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L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste.
Sommaire:
A) Ces très «chères» associations - Sophie Humann - Le Figaro
B) Financement des syndicats : comment légaliser une (aberrante) situation de fait - Agnès Verdier-Molinié - Samuel-Frédéric Servière - IFRAP
C) L'IFRAP vit sur le dos des contribuables - francois.r1789 - Le blog de francois.r1789
D) Divers liens de l'Université Liberté
Deux ministères augmentent significativement leurs subventions pour 101% de la hausse totale
Le ministère du travail, de l’emploi et de la santé avec une hausse de 362 M€,
Le ministère de la culture et la communication avec une hausse de subventions de 267 M€.
Le taux de renouvellement des associations subventionnées par l'Etat varie fortement par ministère.
La palme de la fidélité revient au ministère du budget, comptes
publics avec plus de 85% des associations présentes en 2011 et 2012.
A l’inverse, on retrouve les deux ministères (Culture et Travail,
Emploi) ayant fait l’objet des plus fortes augmentations des
subventions dans ceux qui ont le plus renouvelé les associations
bénéficiaires.
Agraf - pour la gestion de la restauration des administrations financières
Alpaf - association pour le logement du personnel des administrations financières
Atscaf - association touristique sportive et culturelle des administrations financières
Epaf - éducation et plein air finances
A) Ces très «chères» associations
34 milliards d'euros de
subventions sont accordées chaque année par l'État et les collectivités
locales à 250.000 associations. À l'heure des restrictions budgétaires,
enquête sur l'étonnante opacité qui entoure le financement public des
associations.
Il
existe en France un curieux document. Certains, fiers de connaître son
existence, entourent son nom d'une pointe de mystère ; d'autres, mieux
initiés, chuchotent qu'il est plein d'erreurs... Quelques esprits
chagrins osent même le déclarer inutilisable! Ce document, c'est le jaune budgétaire,
un pavé en trois volumes de 500 pages chacun dressant la liste de
toutes les subventions accordées par l'État à quelque 10.000
associations. Une somme publiée par Bercy tous les deux ans
seulement.Piochant dans le cru 2012, correspondant aux subventions
versées en 2010, on découvre au hasard: «L'Association sociale nationale
des Tsiganes évangélistes: 144.500 euros ; l'Association de
coordination technique agricole: 4.967.439 euros ; l'Académie de billard
de Palavas-les-Flots: 2000 euros ; l'Association de pétanque
livradaise: 95 euros accordés par les services du Premier ministre.»
Parfois, un montant vraiment plus élevé que les autres attire l'oeil. C'est le cas de l'Association nationale de formation professionnelle des adultes (Afpa)
à laquelle l'État a donné très précisément 225.912.988 euros. Près de
226 millions d'euros! «Une aberration juridique», précise Viviane
Tchernonog, l'une des rares chercheuses qui travaillent sur les
associations, au CNRS
et à l'université de Paris 1, car l'Afpa, bras armé de la formation
professionnelle en France, n'a rien à faire dans ce document aux côtés
d'une amicale bouliste ou d'une troupe de théâtre de rue. «Elle ne
devrait pas figurer là, relève Mme Tchernonog, l'erreur devrait bientôt
être corrigée.» Les subventions, elles, sont bien réelles!Aucune
explication, aucune synthèse ne viennent égayer la monotonie de cet
interminable répertoire. Toute l'aberration du système est là, dans
cette accumulation d'informations inutilisables, ce saupoudrage de
données, cette fausse transparence qui masque une volonté d'entretenir
l'opacité.
Même les parlementaires chevronnés n'y comprennent souvent rien et demandent régulièrement à Bercy une amélioration du fameux jaune ainsi que la création d'«une base de données des associations». En vain. «Le jaune budgétaire est
une insulte à la démocratie parlementaire depuis 1962», s'insurge
Pierre-Patrick Kaltenbach, énarque, ancien magistrat de la Cour des comptes, auteur d'Associations lucratives sans but (1995)
et inlassable observateur de la vie associative française. Résultat:
les contribuables financent sans le savoir des dizaines de milliers
d'associations à coups de milliards d'euros. Bien qu'il n'existe aucune
centralisation des données, les chercheurs estiment que l'État, les
collectivités locales et autres structures publiques allouent chaque
année 34 milliards d'euros au secteur associatif, couvrant près de la
moitié de son budget (70 milliards). L'État, selon le centre d'économie
de la Sorbonne, distribue 22,5 % de cette somme, les communes 26 %, les
départements 22,5 %, les Régions 11 %, les organismes sociaux et
l'Europe 18 %.
