novembre 23, 2025

Mais le sens de la liberté est-il si clair et si simple ?

Définition de la liberté 
 
 Ce discours a été prononcé devant la Société du Mont-Pèlerin à Saint-Moritz, en Suisse, le 4 septembre 1957, et publié par la Freedom School en 1958. Harper, économiste à Cornell, est l'auteur de *Liberty: A Path to Its Recovery* et de *Why Wages Rise*. Il a par la suite fondé l'Institute for Humane Studies. 
Il arrive que l'humilité semble prendre des vacances, comme ce fut le cas pour moi lorsque le professeur Hayek a proposé d'aborder ce sujet. Puis, lorsque la réalité est revenue hanter les esprits, s'est évanouie cette douce et agréable sensation de bien-être où tout paraissait parfaitement clair et simple ; où la question de la liberté – son sens et ses fondements philosophiques – ne posait aucun problème sérieux apparent ; où, de prime abord, il semblait presque banal de s'attarder sur l'évidence. 
 
 

 
 
 Mais le sens de la liberté est-il si clair et si simple ? 
 
Si un étranger observait la nature de la Société du Mont-Pèlerin et constatait sa réunion pour cette occasion décennale, ne serait-il pas surpris de nous voir consacrer une séance entière à la signification de la liberté – ce mot peut-être plus fondamental que tout autre pour la raison d'être originelle de la Société ? Ne pourrait-il pas s'attendre à ce que cette question ait été résolue à l'unanimité dès la fondation de notre association ? Le fait qu'elle n'ait pas été ainsi résolue me semble refléter l'absence de consensus clair sur le sens de la liberté ; il s'agit apparemment d'une notion complexe et nuancée. Nous utilisons ce mot si cher dans nos échanges et supposons une compréhension qui, de toute évidence, fait défaut.
 
La confusion qui règne autour de ce mot clé peut paraître étrange. Car la liberté n'est pas un concept nouveau. Elle préoccupe sans doute l'humanité depuis l'aube de son existence. Dans sa lutte pour la vie et son amélioration, l'homme a certainement dû affronter des menaces constantes à sa liberté, tout comme il a dû se confronter aux marées, aux tornades et aux épidémies de toutes sortes. Ces épreuves ont dû faire partie intégrante de son expérience depuis la nuit des temps. 
 
Avant toute réflexion approfondie sur ces obstacles, l'humanité les a sans doute combattus intuitivement. On peut supposer que, pendant des millénaires, l'humanité a lutté pour sa liberté, par exemple, sans avoir une compréhension profonde de ce qu'elle est réellement, tout comme elle a lutté pour sa survie face aux forces de la nature sans connaître précisément et formellement les lois des phénomènes naturels. 
 
J'imagine que, ailleurs, des réunions se tiennent pour tenter de comprendre la nature de l'électricité, ou l'origine des vents et des tempêtes, tandis que nous, ici, nous nous interrogeons sur la véritable nature de la liberté. Nous devons explorer la nature de la liberté et sa signification profonde à une époque où l'histoire de l'humanité est marquée par le sang d'innombrables batailles menées pour elle. 
 
Mes réflexions sur ce sujet s'inscrivent donc dans un esprit d'exploration, sans aucune prétention de vérité absolue, et je suis convaincu qu'elles seront perçues comme telles.
 
La Nature de l'Homme 
 
D'emblée, deux questions fondamentales et anciennes se posent : 
 
- 1 - Quelle est la nature de l'homme ? 
 
- 2 - Quelles voies sont tracées pour l'homme, du fait de sa nature ? Autrement dit, quel est le but de la vie humaine ? 
 
 Concernant la nature de l'homme, je laisse volontiers le soin à d'autres d'y répondre, notamment aux philosophes et aux biologistes, dont le champ de recherche recèle sans doute une clé essentielle pour comprendre la nature de l'homme et son rapport au problème de la liberté. Car si la nature biologique de l'organisme n'est pas en accord avec la liberté, il est assurément vain de proclamer les vertus de la liberté et de rechercher sa mise en pratique ; et, dans ce cas, il vaudrait mieux dissoudre cette Société et orienter nos espoirs et nos efforts ailleurs. 
 
Mais je présuppose que la nature de l'homme est en accord avec la liberté. C'est pourquoi je fonde l'argument en faveur de la liberté sur une base biologique, utilisant ce terme dans son sens le plus large pour inclure tout ce qui est humain. Les travaux menés ces dernières années en biologie et dans les domaines connexes laissent entrevoir une période extrêmement fructueuse qui semble s'annoncer. À titre d'exemple, on peut citer les travaux de Roger J. Williams, biochimiste à l'Université du Texas [1] ; d'Edward W. Sinnott, botaniste et doyen émérite de la Graduate School de l'Université Yale [2] ; d'Horace W. Stunkard, directeur émérite du département de biologie de l'Université de New York [3] ; de Leonard Carmichael, secrétaire de la Smithsonian Institution [4] ; du comte du Nouy, ​​scientifique français [5] ; et d'autres encore. 
 
 Le thème central de ces travaux, concernant la liberté, est l'extrême diversité des individus et l'importance de cette diversité lorsque la liberté permet son expression dans les réalisations de la vie.
 
Parmi ces qualités infiniment variables qui témoignent de la nature humaine, on trouve la variation de son savoir et de sa sagesse, ou de son ignorance et de sa folie. La liberté tend à favoriser le savoir et la sagesse ; son absence tend à favoriser l’ignorance et la folie, en raison du principe mathématique de régression qui entre en jeu dans les processus qui restreignent la liberté. 
 
Un autre apport de la recherche biologique est de mettre en lumière la nature indépendante et unitaire de l’organisme humain. Les personnes naissent seules, comme des unités distinctes, une à la fois. Elles meurent également une à la fois, comme des unités distinctes. Tous leurs actes intermédiaires sont aussi des actes d’unités distinctes, même dans leurs efforts de coopération. Un regroupement de quelque nature que ce soit – même cette réunion – ne parvient pas à fusionner deux personnes en une seule unité, tant qu’il y a vie en chacune. Même en cas de panique ou de phénomène similaire où le troupeau semble agir comme une unité, ce sont des individus entièrement individuels qui agissent, malgré leur apparente concertation. Tout collectif est une construction illusoire. Les biologistes nous aident à le comprendre et à reléguer les concepts de collectif social au rang de coquille vide et dénuée de sens, simple construction imaginaire. 
 
Définition de la liberté 
 
Après ce bref exposé sur l'hypothèse selon laquelle la liberté est ancrée dans la nature biologique de l'homme, il convient peut-être de s'interroger sur le sens même de cette liberté dont nous parlons. 
 
Pour tenter de la définir, on pourrait se tourner vers ce que beaucoup considèrent comme l'opposé de la liberté : le socialisme. Ne pourrait-on pas simplement inverser la définition du socialisme et obtenir ainsi une définition acceptable de la liberté ? 
 
