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mars 17, 2015

Islamo-fascisme ??

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Le risque d’amalgame entre l’islam et le fascisme inscrit dans le slogan politique « islamo- fascisme » et utilisé par le Premier ministre français le 16 février sur RTL, a été largement critiqué. A juste titre. « Les mots ont un sens, (...). Moi je choisis ceux que j’emploie », expliquait-t-il en 2013 à l’Obs à propos du mot islamophobie auquel il préférait l’expression « anti musulman ». On suppose donc qu’il a analysé précautionneusement cette expression avant de la mentionner dans le débat public à partir de sa position institutionnelle centrale de Premier ministre du gouvernement de la République française. L’expression trainait depuis quelques années dans les milieux néo conservateurs, Noël Mamère l‘avait revendiquée dans un article publié le 15 janvier dans Rue 89 et Alain Badiou avait parlé d’attentats fascistes à propos de Charlie Hebdo dans une tribune du Monde du 27 janvier ; le Premier ministre ne prenait donc pas trop de risques politiques en récupérant cette formule. Au contraire, en inscrivant la lutte contre le terrorisme dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, il en renforçait la légitimation politique. On peut comprendre que dans le champ politique, un slogan concis et dense serve à marquer l’opinion. La référence à la mémoire collective est toujours porteuse de sens. En contre point de l’islamo-fascisme, la référence de Manuel Valls à l’apartheid prononcée le 20 janvier lors des vœux à la presse pour décrire la situation dans les banlieues françaises avait le même objectif : donner du sens à l’action politique. Encore faut-il que ces slogans, nécessairement réducteurs, s’appuient sur des analyses solides et documentées. Ce n’est manifestement pas le cas ici ; au contraire, cette formule non seulement vitrifie toute analyse sérieuse de la situation mais aussi l’aggrave. Alain Badiou dans son article du Monde ne faisait pas le lien entre l’islam et le fascisme, il montrait d’abord que le mode opératoire des criminels était de type fasciste : choix des cibles, visibilité, implacabilité. Des historiens ont comparé l’idéologie fasciste et l’idéologie islamiste, et y ont trouvé des points de convergence troublants : culte du chef, d’un livre, militarisation de la société, propagande exaltant la violence et le courage, mystique romantique du passé. Le politologue Jean Yves Camus, spécialiste des mouvements d’extrême droite et chercheur associé à l’IRIS, montre de son côté que l’on ne retrouve pas les fondamentaux du fascisme dans l’idéologie islamiste : économie d’État, hostilité à l’économie de marché, vision de l’État, renaissance nationale sur une base ethnique (1), même si la discrimination des minorités religieuses et des femmes est centrale dans l’idéologie islamiste. L’antisémitisme commun à ces deux idéologies n’a pas les mêmes fondements. Pour les fascistes, et plus spécifiquement les Nazis, le Juif déicide, cosmopolite, capitaliste, appartenait à une race qu’il fallait éliminer. Pour Daech, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Boko Haram ou Al-Qaïda, Israël et le Juif, qu’il faut éliminer, sont l’Occident corrompu implanté au cœur de la terre de l’islam sur un territoire qui contrôle la troisième ville sainte de l’islam. Curieusement, la haine du Juif dans ces deux idéologies se base sur des arguments opposés : d’un côté le Juif ne peut s’intégrer à la civilisation occidentale, de l’autre il la représente. Le slogan islamo- fascisme gomme ces importantes nuances historiques. Paul Ricœur (2) montrait que le travail d’historien était justement d’aider à la construction d’une mémoire collective basée sur la vérité de l’histoire et non pas sur un récit collectif construit pour justifier le présent. En l’espèce, Manuel Valls propose le contraire, mais il n’est pas historien. On peut se demander d’ailleurs, pourquoi l’expression islamo-nazisme n’a pas été choisie, tant les images terrifiantes et les discours criminels qui nous viennent du Moyen Orient, d’Afrique du Nord ou sub-saharienne, nous font plus penser aux exactions allemandes de la Seconde guerre mondiale que la pompeuse propagande mussolinienne. Le corpus idéologique nazi était bien plus construit que celui du fascisme italien. En définitive, le slogan propose une litote politiquement correcte : le fascisme appartient encore au vocabulaire politique. Le rapprochement nazi et islam aurait surchargé contre productivement la barque sémantique. Par ailleurs, les critères caractérisant les totalitarismes du XXe siècle, proposés par Hannah Arendt (3) mériteraient d’être rapprochés de l’islamisme criminel de Daech : un mouvement totalitaire est « international dans son organisation, universel dans sa visée idéologique, planétaire dans ses aspirations politiques ». Ce dernier critère n’est pas immédiat. On pourra estimer que ces subtilités n’ont aucun poids face à la question urgente de la réaction et donc de la répression légitime contre cette barbarie contemporaine qui, jusqu’à présent, a fait plus de victimes musulmanes que non musulmanes. Peut-être, mais ce qui est dramatique dans cette expression, c’est qu’en désignant la racine du mal, l’islam, elle empêche de se demander si elle n’est pas ailleurs. En indexant ainsi l’islam, le slogan apporte sa touche à la radicalisation de ces Français qui ne connaissent ou ne se reconnaissent pas dans la mémoire collective dominante. Il porte un jugement qui annonce les actions à venir, sans avoir au préalable regardé la réalité. Quelle est cette réalité ? Sur un plan historique, les régimes totalitaires du XXe siècle ont construit leurs discours en s’appuyant sur les récits idéologiques (littéraires, historiques, politiques) disponibles à ce moment pour fonder leur vision de leur société. La vision raciale du nazisme s’est appuyée sur une lecture régressive de la culture et de l’histoire allemande. Le culte de l’autorité fasciste s’est appuyé sur une lecture biaisée de l’histoire romaine. Aujourd’hui, nous viendrait-il sérieusement à l’idée de demander aux Allemands de se justifier sur le nazisme à partir de la bible de Luther, Nietzsche, Hegel ou Frédéric de Prusse ? Oserait-on demander aux Italiens de s’expliquer sur le fascisme à partir de la Guerre des Gaules ? Aux Russes, à partir de Guerre et Paix ou du Capital (4) ? C’est pourtant ce que l’on fait avec les Musulmans en les sommant de s’expliquer sur le Coran. Le Coran est mis au même niveau que Mein Kampf. Mais Daech, AQMI, Al-Qaïda, Boko Haram se revendiquent bien de l’islam et du Coran. Le racialisme nazi, l’autoritarisme fasciste et l’antihumanisme soviétique étaient les véritables sources des visées idéologiques de ces trois régimes politiques qui avaient leurs singularités mais qui avaient en commun leur refus de la démocratie représentative et de l’État libéral. De la même manière aujourd’hui, l’une des sources de la singulière folie meurtrière et expansionniste qui nous vient du Moyen-Orient ou d’Afrique n’est pas l’islam mais la haine de ce qu’ils désignent comme l’Occident. Une autre singularité est l’utilisation efficace des nouvelles technologies de l’information que ce même Occident construit. Leur Occident est déterritorialisé, il correspond maintenant à toute forme de modernité non écrite dans le Coran ou les Hadith à partir de leur lecture littérale. L’islam, dans une lecture régressive du Coran, est le dernier récit idéologique disponible dans cette région du monde pour habiller cette haine meurtrière. Si les penseurs de l’islam ont un travail à faire, c’est celui à l’intérieur de l’islam de se demander pourquoi, comment et où, ces criminels vont chercher leurs références et ainsi de déconstruire leur discours pour les combattre par le verbe. L’autre combat à mener, encore à l’intérieur de l’islam, est celui, dans notre monde sécularisé, de développer les sources d’une spiritualité éclairée que le Coran propose (5). Ce travail interne à l’islam a largement commencé mais il est étouffé par l’idéologie wahhabite qui contrôle le pétrole et les lieux saints de l’islam. Les sources de l’antisémitisme chrétien et de l’inégalité des sexes chez Saint Paul sont connues, mais elles n’amènent plus depuis longtemps à faire peser sur nos concitoyens de confession chrétienne, la responsabilité des profanations de tombes juives ou les inégalités sociales dues au sexe. De la même manière, un observateur un peu attentif en Afrique sub-saharienne non musulmane observera le même phénomène de défiance contre l’Occident mais qui n’a pas encore pris cette dimension meurtrière : les récits idéalisés des luttes contre la colonisation et pour les indépendances, le panafricanisme, l’authenticité culturelle, la longue histoire de la traite négrière servent de support idéologique pour habiller une radicalité qui monte au sein de la jeunesse urbanisée. Pourquoi cette haine ? Paul Ricœur, dans son livre d’entretien « La critique et la conviction », estimait en 1995 (6) : « Nous avons trop tendance à n’envisager les musulmans que sous l’angle de la menace intégriste et nous oublions la menace inverse qui pèse sur eux, c’est à dire la désintégration. (...) Ils jugent nos sociétés sur la voie de la désintégration et ils refusent d’en être également victime (...) L’islamisme, c’est aussi cela : une sorte de protection, à certains égards panique, face à une menace de décomposition ». Comprendre l’autre n’est pas justifier ses actes mais tenter d’y répondre à partir de leurs logiques internes. Le repli communautaire pacifiste dans nos banlieues ou l’hubris djihadiste montrent ce désir de protection vis-à-vis de valeurs que cet Occident porte ou est supposé porter à leurs yeux : athéisme, consumérisme, anti-traditionalisme, arrogance universaliste, matérialisme, corruption morale. A la même époque que Ricœur, Bourdieu (7) écrivait à propos des penseurs réactionnaires du XIXe siècle qui ont alimenté plus tard le fascisme : « Et l’on comprend mieux la mystique révolutionnaire de la nation dans ce qu’elle a de plus antipathique pour la conviction universaliste (...) si l’on sait y voir une riposte distordue à l’agression ambiguë que représente l’impérialisme de l’universel (riposte dont l’homologue pourrait être aujourd’hui un certain intégrisme islamiste) ». Aujourd’hui, l’islamisme criminel a comme point commun avec les totalitarismes du XXe siècle le refus de la démocratie représentative et de l’État libéral. C’est bien au nom de ces principes là que nous devons riposter vigoureusement. Mais c’est surtout au nom de ces principes là que nous devons aussi nous interroger sur le type de société humaine que nous construisons. Après la barbarie nazie et face au danger soviétique, les démocraties représentatives avaient su réagir en promouvant les droits de l’homme, l’État providence et les dispositifs de solidarité nationale. Vingt ans après la fin de la guerre, la décolonisation était presque achevée. Ces fondements de nos sociétés européennes sont partout remis en cause au nom de l’efficacité économique. Un nouveau pacte colonial se dessine autour des richesses et des terres africaines. La politique israélienne de peuplement sur les territoires occupés après 1967 mine tout espoir de solution politique au Proche-Orient. Les droits de l’homme, la bonne gouvernance, la lutte contre la pauvreté sont brandis comme des oriflammes religieux sur le terrain de bataille économique et géostratégique. Ce que nous montrent Daech, Al-Qaïda et leurs épigones, c’est que la réaction face à leurs projets délirants, si elle doit être bien sûr militaire à court terme, ne doit pas nous exonérer d’être intelligent et de repenser la mise en
pratique de nos fameuses valeurs universelles pour qu’elles ne soient pas perçues comme une nouvelle « domination de l’homme, hétérosexuel, euro-américain, blanc, bourgeois au nom des exigences formelles d’un universalisme abstrait (démocratie, droits de l’homme), dissocié des conditions économiques et sociales de sa réalisation historique (...) » (8), à la nuance que la défense des droits des minorités sexuelles est un des épicentres de cette fracture au nom des droits universels. En sommant les musulmans de s’expliquer sur le Coran, comme le demandent Noël Mamère ou Patrice Pelloux qui ont déjà été mieux inspirés, en faisant grossièrement le lien entre islam et fascisme, en restant dans nos représentations auto-référencées, comme la navrante auto-célébration humaniste des Césars pour un film binaire, esthétisant et ambigu, nous renforçons cette défiance que notre arrogance transforme en haine. Hélas, il est à craindre que la force de ces arguments ne fasse pas le poids contre les arguments de force néo-conservateurs que Manuel Valls nous assène.
 
