Du libéralisme à l’intelligence artificielle : Alain Madelin ne lâche rien !
Cette France « ultra-libérale » est un pays orwellien où les inégalités explosent. Les « ultra-riches » se retranchent derrière des murailles, tandis que les laissés-pour-compte pleurent la disparition d’un État réduit à peau de chagrin.
Madelin y est évidemment présenté sous les traits du grand méchant. Un rôle d’épouvantail que la gauche lui a sciemment collé dès ses débuts en politique. Rarement caricature fut plus vaine. Fils d’un OS chez Renault et d’une dactylo, ayant grandi (comme Eddy Mitchell) sur la colline de Belleville, Alain Madelin s’est élevé par le travail et n’a jamais renié son milieu d’origine.
Un enfant de Belleville
Il l’expliquait déjà devant Thierry Ardisson dans son émission Tout le monde en parle, en 2005 : « On est dans un pays où ceux qui connaissent l’économie ne s’occupent pas des pauvres et où ceux qui s’occupent des pauvres ne connaissent rien à l’économie. J’aimerais marier les deux ! »
C’est toujours son combat, comme il l’explique aujourd’hui à Valeurs actuelles : « La gauche tente de renouer avec le peuple grâce à la taxe Zucman. C’est une vision particulièrement démagogique et archaïque. L’appliquer serait mettre l’économie en panne et dans une société sans croissance, il ne peut pas y avoir de justice sociale. »
Un souci qui transparaissait à l’écran le 14 septembre dernier. Invité de LCI, le théoricien n’a pu retenir son émotion en évoquant, d’une voix soudainement étranglée, le sort des classes populaires : « Vous avez 10 % des Français qui sont à 20 ou 30 euros près. Allez voir une caisse de supermarché enfin de mois et vous verrez des hésitations, pour quelques euros, d’une famille. Ça donne envie de faire quelque chose ! »
Longtemps caricaturé en Cassandre, il fait preuve d’un optimisme étonnant
Ce “quelque chose” s’appelle le projet Kairos. Référence au dieu grec de l’opportunité, celui qui surgit lorsqu’il faut saisir sa chance et passer à l’action. Made lin façonne ses nouveaux projets depuis ses bureaux de la rue de Bourgogne, à deux pas de l’Assemblée nationale. À ses côtés, notamment, ses partenaires de feu “la bande à Léo” : les anciens ministres Gérard Longuet et Hervé Novelli.
Nous ne cherchons pas seulement à sortir de l’impasse actuelle, mais à déverrouiller l’avenir.
Armé d’une curiosité jubilatoire, le cérébral fait pièce à sa réputation de Cassandre : « Je suis très optimiste. Même s’il faudra surmonter bien des difficultés, nous sommes à l’orée des dix années les plus fabuleuses de l’histoire de l’humanité. Grâce aux innovations, nous allons entrer dans l’ère de l’exponentielle, avec un hyper-capitalisme qui va transformer nos sociétés. Voilà pourquoi nous ne cherchons pas seulement à sortir de l’impasse actuelle, mais à déverrouiller l’avenir. »
En clair, Alain Madelin et sa fine équipe s’appliquent à mettre l’intelligence artificielle au service du libéralisme. Il faut le voir, avec des allures de professeur Nimbus, présenter leur nouvel algorithme maison : un outil destiné à tester les arguments libéraux auprès de chaque segment de la population, pour les affiner, les polir, les rendre toujours plus percutants.
Il y a quelque chose de savoureux à observer ce presque octogénaire – entré au gouvernement en 1986 – distribuer des leçons de modernité à un “nouveau monde” qui l’avait oublié depuis sa déroute du premier tour de la présidentielle de 2002, lorsqu’il s’était abîmé à 3,91 %.