Il est vain, à mon avis, de chercher un consensus sur la signification du socialisme. La confusion est illustrée par le fait que, lorsque le Figaro publia en 1892 une liste de définitions du socialisme, il en recensait plus de 600. Et lorsque Dan Griffiths, en Angleterre, écrivit son ouvrage en 1924, « Qu'est-ce que le socialisme ?», il trouva 263 réponses dignes d'intérêt.
 
Je frémis à l'idée de proposer 600, voire 263, définitions de la liberté, vous laissant le choix entre plusieurs définitions payantes. Je crois qu'une communication efficace et le progrès dans la cause de la liberté nécessitent un outil de définition du sens des mots plus précis. On peut se demander, par analogie, quel serait l'état actuel de la science en général si un langage plus précis n'existait pas ; si, par exemple, on trouvait 600 ou 263 réponses possibles au problème de la somme de deux et deux, ou à la nature de l'oxygène ? 
 
 Je ne peux pas non plus souscrire à l'opinion d'un sociologue renommé qui a récemment affirmé qu'il est bon que le sens des mots évolue constamment, « progresse » – comme si les mots étaient des vêtements qui se salissent et qu'il faut changer régulièrement. Le film 1984 a illustré les conséquences d'une telle pratique. 
 
La précision et la stabilité du sens de mots comme « liberté » semblent absolument indispensables à tout progrès significatif dans la science des relations humaines. Car la communication est assurément aussi importante ici que dans les autres sciences, et elle exige à la fois précision et stabilité dans le sens des mots. 
 
 Je suppose que la liberté suprême est celle de chacun de définir la liberté comme il l'entend. Je vais donc exercer ce privilège moi-même. Ce faisant, cependant, je voudrais que ma définition soit aussi raisonnable que possible afin que d'autres puissent partager mon point de vue sur une définition étymologiquement et fonctionnellement solide. 
 
Pour commencer, la liberté me semble être un terme lié à la conduite personnelle dans ses relations avec autrui au sein de la société. Autrement dit, elle se rapporte aux limitations d'action qu'une personne peut subir ou non du fait d'une autre. C'est en ce sens un terme centré sur la conduite individuelle dans un contexte social. 
 
Il existe bien sûr d'autres obstacles à la liberté d'action, outre ceux qu'une personne impose à une autre. Il s'agit notamment des contraintes environnementales imposées par la nature et non par l'homme : contraintes chimiques, physiques, astronomiques, et autres obstacles de ce type à la pleine liberté d'action.

Vous pourriez, par exemple, désirer vous déplacer sans vous heurter à la montagne qui vous barre la route. Ou, en hiver, souhaiter voir des roses percer la neige. Ou encore, souhaiter que Mars soit tout proche pour pouvoir vous y rendre. De tels obstacles à la réalisation de nos désirs passagers ne relèvent pas de la liberté. Ils se situent en dehors du champ des relations interpersonnelles où se trouvent tous les problèmes de liberté, car ce sont des problèmes auxquels vous seriez confronté même en étant totalement isolé de vos semblables. 
 
 La liberté vient du latin « liber », qui signifie être libre. Voici donc la définition de la liberté que je propose : 
 
La liberté est l’absence de contrainte d’un être humain par un autre ; c’est la condition dans laquelle chacun peut faire ce qu’il désire, selon sa sagesse et sa conscience. 
 
Cela signifie que pour être libre, il faut être libre sans restriction ni modification, en ce qui concerne ses relations sociales. La nature lui imposera toujours ses limites, bien sûr, mais ses semblables ne lui en imposeront aucune. 
 
 Afin de mieux cerner cette définition, considérons une alternative qui me semble la seule possible : 
 
La liberté est l’état dans lequel une personne doit faire tout ce qu’une autre personne désire qu’elle fasse, selon la sagesse et la conscience de cette dernière. 
 
 Il s’agit de l’unique alternative, car pour tout acte considéré, il n’y a que deux possibilités : (1) vous déterminez ce que vous ferez ; ou (2) il vous est interdit de déterminer ce que vous ferez.
 
La dernière de ces deux possibilités signifie qu'une ou plusieurs autres personnes décideront de vos actes et vous y contraindront. Cela s'apparente davantage à une définition de l'esclavage qu'à celle de la liberté, et je dois donc la rejeter. Puisqu'il n'existe pas d'autre alternative – une personne agissant soit volontairement selon sa propre sagesse et sa conscience, soit involontairement sous l'influence d'autrui – la première définition me semble la seule acceptable. 
 
 Il convient de mentionner ici un point qui pourrait poser problème avec cette définition. La liberté, telle que je la définis, n'exclut pas que l'on puisse, pour guider ses actes, recevoir des conseils ou une influence, sous quelque forme ou degré que ce soit, s'ils sont acceptés volontairement, et qui ne proviennent pas de soi-même. Ces conseils peuvent provenir d'influences religieuses, de preuves tirées de documents historiques, de connaissances scientifiques, de l'avis d'autrui, voire de processus de télépathie, de clairvoyance ou d'intuition d'origine mystique, quelle que soit leur ampleur. Si l'on accepte volontairement ces influences, l'acte qui en résulte est un acte de liberté au même titre que tout autre. 
 
Ainsi, la liberté, telle que je l'ai définie, ne se limite pas à une conduite volontaire découlant d'un isolement total. Toutes ces autres forces peuvent influencer les actes d'un homme libre. J'irais même jusqu'à dire que ces influences s'exercent pleinement et avec le plus de force uniquement dans le cadre de la liberté. 
 
Définitions altérées de la liberté 
 
Nombreux sont ceux qui éprouvent un besoin irrépressible de modifier et d'altérer cette définition de la liberté. Parmi eux, beaucoup semblent avoir une conception libertarienne particulièrement profonde. Ils souhaitent une définition qui englobe la « conduite convenable ». Or, à mon sens, une telle approche brouille le concept de liberté et le dénature jusqu'à le vider de son sens.
 
Je soupçonne que beaucoup de gens vouent une telle fascination à leur cher mot « liberté » que, tels des amoureux transis dont les attentes dépassent la réalité, ils s'efforcent de nier toute imperfection chez celui qu'ils chérissent. Ainsi, pour garantir sa perfection, ils tentent d'exclure toute possibilité d'imperfection selon leur propre définition. Dans ce cas précis, certains tordent leur conception de la liberté afin d'exclure tout acte qu'ils jugent imparfait. 
 
