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octobre 25, 2014

Sur la page pour une démocratie libérale 17/21 (loi des + et droits des -)

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


Loi de la majorité et droits de la minorité


À première vue, les principes de 'loi de la majorité' et de 'protection des droits des individus et de la minorité' peuvent sembler contradictoires. En fait, ce sont les deux piliers sur lesquels repose le mode de gouvernement démocratique.
La loi de la majorité est un moyen d'organiser la vie publique et de faire les choix qu'elle suppose ; ce n'est en rien une forme d'oppression. Aucun groupe autoproclamé n'a le droit d'opprimer les autres et aucune majorité, même dans une démocratie, n'est fondée à supprimer les libertés et les droits fondamentaux de la minorité ou des individus.

Qu'elles reposent sur des questions ethniques, religieuses ou géographiques, ou qu'elles résultent d'inégalités de revenu, ou qu'elles viennent seulement d'une défaite à des élections ou dans un débat d'idées et de programmes politiques, les minorités jouissent des droits de l'homme fondamentaux garantis par la loi, dont aucun gouvernement, aucune majorité, élue ou non, ne saurait les priver.

Les minorités doivent avoir la certitude que les pouvoirs publics protégeront, quoi qu'il arrive, leurs droits et leur identité. Lorsqu'elles ont cette confiance fondamentale, elles se sentent libres de participer aux institutions démocratiques de leur pays et d'apporter leur contribution.

Les droits de l'homme fondamentaux que tout gouvernement démocratique doit protéger sont notamment la liberté de parole et d'expression, la liberté de religion et de croyance, le respect de l'État de droit, c'est-à-dire l'application de la loi selon les procédures prévues, une égale protection de tous par la loi et la liberté de chacun de s'organiser, de s'exprimer, d'avoir une opinion différente et de participer pleinement à la vie publique de la société.

Les démocraties savent que la protection du droit des minorités à conserver leur identité culturelle et leurs pratiques sociales et à jouir de la liberté de conscience et de pratique religieuse est un de leurs premiers devoirs.

L'acceptation et le respect de groupes ethniques et culturels pouvant sembler étranges voire étrangers à la majorité constituent l'une des plus grandes difficultés auxquelles est confronté tout gouvernement démocratique. Mais les démocraties savent que la diversité d'une population peut constituer un formidable atout. Elles considèrent donc ces différences d'identité, de culture et de valeurs comme un défi susceptible de les renforcer et de les enrichir et non comme une menace.

Il y a de multiples façons de résoudre le problème posé par les différences d'opinions et de valeurs des minorités, mais une chose est sûre : seuls le principe démocratique de tolérance, la pratique du débat et l'acceptation de compromis peuvent permettre aux sociétés de forger des ententes reposant sur les deux piliers que sont la loi de la majorité et les droits de la minorité.


Tolérance

De Wikiberal
 
La tolérance, du latin tolerare (soutenir, supporter), définit le degré d'acceptation face à un élément contraire à une règle morale, civile ou physique. Plus généralement, elle définit la capacité d'un individu à accepter une chose avec laquelle il n'est pas en accord. Et par extension, l'attitude d'un individu face à ce qui est différent de ses valeurs.
La notion de tolérance s'applique à de nombreux domaines :
  • la tolérance sociale : attitude d'une personne ou d'un groupe social devant ce qui est différent de ses valeurs morales ou ses normes,
  • la tolérance civile : écart entre les lois et leurs applications et l'impunité,
  • la tolérance selon Locke : « cesser de combattre ce qu'on ne peut changer »,
  • la tolérance religieuse : attitude devant des confessions de foi différentes. 

La tolérance comme moyen libéral dans la recherche de la vérité

Cette attitude a constitué l'apport libéral en vue de résoudre les crises issues des guerres de religion. Plusieurs auteurs, de Grotius à Pierre Bayle, ont développé la thèse suivant laquelle des individus de confessions différentes pouvaient coexister sans heurts tout en conservant leur foi propre. A noter que cette thèse était généralement admise en Orient depuis fort longtemps : ainsi l'édit n° XII du roi Asoka (273 av. J.-C. - 232 av. J.-C.) affirmait : « On ne devrait pas honorer seulement sa propre religion et condamner les religions des autres sans motif valable ; ce faisant, on fait du tort autant à sa propre religion qu'à celle des autres. Le contact entre les religions est une bonne chose ».

XVIIe siècle

Dans l'Angleterre du XVIIe siècle, tourmentée par les conflits religieux et politiques, les Levellers ont également défendu la liberté de croyance et de culte. Pour l'un d'eux en particulier, William Walwyn, auteur notamment d'un libelle intitulé Toleration justified and Persecution condemned (1646), l'État ne peut contraindre quiconque à suivre la religion majoritaire. Se fondant sur saint Paul, pour lequel tout ce qui ne vient pas de la foi est péché, il estime qu'obliger un individu à adhérer à une foi à laquelle il ne croit pas revient à le transformer en menteur et en hypocrite, donc en pécheur. En outre, la persécution religieuse est vaine, car seuls les arguments rationnels, et non la force coercitive, sont aptes à convaincre autrui de la vérité. A ceux qui avancent que la diversité religieuse engendre le chaos, Walwyn réplique que c'est bien plutôt l'uniformité forcée qui crée le désordre. Cet argument sera utilisé à la même époque par certains sociniens (disciples de Lelio et Fausto Sozzini, rejetant la Trinité, et en particulier la nature divine du Christ). Mais, surtout, usant d'un argument anticipant ceux de Hayek en d'autres domaines, Walwyn insiste sur la faillibilité humaine. Si bien qu'il est téméraire et présomptueux d'oser obliger des individus à adhérer à une foi qui, au final, peut se révéler être dans l'erreur ! Le "Niveleur" conclut que, derrière la défense de la persécution, se cache moins la quête de la vérité qu'une volonté de puissance politique.
Pour John Locke, la tolérance se justifie sur deux plans: en premier lieu, le magistrat civil n'est habilité qu'à s'occuper de protéger la vie, la liberté et propriété, il ne lui revient donc pas de gouverner les âmes. Ensuite, du point de vue même de la foi, le salut ne peut advenir qu'à ceux qui embrassent sincèrement la foi. Il est donc immoral et contraire aux préceptes chrétiens de contraindre quiconque à observer la religion du prince.
Dans sa Lettre sur la tolérance (1686), il détaille son argumentation de la façon suivante :
«[...]Ce qu'il y a de capital et qui tranche le nœud de la question, c'est qu'en supposant que la doctrine du magistrat soit la meilleure, et que le chemin qu'il ordonne de suivre soit le plus conforme à l'Évangile, malgré tout cela, si je n'en suis pas persuadé moi-même du fond du cœur, mon salut n'en est pas plus assuré. Je n'arriverai jamais au séjour des bienheureux par une route que ma conscience désapprouve. (...) Quelques doutes que l'on puisse avoir sur les différentes religions qu'il y a dans le monde, il est toujours certain que celle que je ne crois pas véritable, ne saurait être ni véritable ni profitable pour moi. C'est donc en vain que les princes forcent leurs sujets à entrer dans la communion de leur Église, sous prétexte de sauver leurs âmes: si ces derniers croient la religion du prince bonne, ils l'embrasseront d'eux-mêmes; et s'ils ne la croient pas telle, ils ont beau s'y joindre, leur perte n'en est pas moins assurée. En un mot, quelque zèle que l'on prétende avoir pour le salut des hommes, on ne saurait jamais les forcer à se sauver malgré eux; et, après tout, il faut toujours finir par les abandonner à leur propre conscience. »
    — John Locke, Lettre sur la tolérance
Cependant, Locke fait deux exceptions à son principe de tolérance. C'est d'abord aux catholiques qu'il en refuse le bénéfice. S'il le fait, ce n'est pas à cause de leurs options spéculatives (par exemple : la transsubstantiation), mais en raison de leurs considérations pratiques, telles que le déni d'être soumis à un prince excommunié et leur voeu d'obéissance à un souverain étranger (i. e. le Pape).
Ce sont ensuite les athées qui sont exclus de toute marque de tolérance. Pour le philosophe :
«Ceux qui nient l'existence de Dieu ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir parole; et que, si l'on bannit du monde la croyance d'une divinité, on ne peut qu'introduire aussitôt le désordre et la confusion générale. »
    — John Locke, Lettre sur la tolérance

XVIIIe siècle

A la suite de Locke, face aux excès de l’État et de l’Église, la tolérance est une revendication essentielle des philosophes et encyclopédistes du XVIIIe siècle et des Lumières françaises. Voltaire notamment publie en 1763 son Traité sur la tolérance.

XIXe siècle

Au XIXe siècle, un catholique libéral comme Charles de Montalembert a développé l'idée suivant laquelle il fallait distinguer dogmatisme théorique et tolérance civile, car ils ne se situent pas sur le même plan. Du reste, celle-ci ne contredit pas celui-là, dans la mesure où être tolérant ne consiste pas à croire que chacun détient sa part de vérité (ce qui supposerait que la vérité objective n'existe pas), mais à comprendre que la recherche de la vérité ne peut se dérouler pacifiquement que si l'on laisse les adeptes d'obédiences diverses pratiquer librement leur culte. Combattre l'erreur par la force, c'est courir le risque de réprimer également la vérité. En voulant vaincre par le glaive politique de fausses doctrines, on détruit aussi ce que le libéral catholique nomme la "liberté du bien". Il justifie ainsi sa position :
« Demander la liberté pour les autres en la demandant pour soi, ce n'est pas accorder des droits à "l'erreur", car là n'est pas la question; c'est admettre "les exigences inévitables et invincibles de ses adversaires; mais demander la liberté pour soi, en déclarant qu'on s'en servira pour la refuser aux autres, c'est perdre d'avance sa cause et la perdre en la déshonorant. »
Il écrit aussi très clairement que, ce n'est pas parce que de nombreux libéraux ont cédé aux sirènes de l'anticléricalisme le plus intolérant que l'Église doit les imiter en combattant, à l'inverse, la liberté :
« Les libéraux portent en ce moment, dans toute l'Europe, la peine d'avoir combattu ou méprisé la religion, d'avoir cru qu'ils pouvaient se passer de force spirituelle, et ne tenir aucun compte de l'ordre surnaturel. Les catholiques commettraient à leur tour une faute, qu'un prompt châtiment viendrait atteindre, s'ils voulaient abandonner la liberté. »
Dans le même ordre d'idées, peu de temps avant Montalembert, Benjamin Constant, protestant pour sa part, estimait que l'athéisme était tellement indigent qu'il s'éteindrait de lui-même si la liberté de croyance était réellement respectée. Sa grande idée est que le seul moyen d'affaiblir une opinion erronée est d'établir son libre examen, et non de la censurer. Pour lui :
« L'intolérance en plaçant la force du côté de la foi a placé le courage du côté du doute. »
    — Benjamin Constant, Principes de politique
Plus encore, Constant considère que la mise en concurrence des croyances les plus diverses contribuerait progressivement au triomphe de la vérité.