Faire turbuler le système
Au sujet de la classe politique du moment, Madelin se montre évidemment sévère : « Il y en a quelques-uns qui se soignent, mais ils ne sont pas tous guéris. » Et de pronostiquer un franc renouvellement dans les années à venir. Sans surprise, David Lisnard, qui lui a succédé dans le rôle de héraut du libéralisme, est celui qui l’intéresse le plus : « Heureusement qu’il est là ! » Sophie de Menthon (Je suis pour David Lisnard, Bernard Cazeneuve, Manuel Valls, Bruno Retailleau… Sans oublier Alain Madelin, qui m’a convertie au libéralisme lorsque j’avais 35 ans.) souligne pourtant ce qui les distingue : « Madelin est un homme d’idées, un macroéconomiste, là où Lisnard est un maire, quelqu’un qui a les pieds sur terre. L’idéal serait qu’ils fassent un ticket ! »
La dirigeante du mouvement patronal Ethic (Entreprises de taille humaine indépendantes et de croissance) se souvient d’un homme aussi détonnant que précurseur : « Je suivais de près Idées action, qui était davantage un mouvement qu’un parti politique, que j’ai contribué à monter avec lui dans les années 1990. Il y avait un côté Macron avant Macron. Je me souviens notamment avoir conseillé Alain Madelin de s’inspirer des réunions Tupperware pour organiser des réunions militantes chez les gens ! »
S’il juge que vous n’êtes pas assez intéressant ou à son niveau, il vous oublie rapidement. Mais lorsqu’on a la chance de le connaître vraiment, on découvre un homme d’une grande générosité intellectuelle, capable de beaucoup de sensibilité et d’un humour surprenant.
Sophie de Menthon fait la description d’un caractère bien trempé : « C’est un homme plutôt froid au premier abord, qui peut parfois sembler méprisant, très conceptuel ou intellectuellement dominateur. S’il juge que vous n’êtes pas assez intéressant ou à son niveau, il vous oublie rapidement. Mais lorsqu’on a la chance de le connaître vraiment, on découvre un homme d’une grande générosité intellectuelle, capable de beaucoup de sensibilité et d’un humour surprenant. »
Notre présent économique confirme ses analyses d’hier
De colloques en débats, Alain Madelin est aujourd’hui un expert réclamé, au point d’être parfois comparé à un prophète. Peut-être parce que notre présent économique confirme ses analyses d’hier. Pour le président du groupe Union centriste au Sénat, Hervé Marseille : « L’homme a pour mérite de toujours assumer une ligne claire. Aux côtés de François Léotard et de quelques autres, il fut dès les années 1980 l’un de ceux qui portaient des idées innovantes et audacieuses, incarnant une sensibilité différente de celle des dirigeants de la droite de l’époque, Chirac et Giscard. »
Frédéric Masquelier, maire Les Républicains de Saint-Raphaël, a ainsi accueilli Alain Madelin, début novembre, lors des Rencontres de l’Avenir, organisées dans sa commune.
Un geste qui tenait lieu d’hommage pour l’édile varois, venu à la politique lors d’un meeting du candidat libéral en 1994, à Nice : « Il fait partie des rares hommes politiques à avoir de vraies convictions, une matrice intellectuelle solide. Aujourd’hui encore, il joue le rôle d’indispensable aiguillon des idées libérales. C’est aussi un homme engagé contre le totalitarisme. Lors des Rencontres de l’Avenir, il a pu discuter avec des descendants de victimes des Khmers rouges, ou encore avec le fils du commandant Massoud. »
À son côté, Madelin s’est recueilli devant le monument dédié aux victimes du communisme, le seul en France, que le maire avait inauguré en août dernier, malgré les protestations fielleuses de la gauche locale. Instant grave, traversé par une idée simple, presque obstinée. La liberté, encore et encore .
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Alain Madelin
Alain Madelin, né le 26 mars 1946 à Paris, est un homme politique français, candidat libéral à l'élection présidentielle de 2002.Biographie
Fils de Gaétan Madelin, ouvrier spécialisé de Renault et d'Aline, femme de ménage, il passe son enfance à Belleville, à Paris.
Choqué par les accords d'Évian, il s'engage dès 16 ans pour la cause nationaliste et devient familier des bagarres avec les militants d'extrême gauche. En 1963 il est à la Fédération des Étudiants Nationalistes où il est responsable de l'action militante. Il sera blessé à l'entrée du lycée Turgot dans une bagarre entre lycéens communistes et membres de la FEN. En 1964, alors qu'il étudie le droit à Assas, il est l'un des fondateurs du mouvement Occident, mouvement étudiant d'extrême droite, avec Gérard Longuet et Patrick Devedjian. Revenant sur cette époque, il déclare qu'il s'agit d'un :
« anticommunisme militant, extrême et passionné, qui a accompagné une bonne partie de ma vie d'étudiant. Et comme à ce moment-là, la France de l'anticommunisme était marginalisée, nous avons été systématiquement confinés à l'extrême droite. En face, ils étaient pour Mao et Pol Pot, pour les Gardes rouges et pour les Khmers rouges. Je ne regrette pas de ne pas avoir choisi ce camp-là.[1] »
Le 12 janvier 1967, Occident opère une action commando contre des militants d'extrême gauche qui distribuent des tracts à la faculté de Rouen. Le commando, dont fait partie Madelin, laisse sur le carreau cinq blessés dont un grave, crâne fracturé et même percé d'un coup de clé à molette. Ironie du sort, ce blessé grave n'est autre qu'un futur journaliste du journal Le Monde, Serge Bolloch.