Prenons par analogie un autre domaine de réflexion : la chimie. À ses débuts, on considérait qu'il fallait identifier les constituants chimiques élémentaires avant de pouvoir développer une science de la chimie. Supposons qu'il ait été décidé à cette époque de définir chaque élément comme cette forme de matière uniquement lorsqu'il est utilisé « à bon escient ». Le chlore serait alors, je suppose, du chlore lorsqu'il sert à fabriquer du sel de table, mais autre chose lorsqu'il sert à produire du chlore gazeux en temps de guerre, ou autre chose encore si l'ennemi l'utilisait à cette fin, et encore autre chose encore si le sel venait à corroder votre moteur. Toute dilution du sens des concepts fondamentaux d'une science, quelle qu'elle soit, semblerait entraver tout développement appréciable de cette science. Il ne faut pas brouiller les pistes concernant des termes aussi essentiels en tentant d'y intégrer des jugements humains d'une nature entièrement différente. 
 
 Imaginons que des confusions similaires aient émaillé l'élaboration du vocabulaire des concepts fondamentaux en physique, en physiologie ou en bactériologie. Quel progrès aurait alors pu être accompli dans ces domaines ? 
 
 Je plaide donc pour une définition claire et rigoureuse d'un mot clé des sciences sociales : la liberté. 
 
Elle devrait occuper une place dans notre vocabulaire comparable à celle d'un élément en chimie ou du mouvement en physique. Car si nous tentons de la modifier en nous appuyant sur la prétendue légitimité de l'acte, nous introduirons une préoccupation d'une toute autre nature, qu'il convient de dissocier totalement du sens de la liberté. Ce sont deux domaines qui ne sauraient se fondre en une seule définition claire.
 
Un autre aspect de cette définition mérite d'être mentionné. Si l'on tentait d'intégrer à la définition de la liberté un jugement de valeur morale, réduisant ainsi la liberté aux seuls actes « bons », qui, ou quel organisme, serait habilité à définir ce qui est « bon » ? J'estime que la détermination du bien serait alors nécessairement, dans une certaine mesure, sociale. Et pour nous, libertariens, définir la liberté de telle sorte que nous devions accepter une conception sociale de la morale avant de pouvoir qualifier un acte de libre reviendrait à renoncer à notre confiance dans la formulation de notre propre langage. 
 
Une autre acception de la liberté, différente de celle que je privilégie, consiste à la définir comme une condition où la restriction de la coercition des êtres humains par d'autres est minimale. Mais une telle conception, à mon avis, décrit autre chose que la liberté. Peut-être s'agit-il d'une manière de décrire une société libérale composée d'êtres humains faillibles, ou quelque chose d'approchant. Dans une société d'êtres humains faillibles, la liberté absolue de tous ses membres est évidemment impossible, car notre conduite faillible limite la liberté de chacun. 
 
Nous ne définirions pas le vide comme l'état le plus proche de l'absence de contenu matériel dans un espace que nous savons atteindre, ni l'ytterbium comme un composé aussi proche de cet élément, dans sa pureté, que nous en ayons trouvé jusqu'à présent. Nous devrions plutôt définir la liberté – le vide, l'ytterbium – à l'état pur, même si nous ne l'avons pas encore expérimenté. 
 
Votre choix reste un choix, même si je ne suis pas d'accord avec votre décision. De même, votre acte de liberté reste une liberté, même si je le désapprouve. Définir la liberté d'une manière qui vous déplaît est un acte de liberté pour moi ; exprimer votre désaccord en est un autre. 
 
Morale contre Liberté 
 
En définissant la liberté comme l'ensemble des jugements que l'on porte sur ses propres actes selon sa conscience, mon intention est de reconnaître l'importance de la morale et de l'éthique en la matière. Plutôt que de tenter de distinguer entre morale et éthique dans le peu de temps imparti, je ne parlerai que de morale – le « bien » contre le « mal », le « jugé » contre le « non jugé » de la conduite humaine.
 
Il est bon de rappeler ici que la liberté, telle que je l'ai définie, n'est pas synonyme de bien ; que tout acte de liberté peut être considéré comme « bon » ou « mauvais » par autrui. Cela restera vrai tant qu'une sagesse infinie et une perfection universelle de la conscience ne guideront pas chaque acte de chaque personne de manière à ce qu'il soit approuvé par tous. 
 
Or, l'accord universel est loin de refléter la réalité ; il n'est qu'une direction à suivre. Et c'est précisément pour cette raison que la question de la liberté se pose. Sans ces divergences de jugement moral sur ce que chacun devrait ou ne devrait pas faire, la Société du Mont-Pèlerin, comme tout autre processus visant à gérer les questions de conduite et de conflit humains, n'aurait aucun sens. 
 
Parler de morale ne revient donc pas à parler de liberté, mais renvoie plutôt à une mesure qualitative de ces actes. 
 
Approfondissons ce point. La morale a pour objet de juger les actes comme bons ou mauvais, justes ou injustes – « moraux » ou « immoraux », comme on dit pour les évaluer. Un tel jugement n'a ni lieu ni sens en dehors des actes de choix. Nul ne peut agir bien que dans une situation où il a également la possibilité d'agir mal. Autrement dit, les considérations morales n'ont de place que là où la liberté existe. Une pierre n'est confrontée à aucune considération morale, car, à notre connaissance, elle est totalement dépourvue de choix et se laisse simplement porter par les forces de son environnement naturel. Une pierre ne peut agir ni bien ni mal de son propre chef, car elle ne fait aucun choix – elle est incapable de liberté. 
 
Il s'ensuit qu'aucun problème de morale ne peut être résolu par la suppression de la liberté, quelle qu'en soit la gravité. L'esclavage ne fait que supprimer toute considération morale de la vie de l'esclave et le réduire au rang d'une pierre. Le problème moral reste cependant du côté de l'esclavagiste.
 
Affirmer qu'une personne ou une société peut être rendue morale en la privant de sa liberté revient à adopter la position d'une mère aimante qui interdirait à son enfant d'approcher l'eau tant qu'il ne saurait pas nager. Thomas Davidson l'exprimait ainsi : « Ce qui n'est pas libre n'est pas responsable, et ce qui n'est pas responsable n'est pas moral. Autrement dit, la liberté est la condition de la moralité. » [6] 
 
Droit moral 
 
La liberté ne sera admise en société que dans la mesure où la conduite d'autrui est acceptée. Cette acceptation peut résulter soit d'une approbation de l'acte, soit d'une tolérance du désaccord. 
 
La tolérance du désaccord exige l'acceptation de sphères distinctes au sein desquelles chacun est autorisé à se tromper, pourvu qu'il le fasse avec ce qui lui appartient plutôt qu'avec ce qui appartient à autrui. La propriété privée, dans le domaine économique des biens rares et convoités, répond à cette exigence. Une fois ces domaines acceptés, le droit moral fondamental de chacun de « faire ce que je veux de ce qui m’appartient » plutôt que de faire ce que je veux de ce qui vous appartient devient un droit moral primordial. [7] 
 
Un code moral guidant nos actes, dans la mesure où il est possible de l’obtenir, est une voie vers la coexistence pacifique. C’est pourquoi ce code moral devient une préoccupation liée à la question de la maximisation de la liberté, car en l’absence d’un tel accord, nous restreindrons inévitablement la liberté des uns et des autres, plus ou moins proportionnellement. 
 
