décembre 07, 2014

Ayn Rand, La Grève, par Sophie Bastide-Foltz, et les critiques voir sommaire

L'Université Liberté, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Aussi pour tous ceux qui voudraient être en lien par rapport à ce post, n'hésitez pas !


 Sommaire:

1) Critique de Frédéric Saenen (Ayn Rand, prêtresse d’Atlas et philosophe du libéralisme économique dans Salon littéraire)

2)  Critique de  Le roman culte de la pasionaria de l'ultralibéralisme Ayn Rand et sa biographie par Alain Laurent paraissent simultanément dans l'Express - Lire)

3) Critique de Michael Ferrari (La révolte d’atlas (Atlas Shrugged) – Ayn Rand dans Esprit Riche)

4)  La "Grève" par wikibéral

5)  Ayn Rand par wikibéral

6) Les différents articles de contributeurs sur "La Grève" par Contrepoints

7) Critique de Damien Theillier (Qui est Ayn Rand ? dans Institut Coppet et originellement sur 24hGold,)




1) Il aura fallu attendre plus d’un demi-siècle pour qu’enfin Atlas shrugged, le maître ouvrage d’Ayn Rand (1905-1982) soit traduit en français et que nous puissions nous immerger dans ses quelque mille pages. La louable initiative en revient aux éditions Les Belles Lettres, sous le titre La Grève.

Autant annoncer d’emblée la couleur : son auteur, Ayn Rand, se situe aux antipodes de l’humanisme bon teint. Sa philosophie, l’objectivisme, prône un individualisme si exacerbé qu’il frise l’aberration. Et puis, pour comprendre pourquoi certains la qualifient de « sociopathe », il suffit de revoir les séquences vidéo datant des années 70, où cette petite dame, sapée façon mamy puritaine, tenait la dragée haute à un public pas forcément conquis devant qui, sans jamais se démonter, elle assenait « ses » vérités sur le capitalisme comme seul mécanisme capable de réguler les intérêts humains, remettait en question la pertinence de l’accès des femmes aux professions masculines, ne désapprouvait pas la légalisation des drogues, condamnait tout racisme ou affichait son soutien inconditionnel à Israël – les Arabes n’étant, selon elle, jamais sortis de l’originelle barbarie propre aux habitants du désert.

Prophétesse ?

Mais d’où sort-elle, cette femme à qui l’on prête volontiers des allures de prophétesse ? Née dans une famille juive de Saint-Pétersbourg en 1905, passionnée de littérature française et anglaise (avec un goût prononcé pour Victor Hugo), diplômée en histoire et en philosophie à l’Université de Petrograd, Alissa Zinovievna Rosenbaum se voit contrainte de fuir avec les siens les persécutions des bolcheviks et de se réfugier en Crimée. C’est de cette époque que date l’anticommunisme viscéral qui marquera jusqu’au bout sa pensée. En 1924, elle profite de l’obtention d’un visa d’entrée aux États-Unis pour quitter sa Russie natale. Elle sera naturalisée américaine en 1931, mais pour l’heure, la voici âgée d’à peine vingt ans, projetée dans la frénésie de la vie new-yorkaise, écrasée par cette ville titanesque. Entrée dans les faveurs de Cecil B. DeMille, Ayn Rand se lance dans une carrière de scénariste pour Hollywood et de dramaturge, mais elle n’aura pas le succès escompté. Ses deux premiers romans, We the living (1936) et Anthem (1938) constituent de vigoureuses dénonciations du collectivisme à la russe, mais ils ne rencontreront guère d’écho de la part d’une intelligentsia assez sensible à l’époque aux thèses du socialisme révolutionnaire. Il faudra attendre The Foutainhead (1943) pour que son talent de romancière soit reconnu. Quelques années plus tard, l’œuvre est adaptée par King Vidor, sous le titre Le Rebelle, avec Gary Cooper en tête d’affiche.

Dans les années 50, celle qui s’est rebaptisée Ayn Rand tient salon à New-York. Aux côtés d’Alan Greenspan (destiné à devenir président de la Fed, la Banque Fédérale américaine) et de son ami puis amant Nathaniel Branden, elle crée le cercle de pensée Le Collectif et son organe de diffusion The Objectivist. Mais c’est sans doute en 1957 qu’elle illustrera à merveille sa conception de la vie à travers Atlas Shrugged. Elle y développe l’ultra-rationalisme qu’elle exposera ultérieurement dans ses cours à Yale, Harvard ou encore au prestigieux MIT…
 es prises de position en font également une personnalité controversée et non conformiste, tantôt proche du pacifisme (mais c’est surtout par protectionnisme qu’Ayn Rand s’oppose à toute forme d’engagement armé des USA hors de leur territoire, notamment au Viêt-Nam) ou du féminisme (elle défend avec virulence le droit à l’avortement), tantôt en butte aux idéaux nivelants (si elle reconnaît l’égalité intellectuelle entre homme et femme, elle souligne leurs irréductibles différences physiologiques ; et si elle estime que l’état ne doit pas interdire l’homosexualité, elle condamne moralement ce comportement). Se retirant progressivement des activités du mouvement objectiviste pour des raisons de santé et personnelles, celle qui aura été l’égérie de Ronald Reagan s’éteint en 1982.

Grande prêtresse ?

Une noire aura ne tardera pas à se dessiner autour d’Ayn Rand, moins peut-être par l’effet de ses théories que par le rejaillissement de ceux qui y font référence : on s’étonnera par exemple de constater que son nom revient très fréquemment dans La Bible de Satan de l’inquiétant Anton La Vey. D’aucuns propagent même qu’Ayn Rand serait la grande prêtresse d’une secte, toute dévouée au culte de l’argent et des surhommes seuls aptes à le gérer. Le retour en grâce qu’elle connaît actuellement s’explique par la conjonction de divers facteurs : le centenaire de sa naissance en 2005 et le cinquantenaire de la sortie d’Atlas shrugged en 2007 ont donné lieu à de nombreuses manifestations d’hommages ou d’allégeance intellectuelle ; Ayn Rand réinvestit le paysage médiatique sous forme de clin d’œil dans des séries télévisées, telles Mad men qui revisite les premières heures des entreprises publicitaires dans les golden 50’s, ou les dessins animés populaires que sont les Simpsons, South Park, etc. ; des institutions scolaires privées se placent sous son égide et récemment, une société française Ayn Rand a été fondée dans l’Hexagone par son biographe Alain Laurent ; enfin, et c’est le point crucial, la philosophie de Rand imprègne le Tea Party, mouvement d’opinion anti-Obama, très marqué à droite, dont les militants tirent des slogans d’Atlas Shrugged et les affichent sur des calicots ou des tee-shirts lors de leurs manifestations publiques (1).

On le voit, Ayn Rand suscite davantage que des engouements, elle fait école. C’est que ses idées forment un corpus compact, un système qui tire sa force d’obéir à une logique poussée à son terme. La philosophie objectiviste – si elle embrasse tous les domaines de l’intellect, de la métaphysique à l’esthétique en passant par l’épistémologie, l’éthique et le politique – pourrait se résumer en quelques lignes directrices très simples. Ayn Rand l’a d’ailleurs fait elle-même à l’occasion d’une conférence de presse donnée peu avant la publication d’Atlas shrugged, autant lui laisser la parole :  

« 1. La réalité existe comme un absolu. Les faits sont les faits, indépendamment des sentiments humains, des souhaits, des espoirs ou des craintes.
2. La raison (la faculté qui identifie et intègre les éléments fournis par les sens de l’homme) est le seul moyen de percevoir la réalité, sa seule source de connaissance, son seul guide d’action et son seul moyen de survie.
3. Tout homme est une fin en lui-même, et non un moyen pour les autres. Il doit exister pour lui-même, et non se sacrifier pour autrui, ni sacrifier autrui à lui-même. La poursuite de son intérêt rationnel ou de son propre bonheur est le plus haut but moral de sa vie.
4. Le système politico-économique idéal est le capitalisme de laissez-faire. « 

Les données fondamentales de la philosophie randienne sont d’une part un rationalisme radical et d’autre part un individualisme intransigeant. L’exercice de la raison conditionne la conquête du bonheur, qu’Ayn Rand préfère appeler « l’intérêt personnel rationnel » et qui n’est à rechercher du côté d’aucune transcendance divine (d’où son athéisme), mais bien dans ce monde. La volonté ne peut subir aucune entrave. Le libre arbitre de l’individu ne doit lui laisser imposer par rien ni personne la nécessité de penser en priorité à autrui ; si l’altruisme est sa vocation propre, nécessaire à son épanouissement personnel, qu’il l’encourage ; mais s’il ne s’y résout que pour obéir à une politique gouvernementale, à une doctrine religieuse ou métaphysique, voire à une morale générale, c’est qu’il est un faible, dépourvu de toute valeur intrinsèque… 
Il y a des accents de révolte nietzschéens dans une telle conception du développement personnel, forme d’élitisme refusant l’esclavage. Ayn Rand s’insurge autant contre les spiritualistes que contre les matérialistes, coupables d’avoir « attaché l’homme à un instrument de torture, un chevalet où deux poulies s’écartèlent » : la séparation entre l’âme, privilégiée par les premiers, et le corps, objet d’attention unique des seconds. Ces deux familles de maîtres à penser n’ont en fait qu’un ennemi identique, l’égoïsme, qu’ils combattent par la même arme, l’obligation de sacrifice de soi au bien général.
L’originalité du propos réside dans le fait que la volonté permanente de dépassement qui doit animer l’homme n’a pas pour but la conquête d’un pouvoir sur les autres, mais constitue la recherche d’un épanouissement total de l’individu, en vue de devenir un être d’exception, un héros en somme. De l’envergure de ceux qui composent le personnel d’Atlas shrugged.