Les militants d'Occident affrontent les manifestants de mai 68 ; le groupuscule est dissous à l'issue de la crise.
À l'automne 1968, Alain Madelin retourne à la faculté de droit d'Assas, et adhère aux Républicains indépendants de Valéry Giscard d'Estaing. Il obtient une licence de droit. L'avocat prête serment en 1971, mais ne coupe pas vraiment les ponts. Il travaille dans différents instituts et organismes patronaux, notamment avec Georges Albertini, un ex-lieutenant du collaborationniste Marcel Déat, qui fut un des derniers ministres du maréchal Pétain.
Il intègre l'état-major de Valéry Giscard d'Estaing, qui est élu président en 1974. (idem en 1981)
En 1978, Alain Madelin est élu député d'Ille-et-Vilaine et devient vice-président du Conseil régional de Bretagne ; il fait sensation en arrivant sans cravate dans l'hémicycle.
Lorsque la droite gagne les élections législatives en 1986 et que débute la première cohabitation, Jacques Chirac le nomme ministre de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme. Le scénario se répète lorsque la droite gagne les élections législatives en 1993 et qu'Édouard Balladur, Premier ministre de la seconde cohabitation, nomme Alain Madelin ministre des Entreprises et du Développement économique.
Son passage laisse deux traces notables : d'une part les contrats de retraite dit « Madelin », permettant aux non-salariés de se constituer une retraite par capitalisation ; d'autre part une simplification des démarches de création d'entreprise, avec la mise au point du statut d'entreprise unipersonnel (EURL et EARL).
En 1995, Alain Madelin est élu maire de Redon.
Lorsque l'UDF se range derrière Édouard Balladur à l'élection présidentielle de 1995, il choisit de soutenir Jacques Chirac. Élu, ce dernier le nomme ministre de l'Économie et des Finances, mais ses positions le mènent à la démission au bout de trois mois, et il est remplacé par Jean Arthuis. Lors de son passage au ministère, il ne fait pas montre d'un libéralisme excessif : il approuve une hausse importante des impôts ; il signe avec d'autres ministres la Loi anti-Reichman, destinée à empêcher les gens de s’assurer librement en dehors de la Sécurité sociale (loi jamais appliquée en l'état, et rapidement remaniée, puisque contraire aux dispositions communautaires).
À la victoire de la gauche en 1997, il prend la tête du Parti républicain. À l'été 1997, il renomme ce parti Démocratie Libérale.
Il se présente à l'élection présidentielle de 2002, mais ne parvient pas à atteindre le seuil de 5 % des voix qui lui permettrait de se faire rembourser ses frais de campagne : financièrement acculé, il rejoint avec son parti l'UMP en 2002, et se retire rapidement de la vie politique.
La vie post politique
Avec Henri Lepage, il a fondé dans les années 1990 le (futur cyber) Institut Euro 92, qui constitue depuis lors une réserve inestimable d'articles portant sur des sujets aussi variés que la monnaie, l'environnement, la santé, ou encore l'histoire des idées libérales. Il aussi a continué à prendre part à la vie intellectuelle française avec les cercles libéraux.
Il est aujourd'hui avocat au barreau de Paris, divorcé, et a trois enfants.
Depuis novembre 2007, il préside le Fonds mondial de solidarité numérique créé en 2005 sous l'égide du président sénégalais Abdoulaye Wade. En 2011, il a cofondé le fonds de Private Equity Latour Capital.
Il reste un observateur attentif de la vie politique française. À la primaire de la droite en 2016, il soutient Alain Juppé, et manifeste une certaine approbation des propositions d'Emmanuel Macron pendant la campagne de 2017.