Où et comment trouver un tel code ? 
 
 Une question fondamentale se pose ici, me semble-t-il, de savoir si l’on suppose l’existence d’un univers ordonné ou non.
 
Partant du postulat d'un univers ordonné, d'autres postulats en découlent. Ce postulat, à mon sens, permet à la fois à la science et à la religion de coexister, chacune représentant deux types de croyances quant à la nature de cet ordre. Ce postulat d'ordre est théiste sous une forme ou une autre, qu'on le conçoive comme Dieu, comme loi naturelle, comme phénomène universel de cause à effet, ou autre. Pour notre propos, il n'est pas nécessaire de faire de distinction entre les croyances, ni d'anthropomorphiser le concept de Dieu. Seule compte ici la question de l'existence ou non d'un univers ordonné. 
 
Partir du postulat d'un univers ordonné implique d'accepter l'existence de vérités éternelles et de principes immuables, universellement. Cela ne requiert pas pour autant la présomption arrogante de connaître toutes ces vérités avec une certitude absolue. Cela signifie simplement supposer leur existence et leur découverte – qu'elles soient connues ou inconnues, nous sommes impuissants à les modifier, individuellement ou collectivement, à les plier ou à les altérer à notre guise. 
 
S'il existe ces vérités éternelles et ces principes immuables, alors on peut supposer l'existence, au sein de l'univers où nous vivons, de vérités morales – une loi morale, si l'on veut les appeler ainsi – qui prime sur nos lois sociales, statutaires, coutumières ou traditionnelles. Ces lois morales sont alors considérées comme le code de conduite à suivre pour être « bon », tout comme nous supposons devoir respecter les lois physiques pour être en sécurité. La violation de l'une ou de l'autre est une option, un choix, une liberté, mais les conséquences prévalent malgré notre ignorance ou notre désir d'un autre univers. 
 
Si, en revanche, on suppose l'existence d'un univers désordonné, on en déduit les hypothèses suivantes : l'athéisme ; le caractère aléatoire des événements ; L'absence de toute cause et conséquence précises à découvrir ; l'absence de vérités éternelles et de principes immuables ; l'absence de loi morale ou physique régissant les affaires ; l'absence de science à poursuivre dans l'optique où des conditions identiques engendreraient des conséquences identiques. Cela présuppose, je suppose, que nous pouvons modifier l'univers à notre guise, à volonté – mais aussi, il me semble, que rien ne subsistera, même un instant. Ce concept me paraît être une impasse. Je ne vois pas comment on peut vivre avec une telle hypothèse. Étudier la science ou toute expérience passée serait une pure perte de temps. Autant se jeter dans le vide si l'on supposait que les événements passés, avec leurs innombrables morts, ne donnent aucun modèle pour le présent ou l'avenir.
 
Mon postulat est donc un univers ordonné, régi par des lois morales que l'homme ne peut modifier. Nous ignorons peut-être la nature exacte de ces lois morales, mais, partant de ce postulat, nous devons néanmoins nous en tenir à la meilleure estimation possible. Nous rejetterions comme vérités morales toute prescription issue d'une décision majoritaire, d'un décret royal ou autre – nous les considérerions toutes comme des sources invalides en soi. Nous rejetterions la définition de la moralité donnée dans un ouvrage par un professeur de psychologie de l'Université de Californie du Sud, qui affirme : « La moralité est la qualité d'agir conformément aux normes sociales… » [8]. Nous concevrions plutôt la moralité comme la qualité de comportement à laquelle un individu doit se conformer, selon une source de vérité supérieure à la masse. 
 
À cet égard, il m'a toujours semblé que s'il existe une relation de cause à effet en matière de morale, l'expérience accumulée par l'humanité doit nécessairement se condenser en une sorte de guide de conduite. Ce guide peut être en partie intuitif, à l'instar de la peur que l'on éprouve au bord d'une falaise ; Cela peut se manifester sous forme de religion, de coutume, de tradition, ou autre. Force est de constater que ces leçons du passé ont été entachées d'erreurs, notamment par les pratiques douteuses des guérisseurs et les superstitions de toutes sortes. Mais l'expérience humaine, distillée et réfléchie, doit se refléter quelque part dans la loi morale, et on la trouve avec une certaine validité si l'on veut bien chercher au bon endroit. 
 
Prenons la religion comme exemple. La Règle d'or et le Décalogue, par exemple, se sont manifestés de manière fondamentalement identique à maintes reprises dans différentes époques et sectes religieuses. Il semble peu probable que cela soit dû au hasard ; on peut donc supposer que des concepts de ce genre, pour illustrer le processus, persistent en raison de leur harmonie, dans une certaine mesure, avec la loi morale de l'univers. 
 
Mon seul objectif, dans le cadre de cette discussion, est de plaider en faveur de la recherche de la loi morale et d'illustrer le type de découvertes qu'une recherche fructueuse peut, avec le temps, révéler. 
 
Les droits de l'homme 
 
Dans notre vie quotidienne et face aux décisions qu'implique la liberté, nous devons présumer de certains droits humains conformes à la loi morale. Ces droits ne sont pas ceux conférés par une instance politique ou par la tolérance d'autrui. Il s'agit plutôt des droits que la loi morale prescrit comme relevant de la bienséance, afin d'éviter une conséquence moralement aussi grave que la chute d'une falaise ou tout autre acte similaire dans le monde des animaux.
 
Quels pourraient être de tels droits humains ? 
 
En un sens, le droit humain fondamental est peut-être le droit à la liberté, le droit de faire des choix, de prendre des décisions et d'en assumer les conséquences ; le droit de se tromper parfois. Je préfère cependant partir d'un autre point afin de fixer une limite morale à la conduite de chacun dans l'exercice de la liberté. 
 
Parmi les droits humains fondamentaux semble figurer le droit à la vie lui-même. Il s'agit là d'une présomption, bien sûr. Comme toute chose que nous prétendons savoir, si nous portons la liberté à l'horizon de notre vision, nous constaterons toujours qu'elle repose sur une présomption. Les droits dérivés découlent ensuite logiquement de cette présomption initiale, mais leur validité n'est pas supérieure à celle de la prémisse. 
 
