Azzam et Oussama ben Laden est de revenir à la base du message coranique interprété, selon eux, par la mise en place du califat mondial instaurant l’unité de l’Oumma. Au départ, Al-Qaida crée un réseau à partir des groupes de vétérans d’Afghanistan, notamment avec les talibans, les Gamat islamiyya, les Jamaa islamiyya pakistanaise et indonésienne. Ensuite dans les années 1990, le mouvement se transforme en un centre de formation de djihâdistes très organisé doté de camps d’entraînement en Afghanistan et au Pakistan. Les secteurs d’influence sont divisés et dirigés par des chefs régionaux appelés « émirs », au Moyen-Orient, en Algérie et dans le sous-continent indien. L’organisation soutient également les djihâds plus ciblés en Occident comme celui du GIA algérien en France. 

B. Le 11 septembre ou la mondialisation du djihadisme : d’Al-Qaïda à l’EI
A partir du 11 septembre 2001, le djihadisme mondialisé entre sur la scène des grands acteurs géopolitiques. Al-Qaida devient l’organisation terroriste à abattre, le cœur des préoccupations sécuritaires de l’ensemble des démocraties occidentales. La rhétorique de l’Axe du Mal de Georges W. Bush se développe. Ses interventions en Afghanistan (2001) et en Irak (2003) relancent alors le djihâd au Moyen-Orient. Cela crée une nouvelle ligne de fracture décisive pour l’avenir géopolitique du monde musulman, entre islamistes sunnites et chiites. L’intervention occidentale et la traque effectuée à l’encontre d’Oussama Ben Laden et de ses troupes, ont porté un coup à la nébuleuse d’Al-Qaïda. Elle est restructurée et se divise en deux sous-groupes en 2009 : Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA). Au-delà de cette nouvelle structuration, Al-Qaida concentre des mouvances plus ou moins proches de ses principes. En Somalie, Al-Shabbab a prêté officiellement allégeance à AQMI depuis 2009. Ansar al-charia, groupe armé et salafiste tunisien, a reconnu sa filiation récente avec la nébuleuse. L’AQPA est le résultat de la fusion des Saoudiens et des Yéménites du mouvement. Si l’Arabie saoudite a mis hors de ses frontières les membres d’Al-Qaida, le Yémen les a tous récupérés malgré les offensives régulières de l’armée yéménite depuis 2012. En Asie du Sud-Est, la Jemaah Islamiyya ainsi que les islamistes philippins d’Abu Sayyaf, se sont revendiqués structures d’Al-Qaida mais la cellule mère du Pakistan n’a jamais confirmé ce lien Al-Qaida n’est plus actuellement la seule incarnation du djihâdisme, en Irak et en Syrie, l’Etat Islamique offre une nouvelle image de l’islamisme radical dans le monde. Les djihâdistes sunnites d’Al-Qaida, partis lutter contre les forces occidentales en Irak, trouvent sur leur route l’opposition des chiites du nord-est irakien. La même année en 2003, Abou Moussad al- Zarkaoui fonde la branche irakienne d’al-Qaida : « al-Qaida au Pays des deux Rives » (les deux rives renvoient au Tigre et à l’Euphrate, fleuves irakiens délimitant la Mésopotamie).Il radicalise les objectifs de la « maison-mère » provoquant la réaction d’ Oussama Ben Laden qui décide de se séparer de son allié irakien. L’État Islamique en Irak (EII) naît alors de cette scission. L’opportunité d’un développement territorial de l’organisation s’établit au moment de la mise à mort du système politique baasiste de Saddam Hussein par les Américains, puis, à partir de 2011, de la brèche ouverte par le Printemps arabe en Syrie. 

Ainsi, le 29 juin 2014, l’Etat Islamique s’auto-proclame califat en s’imposant par la force aux populations d’une zone de contrôle située du nord-ouest de l’Irak au nord-est syrien. Il se différencie d’Al-Qaida par un ancrage territorial déterminé dont l’expansion est la finalité depuis 2013. Pourtant, l’EI ne peut être reconnu comme Etat : ses frontières sont mouvantes et son territoire n’est pas en expansion constante. Son influence grandit, elle est devenue mondiale. D’abord, la médiatisation de ses actes de barbarie fait sa publicité auprès des potentielles recrues du monde entier déjà sensibilisées par les réseaux sociaux et les sites djihadistes. Ensuite, l’EI n’est pas en rupture idéologique ni en guerre avec Al-Qaida et il bénéficie de ses réseaux de communication avec les groupes djihâdistes. L’orchestration des deux attentats de Paris en janvier 2015 entre l’AQPA et l’EI démontre l’existence d’une coordination. Enfin, malgré son intégration territoriale en Syrie et en Irak et fort de son succès médiatique, l’EI s’impose comme modèle en Afrique, en Tunisie avec le groupe Okba Ibn Nafaâ ou au Nigéria, Boko Haram ayant prêté allégeance au calife Abou-Bakr Al- Baghdadi en mars 2015

Conclusion
La distinction établie entre islam et islamisme permet de mieux comprendre la diversité des islamismes. L’interprétation des préceptes islamiques a donné une vocation plurielle à l’idéologie politique qu’elle nourrit. Si l’on est tenté d’évoquer une nébuleuse islamiste mondialisée, en citant l’existence de la Ligue Islamique mondiale (LIM) création de 1962 par l’Arabie Saoudite (exportation du modéle wahhabo-salafiste en Occident), de la Fédération des Organisations Islamiques (FOIE) en Europe créée en 1989 (Frères Musulmans sous impulsion de l’UOIF en France), du Milli Görus : mouvement islamiste turc des années 1970 (bien ancré en Allemagne, Autriche et Est de la France) ou encore du Tabligh : (société quiétiste de prédication née en 1927 en Inde très puissant dans les années 1960 à 1980 en Europe). Il est nécessaire de rappeler la pluralité des interprétations théologiques, la diversité des moyens utilisés et des objectifs fixés par les différents groupes islamistes. Leur point commun est la revendication idéologique d’un message à ressort religieux, mais leur identité demeure très variée et en évolution constante. L’analyse actuelle des islamismes requiert de prendre en compte avec vigueur des paramètres à la fois politiques, historiques, géographiques et nationaux qui influent sur les mouvances islamistes actuelles et sur leur géopolitique.
 

Historienne de formation, Anne-Clémentine Larroque est maître de conférences en Questions internationales à Sciences Po. Elle est l’auteur de Géopolitique des islamistes, Qsj n°4014, PUF




C) Divers liens sur l'Islam sur Université Liberté

Musulman et libéral ?

Islamo-fascisme ??

En finir avec les complaintes victimaires (Laïcité et Islam)

Débats sur : Laïcité, Islam, Etat, Christianisme, Totalitarisme, Religion et instrumentalisation.

"L'Europe ne se fera pas sans la Russie ? "Royauté de France

Une autre crise, l'Autorité! en amène t-elle la violence?

L'islamo-faschisme - Islamisme - wahhabisme - salafiste - chiite - sunnite

L'esclavage une autre vérité !! Hommage RIP - Quand l'histoire rattrape un racisme occidental !

Nouvelles en socialie Hollandienne

 

 

juin 24, 2015

L'islamo-fascisme - islamo-gauchisme - Islamisme - wahhabisme - salafiste - chiite - sunnite

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


Sommaire:

A) (Algérie) Mohamed Aïssa : « le danger des imams autoproclamés » - Mustapha Benfodil - El Watan

B) La banalité de l’Etat islamique – une insurrection comme une autre ? - Reyko Huang - Orient XXI


C) « Si Daech n’existait pas, il aurait fallu l’inventer » - Lina Kennouche - L’Orient le Jour

D) Yémen : l’intervention saoudienne est un échec. La solution ne peut pas être militaire. - Didier Billion - IRIS - l’Obs

E) Frappes antiterroristes - TTU Online

F) Quelle stratégie face à Daech ? - Sélim Ben Abdesselem* - IRIS

G)  Aden-Beyrouth, deux villes façonnées par la violence - Laurent Bonnefoy - Orient XXI 
H) Décapitation et islamisation - Par Frédéric Le Quer - http://politiqart.com

I) Jacques Julliard : « Qu'est-ce que l'islamo-gauchisme ? » - Par

 


 

A) (Algérie) Mohamed Aïssa : « le danger des imams autoproclamés »


L’occasion pour le ministre des Affaires religieuses de défendre bec et ongles son projet. Un projet que nous pourrions résumer en trois points : 

promotion d’un «référent religieux national» inspiré de ce qu’il appelle «le vécu de Cordoue», «déradicalisation» du religieux et «sécurisation de la vie intellectuelle» dans et hors les murs de la mosquée en boutant les «chouyoukh autoproclamés» et les charlatans de tout poil qui officient sur les chaînes populistes, et enfin, formation d’une nouvelle élite religieuse pour encadrer les mosquées. Des imams ouverts, cultivés, et armés d’un background solide imprégné d’un islam «déwahhabisé», plus en phase avec notre algérianité. Tout un programme, oui. Pédagogue au possible, s’exprimant pratiquement de bout en bout en français, le ministre a défendu avec entrain ses idées, faisant preuve d’une «alacrité» (ou «Allah-Crité» pour reprendre le mot d’un facebooker bien inspiré) qu’on aurait tort de réduire à une simple opération de com’. Florilège. 

Le défi de la «déradicalisation»
D’abord, une déclaration de principe. Le ministre expose rapidement sa démarche. «Je suis en conformité avec ce qui se passe ou qui devrait se passer dans les autres secteurs en matière de promotion du référent religieux national, en matière de déradicalisation, en matière d’interpellation de la communauté musulmane en général mais surtout du peuple algérien», se lance-t-il. Il explique que «cette «pratique référentielle de la religion (...) jaillit de l’expérience vécue dans ce pays et dans le Maghreb arabe en général, et qui prend en référence le vécu de l’Andalousie et surtout le vécu de Cordoue. Nous nous inscrivons toujours dans cette démarche et nous entretenons un dialogue avec d’autres pays qui s’intéressent de très près à notre programme de déradicalisation». Mohamed Aïssa (dont le nom à lui seul est une onomastique de la tolérance) défend l’idée de la «wassatiya» en soulignant que cette pratique référentielle «s’inscrit dans le juste-milieu, la modération, l’ouverture sur l’autre et la diversité». Disséquant le paysage religieux national, il relève : «Des extrémismes sont nés en Algérie. Ils se sont manifestés suite à une déclaration ou une autre. Pour moi, c’est bénéfique à partir du moment où il y a toujours le débat, le dialogue, le feedback, à la suite de toute idée diffusée dans les mass-media ou à travers les mosquées. Je pense que le plus intéressant, c’est que nous sommes arrivés depuis une année à tracer un programme d’action réel et fonctionnel.» Il annonce, dans la foulée, les nouveaux instruments institutionnels qui seront créés incessamment pour accompagner ce plan de «déradicalisation» : une «académie de la fatwa» pour «immuniser la vie religieuse dans l’enceinte de la mosquée», et un observatoire contre les dérives sectaires et l’extrémisme religieux pour «la sécurisation de la vie intellectuelle, de la vie religieuse, en dehors de la mosquée». Les deux institutions n’attendent plus que le quitus du gouvernement. «Durant le mois de juin, nous allons soumettre le projet de l’Observatoire (au gouvernement, ndlr). 