Inclassable

Atlas shrugged (à traduire littéralement par l’expression « Atlas haussa les épaules ») est un texte à maints égards inclassable. Ce mélange de fable aux accents modernistes et de récit à clefs s’avance sous des allures d’intrigue liée à des intérêts économiques, comme on l’imaginerait de La Saga des Forsythe, pour se boucler avec l’évocation d’une société dystopique. En trois parties, on passe d’une narration de facture assez réaliste, du moins crédible (car la temporalité est d’emblée installée dans une uchronie assez diffuse), à l’allégorie. Résumer ce livre touffu et complexe en s’attachant à chacun des personnages serait sans doute l’angle d’attaque le plus honnête pour aborder le monstre, mais ce travail demanderait les dimensions d’une monographie. Il y a cependant quelques figures sur lesquelles on ne peut faire l’impasse.

À commencer par le mystérieux John Galt. Son nom va résonner sans élucidation jusqu’à la moitié du roman, dans l’expression familière « Who’s John Galt ? » que prononcent tous ceux qui veulent traduire une incertitude mêlée de désarroi, une impuissance résignée, un désespoir face à la fatalité. Qui est John Galt ? C’est celui qui a dit non et qui a décidé à lui seul de « stopper le moteur du monde ». Cet ingénieur en physique a secrètement découvert une avancée technique révolutionnaire susceptible de résoudre tous les problèmes énergétiques. Mais du jour où la grande industrie qui l’emploie, la Twentieth Century Motor Company, décide d’adopter un mode de fonctionnement socialisant et la devise « De chacun selon ses habiletés à chacun selon ses besoins », John Galt abandonne ses fonctions et se retire dans un lieu inconnu.

Autour de ce fantôme va graviter une myriade de personnages tels Dagny Taggart, femme à poigne qui partage avec son frère James la présidence d’une grande compagnie de chemins de fer, Hank Rearden, qui a conçu un nouveau métal très convoité par l’État, ou encore Francisco d’Antonia, richissime héritier d’un empire minier et play-boy notoire. Ces capitaines d’industrie sont liés non seulement par des rapports interpersonnels et financiers, mais également par les menées d’un deus ex machina qui tire à leur insu les ficelles de leur conduite, et qui n’est autre que le fameux John Galt. Car ce dernier est l’initiateur d’un étrange mouvement de révolte spontanée qui pousse certains grands esprits à saborder leur carrière et à disparaître du jour au lendemain, en marque de refus au socialisme qui gagne la société américaine. Chacun des protagonistes va être amené à se situer par rapport à cette énigme.

Le message est clair : l’on assiste à la révolte des élites contre les « pillards » qui s’approprient indûment leurs découvertes et sapent leurs compétences. « John Galt est Prométhée qui a changé d’avis. Pour avoir ravi aux dieux le feu du ciel et l’avoir apporté aux hommes, il était dévoré depuis des siècles par leurs vautours. Alors il a brisé ses chaînes et leur a retiré le feu, en attendant que les hommes retirent leurs vautours. »

Machine de guerre métaphorique

Le traumatisme fondateur d’Ayn Rand était sa peur de tomber sous l’emprise d’un régime communiste. Son roman, qui lui a pris huit années de rédaction, est publié en pleine Guerre froide. Il n’est en rien surprenant qu’alors elle ait produit cette énorme machine de guerre métaphorique qu’est Atlas shrugged, comme afin de contrer les menaces qu’elle sentait peser sur la « terre de libertés » qui l’avait recueillie. L’utopie créée par John Galt – qui consiste à rassembler les grands esprits ayant opté pour la dissidence et à leur permettre de vivre en autarcie loin d’un monde jugé déliquescent – décalque celle d’Ayn Rand, qui espère une nouvelle race d’hommes, composée de penseurs, producteurs, inventeurs, en somme de « purs », capables de s’affranchir de leur dieu ou de leur roi, « autrement dit la manifestation la plus imbécile, la plus tordue de l’incompétence humaine érigée en modèle ». Capables aussi de vivre grâce à l’exercice de leur raison, en vue de leur propre intérêt et débarrassés de la contrainte de devoir s’en remettre à autrui.

Le domaine de John Galt n’est cependant pas le rocher de Monaco. Plutôt une Arcadie mâtinée de Mensa où se réfugient musiciens, juristes, médecins et, certes, des affairistes de haut vol. Mais le véritable critère fédérateur de ces exilés volontaires est le talent qu’ils possèdent et qu’ils ne veulent plus voir bafoué, spolié ou dévalué parce que cédé à la masse parasitaire :

« Si je n’avais pas conscience que ma vie dépend de mon intelligence et de mon travail, […] si je n’avais pas eu pour principe d’utiliser mes capacités physiques et intellectuelles pour vivre et élargir mes horizons, vous n’auriez rien trouvé à piller, rien qui ne puisse vous faire vivre. Ce n’est pas ce qu’il y a de mauvais en moi que vous utilisez contre moi, mais ce que j’ai de bon au contraire. Ce que vous reconnaissez comme bon, puisque votre vie en dépend, puisque vous en avez besoin, puisque votre but n’est pas de détruire ce que j’ai accompli, mais de vous l’approprier. »

Le monologue final de John Galt – ou plutôt son discours, puisqu’il s’agit d’une allocution radiophonique – occupe pas moins de 60 pages, dans le chapitre XXVII. On retrouve dans ce morceau de bravoure les principes fondateurs de la philosophie objectiviste et de cette sacro-sainte « estime de soi » qu’exaltait Ayn Rand. Le pivot de cette théorie réside dans la confiance aveugle, le culte exclusif qu’elle voue à la raison. D’après elle, l’homme ne doit pas donner un sens à la vie, mais à sa vie :

« Une vie réussie procure le bonheur, alors que la mort est à l’œuvre dans le malheur. Le bonheur est cet état de conscience qui vient à l’homme quand ce qu’il a accompli est en harmonie avec ses valeurs. Un code moral qui vous met au défi de trouver le bonheur en renonçant à votre bonheur et qui accorde une valeur à l’échec de vos valeurs est un insulte à la morale ! Une doctrine qui prône le sacrifice comme idéal n’a que la mort à vous proposer comme modèle. C’est une réalité que, par nature, l’homme – tout homme – est une fin en lui-même, il existe pour lui-même et n’a pas d’objectif moral plus élevé que la quête de son propre bonheur. »

S’il fait le choix de vivre (car Ayn Rand défend bec et ongles la liberté du suicide), l’homme doit dès lors, par ses propres moyens intellectuels et son discernement, extraire de son esprit les idées qui vont l’aider à survivre dans l’environnement forcément hostile que constituent la nature ou la société.  

Gourou ?