En 2025, il s'inscrit sur X (anciennement Twitter).
Fonctions et carrière politique
Mandats électifs
- Député d'Ille-et-Vilaine (1978-1986, 1988-1993 et depuis 1995).
- Parlementaire européen (1989, 1999-2002).
- Conseiller régional de Bretagne (1992-1998).
- Conseiller général du canton de Redon (Ille-et-Vilaine, 1994-1995).
- Maire de Redon (Ille-et-Vilaine, 1995-2001).
Responsabilités exercées
- Ministre de l'industrie, des postes et télécommunications et du tourisme (1986-1988).
- Vice-président de l'Union pour la Démocratie française, UDF (1991-1996).
- Ministre des entreprises et du développement économique, chargé des petites et moyennes entreprises et du commerce et de l'artisanat (1993-1995).
- Ministre de l'Économie et des finances dans le gouvernement Juppé (18 mai-26 août 1995).
- Président de Démocratie libérale (1997-2002).
Sanction disciplinaire
- 02/02/1984 Infraction : « Injures ou menace envers le président de la République française » (Article 73 du Règlement de l'Assemblée nationale) Peine: « Censure simple » (privation pendant un mois de l'indemnité parlementaire). Contexte : pendant le débat portant sur la loi visant le groupe Hersant, François d'Aubert, Alain Madelin et Jacques Toubon avaient mis en cause l'honneur du président François Mitterrand en rappelant les relations que le chef de l'État avait entretenues, au sein d'une revue féminine intitulée Votre Beauté, avec d'anciens responsables du CSAR (la Cagoule).
Publications
- 1984, Pour libérer l'école, l'enseignement à la carte, [lire en ligne]
- 1987, "Non au désarmement idéologique", In: Henri Lepage et Serge Schweitzer, dir., De l'ancienne économie à la nouvelle économie, Librairie de l'Université, Aix-en-Provence, pp297-302
- 1988, "Actualité de Frédéric Bastiat", In: "Un libéral : Frédéric Bastiat", Presses de l’IEP de Toulouse, Rencontres de Sorrèze, 19 et 21 février 1987, ISBN 2-903847-24-10
- 1994, Chers compatriotes... Programme pour un président, [lire en ligne]
- 1995, "Quand les autruches relèveront la tête : entretiens avec Joseph Macé-Scaron et Yves Messarovitch", Paris: Robert Laffont [lire en ligne]
- Traduction en italien en 1997 par Stefania Congia, "Vecchi muri e nuove libertà", Roma: Ideazione
- 1997,
- a. dir., "Aux sources du modèle libéral français", Paris: Perrin
- b. "Préface. Le modèle libéral français", In: Alain Madelin, dir., "Aux sources du modèle libéral français", Paris: Perrin, ppi-viii
- 1999, Le droit du plus faible, [lire en ligne]
Citations
Sur Madelin
- Madelin, - le "grand libéral français", qui restera dans l'histoire de France le ministre des finances qui a le plus augmenté les impôts. (Claude Reichman)
- La démission d’Alain Madelin de son poste de ministre des Finances et de l’Économie est un événement politique majeur dont les conséquences se feront sentir de manière durable. (...). Le ralliement d’Alain Madelin a apporté à Jacques Chirac l’appui décisif dont il avait besoin, grâce au vote d’un grand nombre de Français qui ont vraiment cru au changement, qui ont vraiment pensé qu’on allait enfin mettre fin à la dérive monstrueuse du tout-État et redonner sa place à la discipline de la responsabilité individuelle. Tous ces hommes et ces femmes qui, jour après jour, s’épuisent à produire et à créer en dépit d’obstacles réglementaires et fiscaux croissants espéraient sincèrement la reconnaissance à laquelle ils ont droit. Ils sont aujourd’hui victimes d’une terrible trahison. (Pascal Salin, Le vrai libéralisme: Droite et gauche unies dans l'erreur, 2019)
De Madelin
- "Bien souvent au lieu de réclamer « moins d'État », nous devrions en fait demander «plus de droit ». Telle est la vraie démarche libérale". Alain Madelin, 1997, "Préface. Le modèle libéral français", In: Alain Madelin, dir., "Aux sources du modèle libéral français", Paris: Perrin, pv
Référence
Liens externes
- Mur X / Twitter
- "La modernité de la pensée libérale" texte d'Alain Madelin écrit à la fin du XXème siècle et publié sur le site de Lumières et Liberté par Alain Genestine, le 22 janvier 2008
- "La démocratie redevient libérale", texte d'Alain Madelin, publié le 18 septembre 2009 suite à la sortie du livre de Christian Stoffaës, "Psychanalyse de l’antilibéralisme" en août 2006
La modernité de la pensée libérale....