Ultérieurement, nous allons soumettre le projet de l’Académie de la fatwa», précise M. Aïssa. 

«On croit que l’islam tolérant est un islam instrumentalisé par le Système»
Ahmed Lahri, le modérateur des débats, s’est livré ensuite à un jeu de questions-réponses avec son invité du jour. «Quels sont les dossiers qui vous ont semblé assez compliqués à gérer ?» interroge notre confrère. «Ce qui m’a le plus marqué, Si Ahmed, c’est surtout les mentalités qui ont besoin de beaucoup d’efforts, de beaucoup de temps et de beaucoup de polémiques quelquefois pour réagir», rétorque le ministre. «Nous avons, en Algérie, des idées reçues. Nous avons quelque part cette conviction que la rigidité de la vie religieuse, c’est ça la religion.» Citant Soufiane Athaouri, un savant des premiers temps de l’islam, Mohamed Aïssa fera remarquer que «la vraie jurisprudence, ce n’est pas de dire ce qui est illicite mais de dire ce qui est licite». Allusion à tous ces prédicateurs ombrageux qui n’ont que le mot «haram» à la bouche. Pour lui, le challenge, c’est de «trouver des solutions à la vie de tous les jours. A une population musulmane qui veut vivre son époque tout en étant ancrée dans la tradition de l’islam. C’est ce qui est difficile et nous avons ces idées reçues qui nous poussent quelquefois à croire que l’islam tolérant est un islam instrumentalisé par le système politique. Que l’islam ‘officiel’, c’est l’islam du Président, c’est l’islam du ministre. Et qu’il faut avoir un ‘islam d’opposition’, un islam qui ne serait pas instrumentalisé, et qui serait l’islam ‘réel’. Cette dualité est très dangereuse», explique le ministre. Et de poursuivre : «Nous avons remarqué que le peuple algérien a été «embrigadé» par des cheikhs «autoproclamés» qui ont jalonné la vie cultuelle auprès des mosquées, et surtout dans les mass-media». Selon lui, «ces cheikhs autoproclamés, en vérité, sont détachés de la réalité des Algériens». Il estime néanmoins qu’ils exploitent «la superstition» qui gagne un secteur de la société. Il ne fait aucun doute sur le fait, insiste-t-il, que «seul un imam bien formé est capable d’orienter le croyant...» «Un imam bien formé est un imam qui se ressource dans la tradition du Prophète (alayhi assaltou wa salam) et dans la Révélation, le Saint Coran, mais qui prend aussi en considération la donne temps et la donne espace, à savoir que nous vivons au XXIe siècle et que nous sommes en Algérie», plaide le conférencier. 

«Aucun d’entre eux n’est imam»
«L’approche fournie par les imams des 17 000 mosquées algériennes est l’islam authentique», assure-t-il. «C’est l’islam qui a été pratiqué par nos aïeux, c’est l’islam qui a fait l’Andalousie, qui a fait Cordoue, c’est l’islam qui a été un catalyseur de cette population diverse dans sa langue, diverse dans ses idéologies et diverse dans ses régions.» Le ministre le reconnaît sans ambages : la mission est loin d’être facile. «Cela est difficile parce que ça demande un contact direct, et le contact direct est parasité actuellement par ce qui est diffusé sur les mass-media.» Interrogé sur les profils de ces «chouyoukhs autoproclamés», le ministre note d’abord que ce qui anime les chaînes qui les accueillent sur leurs plateaux, c’est la recherche du sensationnel. Dressant un portrait-robot de ces «télécoranistes» qui ne sont pas sans rappeler les télévangélistes américains, il note : «Ces gens, nous remarquons premièrement qu’ils ne sont pas formés. Aucun d’entre eux n’est imam. Aucun d’eux n’a été formé dans les instituts spécialisés. Nous en avons 13. Ils ne sont pas titulaires d’un diplôme universitaire en sciences islamiques. Ils se sont autoproclamés cheikhs en profitant de la confusion qui régnait durant les années de terrorisme et ils se sont implantés dans notre champ. Ils ont embrigadé les jeunes de leur quartier. Et, subitement, avec l’ouverture du champ médiatique, ils ont été invités par des chaînes qui cherchent la sensation, et ils ont eu un pupitre très dangereux.» 


«Nous réinterpellons Miloud Chorfi pour qu’il intervienne»
A la question de savoir si des actions concrètes ont été entreprises de concert avec le ministère de la Communication et l’Autorité de régulation de l’audiovisuel pour mettre un peu d’ordre dans ce bazar des fatwas, Mohamed Aïssa a affirmé que des discussions étaient engagées dans ce sens : «Je me suis entretenu avec le président de l’Autorité de régulation et j’ai même proposé à ce que son collectif soit conforté par des cadres de mon ministère, des inspecteurs centraux. (...) Je crois que l’Autorité de régulation est preneuse, nous attendons un geste de leur part. Je dois dire qu’à chaque fois, nous réinterpellons Miloud Chorfi pour qu’il intervienne. Je crois qu’il a déjà commencé un travail. Nous attendrons ses résultats. Mais nous demandons une diligence et une prise en charge immédiate parce que le danger vient de ces cheikhs autoproclamés. Nous ne connaissons pas leur affiliation, nous ne savons pas qui les paie, nous ne savons pas qui les a formés, et leur prêche est irrationnel en général et relève du virtuel d’autres fois. Ils se réfèrent à internet, aux réseaux sociaux, pour piocher leurs réponses. Or, les réseaux sociaux sont piégés, nous le savons tous. Les réseaux sociaux sont actuellement le fief du daéchisme.» Faisant sienne une réflexion de Ben Badis en parlant du wahhabisme, il professe : «Le wahhabisme est peut-être bénéfique pour les pays dans lesquels il est né, il ne l’est pas pour l’Algérie.» Mohamed Aïssa se désole, au cours du débat, du sort réservé à l’immense Mohamed Arkoun. «Arkoun, c’est la référence mal comprise», concède- t-il. Mohamed Aïssa plaide ardemment pour la réappropriation de notre corpus théologique en citant l’œuvre des Abdelhak El Ichbili, Mohamed Ben Abdelkrim El Meghili, Abou El Abass El Ouencharissi, l’imam El Mazouni, ou encore le cheikh Ben Alioua, fondateur de la zaouïa El Alawiya de Mostaganem. Et de conclure : «Nous ne connaissons pas ces érudits savants qui sont notre référent. Pourtant, ce sont eux qui ont légiféré pour les Algériens. Ce sont leurs orientations qui ont fait de nous la vraie nation du juste milieu. La preuve est que nous sommes immunisés contre le radicalisme et l’extrémisme violent. Et ceux d’entre nous qui y succombent, qui fléchissent, qu’on les interpelle par ce référent, par ce background. Il y va de notre salut.» 

Mustapha Benfodil



B) La banalité de l’Etat islamique – une insurrection comme une autre ?

L’attention des médias occidentaux, concernant l’organisation de l’État islamique (OEI), porte essentiellement sur sa dimension religieuse et sa violence. Certains analystes tentent de trouver un sens à son idéologie, ainsi qu’à la démarche de ceux qui font le choix de la rejoindre. D’autres avancent que sa capacité apparemment sans limite à brutaliser et terroriser a peu d’équivalents parmi les organisations violentes, à tel point qu’Al-Qaida l’a désavoué. En réalité, les agissements de l’OEI ne constituent pas un cas unique dans l’histoire récente et toute analyse qui se limite au fait religieux passe à côté de ses finalités politiques. 

La couverture médiatique s’est focalisée d’abord sur le caractère exceptionnel de la violence de l’organisation de l’État islamique (OEI). Dans l’orchestration de ses meurtres et dans la façon dont il les livre en images aux yeux horrifiés du monde entier, ce groupe serait sans équivalent. Cependant, le dépeindre ainsi, c’est oublier notre malheureuse Histoire — y compris notre histoire récente —, nourrie d’extrêmes violences contre des populations civiles à des fins politiques. On peut difficilement affirmer que les actions de l’OEI sont plus atroces que celles commises par les Khmers rouges au Cambodge, la Résistance nationale mozambicaine (Renamo) au Mozambique dont les combattants sont devenus des spécialistes des enlèvements, viols et mutilations de femmes, hommes et enfants, ou que l’usage systématique, en tant qu’arme, des violences sexuelles pendant la guerre de Bosnie. De même, les décapitations mises en scène par ce groupe ne sont pas plus effroyables que les milliers de « disparitions forcées » opérées en coulisses dans le conflit du Salvador. En termes de violence, la seule différence entre eux et l’OEI est que ce dernier œuvre à l’ère des réseaux sociaux et qu’il utilise ceux-ci au maximum pour provoquer la peur. 