Il y a quelque chose d’hypnotique à lire ces pages, et l’on s’étonne à peine qu’Ayn Rand ait été parfois identifiée à un gourou, car son John Galt en a tous les attributs : en particulier celui de faire croire à ses disciples qu’il est le seul à être en mesure de leur apprendre ce qu’est la liberté, la vertu, le bonheur et les qualités qui en découlent, telles l’intégrité, l’honnêteté, la justice, la productivité, etc. :

« Commencez-vous à comprendre qui est John Galt ? Je suis l’homme qui a gagné ce pour quoi vous ne vous êtes pas battus, ce à quoi vous avez renoncé, ce que vous avez trahi et dénaturé, quoique vous n’ayez pas réussi à le détruire complètement et que vous le dissimuliez à présent, tel un secret honteux, […] vous mourez d’envie de dire ce que je dis maintenant à la face du monde entier : que je suis fier de ma propre valeur, que je suis fier d’avoir envie de vivre. »

C’est un nouveau type de Big Brother qui s’exprime ici, et qui s’adresse non pas à une multitude, mais à l’égoïsme de chacun !
Un autre point problématique, comme dans toute pensée libérale au fond, est l’articulation qui est opérée entre éthique et capitalisme. On peut lire dans la notice qui est consacrée à Ayn Rand sur Wikibéral : « Sa philosophie repose sur une commande ou un ordre que l’être humain doit s’imposer à lui-même : se surpasser durant toute sa vie. L’idéal n’est pas de se comparer aux autres mais de vivre le potentiel qui réside en chacun de nous. Il s’agit de se stimuler par l’émulation et non par la concurrence compétitive. » Bien sûr. Mais ces vertus semblent inapplicables dans des systèmes sociaux où subsiste un minimum, non d’humanisme, mais d’humanité, soit le contraire des dystopies. Le réalisme auquel tend Ayn Rand perd de sa pertinence et se détériore aussitôt qu’il est mis en parallèle avec des enjeux matériels. Ainsi de ce passage prônant un idéal de justice : « […] si un morceau de ferraille s’achète moins cher qu’une pièce neuve, un bon à rien mérite moins d’estime qu’un homme de bien. […] tout système d’évaluation morale repose sur la probité et la juste appréciation des vertus et des vices et […] cela exige de tout individu la même probité que celle avec laquelle il traite ses affaires financières. » Le reproche majeur que l’on pourrait formuler à l’encontre de l’objectivisme randien, c’est qu’il est un code de conduite agréable, parce qu’aisément applicable, pour les possédants, pour ceux dont l’existence marque une courbe invariablement ascensionnelle et qui, à l’instar de John Galt, sont persuadés qu’ils n’ont pas « le droit de déchoir ». Très bizarrement, son vitalisme stimulant se désincarne et se dessèche dès qu’il entre en contact avec les « aléas de la vie », dont on dirait qu’Ayn Rand, après avoir eu sa révélation, s’estime immune. Tout ce savant échafaudage de concepts, brillamment articulés, ne forme pas une « philosophie ».

Les prémisses des théories randiennes sont impressionnantes, par exemple lorsqu’elle explique : « L’homme est qualifié d’être rationnel, mais la rationalité est un choix – et l’alternative que lui offre sa nature, c’est : être rationnel, ou animal suicidaire. L’homme doit être homme – par choix ; il doit avoir sa vie comme valeur – par choix ; il doit apprendre à en être responsable – par choix ; il doit découvrir les valeurs qui sont nécessaires à cela et pratiquer ces vertus – par choix. » Ou encore : « Pour vivre, un homme doit tenir trois choses pour valeurs suprêmes et souveraines de la vie : la Raison, le Sens et l’Estime de soi. » Les conclusions auxquelles elle aboutit sont forcément déceptives, comme il en va souvent des philosophies qui refusent toute confrontation à une transcendance. N’accordant sa confiance qu’à la fabrication de son propre destin par l’homme, Ayn Rand a élaboré une théorie solipsiste, trop simpliste et dénuée de pitié, qui apparaît en définitive comme un banal existentialisme à l’usage des managers, tablant sur des « objectifs précis », n’évaluant les situations et les relations qu’en termes de pertes et profits. En outre, les rapports humains et sociaux qu’induiraient sa société basée sur une privatisation générale de la propriété, la prise en considération de « l’autre » comme partenaire potentiel dans le cadre d’un échange ou d’une action, la pacification de tout rapport grâce au « laissez-faire » capitaliste, tout cela semble au fond aussi terne et stérilisant que l’uniformité tant redoutée de la part des régimes totalitaires.

Le voile se lève définitivement sur le fond de la démonstration, quand l’ultime pas dans la zone du mépris est franchi. John Galt s’interroge :

« Qui est le plus asservi par ces besoins [physiques] : le paysan pauvre de l’Inde qui s’épuise à pousser sa charrue pour un bol de riz, ou l’agriculteur américain qui conduit son tracteur ? Qui est le plus conquérant de la réalité physique : celui qui dort à même le sol ou celui qui dort sur un matelas à ressorts ? Quelles sont les constructions les plus représentatives du triomphe de l’esprit sur la matière : les taudis insalubres des bords du Gange ou le front de mer de Manhattan ? »

Au fond, ce que citizen Rand a tenté, c’est de doter l’Amérique d’une métaphysique, en puisant aux sources du pays qui lui a permis de vivre « en liberté » :

« Cette nation – pur produit de la raison – ne pouvait survivre en se réclamant de la morale du sacrifice. Elle n’a pas été bâtie par des hommes qui se posaient en victimes ou qui demandaient l’aumône. […] Dans sa rapide et spectaculaire expansion, cette nation a montré à la face d’un monde incrédule à quelle grandeur l’homme pouvait aspirer, quel bonheur était possible sur terre. […] Vous vous êtes laissé contaminer par le culte du besoin, et ce pays s’est transformé en un géant dont l’âme aurait été remplacée par un gnome malfaisant, laissant ceux qui en étaient l’âme véritable travailler dans l’ombre pour vous nourrir en silence, dans l’anonymat, privés d’honneurs, rejetés, je veux parler des entrepreneurs. »

En quoi cette philosophie, qui affiche les stigmates de son élaboration dans les années 50, trouve-t-elle encore des résonances ? Peut-être parce que l’une de ses idées forces est que, dans un monde en crise proche du nôtre à maints égards, l’action du gouvernement, partant de l’État, basée sur l’idée de bien collectif, ne peut qu’être nuisible et empirer la situation. La solution est plutôt à chercher du côté d’individus exceptionnels, de cerveaux qui détiennent les clefs du bonheur… si tant est qu’ils daignent les révéler à leurs frères humains ! Les petits épargnants et les actionnaires floués, condamnant aujourd’hui les incompétents à qui ils ont confié leurs biens auront cependant beau jeu d’enfiler leur tee-shirt « Who’s John Galt ? », leur protestation ne se hissera pas plus haut que celle d’une ligue de consommateurs grincheux.

Égoïsme ?

Une autre explication, moins factuelle, pourrait être que la conception randienne de la vie paraît de plus en plus « en phase » avec les aspirations des générations nées après la fin de l’affrontement idéologique entre communisme et capitalisme. Les monades désirantes et consommatrices de l’occident contemporain se retrouvent tiraillées entre les deux pôles d’une même sphère : d’un côté, la logique de la globalisation normalisatrice et de l’autre la fragmentation extrême induite par la société du « C’est mon choix » ou du quart d’heure de gloire via quelque buzz sur Internet.

Mal compris, découplé de son contexte d’émergence et maladroitement remis à la sauce du jour, l’appel à la responsabilisation intégrale de l’individu que formulait Ayn Rand quand elle clamait : « Je n'ai besoin ni de justification ni de sanction pour être ce que je suis. Je suis ma propre justification et ma propre sanction. », pourrait être réinterprété comme une valorisation arrogante du moi uniquement désireux de se distinguer et de s’imposer. Sa « vertu d’égoïsme » tiendrait dès lors aussi bien dans la bouche d’un chauffard responsable d’un accident mortel, d’un jeune cadre dynamique sans scrupule, d’une star de la chanson que d’une caillera de banlieue. Et que l’on songe au danger que contient en germe la formule « Un code de valeurs accepté par choix est un code moral, une éthique ». Il est trop tôt (ou trop tard) pour que notre société, encore sous-tendue par certains impératifs catégoriques et quelques salutaires règles de droit collectif, prête le serment proposé par John Galt : « Je jure, sur ma vie et l’amour que j’ai pour elle, de ne jamais vivre pour les autres ni demander aux autres de vivre pour moi. » Et c’est tant mieux. Mais si, à force de dévoiements et d’approches « décomplexées », ce message s’ancrait vraiment dans les esprits d’une frange de l’opinion puis s’imposait comme une nouvelle éthique, il faudrait pour le coup avoir vraiment peur d’Ayn Rand.

(1) L’adaptation cinématographique du roman, déjà sortie en salles aux States, a été apparemment financée par des producteurs proches de cette frange de l’opinion…

Par Frédéric Saenen

Ayn Rand, La Grève, Traduction de l’anglais (États-Unis) par Sophie Bastide-Foltz, Editions Les Belles Lettres, septembre 2011, 1170 pp., 29, 50 €.