Par formation, par tradition, le français ne serait pas fait pour un libéralisme qui, par nature, nous-dit on, correspond beaucoup mieux aux particularités historiques et sociologiques du monde anglo-saxon qu'au nôtre.
Il s'agit-là d'une idée reçue. Nous avons perdu de vue le rôle central joué par les auteurs libéraux français des 18ème et 19ème siècles dans la fomation, la conceptualisation et la diffusion des idées libérales. Sans leurs apports, le libéralisme serait sans doute resté une pensée inachevée.
Rien n'est plus habituel, par exemple, que de faire remonter les sources de la pensée économique libérale à Adam Smith. Le philosophe écossais serait non seulement le fondateur de la science économique, mais plus encore le véritable inventeur, le " découvreur " du libéralisme économique. Présenter les choses ainsi occulte tous les apports d'une tradition française qui, tout au long du 18ème siècle, a produit des ouvres essentielles. Elle minimise notamment le rôle fondamental de Turgot dans la formation des concepts de base de la pensée économique libérale moderne. Des travaux scientifiques ont récemment révélé l'ampleur des emprunts qu'Adam Smith avait réalisé auprès de son illustre contemporain français.
De même, on oublie que la grande littérature libérale des Etats-unis
s'inscrit directement dans la tradition d'une école d'économie
politique américaine fondée au début du 19ème siècle par
l'ancien Président Thomas Jefferson sur la base d'un manuel qui
n'était autre que la traduction réalisée par lui d'un ouvrage d'un
auteur français, le comte Destutt de Tracy. Ainsi, bien des
idées qui nous reviennent aujourd'hui d'outre-Atlantique ne sont en
fait que des reformulations et développements modernisés de concepts ou
d'analyses dont les prémisses ont généralement été
posées par des auteurs bien français : par exemple toute l'analyse
moderne des mécanismes de la croissance de l'Etat que l'on retrouve déjà
anticipée chez les auteurs libéraux de la Restauration
(Charles Comte, Charles Dunoyer, Augustin Thierry), et plus encore
chez Frederic Bastiat et les collaborateurs du Journal des Economistes.
Sur un plan scientifique, beaucoup d'économistes seront sans doute étonnés d'apprendre qu'il existe actuellement un courant anglo-saxon qui vise à réhabiliter l'oeuvre de ces économistes français du 19ème siècle en démontrant que leurs jugements se fondaient sur une démarche scientifique incomparablement supérieure à celle de leurs rivaux britanniques, les fameux Manchestériens (Ricardo, Malthus...) présentés dans tous les cours d'université comme les fondateurs, à la suite d'Adam Smith, de la vraie science économique. Alors que ces derniers éprouvaient encore beaucoup de mal à résoudre le problème des origines de la valeur ? et contribuaient ainsi à entretenir les germes de ce qui allait plus tard former le coeur de la doctrine marxiste ?, les économistes français rejetaient déjà résolument les ambiguités de la théorie de la valeur-travail pour adopter (malheureusement sans être encore en mesure de l'expliciter clairement) une conception "subjective" et très moderne de la valeur.
Enfin, il est à la mode d'accuser les libéraux contemporains du
péché d'économicisme, et de leur reprocher de ne plus accorder
suffisamment d'attention aux vraies valeurs de l'Humanisme européen.
En faisant le procés de l'Etat-étouffe-tout, en appelant à la
régression des dépenses publiques, en condamnant les nationalisations et
les excès de l'économie administrée, en dénonçant les abus
de la protection socialisée, en se faisant les défenseur de la
propriété, les libéraux "à l'anglo-saxonne" trahiraient les idéaux
humanistes de leur tradition. Le libéralisme présenterait le
défaut rédhibitoire de conduire à la victoire des comportements
individualistes, au détriment de tout ce qui peut incarner la présence
de valeurs de solidarité ou d'identités collectives.