XXe et XXIe siècles

Pour les libéraux, la tolérance ne signifie donc nullement approbation de ce qu'autrui croit ou affirme, mais prône seulement la résolution pacifique et rationnelle des querelles doctrinales et morales. La tolérance se situe, par conséquent, aux antipodes du nihilisme ou du relativisme.
On notera que l'organisation de nos social-démocraties se situe à l'exact opposé de ce point de vue, puisque la multiplicité des modes de vie et de pensée y est présentée comme une source potentielle de conflits, devant être canalisée par un contrôle permanent de l'État (pensons à la laïcité obligatoire en France, à l'intervention des pouvoirs publics dans les programmes d'enseignement scientifique, etc.) D'une certaine manière, la social-démocratie a repris à son compte la célèbre formule datant de la paix d'Augsbourg (1555) et que Louis XIV s'appropriera avec la Révocation de l'Edit de Nantes (1685): Cujus regio, ejus religio (en clair : la religion du prince dicte celle du pays) de sorte que, l'État souverain étant aujourd'hui « laïque », tels doivent être les citoyens en s'abstenant d'exprimer publiquement leur foi. La liberté religieuse, combat libéral contre l'absolutisme politique, est donc loin d'être acquise de nos jours.
Les libéraux contestent donc ce que Ron Paul appelle « un interventionnisme social influencé par l’intolérance des habitudes et des modes de vie différents », qu'il s'agisse de paternalisme d'état ou de l'imposition d'une morale particulière ou d'un modus vivendi particulier :
« Pour beaucoup de gens, l’idée erronée que la tolérance revient à approuver certaines activités les motive à demander à incorporer dans la législation des normes morales qui ne devraient être du ressort que des individus eux-mêmes, effectuant leurs propres choix. »
    — Ron Paul, Discours d’adieu au Congrès, 14 novembre 2012

La Tolérance : limitation de la souveraineté étatique

A ce titre, Émile Faguet notait dans son Libéralisme (1902) que l'État (français en particulier) n'avait jamais aimé la religion, car il l'avait toujours perçue comme un gouvernement des âmes susceptible de le concurrencer et de le déstabiliser.
« Rien ne limite l'État comme une Église car il est incontestable qu'elle limite le gouvernement lui-même, puisqu'elle partage avec lui. »
C'est pourquoi, au final, la liberté religieuse est toujours la plus menacée, explique Faguet. Elle l'a été sous les Romains comme sous la monarchie anglaise ou française. Et d'ajouter :
« L'État est toujours antireligieux, même quand il administre la religion, surtout quand il l'administre; car il ne l'administre que pour la supprimer que comme religion véritable. Tâchons cependant de ne point exagérer, mais disons que l'État a quelque tendance à ne pas aimer beaucoup même la morale. »

Libre arbitre

De Wikiberal
 
Le libre arbitre décrit la propriété qu’aurait la volonté humaine de se déterminer librement — voire arbitrairement — à agir et à penser, par opposition au déterminisme ou au fatalisme, qui affirment que la volonté est déterminée dans chacun de ses actes par des forces qui l’y nécessitent. Se déterminer à ou être déterminé par : tel est tout l’enjeu de l’antinomie du destin et du libre arbitre. 

L’origine augustinienne du concept

L’expression française de « libre arbitre » rend insuffisamment compte du lien indissoluble qui l’unit à la notion de volonté, lien apparaissant clairement dans les expressions anglaise (Free will) et allemande (Willensfreiheit), qui présentent cependant le désavantage de dissoudre la notion d’arbitre ou de choix essentielle au concept. « Libre arbitre » (liberum arbitrium en latin) est la contraction de l’expression technique : « libre arbitre de la volonté ». De ce concept forgé par la théologie patristique latine, il n’est pas exagéré d’écrire qu’il fut inventé pour disculper Dieu de la responsabilité du mal en l’imputant à sa créature. Ceci apparaît avec clarté dans le traité De libero arbitrio d’Augustin d'Hippone, fondé sur le dialogue d’Evodius et d’Augustin. Evodius pose le problème en des termes abrupts : « Dieu n’est-il pas l’auteur du mal ? ». Si le péché est l'œuvre des âmes et que celles-ci sont créées par Dieu, comment Dieu n’en serait-il pas, in fine, l’auteur ? Augustin répond sans équivoque que « Dieu a conféré à sa créature, avec le libre arbitre, la capacité de mal agir, et par-là même, la responsabilité du péché ».
Grâce au libre arbitre, Dieu reste impeccable : sa bonté ne saurait être tenue pour responsable d’aucun mal moral. Mais n’est-ce pas déplacer le problème sans le résoudre ? Pourquoi Dieu nous a-t-il conféré la capacité de pécher :
d’où vient que nous agissons mal ? Si je ne me trompe, l’argumentation a montré que nous agissons ainsi par le libre arbitre de la volonté. Mais ce libre arbitre auquel nous devons notre faculté de pécher, nous en sommes convaincus, je me demande si celui qui nous a créés a bien fait de nous le donner. Il semble, en effet, que nous n’aurions pas été exposés à pécher si nous en avions été privés ; et il est à craindre que, de cette façon, Dieu aussi passe pour l’auteur de nos mauvaises actions (De libero arbitrio, I, 16, 35).
La réponse d’Augustin est que la volonté est un bien, dont l’homme peut abuser certes, mais qui fait la dignité de l’homme. Qui voudrait ne pas posséder de mains sous prétexte que celle-ci servent parfois à commettre des crimes ? Or, cela est plus vrai encore du libre arbitre : si on peut vivre moralement en étant privé de l’usage de ses bras, on ne saurait jamais accéder à la dignité de la vie morale sans libre arbitre :
la volonté libre sans laquelle personne ne peut bien vivre, tu dois reconnaître et qu’elle est un bien, et qu’elle est un don de Dieu, et qu’il faut condamner ceux qui mésusent de ce bien plutôt que de dire de celui qui l’a donné qu’il n’aurait pas dû le donner(ibid., II, 18, 48).

Mais le paradoxe d’Augustin, qui fait aussi sa richesse et qui explique pourquoi il a pu inspirer, au sein du christianisme, des théologies tellement divergentes, tient à la diversité de ses adversaires. S’il affirme, dans le traité De libero arbitrio, l’existence du libre arbitre contre les manichéens qui attribuaient au divin la responsabilité du mal, il tend, contre les Pélagiens, à en minimiser le rôle dans l'œuvre du salut, sous prétexte que l’homme a, par le péché originel, perdu l’usage de cette faculté : « amissa libertas, nulla libertas » (« liberté perdue, liberté nulle »). Seule la grâce, gratuitement octroyée par Dieu, peut accomplir l'œuvre du salut. Gardons en mémoire cette position paradoxale, qui fait que les Réformateurs et les catholiques pourront, sans contradiction, se revendiquer d’Augustin dans les controverses au sujet du rôle respectif de la grâce et du libre arbitre dans l'œuvre du salut.

L’élaboration scolastique

La scolastique a considérablement élaboré ce concept inventé par Augustin, en s’appuyant sur Aristote. Les Grecs ignoraient le libre arbitre, n’ayant pas la notion de volonté mais plutôt celle d’acte volontaire, étudiée au troisième livre de l’Éthique à Nicomaque.
Dans ce livre, Aristote définit le volontaire par l’union de deux facultés : la spontanéité du désir (agir par soi-même), dont le contraire est la contrainte, et l’intentionnalité de la connaissance (agir en connaissance de cause), dont le contraire est l’ignorance. Ainsi, j’agis volontairement quand :
  • a/ j’agis spontanément (je trouve le principe de mes actes à l’intérieur de moi-même, contrairement à l’individu qui est emmené pieds et poings liés par des ravisseurs), et
  • b/ j’agis en sachant ce que je fais (contrairement à celui qui administre à un patient un poison en croyant sincèrement lui administrer un remède, parce que le pharmacien a interverti les étiquettes).
Le volontaire suppose ainsi l’union de la spontanéité et de l’intentionnalité ; il est la condition de la responsabilité morale de l’individu (je ne saurais être tenu pour responsable du fait d’avoir quitté mon pays quand j’ai été enlevé par des agresseurs auxquels il m’était matériellement impossible d’échapper, ou quand j’ai franchi par mégarde une frontière qui n’était pas clairement signalée, en ayant eu l’intention de rester sur le territoire national). Ces analyses aristotéliciennes ont été fondamentales pour l’élaboration scolastique du concept de libre arbitre. Les théologiens chrétiens retiendront d’Aristote la notion de libre comme associant la volonté (spontanéité) et la raison (intentionnalité), et comme fondant la responsabilité de l’individu devant les lois morales, pénales et divines.
La scolastique définit traditionnellement le liberum arbitrium comme « facultas voluntatis et rationis » (faculté de la volonté et la raison : cf. Thomas d'Aquin, Somme théologique, I, q. 82, a.2, obj. 2). Cette expression est exacte si elle désigne la collaboration de ces deux facultés dans la genèse de l’acte libre, mais erronée en un sens plus technique. À proprement parler, le libre arbitre est une puissance de la volonté (ibid., q. 83, a. 3) ; mieux, elle est la volonté elle-même en tant que la volonté opère des choix. Le libre arbitre, en son essence, n’est autre que la volonté dans la libre disposition d’elle-même ; vouloir, c’est décider librement, et c’est donc être libre. L’acte libre répond au schéma suivant : la volonté éprouve le désir d’un bien (appétition), qui constitue la fin de l’action ; elle sollicite la raison à délibérer sur les moyens de parvenir à ce bien (délibération), mais c’est à elle qu’appartient de choisir le moyen qui lui semble le plus approprié (electio en latin, qui signifie choix) pour parvenir à cette fin, de mouvoir le corps pour mettre en œuvre ces moyens (l’action à proprement parler), et de jouir du bien obtenu (fruition). C’est donc la volonté qui joue le rôle moteur et elle ne parviendrait à rien sans le concours de la raison. Dans ce schéma de l’action, le libre arbitre se manifeste tout particulièrement dans le choix, que Thomas d’Aquin définissait comme l'« actus proprius » (l’acte éminent ou l’acte propre) du liberum arbitrium.
Thomas d’Aquin entend prouver la réalité du libre arbitre par deux moyens.
  • Le premier est la preuve morale, corrélat de l’argument moral anti-fataliste (voir l’article fatalisme). L’homme est tenu pour moralement responsable de ses actes ; or, ceci serait impossible s’il n’était pas doué de liberté. La doctrine qui nie le libre arbitre est foncièrement immorale en tant qu’elle détruit le principe même de la responsabilité.
L’homme possède le libre arbitre ; ou alors les conseils, les exhorations, les préceptes, les interdictions, les récompenses et les châtiments seraient vains(Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, q. 83, a. 1, rép.).
  • Le second argument thomiste en faveur du libre arbitre est l’étude de l’action humaine, qui se distingue des mouvements physiques (la pierre tombe nécessairement vers le bas) et des actions animales (les animaux agissent d’après un jugement instinctif, qui n’est pas libre : l’instinct de la brebis la pousse nécessairement à suivre le loup). Seul l’homme agit d’après un jugement libre, qui « n’est pas l’effet d’un instinct naturel s’appliquant à une action particulière, mais d’un rapprochement de données opéré par la raison (...) En conséquence, il est nécessaire que l’homme ait le libre arbitre, par le fait même qu’il est doué de raison » (ibidem). Choisir, c’est toujours se déterminer, par l’intelligence, entre deux ou plusieurs possibles : c’est donc être libre.