Le droit à la vie, en tant que présomption, se manifeste dans les actes. Il se manifeste dans la lutte d'une personne pour préserver sa propre vie, ainsi que dans sa réaction face à un acte tel que le meurtre d'un bébé. Avant de qualifier un tel meurtre d'acte odieux violant le droit fondamental à la vie, qui parmi nous s'interrogerait d'abord sur l'identité du meurtrier ? Qui se demanderait, en termes de pertinence pour un tel jugement, si l'acte a été commis par le Roi, le Premier ministre, le Parlement ou la majorité lors d'une élection nationale ? L'apparente futilité d'une telle question relative au meurtrier témoigne, me semble-t-il, d'une acceptation du droit à la vie comme droit fondamental de tous. Et d'autres en découlent : 
 
- 1 Le droit à la vie. 
 
- 2 Si une personne a le droit à la vie, elle a alors le droit de la préserver par son temps et ses ressources, pourvu que ce faisant, elle ne porte pas atteinte à ce même droit chez autrui. 
 
- 3 Si une personne a le droit de préserver ainsi sa vie, elle a alors le droit de posséder tout ce qu'elle est capable de produire par son temps et ses ressources. 
 
- 4 S'il a le droit à ce qu'il est capable de produire, il a alors le droit de le conserver pour la durée qu'il souhaite – le droit de propriété privée. 
 
 - 5 S'il a le droit de propriété privée, il a alors le droit de l'échanger, de le vendre ou de le donner à toute condition acceptable pour le bénéficiaire. Aucun tiers, qu'il s'agisse d'une personne ou d'un groupe de personnes, n'a le droit d'intervenir dans ce processus ni d'en dicter les conditions. 
 
 Telle est, à mon sens, la succession de droits qui découle de la reconnaissance du droit à la vie.
 
Si ce code de droits rigide paraît dur et inhumain, risquant de laisser des individus dans le dénuement au sein de toute société qui l'applique, je tiens à réaffirmer que le droit ultime de toute personne est celui de donner à autrui ce qui lui appartient, sous forme d'aumône. D'où pourraient provenir les aumônes à des fins caritatives, si l'on veut éviter une succession de droits qui conduirait logiquement à nier le droit à la vie lui-même ? La charité doit-elle se fonder sur la négation du droit à la vie ? J'affirme que la véritable charité ne peut découler que des fruits de la production, sous la forme de la propriété privée. 
 
En admettant l'existence d'un tel code des droits de l'homme et en le reliant aux codes religieux, il est intéressant de constater leur harmonie. Cette harmonie n'est certes pas une preuve ; elle n'est qu'un indice de validité. Mais il n'en demeure pas moins que le commandement « Tu ne tueras point » correspond au droit à la vie, en tant que droit humain fondamental. Le commandement « Tu ne voleras point » correspond au droit de conserver ce que l'on a produit ou acquis légitimement comme propriété privée. Le vol est un mot vide de sens sans la présomption de propriété, par la victime du vol, de l'objet dérobé. J'ai tenté de définir la liberté et d'en donner un fondement philosophique qui reconnaisse à la fois l'importance et le contenu de la morale, afin que la liberté puisse être pleinement réalisée. La morale présuppose la liberté ; et de plus, on suppose l'existence d'une loi morale éternelle que nous devons rechercher et à laquelle nous devons nous conformer dans nos actes en tant qu'êtres libres. 
 
L'espoir et le désespoir de la liberté 
 
 En conclusion, je voudrais brièvement évoquer l'espoir qui anime notre cause : la défense de la liberté. 
 
Si la fin est incarnée dans les moyens, aucun libertarien ne peut employer d'autres moyens que des moyens purement volontaires pour faire progresser la cause de la liberté. Cela implique l'éducation, la persuasion, la démonstration. De cette manière, d'autres peuvent être amenés à modifier leur conduite au nom de la liberté.
 
On ne peut institutionnaliser la liberté. On ne peut qu'institutionnaliser ses atteintes. Les dispositifs institutionnels censés protéger la liberté semblent toujours avoir le don d'asservir leurs prétendus bénéficiaires, tôt ou tard. Cela tient peut-être au fait que le cœur de la liberté, et l'espoir qu'elle porte, résident au plus profond de l'âme humaine – chose que les institutions ne pourront jamais posséder, quelque chose que nous ne pouvons déléguer à aucune institution. 
 
Certains pensent que la cause de la liberté est presque morte, un soleil couchant à l'horizon des affaires humaines. Dire que la liberté est morte, cependant, c'est dire que la vie humaine n'existe plus, car l'aspiration à la liberté est inscrite dans l'organisme lui-même. Si l'on réprime la liberté à un endroit, on risque fort de la stimuler ailleurs, car l'homme semble vouloir être libre, quels que soient ses efforts pour y parvenir. 
 
En réfléchissant à la sociopathologie de la liberté, je repense à certaines découvertes récentes en pathologie médicale. Dans ses expériences sur la vie en milieu stérile, James Reymers observe comment l'absence totale de germes transforme l'hôte en une forme de vie dangereusement vulnérable. Dans un cas, des poussins élevés en milieu stérile ont tous développé des tremblements, voire sont morts, dans les 24 heures suivant leur éclosion, tandis que les poussins élevés en milieu contaminé n'ont subi aucun trouble. Dans un autre cas, les ovaires des femelles d'un groupe d'animaux stériles ont dégénéré jusqu'à ce que la reproduction cesse dans le cadre de l'expérience. [9] 
 
On ne peut s'empêcher de se demander si un avantage similaire ne pourrait pas, d'une manière ou d'une autre, découler des atteintes à la liberté. Peut-être qu'une société « sans germes » (une liberté pure et sans compromis), si nous pouvions y parvenir, manquerait d'un catalyseur mystérieux, indispensable à la survie de la liberté. Bien sûr, aucun d'entre nous ne détruirait la liberté dans ce but. D'autres se chargeront certainement de cette tâche, et notre aide est superflue.
 
L'histoire, en tout cas, semble indiquer que la liberté totale et universelle est un idéal inaccessible. La liberté fluctue, jamais pleinement acquise ni totalement perdue. Peut-être est-ce un moindre mal, pour des raisons qui nous échappent encore. 
 
On déplore, bien sûr, toute absence de liberté. De même, on déplore ces désirs insatisfaits qui alimentent toute la sphère économique. Pourtant, s'il n'y avait ni biens ni services économiques au monde – si tout ce que nous désirons était en abondance – serait-ce le paradis ou l'enfer ? À quoi pourrions-nous alors aspirer ? Car vivre ne serait alors qu'une succession de plaisirs futiles dans une existence dénuée d'espoir, privée de ce que nous espérons et qui nous échappe encore. 
 
 Ainsi, la liberté semble être un but à poursuivre, mais jamais pleinement atteint dans sa pureté. Une telle pensée peut consoler les libertariens dans leur asservissement partiel, vivant seuls parmi tant d'esclavagistes. Ce concept donne espoir et raison d'être, à condition de ne pas fonder ses espoirs sur un but impossible. Si, au contraire, on s'attache à promouvoir la liberté plutôt qu'à l'obtenir pleinement pour le monde entier, on ne manquera jamais d'espoir ni de raison d'être. Le simple fait de perfectionner sa propre conduite offre déjà beaucoup à faire – bien plus que ce que les meilleurs peuvent accomplir en une vie. 
 