Ce procès de l'individualisme n'a rien de nouveau. C'était déjà ce
que socialistes et conservateurs reprochaient de concert aux libéraux
français du 19 ème siècle. Les travaux de ces derniers
prouvent pourtant à quel point ce reproche est infondé, et résulte
plus de fantasmes idéologiques et politiques que d'une analyse réelle de
la pensée de ceux qui étaient concernés.
Que Benjamin Constant ou Alexis de Tocqueville échappent
généralement à cette opprobe n'empêche pas que les autres partageaient
le plus souvent la même conviction sur l'importance du rôle des
traditions, du respect des valeurs et des solidarités
communautaires, mais que c'était précisément au nom de la préservation
de celles-ci qu'ils s'attaquaient aux monopole de l'Etat moderne avec
une virulence très souvent bien au-delà de ce que l'on trouve
aujourd'hui dans la pensée libérale même la plus agressive. Excellents
prophètes de ce qui allait s'enchaîner avec l'avènement des
Etats providence contemporains, et en raison même des leçons qu'ils
avaient eux-mêmes tirées de leur expérience révolutionnaire, les
libéraux français du 19ème siècle ont été les premiers à
comprendre que c'est l'excès d'Etat qui conduisait paradoxalement à
l'anomie sociale aujourd'hui si fréquemment mise au débit du
libéralisme.
Les vrais contours du libéralisme
Ces remarques sur l'histoire de la pensée libérale dans notre pays
me conduisent tout naturellement à préciser une nouvelle fois les
contours de cette pensée libérale, ainsi que les contributions
qu'elle apporte tant au progrès social qu'au progrès économique. La
pensée libérale est très souvent assimilée à un certain nombre de
recettes économiques qui asservissent l'homme et le
mettraient au service exclusif des chiffres. En réalité, cela n'a
aucun sens. La pensée libérale, avant d'être une pensée économique, est
une pensée philosophique, juridique et politique de la
libération de l'homme.
Un libéralisme philosophique et politique
Le libéralisme correspond d'abord et avant tout à l'idée que l'homme
est un être moral, un être de conscience, un être libre, libre de faire
le bien comme le mal. Et c'est précisément cette
liberté de choisir en conscience de faire l'un ou l'autre, l'un
plutôt que l'autre, qui fonde sa responsabilité; responsabilité
vis-à-vis de Dieu son Créateur pour les uns, vis à vis des
exigences de sa raison pour les autres. A son tour, c'est parce que
le libéralisme voit d'abord et avant tout dans chaque être individuel ce
qu'il y a de responsable, qu'il en conclue que tous
les hommes sont moralement égaux, et qu'il pose ainsi le principe de
l'égale dignité de tous les êtres humains.
Défini de cette façon, le libéralisme est le produit d'une longue
histoire philosophique qui débute en Grèce il y a vingt cinq siècles,
est ensuite portée par le grand souffle du christianisme,
et se trouve finalement consacré par les déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789, véritable charte des libertés
individuelles. C'est une doctrine qui, par construction, se déclare
l'ennemie irréductible de toutes les thèses qui prônent l'inégalité
des hommes ou des races.
Concrètement, cela veut dire que pour les libéraux il existe
au-dessus de tout pouvoir humain, qu'il soit d'essence autocratique ou
démocratique, une autre loi, fruit de la nature de l'homme, de
son histoire et de notre civilisation, qui s'impose à lui comme à
tous les autres hommes, et qui limite ce qu'il peut naturellement faire ?
par exemple violer les droits des autres. Au nom de ce
principe essentiel je suis de ceux qui considèrent que si 51 % des
français, ou même 99 % votaient la suppression des droits de l'homme,
cela n'empêcheraient pas ceux-ci de continuer à exister,
et donc de s'imposer à tous comme un devoir moral.
Pour moi, c'est d'abord cela être libéral. C'est un refus farouche
de la loi du plus fort; et donc de ramener le droit à la simple
expression du choix des plus forts, ou des plus nombreux.
Un libéralisme juridique
Il s'ensuit qu'aux yeux d'un libéral la démocratie ne peut se
réduire à l'exercice du seul principe majoritaire. La loi de la majorité
doit se trouver équilibrée par un principe de limitation du
pouvoir qui protège les droits des minorités ? à commencer par ceux
de la plus petite de ces minorités, l'individu.