Critiques

Le concept de libre arbitre a fait l’objet de deux critiques, l’une théologique (attribuer à l’homme un libre arbitre, n’est-ce pas nier le rôle de la grâce divine dans l'œuvre du salut ?), et l’autre philosophique (le libre arbitre ne revient-il pas à nier l’influence des motifs qui déterminent nos choix et nos actions ?). La première critique est motivée par le prédestinationisme : elle aboutit aux querelles autour de la prédestination caractéristiques de la Réforme. La seconde est motivée par le nécessitarisme, le fatalisme et le déterminisme.

Critique théologique : la controverse de la prédestination

Le libre arbitre est l’une des deux réponses à la question du salut (sotériologie) telle qu’élaborée par les théologiens de la Renaissance. L’autre réponse est la prédestination chez Martin Luther, voire la double prédestination chez Jean Calvin.
Plus largement, la question du libre arbitre tente de situer le rôle de la volonté humaine dans la conduite d’une vie bonne (susceptible de mener au salut) face à un Dieu conçu comme tout puissant. De cette façon, la question du libre arbitre traverse les 3 monothéismes et les réponses que chacun d’entre eux donne méritent l’examen.
Avec l’humanisme, Érasme et Luther partage le goût de la lecture et du commentaire de la Bible avec le rejet de la glose scolastique. Luther est un jusqu’au-boutiste tandis qu’Erasme est un modérateur. Luther espère avoir le soutien d’Érasme dont l’autorité morale est alors considérable dans sa querelle contre l’autorité ecclésiastique. Mais les deux hommes vont s’opposer sur le concept de libre arbitre. En bon augustinien, Erasme soutient le libre arbitre, c’est-à-dire la responsabilité de l’homme devant Dieu concernant ses actes. Au contraire, se fondant notamment sur le péché originel, le moine augustinien Luther défend la prédestination, c’est-à-dire le serf arbitre et la justification par la foi, chère à Paul de Tarse. Alors, Erasme et Luther perdent toute modération. Tandis que le frère Martin, en 1519 se disait « admirateur convaincu » d’Erasme, il en viendra à qualifier celui-ci de « venimeux polémiste », de « pourceau d’Épicure* », d’écrivain « ridicule, étourdi, sacrilège, bavard, sophiste, ignorant ».
(*) Épicure philosophe hédoniste est représenté suivi d’un porc par ses adeptes. Cet animal, sous l’influence biblique sera pris en mauvaise part.

Critique philosophique : le problème de la liberté d’indifférence

La critique philosophique du libre arbitre tient au rôle des motifs (raisons de choisir) dans la détermination du choix et, par conséquent, de l’action. Suis-je vraiment libre de choisir entre deux objets, l’un qui représente un grand bien, et l’autre, un moindre bien ? De deux choses l’une.
  • Soit je choisis le plus grand bien : peut-on alors dire que mon acte est libre ? N’est-il pas plutôt déterminé par les motifs, ou plus exactement, par la prévalence d’un motif sur l’autre ?
  • Soit je choisis le moindre bien, mais comment un acte aussi absurde pourrait-il être libre ? Et si je le choisis afin de prouver que je suis libre, cela revient au premier cas de figure : la volonté d’établir la réalité de ma liberté s’est avérée un motif plus déterminant que l’objet préférable. Dans l’un et l’autre cas, je ne serais pas libre.
Pour remédier à ce problème, la doctrine scolastique a inventé le concept de liberté d’indifférence. Soit un individu appelé à choisir entre deux biens identiques, et donc indifférents. Il y a ici une équivalence des motifs : rien ne le détermine à préférer l’un à l’autre. Or, la volonté éprouve qu’elle est douée de spontanéité : même en ce cas, elle peut se déterminer à choisir. L’acte ne trouve pas alors son explication dans les motifs, ni par conséquent dans les objets, mais dans le sujet lui-même en tant qu’il est doué d’une capacité à agir arbitrairement. Le concept de liberté d’indifférence établirait, avec la spontanéité de la volonté, la réalité du libre arbitre. Par extension, la liberté d’indifférence s’applique aux cas où il n’y pas d’équivalence des motifs : je puis fort bien préférer un moindre bien à un plus grand bien, prouvant ainsi que je suis le seul sujet ou la seule cause de mes actes.
La liberté d’indifférence fut très critiquée par la plupart des philosophes et par de nombreux théologiens (Thomas d’Aquin n’y souscrivait pas). Leibniz opposait à ce concept les objections suivantes.
  1. Choisir arbitrairement ne témoigne pas de notre liberté : c’est bien plutôt un acte irrationnel, fruit du hasard ou du caprice. La liberté, n’est-ce pas plutôt la capacité à opérer les meilleurs choix possibles ?
  2. La liberté d’indifférence est fictive. En vertu du « principe des indiscernables », deux objets ne peuvent être absolument identiques : ils doivent nécessairement se distinguer par quelque différence. Qui sait si celle-ci ne nous influence pas à notre insu ?
  3. La liberté d’indifférence n’est-elle pas illusoire ? En vertu du principe des petites perceptions, il arrive que nous soyons déterminés à choisir ou à agir par un motif inconscient, perçu par notre âme mais non aperçu par la conscience. Leibniz anticipe ici le concept d’inconscient, ainsi que celui des phéromones et des images subliminales. Qui sait si un choix, en apparence arbitraire, n’obéit pas à une motivation inconsciente, comme le montrera André Gide dans Les caves du Vatican ?
  4. De plus, Leibniz est intellectualiste plutôt que volontariste. Il critique le schéma naïf du libre arbitre de la philosophie scolastique, qui revient à représenter la volonté comme un reine toute-puissante, partagée entre son conseiller (la raison) et ses courtisans (les passions). Dans la réalité, la volonté n’est pas une faculté subsistant par elle-même : elle n’est autre que l’effort de l’intelligence en tant qu’elle se détermine à agir d’après ses jugements.
Si Leibniz ne reconnaît pas le concept de liberté d’indifférence, il ne donne pas pour autant dans un déterminisme niant tout libre arbitre. Être libre, c’est se déterminer à choisir par la meilleure raison possible. Se déterminer n’est pas être déterminé : c’est trouver le principe de ses actes à l’intérieur de soi-même.

Philosophie rationaliste

Si le thomisme attribue le libre arbitre à Adam, dans le jardin d’Eden, principalement pour lui imputer l’origine du mal par la responsabilité du péché originel, la philosophie juive voit les choses d’un œil différent, selon qu’elle situe sa réflexion avant la révolution cartésienne ou après. Deux philosophes rationalistes, Maïmonide et Spinoza s’accordent sur l’idée suivante :
  • la connaissance du bien et du mal est différente de la science du vrai et du faux,
  • cette non coïncidence est un pis-aller car, dans le jardin d’Eden d’avant la chute, la connaissance rationnelle du vrai et du faux rendait inutile, et même inexistante, celle du bien et du mal.

Pour Maïmonide

Par la raison, l’homme distingue le vrai du faux et ceci a lieu dans toutes choses intelligibles (Guide des Égarés, 1re partie, chap. 2)
Le bon et le mauvais, le beau et le laid ne ressortent pas de l’intelligible, du rationnel, mais de l’opinion, du probable.
Tant qu’Adam possédait parfaitement et complètement la connaissance de toutes choses connues et intelligibles, il n’y avait en lui aucune faculté qui s’appliquât aux opinions probables et même il ne les comprenait pas (ibidem). Le bien et le mal n’existaient même pas ; seules existaient les choses intelligibles et nécessaires. La perte de cette connaissance parfaite de toutes choses intelligibles dont lui faisait bénéfice sa fusion avec Dieu fait accéder Adam à un état nouveau, un monde différent :
  • les choses lui sont connues autrement que par la raison,
  • la façon dont il les connaît relève de l’opinion contingente qu’il s’en fait : elles sont belles ou laides, bonnes ou mauvaises.