D’autres exemples similaires
L’OEI n’est pas un cas unique de mobilisation d’une interprétation théologique comme élément d’une campagne politico-idéologique. En Indonésie, au lendemain de l’indépendance de cette colonie hollandaise en 1948, le mouvement Dar al-islam a voulu créer un État islamique et ses combattants ont déclenché des rébellions violentes. En Ouganda, le mouvement Lord’s Resistance Army (LRA) et son prédécesseur, The Holy Spirit Movement, avaient pour objectif d’établir une théocratie fondée sur les Dix Commandements. La LRA est aujourd’hui responsable de l’un des plus longs conflits en cours en Afrique. L’OEI n’est pas non plus la seule organisation à rejeter des frontières existantes. En Indonésie, la Jamaa islamiya qui a succédé dans les années 1990 à Dar al-islam prônait un État islamique recouvrant l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, une partie de la Thaïlande et les Philippines. Ce n’est pas non plus la seule organisation violente à avoir développé des réseaux de trafiquants et d’intermédiaires pour garantir des revenus énormes à partir de ressources naturelles comme le pétrole. Elle est emblématique de ces organisations rebelles ou terroristes qui capitalisent sur la faiblesse politique et institutionnelle des États où ils sont implantés pour lancer des opérations militaires et contrôler des territoires. Elle ne se démarque pas plus quand elle crée avec succès dans les villes conquises son propre système de gouvernance civile. C’est vrai que dans des villes comme Raqqa en Syrie, l’OEI a collecté des impôts, construit des infrastructures, mis en place une police de la circulation et fait fonctionner les boulangeries, tout en imposant des codes sociaux stricts sous la menace de sévères sanctions pour les comportements déviants, dont l’exécution publique. Ceci dit, en Inde, en plus de créer des structures de gouvernance sophistiquées, les naxalites avazient leur propre système bancaire. Les rebelles érythréens entretenaient quant à eux une usine pharmaceutique tout en animant une branche humanitaire qui travaillait avec des ONG internationales, tandis que leurs voisins les rebelles tigréens mettaient en œuvre une réforme agraire globale. L’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) avait développé un système postal avec des timbres internationalement reconnus alors qu’il était en conflit violent et intense avec les États officiels établis. Et comme l’OEI aujourd’hui, de nombreux groupes, y compris la National Resistance Army en Ouganda ou les rebelles maoïstes népalais, avaient un code de conduite pour leurs combattants, avec des sanctions en cas de violation qui incluaient l’exécution des coupables. Les critiques diront qu’à la différence des autres groupes, l’OEI est unique par sa volonté de modifier l’ordre politique international en poursuivant son objectif de créer un État islamique. Certes, c’est une aspiration radicale qui surpasse les autres organisations en termes de ferveur révolutionnaire et d’échelle. Mais elle demeure justement cela — une aspiration — et l’histoire des conflits n’a pas manqué de cas de la sorte, jugés menaçants, révolutionnaires et formidables en leur temps. Le discours reste un discours. 

Pour une analyse politique
L’objectif ici n’est pas de nuancer la menace posée par l’OEI. Il s’agit de souligner que, dans une perspective comparatiste, elle n’est pas si exceptionnelle que cela. La resituer dans une perspective théorique et historique plus large — c’est-à-dire au-delà du cadre du « terrorisme islamiste » et au-delà de la période post-11-Septembre — est important, car exagérer ce qui la distingue revient à déformer la menace qu’elle représente, à renforcer sa légitimité sans le vouloir et, pire que tout, à faire le jeu de ses chefs. Le fait que le comportement de l’organisation de l’État islamique (OEI) soit semblable à celui de tant d’autres organisations militantes — et cela en dépit de tous ses efforts pour se présenter comme la seule vraie avant- garde d’un État islamique — suggère à l’inverse l’existence d’une logique stratégique sous- jacente. Et devrait pousser les experts à traiter le groupe comme un acteur politique et à chercher à identifier ses buts politiques, ses capacités, ses moteurs et ses calculs stratégiques. Ceux qui travaillent sur les conflits et les soulèvements ne seront pas étonnés par le développement de services sociaux et médicaux, ni par le fait que l’OEI fasse payer des impôts aux résidents locaux, possède une organisation à la structure élaborée (qui n’apparait pas bien différente de l’organigramme d’autres groupes insurgés), impose une discipline stricte parmi ses combattants et tue de façon sélective. Ce sont des comportements « classiques » de la part d’acteurs armés non étatiques disposant d’une certaine force militaire. Une analyse centrée sur la dimension religieuse apparaît moins utile. Non que l’aspect religieux ne soit pas important : il contribue à mobiliser autour du groupe, attire des flots de nouvelles recrues et menace les gouvernements et populations occidentales islamophobes exactement de la manière souhaitée par le groupe. Mais toute analyse de l’idéologie de l’OEI qui ne s’interroge pas sur les choix du groupe pour formuler et propager son idéologie de la façon dont il le fait risque de se détacher du champ politique et de servir potentiellement de relais non critique au discours du groupe. En revanche, une analyse centrée sur l’acteur ne se contente pas d’interroger le discours et les actes de l’OEI ; elle s’intéresse aux raisons et aux finalités. Car même des leaderships extrémistes et apparemment fanatiques sont rationnels et stratégiques. Ils décident constamment, à partir d’évaluations de situations, des meilleurs modes d’action pour atteindre leurs objectifs, que ce soit au sujet du renforcement de la force militaire, du contrôle des territoires ou des populations. C’est ainsi, notamment, que l’OEI a mis son idéologie en sourdine pour faire alliance avec ce qui reste du parti Baas de Saddam Hussein. Les chefs de l’OEI exercent leur pouvoir bien au-delà de la religion, alors que les médias font comme s’ils en n’étaient que des adeptes aveugles, comme si leur idéologie était d’origine divine et non pas conçue et propagée méthodiquement. La prudence commande de ne pas faire d’hypothèses infondées sur les raisons des agissements de ses combattants et de considérer la pluralité des motivations. Les fantassins de base proclameront toujours qu’ils obéissent à une injonction divine pour justifier leurs campagnes quotidiennes de destruction et leurs tueries. Ils ne peuvent pas faire autrement s’ils veulent survivre, même si les uns et les autres ont rejoint l’organisation pour toutes sortes de raisons, parmi lesquelles certainement la conviction religieuse, mais aussi le goût de l’aventure, la vengeance, la pression de l’entourage, la coercition, la corruption et bien d’autres encore. Conclure que l’explication de leur comportement est à chercher exclusivement dans leur dévotion religieuse revient à largement sous-estimer la nature humaine et à accepter sans distance critique la propagande de cette organisation. Les gens ne font pas ce qu’ils font parce qu’ils sont musulmans, chrétiens, serbes ou hutus, ni parce que l’islam, le christianisme ou toute autre ancienne haine raciale leur dicte de le faire. Ils font ce qu’ils font parce qu’ils pensent que cela les aide à atteindre certains objectifs. L’analyse qui se focalise sur la dimension religieuse est une impasse qui nous empêche de nous demander si dans les mêmes circonstances, ces mêmes acteurs agiraient différemment s’ils adhéraient à une autre religion ou une autre idéologie. 

Reyko Huang 




C) « Si Daech n’existait pas, il aurait fallu l’inventer »

Richard Labévière, expert des questions internationales et stratégiques, écrivain et rédacteur en chef de ProcheetMoyen-Orient.ch/Observatoire géostratégique, analyse le changement de posture des États-Unis dans le traitement des questions liées au terrorisme. 

Dans un contexte international volatile et fragmenté, marqué par la disparition progressive du leadership américain, la multiplication des acteurs et la fin des alliances stables, la configuration de la menace terroriste est de plus en plus complexe. Comment a évolué le traitement du phénomène terroriste par les puissances occidentales et leurs alliés ? Comment expliquer les contradictions entre la déclaration d'une guerre totale contre le terrorisme incarné par des organisations comme le groupe État islamique (EI ou Daech), et dans la pratique, un conflit de moyenne et basse intensité contre l'EI ? Pourquoi l'approche politique de résolution des crises a été supplantée par la logique sécuritaire du maintien, de l'entretien et de la gestion de ces situations ? Richard Labévière, expert des questions internationales et stratégiques, rédacteur en chef de ProcheetMoyen-Orient.ch/Observatoire géostratégique, répond à L'Orient-Le Jour. 

Le 27 mai 2015, à Genève, vous avez organisé un colloque sur le terrorisme dans lequel vous parlez d'« anciennes menaces » mais de « nouveaux enjeux ». Qu'entendez- vous par là ?
Le premier point sur les anciennes menaces était de montrer la vraie filiation historique de Daech. Souvent les observateurs pressés ont l'habitude de dire que Daech est né en Irak. Mais avant l'Irak, ce groupe s'est inspiré des méthodes et de l'idéologie des islamistes armés algériens, le Groupe islamique armé (GIA), qui entre 88 et 98 ont été les terroristes de la décennie sanglante (tortures et massacres collectifs au nom de la restauration du califat). Dans les méthodes d'assassinat et dans l'idéologie, ces islamistes ont donc été les précurseurs de Daech. Maintenant en ce qui concerne les nouveaux enjeux face à la menace terroriste et ses transformations, nous sommes passés par plusieurs stades. L'isolement international de pays comme l'Algérie qui a fait face seul au terrorisme à l'époque, puis après le 11 septembre et à partir du moment où les États-Unis sont touchés sur leur sol, la guerre contre le terrorisme qui devient l'affaire du monde entier. Après les révoltes arabes et jusqu'à ce jour, la grande nouveauté que l'on peut observer est la gestion de crises. On gère la menace terroriste sans chercher à la résoudre ou à l'éradiquer. La gestion de crise est devenue un mode de gouvernance. On canalise, on oriente, on instrumentalise. 

Pourquoi estimez-vous que c'est après les révoltes arabes que le changement a été initié ?
Rappelons-nous pourquoi les Américains ont décidé d'éliminer Oussama Ben Laden (chef d'el-Qaëda) en mai 2011 alors qu'ils savaient depuis 4 ans qu'il était au Pakistan et ne bougeaient pas ? Parce que les révoltes arabes de janvier 2011 avaient commencé et que l'administration américaine ne voulait surtout pas qu'el-Qaëda récupère et instrumentalise la contestation, quand la réponse thermidorienne à ces révoltes à l'époque était les Frères musulmans. En mai 2011, on mise donc sur les Frères, et cela va s'avérer une catastrophe. À partir du moment où la dernière approche des États-Unis au Moyen-Orient a échoué, il n'y a pas eu d'approche politique régionale précise face à la crise syrienne, à l'implosion de l'Irak, aux conséquences de la guerre en Libye qui a touché tous les pays voisins de la zone sahelo- saharienne des côtes marocaine à la Corne de l'Afrique. 