(1)Interview, Le Point, 16 février 2015
(2) Paul Ricœur. La mémoire, l’histoire, l’oubli. Editions du Seuil, collection Essais. Paris, 2000.
(3) Hannah Arendt,
Le Système totalitaire, Le Seuil (collection « Points / Essais », no 307), 2005
(4) D’ailleurs écrit par un Allemand : Karl Marx.
(5) Lire à ce sujet le bel article d’Abdennour Bidar, philosophe musulman, normalien qui enseigne à
Montréal, publié en novembre 2014 : http://blog.oratoiredulouvre.fr/2014/10/tres-profonde-lettre- ouverte-au-monde-musulman-du-philosophe-musulman-abdennour-bidar/
(6) Paul Ricœur, La critique et la conviction, Calman Lévy, 1995, collection Pluriel, librairie Arthème Fayard, 2013, p. 202. Ce livre est la meilleure entrée dans la pensée de Paul Ricœur.
(7) Pierre Bourdieu, Les méditations pascaliennes, Editions du Seuil, 1997, p. 113.
(8) Pierre Bourdieu,
Les méditations pascaliennes
, Edition du Seuil 1997, p. 105.


GEOPOLITIQUE DE LA CULTURE : l’islamo-fascisme : une grave erreur d’analyse et de jugement
Source, journal ou site Internet : IRIS
Date : 16 mars 2015
Auteur : Christophe Courtin

février 12, 2015

Étude géopolitique sur la condition féminine dans le monde

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Voici la première étude géopolitique sur la condition féminine, sous la forme d’un manuel qui expose clairement une vue d’ensemble de la question. 

Présentation du livre d’Élizabeth Crémieu, Bouchra Benhida "Géopolitique de lacondition féminine", Paris, Collection Major, PUF, 2014, 204 p. ISBN-972-2-13-062130-0 

VIOLS en Inde en 2012 ou enlèvement de 200 étudiantes par Boko Haram au Nigéria en 2014, la médiatisation croissante de violences contre des femmes témoigne d’un état de la condition féminine encore difficile dans le monde, et ce, malgré le troisième objectif du millénaire du développement souhaitant « promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ». Cette question ne se pose bien sûr pas qu’au « Sud » et se retrouve aussi dans les pays dits « développés », avec par exemple les débats récurrents sur la parité en France ou la restriction du droit à l’avortement par de nombreux états des Etats-Unis. Enfin, alors que le mouvement Femen donne une image souvent critiquée du féminisme, il semble justifié de s’interroger sur la situation des femmes aujourd’hui. Elizabeth Crémieu, agrégée de géographie et ancien professeur de classe préparatoire HEC et maitre de conférence à Sciences Po, se propose justement de dresser la géopolitique de la condition féminine dans son ouvrage, réalisé en collaboration avec Bouchra Benhida, docteur en économie et directrice de l’Institut de recherche et d’analyse en géopolitique et géoéconomie de l’ESCA (Casablanca). Lorsqu’on traite de la condition des femmes, on est au cœur d’un affrontement entre la tradition et la modernité. Elizabeth Crémieu retient deux aspects pour définir la condition féminine : les droits des femmes d’une part, c’est-à-dire droits civils, politiques, droit à l’éducation, aux soins, au travail ; et leurs conditions de vie d’autre part, plus précisément leur statut, leur relation avec les hommes, leurs libertés, etc. Malgré des progrès certains mais inachevés, le danger de recul est grand, surtout dans le contexte actuel de recrudescence des violences envers les femmes. Comme l’avait bien compris Jules Ferry en 1880, « celui qui tient la femme, celui-là tient tout » (cité p. 12). La femme est en effet à la fois marqueur identitaire et clé de la maitrise démographique. Il est important aussi de noter que « lorsqu’on traite de la condition des femmes, on est au cœur d’un affrontement entre la tradition et la modernité » (p. 14). 

Contrôler... croient-ils
Dans son ouvrage, l’auteure revient d’abord sur l’héritage universel et persistant de l’infériorité de la femme. Cet héritage, qu’on retrouve dans tous les textes fondateurs des religions mais aussi chez des penseurs comme S. Freud ou C. Levi-Strauss, se justifie par l’infériorité physique des femmes et instaure une division sexuée des tâches : aux hommes la gestion des questions productives et politiques, aux femmes celle des fonctions reproductives et domestiques. Se retrouve aussi ici la volonté des hommes de contrôler la fécondité. Préférence pour les fils, importance de la virginité, réclusion des femmes, dot, mariage précoce, prostitution, privation du droit à l’héritage, exclusion des veuves, chasse aux sorcières, violences, sont autant d’exemples cités pour illustrer la place traditionnelle de la femme soumise. La responsabilité des femmes dans la reproduction de ce modèle de génération en génération n’est enfin pas à sous-estimer. 

Les droits de vote, à l’éducation, à la protection
Elizabeth Crémieu dresse ensuite un tableau du féminisme, depuis les Lumières à aujourd’hui, en passant par les conséquences de la Révolution industrielle et celles de l’exode rural et de l’urbanisation. Les premiers mouvements féministes apparaissent en Europe et en Amérique du Nord au XIXe siècle, menés par des femmes instruites de la classe moyenne favorisée, en lien avec d’autres grandes mobilisations de l’époque comme la lutte contre l’alcoolisme, la prostitution ou l’esclavage. Une des premières revendications est le droit de vote, qui remet directement en cause « une des prérogatives essentielles des hommes : le monopole de la gestion de la cité » (S. Samouiller et K. Jabre dans Le Livre noir de la condition des femmes, cités p. 56). Le droit à l’éducation et la protection des mères font aussi partie des revendications. 

Le féminisme est multiforme : féminisme de l’égalité ou de la différence, féminisme socialiste ou libéral, « black feminism », féminisme laïque et universaliste, féminisme d’inspiration religieuse. 