Pour Spinoza

La filiation de Maïmonide à Spinoza est évidente dans ce qui suit : Si les hommes naissaient libres, et tant qu’ils seraient libres, ils ne formeraient aucun concept du bien et du mal […] [car] Celui-là est libre qui est conduit par la seule raison et qu'il n'a, par conséquent que des idées adéquates (Éthique IV, proposition 68)
L'homme libre n'a donc aucun concept du bien et du mal lequel est le résultat d'idées inadéquates et confuses, non plus que d'un bien qui lui serait corrélé. Spinoza définit le bien au début de la partie IV de l'Éthique : Ce que nous savons avec certitude nous être utile (Éthique IV, définition 1)
Rapprochant cette définition de sa Préface et des propositions 26 et 27, son éthique nous renvoie à une éthique des vertus plutôt qu'à un utilitarisme.
Toutefois, observant que les hommes ne sont que des parties de la nature, il en déduit que cette hypothèse d’une liberté de l’homme dès la naissance est fausse. Les parties de la nature sont soumises à toutes les déterminations de celle-ci, et elles sont extérieures à l’homme. Il considère donc que le sentiment de liberté de l’homme résulte du fait qu’il n’a connaissance que des causes immédiates des événements rencontrés. Il parle alors de libre nécessité.
Spinoza commente alors ainsi l’épisode du jardin d’Eden. C’est cette détermination que semblent signifier les paroles de Moïse dans la fameuse histoire du premier homme […] cette liberté originaire impossible quand Moïse raconte que Dieu interdit à l’homme libre de manger le fruit de la connaissance du bien et du mal et que, dès qu’il en mangerait, il craindrait la mort plus qu’il ne désirerait la vie (Éthique IV, proposition 68, scolie)

Comment reposer aujourd’hui la question du libre arbitre ?

À partir de la philosophie des sciences

Aujourd’hui, la physique moderne élimine la connaissance des causes sans faire de l’indétermination quantique la preuve d’un hasard essentiel. La connaissance des causes, même limitée aux causes efficientes disparaît des explications au profit de lois mathématiques prédictives parce que probabilistes et calculables..
« La croyance en la relation de cause à effets, c’est la superstition », Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 5.1361, Gallimard
Encore que, jusqu’ici, cette affirmation n’est généralisable qu’aux sciences dures où le fortuit désigne ce qui intervient non seulement sans cause finale ou efficiente mais surtout sans loi probabiliste calculable. L’indéterminisme quantique représente la prise en compte des limites de la connaissance : celle d’une limite infranchissable en pratique comme en théorie en ce qui concerne la réalité en soi. Contrairement à la réalité en soi de Kant, cette indétermination ne dégage pas l’espace non-phénoménal d’une liberté : les lois probabilistes s’appliquent au niveau des phénomènes observables. En ce qui concerne le non observable, c’est l’équation de Schrödinger qui en rend compte.
On pense généralement que la croyance dans le libre arbitre fonde à elle seule une éthique de la responsabilité. La psychanalyse nous a montré que la plupart de nos actes dépendaient plus de notre inconscient que de notre volonté consciente. Ce savoir aboutit au paradoxe que les criminels sexuels sont à la fois des criminels susceptibles de rendre des comptes à la justice du fait de leur responsabilité et des malades, commandés par leur inconscient et leurs hormones qui doivent être soignés. La jurisprudence fait entrer ce paradoxe dans son arsenal avec l’injonction thérapeutique où le suivi médical devient une peine.
Dans cette limitation, on rencontre l’intuition de Nietzsche quand décrivant l’éternel retour, il a l’intuition d’une volonté créatrice déterminée par le passé qu’elle tente de justifier :
« Je leur ai enseigné toutes mes pensées et toutes mes aspirations : à réunir et à joindre tout ce qui chez l’homme n’est que fragment et énigme et lugubre hasard, en poète, en devineur d’énigme et rédempteur du hasard. Je leur ai appris à être créateur de l’avenir et à sauver, en créant, tout ce qui fut. Sauver le passé dans l’homme et transformer tout ce qui était jusqu’à ce que la volonté dise : "Mais c’est ainsi que je voudrais que ce fut. Mais c’est ainsi que je le voudrais" », Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, III, 3 - Des vieilles et des nouvelles tables

Libre arbitre et hypothèse d’Everett

Dans le cas où l’hypothèse d’Everett serait fondée — hypothèse selon laquelle existeraient des univers parallèles, ce qui n’est pas établi —, tous les futurs possibles (ou plus exactement un nombre de futurs possibles ayant la constante de Planck en dénominateur !) à chaque moment de l’univers en chaque lieu se produiraient effectivement : il n’y a pas de hasard quantique; si une particule semble devoir choisir au hasard entre deux directions, en réalité il existerait un univers dans lequel la particule prend à gauche et un autre dans laquelle elle prend à droite.
Le rapport avec le libre arbitre de la personne humaine est plus que ténu. Sans qu’il soit possible de se prononcer sur la validité de l’hypothèse d’Everett, on peut examiner à titre d’expérience de pensée en quels termes elle influerait la question du libre arbitre si elle était exacte : dans la mesure ou tous les futurs possibles (possibles selon les lois de la physique quantique, ce qui ne signifie donc pas tous les futurs imaginables) se produisent et où chaque observateur situé dans l’un de ces univers improprement nommés parallèles a l’impression d’être le seul, le libre arbitre devient en fait un non-problème. Voir David Deutsch.


Alain Genestine

La Panarchie
(2012)
 

 

octobre 18, 2014

Libéralisme - Ludwig Von MISES

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.





 La seule solution possible vers le progrès économique et social

 
De nos jours, il n'est plus suffisant non plus d'étudier les écrits des grands fondateurs pour se former une idée du libéralisme. Le libéralisme n'est pas une doctrine complète ou un dogme figé. Au contraire : il est l'application des enseignements de la science à la vie sociale des hommes. Et tout comme l'économie, la sociologie et la philosophie ne sont pas restées immobiles depuis l'époque de David Hume, d'Adam Smith, de David Ricardo, de Jeremy Bentham et de Guillaume de Humboldt, de même la doctrine du libéralisme est différente aujourd'hui de ce qu'elle était de leur temps, même si ses principes fondamentaux n'ont pas bougé. Depuis plusieurs années, personne n'a entrepris de donner une présentation concise de la signification essentielle de cette doctrine. Ceci peut servir de justification à notre présent essai, qui cherche précisément à offrir un tel travail.

 http://Mises.org

This is from a radio broadcast made during intermission of the U.S. Steel Concert Hour, May 17, 1962; the transcript (reprinted below) was first published in The Freeman, May 1988. Mises had been asked to respond to the question: "Are the interests of the American wage earners in conflict with those of their employers, or are the two in agreement?"

Transcript from http://mises.org/efandi/ch15.asp

To answer that question we must first look at a little history. In the pre-capitalistic ages a nation's social order and economic system were based upon the military superiority of an elite. The victorious conqueror appropriated to himself all the country's utilizable land, retained a part for himself and distributed the rest among his retinue. Some got more, others less, and the great majority nothing. In the England of the early Plantagenets [the line of British kings, descended from French Normans, who reigned from 1154 to 1399], a Saxon was right when he thought: "I am poor because there are Normans to whom more was given than is needed for the support of their families." In those days the affluence of the rich was the cause of the poverty of the poor.

Conditions in the capitalist society are different. In the market economy the only way left to the more gifted individuals to take advantage of their superior abilities is to serve the masses of their fellowman. Profits go to those who succeed in filling the most urgent of the not-yet-satisfied wants of the consumers in the best possible and cheapest way. The profits saved, accumulated, and plowed back into the plant, benefit the common man twice. First, in his capacity as a wage earner, by raising the marginal productivity of labor and thereby real wage rates for all those eager to find jobs. Then later again, in his capacity as a consumer when the products manufactured with the aid of the additional capital flow into the market and become available at the lowest possible prices.

The characteristic principle of capitalism is that it is mass production to supply the masses. Big business serves the many. Those outfits that are producing for the special tastes of the rich never outgrow medium or even small size. Under such conditions those anxious to get jobs and to earn wages and salaries have a vital interest in the prosperity of the business enterprises. For only the prosperous firm or corporation has the opportunity to invest, that is, to expand and to improve its activities by the employment of ever better and more efficient tools and machines.

The better equipped the plant is the more can the individual worker produce within a unit of time, the higher is what the economists call the marginal productivity of his labor and, thereby, the real wages he gets. The fundamental difference between the conditions of an economically underdeveloped country like India and those of the United States is that in India the per head quota of capital invested and thereby the marginal productivity of labor and consequently wage rates are much lower than in this country. The capital of the capitalists benefits not only those who own it but also those who work in the plants and those who buy and consume the goods produced.

And then there is one very important fact to keep in mind. When one distinguishes, as we did in the preceding observations, between the concerns of the capitalists and those of the people employed in the plants owned by the capitalists, one must not forget that this is a simplification that does not correctly describe the real state of present-day American affairs. For the typical American wage earner is not penniless. He is a saver and investor. He owns savings accounts, United States Savings Bonds and other bonds and first of all insurance policies. But he is also a stockholder. At the end of the last year [1961] the accumulated personal savings reached $338 billion. A considerable part of this sum is lent to business by the banks, savings banks and insurance companies. Thus the average American household owns well over $6000 that are invested in American business.

The typical family's stake in the flourishing of the nation's business enterprises consists not only in the fact that these firms and corporations are employing the head of the family. There is a second fact that counts for them, to wit that the principal and interest of their savings are safe only as far as the American free enterprise is in good shape and prospering. It is a myth that there prevails a conflict between the interests of the corporations and firms and those of the people employed by them. In fact, good profits and high real wages go hand in hand.
Le libéralisme est une doctrine entièrement consacrée au comportement des hommes dans ce monde. En dernière analyse, il n'a rien d'autre en vue que le progrès de leur bien-être extérieur et matériel : il ne se préoccupe pas directement de leurs besoins intérieurs, spirituels et métaphysiques. Il ne promet pas aux hommes le bonheur et la satisfaction intérieure, mais uniquement de répondre de la manière la plus efficace possible à tous les désirs pouvant être satisfaits par les choses concrètes du monde extérieur. 


1. Le libéralisme

Les philosophes, sociologues et économistes du XVIIIesiècle et du début du XIXesiècle ont formulé un programme politique qui, en politique sociale, servit de guide, tout d'abord pour l'Angleterre et les États-Unis, ensuite pour le continent européen, et finalement aussi pour toutes les autres régions habitées du globe. On ne réussit cependant nulle part à l'appliquer dans sa totalité. Même en Angleterre, qu'on a dépeint comme la patrie du libéralisme et comme le modèle du pays libéral, les partisans des politiques libérales n'ont jamais réussi à faire entendre toutes leurs revendications. Dans le reste du monde, seules certaines parties de ce programme furent adoptées, tandis que d'autres, tout aussi importantes, furent soit rejetées dès le départ, soit écartées après peu de temps. Ce n'est qu'en forçant le trait que l'on peut dire que le monde a traversé une époque libérale. On n'a jamais permis au libéralisme de se concrétiser pleinement. 