Les fonctionnaires, premiers servis par l'État
Charité bien ordonnée... l'État se sert royalement. Chaque ministère
entretient à grands frais ses bonnes oeuvres, gérées la plupart du temps
par les syndicats. Rien qu'à Bercy, l'Association pour la gestion des
restaurants des administrations financières (Agraf) a reçu en 2010 un
chèque de 10,3 millions d'euros. On comprend pourquoi toute tentative de
sous-traiter la restauration des agents à un prestataire privé se
heurte à un tollé syndical... L'Association pour le logement du
personnel des administrations financières (Alpaf), qui possède un parc
de plus de 10 000 logements dans toute la France, a perçu une subvention
de 23 millions d'euros. Quant à l'Association touristique, sportive et
culturelle des administrations financières, elle a touché 5,24 millions
d'euros...
«Alors que la proposition de loi Perruchot a tenté d'accroître la
transparence des comités d'entreprise, précise Agnès Verdier-Molinié,
directrice de l'Ifrap, un think tank libéral, rien n'a été mené pour
l'instant concernant les comités d'entreprise publics et leurs
activités sociales.» Certains sont clairement identifiés: le ministère
de la Justice accorde bon an, mal an, 9 millions d'euros à la Fondation
d'Aguesseau, le CE des personnels de la Justice. «Mais la plupart de ces
CE demeurent discrets, voire occultes, et se retrouvent, sans aucune
exhaustivité, au milieu des financements associatifs des ministères,
déplore Agnès Verdier-Molinié. Pourtant, il apparaît que l'État finance
l'action sociale de ses fonctionnaires à hauteur de 931,2 millions
d'euros, tandis que les collectivités locales, pour autant que l'on
sache, accordent à leurs salariés des subventions de l'ordre de 400
millions par an.»
Car aussi indigeste soit-il, le jaune budgétaire a le mérite
d'exister. En revanche, il n'existe aucun moyen d'avoir une vision
d'ensemble des subventions versées par les collectivités locales: les
communes de plus de 3400 habitants sont obligées de dresser une liste
des subventions qu'elles accordent aux associations et de la diffuser
par voie électronique. Mais rares sont celles qui le font et seuls les
bénéficiaires savent ce qu'ils touchent. «Il n'y a pas de fichier
centralisé, précise Stanislas Boutmy, directeur de l'agence de notation
Public Evaluation System, et dans leurs documents budgétaires, les
collectivités locales ne font aucune différence entre les subventions
versées à des associations et celles données aux personnes de droit
privé à but lucratif. Pour s'y retrouver, il faut aller à la pêche dans
les documents annexes!»
Un véritable secteur parapublic associatif
Pourquoi tant de cachotteries? Est-ce parce qu'un tout petit nombre
d'associations touchent un véritable pactole? Pour Viviane Tchernonog,
si 80 % des associations ne reçoivent aucune subvention, «seulement 7 %
des associations reçoivent 70 % des subventions publiques». Même si les
montants qui leur sont accordés tendent à diminuer, les associations
culturelles ont depuis longtemps pris l'habitude de courir après les
subsides publics. Chaque festival de théâtre, de musique traditionnelle,
d'électro, d'opéra, d'arts de la rue... reçoit sa ou ses subventions.
«Les concerts subventionnés ont remplacé les bals de charité, qui, eux,
étaient payants!» souligne, non sans humour, Pierre-Patrick Kaltenbach.
L'Académie Fratellini, qui forme des jeunes à l'art du cirque, a ainsi
reçu pour 2010 391.094 euros de la Région Île-de-France, et 776.925
euros de l'État. Le Festival d'Avignon a perçu 7,86 millions d'euros de
subventions d'exploitation pour 2010, et le Festival d'Aix-en-Provence,
9,3 millions, pour ne citer que des stars...
Les associations de défense des droits bénéficient elles aussi de
confortables subventions qui viennent se superposer aux budgets de
toutes les structures publiques créées au fil du temps. Les Français
financent déjà un Comité permanent de lutte contre les discriminations,
un Observatoire des discriminations, un Observatoire des inégalités (feu
la Halde), un Haut Conseil à l'intégration, une Agence nationale pour
la cohésion sociale et l'égalité des chances. Savent-ils que l'État a aussi donné, par exemple, en 2010, 110.000 euros à l'Afic
(Accueil et formation pour l'intégration et la citoyenneté) pour former
des élèves journalistes à la lutte contre les discriminations et les
préjugés, 125.000 euros à Act Up Paris, 20.000 euros à Ni putes ni soumises, ou qu'il finance encore largement SOS Racisme malgré les déboires de ses dirigeants?