Suit la deuxième vague féministe des années 1960 et 1970 avec la liberté sexuelle, la contraception et l’avortement. Les « gender studies » apparaissent également à ce moment-là. Certains parlent d’une troisième vague dans les années 1990, le féminisme « pro-porn », revendiquant la légalisation de la prostitution. L’auteure souligne que le féminisme est multiforme : féminisme de l’égalité ou de la différence, féminisme socialiste ou libéral, « black feminism », féminisme laïque et universaliste, féminisme d’inspiration religieuse. Le féminisme est également parcouru de tensions : entre femmes éduquées et populaires, entre féminisme indépendant et féminisme des ONG. Et enfin, entre féminisme du Nord et féminisme du Sud. Car le Sud aussi connaît des mouvements féministes. D’abord minoritaires et faibles dans les contextes de décolonisation, les revendications se font entendre après les indépendances qui n’ont pas amélioré la situation des femmes. Il faut aussi noter l’héritage égalitaire des sociétés communistes ou encore les avancées des dictatures modernistes. Au Nord comme au Sud, les mêmes méthodes sont utilisées : relais de la presse, manifestations, utilisation d’Internet, lobbying. Cela n’est cependant pas sans danger dans bon nombre de pays où les femmes risquent l’emprisonnement, l’exil ou parfois même la mort. Enfin, le féminisme est souvent méconnu et caricaturé. 

Dynamiques
La condition féminine a connu de grands progrès depuis 1945. D’abord, les femmes ont maintenant le droit pour elles avec des textes comme la Charte de l’ONU garantissant l’égalité des droits des femmes et des hommes. La communauté internationale s’est emparé de cette question avec, entre autres, la création d’ONU Femmes et la Convention pour l’élimination des discriminations envers les femmes (CEDAW). Le livre insiste sur le rôle important de l’intérêt politique à l’échelle nationale dans le traitement de ces questions. Cela peut même devenir un enjeu de politique étrangère comme le montre l’exemple de l’octroi par l’Arabie Saoudite du droit de vote aux femmes prévu en 2015. Cependant, le droit civil reste encore discriminatoire dans de nombreux pays. 

La santé des femmes - notamment leur espérance de vie - peut être considérée comme un révélateur de l’état d’une société et des rapports entre les sexes. 

Les progrès scientifiques ont, eux, permis la contraception, largement utilisée dans le monde (par 61% des couples aujourd’hui). Pour Françoise Héritier citée p. 96, le droit à la contraception « constitue le levier essentiel de la sortie de la domination parce qu’il porte et agit au lieu même où la domination s’est produite ». Et face à la religion, le plus souvent contre, l’impératif démographique a permis la diffusion de la contraception. L’avortement,
lui, reste un sujet brûlant et est limité dans les trois quarts des pays. La santé des femmes a également connu des progrès, même si les écarts demeurent très grands entre les pays à revenu élevé et les pays à revenu moyen ou faible. A ce titre, la santé des femmes peut être considérée comme un révélateur de l’état d’une société et des rapports entre les sexes. 

Eduquer les filles
L’éducation des filles est importante car elle a des effets multiplicateurs sur la démographie, la santé et l’économie. On note de grands progrès dans les taux de scolarisation ainsi qu’une progression de la parité dans le monde. Cependant, des écarts persistent entre Nord et Sud, où la pauvreté, la distance jusqu’à l’école, les possibles harcèlements sexuels et le faible nombre d’enseignantes sont autant de freins à la scolarisation des filles. Au Nord, on continue de noter des différences d’orientation selon les sexes. Et, malgré ces progrès, en 2008, deux tiers des analphabètes restent des femmes. Enfin, l’éducation est la première à souffrir des guerres et des crises économiques. 




Deux tiers des pauvres sont des femmes.
Le travail des femmes a également augmenté et s’est déplacé de l’agriculture vers l’industrie et les services. Les femmes souffrent encore d’une ségrégation verticale et horizontale, au Nord comme au Sud. Au Sud, le problème des emplois informels et vulnérables touche d’abord les femmes, avec une « féminisation de la survie » [1]. L’auteure rappelle d’ailleurs que deux tiers des pauvres sont des femmes. Il existe cependant un lien entre richesse, puissance et emploi des femmes, et on lie maintenant souvent la question de la croissance et du développement à celle de l’amélioration de la condition féminine. Pour les femmes aussi, travailler peut avoir des effets positifs, à l’image du cas de l’émigration de travail qui, malgré les difficultés rencontrées, constitue une libération et un gain en statut pour les femmes qui renvoient l’argent gagné au pays et font ainsi vivre leur famille. 

Pour certains, « le corps de la femme est, non pas métaphoriquement mais réellement, un territoire ennemi, jugulé, terrassé, mis à sac et à profit ». 

Pour finir, Elizabeth Crémieu décrit les menaces pesant sur les femmes. Elle note que la montée des fondamentalismes religieux, toutes religions confondues, représente aujourd’hui le plus grand danger, car ces derniers cherchent à contrôler la femme et la sexualité pour gagner le pouvoir en imposant des valeurs. La femme est en effet un marqueur de l’identité d’une société : « Dans toutes les sociétés qui se sentent menacées, ce sont les femmes qui sont chargées de conserver, de porter l’identité. Si elles veulent se libérer, c’est qu’elles sont passées à l’ennemi » (Sophie Bessis, citée p. 157). De plus, les violences contre les femmes sont en augmentation. Le fémicide est aujourd’hui la première cause de mortalité des femmes. Ces violences contre les femmes peuvent avoir des conséquences géopolitiques comme le montre l’exemple des fœticides féminins en Chine, où le manque de femmes pourrait avoir deux effets: un «nouvel enlèvement des Sabines»[2] et un enrôlement plus important des hommes dans l’armée. F. Héritier, citée p. 167, affirme que « le corps de la femme est, non pas métaphoriquement mais réellement, un territoire ennemi, jugulé, terrassé, mis à sac et à profit ». Ainsi les viols par exemple peuvent être de véritables armes politiques, notamment en temps de guerre ou de nettoyage ethnique. Ainsi, les acquis pour la condition féminine restent fragiles et menacés. Et face à cette menace que constituent les « trafiquants de Dieu » [3], Elizabeth Crémieu conclue ainsi : « La guerre est donc déclarée entre partisan(e)s de l’égalité et de la liberté des femmes et des hommes, et partisan(e)s des traditions. Cette guerre se déroule non pas entre des civilisations ou des sociétés, des Etats, ou des religions, mais au sein de chaque société, de chaque Etat, de chaque religion, et peut-être de chaque individu.» (p. 186) Cette «première étude géopolitique sur la condition féminine»[4] se présente comme un manuel et expose clairement une vue d’ensemble de la question. La construction thématique par chapitres donne parfois une impression de catalogue compilant les travaux existants sur la condition féminine. Cela a toutefois l’avantage de présenter de nombreux exemples et de renvoyer à de nombreux auteurs. La bibliographie, organisée elle aussi selon les chapitres, permet en effet de se référer facilement aux ouvrages cités. Elizabeth Crémieu semble prendre fait et cause pour les femmes, mais sait aussi reconnaître que les hommes n’ont pas tous les torts et que le patriarcat a pu avoir des effets bénéfiques, comme la protection. Elle reste cependant en retrait pour faire un exposé neutre tentant de traiter tous les aspects de la question, ne montrant son envie d’être digne de l’héritage féministe qu’à la dernière ligne. 



Géopolitique de la condition féminine
4e de couverture 

Où en est la condition des femmes ? Malgré l’influence tenace des traditions patriarcales dans une grande partie du monde, de nombreux progrès ont été accomplis depuis soixante-dix ans, que ce soit en matière de droits politiques et civils, d’accès à la contraception et à l’avortement, ou encore de droit à l’éducation et au travail. Ces avancées constituent un facteur majeur de croissance et de développement. Elles sont toutefois très inégales selon les régions du monde et constamment menacées : le fémicide reste en effet la première cause de mortalité des femmes, et ce type de violences tend aujourd’hui à se répandre. Cet ouvrage s’adresse à ceux qui veulent connaître les origines des inégalités entre les hommes et les femmes et étudier les enjeux de pouvoir qui en découlent à l’ère de la mondialisation, et en particulier aux étudiants en géopolitique et dans les IEP. 

[1] Formule de Saskia Sassen citée p.142.
[2] Formule de Gérard-Francois Dumont dans son article « Vers un nouvel enlèvement des Sabines ? » paru dans Géostratégiques, n°17, en septembre 2007, formule citée p. 171.
[3] Formule utilisée par Elizabeth Crémieu p. 186.
[4
] Présentation faite par l’éditeur en quatrième de couverture.