Néanmoins, aussi brève et limitée que fut la suprématie des idées libérales, elle fut suffisante pour changer la face du monde. Il se produisit un formidable développement économique. La libération des forces productives de l'homme multiplia les moyens de subsistance. A la veille de la [Première] Guerre Mondiale (qui fut elle-même la conséquence d'une longue et âpre bataille contre l'esprit libéral et qui inaugura une ère d'attaques encore plus virulentes dirigées contre les principes libéraux), le monde était bien plus peuplé qu'il ne l'avait jamais été, et chaque habitant pouvait vivre bien mieux qu'il n'avait jamais été possible au cours des siècles précédents. La prospérité que le libéralisme avait créée avait considérablement réduit la mortalité enfantine, qui constituait le lamentable fléau des périodes précédentes, et avait allongé l'espérance de vie moyenne, grâce à l'amélioration des conditions de vie. 

Cette prospérité ne concernait pas seulement une classe particulière d'individus privilégiés. A la veille de la [Première] Guerre Mondiale, l'ouvrier des nations industrialisées d'Europe, des États-Unis et des colonies anglaises vivait mieux et avec plus d'élégance que le noble d'un passé encore proche. Il pouvait non seulement manger et boire comme il le voulait, mais il pouvait aussi donner une meilleure éducation à ses enfants et prendre part, s'il le désirait, à la vie intellectuelle et culturelle de son pays. De plus, s'il possédait assez de talent et d'énergie, il pouvait sans difficulté monter dans l'échelle sociale. C'est précisément dans les pays qui appliquèrent le plus loin le programme libéral que le sommet de la pyramide sociale était composé en majorité non pas d'hommes qui avaient bénéficié, depuis le jour de leur naissance, d'une position privilégiée en vertu de la richesse ou de la position sociale élevée de leurs parents, mais d'individus qui, dans des conditions défavorables et initialement dans la gêne, avaient gravi les échelons par leurs propres forces. Les barrières qui séparaient autrefois les seigneurs et les serfs avaient été supprimées. Il n'y avait désormais plus que des citoyens bénéficiant de droits égaux. Personne n'était handicapé ou persécuté en raison de sa nationalité, de ses opinions ou de sa foi. Les persécutions politiques et religieuses avaient cessé et les guerres internationales commençaient à être moins fréquentes. Les optimistes saluaient déjà l'aube d'une ère de paix éternelle. 

Mais les événements n'ont pas tourné de la sorte. Au XIXesiècle, surgirent de forts et violents adversaires du libéralisme, qui réussirent à éliminer une grande partie des conquêtes libérales. Le monde d'aujourd'hui ne veut plus entendre parler du libéralisme. En dehors de l'Angleterre, le terme « libéralisme » est franchement proscrit. En Angleterre, il demeure encore certainement des « libéraux », mais la plupart ne le sont que de nom. En réalité, il s'agit plutôt de
socialistes modérés. De nos jours, le pouvoir politique est partout dans les mains des partis antilibéraux. Le programme de l'antilibéralisme a engendré les forces qui conduisirent à la Grande Guerre mondiale et qui, en raison des quotas à l'exportation et à l'importation, des tarifs douaniers, des barrières aux migrations et d'autres mesures similaires, menèrent les nations du monde à une situation d'isolement mutuel. Il a conduit au sein de chaque nation à des expériences socialistes dont les résultats furent une réduction de la productivité du travail et une augmentation concomitante de la pauvreté et de la misère. Quiconque ne ferme pas délibérément les yeux sur les faits, doit reconnaître partout les signes d'une catastrophe prochaine en ce qui concerne l'économie mondiale. L'antilibéralisme se dirige vers un effondrement général de la civilisation. 

Si l'on veut savoir ce qu'est le libéralisme et quel est son but, on ne peut pas simplement se tourner vers l'histoire pour trouver l'information en se demandant ce que les politiciens libéraux ont défendu et ce qu'ils ont accompli. Car le libéralisme n'a jamais réussi nulle part à mener à bien son programme comme il le voulait. 

Les programmes et les actions des partis qui se proclament aujourd'hui libéraux ne peuvent pas non plus nous éclairer sur la nature du véritable libéralisme. Nous avons déjà signalé que, même en Angleterre, ce qui est appelé libéralisme de nos jours est bien plus proche du socialisme et du torysme que du vieux programme des libre-échangistes. S'il se trouve des libéraux qui considèrent comme compatible avec leur libéralisme le fait de souscrire à la nationalisation des chemins de fer, des mines et d'autres entreprises, et même de soutenir les tarifs protectionnistes, on peut facilement voir qu'il ne reste actuellement plus du libéralisme que le nom. 

De nos jours, il n'est plus suffisant non plus d'étudier les écrits des grands fondateurs pour se former une idée du libéralisme. Le libéralisme n'est pas une doctrine complète ou un dogme figé. Au contraire : il est l'application des enseignements de la science à la vie sociale des hommes. Et tout comme l'économie, la sociologie et la philosophie ne sont pas restées immobiles depuis l'époque de David Hume, d'Adam Smith, de David Ricardo, de Jeremy Bentham et de Guillaume de Humboldt, de même la doctrine du libéralisme est différente aujourd'hui de ce qu'elle était de leur temps, même si ses principes fondamentaux n'ont pas bougé. Depuis plusieurs années, personne n'a entrepris de donner une présentation concise de la signification essentielle de cette doctrine. Ceci peut servir de justification à notre présent essai, qui cherche précisément à offrir un tel travail. 

2. Le bien-être matériel
Le libéralisme est une doctrine entièrement consacrée au comportement des hommes dans ce monde. En dernière analyse, il n'a rien d'autre en vue que le progrès de leur bien-être extérieur et matériel : il ne se préoccupe pas directement de leurs besoins intérieurs, spirituels et métaphysiques. Il ne promet pas aux hommes le bonheur et la satisfaction intérieure, mais uniquement de répondre de la manière la plus efficace possible à tous les désirs pouvant être satisfaits par les choses concrètes du monde extérieur.
On a souvent reproché au libéralisme cette approche purement externe et matérialiste, tournée vers ce qui est terrestre et éphémère. La vie de l'homme, dit-on, ne consiste pas uniquement à boire et à manger. Il existe des besoins plus élevés et plus importants que la nourriture et la boisson, que le logement et les vêtements. Même les plus grandes richesses de la terre ne peuvent pas apporter le bonheur à l'homme : elles laissent vides et insatisfaits son être intime, son âme. La plus grande erreur du libéralisme serait de ne rien avoir à offrir aux aspirations les plus profondes et les plus nobles de l'homme. 

Les critiques qui parlent de cette façon ne font que montrer qu'ils ont une conception très imparfaite et matérialiste de ces besoins plus élevés et plus nobles. La politique sociale, avec les moyens qui sont à sa disposition, peut rendre les hommes riches ou pauvres, mais elle ne réussira jamais à les rendre heureux ni à répondre à leurs aspirations les plus profondes. Aucun expédient extérieur n'y peut rien. Tout ce qu'une politique sociale peut faire, c'est d'éliminer les causes externes de la souffrance et de la douleur : elle peut favoriser un système permettant de
 nourrir l'affamé, d'habiller l'homme nu, de loger les sans-abri. Le bonheur et la satisfaction intérieure ne dépendent pas de la nourriture, des vêtements et du logement mais, avant tout, de ce qu'un homme aime au fond de lui. Ce n'est pas par mépris pour les biens spirituels que le libéralisme ne s'occupe que du bien-être matériel de l'homme, mais en raison de la conviction que ce qui est le plus élevé et le plus profond en l'homme ne peut pas être atteint par une décision extérieure, quelle qu'elle soit. Le libéralisme ne cherche à produire que le bien-être matériel parce qu'il sait que les richesses spirituelles intérieures ne peuvent pas parvenir à l'homme de l'extérieur, qu'elles ne peuvent venir que de son propre cœur. Il ne cherche pas à créer autre chose que les conditions extérieures nécessaires au développement de la vie intérieure. Et il ne peut y avoir aucun doute que l'individu relativement prospère du XXesiècle
 peut plus facilement satisfaire ses besoins spirituels que, par exemple, l'individu du Xesiècle,
  qui devait sans cesse se soucier d'économiser juste assez pour survivre, ou de lutter contre les dangers dont ses ennemis le menaçaient. 
Certes, à ceux qui, comme les adeptes de nombreuses sectes asiatiques ou chrétiennes du Moyen Âge, acceptent la doctrine d'un ascétisme total et qui considèrent la pauvreté et l'absence de désir des oiseaux de la forêt et des poissons des mers comme l'idéal de la vie humaine, à ceux-là nous ne pouvons rien répondre quand ils reprochent au libéralisme son attitude matérialiste. Nous ne pouvons que leur demander de nous laisser tranquilles, de même que nous les laissons aller au ciel à leur façon. Laissons-les en paix s'enfermer dans leurs cellules, à l'écart des hommes et du monde. 

L'écrasante majorité de nos contemporains ne peut pas comprendre cet idéal ascétique. Mais dès que l'on rejette le principe du mode de vie de l'ascète, on ne peut pas reprocher au libéralisme de rechercher le bien-être extérieur. 

3. Le rationalisme
On reproche par ailleurs habituellement au libéralisme d'être rationaliste. Il chercherait à tout régler d'après la raison et ne réussirait donc pas à reconnaître que les affaires humaine laissent, et en fait doivent laisser, une grande latitude aux sentiments et à l'irrationnel en général ― c'est-à-dire à ce qui ne relève pas de la raison. 

Cependant, le libéralisme est parfaitement conscient du fait que les hommes agissent de manière déraisonnable. Si les hommes agissaient toujours de manière raisonnable, il serait superflu de les exhorter à se laisser guider par la raison. Le libéralisme ne dit pas que les hommes agissent toujours intelligemment, mais plutôt qu'ils devraient, dans leur propre intérêt bien compris, toujours agir intelligemment. Et l'essence du libéralisme est précisément qu'il souhaite que, dans le domaine de la politique sociale, on accorde à la raison le même rôle que celui qu'on lui accorde sans discussion dans les autres sphères de l'action humaine. 