Comment se traduit aujourd'hui la gestion du terrorisme au Moyen-Orient ?
Prenons un exemple parlant, le sommet anti-Daech organisé par François Hollande en juin à Paris. Premièrement, il n'invite pas l'Iran qui est un pays majeur pour combattre Daech. Deuxièmement, la France fait partie de la coalition qui comprend une cinquantaine de pays ; or face aux participants à la conférence, M. Hollande explique que la lutte contre Daech sera longue sur le plan opérationnel (d'où l'idée de gestion), estimant en outre qu'il ne faut pas changer de stratégie parce que celle de la coalition est la plus adaptée. Or n'importe quel militaire sait parfaitement que l'on n'éradique pas une formation comme Daech simplement avec des bombardements aériens. C'est un principe de stratégie militaire. Dans ce genre de conflit, si l'on ne déploie pas de troupes au sol pour entrer dans une confrontation directe (ce que la France a fait au Mali, combats de corps à corps entre forces spéciales et jihadistes) cela ne donnera rien. Dans le cas de Daech, nous sommes dans cette fameuse équation : on ne résout pas le problème par des décisions militaires frontales, on gère sur le long terme et d'une certaine façon on en tire profit. Sur ce point précis, un expert du Pentagone avait affirmé que si l'on voulait véritablement venir à bout de l'EI, il faut 10 mille militaires au sol, une bataille frontale décisive et l'affaire est réglée. Or aujourd'hui, près de la moitié des avions de la coalition rentrent à leur base avec leurs bombes qu'ils n'ont pas larguées. Nous pouvons prendre également l'exemple d'el-Qaëda que l'on aide dans un pays et que l'on combat ailleurs. On les soutient en Syrie, mais on tue leur chef au Yémen à 2-3 jours d'intervalle. Tout cela révèle qu'il n'y a plus de politique proche et moyen-orientale construite parce que ce n'est plus central aujourd'hui pour les États-Unis. Il faut replacer le logiciel géopolitique à son bon niveau. Nous avons oublié qu'au début de son second mandat, Barack Obama avait rappelé la chose suivante : l'avenir des intérêts américains se situe en Asie- Pacifique et en Asie centrale. Cela ne passe plus par le contrôle du Moyen-Orient, mais par ce que Zbigniew Brzeziński appelait Eurasie, c'est-à-dire les routes de Marco Polo, de Venise à Vladivostok. C'est pour cela que la priorité, avant de résoudre au cas par cas les crises au Moyen-Orient, reste la normalisation avec l'Iran et la recherche d'un accord sur le nucléaire. L'obsession américaine est aujourd'hui de contenir la Chine et le retour de la Russie comme puissance régionale dans son accord stratégique avec Pékin. De cette priorité-là découle des postures au Moyen-Orient qui vont être différentes en fonction des situations. 

En l'absence d'une approche régionale globale, y a-t-il néanmoins des lignes rouges à ne pas franchir dans la région ?
Oui, il y a 4 lignes rouges qui ne bougent pas. La défense de Bagdad, parce que symboliquement après 2003 les Américains ne peuvent pas permettre que Daech prenne Bagdad. La défense et la protection de la Jordanie qui est un protectorat américano-israélien. Le Kurdistan qui reste une des dimensions essentielles de l'évolution de l'arc de crise et de la transformation à venir parce que du Kurdistan dépend la façon dont les acteurs tentent d'instrumentaliser la question kurde. Le Liban également parce que dans leur absence de vision globale encore une fois, les États-Unis et la France ne peuvent se permettre que l'on revive une instabilité générale telle que l'on a pu la vivre entre 1975 et les accords de Taëf de 1990. Même s'il y a encore des situations grises, des incursions dans la Békaa, et les conséquences que l'on connaît de la bataille du Qalamoun syrien. Aujourd'hui, il est certain que les États-Unis gèrent les crises au coup par coup. Mais surtout de la manière dont ils gèrent la criminalité chez eux. Dans les différents États les plus problématiques avec les gangs et les mafias, il y a un modus vivendi, on ne démantèle pas le crime organisé, on le canalise et on le gère. On protège les zones riches avec des sociétés militaires privées, et on laisse les criminels raqueter les parties les plus pauvres de la société américaine. Donc on instaure des sociétés à plusieurs vitesses avec des ghettos, des zones protégées, des zones abandonnées. La politique étrangère étant une extension de la politique intérieure. 

Vous considérez que le « terrorisme » est devenu le stade suprême de la mondialisation, cette évolution dans le traitement du phénomène serait selon vous liée à la transformation du système capitaliste ?
Oui, le terrorisme rapporte et s'inscrit dans la logique de la mondialisation économique parce que la lutte contre le terrorisme génère des millions d'emplois dans les industries d'armement, de communication, etc. Le terrorisme est nécessaire à l'évolution du système capitaliste lui- même en crise, mais qui se reconfigure en permanence en gérant la crise. Cette idée de gestion sans résolution est consubstantielle au redéploiement du capital. Dans un brillant essai, La part maudite, Georges Bataille avait expliqué à l'époque en 1949 que toute reconfiguration du capital nécessite une part de gaspillage qu'il appelle la consumation et aujourd'hui on peut dire que le terrorisme est cette part de « consumation » organiquement liée à l'évolution du capitalisme mondialisé. Si Daech n'existait pas, il faudrait l'inventer. Ça permet de maintenir une croissance du budget militaire, des millions d'emplois de sous- traitance dans le complexe militaro-industriel américain, dans la communication, dans l'évolution des contractors, etc. La sécurité et son maintien est devenue un secteur économique à part entière. C'est la gestion du chaos constructif. Aujourd'hui des grandes boîtes, comme Google par exemple, supplantent l'État et les grandes entreprises en termes de moyens financiers pour l'investissement et la recherche dans le secteur militaire américain en finançant des projets de robots et de drones maritimes et aériens. Tout cela transforme le complexe militaro-industriel classique et rapporte beaucoup d'argent. Pour cette transformation le terrorisme est une absolue nécessité, Daech n'est donc pas éradiqué mais entretenu parce que cela sert l'ensemble de ces intérêts. Et là nous ne tombons pas dans la théorie du complot, c'est une réalité quand on examine l'évolution de l'économie. 

Quelles sont les conséquences de cette logique ?
C'est surtout qu'on encourage les causes et les raisons sociales de l'émergence du terrorisme. On ne dit pas suffisamment que ceux qui aujourd'hui s'engagent dans les rangs de Daech et reçoivent un salaire proviennent des lumpen prolétariat de Tripoli ou autres zones où les gens vivent dans une extrême pauvreté parce que l'évolution du capitalisme affaiblit les États, les politiques sociales, et les classes les plus défavorisées sont dans une situation de survie de plus en plus complexe. Sans réduire le phénomène à une seule cause, le mauvais développement et la déglingue économique constituent tout de même une raison importante de l'expansion de Daech. Face à cela, les États-Unis ont entretenu la situation de faillite des États de la région sahelo-saharienne et favorisé la création de micro-États mafieux. Cette logique de traitement sécuritaire montre que l'argent est devenu le facteur principal des relations internationales aujourd'hui. La raison pour laquelle l'Arabie saoudite, le Qatar sont devenus des partenaires tellement importants pour les pays occidentaux c'est parce qu'ils ont de l'argent et dans leur logique de Bédouins, les Saoudiens pensent que l'on peut tout acheter. L'argent a supplanté l'approche politique des relations internationales, c'est la donnée principale et la direction de la gestion des crises. D'où ce poids totalement démesuré de l'Arabie saoudite, du Qatar, des Émirats, du Koweït, dans la gestion des crises du Proche et Moyen-Orient. Quand on voit que les Saoudiens arrosent d'argent le Sénégal, et que ce dernier envoie 200 soldats au Yémen on sent le poids de l'argent. On voit aussi comment cette course à l'argent explique la nouvelle diplomatie française. 

C'est- à-dire ?
Du temps du général de Gaulle et de François Mitterrand, on parlait d'une politique arabe de la France, aujourd'hui on parle d'une politique sunnite de la France. La diplomatie française colle aujourd'hui aux intérêts saoudiens, parce que la France vend de l'armement, des Airbus à Riyad, aux Émirats, au Koweït... Ça représente 35 milliards de dollars lourds pour le Cac 40. C'est une diplomatie de boutiquier où la vision stratégique de l'intérêt national et de la sécurité nationale est supplantée par la course à l'argent. Les élites administratives et politiques ne parlent plus de la défense de l'intérêt national mais de la défense de leurs intérêts personnels. L'argent explique leur démission et leur trahison des élites. Dans ce contexte-là, la liberté d'expression s'est réduite à une simple alternative être ou ne pas être Charlie. S'exerce aujourd'hui une « soft » censure qui fait que dans les médias mainstream on peut difficilement faire des enquêtes ou critiquer l'Arabie saoudite ou le Qatar. La diplomatie est gérée par une école néoconservatrice française qui a substitué à la politique et l'approche internationale, une morale des droits de l'homme qui est un habillage à la course à leurs intérêts financiers. 

Lina Kennouche avec Richard Labévière, expert des questions internationales et stratégiques, écrivain et rédacteur en chef de ProcheetMoyen-Orient.ch/Observatoire géostratégique





D) Yémen : l’intervention saoudienne est un échec. La solution ne peut pas être militaire.

L’actualité internationale est ainsi faite qu’une crise politique d’ampleur peut faire la une des médias durant quelques jours, voire quelques semaines, puis disparaître ensuite presque totalement des mêmes médias alors qu’aucun des éléments l’ayant fait naître n’a été résolu. Le cas du Yémen constitue une illustration de cette observation. Il y a trois mois, le 26 mars, l’Arabie saoudite lançait une offensive aérienne, nommée "Tempête décisive", contre ce pays, avec l’aide d’une coalition d’une dizaine d’Etats, dont le but proclamé était de rétablir dans ses fonctions le président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi. Ce dernier avait en effet été chassé du pouvoir par les milices houthistes et avait trouvé refuge en Arabie saoudite. Quelle est la situation qui prévaut désormais au Yémen ? 

Un bilan humain et militaire catastrophique
Le bilan humain est catastrophique : après quatorze semaines de bombardements aériens, on dénombre plus de 2000 morts et 10.000 blessés, la plupart civils, et 80% de la population ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence dans le pays le plus pauvre du monde arabe. D’un point de vue militaire, l’agression saoudienne est un échec à peu près complet. L’objectif affiché de détruire l’armement lourd des houthistes n’a visiblement pas été atteint. Au début du mois de juin, ces derniers ont même réussi à tirer trois missiles Scud vers le nord qui ont explosé au-dessus du sol saoudien. Par ailleurs, l’intervention saoudienne devait permettre d’empêcher qu’Aden, la deuxième ville du pays, ne tombe aux mains des houthistes : en réalité, la zone portuaire a été presque entièrement détruite mais les combats se poursuivent néanmoins dans le reste de la ville et pas un seul soldat de la coalition dirigée par les Saoudiens n’y a posé un pied. La perspective d’une intervention terrestre, un temps envisagé, a vite été abandonné à cause du refus des Égyptiens et des Pakistanais d’y participer. Quant aux 2000 soldats sénégalais promis, on attend toujours leur arrivée sur le terrain... 