GEOPOLITIQUE DE LA CULTURE :
Géopolitique de la condition féminine  
Source, journal ou site Internet : diploweb
Date : 10 février 2015
Auteur : Ornella Chassagne:

Etudiante en Master I de Relations Internationales et Action à l’Etranger à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Créé en 2005, le Master de Relations Internationales et Action à l’Etranger a pour vocation de préparer les étudiants à la grande variété des métiers ouverts sur la vie internationale.

janvier 16, 2015

RP#9 - Stratégie - Guerres et Paix ( sommaire: 8 thèmes actuels)

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


Sommaire: 

A) - Le budget de la défense reste insuffisant face aux nouvelles menaces - Les Echos du 16 janvier 2015 par le groupe de réflexion « les Arvernes3 »

B) - Le jihad en Syrie et en Irak : un défi pour la France - IFRI du 16 janvier 2015 par Marc Hecker

C) - Le vrai crime de la Corée du Nord - Slate du 16 janvier 2015 par Anne Applebaum

D) - En attendant l’issue des négociations entre l’Iran et l’Occident sur le nucléaire... - L’Orient le Jour du 16 janvier 2015 par Scarlett Haddad


E) - Les Etats-Unis sur les dents après les attentats de Paris - La Libre Belgique du 16 janvier 2015


F) - 102,9 milliards de dollars - Le monde du 16 janvier 2015

G) - Nasrallah menace de riposter contre les raids israéliens en Syrie - L’Orient le Jour du 16 janvier 2015

H) - Bassin du lac Tchad : vers un Etat islamique Boko Haram ? - L’Express du 15 janvier 2015 par Alain Nkoyock



 
A) - Le budget de la défense reste insuffisant face aux nouvelles menaces


Alors que le coût des opérations extérieures explose, le budget voté pour le ministère de la Défense en 2015 comporte de graves lacunes. A l’occasion de ses vœux aux armées et cherchant à tirer les conséquences des attentats meurtriers qui ont récemment frappé notre pays, le président de la République a annoncé le 14 janvier 2015 qu’il souhaitait revenir sur le rythme de réduction des effectifs du ministère de la défense. Cette annonce intervient dans un contexte d’accroissement régulier des risques et des menaces de nature géopolitique, alors que l’année 2015 se lève sous des auspices particulièrement troublés, dans un contexte de hausse régulière des difficultés structurelles du ministère français de la défense. En effet, la politique de défense du président de la République est construite sur le postulat suivant : le budget de la défense est sanctuarisé et « l’effort de la nation pour sa défense est tenu ». Ces assertions sont à ce jour totalement fausses. De fait, en 2015, le ministère de la Défense continue de s’affaiblir. En dehors des 7.500 postes supprimés, soit 65 % des 11.431 postes supprimés dans la fonction publique d’Etat, le budget voté par l’Assemblée nationale le 18 novembre 2014 pour 2015 fait état de 31,4 milliards d’euros de crédits de paiement pour la défense, dont 2,4 milliards d’euros constitués de « crédits exceptionnels », qui ne sont gagés sur rien de tangible.

Ces « crédits exceptionnels » devaient entre autre être tirés de la vente de fréquences hertziennes et des retombées des exportations d’armements. Or, le ministère de la Défense est aujourd’hui confronté à un double problème. D’une part, les ventes de fréquences ne pourront pas se faire avant 2016 pour des raisons de négociations internationales et d’atonie du marché des télécommunications. D’autre part, les exportations françaises d’armements sont confrontées à de nouvelles difficultés qui tiennent d’abord aux irrésolutions de la politique française de défense. Ainsi, depuis le début de l’année, l’Inde a fait savoir à deux reprises qu’elle étudiait un plan B pour l’équipement de ses forces aériennes, en proposant d’acheter des avions de combat russes Sukhoi-30 plutôt que les 126 Rafale proposés par Dassault. A cela s’ajoute une dimension politique plus franco-française qui pourrait conduire à la fin des espoirs de Rafale sur ce marché. Si c’était le cas, des questions devraient être posées sur les possibles effets de la récente crise franco-russe sur ce contrat et sur l’impact plus global de l’attitude française sur nos potentiels acheteurs d’armements. De fait, on ne mesure pas suffisamment le coût politique que représente pour l’industrie française de défense la non-livraison des deux navires BPC de classe Mistral à la Russie, en décembre dernier.

 L’erreur politique fut effectivement de signer ce contrat avec la Russie en juin 2011, éveillant la méfiance de nos partenaires de l’Otan. Mais à cette erreur initiale s’ajoute désormais un doute certain sur la parole de la France et sur sa capacité à honorer les contrats signés ; ce que n’ont pas manqué de rappeler les Russes aux Indiens. A l’heure où le budget des opérations extérieures françaises explose (450 millions prévus dans le budget 2014 pour une facture finale dépassant le milliard d’euros) et où la Cour des Comptes pointe dans son rapport du 29 septembre 2014 l’extrême faiblesse du maintien en condition opérationnelle des matériels militaires français, le ministère de la Défense propose, pour colmater les brèches budgétaires de plus en plus béantes, de vendre notre matériel militaire à des sociétés de projet ou SPV (« special purpose vehicle »), qui seront ensuite chargées de louer ces matériels à nos forces. Un constat évident s’impose : la défense française n’est pas du tout sanctuarisée.  

Les récents propos du président de la République montre au contraire, s’il en était encore besoin, que les sacrifices imposés au ministère de la Défense depuis 2012 ont durablement fragilisé notre sécurité et nos capacités à répondre avec succès aux défis sécuritaires, d’où qu’ils viennent.



B) - Le jihad en Syrie et en Irak : un défi pour la France

Le jihad en Syrie et en Irak a attiré environ 15 000 volontaires étrangers dont 3 000 occidentaux. Parmi ces derniers, de nombreux Français. Les chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur en novembre 2014 sont impressionnants : 1132 résidents français étaient alors impliqués dans les filières jihadistes. 376 étaient présents en Syrie ou en Irak, plus de 300 étaient décidés à partir de France, 184 étaient en transit, 199 avaient quitté les zones de guerre (dont 109, de retour en France, avaient été mis en examen) et 49 étaient décédés. Ces individus ont des profils variés : si les jeunes issus de familles musulmanes, ayant un faible niveau scolaire et des difficultés à s’insérer professionnellement semblent surreprésentés, on trouve aussi nombre d’individus ayant abandonné en France un emploi stable et convenablement rémunéré. Le nombre de convertis est élevé probablement supérieur à 20%. 

Les femmes sont nombreuses : environ 250. Si les cas d’adolescents ayant rejoint la Syrie ont particulièrement défrayé la chronique, la moyenne d’âge n’est en réalité pas si basse : elle se situerait aux alentours de 25 ans. L’origine géographique des jihadistes est tout aussi variée : plus de 80 départements français comptent au moins un jihadiste en Syrie ou en Irak. Internet et les réseaux sociaux ont facilité cette forme de décentralisation qui permet à l’idéologie de l’État islamique (EI) ou de Jabhat al-Nosra d’arriver jusqu’aux coins les plus reculés de Normandie ou du Languedoc-Roussillon. Pour mieux appréhender le phénomène du jihad en Syrie et en Irak, il convient de le remettre dans une perspective historique puis d’avancer certaines raisons expliquant l’engouement qu’il suscite. Ce n’est qu’ensuite que les mesures mises en place par la France pour lutter contre les filières jihadistes pourront être discutées. 

Les jihads de l’ère moderne
Le phénomène de l’afflux de jihadistes étrangers vers une zone de conflit n’est pas nouveau. L’occupation de l’Afghanistan par l’Union soviétique dans les années 1980 a ouvert l’ère du jihad moderne. En 1984, Oussama Ben Laden et Abdallah Azzam créent à Peshawar une
structure appelée le « bureau des services » – l’ancêtre d’Al Qaïda – chargée d’accueillir les volontaires arabes désireux de soutenir les moudjahidines afghans. En 1984 également, Azzam publie un livre intitulé La Défense des territoires musulmans dans lequel il affirme que le jihad en Afghanistan est une obligation individuelle pour tous les musulmans. Cette affirmation constitue une innovation doctrinale majeure puisqu’elle déterritorialise le jihad. En effet, jusqu’alors, l’obligation individuelle de faire le jihad ne s’appliquait qu’aux habitants du territoire concerné. L’appel d’Azzam est entendu : de 1984 à 1989, le « bureau des services » attire des milliers de combattants arabes. Les estimations varient grandement selon les sources : entre 3 000 et 25 000. Les conséquences de ce jihad afghan se sont fait sentir sur le long terme. Le retour des jihadistes dans leur pays d’origine a été un facteur de déstabilisation, le cas le plus emblématique étant celui de l’Algérie où les « Afghans » ont nourri la dynamique de la guerre civile. 
 
Dans la mythologie jihadiste, le jihad en Afghanistan occupe une place spécifique, d’une part parce qu’Al Qaïda y trouve son origine et d’autre part parce que les jihadistes sont convaincus qu’ils ont réussi à battre l’Armée rouge et, au-delà, à abattre l’Union soviétique. Les jihadistes jouiraient ainsi d’une supériorité morale qui leur permettrait de vaincre n’importe quel ennemi. D’autres jihads ont suivi dans les années 1990 et la première décennie des années 2000 Bosnie, Tchétchénie, Afghanistan post-2001, Irak post-2003 –, mais aucun n’a suscité le même engouement que celui des années 80 contre l’Union soviétique. Ce qui se lit dans les chiffres de volontaires affluant vers ces zones de conflits : pour ce qui est des jihadistes français, les départs vers chacun de ces théâtres se sont comptés en dizaines. Aujourd’hui, le jihad en Syrie et en Irak concurrence, dans l’imaginaire jihadiste, celui contre l’Union soviétique et ce pour plusieurs raisons. 