Si, son médecin lui ayant recommandé un certain mode de vie raisonnable ― i.e. hygiénique ― quelqu'un répondait : « Je sais bien que vos conseils sont raisonnables, mais mes sentiments m'empêchent de les suivre. Je veux faire ce qui nuit à ma santé même si cela est déraisonnable,» quasiment personne ne considèrerait son comportement comme recommandable. Quoi que nous choisissions de faire dans la vie, quand il s'agit d'atteindre le but que nous nous sommes nous-mêmes fixé, nous nous efforçons de le faire raisonnablement. La personne qui souhaite traverser une ligne de chemin de fer ne choisira pas le moment précis où un train est en train de passer. Celui qui veut coudre un bouton évitera de piquer son doigt avec l'aiguille. Pour toute activité pratique, l'homme a développé une technique lui indiquant comment procéder si l'on souhaite éviter de se comporter de manière déraisonnable. On accepte généralement le fait qu'il est souhaitable d'acquérir les techniques dont on peut se servir dans la vie, et on traite d'incompétent celui qui met son nez dans un domaine dont il ne maîtrise pas les techniques. 

Ce n'est que dans le domaine de la politique sociale qu'il devrait en être autrement, pense-t- on. Ici, ce ne serait pas la raison mais les sentiments et les pulsions qui décideraient. La question : Comment arranger les choses afin de fournir un bon éclairage pendant les heures
d'obscurité ? n'est généralement discutée qu'avec des arguments logiques. Mais dès que la discussion en vient à savoir s'il convient de faire gérer l'industrie d'éclairage par des personnes privées ou par la municipalité, la raison n'est plus considérée comme pertinente. Dans ce cas, les sentiments, la vision du monde ― bref, la déraison ― devraient être les facteurs déterminants. Nous demandons en vain : Pourquoi ? 

L'organisation de la société humaine d'après le modèle le plus favorable à la réalisation des fins envisagées est une question concrète assez prosaïque, qui n'est pas différente, par exemple, de la construction d'une ligne de chemin de fer ou de la production de vêtements ou de meubles. Les affaires nationales ou gouvernementales sont, il est vrai, plus importantes que toutes les autres questions pratiques du comportement humain, car l'ordre social constitue les fondations de tout le reste, et qu'il n'est possible à chacun de réussir dans la poursuite de ses fins personnelles qu'au sein d'une société propice à leur réalisation. Mais aussi élevée que puisse être la sphère où se situent les questions politiques et sociales, celles-ci se réfèrent à des sujets qui sont soumis au contrôle humain et doivent donc être jugés selon les critères de la raison humaine. Dans de tels domaines, comme dans toutes les autres affaires de ce monde, le mysticisme n'est qu'un mal. Nos pouvoirs de compréhension sont très limités. Nous ne pouvons pas espérer découvrir un jour les secrets ultimes et les plus profonds de l'univers. Mais le fait que nous ne pourrons jamais saisir le sens et le but de notre existence ne nous empêche pas de prendre des précautions afin d'éviter les maladies contagieuses, ni d'utiliser les moyens adéquats pour nous nourrir et nous vêtir. Il ne devrait pas non plus nous empêcher d'organiser la société de façon à pouvoir atteindre de la manière la plus efficace possible les buts terrestres que nous poursuivons. L'État et le système légal, le gouvernement et son administration ne sont pas des domaines trop élevés, trop bons ou trop vastes, pour ne pas faire l'objet de délibérations rationnelles. Les problèmes de politique sociale sont des problèmes de technique sociale, et leur solution doit être cherchée de la même façon et avec les mêmes moyens que nous utilisons pour résoudre les autres problèmes techniques : par le raisonnement rationnel et par l'examen des conditions données. Tout ce qui constitue la nature de l'homme et l'élève au-dessus des animaux, il le doit à sa raison. Pourquoi devrait-il renoncer à l'usage de la raison dans le seul domaine de la politique sociale, et ce pour faire confiance à des sentiments ou des pulsions vagues et obscurs ? 

4. L'objectif du libéralisme
Il existe une opinion répandue selon laquelle le libéralisme se distingue des autres mouvements politiques en ce qu'il placerait les intérêts d'une partie de la société ― les classes possédantes, les capitalistes, les entrepreneurs ― au-dessus des intérêts des autres classes. Cette affirmation est totalement fausse. Le libéralisme a toujours eu en vue le bien de tous, et non celui d'un groupe particulier. C'est cela que les utilitaristes anglais ont voulu dire avec leur célèbre ― mais pas très appropriée, il faut bien l'avouer ― formule : « le plus grand bonheur pour le plus grand nombre ». Historiquement, le libéralisme fut le premier mouvement politique qui ait cherché à promouvoir le bien-être de tous, et pas seulement celui de groupes spécifiques. Le libéralisme se distingue du socialisme, qui professe lui aussi la recherche du bien de tous, non par le but qu'il poursuit mais par les moyens qu'il choisit pour atteindre ce but. 

Si l'on prétend que la conséquence de la politique libérale est, ou doit être, de favoriser les intérêts particuliers de certaines couches de la société, c'est une question qui mérite d'être discutée. L'une des tâches du présent essai est de montrer qu'un tel reproche n'est en aucun cas justifié. Mais on ne peut pas, a priori, soupçonner de malhonnêteté la personne qui soulève cette question ; il se peut qu'elle soutienne cette affirmation ― selon nous erronée ― avec la meilleure bonne foi du monde. En tout cas, ceux qui attaquent le libéralisme de cette façon concèdent que ses intentions sont pures et qu'il ne veut rien d'autre que ce qu'il dit vouloir. 

Il en va assez différemment des critiques qui reprochent au libéralisme de chercher à favoriser non pas le bien-être général mais les intérêts particuliers de certaines classes. De tels critiques sont à la fois malhonnêtes et ignorants. En choisissant ce type d'attaque, ils montrent qu'ils sont au fond d'eux bien conscients de la faiblesse de leur propre cause. Ils utilisent des armes empoisonnées parce qu'ils ne peuvent sinon espérer l'emporter. 

Si un médecin montre la perversité de son désir à un patient qui a un besoin maladif d'une certaine nourriture préjudiciable à sa santé, personne ne sera assez fou pour dire : « Ce médecin ne se soucie pas du bien de son patient ; celui qui veut le bien de ce patient ne doit pas lui refuser le plaisir de savourer des plats si délicieux. » Tout le monde comprendra que le docteur ne conseille au patient de renoncer au plaisir que lui procure la nourriture nocive qu'afin de lui éviter de détruire sa santé. Mais dès qu'il s'agit de politique sociale, il faudrait considérer les choses autrement. Lorsque le libéral déconseille certaines mesures populaires parce qu'il en attend des conséquences néfastes, il est dénoncé comme ennemi du peuple, et l'on applaudit les démagogues qui, sans égard pour les maux qui s'en suivront, recommandent ce qui semble être indiqué à l'heure actuelle. 

L'action raisonnable se distingue de l'action déraisonnable en ce qu'elle implique des sacrifices provisoires. Ceux-ci ne sont des sacrifices qu'en apparence, car ils sont plus que compensés par les conséquences favorables qui en découleront. Celui qui renonce à un mets savoureux mais malsain fait simplement un sacrifice provisoire, un prétendu sacrifice. Le résultat ― l'absence de tort causé à sa santé ― montre qu'il n'y a rien perdu, mais qu'il y a gagné. Agir de cette façon réclame toutefois de prévoir les conséquences de son action. Le démagogue tire avantage de ce fait. Il s'oppose au libéral, qui demande des sacrifices provisoires et qui n'en sont qu'en apparence, et le présente comme un ennemi sans-cœur du peuple, tout en se présentant lui comme un ami du genre humain. En soutenant les mesures qu'il défend, il sait bien comment toucher les cœurs de son auditoire et comment leur faire monter les larmes aux yeux par des allusions à la pauvreté et à la misère. 

Une politique antilibérale est une politique de consommation du capital. Elle recommande de créer davantage de biens actuels au détriment des biens futurs. C'est exactement comme dans le cas du patient dont nous avons parlé. Dans les deux cas, un inconvénient assez grave s'oppose à une satisfaction momentanée relativement importante. Parler comme si le problème se résumait à une opposition entre l'insensibilité et la philanthropie est franchement malhonnête et mensonger. Ce ne sont pas seulement les habituels politiciens et la presse des partis antilibéraux à qui l'on peut adresser un tel reproche. Presque tous les auteurs de l'école de la Sozialpolitikont utilisé cette méthode sournoise de combat. 

Qu'il y ait de la pauvreté et de la misère dans le monde n'est pas un argument contre le libéralisme, comme le lecteur moyen des journaux n'est que trop enclin à le croire, par paresse d'esprit. C'est précisément la pauvreté et la misère que le libéralisme cherche à éliminer, et il considère que les moyens qu'il propose sont les seuls adaptés pour atteindre cet objectif. Que ceux qui pensent connaître un meilleur moyen, ou même un moyen différent, en apportent la preuve. L'affirmation selon laquelle les libéraux ne se battent pas pour le bien de tous les membres de la société, mais uniquement pour celui de certains groupes particuliers, ne constitue nullement une telle preuve. 

Même si le monde menait aujourd'hui une politique libérale, le fait qu'il existe pauvreté et misère ne constituerait pas un argument contre le libéralisme. On pourrait toujours se demander s'il n'y aurait pas plus de pauvreté et plus de misère en poursuivant d'autres politiques. Étant donné toutes les méthodes mises en œuvre par les politiques antilibérales pour restreindre et empêcher le fonctionnement de l'institution de la propriété privée, et ceci dans tous les domaines, il est manifestement assez absurde de chercher à déduire quoi que ce soit contre les principes libéraux du fait que les conditions économiques ne sont pas de nos jours celles que l'on pourrait espérer. Afin d'apprécier ce que le libéralisme et le capitalisme ont accompli, il faudrait comparer les conditions actuelles avec celles du Moyen Âge ou des premiers siècles de l'ère moderne. Ce que le libéralisme et le capitalisme auraient pu accomplir si on ne les avait pas entravés, seule une analyse théorique permet de le déduire. 

5. Libéralisme et capitalisme
On appelle habituellement société capitaliste une société où les principes libéraux sont appliqués, et capitalisme la situation correspondant à cette société. Comme la politique économique libérale n'a partout été que plus ou moins fidèlement mise en pratique, la situation du monde d'aujourd'hui ne nous donne qu'une idée imparfaite de ce que signifie et de ce que
peut accomplir un capitalisme totalement épanoui. Néanmoins, on a parfaitement raison d'appeler notre époque l'âge du capitalisme, parce qu'on peut faire remonter toute la richesse de notre temps aux institutions capitalistes. C'est grâce aux idées libérales qui restent encore vivantes dans notre société, à ce qui persiste encore du système capitaliste, que la grande masse de nos contemporains peut connaître un niveau de vie bien plus élevé que celui qui, il n'y a encore que quelques générations, n'était accessible qu'aux riches et aux privilégiés. 

