mai 09, 2021

Mitterrand comme un désastre annoncé

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Al, 

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SOMMAIRE:

A) L’héritage empoisonné de François Mitterrand - Serge Halimi - Le monde diplomatique

B) François Mitterrand : mi-félon, mi-tyran de Maxence Martin par kipthinking

C) MITTERRAND François, Marie, Adrien, Maurice par Gérard Grunberg - Le Maitron

D) Mitterrand, l’homme qui a ruiné la France et ses héritiers ! par Antonin Bruniquel - lesobservateurs.ch

E) François Mitterrand, la politique immobile et le délitement du pays - Edouard Husson - Atlantico

F) Il y a 40 ans, François Mitterrand devenait Président…

 

 


 

A) L’héritage empoisonné de François Mitterrand

Il y a un peu plus de quinze ans, M. Jean-Pierre Chevènement analysait déjà l’histoire de la gauche française et sa propre expérience au gouvernement dans les postes les plus divers : industrie, éducation, défense, intérieur (1). Depuis, il n’est pas redevenu ministre, ni candidat à l’élection présidentielle, mais son premier livre de Mémoires n’avait apparemment pas épuisé le sujet. L’ouvrage qui paraît aujourd’hui, un peu moins solennel et davantage rédigé sur le mode du récit, complète utilement le précédent (2).

Le personnage de François Mitterrand y occupe une place centrale. Cela se comprend : l’homme résida quatorze ans à l’Élysée et fut tout à la fois celui qui arracha les socialistes à leurs alliances avec lecentre, leur permettant ainsi d’arriver au pouvoir, puis celui qui en fit les cousins des libéraux proeuropéens incarnés par Valéry Giscard d’Estaing, que Mitterrand avait empêché d’effectuer un second septennat. M. Chevènement analyse brillamment ce retournement. Parfois, il affecte de ne pas en avoir été surpris. Ébauchant dès 1967 l’alliance de sa petite bande d’amis et de Mitterrand, il signale le peu d’enthousiasme que celui-ci leur inspirait alors : « Il avait à nos yeux quelques lacunes : il ne connaissait pas grand-chose au socialisme (…). En matière de gauche, sa rhétorique en était restée à Lamartine. (…) Sa culture économique était malheureusement nulle. » M. Chevènement fit néanmoins le pari d’aider son nouvel allié « à combler ou à tout le moins dissimuler ses lacunes ». Il admet aujourd’hui avoir péché par orgueil : « En politique, j’avais tout à apprendre, et j’ai beaucoup appris de François Mitterrand. »

Appris beaucoup, mais pour obtenir quels résultats, dès lors que le « superbe cadeau » de Mitterrand à son parti (l’alternance politique) s’est révélé « empoisonné » ? M. Chevènement résume : « Le social-libéralisme fut le prix de cette longévité au pouvoir du Parti socialiste mais aussi la source profonde de son rejet final en 2017. » Deux ans avant d’entrer à l’Élysée, Mitterrand aurait d’ailleurs admis sa médiocre ambition collective : « Au fond, Jean-Pierre, je ne crois pas que la France, à notre époque, puisse faire autrement — hélas — que passer à travers les gouttes. »

La suite de démissions de M. Chevènement du gouvernement en raison de désaccords essentiels sur la politique économique (1983), sur la guerre du Golfe (1991), sur l’octroi d’un pouvoir législatif à la Corse (2000), oblige néanmoins à s’interroger sur le motif de ses éternels retours. Une fois engagé, en 1983, le « tournant de la rigueur », qui, comme l’auteur le démontre, va faciliter le « triomphe sur le continent européen du modèle néolibéral », une fois entériné, en 1985, l’Acte unique « à l’unanimité et sans débat » par un conseil des ministres (auquel il participe…), une fois qu’un autre conseil des ministres accepte trois ans plus tard une directive européenne « visant à la libération des mouvements de capitaux, avant toute harmonisation préalable de la fiscalité sur l’épargne » (M. Chevènement exprima alors son opposition, mais en restant ministre de la défense), comment a-t-il pu encore se persuader qu’il suffirait d’« avaler la couleuvre, dans l’espoir qu’il serait possible ensuite de s’en débarrasser » ?

La guerre du Golfe fut l’un des serpents des plus indigestes. Et, dans cette affaire, la duplicité de Mitterrand tutoya les sommets. Jusqu’en janvier 1991, le président fait croire à son ministre de la défense qu’il recherche une solution négociée avec Saddam Hussein. Pourtant, dès août 1990, il a promis à son homologue américain George H. Bush d’engager militairement la France à ses côtés… « “Bien sûr, explique-t-il un jour à M. Chevènement, les gouvernements arabes criaillent aujourd’hui, mais soyez sûrs que demain ils seront tous là pour venir quêter des subsides, là, au creux de notre main.” Et il esquissa le geste… »

Deux étranges visiteurs Place Beauvau

L’auteur revient aussi sur ses démêlés avec Le Monde. Partisan comme Mitterrand de la guerre du Golfe, le quotidien aurait imputé avec malveillance les critiques de son ministre de la défense à un « “retour d’épices” de la part de Bagdad (3)  ». Il s’oppose à lui plus frontalement encore lorsque celui-ci devient ministre de l’intérieur dans le gouvernement de M. Lionel Jospin. L’auteur raconte que, le 11 février 1999, Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel viennent le trouver Place Beauvau afin de lui signifier la ligne que le gouvernement doit suivre s’il compte sur l’appui éditorial de leur journal. Plenel aurait alors expliqué : « Lionel Jospin a mis l’accent sur l’État et sur la nation. Or Le Monde est europhile, eurosocial, europolitique, etc. Ses dirigeants estiment qu’il ne s’agit pas de mettre l’accent sur l’État-nation, mais sur les voies et moyens permettant à la France de remplir sa place dans le développement européen. » L’auteur soupçonne que Le Monde fit ensuite pression sur M. Jospin afin que celui-ci adopte, à propos de la Corse, une position qui contraindrait M. Chevènement à la démission. En échange, le premier ministre socialiste aurait obtenu le soutien du quotidien à sa future candidature présidentielle…

Qu’on ne s’attende pas à trouver l’analyse du résultat, désastreux pour lui, de cette élection dans le dernier livre de M. Jospin (4). Suite de généralités sur la politique française, la démocratie, les migrations, l’écologie, ce genre de copie eût peut-être décroché la moyenne à Sciences Po. Mais pas beaucoup plus, tant un correcteur sorti de sa torpeur aurait jugé que l’ancien premier ministre s’y montre exagérément indulgent envers lui-même.

Un peu comme M. Chevènement envers l’actuel président de la République ? L’auteur confie en effet qu’un « a priori favorable » l’aurait presque poussé à voter pour M. Emmanuel Macron dès le premier tour de l’élection de 2017 s’il n’avait pas redouté alors de se retrouver « avec Daniel Cohn-Bendit, Alain Minc et Jacques Attali ». Ce qui, admet-il, « aurait nui à la cohérence de mon positionnement idéologique et politique ». On ne saurait mieux dire… Faut-il par conséquent accepter que, même dans les parcours des hommes d’État les plus cohérents, les souvenirs et les amitiés personnelles forment des méandres que la simple raison rend indéchiffrables ? Ainsi, tout comme M. Jean-Luc Mélenchon ne manque jamais une occasion de proclamer sa fidélité à Mitterrand, architecte de l’Europe libérale qu’il combat, M. Chevènement dit ne pas comprendre le « rejet viscéral » que suscite l’actuel chef de l’État. Au point de souhaiter à « Emmanuel » un nouveau bail de cinq ans à l’Élysée ?

(1Jean-Pierre Chevènement, Défis républicains, Fayard, Paris, 2004. Lire « Quand la gauche de gouvernement raconte son histoire », Le Monde diplomatique, avril 2007.

(2Jean-Pierre Chevènement, Qui veut risquer sa vie la sauvera. Mémoires, Robert Laffont, Paris, 2020.

(3À l’époque, l’Irak était soupçonné de financer subrepticement plusieurs formations politiques françaises.

(4Lionel Jospin, Un temps troublé, Seuil, Paris, 2020.


 


B) François Mitterrand : mi-félon, mi-tyran

 Que les détracteurs gauchistes ne se méprennent pas. Cet article n’est aucunement un pamphlet contre le bilan des deux septennats mitterrandiens. Je leur reconnais certains progrès, comme l’abolition de la peine de mort, la dépénalisation de l’homosexualité, la cinquième semaine de congés payés ou les lois Deferre. Ce papier a uniquement pour vocation de mettre François Mitterrand face à ses contradictions.

Dimanche 10 mai 1981. 20 heures. Soirée tristement célèbre de l’Histoire de France. Après deux tentatives infructueuses, François Mitterrand accède à la fonction suprême. Son heure a tant tardé. Mais elle est enfin venue. Heureusement pour lui : si ambitieux, il se désespérait. Il parade, onze jours plus tard, la rose à la main, devant le Panthéon. Les soixante-huitards sont en liesse tandis que d’autres sont en pleurs. Ceux-là sont visionnaires : ils devancent le désastre qui s’annonce.

Les Français ne le savent pas encore : ils viennent d’élire un arriviste invétéré, un politicien véreux courant après tous les postes, un scélérat pour qui la trahison est habitude. Toute sa vie durant, Mitterrand a conformé ses idées aux majorités. Il est l’archétype de l’homme politique sans aucune conviction, dont les choix ne sont guidés que par la soif de pouvoir. Il est un Talleyrand moderne, un homme cultivé et raffiné en apparence, mais surtout diablement rusé. Un homme qui use de tous les scrupules pour satisfaire ses insatiables appétits.

Chose étrange, François Mitterrand est parvenu à tromper les Français. Il est parvenu à duper l’Histoire, en y entrant comme un géant de la gauche. Il est urgent de rétablir la vérité et de faire lumière sur le personnage détestable qu’il était.

Un mythe errant, de droite à gauche

Le candidat socialiste aux élections présidentielles de 1965, de 1974, de 1981 et de 1988 n’a pas toujours été de gauche. Loin de là. Mitterrand a commencé sa carrière politique dans les rangs de la droite la plus infâme, celle du Régime de Vichy [1]

Dans les années 1930, François Mitterrand est un sympathisant du colonel de la Rocque et un membre actif des Volontaires nationaux, organisme de jeunesse des Croix-de-Feu, mouvement nationaliste flirtant avec un « fascisme à la française ». On le retrouve lors de manifestations d’extrême droite organisées par l’Action Française. L’une d’entre elles fustige la prétendue « invasion métèque ».

Sous l’Occupation, François Mitterrand est un fonctionnaire fidèle à Pétain et entièrement dévoué à la cause de Vichy. Il voue une admiration sans bornes au Maréchal. À sa sœur, il écrit, en mars 1942 : « j’ai vu le maréchal au théâtre […] il est magnifique d’allure, son visage est celui d’une statue de marbre » . Pire encore : il est décoré de la Francisque, la plus haute distinction de la France de Vichy. Mais Mitterrand est malin : sentant le vent tourner, il passe à la Résistance. Il se positionne car il souhaite avoir un rôle de premier plan dans la république qui se profile.

Une fois la IVe République proclamée, François Mitterrand s’agite. Il noue des alliances avec n’importe qui, du moment que cela peut lui apporter du crédit. Il devient l’ami des socialistes, des centristes, des chrétiens et des sociaux-démocrates et des conservateurs. Entre 1946 et 1958, il fait partie de pas moins de huit gouvernements aux tendances politiques différentes. Sa nouvelle lubie : parvenir à la présidence du Conseil. Pour ce faire, il fait d’abord mainmise sur des ministères régaliens, notamment sur celui de l’Intérieur ou de la Justice, où il se fait connaître par ses mesures radicales et futiles.

L’homme qui se voudra anti-impérialiste est alors le plus ardent défenseur de l’Algérie Française. En tant que ministre de l’Intérieur, il acte l’envoi du contingent de l’autre côté de la Méditerranée. En novembre 1954, en pleine Assemblée Nationale, il tonne : « la rébellion algérienne ne peut trouver qu’une forme terminale : la guerre ». Puis il ajoute : « l’Algérie, c’est la France ».

L’homme qui abolira la peine de mort est alors un guillotineur invétéré. Le garde des Sceaux Mitterrand envoie sans remords les nationalistes algériens sous le couperet. Il est bien décidé à écraser le FLN, condition sine qua non pour atteindre les plus hautes sphères de l’État. Celui qui n’est alors que le numéro 3 du gouvernement rêve d’en être le premier. Mais pour cela, encore faut-il ne pas passer pour un « mou » aux yeux de l’opinion publique et donner des gages aux Européens qui réclament la tête des séparatistes. Terne bilan de l’Algérie mitterrandienne : normalisation de la torture, condamnations expéditives, une quarantaine d’Algériens sans leur tête.

Le Tonton flingueur du PS

Après ses errements nationalistes, vichystes et carriéristes, François Mitterrand se fixe temporairement à gauche. Il est nommé premier secrétaire du PS en 1971. À Épinay, les socialistes se prosternent devant leur nouveau seigneur. Pourtant, ils ne devraient pas se réjouir : ils viennent de se planter une épine dans le pied. Pour l’heure, François Mitterrand est porté par les espoirs populaires. Il finira par les décevoir en se faisant le fossoyeur de toute une gauche.

S’il scelle son union avec le PCF et le MRG en 1972 en adoptant un programme commun insensé, c’est uniquement pour mieux marcher sur l’Élysée. En effet, Mitterrand lorgne le soutien des communistes, qui représentent encore, en France, une force politique majeure[2]. Malgré leurs désaccords et l’éclatement de l’Union de la gauche en 1977, il obtient en 1981 leur ralliement lors du second tour de l’élection présidentielle. « Si je suis élu, promet-il, vous aurez des ministres ». Quatre ministres PCF font effectivement leur entrée au gouvernement Mauroy. Ils n’y feront pas long feu : ils seront gentiment remerciés deux ans plus tard. Hasta la vista.

Celui qui a été élu sur le serment de renverser l’ordre économique établi et de terrasser le libéralisme bafoue ses engagements dès 1983. Le socialisme à la française laisse rapidement place au réalisme économique, à l’austérité, et au « Tournant de la rigueur ». Sous Mitterrand, tout fout le camp. Les inégalités et la précarité explosent. Le travail est accaparé malgré l’adoption des trente-neuf heures. Le franc est dévalué à trois reprises. Les salaires ne sont plus indexés sur les prix. Les gouvernements socialistes se succèdent et ne parviennent pas à juguler le chômage, qui passe de 6 % en 1981 à 10,2 % en 1994. Une tradition de la gauche depuis. Usé, incapable, las, il admet en 1993 : « dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé ». Ne blâmez donc pas l’élève Hollande. Il n’a que trop bien suivi les leçons du professeur Mitterrand. Lorsque l’on est élu à gauche, lui a-t-il confié, il faut gouverner à droite.