2) Ayn Rand est une figure insolite. Ce nom, d'abord, choisi comme pseudonyme par la jeune émigrée russe, Alisa Rosenbaum, fuyant en 1926 la Russie bolchevique. Le destin, ensuite. Celui d'une pasionaria de l'ultralibéralisme dans l'Amérique des années 1950, qui va exercer une influence notable sur la jeunesse des campus, et celui aussi d'une sorte de gourou, constituant une secte dont certains membres, tel Alan Greenspan, l'inamovible directeur de la Fed, ne seront pas sans influence sur l'avènement du libéralisme triomphant. Une gloire, enfin, déconcertante. Car, si aux Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon la notoriété d'Ayn Rand est au plus haut, en France et plus largement Europe, le personnage est pratiquement inconnu. Ce n'est pas faute d'avoir offert une oeuvre abondante. Scénariste, conférencière, essayiste se piquant de philosophie, Ayn Rand est surtout l'auteur de deux romans, The Fountainhead (1943) et Atlas Shrugged (1957) qui connurent et connaissent encore des tirages pharaoniques. La traduction du premier en français, comme son adaptation au cinéma, passèrent, chez nous, inaperçues. Celle du second, Atlas Shrugged, son livre culte, nous est offerte aujourd'hui sous le titre La grève,assortie, chez le même éditeur, d'une biographie bien tournée, indulgente mais aussi justement critique, de la dame. La "philosophie" d'Ayn Rand est celle de l'"égoïsme rationnel". La société n'existe pas, l'altruisme est une faiblesse de la raison, l'Etat est une monstruosité, seul compte le désir individuel dont la satisfaction est au principe de l'harmonie universelle. De ces idées, originales surtout par leur radicalité, Ayn Rand compose un roman, Atlas Shrugged. On y voit des héros positifs - riches entrepreneurs, détenteurs de savoirs techniques, savants intègres - opposés à des politiciens corrompus, des intellectuels veules et des altruistes niais. Les premiers feront la grève de leurs talents, acculant les seconds au désastre et sauvant les Etats-Unis de la bolchevisation qui, c'est bien connu, les guettait depuis que Franklin D. Roosevelt en avait fourbi le projet ! Littérairement nulle, philosophiquement navrante, politiquement détestable, on s'explique plus facilement l'ignorance dans laquelle, sous nos latitudes, l'oeuvre d'Ayn Rand est tenue. 
 
Par
La révolte d’Atlas (ou Atlas Shrugged) est un livre particulier pour 2 raisons : c’est un livre écrit dans les années 50 qui est parmi les livres favoris des Américains juste après la bible (2 737 commentaires sur Amazon à ce jour) et c’est un livre très peu connu du public français.
Ce qui explique ces 2 raisons, c’est certainement le contenu du livre : une critique ouverte de l‘interventionnisme à outrance de l’état, un thème fort aux Etats-Unis qui est toujours mal vu en France où les hommes politiques nous vendent toujours le “plus d’état” et où les électeurs en redemandent. Le livre n’est pas tant contre l’assistanat que contre le pillage de la valeur ajoutée créé par les entrepreneurs.
L’histoire est intemporelle. Elle raconte celle d’un monde qui décrépit sous le poids de ses propres parasites. Un monde où ceux qui possèdent le pouvoir des urnes pensent être en mesure de contrôler ceux qui produisent et créent la richesse jusqu’au jour où la rupture arrive : les esprits se mettent en grève et choisissent de regarder le monde s’écrouler laissant mourir les autres.
La thèse de l’auteur, c’est l’objectivisme qui peut être définit comme le fait qu’une action est réalisée parce qu’elle a un sens et non pas de manière arbitraire. Elle s’oppose aux décisions politiques sans fondements et valorise le bon sens et la liberté individuelle. Une idée forte, c’est qu’il faut un équilibre juste entre la rémunération de celui qui entreprend et ce que les autres lui ponctionnent : il arrive un moment où celui qui créé n’a même plus intérêt à se donner du mal.
2 camps s’affrontent : les esprits honnêtes (scientifiques, entrepreneurs, artistes, travailleurs) et ceux qui essaient de les soumettre à leurs décisions. C’est le basculement d’une société individuelle à une société collectiviste, de l’excellence à l’égalité. Un personnage, John Galt, organise la fuite des cerveaux vers un lieu secret : c’est la grève de l’intelligence.
Le champ de bataille c’est notamment la Taggart Transcontinental, une compagnie ferroviaire dirigée par Dagny et James, les enfants du fondateur. Dagny est celle qui porte l’entreprise et qui résout tous les problèmes. Elle refuse le bullshit et incarne le pragmatisme, son frère s’y accroche et se laisse un peu vivre. Cette entreprise est l’une des principales du pays et fournit un service essentiel aux habitants et aux industries mais son réseau est vieillissant. Pour la sortir de cette difficulté, un nouveau matériau est sélectionné. Il est fournit par Hank Rearden, le fondateur de Rearden Steel, un fabricant de rails ayant inventé un alliage plus performant que tout ce qui existait auparavant : le Rearden metal.
Hank Rearden est un personnage fort. Il est passionné par son métier mais son entourage proche est à l’image de la société : sa femme, Lilian, n’a aucune passion, son frère Philip vit à ses crochets et sa mère lui fait du chantage affectif pour lui demander d’embaucher son frère.
On y voit aussi Ragnar Danneskjold, un pirate volant la richesse produite destinée aux pillards pour la rendre aux entrepreneurs spoliés.
Pour mettre fin aux difficultés que rencontrent les compagnies ferroviaires, une loi est votée pour empêcher les entreprises de se faire une concurrence destructive et certaines lignes de train sont même nationalisées. Les syndicats professionnels se posent des questions comme “Le Rearden Metal est il un produit dangereux issu de la convoitise ?“.
Rearden est rapidement amené à négocier avec Dagny Taggart pour lui fournir des rails :
Rearden : Je pourrais penser que je tiens Taggart Transcontinental en mon pouvoir.
Dagny : Vous le savez, de toutes façons.
— Je le sais. Et j’ai l’intention de vous le faire payer.
— Je l’espère bien. Combien ?
— 20 dollars de plus par tonne, à compter des livraisons de demain.
— Plutôt élevé, Hank. Est-ce le meilleur prix que vous pouvez me faire ?
— Non, mais c’est celui que je vais prendre. Je pourrais demander deux fois ça, et vous les paieriez encore.
— Oui, je le ferais. Et vous pouviez le faire. Mais vous n’allez pas le faire.
— Pourquoi non ?
— Parce que vous avez besoin que la Ligne Rio Norte soit construite. C’est votre première vitrine pour le Rearden Metal.
Il lâcha un petit rire.
— C’est vrai. J’aime faire des affaires avec quelqu’un qui ne se fait pas d’illusions sur les faveurs accordées.
— Savez-vous ce qui m’a fait me sentir soulagée, quand vous avez décidé de tirer profit de la situation ?
— Quoi ?
— Que, pour une fois, j’étais en train de négocier avec quelqu’un qui ne prétend pas faire de “faveurs”.
Les concurrents de Rearden voyant d’un mauvais oeil son avance technologique, ils œuvreront pour faire voter décrets et lois afin de réguler le marché en mettant sous contrôle les approvisionnements en matière première et en annulant le brevet du Rearden metal pour que tout le monde puisse en produire. C’est l’oeuvre du “Département général des sciences et des technologies”.
L’état reprend le dessus et pilote toute l’activité économique. Il définit la règle de répartition qui consiste à dire que chacun doit travailler en fonction de sa compétence et qu’il recevra un salaire en fonction de ses besoins. Le travail n’appartient plus à celui qui le réalise. Il doit le mettre dans un pot commun et récupérer seulement ce qui lui faut.
Petit à petit, les meilleurs entrepreneurs ferment leurs usines et disparaissent sans laisser d’adresse. Richard Halley, un compositeur de génie fait de même. Puis, c’est au tour des meilleurs salariés d’abandonner leurs postes. Ne restent alors que les moins compétents et ceux qui ne contestent pas les règles mises en place.
L’apologie des fausses bonnes intentions et le mepris de l’intelligence deviennent la règle.
— Maintenant, vous voyez, docteur Stadler, vous êtes en train de parler comme si ce livre s’adressait à un public capable de réfléchir. Si c’était le cas, personne ne devrait se sentir concerné par des choses telles l’exactitude, la validité, la logique et le prestige de la science. Mais ce n’est pas le cas. C’est adressé au public, à la masse. Or, vous avez toujours été le premier à penser que la masse ne réfléchit pas. Il marqua une pause, mais le docteur Satdler ne saisit pas cette occasion de rétorquer quelque chose, « Ce livre peut bien avoir aucune valeur philosophique quelqu’elle soit, mais il a une grande valeur psychologique ».
— Expliquez-moi ça ?
— Vous voyez, docteur Stadler, les gens n’ont pas envi de réfléchir. Et plus ils ont de problèmes, moins ils veulent se casser la tête. Mais, par le mécanisme de quelque sorte d’instinct, ils sentent qu’ils le devraient, et cela leur fait en éprouver de la culpabilité. Par conséquent, ils béniront et suivront quiconque leur fournit une justification pour ne pas réfléchir ; chacun est bien soulagé de pourvoir faire une vertu–une vertue “hautement intellectuelle” bien sûr–à partir de ce qu’il sait être son péché, sa faiblesse et l’objet de sa culpabilité.
— Et vous proposez de bassement encourager cela ?
— C’est la route de la popularité.
Le discours de John Galt est mémorable. A la fin du roman, John Galt, celui qui a organisé depuis le début la fuite des cerveaux pirate une intervention des représentants du gouvernement pour expliquer son point de vue.
La stratégie des politiques, c’est alors d’aller chercher John Galt à la rescousse. Ils lui demandent de reprendre le choses en main pour rétablir le pays. Celui-ci pose une condition : qu’il ait carte blanche. Cette condition n’étant jamais accordée, les politiques négocient avec John Galt puis essaient de le contraindre par la loi de travailler pour eux seulement voilà : comment forcer quelqu’un a réfléchir pour vous ? On lui demande de coopérer malgré lui en faisant croire au public qu’il rejoint volontairement le gouvernement :
— L’esprit de la Nation va revivre dès demain matin, Monsieur Galt, quand ils entendront que vous avez été retrouvé.
— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Juste vous accueillir au nom de tous les citoyens.
— Suis-je en état d’arrestation ?
— Pourquoi penser en de tels termes dépassés ? Notre travail consiste seulement à vous escorter en toute sécurité au devant des plus hauts représentants de l’Etat, là où votre présence est urgemment souhaitée.
Il marqua une pause, mais il n’y eut pas de réponse.
— Les personnalités les plus représentatives du pays sont désireuses de s’entretenir avec vous… juste de s’entretenir et d’arriver à une compréhension mutuelle et amicale.
Les militaires ne trouvaient rien d’autre que des vêtements et des ustensiles de cuisine ; il n’y avait ni lettres, ni livres, ni même un journal, comme si la pièce était l’habitation d’un analphabète.