Les raisons de l’engouement pour le jihad en Syrie et en Irak
Au moins trois types de raisons théologiques, historiques et pratiques contribuent à expliquer pourquoi le jihad en Syrie et en Irak suscite un tel engouement. Au niveau théologique, tout d’abord, la Syrie est englobée dans ce que les jihadistes appellent « le pays de Cham ». Ils expliquent souvent que cette zone est magnifiée dans le Coran, et qu’elle constitue la deuxième région la plus importante dans l’islam après la péninsule arabique. Elle est, en tout état de cause, bien plus importante que le Khorasan, expression employée par les jihadistes pour parler de l’Afghanistan et d’une partie de l’Asie centrale. En outre, des cheiks influents, comme Youssef al Qaradawi, ont appelé au jihad en Syrie. Venir en aide aux populations massacrées par le régime alaouite de Bashar el-Assad est ainsi vu comme un acte légitime dans une grande partie du monde sunnite. Au niveau historique, la Syrie et l’Irak ont été le cœur du califat abbasside de 750 à 1258. Pendant une brève période, la ville de Raqqa aujourd’hui un des principaux bastions de l’EI – en a d’ailleurs été la capitale. 

Or le chef de l’EI, Abou Bakr al Bagdadi, accorde une importance particulière à la notion de califat : à l’été 2014 il s’est autoproclamé calife, et a par là même pris de court Al Qaïda dont les chefs conçoivent traditionnellement la restauration du califat comme l’aboutissement à long terme de leur lutte. Le califat se veut transnational et l’EI a beaucoup joué sur la symbolique de l’effacement des frontières héritées des accords Sykes-Picot. En plus de ces aspects théologiques et historiques, des raisons pratiques expliquent aussi l’attrait exercé par le jihad en Syrie et en Irak. La Syrie est facilement accessible via la Turquie. Quelques centaines d’euros suffisent pour se rendre à Istanbul puis à la frontière turco-syrienne et il n’est pas nécessaire d’avoir un visa, ni même un passeport, pour ce faire : une simple carte d’identité suffit. Par ailleurs, il est très aisé d’échanger sur les réseaux sociaux avec des jihadistes déjà présents en Syrie, qui peuvent donner des conseils utiles pour rejoindre ce pays. Ainsi le web social n’est pas seulement un vecteur de propagande pour l’EI ou Jabhat al-Nosra mais une véritable plateforme organisationnelle. L’engouement pour le jihad en Syrie et en Irak a de quoi inquiéter les autorités des pays occidentaux. 

Les responsables politiques français craignent en particulier que des combattants ne reviennent en France et ne commettent des attentats en s’inspirant de Mohammed Merah ou de Mehdi Nemmouche. Ils s’attèlent à prévenir un tel scénario. 

La lutte contre les filières jihadistes
Pour lutter contre l’EI, la France cherche à agir à la source en participant, depuis le 19 septembre 2014, aux frappes de la coalition internationale. Les moyens déployés sur le théâtre des opérations 9 Rafale, 6 Mirage 2000-D, un ravitailleur C 135FR, un Atlantique II et une frégate antiaérienne ne sont pas négligeables au regard des capacités et des engagements actuels des armées françaises. Sur le territoire français, une approche policière et judiciaire est privilégiée. En avril 2014, le ministre de l’Intérieur a ainsi annoncé la mise en place d’un plan de lutte contre la radicalisation, qui s’est d’abord traduit par l’ouverture d’un numéro vert destiné aux proches de personnes en voie de radicalisation. 

De la fin avril au début du mois de novembre, 625 signalements « pertinents et avérés » ont été effectués. Sur ces 625 signalements, une centaine de personnes avaient déjà quitté le territoire français. En novembre 2014, le dispositif français a été renforcé par l’adoption d’une nouvelle loi antiterroriste. Cette loi comprend trois points essentiels. Premièrement, elle permet des mesures d’interdiction administrative de sortie du territoire. Concrètement, un individu souhaitant se rendre sur une terre de jihad pourra se voir retirer, pour une durée maximale de deux ans, son passeport et sa carte d’identité. S’il tente de quitter le territoire français, il pourra être condamné à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Cette mesure ne sera pas infaillible dans la mesure où les frontières nationales sont poreuses : un individu déterminé à quitter la France n’aura pas grande difficulté à le faire malgré l’interdiction. En outre, un individu faisant l’objet d’une mesure d’interdiction de sortie pourra être tenté de passer à l’acte directement sur le territoire national. Deuxièmement, la notion d’« entreprise terroriste individuelle » est spécifiée dans la nouvelle loi. Cette mesure vise à prendre en compte l’évolution de la menace terroriste et à prévenir le passage à l’acte de « loups solitaires ». Cette innovation permettra sans doute de condamner et d’incarcérer des personnes dangereuses. Reste cependant à améliorer la prise en charge des jihadistes dans les prisons, pour qu’ils ne puissent pas radicaliser d’autres prisonniers. Reste aussi à améliorer le suivi des détenus après leur sortie de prison. En novembre 2014, un premier jihadiste de retour de Syrie a été condamné à 7 ans de prison. Que deviendra cet individu une fois sa peine purgée ? Comme l’a tragiquement rappelé l’attentat contre Charlie Hebdo, cette question se pose aussi pour les individus incarcérés dans de précédentes affaires de filières jihadistes, notamment du temps de la guerre en Irak au milieu des années 2000. Troisièmement, la nouvelle loi comprend des dispositions sur l’utilisation du web par les jihadistes. 

Elle permet notamment de sanctionner lourdement (jusqu’à 7 ans de prison) l’apologie du terrorisme sur Internet, et prévoit la possibilité pour l’autorité administrative de demander aux fournisseurs d’accès de bloquer certains sites web. Cette dernière mesure risque d’être peu efficace : il est facile, à l’aide de logiciels téléchargeables gratuitement, de contourner un tel blocage et, d’autre part, la propagande jihadiste sur le web se trouve aujourd’hui pour l’essentiel sur des plateformes grand public – comme Facebook –, qu’il n’est pas envisageable de bloquer. Pour que l’arsenal législatif antiterroriste soit utile, encore faut-il que les terroristes soient repérés, arrêtés et présentés à des juges. Le travail des services de renseignement est donc essentiel. En 2014, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a été transformée en Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), et une augmentation de ses effectifs a été annoncée. Ils passeront à environ 3700 dans les trois prochaines années. Quand on sait que la filature complète d’un individu nécessite une quinzaine d’hommes, et que le jihadisme n’est qu’un des sujets traités par la DGSI, il ne serait guère surprenant que d’autres attentats surviennent dans les prochaines années. 



 C) - Le vrai crime de la Corée du Nord


Les Etats-Unis ont sanctionné Pyongyang pour le piratage de Sony, mais qu’en est-il de sa responsabilité dans le meurtre de millions de personnes? Dans les années 1990, un important groupe de prisonniers fut libéré d’un camp de travail secret en Corée du Nord. Il ne s’agissait pas de criminels, pas même d’ennemis politiques. Non, de l’aveu même d’un ancien garde, il s’agissait de petits-enfants et même d’arrière-petits-enfants de «propriétaires terriens, de capitalistes, de collaborateurs du gouvernement colonial japonais et d’autres personnes à la généalogie problématique». A une époque, l’Union soviétique arrêtait les femmes et les enfants de prisonniers politiques. Récemment la Russie a envoyé en prison le frère d’un dissident politique. La Corée du Nord, elle, n’hésite pas à interner dans des camps des familles entières, sur plusieurs générations, durant des décennies. Et plusieurs d’entre elles s’y trouvent encore, notamment certaines qui avaient été apparemment libérées il y a vingt ans: sans logements, sans liens et sans connaissance de la vie en dehors du goulag, beaucoup ont tout simplement décidé de rester sur place. Ils étaient devenus «libres», mais ne pouvaient vivre ailleurs que dans la prison qu’ils avaient toujours connue. D’autres semblent en avoir disparu, mais pas parce qu’ils ont été relâchés. Le nombre de prisonniers dans les camps nord- coréens aurait, semble-t-il, chuté ces dernières années, alors que rien n’indique qu’ils sont partis. Tout laisse donc croire qu’ils sont sans doute morts de faim (nous parlons ici de dizaines de milliers de personnes). Voici donc la vraie nature du régime dont nous avons tant entendu parler en décembre: il emprisonne des familles entières sur plusieurs générations. Et lorsque la nourriture vient à manquer, il laisse tranquillement mourir des milliers de personnes. Les camps sont si sévèrement contrôlés qu’il est extrêmement difficile de trouver des informations à leur propos, même dans un monde où les téléphones et les services de messagerie instantanée sont omniprésents. 