Le président Mitterrand devrait donc être une insulte pour le PS. Il a sapé sa crédibilité en reconnaissant tacitement que le socialisme est une utopie. Il l’a divisé en consacrant la dichotomie entre sociaux-démocrates et socialistes radicaux. Il l’a humilié. Sous sa présidence, le Parti Socialiste enregistre des défaites historiques. En 1993, lors des élections législatives, un raz-de-marée bleu déferle sur l’Assemblée nationale. Le RPR et l’UDF remportent 472 sièges, la plus large majorité qui n’ait jamais été faite. Les députés socialistes refluent du Palais Bourbon. Bon débarras. Merci Tonton !

Premier secrétaire général de la République populaire française ou dernier roi de France ?

Sous Mitterrand, la France était à la fois l’URSS et l’Empire russe. L’URSS, car, qu’on le veuille ou non, le programme économique et l’exercice du pouvoir mitterrandien imitaient les pratiques soviétiques ; l’Empire russe parce que Mitterrand se la jouait empereur de toutes les Russies.

Entre 1981 et 1983, Mitterrand nationalise à tout va banques et industries, fait flamber la dette française et ordonne la création d’emplois publics, mauvaise idée pour pallier un chômage grandissant. Impossible de lui en vouloir : il respectait encore ses engagements de campagne, au péril de la France. La politique économique bolchevique n’est pas la seule qualité de l’URSS qui l’a inspiré : Mitterrand a en effet abusé des méthodes de gouvernance soviétiques. D’abord, il a donné naissance à une Nomenklatura française en promouvant Ségolène Royal, François Hollande, Michel Sapin ou encore Martine Aubry, soit autant de personnalités qui minent encore aujourd’hui notre vie politique. Ensuite, le petit Père François, qui s’est entouré d’une sorte de KGB à la française qui lui était entièrement dévoué, a traqué ses critiques. Sous couvert d’anti-terrorisme, il a mis sur écoute une centaine de Français pour les empêcher de divulguer des « informations sensibles » à son sujet [3], à l’instar de l’existence de sa fille adultérine, Mazarine Pingeot, sa maladie, un cancer de la prostate ou son passé, passé à l’extrême droite. Comme les soviétiques, il a manipulé l’information. Pour faire croire qu’il était sain, comme l’exigeait sa fonction, il a sommé son médecin de signer de faux certificats de santé. Enfin, à la manière de Joseph Staline passant un pacte avec le diable nazi, François Mitterrand, par intérêt, s’est associé à la pire racaille. Il a propulsé le tricheur Tapie en politique, l’a soutenu lors des élections législatives de 1988 et l’a fait Ministre de la Ville en 1992. Il a favorisé le Front national, qui est passé, sous sa présidence, d’un groupuscule d’extrême droite à un parti ancré dans le vie politique française. Comment ? Sous couvert de renforcement de la démocratie, Mitterrand a introduit le scrutin proportionnel en 1986 et a envoyé des lettres de sa plume aux chaînes de télévision les enjoignant à exposer davantage Jean-Marie le Pen. Son unique souhait était d’affaiblir la droite en la divisant. Résultat : aux élections législatives de 1986, le Front National glane 9,65 % des suffrages exprimés et 36 députés. Rien que cela. Merci François !

Pendant ses deux septennats, François Mitterrand ne préside pas : il règne. L’Élysée n’est plus qu’un palais où se jouent affaires et intrigues. Le monarque passe tranquillement ses Noël dans un hôtel en Égypte aux frais du contribuable. Son fils, « Papa m’a dit », devient sans que personne ne sache pourquoi conseiller pour les Affaires africaines à l’Élysée. Sa maîtresse et sa fille, Anne et Mazarine Pingeot, sont entretenues par l’État. Comme l’empereur Nicolas II avant lui, le roi Mitterrand méprise le peuple. Il est répugnant, médisant et malveillant. Il se croit plus savant et plus intelligent que les autres. En son for intérieur, il ne pense qu’à lui, qu’à son succès, qu’à son pouvoir. Il humilie adversaires et alliés, à l’image du pauvre Michel Rocard, qu’il déteste. Lorsque des journalistes l’interrogent en 1988 à propos de sa succession, il répond cruellement : « par ordre de préférence, Jacques Delors, Raymond Barre, Valéry Giscard d’Estaing, mon chien, Michel Rocard » [4]. Il s’accroche à ses privilèges, quitte à agir en manœuvrier. Ni les sanctions électorales du PS ni les cohabitations ne l’arrêtent. Il se complait dans le faste du Faubourg Saint-Honoré. Le costume de président-roi lui sied. L’homme du Coup d’État permanent devient l’homme de l’Élysée. Le confort et le pouvoir lui ont fait oublié sa promesse de réduire le mandat présidentiel à cinq ans, renouvelable une fois, ou d’en faire un mandat de sept ans non renouvelable.

François Mitterrand était obsédé par la marque qu’il allait laisser dans l’Histoire. Il répétait sans cesse à qui voulait l’entendre : « je serai le dernier des grands présidents ». Pourtant, par son manque de cohérence, de vision et de projet pour la France, Mitterrand ne pourra jamais être considéré comme un des Grands de notre Nation. Il ne sera que le premier des petits arrivistes. Le premier de ceux qui polluent le débat public. Le premier de ceux qui veulent à tout prix un siège de député, de sénateur ou un ministère. Le premier de ceux qui n’ont aucune opinion, qui ne sont ni libéraux, ni socialistes, ni conservateurs, ni chrétiens ou sociaux-démocrates, ni nationalistes, ni communistes. Habile moyen pour duper les Français, contenter la majorité, supprimer la bataille des idées et rester à jamais au pouvoir.

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Sources et renvois

[1] Le journaliste Pierre Péan, dans Jeunesse française, essai publié en 1994, met en lumière le sombre passé de Mitterrand. Il dépeint sa vie de 1935 à 1947. Ces révélations, tenues pendant des décennies dans le secret, choquent profondément l’opinion publique française.
[2] Lors des élections présidentielles de 1969, le candidat communiste Jacques Duclos recueille 21,27 % des voix au premier tour. Il devance largement le candidat SFIO Gaston Deferre, qui ne récolte que 5,01 % des suffrages.
[3] C’est « l’affaire des écoutes de l’Élysée ». Edwy Plenel, journaliste au Monde et Jean-Edern Hallier, écrivain polémiste, sont les plus célèbres victimes de l’affaire.
[4] François Mitterrand finira par se présenter aux élections présidentielles de 1988 et sera réélu. Après son triomphe, en raison de la popularité de Michel Rocard, il accepte de le nommer Premier Ministre. Il dit : « il n’a ni la capacité ni le caractère pour cette fonction, mais puisque les Français le veulent, ils l’auront. (…) Dans dix-huit mois, on verra au travers ». Rocard le démentira : il ne démissionnera que trois ans plus tard, en 1991..

Maxence Martin

Étudiant français en Master in Management à HEC Paris (Promotion 2022).
Rédacteur en chef de KIP (2019-2020)

 



C) MITTERRAND François

Né le 26 octobre 1916 à Jarnac (Charente), mort le 8 janvier 1996 à Paris ; avocat à la Cour de Paris ; député de la Nièvre (1946-1958 ; 1962-1981), ministre de la IVe République, conseiller municipal de Nevers (1947-1959), conseiller général de Montsauche (1949-1981), maire de Château-Chinon 1959-1971), président du conseil général de la Nièvre (1964-1981), conseiller régional de Bourgogne (1973-1981), député européen (1979-1981), membre de direction nationale puis président de l’UDSR (1945-1965), membre fondateur de l’Union des forces démocratiques, de la Ligue pour le combat républicain et du Centre d’action institutionnelle, président de la CIR (1964-1971), 1er secrétaire du Parti socialiste (1971-1981), candidat unique de la gauche aux élections présidentielles de 1965 et 1974, président de la République française (1981-1995).

François Mitterrand a entretenu historiquement avec le socialisme français une relation complexe. Rien au départ ne le prédestinait à en devenir un jour le leader. Issu de la moyenne bourgeoisie charentaise, son père, employé des chemins de fer était devenu directeur d’une entreprise familiale de fabrication de vinaigre, et son milieu familial, étranger aux traditions de gauche, se caractérisait par un conservatisme tempéré par le catholicisme social. Son premier engagement politique se situe au milieu des années trente dans la mouvance du mouvement des Croix de Feu du colonel de la Rocque, mouvement clairement situé à droite, voire, aux yeux de certains, crypto-fasciste. Il est hostile au Front populaire et partage l’anticommunisme de la droite française. Fait prisonnier dès le début de la guerre, cette expérience, qui le marquera profondément, sera à l’origine de son premier engagement politique. De retour en France après son évasion en 1941, il travaille à Vichy au Commissariat général aux prisonniers de guerre. Il est décoré de la francisque gallique, la décoration du régime de Vichy.

L’année 1943 marque la première césure décisive dans son parcours politique. Il s’engage dans la résistance où il va prendre des responsabilités importantes sans rompre officiellement, au départ, avec Vichy. En décembre de cette même année, il rencontre le général de Gaulle à Alger et refuse de placer sous son autorité le mouvement de prisonniers de guerre qu’il a organisé. À partir de ce moment, il refusera toute allégeance au chef de la France libre. À la Libération, à la fois résistant, anticommuniste et hostile aux conceptions du général de Gaulle, il fait partie de la nouvelle classe politique qui va fonder et défendre le régime de la IVe République contre les assauts conjugués des communistes et des gaullistes. Débute alors une carrière politique qui en fera rapidement l’une des principales personnalités politiques du régime.

François Mitterrand se présente aux élections législatives de 1946 sous l’étiquette du Rassemblement des gauches républicaines (RGR), ayant adhéré à l’une de ses composantes, l’UDSR, Union démocratique et socialiste de la Résistance. Le RGR se situe à droite de l’échiquier politique. François Mitterrand fait campagne contre les communistes et les nationalisations, pour la liberté de l’enseignement et la défense de l’économie libérale. En 1947, il entame une évolution politique qui le conduira progressivement vers le centre-gauche. Il est nommé alors ministre dans le premier gouvernement de la IVe république, le gouvernement de Tripartisme dirigé par le socialiste Paul Ramadier. Il demeurera ministre sous les gouvernements de Troisième force après le départ des communistes en mai 1947. Il débute par ailleurs une carrière d’élu local très actif dans la Nièvre, se faisant élire conseiller municipal de Nevers en 1947, puis conseiller général de Montsauge en 1949, travaillant sans relâche à se construire des réseaux locaux accès au centre-gauche, concurrent de ceux de la gauche marxiste, mais aussi de plus en plus émancipés vis-à-vis de la droite traditionnelle.

Entendant jouer un rôle politique majeur au sein de l’UDSR, la configuration politique interne de cette organisation favorise alors son évolution vers la gauche. En effet, l’aile gaulliste du parti entend rapprocher celui-ci du RPF que vient de créer le général de Gaulle. François Mitterrand, totalement hostile à ce rapprochement, organise l’aile gauche du parti pour y faire obstacle. René Pleven, ancien compagnon de la Libération, le président de l’UDSR, occupe une position intermédiaire. Contre les gaullistes de son parti, François Mitterrand revendique alors hautement l’héritage républicain. Il déclare ainsi lors du congrès du parti en 1948 : « Si moi je comprends bien le sens de notre histoire, c’est précisément parce que, après bien des peines, après bien des luttes, en 1789 ou en 1848, et peut-être aussi en 1871, et peut-être aussi en 1940, il a été possible de dire [ … ] contre les pouvoirs établis […] que l’on pouvait se tromper. […] Ce qui doit aujourd’hui rassembler tous les Français, c’est la fidélité à cet idéal républicain, à cet idéal démocratique de nos pères, l’idéal de liberté politique ». François Mitterrand apparaît alors comme un démocrate libéral de centre-gauche. Au congrès de l’UDSR de 1951, son évolution vers la gauche s’accélère. Il appelle à la reconnaissance du fait collectiviste et à la lutte contre « les diverses puissances qui se partagent l’Etat ». Et il affirme  : « la meilleure façon de libérer les hommes est de rester fidèle à la Grande Révolution de 89 ». Il défend également des positions laïques. Son combat au sein de l’UDSR se termine par la victoire de son courant. En 1953, il en devient le président. La même année, il cesse d’appartenir au gouvernement, ayant condamné la déposition du sultan du Maroc. Très attaché à l’Union française, il est néanmoins partisan de solutions libérales en matière de décolonisation et met en cause la responsabilité des gaullistes dans la crise indochinoise. Par ailleurs, son goût de l’indépendance le tient éloigné du MRP qu’il estime trop soumis à l’emprise de la hiérarchie catholique.

La période 1952-1954 accentue son évolution vers la gauche, qu’il s’agisse des aspects sociaux ou de la décolonisation. En 1952, il souhaite le retour de la SFIO au gouvernement. Puis il se rapproche de Pierre Mendès France en 1953 et prône l’entente entre la SFIO et l’UDSR. Il est ministre de l’intérieur dans le gouvernement Mendès France et est très favorable aux accords de Genève du 21 juillet 1954. À ce moment-là, il est partisan de la disparition de son parti et de la création d’un parti travailliste regroupant la gauche non communiste. Il se prononce pour « plus d’égalité profonde entre les classes sociales ». En 1956, il est l’un des leaders du Front républicain. Il est nommé Garde des Sceaux dans le gouvernement de Guy Mollet. Contrairement à Gaston Defferre, Pierre Mendès France et Alain Savary, il ne démissionnera pas du gouvernement à propos de sa politique algérienne.

Au moment où la IVè République s’effondre, il appartient à la gauche anti-communiste. Il est proche des socialistes, du fait notamment de son hostilité affichée aux « monopoles ».

Les années 1958-1971, voient François Mitterrand acquérir une position de premier plan à gauche, passant de représentant remarqué de l’antigaullisme à celui de premier secrétaire du parti socialiste.

En mai 1958, François Mitterrand est au premier rang de ceux qui s’opposent au retour au pouvoir du général de Gaulle. Il participe à l’UFD, Union des forces démocratiques, qui regroupe la partie de la gauche non communiste qui, contre la SFIO a voté majoritairement la délégation du pouvoir constituant au gouvernement du général de Gaulle, dernier gouvernement de la IVe République, va tenter sans succès de s’opposer à l’instauration du nouveau régime. Les élections législatives de 1958 sont un désastre pour l’UFD. François Mitterrand battu dans la Nièvre perd son siège de député. Sa proposition de transformer l’UFD en une formation unifiée est rejetée par les autres composantes de ce cartel électoral dont nombre de ses membres n’ont pas oublié l’ancienne affirmation « l’Algérie c’est la France » lancée jadis par le ministre de l’Intérieur de Pierre Mendès France en novembre 1954. Puis, après la désastreuse affaire de l’Observatoire en 1959, il est un homme seul. Il le restera jusqu’à la révision constitutionnelle de 1962 qui instaure l’élection présidentielle au suffrage universel.