— Notre objectif est seulement de vous prêter assistance pour que vous puissiez prendre la place qui vous est dûe au sein de notre société, Monsieur Galt. Vous ne semblez pas réaliser votre propre valeur aux yeux du public.
— Mais si.
— Nous sommes ici, simplement pour vous protéger.
— Verrouillée ! déclara un militaire en donnant un coup de poing contre la porte du laboratoire.
Le chef dut adopter un sourire doucereux.

— Qu’y a t’il derrière cette porte, Monsieur Galt ?
— Propriété privée.
— Voudriez-vous l’ouvrir pour nous, s’il vous plait.
— Non.
Le chef étendit les bras dans un geste d’impuissance peinée.
— Malheureusement, j’ai les poings liés, Monsieur Galt. Les ordres, toujours les ordres, vous me comprenez. Nous devons entrer dans cette pièce là aussi.

— Entrez-y.
— Il s’agit seulement d’une formalité, vous savez, une simple formalité. Il n’y a rien qui puisse justifier que les choses ne se déroulent pas à l’amiable. Voudriez-vous coopérer, s’il vous plait ?
— J’ai dit, non.
— Je suis sûr que vous ne voudriez pas que nous soyons mis dans l’inconfortable obligation de… de recourir à des moyens qui ne sont absolument pas nécessaires.
Il ne reçut aucune réponse.
— Nous jouissons de l’autorité nécessaire pour casser cette porte, vous savez… mais, bien sûr, nous ne souhaitons nullement en arriver à de tels excès.
Il attendit, mais il n’eut aucune réponse.
Le discours sur l’argent dont voici un extrait illustre très bien l’idée générale du livre :
« — Donc vous pensez que l’argent est la source de tous nos maux ? dit Francisco d’Anconia. « Ne vous êtes-vous jamais demandé ce qui est à la source de l’argent ? L’argent est un outil d’échange, lequel ne peut exister à moins que n’existent des biens produits et des hommes capables de produire ceux-ci.
L’argent n’est pas l’outil des tapeurs qui réclament ce que vous produisez avec des larmes, ni des pillards et des chapardeurs qui vous le prennent de force.
Lorsque vous acceptez de l’argent en paiement de vos efforts, vous le faites seulement par ce que vous êtes convaincus que vous échangerez ensuite cet argent contre le fruit des efforts de quelqu’un d’autre. Ce ne sont pas les tapeurs, les pillards, les chapardeurs et les pique-assiettes qui donnent à l’argent sa valeur.
[…] Mais vous dites que l’argent est fait par le fort aux dépens du faible ?
De quelle force parlez-vous ? Il ne s’agit pas de la force des armes ou de celle des muscles. La richesse est le produit de la capacité de penser des hommes. Alors, l’argent est-il fait par l’homme qui invente un moteur aux dépens de ceux qui ne l’ont pas inventé ? L’argent serait-il fait par l’intelligent aux dépens des idiots ? Par l’ambitieux aux dépens du fainéant ? L’argent est fait–avant d’être volé ou chapardé–grâce aux efforts de chaque honnête homme, de chacun à la mesure de sa compétence. Un honnête homme est celui qui sait qu’il ne peut consommer plus qu’il a produit.
[…] L’argent existe pour vous permettre d’échanger, non pas votre faiblesse contre la naïveté des hommes, mais votre talent contre leur raison ;
[…] Mais l’argent n’est rien d’autre qu’un outil. Il vous emmènera partout où vous le désirez, mais il ne prendra pas les commandes de votre véhicule. Il vous donnera les moyens de satisfaire vos désirs, mais il ne vous fournira pas de désirs.
L’argent est la terreur des hommes qui tentent d’inverser la loi de causalité, des hommes qui cherchent à remplacer l’esprit par la confiscation des produits de l’esprit.
L’argent ne permettra pas d’acheter le bonheur pour l’homme qui ne sait pas ce qu’il veut ; l’argent ne lui donnera pas un code de valeurs s’il a tourné le dos à la connaissance de ce à quoi il peut accorder une valeur, et il ne lui apportera pas de but s’il a détourné le regard de ce qu’il pourrait rechercher.
L’argent ne permettra pas d’acheter de l’intelligence pour l’idiot, ni de l’admiration pour le peureux, ni du respect pour l’incompétent. […] N’enviez pas l’héritier vaurien ; sa richesse n’est pas la vôtre, et vous n’auriez pas mieux fait avec. N’allez pas croire que sa richesse aurait dû être équitablement redistribuée entre vous ; remplir ainsi le monde de misérables parasites, au lieu de n’avoir à en supporter qu’un seul, ne ramènerait pas à la vie la vertu morte qui fut la fortune.
[…] L’argent est votre moyen de survie. Le verdict que vous prononcez à l’encontre de la source de votre survie, est le verdict que vous prononcez à l’encontre de votre vie. Si la source est corrompue, alors vous avez damné votre propre existence. Avez-vous obtenu votre argent par la fraude ? En escomptant le vice et la stupidité des hommes ? En nourrissant les naïfs, dans l’espoir d’obtenir plus que votre compétence ne pourrait vous le permettre ? En abaissant vos idéaux et vos valeurs ? En accomplissant un travail que vous n’aimez pas pour des acheteurs que vous méprisez ? Si c’est le cas, alors votre argent ne vous offrira pas un seul moment, ni pour un seul penny, de joie. Alors, toutes les choses que vous achèterez deviendront pour vous, non pas un hommage, mais un reproche ; non pas un exploit, mais un rappel de votre honte.
Alors dans ce cas vous crierez à qui veut l’entendre que “l’argent ne fait pas le bonheur”, et “qu’il est le mal”.
Le mal parce qu’il ne vous laisserait pas accéder à votre amour-propre. Le mal, parce qu’il ne vous laisserait pas profiter de votre dépravation.
Ne serait-ce pas plutôt cela qui serait à l’origine de votre haine à l’égard de l’argent ?
L’argent demeurera toujours un effet et il refusera toujours de prendre votre place en tant que cause.
[…] Alors vous verrez arriver la montée des hommes au code à deux vitesses : ces hommes qui vivent de l’usage de la force, mais qui comptent cependant sur ceux qui vivent de l’échange de leurs efforts, afin de conserver la valeur de l’argent qu’ils pillent et qu’ils chapardent ; ces hommes qui sont les “auto-stoppeurs” de la vertu. Au sein d’une société morale, ces hommes-là sont des criminels, et les lois sont écrites pour vous protéger contre eux. Mais quand une société établit des criminels-de-droit et des pillards-de-droit, tous hommes qui font usage de la force pour saisir la richesse de leurs victimes ainsi désarmées, alors l’argent se fait le vengeur de ceux qui l’ont créé.
[…] Alors observez l’argent. L’argent est le baromètre de la moralité d’une société. Lorsque vous voyez que les échanges se font, non pas par consentement, mais par obligation ; lorsque vous voyez que dans le but de produire vous avez besoin d’obtenir la permission d’hommes qui ne produisent rien ; quand vous voyez que l’argent coule à flot en direction de ceux qui échangent, non pas des biens ni des services, mais des faveurs ; lorsque vous voyez que les hommes deviennent plus riches grâce à des “pots-de-vin” et à de l’influence, et non pas par leur travail, et que vos lois ne vous protègent aucunement contre eux, mais, au contraire les protègent contre vous ; lorsque vous voyez que la corruption est récompensée et que l’honnêteté doit être le sacrifice de soi, alors vous pouvez dire que la société dans laquelle vous vivez est perdue.
[…] A travers toute l’histoire des hommes, l’argent a toujours été saisi par les pillards d’une idéologie ou d’une autre et dont les noms changeaient, mais dont les méthodes sont toujours restées les mêmes : saisir la richesse par la force et enchaîner ceux qui la produisent, les avilir, les diffamer, les priver de leur honneur.
Cette phrase à propos des “maux de l’argent” qui sort de votre bouche avec une revendication de vertu si téméraire, vient d’un temps où la richesse était produite par le travail d’esclaves ; des esclaves qui répétaient des mouvements jadis découverts par l’esprit de quelqu’un, et affranchis de toute amélioration, des siècles durant.
Aussi longtemps que la production fut assurée par l’usage de la force et que la richesse fut obtenue par la conquête, il n’y eut pas grand-chose à conquérir. Pourtant, à travers tous les siècles de stagnation et de famine, les hommes ont exalté les pillards, les aristocrates de l’épée, les aristocrates de naissance autant que les aristocrates du “rond-de-cuir”, et méprisé les producteurs dont ils firent leurs esclaves : les marchands, et les boutiquiers autant que les industriels.
[…] Si vous me demandez de nommer la plus fière de toutes les distinctions américaines, alors je choisirais–parce qu’elle contient toutes les autres–le fait d’être à l’origine de l’expression “faire de l’argent”. Aucun autre langage ou nation n’a jamais utilisé cette expression auparavant ; les hommes avaient toujours imaginé la richesse en termes de quantité statique–devant être saisie, mendiée, héritée, partagée, pillée ou obtenue comme une faveur. Les Américains ont étés les premiers à comprendre que la richesse devait être créée.
L’expression “faire de l’argent” contient l’essence de la moralité humaine.
[…] »
Il y-avait les gens qui avaient écouté, mais qui étaient maintenant en train de se sauver pour se tenir à l’écart, et les gens qui disaient : « C’est horrible ! Ce n’est pas vrai ! Comme c’est méchant et égoïste ! »–le disant à voix bien haute mais en même temps avec prudence, comme s’ils souhaitaient que leurs voisins les entendent, mais que Francisco ne le pourrait pas.
— Señor d’Anconia, déclara la femme aux boucles d’oreilles, « je ne suis pas d’accord avec vous. »
— Si vous vous sentez en mesure de réfuter une seule des phrases que je viens de prononcer, Madame, il m’intéressera beaucoup de vous entendre.
— Oh, je ne peux pas vous répondre. Je n’ai aucune réponse. Mon esprit ne fonctionne pas comme cela, mais je ne crois pas que vous ayez raison, et c’est bien pourquoi je sais que vous avez tort.
— Comment le savez-vous ?
— Je le sens. Je ne fonctionne pas avec ma tête, mais avec mon cœur. Vous êtes peut-être bon en logique, mais vous n’avez pas de cœur.
— Madame, quand nous verrons les hommes mourir de faim autour de nous, votre cœur ne sera d’absolument plus aucune utilité pour les sauver. Et je suis assez “sans-cœur” pour dire que lorsque vous crierez “Mais je ne le savais pas !” vous n’en serez pas pour autant pardonnée.