Concurrence entre AQPA et Daech
D’un point de vue politique enfin, la volonté saoudienne de montrer sa force et de s’imposer comme leader du monde arabe sunnite ne semble pas non plus concrétisée. On peut même considérer que malgré un contrôle efficace de leur communication par les responsables de Riyad l’échec de leur stratégie apparaît au grand jour, ce qui a pour conséquence potentielle d’affaiblir le nouveau monarque saoudien, Salman, et son fils, Mohamed Ben Salman, ministre de la Défense. Last but not least, les organisations djihadistes parviennent à s’affirmer sur le territoire yéménite. Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) a profité du chaos politique et de l’effondrement du pouvoir central pour renforcer ses positions, parvenant à contrôler le port de Moukalla et une partie du sud-est du pays. En outre, une concurrence acharnée semble se dessiner entre l’AQPA et Daech, ce dernier ayant revendiqué une série d’attentats meurtriers dans la capitale, Sanaa, le 17 juin. Cinq explosions ont simultanément eu lieu devant des mosquées fréquentées par la communauté zaïdite, branche du chiisme majoritaire chez les houthistes, et devant le domicile d’un responsable houthiste. 

Des revendications irréconciliables
Le bilan de leur intervention semble ainsi constituer un échec complet pour les dirigeants saoudiens. C’est dans ce contexte que des consultations de paix pour le Yémen ont été organisées à Genève le 16 juin. Comme il était malheureusement prévisible, elles se sont achevées trois jours plus tard sans atteindre le moindre résultat et sans qu’aucune date d’un prochain rendez-vous ait été fixée. Chaque partie portait des revendications irréconciliables. Le gouvernement, dirigé par Abd Rabbo Mansour Hadi, en exil en Arabie saoudite s’arc- boutait sur la résolution 2216 adoptée le 20 avril par le Conseil de sécurité de l’ONU, exigeant le retrait des milices houthistes des zones qu’elles ont progressivement conquises depuis septembre 2014. Quant aux houthistes, ils se refusent à reconnaître cette résolution et demandent à être traités à égalité avec le gouvernement en exil. Facteur aggravant, une récente déclaration de Abd Rabbo Mansour Hadi, expliquant que l’influence de l’Iran au Yémen était plus dangereuse que celle d’Al-Qaïda exprime de façon préoccupante les erreurs de perspective actuellement à l’œuvre parmi les alliés des Saoudiens, d’autant que le seul aéroport yéménite à ne pas avoir été bombardé est celui de Moukalla contrôlé par AQPA. La surestimation obsessionnelle du président yéménite en exil, et de ses tuteurs arabes du Golfe, de l’importance de Téhéran empêche à ce stade la perspective d’un compromis politique. Erreur d’autant plus funeste que l’Iran ne s’est en réalité pas beaucoup investi au Yémen. Les assertions répétées en boucle sur sa présence militaire au Yémen n’ont jamais été prouvées et ses relations avec les houthistes sont récentes et peu étroites. Il faut réaffirmer que ces derniers ont avant tout un agenda yéménite et ne peuvent pas sérieusement être considérés comme les supplétifs de Téhéran. 

Le fantasme de la menace iranienne
Ainsi, derrière le conflit local qui fait rage, se profile en réalité le bras de fer entre les États arabes du Golfe, emmenés par l’Arabie saoudite, et l’Iran. L’Arabie saoudite tente, par tous les moyens, de se replacer au centre du jeu régional et de s’imposer comme le leader pour s’opposer à ce qu’elle appelle "l’expansionnisme iranien". Ce processus est en cours depuis plusieurs mois déjà. On a ainsi observé la volonté de faire rentrer le Qatar dans le rang, le soutien saoudien indéfectible apporté au régime contre révolutionnaire du maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi, la forte contribution financière à la modernisation de l’armée libanaise via le règlement de l’intégralité des livraisons de matériels de guerre français ou encore le jeu des nominations politiques récentes voulues par le nouveau roi Salman au sein de l’appareil d’État saoudien. Les opérations militaires massives menées contre le Yémen s’inscrivent dans cette perspective. C’est pourquoi ladite communauté internationale doit se ressaisir et clairement déterminer ses priorités. Au niveau régional, le défi principal est bien celui incarné par les organisations djihadistes et la difficulté de les combattre efficacement. A contrario, l’Iran apparaît comme un facteur de stabilité et un allié dans la lutte contre les djihadistes. Si l’on veut être, politiquement et diplomatiquement, un tant soit peu efficace, c’est à partir de ces paramètres fondamentaux qu’il est nécessaire de se déterminer, de manière à exercer des pressions équilibrées sur toutes les parties au conflit et entamer un processus de résolution équitable de la crise.
 

Didier Billion 



E) Frappes antiterroristes

Coup sur coup, deux figures de la mouvance Al-Qaida ont été la cible des frappes de drones américains. 

Au Yémen, la mort du chef d’Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA), Nasser al Wouhaïchi, et de deux autres de ses membres, a été confirmée le 15 juin par le groupe, cinq jours après qu’une nouvelle opération de ce type ait été menée, cette fois dans la région de Moukalla, au sud-est du pays. Au Sahel, c’est Mokhtar Belmokhtar, ancien responsable d’AQMI, à la tête du groupe Al-Mourabitoune, qui était visé lors d’un raid aérien à Ajdabiya, dans l’est de la Libye, où se tenait, le 10 mai, une réunion du groupe Ansar Al-Charia, lié à la mouvance Al-Qaida, à laquelle le cerveau de l’attaque du site gazier d’In-Amenas, en Algérie, en 2013, devait participer. Le groupe libyen a confirmé, le 16 juin, que le raid aérien — des chasseurs-bombardiers F-15 Strike Eagle armés de bombes guidées et des drones d’obser- vation, selon le Pentagone — avait bien conduit à la mort de sept de ses membres, mais a démenti celle du Belmokhtar. Cette attaque était, en réalité, une troisième tentative, les deux premiers raids ayant été annulés en vol avant que les appareils américains n’entrent en Libye : la cible visée s’était déplacée. Ce qui fait dire aux spécialistes que les Etats-Unis disposent de renseignements précis. Alors que les Etats-Unis ont fait de l’usage des drones une arme privilégiée de leur «guerre contre le terrorisme» dans de nombreux pays, et notamment à plusieurs reprises au Yémen, dont 11 pour la seule année, il s’agirait d’une première pour la Libye, selon des sources françaises. Washington et ses alliés occidentaux ont toujours présenté la mort de responsables d’Al-Qaida comme un coup dur pour l’organisation et une nouvelle victoire contre le terrorisme. Or, affaiblir Al-Qaida, ou ce qu’il en reste, contribue dans le même temps à renforcer l’Etat islamique (EI), analysent les experts. La montée en puissance de l’EI, qui a su récupérer le leadership djihadiste au détriment d’Al-Qaida, non seulement monopolise l’attractivité des nouvelles recrues, y compris à l’étranger, mais étend également sa présence sur des zones traditionnellement sous influence d’Al-Qaida. Et notamment au Yémen et en Libye. Dans un des derniers numéros de sa publication en ligne, Dabiq, l’EI qualifiait Al-Qaida d’«entité en train de couler», affirmant qu’il ne «tolérer(ait) aucun autre groupe islamiste» dans les territoires où il opère. Dans le jeu de concurrence entre les deux groupes, qui bénéficie à l’EI, la neutralisation par les Etats-Unis de responsables stratégiques et opérationnels d’Al-Qaida, ennemis de l’EI, est une aubaine pour l’organisation d’Al-Baghadi. Alors que la stratégie menée par la coalition menée par les Etats-Unis en Irak et en Syrie contre elle montre ses limites, les militaires des pays occidentaux qui en font partie restent convaincus que l’EI sera vaincu militairement. Preuve de ce volontarisme positif : leurs services de renseignement n’ont pas préparé de scénario faisant l’hypothèse d’une victoire de l’EI...
  



 F) Quelle stratégie face à Daech ?

Retour 70 ans en arrière. En 1945, les démocraties occidentales venaient à bout du péril nazi au bout de six ans de guerre et d’une succession d’erreurs qui avaient laissé Hitler étendre son emprise sur l’Europe depuis son arrivée au pouvoir en 1933 et les scandaleux accords de Munich qui lui avaient abandonné la Tchécoslovaquie en lui ouvrant la voie de toute l’Europe orientale. Et, comme chacun sait, ces mêmes démocraties occidentales n’auraient certainement pas gagné la guerre sans une alliance conclue avec l’Union soviétique de Staline après la rupture du pacte germano-soviétique, autre erreur dont celui-ci n’avait pas perçu la menace lorsqu’il l’avait conclu. Cette alliance de raison et de convergence d’intérêts s’est donc imposée avec Staline malgré ce précédent et nonobstant le fait que son régime ait eu à son passif un nombre de morts et de déportés largement susceptible de rivaliser avec les nazis. Toutefois, une différence de taille pouvait distinguer les régimes nazi et stalinien aux yeux des occidentaux : contrairement au premier, le second ne menaçait pas directement la sécurité de l’Occident au-delà de sa zone d’influence. Justement, l’obtention de cette zone d’influence en cas de victoire fut la condition posée par Staline pour prêter main forte aux alliés. Et, comme chacun sait, ceux-ci y ont souscrit lors du partage du monde acté à Yalta. 