Il amorce alors son retour politique en incarnant de plus en plus efficacement l’antigaullisme. Élu maire de Château-Chinon et sénateur de la Nièvre avec les voix du PCF en mars-avril 1959, il consolide son implantation locale en étant porté à la Présidence de l’association départementale des maires en 1960-1961 (avec le soutien du PC), puis se fait élire président du conseil général en 1964, fonction qu’il conserve jusqu’en 1981.

Son pamphlet, Le coup d’État permanent, publié en 1964, en fait l’un des principaux porte-parole de l’antigaullisme. L’élection présidentielle de 1965 le ramène au premier plan et lui offre l’occasion inespérée et décisive de commencer une nouvelle carrière politique. Son objectif est double, d’une part rassembler la gauche non communiste et d’autre part affronter le général de Gaulle à l’élection présidentielle. Après le retrait de Gaston Defferre de la course, en juin, il parvient à être le candidat unique de la gauche et à mettre en ballottage le général de Gaulle. Avec 45 % des suffrages exprimés au second tour de scrutin, il s’impose comme le leader de la gauche non communiste.

Dès juin 1964 François Mitterrand avait créé la Convention des institutions républicaines qui intègre ses fidèles des mouvements prisonniers (Georges Beauchamp*, Georges Dayan*, Joseph Perrin*) et de l’UDSR (Louis Mermaz*, Roland Dumas*) à d’autres milieux marginaux de gauche. Deux tentatives précédentes d’élargir son assise avaient connu des résultats plus limités, la fondation de la Ligue pour le Combat républicain en 1958, avec quelques élus marginaux de la gauche socialiste (Émile Aubert*, Ludovic Tron*), puis le Centre d’action institutionnelle en 1963, avec surtout des hommes en rupture du PSU (Charles Hernu*, Léon Hovnanian*). En octobre 1965, il crée, au lendemain de sa déclaration de candidature, la FGDS - Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste - qui regroupe la SFIO, le parti radical et des clubs de la gauche non communiste. Il réalise ainsi son ancien projet. Pour lui, en effet, depuis longtemps, l’avenir politique de la gauche passe d’abord par le regroupement des organisations de la gauche non communiste. La FGDS va mettre au premier rang de ses propositions un important programme de nationalisations. Cette évolution s’accompagne chez François Mitterrand de la mise en œuvre de sa nouvelle stratégie, l’alliance avec le Parti communiste, seule stratégie capable à ses yeux de ramener la gauche au pouvoir.
Le renouveau du marxisme à partir du milieu des années soixante l’incite à gauchir son discours, avec la mise en avant de nouvelles personnalités (Marc Paillet*, Gisèle Halimi*). La FGDS signe au début de l’année 1968 un accord politique et électoral avec le Parti communiste. François Mitterrand se situe désormais clairement à la gauche du spectre politique français, préconisant, en cas de retour au pouvoir, la participation du Parti communiste au gouvernement. Mais il rencontre des difficultés, notamment avec Guy Mollet*, pour mener à bien son projet de fusion de la gauche non communiste au sein d’une formation politique unique. Puis, les événements de mai 1968 ainsi que le désastre électoral de la gauche le marginalisent une nouvelle fois. Les leaders de gauche lui font porter la responsabilité de ce désastre et l’obligent à quitter la présidence de la FGDS. Celle-ci disparaît à cette occasion. François Mitterrand paraît alors à nouveau sans avenir politique, même s’il conserve la direction de la CIR. Refusant de participer à la fondation du Nouveau parti socialiste selon les conditions imposées par la SFIO en 1969, il fait apparaître le processus d’unification comme incomplet.

Le nouveau désastre de la gauche non communiste à l’élection présidentielle de 1969, désastre auquel il n’a pris cette fois aucune part, puis l’agonie de la SFIO, lui permettent de réapparaître au premier plan. Il a tiré trois leçons de la période précédente. D’abord, la solution d’une simple confédération des partis de la gauche non communiste est condamnée. Il lui faut s’emparer de la direction du nouveau parti socialiste qui s’ébauche sur les ruines de la SFIO. Ensuite, la radicalisation des idées à gauche l’oblige à gauchir son propre discours et à l’adapter à la culture ambiante de la gauche marxiste. Enfin, il lui faut renouer les fils avec le Parti communiste et aboutir à un accord de gouvernement entre les deux grands partis de gauche.
Une nouvelle étape de sa carrière politique s’ouvre en 1971, qui va le voir devenir le véritable leader du socialisme français en s’emparant au congrès d’Épinay de la direction du Parti socialiste puis, à s’imposer, à l’occasion de l’élection présidentielle de 1974, comme le principal leader de la gauche française.

Dans les dix années qui précèdent la victoire présidentielle, François Mitterrand développe un discours de rupture avec le capitalisme. Idéologiquement, la refondation du parti socialiste au congrès d’Épinay, en 1971, s’est opérée sur des bases radicales. Pour l’emporter contre Guy Mollet, François Mitterrand doit gauchir son discours plus encore que dans la période précédente. Lors de ce congrès il appelle à la rupture avec le capitalisme et désigne le monopole comme « le véritable ennemi », condamnant l’argent « qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes ». « Violente ou pacifique, déclare-t-il, la Révolution, c’est d’abord la rupture. Celui qui n’accepte pas la rupture – la méthode, cela passe ensuite – avec l’ordre établi, politique, cela va de soi, c’est secondaire […] avec la société capitaliste, celui-là, je vous le dis, il ne peut être adhérent au Parti socialiste ». Le document final du congrès rejette « l’idée illusoire qu’il soit possible à la gauche d’occuper le pouvoir pour y procéder à des réformes démocratiques et d’améliorer la condition des travailleurs sans toucher au cœur du système actuel, le pouvoir dans l’entreprise ». Et la Déclaration de principes du nouveau parti stipule qu’ « il ne peut exister de démocratie réelle dans la société capitaliste. C’est en ce sens que le Parti socialiste est un parti révolutionnaire ».

Entre 1977 et 1981, la rivalité qui l’oppose à Michel Rocard* pour la désignation à la candidature présidentielle du Parti socialiste, le conduit lors du congrès de Metz, en 1979, à nouer une alliance tactique avec Jean-Pierre Chevènement*, le leader du CERES, l’aile gauche du parti socialiste. Cette rivalité, ainsi que le bras de fer entamé en 1974, avec le Parti communiste, l’amènent à gauchir le projet socialiste de 1980.

Si François Mitterrand a ainsi épousé largement l’idéologie de la gauche socialiste, ressourcée dans le marxisme, en revanche, il est resté fidèle à certaines de ses positions et convictions personnelles anciennes qui, dans ce nouvel environnement idéologique, marquent sa singularité et contribueront à sa victoire de 1981. Il s’agit notamment de sa relation avec le Parti communiste, de son attachement au libéralisme politique, et de son rapport à la Ve République.

À propos des relations avec le Parti communiste, s’il a opté pour une stratégie d’alliance, il continue néanmoins à n’avoir avec lui aucune affinité et à concevoir les relations entre les deux partis surtout comme des rapports de force. Son but déclaré est de ravir aux communistes le leadership électoral à gauche. À l’union quasi fusionnelle que souhaite une partie des socialistes, il préfère une union froide, estimant que les deux organisations ont des identités fondamentalement et irrémédiablement différentes. Contrairement à ses prédécesseurs marxistes à la tête du parti socialiste, il ne vise aucunement à la réunification du mouvement ouvrier. Il n’a jamais été marxiste et, s’il a voulu l’établissement d’un programme commun de la gauche, en 1972, qui comprend notamment un grand nombre de nationalisations, il est cependant partisan d’une économie mixte. Il n’est aucunement un révolutionnaire, même s’il entonne à l’occasion l’air de la rupture, Son aval donné à un vaste programme de nationalisations ne doit pas cependant être vu comme un simple ralliement de façade aux demandes des organisations de gauche. Nous avons vu en effet que, depuis le début des années cinquante, il est hostile aux monopoles. Dans la période 1974-1981, le rapport entre les deux grands partis de gauche, après l’idylle qui a suivi la signature du programme commun, est marqué par une tension extrême. François Mitterrand pliera un temps mais finalement refusera, en 1977, les exigences de Georges Marchais, le Secrétaire général du Parti communiste. La rupture de l’Union de la gauche ouvre alors une nouvelle période des relations entre les deux partis. La victoire présidentielle du premier secrétaire du Parti socialiste, en 1981, et le triomphe législatif socialiste qui la suivra, vont terminer en faveur du Parti socialiste le bras de fer avec le Parti communiste. François Mitterrand aura ainsi réglé la question du rapport avec ce Parti par sa marginalisation politique.

À propos du libéralisme politique, François Mitterrand se distingue clairement de ceux, nombreux à gauche, qui estiment que la conquête du pouvoir aura un caractère irréversible. Ainsi, dans son introduction au programme socialiste de 1972, Changer la vie, il insiste sur la légitimité du processus d’alternance et presse les socialistes d’admettre que la gauche jouera pleinement le jeu de la démocratie représentative et que, si elle gagne les élections, il pourra lui arriver plus tard de les perdre et donc de revenir dans l’opposition. Il souhaite une alternance tranquille et ne partage pas l’opinion de certain de ses proches selon lesquels, l ‘arrivée au pouvoir de la gauche marquera « la fin de l’ancien régime ». Très peu convaincu par le concept d’autogestion, il demeure un républicain traditionnel pour lequel les élections et les institutions représentatives constituent la base du régime démocratique.

À propos des institutions, enfin, François Mitterrand, en incarnant le combat des « républicains » contre « le pouvoir personnel », a été davantage opposé au général de Gaulle qu’aux institutions elles-mêmes qui, selon lui, comparées à celles de la IVe République, comportent des aspects positifs. Il est partisan, notamment, d’un pouvoir exécutif fort. Il a compris très vite l’impact de la révision constitutionnelle de 1962 et l’avantage personnel qu’il pourrait en tirer. À partir de l’élection présidentielle de 1974, où il est une nouvelle fois le candidat unique de la gauche et où il manque de peu l’élection, il va préparer les socialistes à gouverner dans le cadre de la Constitution de la Ve République, revendiquant même clairement, dans sa campagne de 1981, la primauté du pouvoir présidentiel. S’il est un partisan du parlementarisme, il n’en estime pas moins qu’en cas de victoire, sa future majorité parlementaire devra appliquer son programme présidentiel. Sa campagne de 1981 est d’abord une campagne personnelle qui prend quelques libertés avec le projet socialiste.

L’alternance politique de 1981 a constitué un événement politique majeur à la fois dans l’histoire de la Ve République et dans celle du socialisme français. François Mitterrand en a été l’artisan principal, s’imposant ainsi comme l’un des leaders historiques majeurs du Parti socialiste.
Ses deux mandats présidentiels ont couvert une période qui peut être découpée en deux phases. Les deux premières années prolongent la période antérieure. C’est la période du pouvoir enchanté. Les socialistes peuvent alors, avec les premières mesures du gouvernement Mauroy*, se convaincre que le processus de rupture avec le capitalisme est entamé. La très importante vague de nationalisations, les nombreuses mesures sociales, les réformes fiscales, les nouveaux droits des salariés vont dans ce sens. Par ailleurs, les lois de décentralisation dessinent une nouvelle relation entre l’État et les régions. La participation du Parti communiste au gouvernement paraît refonder l’Union de la gauche. Majoritaires à l’Assemblée, les socialistes ont enfin la possibilité de « changer la vie » et d’opérer les profondes réformes de structure qu’ils souhaitent. Mais, dès 1982, François Mitterrand est confronté à l’aggravation de la situation économique et financière et doit trancher à propos de la relation avec l’Allemagne et du maintien ou non de la France dans le SME, le système monétaire européen. L’abandonner pour redonner à la France une pleine autonomie d’action est un pari risqué et en réalité décisif. Après plus d’une année d’atermoiements, le président de la République décide de donner la priorité à la relation franco-allemande et à l’Europe et d’inverser le cours de la politique gouvernementale, pressé qu’il est de le faire par le Premier ministre… et le gouverneur de la Banque de France qui voit avec inquiétude les réserves financières fondre comme neige au soleil. C’est le grand tournant de la politique socialiste de 1983. Le choix clair effectué alors en faveur de l’Union européenne sera confirmé par le traité de Maastricht en 1992.
En 1984, François Mitterrand appelle à Matignon Laurent Fabius pour mener une politique de modernisation économique et de rigueur financière. Le Parti communiste refusera à partir de cette date de participer aux gouvernements socialistes qui se succéderont jusqu’à la fin du second mandat du président de la République. Après la défaite législative socialiste de 1986, deux années de cohabitation, puis sa réélection en 1988, François Mitterrand laissera ses premiers ministres successifs mener des politiques réformistes et économiquement libérales pour l’essentiel. En 1984, il lui faudra également abandonner, face à la contestation des partisans de l’école privée, le projet socialiste de création d’un Service Public Unifié et Laïque de l’Éducation Nationale.

Le socialisme français semble alors s’engager progressivement sur la voie de la Social-démocratie. Pourtant, François Mitterrand n’encouragera jamais le Parti socialiste à faire son Bad Godesberg. Les questions idéologiques ne l’intéressent pas pour elles-mêmes. En 1992, lors de son congrès de l’Arche, le parti reculera devant une véritable révision idéologique. Réticent à passer de « la rupture avec le capitalisme » au « compromis historique avec le capitalisme », il refusera de trancher, adoptant une formule intermédiaire, l’existence d’un « rapport critique avec le capitalisme ». Lors du congrès de Liévin fin 1994, il semblera même vouloir opérer un nouveau tournant à gauche.

Ainsi, lorsque François Mitterrand quitte le pouvoir, en 1995, il est bien difficile de déterminer ce qu’est l’équilibre doctrinal du Parti socialiste. Mais le legs mitterrandien à ce parti se situe ailleurs  : il a fait de lui un grand parti de gouvernement. L’ambition du pouvoir a succédé à son long remords. Le premier président socialiste de la Ve République a ainsi transformé le socialisme français plus encore que celui-ci ne l’a transformé lui-même.

Gérard Grunberg

Source: Le Maitron

 


D) Mitterrand, l’homme qui a ruiné la France et ses héritiers !