 
Notes

[1] Libre et inégal : les fondements biologiques de la liberté individuelle (Austin, Texas : University of Texas Press, 1953) ; L’individualité biochimique : fondements du concept génétotrophique (New York : John Wiley & Sons, Inc., 1956). 
 
[2] Deux voies vers la vérité : fondements de l’unité dans la grande tradition (New York : The Viking Press, 1953) ; La biologie de l’esprit (New York : The Viking Press, 1955). 
 
 [3] Nombreux articles. 
 
 [4] Nombreux articles, dont sa conférence au Massachusetts Institute of Technology, le 17 novembre 1953, intitulée « Psychologie, machine et société ». 
 
[5] Human Destiny (New York : Longmans, Green & Co., 1947) 
 
 [6] The Education of the Wage-Earners (New York : Ginn & Company, 1904), page 53. 
 
 [7] Voir Matthieu 20,15. 
 
 [8] John E. Burkhart, « Contre la foule », Phi Kappa Phi Journal, été 1957, page 5. Extrait de Psychology and Life, par Floyd L. Ruch, 1937, page 104. 
 
 [9] James A. Reyniers, « L’importance de la méthodologie de la vie sans germes (gnotobiotiques) pour la biologie et la médecine expérimentales ». Vétérinaire MSC, Volume 13, n° 3, 1953, page 182.
 

 


Liberté

Dans le sens courant, la liberté est la faculté pour un individu de se déterminer et agir indépendamment de toute contrainte. La liberté est un des principaux principes fondateurs du Libéralisme. Tout au long de l’histoire, l'idée de la liberté a toujours animé les actions humaines, elle s'exprime dans tous les domaines : en philosophie, dans les arts, dans les relations entre les hommes, dans les croyances et dans les sciences. La meilleure définition de la liberté est celle qui s'exprime quotidiennement, sans nous rendre compte, nous nous exprimons par le même mot. 

Liberté et libéralisme

En ce qui concerne les questionnements et réflexions philosophiques ou métaphysiques autour de la liberté (l'Homme est-il libre ? échappe-t-il à tout déterminisme ? - pour un point de vue général, on consultera l'entrée déterminisme ou l'article Liberté du Wikipedia francophone), la philosophie libérale n'apporte pas une réponse unique toute faite, toutefois elle apporte quelques concepts-clés précis qui ont été élaborés par de nombreux auteurs appartenant à la tradition libérale classique, mais aussi différents courants de pensée ayant intéressé la tradition libérale.

Des auteurs, comme John Locke, soutiennent que la liberté naturelle de l'Homme consiste « à ne reconnaître aucun pouvoir souverain sur la terre, et de n'être point assujetti à la volonté ou à l'autorité législative de qui que ce soit ; mais de suivre seulement les lois de la nature »[1]

La liberté peut être définie de manière négative comme l'absence de contrainte exercée par les autres individus, ou de façon positive comme le droit d'agir sans contrainte dans la limite des droits légitimes des autres. Elle est synonyme d'« autonomie », ou d'« indépendance ». On y associe souvent le précepte : « la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres ». Ce précepte évoque aussi la règle d'or : « ne fais pas à autrui ce que tu n'aimerais pas que l'on te fasse ». La liberté est ici discernée dans une relation de réciprocité entre les individus.

Comme le précise l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 :

« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. »

On en dérive diverses notions : liberté politique, liberté civile[2], liberté de conscience (ou de culte, ou de pensée), liberté d'expression, liberté économique, liberté de mœurs, liberté de réunion, etc.

On distingue classiquement (Isaiah Berlin, Friedrich Hayek) la liberté positive, affirmation de l'individu[3], et la liberté négative, absence d’interférence coercitive, selon Hayek : « l’absence de coercition, l’interdiction de prescrire aux autres ce dont ils ne veulent pas, la possibilité pour eux de trouver le chemin de leur propre progrès et des relations harmonieuses avec les autres. »

L'intérêt du concept de liberté négative[4], fondement implicite du libéralisme, est qu'il ne fait pas appel à des notions telles que le libre-arbitre, qui sont considérées comme métaphysiques par certains, et qu'il a des traductions concrètes, directement applicables en droit, par exemple le principe de non-agression.

Critiques et objections fréquentes

Si la liberté n'existe pas, il faut la refuser !

Beaucoup de discours nient l'existence de la liberté en l'assimilant à une illusion et, en guise de conclusion, qu'il faudrait renoncer à cette idée de liberté.

Ce discours peut être perçu comme un des principaux sophismes prononcés par les antilibéraux, ce sophisme est très proche de l'argument de l'épouvantail. Il consiste à affirmer que le concept de liberté, de surcroît le libéralisme, n'a pas de sens, puisque nous sommes soumis à un certain déterminisme des lois physiques, l'effet gravitationnel, les résistances de la nature, les phénomènes météorologiques et environnementaux, les besoins primaires de l'Homme, les pulsions inconscientes, « What else ? »

Dans le même type de discours, nous retrouvons aussi l'idée que la liberté, comprise comme un synonyme de « pouvoirs illimités », consistant en une absence totale de contraintes, ne pourrait pas s'accorder avec l'état du monde car celui-ci serait caractérisé par un ensemble de contraintes. Conclusion générale : l'Homme est alors contraint dans le monde.

Par l'emploi d'un stratagème de généralisation abusive, ce discours étend indûment le concept de liberté au-delà de la définition précise qui est celle du libéralisme, qui concerne, pour l'essentiel, les interactions sociales :

« La liberté est l’autorisation de n’obéir à aucune autre loi extérieure que celles auxquelles j’ai pu donner mon assentiment. » (Emmanuel Kant)

Face à cette évidence, d'autres réagissent et affirment, s'appuyant sur un certain « sociologisme », que les individus sont conditionnés par les structures sociales. Ainsi, cette position semble recevoir des avis favorables pour nier l'existence de la liberté dans le champ social, ce qui nous emmène sur la route du constructivisme social. On retrouve le même argument dans la condamnation du libéralisme par l'Église catholique : ainsi, selon Joseph de Maistre, l’Homme n’est pas libre, mais au contraire prisonnier d’un « déterminisme ontologique » qui trouve sa source dans le « péché originel ». Pour la même raison, le pape Pie IX condamnait la liberté de conscience et des cultes, ainsi que la séparation de l'Église et de l'État (Syllabus, 1864).