C'est ainsi que la conception libérale de la démocratie repose sur
la présence de limites constitutionnelles délimitant les pouvoirs du
législateur et du gouvernement. Dans la démocratie
libérale, la loi ne saurait se réduire à la volonté et aux caprices
d'une majorité d'un jour. La loi ne peut être que le produit de
procédures complexes où s'inscrit l'héritage accumulé d'une
longue histoire juridique et culturelle.
Le libéralisme est donc une approche des relations humaines et politiques fondées sur la priorité de l'ordre juridique.
Il existe deux méthodes pour assurer l'ordre social : la première
consiste à donner des ordres, à en user et à en abuser, en étendant
indéfiniment le pouvoir des contraintes de l'Etat. La seconde
cherche non pas à commander les hommes au moyen d'une autorité dite
supérieure, mais à établir les droits et les obligations réciproques des
individus. C'est la méthode juridique, la méthode
libérale.
Bien souvent au lieu de réclamer "moins d'Etat", nous devrions en
fait demander "plus de droit". Telle est la vraie démarche libérale.
Un libéralisme économique
L'essor des disciplines macro-économiques nous a habitué à raisonner en termes de "demande", de "capital", "d'investissement", de "productivité"... Mais à manier les équations de plus en plus complexes, nous en sommes arrivés à perdre de vue l'essentiel : à savoir qu' "il n'y a de richesse que d'hommes".
Pour le libéral que je suis, la croissance, l'emploi n'ont en définitive d'autre origine que l'homme, sa liberté et sa créativité. Ce n'est pas dans l'étude de la macro-économie que se trouve le secret de la prospérité économique, mais dans les institutions et la manière dont elles stimulent sa créativité en faisant appel à sa liberté et à son sens de la responsabilité.
A cet égard la référence du libéralisme au "laissez faire" est la source d'immenses malentendus. Ce n'est pas le libéralisme en soi, mais la trahison des grands principes de droit par des Etats qui ne conservent plus que les apparences de l'ordre libéral qui est la cause des grands dérèglements économiques et sociaux.
Historiquement, le "laissez faire, laissez passer" constituait une réaction contre le colbertisme, son dirigisme étouffant, et ses privilèges sclérosants. C'était, prioritairement, un revendication de responsabilité. "Laissez faire, laissez passer", c'était une façon de permettre l'ascension des individus, la liberté d'épanouissement des originalités personnelles.
C'est ainsi une erreur que de laisser croire que la pensée libérale réduit l'homme au rôle de simple agent économique dont la seule fonction serait de produire, de consommer ou d'investir. Pour un libéral, l'économie est d'abord et avant tout faite d'hommes et de femmes plus ou moins incités à faire preuve d'initiative, à entreprendre, à innover, à travailler, à faire preuve de responsabilité dans des structures sociales qui favorisent plus ou moins le meilleur de chacun.
La dimension sociale du libéralisme
Celle-ci est encore plus mal connue. L'étiquette libérale a trop servi dans le passé à couvrir des marchandises frelatées et diverses formes de conservatisme qui n'avaient rien à voir avec le libéralisme.
C'est ainsi que le libéralisme est trop souvent identifié à une absence de générosité sociale, une loi de la jungle où le fort triompherait aisément des faibles. Ce n'est pas exact.
Certes, pour les libéraux, la confiance dans les libertés économiques est le plus sûr moyen pour conduire à la prospérité. Mais les libéraux sont les premiers à reconnaître que s'il y a dans l'homme un besoin de liberté, il y existe aussi bien entendu un besoin de sécurité.
Cette vérité d'évidence, vous la retrouverez très clairement exprimée chez les libéraux français du 19ème siécle. Chez Frédéric Bastiat par exemple, qui a consacré de très belles pages à montrer que le besoin de sécurité est fondamental dans l'âme humaine, et qu'il faut travailler à donner aux hommes les moyens d'assurer leur sécurité car cela ne se fait pas tout seul.
C'est pourquoi les libéraux du 19ème siècle furent les initiateurs de nombreuses institutions de protection sociale sous forme d'assurances ou de sociétés de secours mutuels ; institutions destinées à prévenir la maladie, le chômage, ou la vieillesse, à permettre aux ouvriers de se créer un patrimoine au travers de caisses d'épargne. C'est un libéral, l'économiste Gustave de Molinari, qui, joignant l'acte à la parole, tenta par exemple le premier en France de créer des "Bourses du travail". Bien des expériences et réalisations qui ont marqué l'évolution de notre société et de son environnement social à la fin du 19ème siècle, furent en fait le produit d'initiatives libérales.