Certains organismes, comme le Comité pour les droits de l’Homme en Corée du Nord, font un travail extraordinaire pour se tenir informés de ce qui se passe dans le pays au moyen de photographies par satellite et de renseignements provenant notamment de déserteurs de l’armée. Mais ceux qui parviennent à s’échapper en passant par la frontière chinoise mettent parfois des années à rejoindre la Corée du Sud, non sans être victimes en chemin de passages à tabac, de violences sexuelles et/ou de la famine. Lorsqu’ils arrivent, leurs souvenirs des camps de prisonniers remontent parfois à plusieurs années. Pire encore, leurs témoignages sont souvent difficiles à entendre. Il n’est, par exemple, pas facile de se fier aux témoignages des déserteurs. Ils sont souvent timides, instables sur le plan émotionnel et incapables de se faire à la vie en Corée du Sud ou ailleurs. Il y a quelque chose, dans la sévérité du régime nord-coréen, qui dépasse l’entendement: il nous semble si étrange qu’il nous fait rire au lieu de nous faire pleurer. J’ai entendu un jour, lors d’une rencontre organisée par le Congrès américain, plusieurs anciens prisonniers nord- coréens parler de leur vie derrière les barbelés. Leurs récits étaient consternants. Mais même si le public les écoutait avec attention, il était clair qu’il attendait qu’un parlementaire ne dénonce le régime de Pyongyang dans un langage plus familier.
 
Cela aide peut-être à comprendre pourquoi les efforts menés pendant tant d’années ont eu moins d’impact sur la politique extérieure américaine que l’annonce du piratage des systèmes informatiques de Sony Pictures par des hackers apparemment liés à Pyongyang et leur révélation de ragots sur Angelina Jolie pour se venger de la sortie du film L’Interview qui tue, comédie pas drôle sur le dictateur nord-coréen. Je ne veux pas minimiser la dangerosité du piratage informatique (la prochaine cible pourrait être une centrale nucléaire), mais il n’en est pas moins étonnant que la possible implication de la Corée du Nord dans les problèmes de Sony ait convaincu le président américain d’imposer de nouvelles sanctions à Pyongyang. Les multiples comptes- rendus d’atteintes gravissimes aux droits de l’homme perpétrées durant des décennies n’ont jamais eu autant d’effet. Et peut-être en sera-t-il toujours ainsi. Il y a quelque chose, dans la sévérité du régime nord-coréen, qui dépasse l’entendement: il nous semble si étrange qu’il nous fait rire au lieu de nous faire pleurer. 

Ce n’est pas un hasard si les réalisateurs de L’Interview qui tue ont été incapables de traiter le régime autrement que sous une forme burlesque et vulgaire à souhait. A l’instar de son père Kim Jong-il, Kim Jong-un est devenu une figure amusante, le méchant dictateur ridicule dont on se moque. Nous lisons avec une avidité amusée ses exploits au basketball, de la même manière que nous lisions les articles consacrés à l’obsession de son père pour Elvis Presley et sa peur de l’avion. Et pourtant, sous son régime, des gens meurent tous les jours de faim ou sous la torture. Ils passent des années en prison sans avoir rien fait pour et leurs enfants sont, eux aussi, emprisonnés. Au lieu de nourrir son peuple (sans parler de ses prisonniers), le régime dépense des fortunes pour fabriquer des armes à diriger vers Séoul. En dépit des protestations internationales, il tente même de construire des armes nucléaires. Le régime est tellement rongé par son obsession du secret qu’il a récemment interdit des films russe et chinois, au cas où ils auraient une influence quelconque. Nous pouvons comprendre Sony, nous pouvons comprendre Angelina Jolie... mais nous avons du mal à comprendre tout le reste.



D) - En attendant l’issue des négociations entre l’Iran et l’Occident sur le nucléaire...
 
Le Liban a donc six mois pour se préparer aux développements attendus dans la région. C'est ainsi qu'un ancien responsable résume la situation actuelle, rappelant que l'avenir de la région dépend de l'issue des négociations entre l'Iran et l'Occident au sujet du nucléaire iranien. Trois hypothèses sont envisagées. La première est que l'Iran et les États-Unis ne parviennent pas à un accord total sur le nucléaire et décident une nouvelle prolongation des négociations comme ce fut le cas en novembre dernier. Ce qui maintiendrait une sorte de statu quo dans la région, avec des dossiers non résolus, mais avec un plafond à ne pas dépasser qui empêche les guerres totales. Le nouveau délai qui serait fixé serait tributaire de l'élection présidentielle américaine et la région serait ainsi condamnée à une sorte de statu quo instable pour au moins deux ans La seconde hypothèse est que l'Occident et l'Iran parviennent à un accord sur le nucléaire en juin prochain et que le président américain parvienne à faire accepter cet accord par le Congrès et le Sénat, bien que son pays soit à la veille du lancement de la campagne présidentielle de 2016. Ce serait bien sûr un scénario idéal qui signifierait que la région serait en train de se diriger vers des solutions pour tous les dossiers conflictuels en suspens, d'abord le nucléaire, mais ensuite la Syrie, l'Irak, le Yémen, la Libye, etc. Mais, selon l'ancien responsable, c'est le scénario le plus difficile à réaliser, même s'il n'est pas impossible. Il se heurte en tout cas à la vive opposition de toutes les parties régionales qui ne veulent pas d'un tel accord. En tête de ces parties se trouve Israël qui serait prêt à tout pour empêcher la conclusion d'un accord entre l'Iran et les États-Unis et surtout pour interdire à la République islamique de posséder la technologie de la fabrication de la bombe atomique Pour les Israéliens, les déclarations de l'actuel guide suprême, l'ayatollah Khamenei, sur le refus de l'Iran de se doter de la bombe atomique parce que c'est incompatible avec les valeurs de l'islam ne constituent pas des garanties suffisantes. Car les Israéliens qui planifient sur le long terme craignent qu'un autre guide suprême qui succédera à l'ayatollah Khamenei change d'opinion et profite du fait que l'accord nucléaire autorise l'Iran à se doter de la technologie sans aller jusqu'à la fabrication de la bombe. Aucune garantie ni américaine ni internationale ne serait donc en mesure de rassurer les Israéliens qui ne veulent pas entendre parler de la possibilité pour l'Iran de se doter de la bombe atomique. L'ancien responsable est donc convaincu que les Israéliens pourraient recourir au déclenchement d'une nouvelle guerre contre le Liban de préférence et s'il le faut frapper directement l'Iran. C'est pourquoi, en dépit des assurances internationales et des discours rassurants, les Libanais doivent être vigilants. Le scénario pourrait donc être le suivant : Daech et al-Nosra décideraient de lancer des opérations au Liban pour affronter directement le Hezbollah sur son propre terrain et le contraindre ainsi à retirer ses troupes de Syrie, tout en l'affaiblissant même à l'intérieur du pays. À ce moment-là, Israël lancerait une nouvelle offensive contre le Liban profitant du fait que le Hezbollah est trop occupé par son combat contre les groupes takfiristes, Daech et al- Nosra. C'est dans ce sens que l'ancien responsable interprète l'arrivée massive de combattants de Daech dans le jurd du Qalamoun comme s'il s'agissait d'une préparation de la bataille. Dans la logique de ces groupes takfiristes, ils n'ont pas d'autre choix que d'effectuer des percées au Liban, puisqu'ils ne peuvent plus s'étendre ni en Syrie, ni en Irak, ni même vers la Jordanie ou l'Arabie saoudite. Si, en plus, ils bénéficient d'un appui tacite et d'encouragements de la part d'Israël qui leur ouvre le passage à partir de Chebaa et de ses environs, ils ne devraient pas hésiter à lancer une vaste opération contre le Liban... C'est d'ailleurs pour décourager tous ceux qui souhaiteraient se lancer dans une telle aventure que le secrétaire général du Hezbollah a déclaré dans un entretien à la chaîne al-Mayadeen que son parti est prêt à mener la guerre contre Israël et il dispose pour cela de toutes sortes d'armes. Il a ajouté que si les Israéliens songent à entrer au Liban, les combattants du Hezbollah mèneront une offensive en Galilée... La troisième hypothèse se résume à l'impossibilité pour l'Occident et l'Iran de s'entendre sur le dossier nucléaire et après avoir reconnu qu'ils ne peuvent pas trouver une entente, ils plongeront la région et le monde dans une longue période de troubles et d'instabilité dont le Liban ne sortirait pas indemne. Cette troisième possibilité peut toutefois ne pas se résumer à un constat total d'échec et les protagonistes pourraient déclarer que s'ils ne peuvent pas s'entendre sur le nucléaire, ils peuvent malgré tout unir leurs efforts pour mener la guerre contre le terrorisme. Ce qui pourrait être l'alternative positive à la confusion générale en cas de désaccord total. Tous ces scénarios sont pris au sérieux par les milieux sécuritaires et politiques qui estiment indispensable pour le Liban de consolider sa cohésion interne afin de pouvoir faire face à toutes les éventualités. Même si les dialogues actuellement en cours, ou en préparation, entre les formations politiques libanaises n'aboutissent pas à une entente totale, ils peuvent au moins permettre aux Libanais de se retrouver et de redécouvrir les nombreux points qui peuvent les rassembler pour faire face aux scénarios violents et destructeurs qui pourraient être en train d'être préparés.