L'argument de la non-existence de la liberté repose sur l'erreur de considérer la liberté comme un indéterminisme hors de notre contrôle, par opposition à l'idée déterministe selon laquelle nous sommes gouvernés par des « forces externes » qui échapperaient à notre volonté. Une autre composante de cet argument est que nous ne pouvons pas prouver l’existence du libre-arbitre, qu'il n'existe pas de manière directe de le prouver. Ce genre de critique n'enlève rien au fait que nos intuitions ou nos actions spontanées ne sont pas « programmées » ou déterminées à l'avance, sinon aucune nouvelle expérience serait possible, aucun individu pourrait être exposé à des nouvelles connaissances, il ne ressentirait aucune nouvelle impulsion ou raison d'agir, à part rester un automate programmé pour exécuter des tâches déterminées.

Si avec acharnement, quiconque défend l'idée qu'un individu qui commet un crime odieux soit conditionné, quoi qu'il puisse faire, par quelque phénomène déterminé lui ôtant toute sa liberté de juger ou d'agir afin d'éviter de commettre un tel acte, alors celui-même qui nie la liberté doit admettre, avec un certain cynisme froid, que le crime est inévitable et que le criminel ne doit pas être considéré comme coupable.

On peut noter que l'existentialisme appelle « mauvaise foi » cette tendance à nier la liberté, qui conduit l'individu, jeté dans l'existence, à s'identifier à sa condition sociale pour éviter de se confronter à une liberté ressentie comme un fardeau accablant.

L'argument que la liberté ne marche pas est une constante de la pratique politique, il permet de justifier l'oppression de la société civile :

Une des méthodes utilisées par les étatistes pour détruire le capitalisme consiste à maintenir pieds et poings liés les entreprises par des règlementations, les empêchant ainsi de résoudre leurs problèmes, puis à déclarer que la liberté ne fonctionne pas et qu'une règlementation plus stricte est nécessaire. (Ayn Rand[5])

Indépendamment des théories métaphysiques autour du libre arbitre, les concepts de coercition, spoliation, exploitation, consentement, etc. gardent tout leur sens, puisqu'ils concernent des aspects très concrets de la vie humaine : les relations interpersonnelles.

Le renard libre dans le poulailler libre

Dans l'imaginaire populaire, la figure du renard est associée aux comportements rusés et malicieux. Le renard est aussi connu comme un prédateur pour les poules, malin et fourbe, il profite des moindres faiblesses pour s'introduire dans les poulaillers et faire un festin. En reprenant le récit animalier, certains affirment que la liberté serait « la liberté du renard libre dans le poulailler libre », autrement dit, « la loi du plus fort », une liberté « antinomique avec l'égalité » [6].

C'est oublier que la liberté est inséparable de la responsabilité, et que le libéralisme, loin d'être la loi du plus fort, est d'abord le respect du droit de chacun. Le renard libre dans le poulailler libre est à l'origine une formule (souvent attribuée à Jean Jaurès) à propos de l’économie mondiale et du libre échange, formule qui montre qu'un socialiste ne comprend rien à la nature de l'échange et a, en fait, peur de la liberté. L'analogie renard-poulailler tend délibérément à rabaisser l'Homme au rang de l'animal, et à assimiler la société des Hommes libres à une jungle où le droit naturel n'est en fait que le droit du plus fort (darwinisme social). Le renard libre dans le poulailler libre, pour les libertariens, c'est le plus fort, c'est l'État, qui fait fi du droit de l'individu au nom de la loi, ou en dépit de la loi :

« La morale libérale enseigne le respect de la liberté de l'autre. Quant au fameux sophisme : le libéralisme, c'est le renard libre dans le poulailler libre, il ne fait que traduire l'ignorance de ceux qui l'énoncent : le libéral est en effet du côté des poules, et il est souvent mangé par le renard en voulant les protéger. Ce clou mérite d'être enfoncé : le libéralisme n'est pas, pour le fort, la liberté de faire n'importe quoi au détriment du faible. Le libéralisme, c'est la protection du faible contre les exactions du fort. Vouloir qu'un individu soit libre, c'est s'interdire d'obtenir quoi que ce soit de lui par la coercition, et a fortiori par la violence. Le libéral est donc fondamentalement un non violent. S'il veut rallier quelqu'un à ses idées, il n'utilise pas d'autres moyens que l'exemple ou la discussion. S'il veut obtenir d'un autre un bien ou une prestation quelconque, il ne procède que par un échange librement consenti. » (Jacques de Guenin)

Liberté formelle et liberté réelle

La distinction terminologique (d'origine marxiste) entre la liberté formelle et la liberté réelle consiste à tracer une différence entre une liberté qui serait considérée comme abstraite ou superficielle et, une autre, qui serait réelle et effective (matérielle).

  • « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c'est de le transformer ». - Karl Marx

Même s'il est difficile de retrouver dans les écrits marxistes la formule exacte distinguant la liberté formelle de la réelle, il est possible de dégager sur le terrain des thématiques marxistes quelques lignes d'orientation vers cette formulation. Une de ces lignes est le thème de l'émancipation prolétarienne du pouvoir de la bourgeoisie, d'un côté les opprimés de l'autre les oppresseurs. La liberté d'industrie, la liberté de commerce, considérées comme des libertés bourgeoises sont pour les marxistes des libertés apparentes et superficielles.

  • « Le droit de l'Homme, la liberté, ne repose pas sur les relations de l'Homme avec l'homme mais plutôt sur la séparation de l'Homme d'avec l'Homme. C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu limité à lui-même. » - Karl Marx

Dans La question juive, Karl Marx adresse une critique à l'égard de la notion de liberté formulée dans la Déclaration des droits de l'Homme. Il affirme qu'une partie des droits énoncés dans la Déclaration - dont celui d'égale liberté - sont des droits politiques qui ne peuvent être exercés que si l'on est membre d'une communauté, c'est-à-dire, membre de la société bourgeoise. Le concept de liberté tel que compris par Marx repose sur l'idée d'un individu replié sur lui-même (égoïste), membre de la société bourgeoise, condition de l'État politique. Donc, l'Homme des droits de l'Homme dans la Déclaration, n'est selon Marx, que l'Homme abstrait, artificiel.

De cette manière, Marx prétend donc que le concept de liberté, en particulier celui dérivé de la Déclaration, ne serait que des intérêts de classe déguisés en une idée dominante se faisant passer pour les intérêts de tous les membres de la société, entendons, une universalité de façade.

Premièrement, l'idée d'une motivation égoïste de la société bourgeoise à habiller l'idéal de liberté uniquement dans le but de défendre son intérêt est discutable. Combiner la liberté politique avec la liberté individuelle ne consiste pas à renoncer à l'une au profit d'une autre. La définition de la liberté au sens d'un partage de libertés qui consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ne repose pas sur la négation absolue de la liberté d'un individu au profit d'un autre, puisque les individus peuvent coopérer en vue d'atteindre leurs fins. Il s'agit plutôt du droit des individus de se protéger contre toute ingérence arbitraire, agression ou nocivité pouvant entraver, voire détruire, le libre exercice des facultés des hommes dont la vie en société dépend. Par conséquent, ce n'est pas le critère de condition sociale ou matérielle qui rentre en considération dans la conception de la liberté.