Un petit rappel du passé et des quatorze années de pouvoir de François Mitterrand ! Sacré Tonton… Pour ne pas l’oublier car l’Histoire ne s’efface jamais !

Le sublime Mitterrand a pu tout se permettre. Si la presse parlait, elle, elle risquait de gros problèmes et ses journalistes avaient peur (Jean-Edern Hallier n’a-t-il pas été assassiné par une mauvaise chute en vélo sans témoin pour avoir voulu révéler l’existence de Mazarine ?).

C’est du passé, mais qu’on ose encore le citer en exemple !

Il ne faut surtout pas oublier qu’il a « demandé » (et obtenu) le changement de l’itinéraire du TGV dans la Drôme afin de protéger la maison à Marsanne de son ami Henri Michel, le château La Borie dont un des actionnaires était Roger Hanin son beau-frère, ainsi que des truffières appartenant à Mme Danielle Mitterrand du côté de Suze-la-Rousse.

Ce changement a fait passer le TGV au-dessus du Rhône et a coûté au contribuable la bagatelle de 5 milliards de francs liés aux nouveaux ouvrages d’art (ce montant n’était que le devis initial, et ne comprend pas le surcoût). Je n’ai pas la valeur finale qui probablement doit faire au moins 50 % de plus que le devis initial.

 

Mariette Cuvelier qui a mené la révolte anti déplacement du TGV connaît bien toute cette histoire. Un petit rappel concernant celui qui nous a tant escroqués pendant quelques années. Ce n’est qu’une petite partie de ce que l’on sait aujourd’hui, dont la presse aux mains de la gauche ne parle jamais, la partie émergée de l’iceberg oubliée dans la brume du mensonge permanent, et dont voici quelques-uns des faits et méfaits :

  • faux évadé des camps allemands, Mitterrand a été membre de la Cagoule en 1935, antisémite et antirépublicain, ce mouvement est de tendance fasciste,
  • sous-secrétaire d’État aux anciens combattants en 42, il a été décoré de la Francisque. L’ordre de la Francisque gallique est une décoration qui fut attribuée en tant que marque spéciale d’estime du maréchal Pétain par le gouvernement de Vichy en 1943. Il faut savoir que c’était valorisant, comme la Légion d’Honneur actuellement, et qu’il fallait la demander – contrairement à l’ordre de la Légion d’Honneur – et se faire parrainer,
  • il en fut le récipiendaire numéro 2202, donc cela implique tout de même une certaine volonté et un certain désir…,
  • il était ministre de l’Intérieur quand il a fait envoyer le Contingent en Algérie,
  • il était Garde des Sceaux pendant la Bataille d’Alger, et c’est lui qui a organisé les bandes de barbouzes, ce qu’il reniera plus tard,
  • il a organisé un faux attentat rue de l’Observatoire à Paris pour focaliser sur lui les regards de la presse,
  • il a fait financer le PS par des pratiques frauduleuses (affaires Urba, Graco, et autres).
  • il a appris qu’il avait un cancer de la prostate métastasé aux vertèbres lombaires quelques semaines avant les élections présidentielles de 1981, et n’a rien dit alors que l’aspiration à la fonction de chef d’État l’y obligeait, tout comme les fausses déclarations de fortune en omettant ses possessions en forêt de Tronçay (défiscalisables évidemment),
  • il a fait entrer les communistes à son gouvernement,
  • il a fait nationaliser les banques et les industries françaises, obligeant la France à dévaluer sa monnaie trois fois de suite en quelques mois,
  • il a fortement élevé le nombre des chômeurs en France,
  • il a protégé un ancien collaborateur des nazis, son ami René Bousquet,
  • il a protégé Bernard Tapie et l’a élevé au rang de ministre, et a plombé chaque contribuable de 2 500 francs sur 5 ans minimum,
  • il entretenait sa maîtresse et sa fille adultérine cachées dans un appartement parisien appartenant à l’État, et les week-ends passés dans les palais de la République aux frais de celle-ci,
  • il se rendait chaque Noël sur les bords du Nil aux frais de l’État et emmenait avec lui une soixantaine de personnes lors de ses déplacements.
Il descendait tous les ans à l’Old Cataract (un hôtel somptueux sur le Nil) avec « sa petite famille », dont Françoise Sagan emmenée aussi en Amérique du Sud et qu’il fallut rapatrier d’extrême urgence par avion spécial, victime d’une overdose de cocaïne,
  • il a augmenté la dette de la France de plus de 250 % durant sa mandature,
  • il a fait racheter l’entreprise de son ami Roger-Patrice Pelat (déjà largement mouillé de recel de délit d’initié dans l’affaire Péchiney-Triangle), la société « Vibrachoc », par une société d’État pour cinq fois sa valeur réelle,
  • il a obligé son médecin personnel à publier durant quatorze ans de faux certificats sur son état de santé (pauvre médecin, disparu lui aussi),
  • il a couvert ses sbires gendarmes qui ont inventé une histoire de terroristes à Vincennes,
  • il a totalement délaissé un de ses fidèles proches, François de Grossouvre, qui aurait fini par se suicider (d’une balle…dans la nuque !!!) avec un 357 Magnum dans un bureau à l’Élysée…,
  • il a affirmé qu’il ne savait rien sur la destruction à l’explosif d’un bateau de Greenpeace en Nouvelle-Zélande, pourtant organisé par les services secrets français et sur son ordre,
  • il a mis sur écoute sans justification plus de 150 Français, dont Carole Bouquet et Jean-Edern Hallier (avez-vous lu son livre sur le propos ?)… et il a osé affirmer à la télévision qu’il n’a jamais commis ce forfait.
Curieusement, le capitaine de gendarmerie qui branchait « les fils » s’est lui aussi « suicidé »,
  • les associations décomposées tenues par « tatie Danielle », et qui lui survivent, lourdement subventionnées par l’État, ou encore le fric donné aux amis comme Guy Ligier pour ses charrettes bleues (payées par la Seita et le Loto) : c’est encore « Tonton »,
  • il a fait nommer un de ses fils à un poste de conseiller en Afrique, rôle qu’il n’a jamais exercé,
  • il a laissé tomber son ex premier ministre Pierre Bérégovoy qui allait tout déballer mais qui s’est « suicidé » lors d’une promenade un dimanche après-midi, avec l’arme de service de son garde du corps ! Curieux non ? Bérégovoy était redevable du copain de Tonton, toujours Roger-Patrice Pelat, qui aurait fait un infarctus mortel au moment où on allait lui poser les bonnes questions,
  • son secrétaire ami François de Grossouvre qui allait tout déballer et qui se serait “suicidé” non sans s’être fracturé l’épaule durant la manœuvre (on l’a un peu aidé) et ses archives et ses biens disparus, sa veuve les attend toujours,
  • les 35 heures c’est encore un délire de démagogue pensé par DSK (celui qui est soupçonné de complicité de proxénétisme et recel d’abus de biens sociaux) appliqué par Martine Brochen, née Delors, ex-épouse Aubry (dont la dépendance à l’alcool ne lui a valu que trois cures de désintoxication, et n’a d’équivalent que l’addiction sexuelle de son mentor),
  • Jospin qui perd les élections, de manière très prévisible, et entre dans le monde du silence, pour ne pas mourir suicidé aussi.

Aujourd’hui nous payons ses erreurs dont l’entrée de la Grèce dans l’Europe à laquelle il contribua beaucoup.

C’est ça la gauche angélique qui se veut donneuse de leçons, et qui a pourtant bien contribué aux résultats difficiles auxquels nous devons à présent faire face, avec notamment une dette colossale !

On s’arrête là ?

LA RELÈVE EST ASSURÉE AVEC LA BANDE D’INCAPABLES ET DE GUIGNOLS EN PLACE AU GOUVERNEMENT !

Antonin Bruniquel

Source :  lesobservateurs.ch

 



E) François Mitterrand, la politique immobile et le délitement du pays

De quelque côté que l’on se tourne, on ne trouve chez François Mitterrand uniquement des décisions malheureuses qui ont participé à ce fameux "délitement du pays".

Un machiavélien au petit pied
 
Dans la biographie qu’il consacre au Général de Gaulle, Eric Roussel raconte comment, dans les années 1960, François Mitterrand, opposant opportuniste au fondateur de la France Libre, était un habitué des déjeuners à l’ambassade des Etats-Unis. Une génération plus tôt, quand le jeune Mitterrand avait des sympathies pour la droite de la droite, peut-être aurait-il qualifié lui-même un tel comportement d’inqualifiable. Entretemps, il y avait eu la guerre, le traumatisme de la défaite de juin 1940 (« J’ai cru voir la France mourir! ») et le développement de l’ambiguïté, vite devenue une seconde nature chez l’ambitieux jeune bourgeois de province. Vichyste tant que cela semblait avoir de l’avenir, résistant à partir du tournant de l’opinion française, François Mitterrand s’est payé le luxe de révéler lui-même l’étendue de sa compromission des années 1942-1943, peu avant de quitter la présidence, dans un livre d’entretiens avec Pierre Péan. Le Général de Gaulle avait refusé que l’on utilisât ce qu’on savait lors de la campagne de 1965 car il refusait, disait-il, de faire campagne avec des « boules puantes ». Le chef de la France Libre surnommait Mitterrand « l’arsouille »; mais il faut dire que bien peu nombreux ont été les Français lucides comme lui.  Ce qui a dominé, c’est l’admiration mal placée pour un machiavélien au petit pied, élevé à droite et parvenant au pouvoir sur un programme socialo-communiste; dénoncé par les gauchistes et autres maoïstes de 1968 comme un social-traitre mais les ralliant à l’économie de marché et leur permettant de conquérir tous les leviers du pouvoir. 
 
Que reste-t-il du mitterrandisme? 
 
Au fond, que reste-t-il du mitterrandisme quarante ans après le 10 mai 1981? L’abolition de la peine de mort? Sans doute mais cela s’est accompagné, en général, d’un renoncement à bien d’autres attributs de la souveraineté, au point de laisser le pays désarmé dans la concurrence des nations. La mise en place de l’euro? Certes mais sans faire comprendre aux Français quels étaient les enjeux, si bien que ce qui devait être un instrument de plus grande discipline économique du pays est devenu le prétexte à un endettement massif à l’abri des taux d’intérêt allemands. La réconciliation de la gauche avec l’entreprise et l’économie de marché ? En effet mais au prix de la fracture sociale du pays. L’apaisement des débats politiques dans le pays? Il a été obtenu en mettant en scène la grand-guignolesque diabolisation d’une force politique en particulier, épouvantail patriote qualifié d’infréquentable pour quelques plaisanteries douteuses de son leader mais surtout prétexte à tous les renoncements nationaux qui caractérisent la période Mitterrand. 
 
Manque de sang-froid
 
Plus on analyse la période Mitterrand, plus on identifie un immobilisme enraciné dans le renoncement. Tout était-il à rejeter de la politique économique de 1981-1983? Elle aurait pu déboucher sur le renoncement à l’alignement du franc sur le deutsche mark. Une politique monétaire à la britannique avec un ralliement à l’économie de marché: c’est ce que proposait une partie du monde économique français. Mais Mitterrand pencha finalement pour le retour au giscardisme, la ligne de plus grande pente technocratique. Pourquoi s’étonner, après cela, que, président fataliste, il aiut dit: « Contre le chômage on a tout essayé ». Non moins désastreux fut le manque de sang-froid qui suivit la chute du Mur de Berlin. Il est dans la culture politique allemande de ne pas savoir attendre, de ne pas supporter les crises non résolues; cela conduisit le chancelier Kohl à vouloir faire beaucoup trop vite la réunification économique, en particulier avec un mauvais taux de change. Il suffisait de garder ses nerfs et d’attendre que notre voisin fût absorbée par le coût de la réunification. Las ! Ayant vécu depuis 1940 dans la peur de l’Allemagne, François Mitterrand crut astucieux de réaliser l’union monétaire à l’occasion de la réunification. L’alignement des taux d’intérêt européens, en particulier français, sur les taux allemands permit à l’Allemagne de passer avec moins de casse le cap difficile de la désintégration économique de la RDA. Et, au bout du tunnel économique des années 1990, l’Allemagne pouvait profiter de la fin de la concurrence monétaire en Europe. 
 
Incohérences et culture du renoncement
 
Décidément, de quelque côté qu’on se tourne, on ne trouve chez François Mitterrand que des décisions malheureuses. L’immigration incontrôlée, cheval de bataille de la gauche qui l’avait porté au pouvoir, n’était compatible qu’en gardant la flexibilité monétaire afin de pouvoir créer tous les « petits boulots » qui absorberaient cette main d’oeuvre peu qualifiée affluant sur le territoire français. Or, en même temps qu’il mettait en scène l’affrontement entre  SOS Racisme et le Front National, François Mitterrand faisait le choix de la monnaie forte. Le choix de l’Europe unie? Il devait s’accompagner d’une disposition à se battre pour défendre les intérêts français au sein de la construction européenne? Or l’histoire des années 1981-1995 est celle d’un laisser-aller: pour faire monter les enchères de Maastricht, l’Allemagne exigea, contre la volonté de François Mitterrand, la reconnaissance de la Croatie, qui fit éclater la Yougoslavie; et à peine Maastricht était-il voté par la France que l’Allemagne imposait l’élargissement de l’Union Européenne. François Mitterrand a légué à notre pays une culture du renoncement à l’opposé du gaullisme. Le « délitement du pays » dont parlaient il y a quelques jours des généraux dans une tribune interpelant Emmanuel Macron est né de l’immobilisme et du renoncement mitterrandien.  

Edouard Husson

Source: Atlantico


F) Il y a 40 ans, François Mitterrand devenait Président…

La presse nous rapportait récemment que les socialistes n’étaient pas parvenus à s’entendre sur la façon de célébrer le 40ème anniversaire du 10 mai 1981, date théoriquement chérie entre toutes puisqu’elle symbolise l’arrivée (triomphale, bien sûr) d’un Président socialiste dans la France de la Vème République. Entre Rwanda, bisbilles personnelles et course obsessionnelle après les écologistes, ils ont beau être de moins en moins nombreux, les occasions de discorde s’amoncellent. Mais comment font-ils ?

De presque 26 % pour François Mitterrand au premier tour de 1981, le Parti socialiste (PS) est tombé à 6,36 % des voix, écologistes compris, en 2017 et leur candidate la mieux placée pour 2022, la maire de Paris Anne Hidalgo a du mal à se hisser au-delà de 6 % dans les sondages. On se demande comment ils trouvent encore matière à accélérer la division cellulaire qui, de démissions en refondations, les entraîne vers le néant.

Quelques rappels préhistoriques s’imposent, surtout à l’intention de mes plus jeunes lecteurs qui n’ont jamais entendu parler de ce parti depuis qu’ils sont en âge de voter. Je ne les blâme pas, comment pourraient-ils savoir qu’à une époque, il y a très longtemps, le PS scandait le tempo politique de la France ?