Face à la capacité d’extension de l’organisation de l’État islamique (Daech), peut-on ignorer les rapports de force sur le terrain ?
Aujourd’hui, en 2015, la situation dans le monde arabo-musulman avec l’émergence de Daech et l’extension inquiétante de la zone tombée sous sa domination en Irak et en Syrie, d’une part, et en Libye, d’autre part, ainsi que sa capacité à susciter des ralliements ailleurs comme avec Boko Haram au Nigéria, pose aux puissances occidentales et aux États arabes ou musulmans hostiles à Daech une question quasi-similaire : une victoire est-elle possible sans une large alliance et sans la fin des guerres fratricides entre arabes et musulmans sunnites et chiites hostiles au groupe djihadiste, nonobstant les nombreuses erreurs commises par les uns et les autres et le prix à payer pour acter les ralliements à une telle alliance ? Alors que Daech gagne du terrain partout, la réponse est sans doute négative. D’ailleurs, l’existence simultanée de plusieurs zones de conflit dominées par Daech vient rappeler que, contrairement à l’Allemagne hitlérienne, l’organisation de l’État islamique tire une part de sa force du fait que son idéologie ne prenne pas ses racines dans un territoire identifié à une nation appelée à dominer le monde, mais bien dans une idéologie transnationale susceptible de susciter des ralliements de partout, où le djihadisme sunnite peut avoir prise. En face, les composantes d’une éventuelle coalition anti-Daech ne peuvent être que ceux qui le combattent déjà dans les zones disputées ou qui auraient la capacité et l’intention de le faire. Autrement dit, au Proche- Orient, l’Iran et ses alliés essentiellement chiites, parmi lesquels figurent, outre l’Irak, le régime de Bachar el-Assad en Syrie, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien, bien qu’inscrit dans la mouvance islamiste sunnite des Frères musulmans, et les nouveaux maîtres du Yémen, les Houtis chiites alliés à l’ancien dictateur sunnite déchu Ali Abdallah Saleh, que l’Arabie saoudite et ses alliés sunnites essaient de déloger du pouvoir. En Libye, Daech a face à lui une multitude de factions obéissant le plus souvent à des regroupements tribaux, comprenant à la fois des nostalgiques du régime de Kadhafi et d’autres l’ayant fait tomber, parmi lesquels figurent des groupes islamistes de diverses obédiences allant de factions proches des Tunisiens d’Ennahdha à des salafistes a priori non-djihadistes, avec deux gouvernements rivaux incapables de s’entendre. Dans les deux cas, l’impossible unification des forces anti-Daech est aussi urgente qu’indispensable. 

Au Proche-Orient, l’Iran chiite allié incontournable faute de puissance sunnite ?
Pour ce qui est du conflit en Irak et en Syrie d’abord, la question posée est donc bien celle de l’inclusion dans une telle alliance de la seule vraie puissance militaire du Proche-Orient, en dehors d’Israël, à savoir l’Iran chiite et ses alliés, malgré ce qu’est le régime des Mollah et les crimes imputables à celui d’Assad, quitte à envisager d’en juger ses responsables ultérieurement. Force est de constater que le recul d’Assad sur le terrain n’a quasiment bénéficié qu’à l’organisation de l’État islamique ou à des factions comme le Front al-Nosra, lié à Al-Qaïda, qui ne sera donc jamais un allié fiable, malgré le soutien qui lui serait apporté par l’Arabie saoudite ou le Qatar qui, une fois encore, joueraient avec le feu sans être rappelés à l’ordre par leurs soutiens occidentaux. Des Occidentaux qui continuent de jouer la carte saoudienne dans le conflit yéménite contre les Houtis soutenus par l’Iran, en tentant peut-être un nouveau pari hasardeux consistant à introniser l’Arabie saoudite comme chef de file du camp sunnite, notamment grâce à l’aval du nouvel homme fort de l’Égypte, le Général Sissi, parvenu au pouvoir en évinçant les Frères musulmans avec l’appui des Saoudiens et de leur parti-relai salafiste Al-Nour. Mais un tel pari pourrait être rapidement voué à l’échec en raison de l’incapacité prévisible de l’armée saoudienne et de ses alliés d’engager une intervention au sol face aux Houtis au-delà des bombardements aériens actuels, une réticence trahissant peut être un réel aveu de faiblesse de cette coalition et, a fortiori, son incapacité à mener une guerre plus large face à Daech ? Est-ce à dire qu’il n’y aurait pas aujourd’hui de puissance militaire sunnite de taille au Proche-Orient depuis la chute du régime de Saddam Hussein, en dehors peut-être de la Turquie, mais dont le jeu trouble du gouvernement envers Daech ne permet pas d’envisager d’y voir un allié sûr, d’autant plus que les islamistes y ont gagné les récentes élections et pourrait gouverner avec l’extrême-droite ? En effet, il n’y a guère de doutes sur ce dernier point, vu la suspicion manifestée par le gouvernement turc à l’égard du soutien des Occidentaux aux Kurdes combattant l’organisation djihadiste et sa volonté de favoriser la chute du régime d’Assad à n’importe quel prix. Quant aux Saoudiens, ils n’ont pas été en mesure de rallier à leur cause les deux puissances militaires sunnites que sont le Pakistan, dont le Parlement a refusé d’engager son armée au sein de la coalition anti-Houtis, et l’Égypte qui, malgré la puissance militaire qui lui est reconnue et la proximité du Général Sissi avec l’Arabie saoudite, n’apparaît aucunement prête à s’engager dans une guerre dans la péninsule arabique ou au Proche-Orient, dans le cas où elle aurait à se prémunir d’une éventuelle extension du conflit libyen à son territoire. Enfin, ce constat en appelle un autre : l’Iran chiite est aujourd’hui la seule puissance militaire digne de ce nom du Proche-Orient susceptible de tenir tête, avec ses alliés, à Daech. Ceci d’autant plus que, quel que soit le dessein de l’Iran, les chiites apparaissent aujourd’hui comme des alliés sûrs face aux djihadistes, même si la marginalisation des sunnites en Irak après la chute de Saddam Hussein et en Syrie par la dynastie Assad, représente l’erreur majeure des régimes alliés de l’Iran que celui-ci n’a pas cherché à stopper, et dont Daech a su tirer bénéfice en ralliant à lui nombre d’anciens officiers bâasistes sunnites victimes de l’épuration et autant de stratèges militaires, ainsi que des tribus ou des citoyens sunnites s’estimant lésés par le nouveau pouvoir chiite. A ce jour, le gouvernement irakien tente de rattraper l’erreur continue de ses prédécesseurs et de rallier les tribus sunnites dans sa lutte contre Daech, indépendamment de l’hypothèse d’une inclusion ou non de l’Iran dans une éventuelle coalition. 

Un Yalta proche-oriental en contrepartie du soutien de l’Iran ?
La première erreur à réparer par l’Iran et ses alliés chiites serait donc évidemment de faire cesser la marginalisation des sunnites, et de leur donner des gages solides pour l’avenir à ce propos, afin que ce conflit ne continue pas de dégénérer en une guerre entre chiites et sunnites au lieu d’opposer Daech à ses adversaires, aussi divers soient-ils. Mais dans l’hypothèse où la mise à l’écart de l’Iran cesserait en vue de son inclusion dans une large alliance anti-Daech, comme pourrait peut-être le laisser supposer le récent assouplissement de l’attitude des États- Unis sur le dossier du nucléaire iranien, quelles seraient les conditions de l’Iran à ce ralliement ? Sans doute la reconnaissance d’une zone d’influence sur la sphère chiite incluant l’Irak, vu comme l’extension arabe de la sphère iranienne, la Syrie, en fonction de ce que les alaouites et leurs alliés parviendraient à garder, un partage du pouvoir favorable au Hezbollah au Liban et aux Houtis au Yémen, avec le Hamas palestinien qui, tout en étant d’obédience islamiste sunnite, reste pour l’Iran un moyen de pression sur Israël et combat à Gaza les groupes liés à Al-Qaïda ou à Daech. Mais l’hypothèse d’une inclusion de l’Iran dans une coalition contre le groupe djihadiste, même si elle venait à s’imposer en raison de son caractère incontournable, serait évidemment très mal vue par l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et Israël, notamment. A charge pour les Occidentaux d’obtenir des gages de l’allié potentiel iranien en faveur de ces États opposés à une telle alliance, afin de faire taire leurs réticences face à l’objectif majeur de combattre Daech. Une sorte de Yalta proche-oriental pourrait alors s’imposer en assurant à chacun de trouver la garantie de sa propre sécurité et de sa zone d’influence strictement limitée par rapport à celles de ses voisins. L’Iran ne pourrait donc obtenir à la fois sa zone d’influence sur la sphère chiite, tout en continuant d’être vu comme une menace par les États sunnites voisins ou par Israël. Cela supposerait donc d’abord un accord global sauvegardant les intérêts mutuels des chiites et des sunnites à travers une règle de partage du pouvoir empêchant la marginalisation des uns ou des autres, ainsi que des minorités. Concernant Israël, des solutions seraient à trouver sur le nucléaire iranien et la question palestinienne, pour lesquelles une double influence américaine et iranienne pourrait être susceptible de faire évoluer les positions d’Israël et du Hamas, tout en confortant celle du Fatah, affaibli par l’enlisement des négociations avec Israël. 

En Libye, première urgence : éviter l’extension du conflit et contenir l’influence de Daech ?
L’évolution de la situation de la Syrie et de l’Irak pourrait laisser craindre le pire pour la Libye, qui est peut-être déjà atteint, mais aussi pour le reste de l’Afrique du Nord si le conflit venait à s’étendre aux États voisins, même si la Libye reste entourée des trois puissances militaires régionales majeures que sont l’Algérie à l’ouest, l’Égypte à l’est et le Tchad au sud. Les voisins les plus vulnérables seraient alors certainement la nouvelle démocratie qu’est la Tunisie à l’ouest, dont les faibles moyens militaires posent la question de sa capacité à se défendre en cas de pénétration massive du groupe djihadiste sur son territoire, ainsi que le Niger au sud, qui fait face au même problème. Dans ces conditions, l’Algérie, l’Égypte et le Tchad ont un rôle majeur à jouer en vue d’éviter toute extension du conflit, sachant que leur propre sécurité serait directement menacée dans le cas où Daech déciderait de se constituer des bases-arrières sur les territoires des maillons-faibles que sont, militairement parlant, la Tunisie et le Niger. Des tentatives en ce sens ont déjà été observées à travers les attentats perpétrés dans certaines zones de ces pays, qui pourraient être destinés à ouvrir la voie à des opérations de plus grande envergure, à terme, profitant de l’extrême difficulté de contrôler un territoire désertique. Il est toutefois vrai qu’à ce jour l’organisation de l’État islamique a déjà fort à faire pour défendre ses positions en Libye avant de penser à s’attaquer à d’autres territoires, à moins de pouvoir compter sur le ralliement de groupes locaux comme Boko Haram. Mais, si Daech venait à prendre le dessus en Libye, rien ne l’empêcherait plus de ne pas passer à l’étape suivante, en donnant le signal du réveil de cellules dormantes sur d’autres territoires et en envisageant d’attaquer ceux-ci s’ils sont trop faiblement défendus. Dans ces conditions, face à une éventuelle attaque de Daech contre les deux États frontaliers de la Libye les plus vulnérables que sont la Tunisie et le Niger, un ferme engagement des trois puissances régionales à ne pas rester inertes serait indispensable, sachant que leur propre sécurité serait en jeu à court terme. L’organisation djihadiste pourrait ainsi d’autant plus difficilement envisager de passer à l’action contre les États voisins face à la perspective de se trouver pris en tenaille entre les armées algérienne à l’ouest, égyptienne à l’est et tchadienne au sud et accuser ainsi de lourdes pertes sans pouvoir progresser sur le terrain. Evidemment, cette stratégie d’encerclement géographique de Daech en vue d’éviter tout débordement du conflit au-delà de la Libye, devrait aussi impliquer, dans la mesure du possible, son isolement en termes de ravitaillement supplémentaire en armes, en pétrole et en vivres, par terre, mer et air, tout en sachant qu’il dispose déjà de réserves considérables sur le territoire libyen lui- même. Quant aux puissances occidentales, si leur soutien aux États de la région et aux factions armées combattants les djihadistes peut être déterminant, peu d’entre eux envisagent sérieusement une intervention directe, autant en raison du risque d’enlisement sur le terrain que face à celui de voir une telle action perçue par certains comme une ingérence étrangère et une tentative d’invasion, en favorisant le ralliement de certaines tribus et factions armées à Daech, aux antipodes de l’objectif poursuivi 