Conclusion

Il m’est évidemment impossible de résumer toutes les idées d’un roman qui possède presque la dimension d’une oeuvre philosophique. Contrairement à des idées philosophiques théoriques, ses idées sont illustrées au travers d’un bon roman qui vous poussera à répondre à des questions telles que :
  • Pourquoi vivez-vous ?
  • Pour qui vivez-vous ?
  • En quoi croyez-vous ?
  • Quelle doit être la place de l’état ?
C’est un fait un excellent livre sur l’argent et son rôle dans la société. Ce qui a été écrit en 1957 reste toujours valable, cela parle de liberté d’entreprendre et de capitalisme éclairé. Plus qu’une simple critique du socialisme ou du communisme, c’est surtout une critique de l’improductif sur le productif. C’est un livre qui dit simplement qu’il ne faut pas donner votre argent à des associations parce que la société vous le demande ou parce que vous vous sentez coupable mais parce que vous pensez que c’est juste. Il replace le jugement de l’homme pragmatique au centre.
Gardez simplement en tête qu’a l’issue de cette lecture vous penserez certainement que la situation de la France est pire que ce que vous pensiez et que peut-être qu’aucune solution n’est possible. Le train de vie de l’état, ses commissions inutiles et autres hautes autorités vides ne vous sembleront pas seulement être des “abus” mais bien du vol organisé. Ceci est certainement a mettre en lumière de la fuite avérée des cerveaux dont wikipédia dit :
  • En économie, 40 % des économistes français « de premier rang », c’est-à-dire se classant parmi les 1 000 premiers chercheurs mondiaux, en fonction de leur nombre de publications scientifiques, sont expatriés aux États-Unis.
  • En biologie, les dix Français expatriés les plus productifs publient autant que tous les chercheurs de l’Institut Pasteur, selon une étude de Philippe Even, ancien doyen de l’hôpital Necker-Enfants malades. Leur score, en nombre de publications ou en facteurs d’impacts, est le même que celui des dix meilleurs français restés sur le territoire
Ma compréhension de la philosophie sous-jacente, c’est que l’auteur aurait condamné les spéculations des banques et l’origine de la crise que l’on traverse car ils sont clairement dans la position des pillards ne produisant aucune valeur et mangeant sur le dos de la bête tout comme elle aurait condamné le fait que les états s’endettent et mettent le couteau sous la gorge des citoyens en les faisant payer pour “sauver le système”.
Du côté des critiques, certains passages sont un peu long, parfois mal écrits, et certaines situations sont un peu simplistes et caricaturales à la fois. On peut, par exemple, être tenté de penser que seuls les PDG sont intelligents, que l’égoïsme sans aucune règle est bon et que toute intervention de l’état est mauvaise. Il fut plutôt critiqué à sa sortie comme étant immorale et valorisant la cupidité. En dépit de ces réserves, le livre est très intéressant.
Bref, vous l’aurez compris c’est à lire sans attendre !

Acheter Atlas Shrugged (ici c'est la version originale)

Vous allez adorer cela :

  • Depardieu, le John Galt français ? Lorsqu'on parle d'argent, l'actualité ne manque jamais et je n'aurai ni la force ni le souhait d'y consacrer mon temps et mon énergie mais l'exception Depardieu mérite quelques instants. En préalable, je dois dire que je ne connais pas l'homme et n'apprécie pas spécialement l'acteur (certainement une question de génération)…
Michael Ferrari
 
 

4) La Grève (roman)

De Wikiberal
 
 La Grève est le plus célèbre roman d'Ayn Rand, publié en 1957 aux États-Unis.
Le thème de cet ouvrage, Atlas Shrugged (la Révolte d'Atlas, littéralement : "Atlas haussa les épaules" - pour faire tomber le monde qu'il portait sur ses épaules) met en avant la pensée rationnelle et indépendante comme moteur du monde (d'après l'auteur elle-même : "le rôle de l'esprit humain dans la société").
Dans ce livre, les "hommes de l'esprit" (scientifiques indépendants, entrepreneurs honnêtes, artistes individualistes, travailleurs consciencieux) disparaissent mystérieusement, provoquant crises et catastrophes. Celui qui les entraîne dans cette "grève", dans ce retrait à l'écart d'une société de plus en plus collectivisée et règlementée, est John Galt, héros randien type, à la fois entrepreneur, philosophe et grand savant, qui a inventé un nouveau moteur extraordinaire, mais a refusé de le développer (on raconte que sa référence implicite était Nikola Tesla, grand savant serbe de Croatie et grand entrepreneur aux États-Unis, promoteur du courant alternatif). En l'absence de ceux qui supportent le monde (tel le légendaire titan grec Atlas), la société s'écroule.
Le morceau de bravoure du roman est le long discours de John Galt (plusieurs dizaines de pages) dans lequel il explique le sens de son combat.
Pour certains, la lecture d'Atlas Shrugged a été une révélation intellectuelle, qui leur a permis de comprendre les ravages de la démocratie sociale interventionniste, de même que l'Archipel du Goulag de Soljénitsyne à l'égard du communisme.
Ce livre, dont la traduction française est disponible depuis 2011, est l'un des romans les plus connus aux États-Unis. Dans une étude conduite en 1991 par la Library of Congress et le Book on the Month Club, Atlas Shrugged fut désigné « deuxième livre le plus influent pour les Américains aujourd'hui », juste après la Bible.
Une traduction pirate en français est apparue en 2009 sur internet, aux « Editions du Travailleur » (qui n'existent pas). Une édition française officielle aux Belles Lettres, sous la direction d'Alain Laurent, a été publiée le 22 septembre 2011. Voir le lien Amazon