Certes, dans la rhétorique usuelle des démagogues, ces faits sont présentés assez différemment. A les entendre, on pourrait penser que tous les progrès des techniques de production ne se font qu'au bénéfice exclusif de quelques privilégiés, alors que les masses s'enfonceraient de plus en plus dans la misère. Il ne suffit pourtant que d'un instant de réflexion pour comprendre que les fruits des innovations techniques et industrielles permettent de mieux satisfaire les besoins des grandes masses. Toutes les grandes industries produisant des biens de consommation travaillent directement pour le bénéfice du consommateur ; toutes les industries qui produisent des machines et des produits semi-finis y travaillent indirectement. Les grands développements industriels des dernières décennies ― comme ceux du XVIIIesiècle et que l'on désigne de façon peu heureuse par l'expression de « Révolution industrielle » ― ont conduit avant tout à une meilleure satisfaction des besoins des masses. Le développement de l'industrie d'habillement, la mécanisation de la production des chaussures et les améliorations dans la fabrication et la distribution des biens d'alimentation ont, par leur nature même, bénéficié au public le plus large. C'est grâce à ces industries que les masses actuelles sont mieux vêtues et mieux nourries qu'auparavant. Cependant, la production de masse ne fournit pas seulement la nourriture, des abris et des vêtements, mais répond aussi à de nombreuses autres demandes d'une multitude de personnes. La presse est au service des masses presque autant que l'industrie cinématographique, et même le théâtre ou d'autres places fortes similaires des arts font chaque jour davantage partie des loisirs de masse.

Néanmoins, en raison de la propagande zélée des partis antilibéraux, qui inversent les faits, les peuples en sont venus de nos jours à associer les idées du libéralisme et du capitalisme à l'image d'un monde plongé dans une pauvreté et une misère croissantes. Certes, même la plus forte dose de propagande et de reproches ne pourra jamais réussir, comme l'espèrent les démagogues, à donner aux mots « libéral » et « libéralisme » une connotation totalement péjorative. En dernière analyse, il n'est pas possible de mettre de côté le fait que, en dépit de toute la propagande antilibérale, il existe quelque chose dans ces termes qui suggère ce que tout un chacun ressent quand il entend le mot « liberté ». La propagande antilibérale évite par conséquent d'utiliser trop souvent le mot « libéralisme » et préfère associer au terme « capitalisme » les infamies qu'il attribue au système libéral. Ce mot évoque un capitaliste au cœur de pierre, qui ne pense à rien d'autre qu'à son enrichissement, même si cela doit passer par l'exploitation de ses semblables. 

Il ne vient presque à l'idée de personne, quand il s'agit de se faire une idée du capitaliste, qu'un ordre social organisé selon d'authentiques principes libéraux ne laisse aux entrepreneurs et aux capitalistes qu'une façon de devenir riches : en offrant dans de meilleures conditions à leurs semblables ce que ces derniers estiment eux-mêmes nécessaire. Au lieu de parler du capitalisme en le rattachant aux formidables améliorations du niveau de vie des masses, la propagande antilibérale n'en parle qu'en se référant à des phénomènes dont l'émergence ne fut possible qu'en raison des restrictions imposées au libéralisme. Il n'est nulle part fait référence au fait que le capitalisme a mis à la disposition des grandes masses le sucre, à la fois aliment et luxe délicieux. Quand on parle du capitalisme en liaison avec le sucre, c'est uniquement lorsqu'un cartel fait monter dans un pays le prix du sucre au-dessus du cours mondial. Comme si une telle chose était même concevable dans un ordre social appliquant les principes libéraux. Dans un pays connaissant un régime libéral, dans lequel il n'y aurait pas de tarifs douaniers, des cartels capables de faire monter le prix d'un bien au-dessus du cours mondial seraient presque impensables. 

Les étapes du raisonnement par lequel la démagogie antilibérale réussit à faire porter sur le libéralisme et le capitalisme la responsabilité de tous les excès et de toutes les conséquences funestes des politiques antilibérales, sont les suivantes : On part de l'hypothèse selon laquelle les principes libéraux viseraient à promouvoir les intérêts des capitalistes et des entrepreneurs
aux dépens des intérêts du reste de la population et selon laquelle le libéralisme serait une politique favorisant le riche au détriment du pauvre. Puis on constate que de nombreux entrepreneurs et de nombreux capitalistes, dans certaines conditions, défendent les tarifs protecteurs, tandis que d'autres ― les fabricants d'armes ― soutiennent une politique de « préparation nationale » ; et on saute alors sommairement à la conclusion qu'il doit s'agir de politiques « capitalistes ». En réalité, il en va tout autrement. Le libéralisme n'est pas une politique menée dans l'intérêt d'un groupe particulier quelconque, mais une politique menée dans l'intérêt de toute l'humanité. Il est par conséquent erroné d'affirmer que les entrepreneurs et les capitalistes ont un intérêt particulierà soutenir le libéralisme. Il peut y avoir des cas individuels où certains entrepreneurs ou certains capitalistes cachent leurs intérêts personnels derrière le programme libéral ; mais ces intérêts s'opposeront toujours aux intérêts particuliers d'autres entrepreneurs ou d'autres capitalistes. Le problème n'est pas aussi simple que l'imaginent ceux qui voient partout des « intérêts » et des « parties intéressées ». Qu'une nation impose des tarifs sur le fer, par exemple, ne peut pas être expliqué « simplement » par le fait que cela favorise les magnats du fer. Il se trouve dans le pays d'autres personnes, avec des intérêts opposés, et ceci même au sein des entrepreneurs ; et, en tout cas, les bénéficiaires des droits de douane sur le fer ne représentent qu'une minorité en diminution constante. La corruption ne peut pas non plus constituer une explication, car les personnes corrompues ne sont également qu'une minorité ; de plus, pourquoi seul un groupe, les protectionnistes, se livre-t-il à la corruption et pas leurs adversaires, les libre-échangistes ? 

En réalité, l'idéologie qui rend possible l'existence de tarifs protecteurs n'a été créée ni par les « parties intéressées » ni par ceux qu'elles auraient achetés, mais par les idéologues qui ont mis au monde les idées qui gouvernent toutes les affaires humaines. A notre époque, où prévalent les idées antilibérales, presque tout le monde pense en conséquence, tout comme il y a cent ans la plupart des gens pensaient en fonction de l'idéologie libérale alors dominante. Si beaucoup d'entrepreneurs défendent aujourd'hui les tarifs protectionnistes, ce n'est rien d'autre que la forme que prend l'antilibéralisme dans leur cas. Cela n'a rien à voir avec le libéralisme. 

6. Les racines psychologiques de l'antilibéralisme
L'objet de cet ouvrage ne peut pas être de traiter du problème de la coopération sociale autrement que par des arguments rationnels. Mais les racines de l'opposition au libéralisme ne peuvent pas être comprises en ayant recours à la raison et à ses méthodes. Cette opposition ne vient pas de la raison, mais d'une attitude mentale pathologique ― d'un ressentiment et d'un état neurasthénique qu'on pourrait appeler le complexe de Fourier, d'après le nom de ce socialiste français. 

Il y a peu à dire au sujet du ressentiment et la malveillance envieuse. Le ressentiment est à l'œuvre quand on déteste tellement quelqu'un pour les circonstances favorables dans lesquelles il se trouve, que l'on est prêt à supporter de grandes pertes uniquement pour que l'être haï souffre lui aussi. Parmi ceux qui attaquent le capitalisme, plusieurs savent très bien que leur situation serait moins favorable dans un autre système économique. Néanmoins, en pleine connaissance de cause, ils défendent l'idée d'une réforme, par exemple l'instauration du socialisme, parce qu'ils espèrent que les riches, dont ils sont jaloux, souffriront également dans ce cas. On entend toujours et encore des socialistes qui expliquent que même la pénurie matérielle serait plus facile à supporter dans une société socialiste parce que les gens verront que personne n'occupe une meilleure situation que son voisin. 

En tout état de cause, on peut s'opposer au ressentiment par des arguments rationnels. Il n'est après tout pas très difficile de montrer à quelqu'un qui est plein de ressentiment, que la chose importante pour lui est d'améliorer sa propre situation, pas de détériorer celle de ses semblables qui occupent une meilleure position. 

Le complexe de Fourier est bien plus difficile à combattre. Dans ce cas, nous avons à faire face à une maladie grave du système nerveux, une névrose, qui est plus du ressort du psychologue que du législateur. On ne peut pourtant pas la négliger quand il s'agit d'étudier les problèmes
de la société moderne. Malheureusement, les médecins se sont jusqu'ici peu préoccupés des problèmes que constitue le complexe de Fourier. En fait, ces problèmes ont à peine été notés, même par Freud, le grand maître de la psychologie, ou par ses successeurs dans leur théorie de la névrose, bien que nous soyons redevables à la psychanalyse de nous avoir ouvert la voie de la compréhension cohérente et systématique des désordres mentaux de ce type. 
 
A peine une personne sur un million réussit à réaliser l'ambition de sa vie. Les résultats de notre travail, même si l'on est favorisé par la chance, restent bien en deçà de ce que les rêveries de la jeunesse nous laissaient espérer. Nos plans et nos désirs sont ruinés par un millier d'obstacles et notre pouvoir est bien trop faible pour réaliser les objectifs que nous portions dans notre cœur. L'envol de ses espoirs, la frustration de ses plans, sa propre insuffisance face aux buts qu'il s'était fixé lui-même ― tout ceci constitue l'expérience la plus pénible de tout homme. Et c'est, en fait, le lot commun de l'homme. 

Il y a pour un homme deux façons de réagir à cette expérience. On trouve l'une dans la sagesse pratique de Goethe : 

Voulez-vous dire que je devrais haïr la vie
Et fuir vers le désert
Parce que tous mes rêves bourgeonnants n'ont pas fleuri ? 

crie son Prométhée. Et Faust reconnaît au « moment le plus important » que « le dernier mot de la sagesse » est : 

Personne ne mérite la liberté ou la vie S'il ne les conquiert chaque jour à nouveau. 