 E) - Les Etats-Unis sur les dents après les attentats de Paris


Renforcement des contrôles aux aéroports, surveillance des mosquées, multiplication des policiers infiltrés... Les Etats-Unis sont sur les dents après les attentats de Paris face à la menace grandissante des "loups solitaires" ou de petites cellules téléguidées par les organisations extrémistes. Mercredi, le FBI annonçait l'arrestation d'un jeune Américain de l'Ohio (nord) accusé d'avoir projeté un attentat contre le Capitole qui abrite le Congrès américain à Washington. Un policier sous couverture avait réuni des preuves de son soutien, de vive voix et sur internet, au "jihad violent, ainsi qu'aux attaques violentes commises par d'autres en Amérique du Nord et ailleurs". Le même jour, un jihadiste américain "en puissance" écopait de vingt ans de prison en Floride (sud-est) pour tentative de soutien à Al- Qaïda. Signe de la sévérité de la justice américaine: de nouvelles charges étaient infligées jeudi aux frères Qazi, des Américains arrêtés en 2012 pour avoir voulu faire exploser une bombe à New York. Le directeur du FBI James Comey parlait récemment de "métastase" de la menace terroriste depuis le 11-Septembre. Les experts ont bien observé une montée en puissance en Occident des "loups solitaires" et autres petites cellules jihadistes du type de celle des frères Kouachi et d'Amédy Coulibaly, auteurs des attentats de Paris. Dans les deux cas - individu seul ou cellule, ce sont des musulmans locaux inspirés, voire préparés par les jihadistes d'Al-Qaïda ou de l'organisation Etat islamique, qui décident de faire leur propre bombe artisanale ou fomentent une attaque avec le soutien d'une organisation terroriste. La menace est "presque indétectable" et les attaques "extraordinairement difficiles à empêcher", explique à l'AFP l'analyste Max Abrahms, qui s'attend à "voir de plus en plus d'opérations infiltrées" par le FBI, du type de celle de l'Ohio, pour tenter de déjouer un acte terroriste. En outre, l'attaque contre le journal satirique français Charlie Hebdo a été revendiquée par Al- Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa). La branche yéménite de l'organisation terroriste, "particulièrement inquiétante pour les Etats-Unis, fait beaucoup de bruit en ce moment et, bien naturellement, cela donne la frousse aux responsables de la sécurité américaine", ajoute le professeur à la Northeastern University. "C'est tout à fait normal, particulièrement parce que l'attaque était liée à l'Aqpa, que les Etats-Unis accroissent leur propre sécurité", estime cet expert en terrorisme. Dans la foulée des attentats de Paris, qui ont fait 17 morts, le ministre américain de l'Intérieur Jeh Johnson a annoncé le renforcement des mesures de sécurité et de surveillance aux abords des édifices gouvernementaux et dans les aéroports. "L'heure est à une vigilance accrue", a-t-il dit en annonçant aussi des efforts de sensibilisation des communautés religieuses et ethniques à travers les Etats-Unis. "La menace terroriste persistante" pesant sur le pays a été rappelée à tous les services américains du renseignement et de police lors d'une téléconférence du FBI et du ministère de l'Intérieur mercredi. "Une vigilance continue, le partage d'informations et la coordination à tous les niveaux sont la clé d'une prévention efficace" contre une attaque, selon un communiqué du FBI diffusé après la téléconférence. 

De plus, deux enquêtes parlementaires se pencheront sur le terrorisme venu de l'intérieur. Le président républicain de la commission de la Sécurité intérieure de la Chambre des représentants, Michael McCaul, l'a annoncé: il s'agira de déterminer comment le gouvernement américain lutte contre ces menaces "domestiques" et se prémunit contre des "failles dans nos systèmes de défense afin de tenir les terroristes à l'écart des Etats-Unis". "Ces terroristes sont déterminés à attaquer notre pays et tentent de convaincre des Américains de se radicaliser, de souscrire à leur vision du monde retorse et de perpétrer des actes de violence", a-t-il souligné.



F) - 102,9 milliards de dollars


Les investissements chinois à l'étranger ont bondi de 14,1 % en 2014, dépassant pour la première fois la barre des 100 milliards de dollars pour atteindre ce montant de 102,9 milliards de dollars (87,8 milliards d'euros), selon des chiffres officiels publiés vendredi, alors qu'à l'inverse les investissements étrangers en Chine se tassaient de façon marquée. Contrairement aux attentes initiales du gouvernement, le total des investissements chinois à l'étranger n'a pas dépassé le volume des IDE (investissements directs étrangers) en 2014, mais de l'avis de Zhong Shan, vice-ministre du commerce, ce n'est désormais qu'une question de temps. Hors secteur financier, les entreprises ont renforcé leurs acquisitions, notamment dans les secteurs de l'énergie, des exploitations minières ou agricoles, mais aussi des services et du tourisme. Ces investissements à l'étranger avaient déjà grimpé de presque 17 % (à 90,17 milliards de dollars) en 2013, à l'unisson des encouragements vigoureux de Pékin, soucieux de s'assurer des approvisionnements de matières premières et des débouchés commerciaux pour la deuxième économie mondiale. Dans le même temps, les IDE en Chine, également calculés hors secteur financier, ont progressé l'an dernier de seulement 1,7 %, totalisant 119,6 milliards de dollars.



G) - Nasrallah menace de riposter contre les raids israéliens en Syrie


Le Hezbollah, allié indéfectible de Bachar el-Assad, a menacé hier Israël de riposter « à tout moment » à ses raids répétés en Syrie, se disant prêt à toute nouvelle guerre contre l'État hébreu. Dans un entretien à la chaîne de télévision al-Mayadeen, le secrétaire général du parti chiite, Hassan Nasrallah, a même affirmé que son mouvement était prêt à envahir la Galilée (nord d'Israël), une menace qu'il avait déjà proférée en 2011. « Les raids répétés sur différents objectifs en Syrie sont une grave violation », a-t-il déclaré, précisant que « toute frappe contre des positions en Syrie vise tout l'axe de la Résistance (Damas, Téhéran, Hezbollah, NDLR) et pas seulement la Syrie. Oui, cet axe pourrait décider de riposter (...) C'est son droit. Cela peut arriver à tout moment. Nous ne cherchons pas une nouvelle guerre (...) mais nous y sommes prêts. Si le commandement de la Résistance demande (à ses combattants) d'entrer en Galilée, ils doivent être prêts ». Hassan Nasrallah a également annoncé, et ce pour la première fois, que son parti possédait des missiles iraniens Fateh-110 pouvant atteindre tout le territoire d'Israël. Les missiles Fateh-110, d'une portée pouvant aller jusqu'à 300 km « nous sont parvenus depuis longtemps, depuis 2006. Nous sommes plus forts que jamais », a-t-il dit. Interrogé sur le conflit syrien, Hassan Nasrallah a affirmé que « toute solution en Syrie sans le président Assad est impossible ». Il a précisé avoir dit au vice-ministre russe des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov lors d'une rencontre à Beyrouth que « toute solution aux dépens du président Assad n'en est pas une » et que « même la Russie serait perdante si elle lâchait le président Assad ». Et se référant à la revendication par les alliés de l'opposition d'un départ de M. Assad, Hassan Nasrallah a ajouté : « Pourquoi donner à ces pays en politique ce qu'ils ont échoué à prendre durant la guerre ? » 

« Que quelqu'un me remplace... »
Sur le plan local, Hassan Nasrallah a affirmé que « toute violation de l'espace et de la souveraineté du Liban est une ligne rouge pour le Hezbollah, et la Résistance a le droit d'y répondre. Nous ne sommes liés par aucune règle ou directive », a-t-il toutefois fait remarquer, soulignant son refus de voir son parti amené à répondre à tout acte israélien contre le Liban, indépendamment de sa volonté. Enfin, Hassan Nasrallah a démenti avoir des ambitions personnelles en tant que dirigeant du parti, affirmant qu'il avait proposé d'être remplacé. « Au Hezbollah il n'a pas de chef, il y a un secrétaire général. Le commandement se fait en groupe. Le secrétaire chapeaute les dirigeants », a-t-il fait remarquer, alors qu'il est à la tête du parti depuis 1992. « Il y a des élections et c'est lors de ces élections que j'ai été reconduit en tant que secrétaire général. Je n'avais pas voulu être à ce poste et j'avais œuvré à ce que quelqu'un d'autre y soit désigné. Mais le destin en a voulu autrement. Il n'est pas question d'ambition personnelle. J'ai même proposé que quelqu'un me remplace, mais ils (les dirigeants du parti, NDLR) n'ont pas voulu. J'ai également proposé une rotation au sein du parti, sans toutefois obtenir de réponse positive. » 

Le cas Chawraba
De plus, le secrétaire général du Hezbollah a affirmé que « des services de renseignements arabes ont apporté des renseignements aux Israéliens lorsque le parti chiite était en guerre avec l'État hébreu. Il y a des services de renseignements et même des États arabes qui travaillent pour le compte des Israéliens », a-t-il lancé, minimisant le rôle de Mohammad Chawraba, la taupe israélienne arrêtée dans ses rangs « il y a environ cinq mois ». « Un responsable embauché par les services de renseignements américains et israéliens a été démasqué, c'est vrai. Mais le sujet a été exagéré dans les médias. Il a été dit que cet individu était chargé de ma sécurité, ce qui n'est pas vrai. On a également dit qu'il était responsable d'unités spéciales (...). Cette personne n'avait en réalité rien à voir avec tout cela. Elle faisait partie d'une unité sécuritaire sensible, il est vrai, mais elle était isolée. Nous avons découvert que c'était un transfuge et il a avoué les faits ». 