L’hypothétique alliance libyenne anti-Daech, même assortie de garanties de partage du pouvoir ?
Evoquer une solution politique et une alliance anti-Daech en Libye suppose de tenir compte, à la fois, des rivalités tribales et politiques qui traversent ce pays et qui l’ont mené au chaos depuis la chute de Kadhafi. La difficulté de constituer une telle alliance a encore été confirmée avec le récent échec des négociations sous l’égide de l’ONU, s’il venait à perdurer, en vue du rapprochement des deux gouvernements que connaît actuellement la Libye : celui de Tobrouk, ville située à l’extrême est du pays, le seul reconnu par la communauté internationale et composé de non-islamistes et d’ancien soutiens du régime déchu de Kadhafi, et celui de Tripoli, la capitale à proximité de la frontière tunisienne, composé d’une coalition de milices se réclamant de la Révolution de 2011 combattant aujourd’hui Daech, mais dominé par les factions islamistes, dont celles proches des Frères musulmans et des Tunisiens d’Ennahdha, mais aussi des salafistes. Or, aujourd’hui, dans le contexte libyen, tout rapprochement de ce genre sera conditionné par des garanties à apporter aux différentes factions armées et groupes tribaux en vue d’éviter la marginalisation des uns ou des autres en cas de reconquête du pouvoir, sur l’ensemble du territoire ou une partie de celui-ci, voire dans l’hypothèse d’une partition en différentes entités correspondant aux territoires tribaux qu’on ne peut écarter. Mais concernant les interlocuteurs actuels que sont les gouvernements de Tobrouk et de Tripoli, la question de la représentativité réelle des différents groupes les composant se pose également, afin de pouvoir évaluer leur véritable poids dans une négociation de ce type et leur capacité d’influence sur les groupes tribaux qu’ils sont censés représenter. Des garanties de non-marginalisation à l’égard de l’ensemble des factions en présence impliqueraient ainsi, non seulement le partage du pouvoir politique, mais sans doute aussi un accès équitable entre les territoires au produit de la rente pétrolière inégalement répartie sur l’ensemble du pays. Une solution de ce type apparaît en tout cas comme l’autre urgence majeure de la situation. 

 Sélim Ben Abdesselem*
*ancien député à l’Assemblée nationale constituante de la République tunisienne



G)  Aden-Beyrouth, deux villes façonnées par la violence

Franck Mermier, anthropologue et directeur de recherche au CNRS, s’intéresse de longue date au fait urbain dans le monde arabe et à son articulation avec les traditions et cultures. Spécialiste des stratifications sociales dans la vieille ville de Sanaa ainsi que du milieu de l’édition libanaise, il publie Récits de villes : d’Aden à Beyrouth. Son approche comparative mêle histoire, géographie, politique, sociologie et anthropologie. Dans un Proche-Orient explosif, s’intéresser ainsi au Yémen et au Liban n’est pas anodin. L’ouvrage érudit de Franck Mermier, publié chez Actes Sud, n’est pas seulement un portrait croisé d’Aden et de Beyrouth ou une réflexion sur les « citadinités arabes ». Il dévoile en filigrane le parcours de recherche de Franck Mermier et porte une dimension biographique claire qui donne tout son sens au mot « récits présent dans le titre. C’est aussi ce qui le rend passionnant. L’introduction est à cet égard un modèle d’introspection et de réflexivité, tant elle donne à voir un retour sur quarante années d’interactions avec le terrain. Le choix de s’intéresser à ces deux villes du monde arabe, si différentes, est marqué par une dimension affective évidente. L’auteur aime profondément Aden et Beyrouth, toutes deux disputées, « déglinguées », parfois anarchiques et dont le caractère urbain est lui-même discuté. Aden et Beyrouth se sont développées récemment, notamment sous l’effet de la colonisation (britannique d’un côté et française de l’autre), et ont connu une croissance rapide fondée sur une population cosmopolite. Plus que tout, elles ont à plusieurs reprises payé le prix du sang. Songeons aux images du centre ville de Beyrouth éventré par la guerre civile (1975-1990) ou à la violence extrême, moins connue certes, qui frappa Aden en 1986 ; en une semaine, les rivalités au sein du parti socialiste firent officiellement 4330 morts, sans doute deux fois plus en réalité. 

Violences et bastions de quartiers
La guerre constitue, à travers l’ouvrage, l’un des termes principaux de la comparaison et, dans l’un comme l’autre cas d’étude, possède une actualité évidente. Aden est confrontée depuis fin mars 2015 à une offensive menée par les miliciens houthistes alliés aux forces de l’ancien président Ali Abdallah Saleh déchu en 2011. Le terrible coût humain et les destructions au cœur de la ville (générées également par les bombardements saoudiens des positions houthistes dans Aden) mettent à mal la culture urbaine décrite par Mermier. À Beyrouth, si la violence reste encore contenue, la ville est elle-même mise à l’épreuve, du fait de l’afflux massif de réfugiés syriens et de la polarisation confessionnelle à l’œuvre. Dans ce contexte, Récits de villes possède une pertinence manifeste. Les plus pessimistes verront peut-être dans ce livre la description d’un monde et de cultures qui sont en train de s’écrouler, laissant la place au chaos et à la barbarie, islamiste ou ultra-libérale. En s’appuyant autant sur de longues enquêtes de terrain que sur une impressionnante bibliographie en arabe et en langues européennes, Franck Mermier s’interroge sur la construction des quartiers, dans leur dimension ethno-confessionnelle à Beyrouth, et tribalo-régionale à Aden. Sa thèse stipule que ces dimensions ont été pour une large part le fruit de l’immixtion de la politique, notamment partisane, dans la ville. Les frontières entre quartiers se sont en effet ancrées au cours des phases d’affrontement et marquent dès lors le paysage. La dispute des territoires et des espaces façonne la citadinité en même temps qu’elle met en danger l’urbanité même de deux villes, autrefois caractérisées par leur cosmopolitisme. Les fractures politiques et communautaires saturent ainsi l’espace public. Mermier écrit : « Scène de règlement de compte politique mais aussi lieu d’affirmation des foyers d’identification rivaux, la ville est ainsi remodelée en permanence par la violence et les dissensions. » (p. 143) L’auteur revient longuement sur la « bataille du ciel » que se livraient au cours de la décennie 2000 la mosquée Mohammad Al-Amin et la cathédrale Saint Georges à Beyrouth : minaret contre clocher, lequel serait le plus haut ? L’enjeu n’était pas seulement interconfessionnel mais également intracommunautaire, signalant les luttes de leadership au sein de chaque groupe constitué. Cette politisation de l’espace selon des lignes communautaires ne doit pas faire oublier combien les logiques sociales sont également à l’œuvre. La relégation dans les quartiers périphériques des populations pauvres ou étrangères se double à Beyrouth d’une reconfiguration verticale, avec la construction de grandes tours investies par les catégories les plus aisées. La démonstration est particulièrement convaincante. Récits de villes laisse notamment entrevoir combien Beyrouth a donné lieu à de nombreuses réflexions de la part des urbanistes, géographes, sociologues et autres historiens. La capitale libanaise a été abordée à travers une impressionnante variété de problématiques. Franck Mermier récapitule habilement les enjeux scientifiques induits et les confronte aux dynamiques les plus récentes. L’ouvrage exige dès lors certaines connaissances préalables. À cet égard, en complément des photographies présentes à travers l’ouvrage, quelques cartes auraient sans doute été utiles. 

Aden, coloniale puis révolutionnaire
Si Beyrouth est l’objet d’une foisonnante littérature scientifique tant en arabe qu’en langues européennes, il en va tout autrement d’Aden. Cette ville qui a fait fantasmer tant de générations à travers Arthur Rimbaud, Paul Nizan et quelques capitaines et officiers anglais restait à bien des égards sous-étudiée. Certes, à compter de 1839, la colonisation britannique avait produit un certain savoir anthropologique et historique sur une ville qu’elle avait quasiment créée de toutes pièces. De ce fait, les mémoires de commerçants, soldats et diplomates étrangers abondaient. Mais une fois l’indépendance acquise en 1967, les universitaires britanniques ont manifestement cessé de s’intéresser au pays et à la ville. Les Soviétiques, grands alliés du régime sud-yéménite dans les années 1970 et 1980, prirent le relais mais rêvaient sans doute trop le Yémen pour produire une connaissance fine des enjeux sociaux — religieux et tribaux notamment. Ils contribuaient néanmoins, avec d’autres « camarades plus ou moins désenchantés, tel l’Irlandais Fred Halliday, le Libanais Fawwaz Traboulsi ou la Française Helen Lackner, à une exploration fine des mobilisations politiques « anti-impérialistes ». Les sources yéménites restaient quant à elles pour une large part parcellaires et, il faut le reconnaitre, peu marquées par les problématiques et méthodes contemporaines des sciences sociales. Ali Nasser Mohamed, ancien président du Yémen du Sud socialiste (en 1978 puis entre 1980 et 1986), s’était ainsi lancé au milieu des années 2000 dans la publication d’un volumineux ouvrage iconographique d’Aden qui faisait la part belle aux photos prises de lui lors de visites de leaders tiers-mondistes. La société telle qu’elle est en était pour une large part absente. Face à ces diverses lacunes, l’apport de l’ouvrage de Franck Mermier sur Aden est incontestable. Il a pu s’appuyer sur quelques monographies, biographies mais surtout sur les souvenirs d’érudits et d’intellectuels adénites, d’anciens militants « progressistes ou encore d’acteurs politiques réfugiés à Londres mais aussi... à Beyrouth ! Il illustre combien Aden, en l’espace de moins de deux siècles, a été bousculée et marquée par les luttes politiques. Après le départ des Anglais en novembre 1967, tout ce que la planète comptait de leaders et militants « gauchistes » ont trouvé dans la capitale du Yémen du Sud un lieu de convergence autant qu’une base logistique. Militants radicaux tels le Vénézuélien Carlos, le Palestinien Georges Habache et l’Allemand Hans-Joachim Klein se retrouvaient ainsi au Sailor’s Club autour d’une Sira, bière brassée localement, pour refaire le monde. La résistance palestinienne, la guérilla dans le Dhofar voisin en Oman ou en Érythrée façonnaient alors l’image d’Aden et son développement. 