La grande différence avec la pensée sociale contemporaine est que les libéraux mettent l'accent sur le rôle prioritaire des associations et du monde associatif. La pensée libérale est une pensée d' équilibre, une pensée qui considère que si l'on veut éviter l'oppression des faibles par les forts il existe une autre voie que le recours à la loi ou à l'Etat : la libre association. Le libéral est quelqu'un qui, à une intervention de l'Etat préfère, chaque fois que cela est possible, une intervention des intéressés eux mêmes, spontanément associés.
C'est ainsi, là encore, qu'au 19ème siècle, ce sont les libéraux qui, en France, demandaient la liberté des syndicats, syndicats libres et libre entreprise étant à leurs yeux deux formes complémentaires d'un même ordre social. Pour autant toutefois que ces syndicats respectent eux-mêmes le jeu des libertés, et n'utilisent pas l'Etat pour passer d'un ordre de contrats volontaires à un nouvel ordre d'essence réglementaire construit sur une pyramide d'alibis quasi-contractuels.
La pensée du 21ème siècle
Pour terminer, je voudrais montrer que ces idées, bien qu'elles soient illustrées par la pensée de gens d'hier, sont en réalité plus actuelles que jamais.
A la veille de notre entrée dans le 21ème siècle, nous sommes en effet confrontés à un formidable changement. Après la révolution agricole, puis la révolution industrielle, voici que se profile la troisième grande vague de changement dans l'histoire de l'Humanité.
La mondialisation de l'économie, la réduction des distances et l'accélération du temps, la révolution des technologies de l'information et de la communication annoncent une nouvelle civilisation. A la civilisation de l'usine va succéder celle du savoir.
Nous vivons la révolution d'une économie globale où capitaux et informations ne connaissent plus de frontières. Une économie où ce ne sont plus seulement les matières premières ou les sources d'énergie qui comptent, mais, de plus en plus, le savoir, le travail, l'organisation. Nous entrons dans un monde où, plus que jamais, ce qui va compter, ce sont les talents, les capacités d'imagination et de créativité des hommes.
Ainsi esquissé, ce 21ème siècle, porte en lui une formidable promesse. Le 20ème siècle a été le siècle des Etats avec ses deux guerres mondiales, puis celui de l'Etat-providence et du pouvoir montant des bureaucraties. Depuis le grand évènement que fut la chute du mur de Berlin, le 21ème siècle apporte au contraire avec lui la promesse d'un monde qui fera davantage confiance à l'homme, d'un monde qui remet l'homme au coeur de la société.
Les nouveaux horizons de la science apportent non seulement de nouvelles chances de prospérité, d'emplois et de croissance, mais encore une croissance d'un type nouveau : une croissance plus soucieuse de l'homme et de son environnement, lui offrant de nouvelles possibilités d'être et d'apprendre. Une croissance créatrice de nouveaux produits, de nouveaux services, donc de nouveaux métiers, et porteuse d'une culture plus accessible.
Simultanément, cette plus grande ouverture au monde suscite un besoin de proximité, la nécessité de repères sécurisants et d'espaces à taille humaine, et la possibilité de s'épanouir au sein de multiples communautés ? dont la plus naturelle reste la famille ?, d'associations volontaires, de solidarités professionnelles et culturelles.
Ce 21ème siècle sera un siècle de citoyens plus libres et plus responsables, plus autonomes mais aussi plus solidaires au sein d'une société de plus grande harmonie; un siècle donnant davantage de place à une société civile infiniment plus riche.
Bien évidemment, je ne dis pas que cette mutation ira sans problème. J'en déduis néanmoins que ce siècle sera marqué par un grand choix libéral, par le retour en force de systèmes de valeurs et de cohésion sociétale beaucoup plus proches des valeurs libérales auxquelles j'adhère que cela n'a jamais été le cas depuis bien longtemps.
Voilà pourquoi il est si important aujourd'hui de renouer avec les racines historiques et intellectuelles du libéralisme, et notamment du libéralisme français, sans doute le plus riche de tous. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de lancer ces premières université populaires libérales, pour mieux faire connaître les sources et les fondements de la pensée libérale, et montrer leur grande modernité.
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