Sachez donc que nous parlons du grand parti de Jaurès, Blum et Mitterrand (et Martine Aubry), du grand parti qui recueillait facilement 37 % des voix aux élections législatives dans les années 1980, du grand parti qui a fait passer la France de l’ombre à la lumière le 10 mai 1981, du grand parti qui, probablement un peu aveuglé par tant d’éclat auto-proclamé, a soutenu Ségolène Royal en 2007 et porté François Hollande et son scooter magnifique au pouvoir en 2012. Un François Hollande qui s’est montré si fier et si convaincu de son bon bilan qu’il a préféré ne pas se représenter en 2017 pour mieux le protéger !

Malgré quelques expériences « plurielles » branlantes tentées par le passé, c’est à ce moment-là que le travail de sape de la division cellulaire a véritablement commencé. Emmanuel Macron n’était pas encarté au PS, mais il avait participé de si près à la campagne présidentielle de François Hollande qui avait fait de lui son conseiller, puis son ministre de l’économie, qu’on pouvait sans peine le croire idéologiquement affilié à jamais en dépit de quelques blagues de fort mauvais goût à propos des 35 heures.

Pas de bol, il décèle des « immobilismes » chez Hollande, il se prétend « empêché » d’agir pour le bien de la France, il veut faire de la politique « autrement », bref, il démissionne, se déclare candidat et entraîne moult socialistes dans son sillage juvénile et printanier.

Suite à quoi la primaire de gauche qui devait symboliser l’unité des socialistes réussit surtout à mettre en scène deux gauches « irréconciliables » : ceux qui en sont restés au marxisme de base avec Benoît Hamon et ceux qui penchent du côté de la social-démocratie façon Rocard avec Manuel Valls. Sachant que ces deux tendances sont dorénavant déjà représentées à peu de choses près à l’extérieur du PS par Mélenchon et Macron respectivement. Hamon l’emporte sur Valls, provoquant immédiatement une seconde division cellulaire et son ample fuite de socio-démocrates vers Macron. On connaît la suite.

À y regarder de plus près cependant, on constate que dès la présidence Mitterrand, et malgré l’unification politique apparente réalisée à la hussarde par ce dernier lors du congrès d’Épinay de 1971, la cohérence et l’unité idéologiques faisait défaut aux socialistes. L’alliance avec les communistes dans le programme commun de la gauche conformément au principe de la « rupture avec le capitalisme » adopté lors du congrès donne d’abord la part belle à la version marxiste du socialisme, mais dès son échec prévisible, les socio-démocrates montent au créneau.

Même topo avec Hollande, second président socialiste de la Vème. Après Chirac et Sarkozy, et après la crise financière de 2008, il était assez facile de se faire élire en ciblant le monde de la finance et en promettant une tranche marginale d’imposition à 75 %. Mais la réalité s’impose à nouveau, scindant la majorité Hollandaise en frondeurs qui tirent plus à gauche et en pragmatiques dont beaucoup rejoindront Emmanuel Macron.

contrepoints-2Mais reprenons depuis le début (texte écrit initialement en 2016 pour le 35ème anniversaire de l’accession des socialistes au pouvoir) :

Il y a 40 ans, le 10 mai 1981, François Mitterrand devenait Président et la France passait « de l’ombre à la lumière », selon la célèbre formule quasi mystique de Jack Lang. C’est en effet ce jour-là que François Mitterrand, après deux tentatives ratées, accédait à la présidence de la République française en battant son prédécesseur Valéry Giscard d’Estaing avec 51,76 % des suffrages exprimés, devenant le premier chef d’État de gauche de la Vème République.

C’est ainsi que la France s’est offert une sorte de produit « trois en un » :

♣ un changement politique qui a fait l’effet d’un coup de tonnerre,
♦ la personne non sans ambiguïté de François Mitterrand
♠ et la mise en application vraie de vraie du Programme commun de la gauche.

Si Jack Lang, idolâtre des débuts, en est resté à sa première impression sur la bienheureuse lumière répandue par la Mitterrandie, au point de publier en décembre 2015 un Dictionnaire amoureux de François Mitterrand, je vois pour ma part beaucoup d’ombres au tableau, dont certaines se projettent jusqu’à nous et façonnent encore profondément les termes du débat politique français.

Mais il serait injuste de ne pas signaler d’entrée de jeu que je crédite François Mitterrand de trois attitudes remarquables dont la France peut être fière :

1. Étant farouchement opposée à l’exécution capitale dans tous les cas de figure, quelles que soient les caractéristiques de l’assassin et quelles que soient les caractéristiques de l’assassiné, je lui rends grâce d’avoir mené à bien avec Robert Badinter l’abolition de la peine de mort dont la loi fut promulguée en octobre 1981.

2. Étant également convaincue de la nécessité de faire vivre le projet européen au sein des grands ensembles qui composent un monde aujourd’hui confronté aux nombreux défis du terrorisme islamiste, de l’évolution démographique, du progrès technologique, je le remercie d’avoir placé la fidélité à l’Europe dans ses priorités.

3. Enfin, bien qu’ayant fait entrer quatre ministres communistes dès 1981 dans les gouvernements Mauroy successifs (pour mieux les impliquer dans le naufrage final ?), François Mitterrand, habile à ménager la chèvre et le chou par ambition personnelle, n’avait aucune sympathie profonde pour le communisme ou l’URSS.

En 1983, suite aux révélations d’un agent soviétique connu sous le nom de code « Farewell », il expulse 47 diplomates soviétiques accusés de se livrer à de l’espionnage sur le sol français et remet lui-même à Ronald Reagan lors d’un G7 la liste de tout ce que Farewell a révélé aux autorités françaises, ce dernier geste contribuant à rassurer les Américains sur le gouvernement français.

♣Le changement politique amené par l’élection de François Mitterrand n’est pas seulement une victoire de la gauche sur la droite, c’est peut-être aussi surtout une victoire du Parti socialiste dans sa forme rassemblée du Congrès d’Épinay (1971) sur le Parti communiste (PCF).

Dans les années 1970, ce dernier avait l’habitude de réunir environ 20 % des suffrages à chaque élection nationale ou locale. Il n’y avait pas de raison que ça s’arrête et la négociation du Programme commun entamée en 1972 avec le Parti socialiste et le Mouvement des Radicaux de gauche devait conforter cette position.

Les trois partis présentent un candidat unique lors de l’élection présidentielle de 1974 sans obtenir le pouvoir, mais à partir de cette date, le Parti socialiste domine systématiquement le Parti communiste aux élections car l’évolution économique de la France s’accompagne d’une baisse des effectifs ouvriers au profit des salariés des entreprises de service.

Afin de retrouver son attractivité, le Parti communiste souhaite durcir le Programme commun en augmentant les nationalisations prévues et les pouvoirs syndicaux dans les entreprises nationalisées, mais ses deux partenaires refusent net, précipitant la rupture en 1977 et la constitution de listes séparées pour les élections législatives de mars 1978.

Un rabibochage de dernière minute intervient entre les deux tours (dessin de gauche) mais ne permet pas d’obtenir une majorité de gauche à l’Assemblée nationale. Les Français ont fait le « bon choix » demandé par Giscard dans son discours resté fameux de Verdun-sur-le-Doubs (dessin de droite).

En vue de l’élection présidentielle de 1981, le Programme commun est adapté par le Parti socialiste sous la forme des 110 propositions pour la France du candidat Mitterrand. Au premier tour, Georges Marchais se présente en propre pour le Parti communiste. Il ne recueille que 15 % des voix (contre encore 20 % aux législatives de 1978). Il appelle à voter pour Mitterrand au second tour, mais il semblerait qu’en sous-main le PC se soit activé à faire élire Giscard. À titre personnel, je me souviens fort bien que Brejnev avait fait savoir tout le bien qu’il pensait du Président sortant.

Finalement, François Mitterrand est élu avec 51,76 % des suffrages exprimés et une participation de 86 %, soit une avance de plus de 1 million de voix. Il a réussi à rassembler la gauche tout en avalant le PC qui ne regagnera jamais son influence électorale antérieure. C’est un coup de tonnerre dans la France de droite qui avait encore gardé une large majorité à l’Assemblée nationale en 1978 (notamment grâce à des manoeuvres en ce sens du Parti communiste, d’après Jean Lacouture dans sa biographie de Mitterrand).

Une sorte de panique saisit certains milieux français qui envisagent de quitter la France devant la perspective de la politique socialo-communiste annoncée par le Programme commun. Pour s’en moquer, Plantu publie le dessin ci-contre. Eh oui, la Tour Eiffel n’a pas bronché ! Voici la vidéo INA de l’annonce officielle des résultats au 20 heures d’Antenne 2 (01′ 15″).

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♦ Il n’en reste pas moins que François Mitterrand est arrivé sur la scène de l’Histoire de France dans un halo permanent de contradictions et de duplicité. « Multiplicité », dit Jean Lacouture, mi-indulgent, mi-lucide :

« De Vichy à la Résistance, de la droite à la gauche, des Croix-de-Feu au socialisme : toujours multiple et dissonant, François Mitterrand a été en guerre avec lui-même. »

Je suis plus sévère. Plus qu’en guerre avec lui-même, je vois surtout un François Mitterrand à l’aise dans toutes les tactiques favorables à ses ambitions. Jean Lacouture admet d’ailleurs que son portrait manque sans doute de quelques « coups de canif. » Pour ma part, j’aimerais rappeler trois événements marquants (il y en a beaucoup d’autres) qui selon moi éclairent sa personnalité perpétuellement opportuniste.

· Sous son ministère de Garde des Sceaux dans le gouvernement présidé par Guy Mollet à partir de février 1956, au plus fort de la guerre d’Algérie, 45 condamnations à mort sont prononcées. En complet désaccord avec cette politique coloniale, ses collègues Mendès-France, Defferre et Savary démissionnent, mais pas lui. Au contraire, il fait adopter une loi qui donne tous pouvoirs aux militaires en matière de justice sur le sol algérien, ce qui revient à autoriser la torture. Selon ses biographes, l’explication tient au fait qu’il souhaite absolument rester au gouvernement pour accéder à la Présidence du Conseil auquel sa prochaine nomination lui semble imminente.

· En 1959, dans le contexte d’autodétermination de l’Algérie que le général de Gaulle vient d’annoncer contre les tenants de l’Algérie française, François Mitterrand est simple sénateur de la Nièvre et sa cote de popularité a besoin d’un petit coup de main. Dans la nuit du 15 au 16 octobre à Paris, rentrant chez lui en voiture, il se sent suivi, abandonne sa voiture avenue de l’Observatoire (près des jardins du même nom) escalade une haie et se cache derrière. Sa voiture est criblée de sept balles.

Le lendemain, il incrimine l’extrême-droite Algérie française et prétend qu’il ne doit son salut qu’à sa rapidité de réaction (voir un joli moment d’hypocrisie dans la vidéo INA en lien ici). Le voilà redevenu le héraut de la lutte contre l’extrême-droite et pour l’Algérie indépendante. C’est risible vu ce que j’ai relaté au paragraphe précédent, et vu ce que je vais dire dans le point suivant.

Toujours est-il que quelques jours plus tard, un certain Pesquet, ancien gaulliste qui a rejoint l’extrême-droite, explique que lui et le sénateur se sont rencontrés pour mettre cette petite affaire au point. Par la suite, il explique aussi avoir participé à la machination pour discréditer Mitterrand alors que ce dernier n’avait pas d’autre objectif que de requinquer sa popularité.

· En 1965, François Mitterrand se présente une première fois à l’élection présidentielle comme candidat unique de la gauche. Il arrive en seconde position avec presque 32 % des voix, mettant le général de Gaulle en ballotage. Pour le second tour, il reçoit sans surprise l’appui de toute la gauche et, avec un peu plus de surprise, celui du candidat centriste malheureux Jean Lecanuet (un Bayrou avant l’heure ?).

Mais le pompon revient incontestablement à l’extrême-droite de Tixier-Vignancourt et à l’OAS qui appellent aussi à voter pour lui. Ça ne suffira pas loin s’en faut, mais c’est un exemple de plus des qualités morales à géométrie ultra-variable de l’homme qui devint Président le 10 mai 1981.

♠ Il y a des traditions qu’il faut respecter. Lorsque la gauche arrive au pouvoir, elle se doit d’inaugurer son mandat par des mesures symboliques. Se rêvant en successeur de Léon Blum, François Mitterrand ne pouvait faire moins que le Front Populaire. Il est donc prévu que les mesures emblématiques votées en 1936, la semaine de 40 heures et les deux semaines de congés payés, seront prolongées par la semaine de 35 heures et la cinquième semaine de congés payés.

Si cette dernière est votée facilement, les 35 heures reçoivent une forte résistance et seront pour l’instant limitées à 39. Martine Aubry se chargera de finaliser l’esprit du Programme commun lors de son passage au ministère du travail en 1998 et 2000 sous l’ère Jospin.

Pierre Mauroy, nommé premier Ministre dès le passage à la lumière jusqu’à la catastrophe économique qui arrive assez vite derrière, est chargé de mettre en oeuvre les 110 propositions pour la France. Elles valent le coup d’être relues aujourd’hui car on s’aperçoit que les revendications des syndicats et des partis de notre gauche frondeuse et extrême en sont largement inspirées :

Salaire minimum revalorisé de 10 %, impôt sur les grandes fortunes, grands travaux, embauches de 150 000 personnes dans des emplois publics, retraite à 60 ans, régularisation des étrangers en situation irrégulière s’ils peuvent justifier d’un emploi, blocage des prix et des loyers, programme de nationalisations, lois Auroux sur le droit du travail avec instauration du comité d’hygiène et sécurité dans les entreprises, relance de la politique agricole commune (PAC) avec prix garantis et marchés organisés, recul de la part du nucléaire, doublement du budget de la Culture et Fête de la Musique, Opéra Bastille, Grande Bibliothèque etc… etc…

Bien évidemment, tout cela coûte de l’argent. Bien évidemment, la confiance des investisseurs est au plus bas et de nombreux capitaux partent à l’étranger. Bien évidemment, tout cela n’a aucun effet sur le chômage et n’apporte aucune amélioration sociale. C’est même tout le contraire.

Mitterrand a été notamment élu sur sa capacité supposée à juguler le chômage. Peu important en 1974 (environ 600 000 personnes), il augmente beaucoup pendant le septennat de Giscard qui subit directement les effets du choc pétrolier de 1973, ce qui lui coûte en partie sa réélection. En 1981, le chômage atteint 1,5 million de personnes. Mais en 1995 il est à 2,5 millions. Le RMI, ancêtre du RSA, est créé en 1988 pour fournir un revenu aux personnes qui sortent des catégories du chômage, dans le contexte d’une situation sociale française très dégradée par les bons soins des politiques socialistes menées jusque là.