Synopsis

Comme dans la Source vive, le précédent roman d'Ayn Rand, on trouve dans Atlas Shrugged une opposition manichéenne entre des créateurs égoïstes et des parasites étatistes. Parmi les premiers, Dagny Taggart et Hank Rearden sont les principaux protagonistes du roman. Respectivement directrice d’une compagnie ferroviaire et magnat de l’acier, ils s’efforcent l’un et l’autre de résister tant bien que mal aux ingérences du gouvernement et de faire vivre leurs affaires dans le contexte d’une crise sans précédent. A mesure que l’Etat se montre de plus en plus intrusif dans l’économie, les membres du cercle très fermé des créateurs égoïstes disparaissent un à un. On apprend au milieu du roman qu’ils se sont tous réunis dans les montagnes du Colorado, au sein d’une communauté capitaliste utopique, appelée Galt’s Gulch, le « ravin de Galt ». John Galt, dont la recherche de l’identité est martelée tout au long du roman par la question « Who is John Galt ? », est un ingénieur surdoué à l’initiative de la grève. Inventeur d’un moteur révolutionnaire alimenté à l’énergie statique, il refuse d’en offrir l’usage à la masse ignorante. « Les victimes sont en grève (…) Nous sommes en grève contre ceux qui croient qu’un homme doit exister dans l’intérêt d’un autre. Nous sommes en grève contre la moralité des cannibales, qu’ils pratiquent le corps ou sur l’esprit ».
Hank Rearden et Dagny Taggart sont tellement attachés à leurs propres commerces qu’ils déclinent toutes les sollicitations de John Galt. Mais la retraite des principaux acteurs de l’économie rend leur situation de plus en plus insupportable. La société américaine traverse des crises de plus en plus préoccupantes, et imputées conjointement aux ingérences des gouvernants et à la forfaiture des créateurs. La fin du roman décrit avec emphase une situation apocalyptique. Les hommes d'état, désœuvrés, reprennent tour à tour l’aphorisme éculé de Keynes : « Dans le long terme, nous sommes tous morts ». John Galt interrompt soudainement les programmes radiophoniques pour expliquer les causes du déclin. Son discours, comparable à celui de Howard Roark lors de son procès, tient lieu de prolégomènes à la philosophie objectiviste randienne. Galt commence par énumérer les perversions morales sous-tendant l'étatisme ambiant : "Vous avez sacrifié la justice à la pitié, l'indépendant à l'unité, la raison à la foi, la richesse au besoin, l'estime de soi à l'abnégation, le bonheur au devoir". De là le dédain de la masse pour les créateurs égoïstes qui lui apportaient pourtant la plus grande richesse. A la fin, John Galt annonce leur retour à la condition que l'État se retire. Les hommes du gouvernement abdiquent. Ainsi s’achève le roman : « la voie est libre, dit John Galt, nous voici de retour au monde. Il leva la main puis, sur la terre immaculée, traça le signe du dollar ».

 5) Ayn Rand

De Wikiberal
 
Ayn Rand (2 février 1905 - 6 mars 1982), née Alissa Zinovievna Rosenbaum[1], est une philosophe et romancière américaine (juive russe émigrée), connue pour sa philosophie : l'objectivisme. Sa principale œuvre est La Grève - Atlas Shrugged en version originale - (1957), un roman qui met en scène des entrepreneurs en butte à l'étatisme d'une société socialiste pré-totalitaire

  • 1 Biographie
  • 2 Idées
  • 3 Citations
  • 4 Œuvres
  • 5 Littérature secondaire
  • 6 Voir aussi
  • 7 Liens externes
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  • 9 Notes et références 
  •  
  •  
  • 6) Contrepoints » Atlas Shrugged
  •  
  • 7) Institut Coppet originellement sur 24hGold,

    Un siècle après sa naissance et plus d'une décennie après sa mort, Rand reste l'un des auteurs les plus vendus et les plus influents dans la culture et la pensée américaine. Née en Russie en 1905, dans une famille juive aisée sous le nom d’Alyssa Zinov'yevna Rosenbaum, elle assiste en direct à la révolution bolchévique à Saint Petersbourg. Après des études d’histoire et de philosophie, elle se passionne pour le cinéma américain, véritable rayon de soleil dans l’enfer collectiviste soviétique. Elle parvient finalement à fuir l'URSS en 1926 et s'installe aux États-Unis, ne sachant pas un mot d’anglais. Elle publie son premier roman en 1936, We the living (Nous les vivants), puis, en 1943, The Fountainhead (La Source vive), suivi d’Anthem en 1946 (Hymne), et d’Atlas Shrugged en 1957. Il a fallu 12 ans à Ayn Rand pour achever l’écriture de ce roman de 1800 pages qui n’a pas connu immédiatement le succès. Au total, quelque 20 millions d'exemplaires des livres de Rand ont été vendus aux États-Unis, dont plus de 7 millions de copies pour le seul Atlas Shrugged. Ce roman figure désormais au troisième rang des « classiques de la littérature américaine » les plus achetés sur le site de vente en ligne Amazon. La 1ère partie du film, inspiré de l'ouvrage éponyme d'Ayn Rand, est sortie le 15 avril sur les écrans aux Etats-Unis.

    Dans Atlas Shrugged, le discours fleuve que prononce John Galt à la radio est un véritable manifeste des principes de l’Objectivisme, philosophie qui veut donner une base éthique et philosophique au capitalisme. Avec ce roman, elle acquiert une vraie renommée dans le pays et sera finalement invitée à prononcer des conférences dans les plus grandes universités : Yale, Berkeley, Princeton, Columbia, Harvard, malgré la méfiance qu’elle continuera d’inspirer à la plupart des intellectuels académiques.

    L'individualisme radical d’Ayn Rand

    Ayn rand a vu de près la réalité et les conséquences du collectivisme et du culte de État en URSS. Mais elle a été surprise de constater que l’Amérique des années trente était séduite par les idées communistes. Dès l’origine, Ayn Rand a fait de l’individualisme son combat. On peut le qualifier de moral ou de rationnel car il défend le droit fondamental de chaque individu à vivre librement, selon son propre jugement.

    Howard Roark, le héros de The Fountainhead est un personnage emblématique de cet individualisme que défend Ayn Rand. Architecte, il lutte seul contre tous pour faire reconnaître son droit de libre créateur. C’est un individualiste déterminée à poursuivre sa vision artistique dans un monde collectiviste. Traduit devant un tribunal, il défend sa propre cause dans un plaidoyer retentissant en faveur de l'indépendance individuelle.

    La philosophie objectiviste

    A partir du début des années 50, Ayn Rand cherche à fonder l'individualisme sur les exigences d'une nature humaine définie objectivement. Dans la Vertu d’égoïsme, en 1964, elle reprend les thèses exposées dans Atlas Shrugged en 1957 mais sous une forme systématique. Dans cette démarche philosophique, elle s’inspire principalement d’Aristote qu’elle oppose souvent à Kant

    La philosophie objectiviste s’articule autour de cinq parties logiquement emboîtées :
       
        * Métaphysique, la théorie de l’existence : l’existence comme seule réalité
        * Épistémologie, la théorie de la connaissance :
    la raison comme seule norme de vérité    
        * L'éthique, la théorie des valeurs morales : l’accomplissement de soi comme seule norme éthique
        * Politique, la théorie des droits et du gouvernement :
    la justice comme seule norme politique
        * Esthétique, la théorie de la nature de l'art :
    le beau comme seule norme esthétique

    Il existe une relation hiérarchique entre ces thèses. A la racine se trouve la métaphysique, l'étude de l'existence et de la nature de l'existence. L'épistémologie, l'étude de la connaissance et de la façon dont nous connaissons la réalité, lui est étroitement liée. L'épistémologie est dépendante de l'éthique, c’est l'étude de la manière dont l'homme doit agir. L'éthique repose sur l’épistémologie parce qu'il est impossible de faire des choix sans connaissance. La politique est une sous-partie de l’éthique : c’est l'étude de la façon dont les hommes doivent interagir dans une société ouverte. L’esthétique est une sous-partie de la métaphysique, de l’épistémologie et de l’éthique.

    L'éthique objectiviste : la vertu de l'égoïsme rationnel

    L’éthique est la science dont la fonction est de définir et de mettre en forme un code de valeurs. Une fondation appropriée de l'éthique consiste à définir un critère de valeur auquel tous nos objectifs peuvent être comparés. Or la vie proprement humaine se confond avec la vie rationnelle, car seul l’usage de la raison permet à l’homme de mener son existence propre. Pour exceller en tant qu'être humain, l'homme doit vivre selon son propre jugement et rechercher son intérêt rationnel. Le but éthique et rationnel de chaque individu est la réalisation de son intérêt propre, de son bonheur.