« Citadinités arabes »
Le récit livré par Franck Mermier signale finalement combien la place de cette ville en tant que « carrefour de la révolution internationale lui a assuré autant de prestige qu’elle a ancré sa déconnexion avec son hinterland et le reste du Yémen. Cette disjonction continue à se faire sentir et à peser sur l’avenir de la ville comme du Yémen dans son ensemble. Elle s’incarne dans les enjeux identitaires qui structurent le mouvement sécessionniste sudiste si populaire aujourd’hui. Si les Adénites mettent volontiers en avant la spécificité de leur destin, regardant souvent avec dédain la population du nord, cette dernière le leur rend bien. La vendetta tribalo-islamiste en 1994 consécutive à une première défaite des sécessionnistes sudistes ainsi que l’offensive menée par les miliciens houthistes (originaires des régions septentrionales) depuis mars 2015 illustrent pleinement cette dimension des relations d’Aden avec le reste du Yémen. Enfin, ces deux récits de villes donnent lieu à une réflexion sur les « citadinités arabes », confrontées à des problématiques universelles autant qu’à certaines spécificités historiques. Derrière les débats sur les cultures et usages urbains dans le monde arabe apparaît la vieille question de l’orientalisme et de l’essentialisation des sociétés de cette région du monde. L’auteur offre à cet égard dans ses chapitres conclusifs un impressionnant (mais ardu !) « état de l’art » qui vient réintégrer pleinement les réflexions menées à propos d’Aden et de Beyrouth dans des enjeux communs, partagés, au-delà des questions de violence spécifiques, par ce qu’il convient peut-être d’appeler l’ensemble du genre urbain.



H) Décapitation et islamisation

La décapitation d’un citoyen français sur le sol français pour des raisons religieuses est un événement extraordinaire. Les guerres de religion au XVIe siècle entre catholiques et protestants ont offert ce genre de spectacle. Mais la révolution entre 1792 et 1794 si elle pouvait avoir des raisonances anticléricales montrait surtout un dur conflit entre classes sociales. Et depuis, hormis dans la rubrique des faits divers, jamais, sauf erreur, une chose pareille ne s’est produite.

Donc il faut reconnaître que nous sombrons doucement mais surement. Les reportages émasculés concernant l’entourage du bourreau persistent toujours dans la même veine. Des voisins et des membres de la famille s’étonnent que l’assassin soit cette personne si gentille et serviable aimant tant ses enfants! L’idée d’un égarement voire d’une erreur judiciaire tente d’être insinuée dans les esprits. Mais ces gens démontrent surtout, à leur dépens, que n’importe lequel d’entre eux est un terroriste en puissance. Avec cette façon dont ils font bloc derrière leur alter ego, le tueur, c’est tout un milieu qui cherche avec ses mots à faire douter le reste de la population et à banaliser l’horreur car il est sur la voie de la compréhension et de l’identification. Bien sûr, toujours les mêmes personnalités bien payées pour le job, vont sincèrement ou cyniquement ensuite se répandre sur les plateaux de télévision pour exprimer ce qu’est l’islam en vrai d’après eux et ils seront relayés par la troupe des bien pensants, rampante et servile, prête à adorer n’importe quelle idole du moment qu’elle en profite.

Pendant ce temps médiatique, incontournable et systématiquement identique au précédent,  le chef de l’état et le gouvernement refont le coup de l’appel à l’unité nationale. C’est du réchauffé, certes, mais ça a si bien marché en janvier! « Aimez vous les uns les autres », « embrassons nous Folleville! », et le planétaire « Je suis Charlie » sont rappelés à la rescousse d’un état qui se décompose et dans lequel l’ethnicisation avance à toute vitesse. Si les frontières de la France sont des passoires, d’autres frontières s’instaurent à l’intérieur du pays entre deux territoires et sont de plus en plus étanches. De là partent des banderilles décidées de l’étranger et tirées par des individus qui permettent de faire avancer l’idéologie religieuse qui les anime. Pendant que notre sol est attaqué de l’intérieur, pendant que des imprécations toujours plus violentes sont lancées contre des français et alors qu’elles sont suivies d’effets,  les dirigeants dépassés s’aplatissent proposant subsides, école à la carte, logements et réglementations spécifiques pour ne surtout pas heurter nos envahisseurs.

Français, faites-vous décapiter dans le calme et la tolérance! C’est le programme des années à venir.

Par  

 

I) Jacques Julliard : « Qu'est-ce que l'islamo-gauchisme ? »

La gauche se divise sur le Burkini. L'historien Jacques Julliard dans ses carnets du Figaro avait livré une puissante réflexion sur l'islam et la gauche. Elle peut être éclairante dans le débat actuel.

Il y a un problème de l'islamo-gauchisme. Pourquoi et comment une poignée d'intellectuels d'extrême gauche, peu nombreux mais très influents dans les médias et dans la mouvance des droits de l'homme, ont-ils imposé une véritable sanctuarisation de l'islam dans l'espace politique français? Oui, pourquoi ces intellectuels, pour la plupart agnostiques et libertaires, se sont-ils brusquement pris de passion pour la religion la plus fermée, la plus identitaire, et, dans sa version islamiste, la plus guerrière et la plus violente à la surface du globe? Pourquoi cette étrange intimidation, parée des plumes de la morale? Pourquoi ne peut-on plus parler de l'islam qu'en présence de son avocat?

Le résultat est stupéfiant, aberrant. On vient en effet d'assister, en l'espace de deux ou trois ans, à la plus incroyable inversion de presque tous les signes distinctifs de la gauche, ceux dans lesquels traditionnellement elle se reconnaît et on la reconnaît.

Au premier rang d'entre eux, la laïcité. Longtemps, elle fut pour elle le marqueur par excellence pour s'opposer à la droite.


Or voici que brusquement, elle est devenue suspecte à une partie de l'extrême gauche intellectuelle, qui a repris sans vergogne à son compte les errances de Nicolas Sarkozy sur la prétendue «laïcité ouverte». Car la laïcité de papa, dès lors qu'elle s'applique à l'islam, et non plus au seul catholicisme, apparaît soudain intolérante, voire réactionnaire. Pis que cela, elle charrierait avec elle de vagues relents de revanche catholique! Depuis que l'Église s'y est ralliée, elle serait devenue infréquentable!

Or la République à son tour est devenue suspecte. N'a-t-elle pas une connotation presque identitaire, «souchienne» disent les plus exaltés, pour ne pas dire raciste? N'est-elle pas le dernier rempart de l'universalisme occidental contre l'affirmation bruyante de toutes les minorités? N'est-elle pas fondée sur ce qui rapproche les hommes plutôt que sur ce qui les distingue? Un crime majeur aux yeux des communautaristes.

Il ne reste plus qu'à faire entrer le dernier suspect: c'est le peuple lui-même! N'est-ce pas Frédéric Lordon, un des porte-parole des Nuits debout (2 000 participants) qui attribue à son mouvement le mérite d'avoir «lavé» la place de la République de ses passions tristes, la commémoration officielle, la panique (un million de personnes)? Tout est dit, tout est enfin avoué.La récusation du peuple par les bobos, qu'ils soient modérés, façon Terra Nova, ou extrémistes, façon islamo-gauchiste, est un fait politique de grande importance, propre à transformer, selon le mot lumineux de Léon Blum, un parti de classe en parti de déclassés.
Il y a quelque chose d'insolite dans le néocléricalisme musulman qui s'est emparé d'une frange de l'intelligentsia. Parce que l'islam est le parti des pauvres, comme ils le prétendent? Je ne crois pas un instant à ce changement de prolétariat. Du reste, allez donc voir en Arabie saoudite si l'islam est la religion des pauvres. Je constate plutôt que l'islamo-gauchisme est né du jour où l'islamisme est devenu le vecteur du terrorisme aveugle et de l'égorgement.

Pourquoi cette conversion? Parce que l'intelligentsia est devenue, depuis le début du XXe siècle, le vrai parti de la violence. Si elle préfère la Révolution à la réforme, ce n'est pas en dépit mais à cause de la violence. Sartre déplorait que la Révolution française n'ait pas assez guillotiné. Et si je devais établir la liste des intellectuels français qui ont adhéré au XXe siècle, les uns à la violence fasciste, les autres à la violence communiste, cette page n'y suffirait pas. Je préfère citer les noms des quelques-uns qui ont toujours témoigné pour la démocratie et sauvé l'honneur de la profession: Camus, Mauriac, Aron. Il doit y en avoir quelques autres. Je laisse le soin aux psychologues et aux psychanalystes de rechercher, dans je ne sais quel réflexe de compensation, une explication de cette attirance des hommes de plume et de parole pour le sang, en un mot de leur préférence pour la violence.

L'autre explication, je l'ai déjà suggéré, c'est ce qu'il faut bien appeler la haine du christianisme. Il est singulier de voir ces âmes sensibles s'angoisser des progrès de la prétendue «islamophobie», qui n'a jamais fait un mort, hormis les guerres que se font les musulmans entre eux, quand les persécutions dont sont victimes par milliers les chrétiens à travers le monde ne leur arrachent pas un soupir. Singulier que le geste prophétique du pape François, ramenant symboliquement de Lesbos trois familles de migrants musulmans, ne leur ait pas tiré un seul applaudissement. Ils ont abandonné la laïcité, mais ils ont conservé l'anticléricalisme. Pis, l'antichristianisme.

Quant à moi, qui continue de croire plus que jamais à la République, au peuple, à la laïcité, au Sermon sur la montagne, je ne laisserai jamais dire que cette gauche-là représente la gauche.

Historien des gauches, éditorialiste à Marianne, Jacques Julliard est l'une des grandes figures de la vie intellectuelle en France.



 
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