H) - Bassin du lac Tchad : vers un Etat islamique Boko Haram ?

Si rien n'est fait maintenant, le bassin du Lac Tchad va devenir, sans délai, un Etat Islamique Boko Haram. Nous sommes à l'aube d'une autre catastrophe humanitaire, après celle de l'assèchement du lac, sans que cela n'attire suffisamment l'attention du monde entier, communauté internationale, instances régionales et sous-régionales comprises. Les récentes percées de Boko Haram et le désordre en Libye vont continuer à nourrir le terrorisme dans cette région.
Le bassin est d'une superficie de 967.000 km2 (sans la Libye). Il comprend trois régions du Cameroun, deux régions du Niger, six (Etats fédérés) du Nigeria, trois régions de la RCA et l'ensemble du territoire du Tchad, avec une population estimée à 30 millions. Les habitants du bassin du Lac Tchad sont issus de plusieurs groupes ethniques et tribaux (Kanouris, Mobbers, Boudoumas, Haoussas, Kanembous, Kotokos, Arabes shewa, Haddas, Kouris, Fulanis et Mangas). Ils sont pêcheurs, éleveurs, agriculteurs ou commerçants. 

Plus de 20 000 morts et 1 500 000 déplacés
Depuis plus de trois ans, les parties camerounaise et nigériane du bassin sont touchées, de plein fouet, par le terrorisme de la secte, avec comme conséquences de lourdes pertes en vies humaines, des enlèvements, des destructions de biens privés et publics. Boko Haram détient toujours plus de 200 jeunes filles kidnappées en avril 2014 dans leur lycée de Chibok dans l'État de Borno. Depuis cet événement qui a marqué les esprits, et malgré l'apparente gesticulation mondiale, le groupe islamiste continue d'enlever ou de tuer régulièrement des milliers d'hommes, femmes et enfants. Même si les statistiques ne sont pas disponibles, à ce jour, le conflit de Boko Haram et les forces de sécurité camerounaise et nigériane ont fait plus de 20 000 morts et 1 500 000 déplacés. Beaucoup dépeignent cette situation comme le résultat d'une crise politique interne au Nigeria, depuis le troisième mandat raté du Président Obasanjo, qui a été forcé par le Sénat en 2006 de quitter le pouvoir au profit de feu le Président Yaradu'a, nordiste, malade et décédé en 2010, avec comme vice-président le discret homme politique sudiste de l'Etat de Bayelsa, Goodluck Ebele Jonathan, qui préside aujourd'hui aux destinées du pays. Mais cela n'explique pas comment un petit groupe de malfrats est devenu une puissante force qui défie les armées organisées, redoutables et républicaines, comme celle du Cameroun. Pour comprendre la dynamique de cette crise, nous devons examiner trois causes profondes. 

Des frontières poreuses héritées de l'indépendance
La première cause est l'héritage de la colonisation. Le Cameroun et le Nigeria ont accédé à l'indépendance en 1960 et sont devenus la même année membres de l'ONU. En février 1961, la population du Cameroun septentrional a décidé, à une majorité importante, d'accéder à l'indépendance, en s'unissant à la Fédération de Nigeria, en application de la résolution 1608 (XV) de l'Assemblée générale des Nations Unies. Aujourd'hui, presque chaque nigérian nordiste a une famille de l'autre côté au Cameroun et vice-versa. La porosité de nos frontières ne permet pas un contrôle strict sur le transfert des armes et l'utilisation du Cameroun comme base logistique par les djihadistes Boko Haram

La mauvaise situation économique s'ajoute aux dissensions
La deuxième cause est la mauvaise gouvernance politique et socio-économique. La situation socio-économique de la plupart des pays de la région se trouve, d'une manière générale, fortement détériorée, au regard des indicateurs pessimistes des secteurs sociaux de base. Depuis moins d'un quart de siècle, de nouvelles ressources économiques (agricoles, minières, industrielles) y créent une nouvelle différenciation de l'espace, une grande mobilité des populations et l'apparition de conflits intercommunautaires. Or, le bassin du lac Tchad apparaît comme une zone d'échange privilégiée entre Afrique du Nord et Afrique centrale. Les pays du bassin font face à des dissensions internes depuis des années, exacerbées par un manque de consensus politiques. Au Nigeria, dès l'annonce des intentions du Président Obasanjo de réformer la Constitution afin de briguer un troisième mandat, le vice-président nordiste Atiku Abubakar, futur candidat à l'élection présidentielle de 2007, a pris le flambeau pour mener une campagne contre cet amendement. Atiku était ainsi soutenu par des politiciens nordistes majoritairement musulmans, tel que l'ex-général et ancien président Muhammadu Buhari, principal challenger du président Goodluck à l'élection présidentielle de février 2015. Cependant, le départ d'Obasanjo et la santé fragile de Yaradu'a n'ont pas aidé le pays à se maintenir dans cette dynamique de développement initiée par Obasanjo. Le Cameroun traverse une période de transition politique assez compliquée, amplifiée par les arrestations des grands dignitaires du pays dans le cadre de la lutte contre la corruption. 

Nationalisme à court terme
Enfin, la troisième cause provient des faiblesses de l'intégration sous-régionale. Depuis l'avènement des indépendances, le bassin a toujours connu une situation d'instabilité au plan socio-économique. Cette situation a conduit les pouvoirs publics à chercher d'abord à consolider leur autorité au plan interne avant de s'engager dans d'autres entreprises, notamment l'intégration. Cet état de choses a renforcé un micro nationalisme latent avec, pour conséquence, une prédominance des intérêts nationaux très étroits et souvent à court terme, sur l'esprit communautaire. C'est l'une des raisons pour lesquelles la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) peine à mettre en place un mécanisme communautaire de prévention et la résolution des conflits. 

La secte continue de nuire malgré les réunions
Le 17 mai 2014, les chefs d'Etat (Nigeria, Cameroun, Benin, Tchad, Niger) et le président François Hollande se sont réunis à Paris et ont adopté un plan d'action régional pour lutter contre la secte. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Union européenne y étaient également représentés. Le plan adopté par le sommet prévoit la coordination du renseignement, l'échange d'informations, le pilotage central des moyens, la surveillance des frontières, une présence militaire autour du lac Tchad et une capacité d'intervention en cas de danger. Le 7 octobre 2014, un sommet régional de chefs d'Etat africains pour lutter contre la secte a été organisé à Niamey autour du président nigérien Mahamadou Issoufou, et ses homologues du Nigeria, du Tchad, du Bénin et le ministre de la Défense du Cameroun. Comme d'habitude en Afrique centrale, la date butoir du 20 novembre 2014 a été dépassée sans que la coordination des forces mixtes et la finalisation des contingents soient effectives, éléments essentiels de la stratégie de lutte commune élaborée par des états-majors des différents pays du bassin. Sur le terrain, la secte a multiplié les menaces verbales, les attaques meurtrières sur les civils, les institutions publiques, les extorsions d'argent aux hommes d'affaires et les prises des camps militaires, mettant en doute l'efficacité des actions entreprises pour contenir le terrorisme. 

Que la communauté internationale apprenne des erreurs du passé
Les stratégies annoncées ont deux défauts majeurs : a) la non prise en compte des organisations régionales comme la CEMAC, la CEEAC, ou l'UA mais surtout la CBLT, dont l'une des missions est la préservation de la paix et la sécurité dans le bassin ; b) la non- implication officielle des organisations islamiques comme l'Organisation de la coopération islamique, capables d'enrichir les stratégies adoptées avec des discussions avec les musulmans membres de la secte. La non-traduction en action de la volonté politique des Etats membres, la prédominance des intérêts nationaux sur l'esprit communautaire, la duplicité et les suspicions, une très grande dépendance de certains dirigeants vis-à-vis de l'extérieur, des infrastructures inadéquates, surtout dans le domaine de la communication, le manque de confiance pour certaines armées dans la gestion des informations stratégiques collectées par les drones, ont contribué à amplifier cette crise. Le Conseil de Sécurité de l'ONU doit rapidement voter une résolution pour le déploiement dans cette région d'un contingent international de prévention et maintien de la paix, qui collaborera étroitement avec la Minusca en RCA et l'opération Barkhane. Le caractère global de la menace d'un éventuel Etat islamique sur le bassin du Lac Tchad, que représentent les djihadistes de Boko Haram et autres terroristes, a pour objectif, au-delà du bassin "d'établir leur pouvoir sur la bande sahélienne de l'Atlantique à l'Océan Indien et d'y installer leur régime obscurantiste impitoyable". Les erreurs du passé en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Syrie ou au Mali, doivent servir de leçons à la communauté internationale.




 
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