Et bien évidemment, tout cela ne fait aucun bien aux comptes publics. En 1981, la dette publique était de 110 milliards d’euros. Fin 1983, elle passe à 170 milliards et en 1995, date de fin des deux mandats mitterrandiens, elle est de 663 milliards, soit une multiplication par six. Le Franc sera dévalué trois fois (1981,1982,1983) et il faudra abandonner d’urgence la mise en application du Programme commun pour adopter en mars 1983 le « tournant de la rigueur » avec Laurent Fabius comme nouveau Premier ministre, seule alternative à une sortie du Système monétaire européen (SME) et une possible mise sous tutelle du FMI.

S’enclenche alors une période faussement réaliste qui voit la gauche au pouvoir s’enivrer de ses nouvelles possibilités économiques. C’est le triomphe de l’argent-roi, surtout pour la caste au pouvoir, non pas dans une acception libérale comme on l’entend ou le lit souvent, mais dans un dévoiement caractéristique du capitalisme de connivence.

Les « affaires » succèdent aux « affaires », du scandale financier du Crédit lyonnais au scandale moral du sang contaminé, pour lequel aucun ministre « responsable mais pas coupable » ne sera incriminé, en passant par la république des copains et des coquins, les écoutes de l’Elysée, pour lesquelles François Mitterrand a bien été reconnu comme en étant l’instigateur, etc. etc.

C’est le triomphe de la déchéance du socialisme.

Encore combien de temps faudra-t-il refaire les mêmes erreurs, largement documentées, pour enfin comprendre que la voie de la prospérité et de la progression sociale n’est pas sur le chemin de l’État-providence qui n’aime ni le travail ni l’entreprise, mais sur celui d’un recul de l’État dans les affaires des citoyens et d’une gestion rigoureuse de ses propres affaires limitées à ses fonctions essentielles de garant des libertés ?


 

 

 


mai 02, 2021

Crise identitaire ! Identitarisme !

Ce site n'est plus sur FB (blacklisté sans motif), alors n'hésitez pas à le diffuser au sein de différents groupes ( notamment ou j'en étais l'administrateur), comme sur vos propres murs respectifs. D'avance merci. L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...

Merci de vos lectures, et de vos analyses. Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste. N'omettez de lire par ailleurs un journal libéral complet tel que Contrepoints: https://www.contrepoints.org/ 

Al, 

 

PS: N'hésitez pas à m'envoyer vos articles (voir être administrateur du site) afin d'être lu par environ 3000 lecteurs jour sur l'Université Liberté (genestine.alain@orange.fr). Il est dommageable d'effectuer des recherches comme des CC. 

Merci

 


 

SOMMAIRE:

- A) «Les identitaristes ont fait voler en éclat le récit commun de l’humanité» avec Perrine Simon-       Nahum  de

- B) La Dérive identitariste avec Jean Bernabé;  de Jean Derive Paris, L’Harmattan, 2016, 201 p

- C)  « L'identitarisme condamne ses fidèles à une aliénation perpétuelle »de Laurent Dubreuil. Propos recueillis par Source Le Point

 


  A) «Les identitaristes ont fait voler en éclat le récit commun de l’humanité» avec Perrine Simon-       Nahum

Dans «  Les Déraisons modernes  », la philosophe Perrine Simon-Nahum s’élève contre les nouveaux mythes qui retirent à l’homme sa capacité à s’inscrire dans l’Histoire. Collapsologie, «  guerre des identités  », théories décoloniales enferment bien davantage qu’elles ne libèrent, analyse-t-elle, appelant ses concitoyens et, plus largement les démocraties, à «  se faire confiance  ».

«  Nous avons cessé de nous faire confiance  », regrettez-vous, en dénonçant une pseudo «  vision vertueuse du monde  », porteuse en fait d’«  un puissant nihilisme  ». Est-ce une dimension essentielle de l’époque actuelle ?

Essentielle car cette confiance est ce qui permet à l’individu de relier la vision qu’il a de lui-même, de ses relations aux autres, à ce que le monde peut lui apporter et à ce qu’il peut, lui, apporter en retour au monde. Plus largement, nos démocraties souffrent de ce manque de confiance, car elles ont cessé de reposer sur le partage d’éléments objectifs.

Autre idée-force de votre livre : l’importance de «  l’individu historique  ».

Nous sommes arrivés aujourd’hui, dans le domaine de la pensée, à l’épuisement des philosophies qui remettaient en cause l’idée de «  sujet  ». Il ne s’agit évidemment pas de revenir à l’idée d’un individu «  maître de la nature  » mais de considérer l’homme du point de vue de sa condition historique, comme à la fois héritier et acteur de sa propre histoire. Seul cela nous permettra de sortir de la mélancolie de notre époque, du sentiment que nous sommes les héritiers d’un monde qui a failli, face aux victimes de toutes sortes ou lors des massacres qui ont ponctué le XXe siècle.

Cette «  guerre des identités  », importée des Etats-Unis, a-t-elle gagné en France ?

Elle tend aujourd’hui à se diffuser aussi bien dans les médias que sur les bancs de l’université ou dans l’opinion. Son pouvoir de séduction est grand dans la mesure où d’une part, elle offre une vision du monde simpliste et d’autre part, elle s’impose à travers la violence des discours.

«  L’idée même selon laquelle on appartient à une identité, à un groupe est une idée réactionnaire dans la mesure où elle interdit le fait d’en sortir, voire de la subvertir de l’intérieur. Quand cette identité est érigée contre d’autres, elle devient xénophobe ou raciste  »

Ne participe-t-elle pas, au contraire, à la confrontation des idées ?

Je ne pense pas et ce, pour deux raisons. D’une part, parce qu’elle entretient une désorientation des individus qu’elle considère uniquement comme des victimes. C’est le cas des thèses décoloniales, des théories du genre ou du «  queer  » qui, à l’origine, se voulaient émancipatrices et sont aujourd’hui liberticides car elles enferment les gens dans une identité. En sortir revient à leurs yeux à trahir sa communauté d’origine. D’autre part, parce que les formes qu’elle emploie sont des formes violentes, guerrières qui dressent les gens les uns contre les autres.

Vous citez les propos de Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, («  J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race…  ») et les rapprochez de ceux du Front national. Une illustration, selon vous, de «  la jonction inattendue entre les récits fondamentalistes et réactionnaires  » ?

L’idée même selon laquelle on appartient à une identité, à un groupe est une idée réactionnaire dans la mesure où elle interdit le fait d’en sortir, voire de la subvertir de l’intérieur. Quand cette identité est érigée contre d’autres, elle devient xénophobe ou raciste, comme dans le cas du racisme anti-blanc d’Houria Bouteldja.

Vous vous élevez contre les «  théories collapsologiques  ». Mais comment les jeunes générations ne seraient-elles pas sensibles au discours de Greta Thunberg demandant à leurs aînés de rendre des comptes sur l’état de la planète ?

Est-ce une analyse juste ? Pourquoi toujours être dans l’accusation ? On n’en finit pas de remonter la chaîne des responsabilités sans savoir d’ailleurs qui exactement incriminer. Pourquoi ne pas célébrer dans le même temps les progrès que nous accomplissons comme la découverte de vaccins anti-Covid en moins d’une année ? Chaque génération doit prendre sa part dans le monde à sa mesure. Aux jeunes de s’engager dans le sens qui leur paraîtra positif. Accuser les autres est une position facile. Elle évite de faire soi-même des choix.

«  Que sont les relations humaines, sinon des relations où chacun se frotte aux autres pour le meilleur et pour le pire ? Les relations, nous le savons, ne vont jamais dans un sens. Nous aimons, nous nous séparons. Nous naissons, nous mourons. C’est le sens même de la vie​  »

Plus généralement, le politologue Jérôme Fourquet jugeait récemment dans l’Opinion que l’incompréhension entre les générations, phénomène connu, est accentuée aujourd’hui par le fait que les plus jeunes sont totalement sortis du «  référentiel judéo-chrétien  ». Une analyse que vous partagez ?

Les référentiels changent en fonction des générations. Mais là où son analyse se vérifie, c’est qu’en nous excluant de l’histoire comme elles le font depuis trente ans, les pensées effondristes ou les identitaristes ont fait voler en éclat le récit commun de l’humanité, celui qui permet à la fois de se reconnaître des héritages mais aussi de les critiquer et d’ouvrir sur un autre avenir.

Les attentats puis la Covid ont, dites-vous, développé la culture américaine du «  safety system  ». A défaut d’être à l’abri nulle part, il faudrait pouvoir se préserver de toute agression psychologique dans la vie quotidienne…

Cette tendance s’est radicalisée avec la culture «  woke  » où les individus sont mis dans des «  bulles  », en situation de quasi-isolement afin de ne pas se sentir «  agressés  ». C’est le comble des dérives identitaires. Que sont les relations humaines, sinon des relations où chacun se frotte aux autres pour le meilleur et pour le pire ? Les relations, nous le savons, ne vont jamais dans un sens. Nous aimons, nous nous séparons. Nous naissons, nous mourons. C’est le sens même de la vie.

Doit-on organiser un hommage aux victimes de la Covid ?

Il faudra du temps pour prendre la mesure de l’événement. Et si l’on décide de commémorer, que faudra-t-il commémorer ? Sous quel prétexte ? La dette d’une société qui n’aura pas su préserver ses citoyens d’une mort possible ? Cette commémoration sera-t-elle une forme de repentance, celle de gouvernements qui n’auront pas su prévoir la pandémie ? Mieux vaut en tirer des leçons pour l’avenir et comprendre l’importance qu’il y a à anticiper et, pour cela, à investir dans la matière grise, la recherche. Evitons le culte d’une mémoire mortifère, même si les morts ne doivent pas être oubliés.

«  Je comprends la colère de la communauté juive dans l’affaire Sarah Halimi mais elle s’exerce à mauvais escient (..). On confond justice, politique et opinion.  »

L’histoire, son enseignement, est au centre de controverses aujourd’hui. Faut-il revenir au «  roman national  » ? Au contraire, « d’une certaine manière déconstruire notre propre histoire », comme l’a dit récemment Emmanuel Macron à la chaîne américaine CBS ?

Revenir au roman national n’a pas de sens. Par ailleurs, si le président avait à l’esprit la possibilité pour les Français de se reconnaître dans un récit multiple et partageable, c’est une bonne chose. L’histoire n’est pas un récit mono causal du passé. Elle n’aboutit pas à l’expression d’une vérité unique mais elle n’est pas non plus relativiste. Comme le disait Raymond Aron, elle est plurielle et pluraliste. Tel est le but de ce qu’on a coutume d’appeler aujourd’hui « l’histoire globale » quand elle n’est pas idéologique.

Vous êtes l’auteure de «  Les Juifs et la modernité  » (Albin Michel, 2018). L’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Sarah Halimi vous choque-t-il ?

Il ne me choque pas et ne doit pas le faire car comme citoyenne française et juive, et en dépit des leçons de l’histoire, je crois aux institutions. Je plaide même pour elles dans mon ouvrage. Il faut se garder en l’espèce de confondre la justice et le sentiment de justice. Je comprends la colère de la communauté juive, mais elle s’exerce à mauvais escient même si on doit bien entendu prendre en compte les sentiments de la famille de Sarah Halimi. On confond justice, politique et opinion. Si le pouvoir politique veut intervenir, c’est là qu’il doit le faire, en cessant d’euphémiser les discours, en appelant un « chat » un « chat ». Nos institutions meurent de la lâcheté des politiques qui rangent dans les tiroirs le rapport Obin (sur les atteintes à la laïcité à l’école) et désignent les immigrés comme des victimes au lieu de les intégrer dans le paysage national.

La «  Lettre des généraux  » qui appelle à une «  intervention de l’armée  » pour mettre fin au «  délitement  » du pays est approuvée par 58 % des Français (sondage Harris Interactive/LCI). Que cela vous inspire-t-il ?

Là encore, chaque institution doit rester à sa place et on ne peut que s’inquiéter, à l’horizon de la présidentielle de 2022, de voir les Français appeler de leurs vœux la venue au pouvoir d’un homme fort. Cela prouve qu’ils ont oublié l’histoire.

 

 Source: L'Opinion





B) La Dérive identitariste avec Jean Bernabé

Pour le linguiste cognitiviste qu’est Jean Bernabé, le langage n’est pas qu’un outil de communication qui sert à rendre compte d’un rapport cognitif au monde que nous aurions a priori et dont il ne serait qu’un effet actualisé. Il est, ainsi que l’ont montré par ailleurs les ethnolinguistes, le cadre transcendantal – au sens kantien du terme – à l’intérieur duquel s’inscrit nécessairement notre système cognitif façonné par sa structure même. Si bien que les dérives linguistiques sont toujours des dérives cognitives qui entretiennent entre elles un rapport dialectique, dans la mesure où l’être humain pense « tout en étant aussi “pensé” par son inconscient », selon un mécanisme de relations théorisé par Lacan sous le sigle RSI (réel/symbolique/imaginaire).

À partir de ces prémisses, l’auteur, convoquant à la fois la linguistique, la philosophie et la psychanalyse, examine l’emploi qui est fait aujourd’hui du concept d’identité dans l’usage social courant, en particulier dans les médias, pour y relever une série de glissements dommageables susceptibles de conduire aux pires dérives identitaristes (idéologie revendiquant pour les peuples et communautés une identité supposée essentielle et immuable), avec ses corrélats bien connus que sont le chauvinisme, le racisme, le communautarisme, la xénophobie qui nourrissent la plupart des conflits dans le monde.

 Le premier chapitre de l’ouvrage pose les bases théoriques de la thèse défendue par Jean Bernabé. Constatant que l’identitarisme est généralement combattu à partir d’une posture moralisatrice peu efficace (idéologie contre idéologie), l’auteur entend se situer sur un autre plan, celui d’une analyse rationnelle des concepts véhiculés par la langue. Partant d’une démarche résolument étymologique, ce qui est logique de son point de vue puisque, dans une perspective cognitiviste, l’histoire de l’évolution des concepts ne peut être retracée qu’à partir d’une source linguistique, il s’appuie sur la distinction faite par Paul Ricœur dans Soi-même comme un autre1, entre les termes latins ipse et idem pour mieux définir les contours du concept d’identité qui, dans ses usages, peut renvoyer tantôt à l’un tantôt à l’autre avec toutes les ambiguïtés découlant de cette double valeur sémantique.