Si la liberté ne se confond pas forcément avec la satisfaction de tous les désirs imaginables ou même fantaisistes, nous pouvons néanmoins observer que là où les libertés sont mieux respectées, là où les individus participent le mieux aux échanges. C'est là aussi que les besoins des plus démunis sont mieux satisfaits. Pourtant, ceux qui pensent que les conditions de liberté doivent mieux s'adapter au système du collectivisme refusent d'accepter ce principe de réalité. Les avocats du collectivisme idéologique font fausse route en confondant la liberté d'acquisition de biens matériels et la capacité concrète de le faire. Le collectiviste assimile ainsi le fait de ne pouvoir satisfaire tous ses besoins économiques (comme si l'Homme ne vivait pas dans un monde de rareté) à un manque de liberté auquel il faudrait remédier d'urgence (de préférence - et nécessairement - en violant la propriété d'autrui, en prenant la pauvreté comme alibi).

Voir aussi : l'échange n'est jamais inégal.

La liberté qui opprime, et la loi qui affranchit

« Sachent donc ceux qui l’ignorent, sachent les ennemis de Dieu et du genre humain, quelque nom qu’ils prennent, qu’entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » - Henri Lacordaire, Sermon à la chaire de Notre-Dame (1848)

Les antilibéraux affectionnent cette citation de Lacordaire tout en la sortant de son contexte véritable, à savoir la question du repos dominical du septième jour en relation avec la question de l’organisation du travail. C'est aussi oublier que le père Henri Lacordaire fut un des principaux théoriciens du catholicisme libéral, favorable à la propriété privée des moyens de production et opposé aux idées collectivistes[7]. La liberté dont parle ici Lacordaire est la liberté du travail, car pour Lacordaire travailler, c'est aussi une activité spirituelle, liberté qui n'est pas forcément celle entendue au premier degré. Donc pour Lacordaire il existe un double travail, un spirituel et un autre temporel. Lacordaire livre dans sa conférence une critique contre la prétendue liberté du travail le jour du repos dominical.

« C’est dans la question du travail que toute servitude a sa racine ; c’est la question du travail qui a fait les maîtres et les serviteurs. » - Henri Lacordaire

Liberté de mourir de faim

« Le libéralisme, c'est la liberté de mourir de faim », affirment certains. Outre que l'emploi du mot liberté est incorrect dans cette comparaison (mourir de faim n'est pas une liberté), on sous-entend ici que pour être libre on doit être assisté ! On oublie à nouveau l'aspect de la responsabilité de l'individu, et le fait que dans ce monde il n'y a pas de repas gratuit :

Le fait qu'une personne soit libre de mourir de faim n'est pas une condamnation du libre marché, mais un simple fait de nature. Chacun vient au monde sans capital ni ressources propres. Au contraire [...] c'est le libre marché dans une société libre qui fournit le seul moyen de réduire ou d'éliminer la pauvreté et de réaliser l'abondance. (Murray Rothbard, Man, Economy, and State)

Voir aussi l'article solidarité.

De façon plus générale, le collectivisme s'approprie la notion de liberté pour la manipuler et la retourner contre le libéralisme, soit que la liberté devienne le pouvoir de faire ce qu'on veut et de refuser toute règle (anomie), soit qu'elle soit asservie à l'égalitarisme, avec corrélativement la nécessité de supprimer la liberté individuelle.

La démocratie, c'est la liberté

La démocratie n'est qu'une façon de désigner qui détient le pouvoir, ce n'est en aucun cas l'assurance que les libertés individuelles seront respectées. Du point de vue des libertés, il existe ainsi un gouffre entre la démocratie libérale et la démocratie totalitaire.

Voir aussi L'illusion démocratique.

Indicateurs de liberté

Différentes méthodologies permettent de mesurer la liberté dans chaque pays, et surtout de les comparer entre eux :

Informations complémentaires

Notes et références


  • John Locke - Les deux Traités du gouvernement civil (1690). Pour Locke les lois de la nature que les Hommes doivent observer, tout en permettant à l'Homme de se conduire lui-même selon sa volonté, ont pour but la conservation de la vie.

  • Joseph E. Broadus, 1997, "Property and civil liberty", In: Richard Ebeling, dir., "Between Power and Liberty: Economics and the Law", Champions of Freedom Series, Vol 25, Hillsdale: Hillsdale College Press, pp55-64

  • Ce concept de liberté positive est bien exprimé par la traduction chinoise et japonaise du mot « liberté » : 自由, mot à mot « ce qui a pour origine (由) soi-même (自) ». La liberté positive est liée au besoin de vivre une vie qui a du sens et épanouissante. Un individu fait l'expérience de la liberté positive lorsqu'il est libre de faire ce qui est juste, de mener une vie satisfaisante ou vertueuse.

  • Pour faire l'expérience de la liberté négative, un individu n'a besoin que d'être libre de toute contrainte, libre de toute ingérence, ou libre de toute entrave indésirable de la part de l'État.

  • One of the methods used by statists to destroy capitalism consists in establishing controls that tie a given industry hand and foot, making it unable to solve its problems, then declaring that freedom has failed and stronger controls are necessary. (Ayn Rand, The Voice of Reason: Essays in Objectivist Thought, 1989)

  • Voir aussi La dignité du travailleur sur libres.org.

  • Bibliographie

    • 1953, M. Cranston, "Freedom: A New Analysis", London, Longman
    • 1963, Harold B. Elsom, "Freedom-A Biological Necessity", The Freeman, February, pp3-9
    • 1971, S. I. Benn, W. L. Weinstein, "Being free to act and being a free man", Mind, Vol LXXX, pp194–211
    • 1979, Michael Ivens, "Freedom Needs free Enterprise", In: C. Turner, dir., "The Case for Private Enterprise", London: Bachman and Turner
    • 1991, Judith Wagner DeCew, "The Logic of Liberty", Noûs, 25 (2), pp233-238
    • 2013, Daniel Hannan, "How We Invented Freedom and Why It Matters", London: Head of Zeus
    • 2022,
      • Martin van Hees, "Freedom", In: Benjamin Ferguson, Matt Zwolinski, dir., "The Routledge Companion to Libertarianism", London and New York: Routledge, pp28-40
      • Kyle Swan, "Liberty", In: Benjamin Ferguson, Matt Zwolinski, dir., "The Routledge Companion to Libertarianism", London and New York: Routledge, pp135-147

    Voir aussi

    Liens externes


     
     

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