    Cet égoïsme rationnel s'oppose à l'altruisme, au tribalisme et à toute forme de collectivisme c’est-à-dire de sacrifice de soi-même au profit d’un autre. Les intérêts individuels ne doivent en aucun cas être sacrifiés à un intérêt collectif. Seuls les individus ont des droits. La communauté en tant que telle n'en a pas.

    Les droits de l’homme

    Les droits de l’homme se résument dans le droit pour un individu d’utiliser sa raison, à l’exclusion de toute coercition, pour mener sa propre vie. Raison et liberté vont de pair. Aucun homme ne peut obtenir les valeurs des autres par le recours à la force physique, et aucun homme ne peut initier le recours à la force physique contre les autres. Les hommes devraient se traiter entre eux, non comme des victimes et des bourreaux, ni comme des maîtres et des esclaves, mais comme des commerçants, par des échanges volontaires à l'avantage mutuel.

    La différence entre pouvoir économique et pouvoir politique

    L'État est détenteur du monopole légal de la force physique. La nature de l'action étatique est l'action coercitive. La nature du pouvoir politique est d'obtenir l'obéissance sous menace de contraintes physiques, que ce soit la menace d'amende, d'expropriation, d'emprisonnement ou de mort.
    Par contre sur un marché libre, aucun individu, aucun groupe privé ne dispose du pouvoir d'imposer à d'autres individus ou groupes d’individus d'agir contre leurs propres choix. Les individus commercialisent leurs biens et services selon leurs avantages mutuels, selon leur propre jugement exercé sans contrainte. On ne peut s'enrichir qu'en proposant des biens ou des services d'une plus grande valeur ou à prix moindre que ce que les autres sont capables d'offrir.
    Il en résulte que :
    ·         le pouvoir économique s'exerce par des moyens positifs, il offre à chacun une récompense, une incitation, un paiement, une valeur ;
    ·         le pouvoir politique s'exerce par des moyens négatifs, par la menace de la punition, de l'emprisonnement, de la destruction.
    L'outil de l’entrepreneur est la création de valeur, celle du bureaucrate est la création de la peur. L’entrepreneur rend un service à la société, le bureaucrate la parasite.

    Le capitalisme de laissez-faire

    Ceci conduit Ayn Rand à défendre l’idée d’un gouvernement limité ou d’un État ultraminimal, dans l’esprit des Pères fondateurs. L’État doit avoir une fonction strictement limitée de protection des droits contre l’agression. Ce principe a trois conséquences :

    - La force est légitime seulement si elle est exercée en réponse à une agression initiale.
    - L’État doit être doté des moyens de la force publique pour réprimer ce type d’agression.
    - Il doit agir dans le cadre de lois justes qui établissent clairement les droits et les devoirs de chacun.

    Le « capitalisme de laissez-faire » est le seul système politico-économique compatible avec ces principes. Il s’agit d’un système dans lequel les gens travaillent pour eux-mêmes et ont le droit de penser et de vivre selon leur propre conscience. Les partisans du capitalisme de laissez-faire sont par conséquent les seuls défenseurs des droits de l'homme selon Ayn Rand.

    L'économie de marché est en effet compatible avec une perspective morale car c’est un système qui repose sur le jugement individuel, sur la capacité d'identifier, et d'évaluer la valeur réelle ou potentielle d’un objet. Or, il n’y a d’actions morales que volontaires et choisies. Dès lors qu’une action est forcée, elle perd sa dimension éthique et ne peut être celle d’un homme vertueux. Nous sommes moralement bons, responsables et dignes de respect dans la mesure où nos actes découlent de notre propre volonté, et non de la coercition. Le capitalisme est garant de cet espace moral et de l'autonomie individuelle car il est fondé sur la propriété.

    L’actualité d’Ayn Rand

    En 1991, une enquête réalisée par la bibliothèque du Congrès a constaté qu’Atlas Shrugged était le deuxième livre le plus influent pour les américains, juste après la Bible. En 2009, ses ventes ont triplé. En effet, ce livre décrit sous une forme littéraire ce que chacun peut désormais observer tous les jours : les interventions de l’État dans le domaine de l’économie ont des conséquences opposées aux buts annoncés. Les politiciens veulent apporter des réponses aux crises que, dans la plupart des cas, ils ont eux-mêmes créées. Ils votent de nouveaux programmes gouvernementaux, des lois et des règlements qui faussent les prévisions des acteurs du marché et provoquent une plus grande incertitude, inspirant aux hommes politiques de nouveaux programmes. Le scénario se répète jusqu'à ce que les secteurs productifs de l'économie s’effondrent sous le poids des taxes et autres charges imposées au nom de l'égalité et de l’altruisme. En 2009, de nombreux américains ont relu Atlas Shrugged comme un livre prémonitoire.

    Le retour d'Ayn Rand sur le devant de la scène aux États-Unis depuis quelques années ne peut se comprendre que dans le contexte d'une tradition américaine qui accorde le primat aux libertés locales sur le gouvernement fédéral. Or beaucoup d’américains critiquent la dérive de Washington vers une forme de Big Government qui rompt avec toute la philosophie des Pères fondateurs. D'où le succès d’un mouvement populaire comme celui du Tea Party qui a fait d’Ayn Rand l’une de ses références majeures.

    Un livre de synthèse : The Virtue of Selfishness (1964), traduction française : La Vertu d'égoïsme, Paris, Les Belles Lettres, 1993.

    Bibliographie selective

    Philosophy Who Needs It? (1962)
    Capitalism The Unknown Ideal (1962)
    The Romantic Manifesto (1969)
    Introduction to Objectivist Epistemology (1990)

    Films
    En 1949, The Fountainhead a été adapté au cinéma par King Vidor, avec Garry Cooper et Patricia Neal. Le titre français est Le rebelle (version sous-titrée).
    The Passion of Ayn Rand, 1999, avec Helen Mirren et Peter Fonda, adaptation de la biographie de Barbara Branden (1986).
    Ayn Rand : a sense of life. Un documentaire écrit, produit et dirigé par Michael Paxton en 1997.
    Atlas Shrugged : Part I est un film de Paul Johansson, sorti en avril 2011 aux USA.


    La traduction française d'Atlas Shrugged sort le 22 septembre 2011 aux Belles Lettres sous le titre : "La Grève".  
     
     
     
     

9 commentaires:

Sophie Bastide-Foltz a dit…

La prochaine fois que je vois "publié sous la direction d'Alain Laurent", je sors mon révolver.

Il faut rendre à César... c'est Andrew Lessman qui a entièrement financé la traduction et c'est mon mari et moi qui avons trouvé l'éditeur. Alain Laurent s'est contenté de lire la traduction.

Vincent Jappi a dit…

Alain Laurent ne comprend pas l'objectivisme de Ayn Rand.

Sophie Bastide-Foltz a dit…

Surtout il se pare des plumes du paon, comme on dit. Et je crois qu'il était très vexé de n'avoir pas réussi à le traduire lui-même.
Richard Millet voulait le publier chez Gallimard. Les pourparlers étaient avancés... Et puis... Gallimard s'est dégonflé...
De même que les Français, si chauvins comme chacun sait, disent toujours que c'est les Belles Lettres l'éditeur... Mais regardez bien sur la couverture...

Genestine a dit…

Sur un des liens il y a une personne sensée qui explique cela en gros

Sophie Bastide-Foltz a dit…

Oui, en gros, car Alain Laurent en parle comme s'il avait décidé la traduction avec Lessman. Alors que la traduction est arrivée toute finie sur le bureau de la directrice des Belles Lettres et que Lessman en avait obtenu les droits bien avant. Bref...ça m'agace juste un peu chaque fois que je lis "sous la direction de". Andrew mérite toute notre reconnaissance.

Patrick AUBIN a dit…

On dit qu'Ayn Rand était minarchiste... Elle ne l'était que par raison, car lorsqu'il est extrait les deux phrases suivantes, son idéal était l'anarchocapitalisme...

"3. Tout homme est une fin en lui-même, et non un moyen pour les autres. Il doit exister pour lui-même, et non se sacrifier pour autrui, ni sacrifier autrui à lui-même. La poursuite de son intérêt rationnel ou de son propre bonheur est le plus haut but moral de sa vie.
4. Le système politico-économique idéal est le capitalisme de laissez-faire."

Kaz Vorpal a dit…

Rand is an embarrassment to the liberty movement. She works as a straw man argument AGAINST freedom, with her silly claims of objectivity, that selfishness is good, et cetera.Rand est une honte pour le mouvement de liberté. Elle travaille comme une homme de paille argument contre la liberté, avec ses prétentions ridicules d'objectivité, que l'égoïsme est bonne, et cætera. (Traduction fournie par Bing)

Bruno Brochard a dit…

j'ai lu la critique de L'Express sur "la Grève" une chose est sûr je n'achèterai plus ce torchon.

Anonyme a dit…

qui peut être défini. i, participe passé, pas "définit".

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