Une telle distinction a conduit le philosophe à créer deux néologismes discriminants, tous deux impliqués dans le concept d’identité, celui d’ipséité et celui de mêmeté, auxquels Jean Bernabé associe respectivement les propriétés d’évolution et d’impermanence, d’une part, et d’invariance et de permanence, d’autre part. Pour lui, le noyau même du concept d’identité ressortit à celui de mêmeté. Il ne saurait par conséquent s’appliquer à des entités collectives par nature plurielles et donc diverses au sein même de l’ensemble qui en réunit les unités individuelles au nom d’un certain nombre de propriétés communes. L’histoire nous montre en outre, de façon évidente, que les cultures de ces communautés ne sont pas des essences immuables et qu’elles sont soumises à évolution. Tout au plus, pour rendre compte de ce qu’elles peuvent avoir de particulier à un instant « t » de l’histoire, peut-on parler à leur propos de spécificité, état ethnoculturel qui est quant à lui variable en fonction des aléas de l’histoire. Dans la mesure où l’analyse de Jean Bernabé accorde une importance capitale à l’étymologie, le terme n’est pas choisi au hasard puisque ce substantif, de par son origine latine, renvoie au concept d’espèce et non à celui d’individu. 

À partir de cette distinction fondamentale entre ipséité et mêmeté, Jean Bernabé explore toute une série de paires oppositionnelles qui lui sont implicitement subordonnées, telles que virtuel/actuel, abstrait/concret, matériel/immatériel, idéalisme/matérialisme, intrinsèque/extrinsèque, transcendance/immanence, absolu/relatif, essentialisation/réification (…) dont les emplois pervertis ou la confusion dans les usages qui en sont faits viennent complexifier encore les amalgames inhérents au concept d’identité.

Après ces considérations théoriques, les chapitres suivants sont surtout des chapitres d’illustration. L’auteur commence par explorer tous les domaines de la vie sociale où, faute de la clarification conceptuelle exposée dans le chapitre I, l’utilisation abusive du terme identité appliqué à des collectivités favorise une dérive « essentialiste » laissant entendre que des communautés auraient de toute éternité une identité en soi, portée par leur langue, leur religion, leur régime politique, leurs coutumes, voire leur prétendu déterminisme racial…

Puis, il se fait un plaisir de recenser et d’analyser un grand nombre d’exemples médiatiques qui, en parlant d’identité collective à propos de groupes, déterminés par leur appartenance biologique (en particulier sexuelle), géoculturelle, religieuse etc., font le lit de l’identitarisme. Ces exemples concernent non seulement ceux qui sont en toute conscience d’idéologie « identitariste », dans le sens sectaire du terme, mais aussi – et c’est peut-être là le plus intéressant – les militants anti-identitaristes qui ont une conception ouverte et plurielle d’une identité conçue comme collective. En ayant recours en toute bonne foi à ce concept d’identité collective, utilisé de façon positive comme vecteur d’enrichissement entre les peuples, en lieu et place de celui de spécificité ethnoculturelle, ils n’en accréditent pas moins, selon Jean Bernabé, une interprétation de l’identité propice à une dérive essentialiste. En toute honnêteté, l’auteur ne néglige d’ailleurs pas de faire sa propre autocritique à propos de l’ouvrage dont il est le co-auteur (avec Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant) : Éloge de la créolité2. Il se fait à lui-même le reproche de ne pas avoir été assez vigilant à l’époque, tombant dans le travers qu’il dénonce aujourd’hui quant à l’usage du terme « identité ».

Passant en revue les positions d’un certain nombre de journalistes, d’hommes politiques, d’écrivains et d’intellectuels, il montre qu’avec la meilleure volonté, la plupart adoptent sur cette question une position qui est loin d’être totalement clarifiée. Deux exceptions notables : le socio-anthropologue Edgar Morin3 et le philosophe Michel Serres4, à propos desquels Jean Bernabé souligne, citations à l’appui, la proximité de leurs thèses avec les siennes qu’il développe encore plus radicalement.

L’auteur étant antillais, rien d’étonnant à ce que son dernier chapitre, sous le titre « Les avatars de la domination coloniale et la formation des spécificités guadeloupéenne, guyanaise et martiniquaise », traite le sujet abordé tout au long de l’ouvrage en se focalisant sur cet ensemble géopolitique où l’histoire a rendu cette question particulièrement brûlante et complexe.

Dans sa conclusion, Jean Bernabé propose logiquement, compte tenu de ses analyses précédentes, de remplacer l’expression « identité des peuples », qui fait aujourd’hui florès mais dont il a démontré l’ambiguïté dangereuse, par celles, à ses yeux plus adéquates, de « spécificité ethnoculturelle » ou de « singularité des peuples ». Cette modification linguistique, pour ne pas rester une question de mots sans incidence sociopolitique, devra s’appuyer sur une conscience historique qui, des pérégrinations de l’Homo sapiens aux migrations contemporaines consécutives aux impérialismes et néocolonialismes de tout poil, questionne en permanence ces spécificités et met en lumière la relativité, à l’inverse exact d’une catégorie essentielle. L’auteur avance l’hypothèse que cette illusion de l’essentialité identitaire des peuples, entraînant une confusion entre « identité », qualité propre à un individu, et « spécificité », propriété des groupes humains, remonterait probablement à une époque où, la mondialisation des échanges étant moins répandue et moins rapide qu’aujourd’hui, une relative autarcie des sociétés rendait leur évolution peu perceptible. Ce n’est évidemment plus le cas de nos jours où la confrontation brutale de cultures très différentes favorise la méfiance de l’Autre et les replis communautaires. L’éducation doit jouer un rôle capital pour combattre ce phénomène, non pas seulement au nom d’une posture moralisatrice, mais par un cheminement « vers une meilleure compréhension du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique [la trilogie lacanienne], registres constituant l’ontologie au niveau de la vie quotidienne des peuples » (p. 173).

L’ouvrage est précédé d’une préface de Jean-Rémi Lapaire, professeur de linguistique cognitive à l’Université Bordeaux-Montaigne, qui montre la pertinence d’une approche de la question sous l’angle de la linguistique cognitive. Il est également enrichi de trois textes en appendice qui font chacun écho aux réflexions de Jean Bernabé. Dans les deux premiers, Robert Saé et Maurice Laouchez, tous deux membres du collectif Kolétetkolézépol, examinent la portée des thèses avancées à la lumière du combat pour l’émancipation des peuples colonisés, notamment dans le monde caraïbe. Jean-Luc Bonniol, anthropologue et historien, professeur émérite de l’Université d’Aix-Marseille, signe le troisième, dans lequel il propose quelques réflexions pour éclairer la naissance de l’illusion essentialiste associée au terme d’identité, concomitante de sa récente fortune dans le langage politique. Cette analyse est particulièrement intéressante car elle ne se contente pas de valider les propositions de l’auteur de l’ouvrage, elle les complète par une réflexion personnelle, nourrie de celle d’autres anthropologues et sociologues, sur la polysémie du terme « identité » envisagée sous un angle relativement peu développé par Jean Bernabé.

Au terme de la lecture de cet ouvrage, se posent deux questions, celle de la cohérence de la démarche et celle de son efficacité sociale dans la mesure où il se veut militant.

Pour ce qui est du premier point, on ne peut que constater la cohérence interne de la démonstration à partir du moment où l’on accepte les prémisses du raisonnement : si l’on admet avec l’auteur que le terme identité formé sur le mot latin idem auquel il doit sa morphologie, relève de la catégorie ontologique de l’« essentiel » et désigne une propriété immuable de l’individu qui demeure quels que soient les changements que son histoire peut lui faire subir (la mêmeté de Ricœur), il est certain que son usage ne peut effectivement s’appliquer qu’à des entités individuelles et est à bannir pour ce qui est des groupes aux individualités diverses, soumis aux aléas de l’histoire et à propos desquels l’idée de conscience collective n’est qu’une métaphore. Parler à leur propos d’identité collective est un abus de langage conduisant aux dérives essentialistes de l’identitarisme.

Un tel positionnement fait toutefois bon marché des différents emplois du mot idem en latin. Celui-ci ne sert pas seulement en effet à désigner la permanence de telle ou telle propriété d’une entité individuelle sur un axe diachronique où l’idée de similitude ne porte que sur une succession d’instants « identiques » les uns aux autres. Il s’emploie aussi au premier chef pour exprimer la similitude d’une entité par rapport à une autre. En ce sens, en reconnaissant différents objets comme « identiques », il renvoie à la notion d’homologie qui fonctionne bien en anthropologie en créant des typologies modales de civilisation5, ou en ayant parfois recours à la notion d’universaux de culture. Il est peut-être dommage que, dans un ouvrage dont l’objectif affiché est de traiter d’anthropologie culturelle et politique, cette voie sémantique de l’homologie véhiculée par le terme idem et son corrélat identique n’ait pas été davantage explorée à propos des contacts de culture. De son côté, le concept porté par le terme latin ipse est sans doute capable de transcender davantage l’histoire de l’individu que ne le suggère l’auteur. Ne peut-on faire l’hypothèse que ce concept est capable d’exprimer une certaine permanence dans la conscience qu’on a de soi (le self anglais), ce qui ne saurait être totalement étranger au concept d’identité vécue comme un état subjectif ?

À ce propos, on peut se demander si la proposition de Jean Bernabé de remplacer l’expression « identité des peuples » par « spécificité ethnoculturelle » relève d’une équation sémantique dont le deuxième terme correspond simplement à une façon plus juste de désigner un même référent. Pour moi, l’une et l’autre expression ne renvoient pas à la même chose. L’expression « spécificité ethnoculturelle » correspond à un point de vue de l’extérieur qui recherche l’objectivité, même si l’on sait bien que cet horizon ne peut être atteint. C’est le point de vue du scientifique, sociologue, anthropologue (etc.) qui étudie une société. La notion d’« identité culturelle des peuples », pour fantasmatique qu’elle soit, correspond en revanche à un point de vue subjectif vécu de l’intérieur : peu importe qu’il coïncide ou non avec la réalité ; on sait depuis longtemps que ce que les sociologues relèvent des comportements objectifs des groupes ne correspond que rarement au stéréotype idéel que s’en font les membres qui les composent. Il n’empêche que les deux points de vue existent et ne sont pas superposables. Parler de « spécificité ethnoculturelle » pour désigner la conscience stéréotypée et commune de leur singularité en tant que groupe qu’ont une partie significative des membres d’une communauté, n’est-ce pas justement mal nommer les choses et trahir quelque peu la citation de Camus que Jean Bernabé a mise en exergue de son chapitre I : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » ?

Si des communautés pensent avoir une identité collective faut-il, au prétexte qu’il s’agit d’une illusion dangereuse, occulter cette réalité idéelle en la bannissant du langage et en remplaçant les termes et expressions qui en rendent compte par d’autres expressions qui renvoient en fait à une autre réalité ? N’est-il pas plus salutaire d’acter le fait que ce point de vue illusoire existe et de travailler à montrer ce qu’il a de fallacieux dans sa vision essentialiste, ainsi que Jean Bernabé le fait justement très bien et utilement dans son livre, arguments linguistiques et philosophiques à l’appui. C’est pourquoi, pour ma part, plutôt que de préconiser le bannissement du mot « identité » lorsqu’il est appliqué à des groupes, je recommanderais un encadrement systématique de son emploi de la part des intellectuels et acteurs médiatiques à qui Jean Bernabé s’adresse dans son ouvrage. À eux la charge de faire comprendre, dans le sillage de Lévi-Straussque l’identité est « une sorte de foyer virtuel auquel on [peut] se référer pour expliquer certaines choses, mais qui n’a pas d’existence réelle »6 et que ce concept ne peut qu’être métaphorique lorsqu’il renvoie à des groupes.

Ces considérations n’invalident pas le principe du combat militant pour ne pas se laisser piéger par les mots et leurs dérives sémantiques entraînant des confusions cognitives. On sait qu’il s’agit d’un combat long et difficile car l’usage, surtout à notre époque de médiatisation à outrance, est souvent plus puissant que les intellectuels (linguistes, philosophes) qui entendent légiférer en la matière pour plus de cohérence. On a cependant des exemples d’actions militantes qui ont eu quelques incidences sur l’usage de certains termes, au moins dans leur emploi officiel : ainsi en va-t-il de mots comme « race » ou « schizophrène ». Cependant, la voie est étroite entre l’exigence de vérité de la démarche philosophique et les vertueuses postures du « politiquement correct ». Puisse le livre de Jean Bernabé, par la richesse et la profondeur des analyses qu’il propose, contribuer à combattre la dérive identitariste par un usage plus juste du mot « identité ».

Notes

1 Paris, Le Seuil, 1990 (« Points Essais »).

2 Paris, Gallimard, 1993 [1988].

3 Cf. Edgar Morin, La Méthode, 5. L’humanité de l’humanité : l’identité humaine, Paris, Le Seuil, 2001.

4 Cf. Michel Serres, L’Incandescent, Paris, Le Pommier, 2003 (« Essais »).

5 Cf., par exemple, Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005 (« Bibliothèque des sciences humaines »).

6 Cf. Claude Lévi-Strauss, ed., L’Identité. Séminaire interdisciplinaire, Paris, Grasset, 1977 : 322.

Pour citer ce document

Référence papier

Jean Derive, « Jean Bernabé, La Dérive identitariste », L’Homme, 222 | 2017, 159-162.

Référence électronique

Jean Derive, « Jean Bernabé, La Dérive identitariste », L’Homme [En ligne], 222 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 02 mai 2021. URL : http://journals.openedition.org/lhomme/30439 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lhomme.30439 

Auteur

Jean Derive

Du même auteur

 



 

- C)  « L'identitarisme condamne ses fidèles à une aliénation perpétuelle »

Dans « La Dictature des identités », Laurent Dubreuil pointe la dérive identitariste qui s'empare des universités américaines et gagne désormais la France.

Les Métamorphoses du poète latin Ovide interdites d'enseignement car menaçant « l'espace sécurisé » de certains étudiants ? Un plat vietnamien servi dans une cantine universitaire débouchant sur une accusation d'« appropriation culturelle » ? Des remises de diplômes en marge des cérémonies officielles et destinées aux « lavandes » (lesbiennes, gays, transgenres…) ? Bienvenue dans le joyeux monde de l'identitarisme triomphant ! Avec La Dictature des identités, Laurent Dubreuil, professeur à l'université de Cornell, revient avec humour et férocité sur les multiples revendications identitaires qui débordent les limites des seuls campus américains et sont, selon lui, autant de micro-totalitarismes en devenir. Entretien.

Le Point : Vous dénoncez dans votre ouvrage la mise en place d'un « despotisme démocratisé », qui serait désormais exercé par des minorités se réclamant d'identités multiples. N'est-ce pas un terme trop fort ?