Une telle volonté et un tel esprit ne peuvent pas être vaincus par la malchance terrestre. Celui qui accepte la vie pour ce qu'elle est et ne se laisse pas submerger par elle, n'a pas besoin de chercher refuge dans la consolation d'un « mensonge salvateur » pour compenser une perte de confiance en soi. Si la réussite espérée n'est pas au rendez-vous, si les vicissitudes du destin démolissent en un clin d'œil ce qui avait été péniblement construit au cours d'années de dur labeur, alors il multiplie simplement ses efforts. Il peut regarder le désastre en face sans désespérer. 

Le névrosé ne peut pas supporter la vie réelle. Elle est trop grossière pour lui, trop ordinaire, trop commune. Pour la rendre supportable, il n'a pas, contrairement à l'homme sain, le cœur de « continuer en dépit de tout. » Ce ne serait pas conforme à sa faiblesse. A la place, il se réfugie dans un fantasme, une illusion. Un fantasme est, d'après Freud, « quelque chose de désiré en soi, une sorte de consolation » ; il se caractérise par sa « résistance face à la logique et à la réalité ». Il ne suffit pas du tout, dès lors, de chercher à éloigner le patient de son fantasme par des démonstrations convaincantes de son absurdité. Afin de guérir, le malade doit surmonter lui-même son mal. Il doit apprendre à comprendre pourquoi il ne veut pas faire face à la vérité et pourquoi il cherche refuge dans ses illusions. 

Seule la théorie de la névrose peut expliquer le succès du Fouriérisme, produit fou d'un cerveau sérieusement dérangé. Ce n'est pas ici l'endroit pour démontrer la preuve de la psychose de Fourier en citant des passages de ses écrits. De telles descriptions ne présentent d'intérêt que pour le psychiatre, ou pour ceux qui tirent un certain plaisir à la lecture des produits d'une imagination lubrique. Mais c'est un fait que le marxisme, quand il est obligé de quitter le domaine de la pompeuse rhétorique dialectique, de la dérision et de la diffamation de ses adversaires, et qu'il doit faire quelques maigres remarques pertinentes sur le sujet, n'a jamais pu avancer autre chose que ce que Fourier, « l'utopiste », avait à offrir. Le marxisme est de même également incapable de construire une image de la société socialiste sans faire deux hypothèses déjà faites par Fourier, hypothèses qui contredisent toute expérience et toute raison. D'un côté, on suppose que le « substrat matériel » de la production, qui est « déjà présent dans la nature sans effort productif de la part de l'homme, » est à notre disposition dans une abondance telle qu'il n'est pas nécessaire de l'économiser. D'où la foi du marxisme dans une « augmentation pratiquement sans limite de la production. » D'un autre côté, on suppose que dans une communauté socialiste le travail se transformera « d'un fardeau en un plaisir » ― et qu'en réalité, il deviendra « la première nécessité de la vie ». Là où les biens abondent et le
travail est un plaisir, il est sans aucun doute très facile d'établir un pays de Cocagne. 
 
Le marxisme croit que du haut de son « socialisme scientifique » il est en droit de regarder avec mépris le romantisme et les romantiques. Mais sa propre procédure n'est en réalité pas différente des leurs. Au lieu d'enlever les obstacles qui se dressent sur la route de ses désirs, il préfère les laisser simplement disparaître dans les nuages de ses rêves. 

Dans la vie d'un névrosé, le « mensonge salvateur » possède une double fonction. Il ne le console pas seulement des échecs passés, mais lui offre aussi la perspective de succès futurs. En cas d'échec social, le seul qui nous concerne ici, la consolation consiste à croire que l'incapacité d'atteindre les buts élevés auxquels on aspirait n'est pas due à sa propre médiocrité mais aux défauts de l'ordre social. Le mécontent attend du renversement de cet ordre la réussite que le système en vigueur lui interdit. Par conséquent, il est inutile d'essayer de lui faire comprendre que l'utopie dont il rêve n'est pas possible et que le seul fondement possible d'une société organisée selon le principe de la division du travail réside dans la propriété privée des moyens de production. Le névrosé s'accroche à son « mensonge salvateur » et quand il doit choisir entre renoncer à ce mensonge et renoncer à la logique, il préfère sacrifier cette dernière. Car la vie serait insupportable à ses yeux sans la consolation qu'il trouve dans l'idée du socialisme. Elle lui dit que ce n'est pas lui, mais le monde, qui est responsable de son échec : cette conviction accroît sa faible confiance en lui et le libère d'un pénible sentiment d'infériorité.

Tout comme le dévot chrétien peut plus facilement supporter le malheur qui lui tombe dessus sur terre parce qu'il espère poursuivre une existence personnelle dans un autre monde, meilleur, où les premiers seront les derniers et vice versa, de même le socialisme est devenu pour l'homme moderne un élixir contre l'adversité terrestre. Mais alors que la croyance dans l'immortalité, en tant que récompense dans l'au-delà, et dans la résurrection constituait une incitation à se conduire de manière vertueuse dans la vie terrestre, l'effet de la promesse socialiste est assez différent. Cette promesse n'impose aucun autre devoir que d'apporter son soutien politique au parti du socialisme, tout en augmentant en même temps les attentes et les revendications. 

Ceci étant la nature du rêve socialiste, il est compréhensible que chaque adepte du socialisme en attend précisément ce qui lui a été jusque-là refusé. Les auteurs socialistes ne promettent pas seulement la richesse pour tous, mais aussi l'amour pour tous, le développement physique et spirituel de chacun, l'épanouissement de grands talents artistiques et scientifiques chez tous les hommes, etc. Récemment, Trotski a affirmé dans un de ses écrits que dans la société socialiste « l'homme moyen se hissera au niveau d'un Aristote, d'un Goethe ou d'un Marx. Et de nouvelles cimes s'élèveront à partir de ses sommets » . Le paradis socialiste sera le royaume de la perfection, peuplé par des surhommes totalement heureux. Toute la littérature socialiste est remplie de telles absurdités. Mais ce sont ces absurdités qui leur apportent la majorité de leurs partisans. 

On ne peut pas envoyer tous ceux qui souffrent du complexe de Fourier aller voir un médecin pour un traitement psychanalytique, le nombre des malades étant bien trop grand. Il n'y a pas d'autre remède possible dans ce cas que le traitement de la maladie par le patient lui-même. Par la connaissance de soi, il doit apprendre à supporter son sort dans la vie, sans chercher de bouc émissaire sur lequel il puisse rejeter toute la responsabilité, et il doit s'efforcer de saisir les lois fondamentales de la coopération sociale.


Ludwig von Mises

De Wikiberal
Ludwig von Mises (29 septembre 1881 Lemberg (aujourd'hui, Lviv) — 10 octobre 1973 New York) est le représentant le plus éminent de l'École autrichienne d'économie. Il est considéré comme un des leaders de l'école autrichienne d'économie qui défend le capitalisme et le libéralisme classique. D'autres économistes notables, comme Friedrich Hayek ou Murray Rothbard ont clarifié, élargi et continué les enseignements de leur mentor. 
Né en Autriche-Hongrie, il obtient en 1906 son diplôme en droit canon (car l'économie était alors uniquement enseignée en faculté de Droit). A la même époque, il participe au séminaire organisé par Eugen von Böhm-Bawerk. Puis, il enseigne à l'université de Vienne de 1913 à 1934, tout étant conseiller économique du gouvernement autrichien. Il quitte l'Autriche en 1934 lors de la montée en puissance du nazisme ; il enseigne à l'université de New York de 1945 à 1969 (il obtient la nationalité américaine en 1946). Durant, à peu près 20 ans, Ludwig von Mises organise des séminaires, en plus de ses cours à l'université de New York. Les membres sont issus de l'université et de l'extérieur. ils se réunissent tous les jeudis de 19h15 à 21h15. Parmi les participants les plus assidus, on trouve les 4 étudiants qui ont soutenu une thèse avec Ludwig von Mises : Israel Kirzner, Louis M. Spadaro, George Reisman et Hans Sennholz. Et, on compte un grand nombre d'étudiants qui ont fait une brillante carrière par la suite : Bettina Bien [Greaves], Paul Cantor, Percy L. Greaves, Henry Hazlitt, Joseph Keckeissen, George Koether, Tashio Murata, Sylvester Petro, Robert G. Anderson plus d'autres plus anonymes[1].

Pensée

Sa théorie économique a un fondement réaliste plutôt que positiviste. Partant de prémisses empiriques générales, elle procède d'une analyse praxéologique et thymologique de la nature humaine et du concept de l'action humaine qui en découle.
Critique de la macroéconomie traditionnelle, qui analyse des grandeurs statistiques, des agrégats et des moyennes, Mises souligne le rôle prépondérant de la subjectivité en économie. Il insiste sur l'importance des opinions subjectives des individus dans la formation des phénomènes sociaux, sur les déséquilibres qui en découlent, et sur le rôle central de l'entreprise.
En accord avec la théorie de l'utilité marginale décroissante, il définit la valeur comme le degré d'importance attribué par un sujet à une quantité donnée d'un bien, dans les circonstances du moment.
En 1912, il publie sa Théorie sur la monnaie et le crédit, l'une de ses principales contributions à la pensée économique qui assied sa réputation en Europe. Il met déjà en garde contre la manipulation catastrophique de la masse monétaire, qui conduisit par la suite au Krach de 1929. Il explique que la loi de l'offre et de la demande s'applique aussi au pouvoir d'achat d'une monnaie, et lui confère son « prix ». Il était précautionneux de bien distinguer la monnaie de la quasi-monnaie (ou substitut à la monnaie)[2].
En 1922, dans son Socialisme, il prédit la chute du communisme, et explique pourquoi tout système de planification centrale est non seulement moins efficace que le libre-marché, mais doit nécessairement finir par s'écrouler. Selon Mises, le marché, non entravé par des interventions étatiques, produit un ordre spontané optimal qu'aucune organisation ou planification ne saurait atteindre. La « planification individuelle » est supérieure à toute planification collective.
Son œuvre théorique vise à réfuter le collectivisme et l'étatisme sous toutes leurs formes, tant modérées comme le keynésianisme, qu'anti-libérales : socialisme, communisme ou nazisme (il remarque à ce propos que le premier gouvernement européen a avoir appliqué presque toutes les mesures économiques d'urgence prônées par le Manifeste du Parti communiste est celui de Hitler). Mises n'en est pas moins minarchiste.
Mises est un partisan de l'étalon-or, parce qu'il soustrait la monnaie au contrôle de la politique et aux tendances inflationnistes de tous les gouvernements.
Friedrich Hayek et Murray Rothbard sont ses élèves les plus éminents. 





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