Les Métamorphoses du poète latin Ovide interdites d'enseignement car menaçant « l'espace sécurisé » de certains étudiants ? Un plat vietnamien servi dans une cantine universitaire débouchant sur une accusation d'« appropriation culturelle » ? Des remises de diplômes en marge des cérémonies officielles et destinées aux « lavandes » (lesbiennes, gays, transgenres…) ? Bienvenue dans le joyeux monde de l'identitarisme triomphant ! Avec La Dictature des identités, Laurent Dubreuil, professeur à l'université de Cornell, revient avec humour et férocité sur les multiples revendications identitaires qui débordent les limites des seuls campus américains et sont, selon lui, autant de micro-totalitarismes en devenir. Entretien.

Le Point : Vous dénoncez dans votre ouvrage la mise en place d'un « despotisme démocratisé », qui serait désormais exercé par des minorités se réclamant d'identités multiples. N'est-ce pas un terme trop fort ?

Laurent Dubreuil : Le terme de « despotisme démocratisé » est sans doute fort. Vu les circonstances actuelles, il ne l'est hélas pas trop. Je vois dans le despotisme une pratique politique organisée qui, reposant sur l'arbitraire, la violence, l'exclusion et la censure, ne saurait remettre en cause sa propre légitimité. Le despotisme est traditionnellement le fait d'un souverain ou d'un parti. L'actuelle forme identitaire, que je dénonce, « démocratise » la dictature en la mettant au niveau de tout le monde. Dans ce régime en formation, chaque identité se fonde d'elle-même, elle se connaît et se reconnaît à des traits qui lui seraient « propres », elle ne saurait être discutée, elle jouit de droits exclusifs, y compris celui de réduire au silence celles et ceux qui ne se conforment pas à sa petite dictature. Les « réseaux sociaux », avec leurs oukases, leurs manifestations de groupe et leur verbiage soliloquant, offrent l'idéale plateforme pour l'expression coordonnée de ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari nommaient des « micro-fascismes ».

Pour vous, la logique de victimisation et la souffrance comme marque identitaire emprisonneraient ceux qui s'en réclament. Mais un mouvement comme #MeToo a surtout eu de nombreuses vertus, non ?

Partout dans l'expérience humaine se trouvent de la souffrance et des victimes. Je n'appelle pas à faire comme s'il n'était rien de négatif. Ce que je dénonce, c'est le piège de l'identité politique contemporaine, qui finit par installer chacune et chacun dans une douleur devenant l'alpha et l'oméga de son existence. À force de définir chaque identité par une victimisation sans cesse renouvelée, on ne peut plus séparer l'oppression de ce que l'on est : renoncer à la souffrance reviendrait à se trahir. Ainsi, l'identitarisme condamne ses fidèles à une aliénation perpétuelle, éventuellement agrémentée de menus moments de vengeance, et à une reconduction d'ensemble de la domination politique, sous le couvert de « rééquilibrages ».

Il n'est pas étonnant que règne l'hypocrisie.

Le mouvement #MeToo était beaucoup de choses à la fois. Une prise de parole à l'encontre des violences sexuelles a plus d'une « vertu » (pour employer votre mot). Mais une telle parole peut être proférée sans ratifier pour autant le mythe d'une identité masculine ou l'équation entre l'expérience féminine et celle du viol. On peut en outre s'interroger sur la fausse spontanéité de la parlure électronique qui passe pour le synonyme d'un mouvement sociétal. Il est quand même intéressant que le hashtag #MeToo dise, dans l'ordre : 1) l'inscription du marquage électronique (le signe dièse) en ouverture de phrase ; 2) l'expression du moi ; 3) la redéfinition de ce moi en fonction d'une donnée qui lui préexiste et qu'il répète (« moi aussi »). La juste dénonciation de la « domination masculine » prend ainsi, via Twitter, un tout autre aspect et sert à résumer la production informatique de sujets psychiques déjà configurés selon des situations jugées cruciales.

Vous soulignez l'hypocrisie de certains théoriciens, comme Judith Butler, qui, tout en défendant une identité fluide, avec laquelle on pourrait jouer, appuient également les revendications de ceux qui se réclament d'une identité naturalisée, voire racialisée. 

Si nous sommes bien face à une dictature en voie de cristallisation, il n'est pas étonnant que règne l'hypocrisie. J'ai de nombreux collègues en ce moment qui – me témoignent-ils en privé – rejoignent mes analyses. Pourtant, ils ne seraient pas vus en public en train de critiquer le moindre aspect du dogme identitaire. Quand Judith Butler signe un texte qui condamne une jeune enseignante voulant prendre la défense des « transraces », l'auteure de Trouble dans le genre est prise la main dans le sac. Butler, qui, officiellement, présentait le queer comme alternatif à la politique d'identité, ne semble guère gênée par les idées que véhicule la pétition, et qui voudrait qu'on naisse plus ou moins transgenre, que la race (voire l'affiliation religieuse) s'hérite, etc. Le problème supplémentaire, à mon sens, tient au fait que Butler n'a en réalité jamais été aussi critique de l'identité que ce qu'elle prétendait, ainsi que je le montre dans mon livre. Je sais que ce dernier propos peut surprendre en France, où le mariage et la manif dits « pour tous » ont provoqué des querelles illusoires pour ou contre la prétendue « théorie du genre » et où Judith Butler est l'héroïne du progressisme genré. Mais je renvoie à la lecture que je livre dans La Dictature des identités et j'ajoute qu'une des causes de la difficulté présente tient à tout un ensemble de faiblesses et de complicités conceptuelles dans le système d'intellectuels comme Judith Butler.

D'après votre analyse, cette montée des revendications identitaires est indissociable de la révolution numérique et du développement des réseaux sociaux.

La politique d'identité n'a pas attendu les réseaux sociaux pour advenir. À certains égards, l'identitarisme se contente de faire revenir le pire de la politique ordinaire. Mais l'enrégimentement électronique des esprits et des discours est un phénomène qui change la donne. Le capitalisme est désormais technologique, communicationnel et mondialisé. À ce titre, ce qui passe « aux États-Unis » est instantanément transféré et multiplié sur le réseau et il n'appartient, dès lors, plus à tel ou tel pays. Bien que l'identitarisme conserve ses foyers localisés (comme le campus américain), il circule à la surface du globe, il se dissémine, il essaime. Fondamentalement, ramener la vie au connu, catégoriser les personnes, réduire le champ des possibles à des choix donnés, restreindre la création sont autant de projets en phase avec le dessein de commerce et de contrôle des technologies dominant Internet. On y utilise des algorithmes assez sales et assez frustes, qui ont besoin de schématiser toute chose : l'identitarisme est parfaitement adapté à une pareille tâche.

Trigger warnings (« avertissements »), safe space (« espace sécurisé »), cultural appropriation (« appropriation culturelle »)… Cette novlangue au service de l'identitarisme accrédite-t-elle la montée d'un despotisme d'un genre nouveau ?

La novlangue a, en effet, son côté 1984. On pourrait également citer la modification de l'allemand sous le nazisme, que le philologue Victor Klemperer avait étudiée sous l'appellation de Lingua Tertii Imperii. L'origine de nombreux termes comme safe space, micro-agression, trigger warning est à puiser dans un dialecte de l'anglais (le « globish ») qui situe assez Internet comme le lieu de provenance de la phraséologie nouvelle. Avec ces termes qui prolifèrent, on a peut-être moins affaire à un langage qu'à un codage, qu'à un cryptage : au lien de faire sens, le lexique devient une série de mots d'ordre, de commandements en vue de la production de tel ou tel comportement. Je parle dans mon livre de « sociodrones » pour toutes ces pratiques automatiques de dénonciations, d'éloges, de prohibitions en régime identitaire. La novlangue en question serait en ce sens un index d'attitudes et de discours tout faits.

Rejoindriez-vous l'analyse de votre collègue de l'université de Columbia Mark Lilla qui a reproché à cet identitarisme de fragmenter les luttes et de renoncer à des revendications communes, ce qui aurait notamment facilité la victoire de Donald Trump face aux démocrates ?

La critique de l'identitarisme comme obstacle à la « convergence des luttes » est une idée ancienne, et toujours valide. Dans le tract de 1977, qui, semble-t-il, est le plus ancien emploi écrit de l'expression identity politics, les militantes afro-américaines du groupe Combahee River mettent déjà en garde contre le risque d'une méprise et le virage vers ce qu'elles nomment le « séparatisme ». En d'autres termes, dès le début de la politique d'identité, y compris parmi les personnes qui promouvaient cette position, le péril d'une fragmentation était repéré. Dans les années 1990, lors du deuxième essor américain de la politique d'identité, la critique est formulée de nouveau, cette fois de manière extraordinairement développée. Ce débat, à l'intérieur de la gauche et de l'extrême gauche, est une raison pour laquelle on assistera à un net reflux de l'identitarisme aux États-Unis un peu avant les années 2000.

La victoire « idéologique » de Trump résulte aussi du triomphe d'une logique identitaire.

Les autres causes du ressac sont, à la même époque, l'attaque (généralement de droite) contre le « politiquement correct » et aussi cette tendance, proprement américaine, à aller si loin dans une pratique collective destructrice qu'un sentiment d'erreur s'impose. Il suffit de songer ici aux procès de Salem au XVIIe siècle, aux excès du maccarthysme, à la quasi-unanimité pour la seconde guerre en Irak, etc., qui, tous, seront ensuite reniés par la majorité, naguère enthousiaste. Cette dernière tendance sociale est l'une des rares sources d'espoir pour un avenir non identitaire, d'ailleurs. Pour en revenir à l'argumentation de Mark Lilla, elle est donc assez « habituelle ». Seulement, regardez combien elle est désormais isolée : la gauche américaine a largement abandonné la critique de l'identitarisme. En parallèle – et c'est l'une des nouveautés de la configuration présente –, la droite, à commencer par Trump, a soudain embrassé le verbiage des identités navrées. L'homme blanc hétéro, nous dit-on, est une minorité (ce qui, numériquement, est vrai), une victime, qui a des caractères inchangeables, etc. L'action politique est alors reconfigurée au nom de ces attributs, qu'un mur doit « protéger » dare-dare. La victoire « idéologique » de Trump ne résulte donc pas seulement de la « fragmentation des luttes », mais aussi, voire d'abord, du triomphe d'une logique identitaire d'un bout à l'autre de l'échiquier politique.

Vous montrez que les premières victimes de l'identitarisme sont les œuvres d'art. La récente tentative de censure des Suppliantes d'Eschyle à la Sorbonne par des organisations accusant la mise en scène de « racialisme » est-elle la preuve que cet identitarisme a déjà atteint la France ?

Les œuvres d'art sont surtout la cible ultime de l'identitarisme qui, s'il veut tuer en nous toute possibilité de penser et sentir autrement, doit s'empresser d'empêcher l'événement vital que peuvent être un film, un tableau, une sculpture, un poème. Comme je l'ai dit avec insistance, dans mon livre et dans cet entretien même, le milieu idoine de l'identitarisme est électronique et connecté. Il ne saurait donc faire de doute que la dictature dont je parle est à même de déferler partout. Eh oui, la France ne dispose d'aucune immunité contre ces idées. Par ailleurs, l'éloge de « l'identité nationale » dans la politique hexagonale est tout autant identitaire que la volonté d'empêcher les représentations des Suppliantes à cause du crime de blackface...

Là-dessus, la triste ironie de la situation du théâtre de la Sorbonne est que le metteur en scène n'aurait probablement pas été inquiété si, comme tant d'autres avant lui, il avait « blanchi » la pièce d'Eschyle en oubliant que les héroïnes sont décrites comme ayant la peau sombre et l'air « barbare ». La censure agitée au nom de la protection de l'identité noire devient une sorte d'incitation à faire comme si « les Grecs » avaient été sans relation avec les civilisations africaines. Drôle d'antiracisme.

Quels arguments opposer à cet identitarisme qui s'appuie souvent sur des expériences incontestables de violence subie ou de discrimination de tout ordre (racial, sexuel…) ?

La « discrimination de tout ordre » est en effet incontestable. Mais, aux États-Unis où l'identitarisme se porte à merveille, on assiste plutôt en ce moment à certaines régressions évidentes (avec les violences policières à l'encontre les personnes de couleur, par exemple). En réalité, l'identitarisme n'est pas la suite naturelle ou logique de la lutte contre la ségrégation raciale, du féminisme, de l'anticolonialisme, etc. Ce qui se passe est, au contraire, un maintien des discriminations usuelles (voire un renforcement par réaction) qui s'ajoute à l'arrivée de pratiques despotiques identitaires. Assurément, la mise en place contemporaine de l'identitarisme aboutit à une restriction des libertés pour chacune et chacun, un statu quo ou une aggravation des inégalités pour la plupart, et, certes, quelques prébendes pour quelques-uns. Le premier argument à opposer est donc que, si la promotion politique de l'identité a une visée émancipatrice, ce but est manqué. Ensuite, quand un tort est dénoncé, la solution ne saurait jamais être un renversement de la structure d'oppression, mais un refus radical de la situation de domination elle-même. Le corps social en son entier ne gagne rien à ce que soient inversées les injustices (même si d'aucuns préfèrent être « du côté du manche »). Enfin, si nous prétendons vivre en démocratie, le pouvoir ne saurait être morcelé entre divers sous-groupes – quels qu'ils soient – mais doit appartenir au peuple, qui, lui, n'est  pas une identité, mais une entité politique, nécessairement changeante.

Vous enseignez dans une prestigieuse université américaine. Ceux qui se sont élevés contre l'identitarisme dans ce milieu ont souvent été l'objet de violentes attaques, ou ont pu voir leur carrière compromise. Ne craignez-vous pas les conséquences de la parution d'un tel ouvrage ?

Pour l'instant, je suis sans doute relativement à l'abri parce que l'ouvrage n'est disponible qu'en français : en général, le souci identitaire des différences ne va pas jusqu'à la connaissance d'autres langues que l'anglais. En 2017, la publication dans la Los Angeles Review of Books d'un article qui préfigurait ma thèse n'a toutefois pas suscité de réaction bien nette. On va donc dire qu'au mieux ce que je raconte est négligeable puisque sans aucune importance. Au pire, évidemment, on peut s'attendre à des attaques : que je sois empêché d'enseigner par des manifestations devant, ou dans, ma salle de cours ; que je sois relégué symboliquement ; que je n'aie plus d'augmentation de salaire ; que je sois dénoncé publiquement, et ainsi de suite. Nous verrons. Si la crainte (même justifiée) de la censure et de la condamnation fait taire d'avance, la partie est perdue. Je ne me résous pas à ce lâche attentisme.

Laurent Dubreuil, « La Dictature des identités » (Gallimard), 128 pages, 14,50 euros

Source Le Point

 

 

 

 

 





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