Mais le gros des subventions publiques nourrit le secteur parapublic
associatif, auquel l'État et les collectivités locales délèguent des
missions de service public et qu'ils financent donc en conséquence. Les
associations gèrent ainsi la quasi-totalité de l'aide aux handicapés et
de leur insertion, de nombreuses maisons de retraite, un réseau dense et
efficace d'aide à domicile aux personnes âgées dépendantes, un lit
d'hôpital sur dix, la moitié des crèches, tout le réseau des Udaf
(Unions départementales des associations familiales), des centres de
vacances, de classes de découverte, d'activités
périscolaires-scolaires... Les associations représentent aussi un
cinquième des enfants scolarisés puisque la plupart des écoles privées
sont organisées en associations. Elles font le plus souvent un travail
remarquable pour des salaires inférieurs à ceux des fonctionnaires, des
horaires et une implication bien supérieurs.
Plus rarement, certaines associations sont devenues des instruments
politiques, comme c'est le cas à Paris, ou dans la tentaculaire
confédération de la Ligue de l'enseignement .«Les collectivités n'ont
pas beaucoup de moyens d'intervenir dans l'économie, explique Stanislas
Boutmy. Soit elles font intervenir leur personnel, soit elles font
intervenir un tiers en lui achetant une prestation après l'avoir choisi
par appel d'offres, soit enfin, elles lui donnent une mission et elles
le subventionnent. Les départements financent, entre autres, des
associations de transport scolaire, les collèges privés sous contrat, et
les Régions, les lycées privés sous contrat ou les établissements
d'enseignement supérieur professionnels.» En fait, le recours aux
structures associatives permet aussi aux collectivités locales de faire
des dépenses publiques sans augmenter encore le nombre de fonctionnaires
territoriaux, qui a déjà bondi de plus de 40 % en dix ans!
Un recours systématique aux associations
Ce système va loin. La plupart des syndicats d'initiative, les
comités du tourisme ne sont-ils pas organisés en associations? Les
comités de tourisme reçoivent ainsi plusieurs millions d'euros chaque
année (3,34 millions d'euros pour celui d'Aquitaine en 2009, 3,54
millions d'euros en Alsace en 2010, 6,64 millions d'euros de subvention
de la Mairie de Paris pour son office de tourisme et des congrès). Dans
chaque Région, des structures para-économiques sont organisées en
associations subventionnées, comme l'Agence régionale de l'innovation en
Alsace (1 million d'euros de subvention de la Région en 2010), ou
Airparif (1,5 million de l'Etat).Est-il légitime que de telles
structures soient associatives? «Il n'est pas sain que les collectivités
publiques recourent systématiquement aux associations pour conduire des
activités pour lesquelles d'autres cadres de droit public existent»,
préconisait déjà le député UMP Pierre Morange il y a quatre ans...
«D'une liberté tocquevillienne, on a fait un outil de facilité, une
courroie de transmission pour le pouvoir en place», dénonce encore
Pierre-Patrick Kaltenbach. Depuis plusieurs années, il fait partie du
Comité de la charte du don en confiance, un organisme d'agrément et de
contrôle des associations auquel ont déjà adhéré près de 60 associations
soucieuses de leur transparence financière, de la qualité de leur
communication et de leur action comme le Comité Perce-neige, la
Croix-Rouge française, l'Association Valentin Haüy, les Restos du coeur,
le Secours populaire, les Apprentis d'Auteuil... La grande force de ces
associations est de bénéficier d'une grande visibilité et de garder un
bon équilibre entre salariés et bénévoles, subventions et dons. Un
début. Mais on est encore loin de la transparence instaurée en
Grande-Bretagne depuis 2006, où un Office of the Third Sector,
directement rattaché au Premier ministre, met en oeuvre la politique en
direction des associations et coordonne les actions des différents
ministères. Il dispose d'un rapport annuel fort complet de la Charity
Commission où chaque subvention publique, quelle que soit sa provenance,
est détaillée, expliquée, justifiée. Un exemple à suivre?
B) Financement des syndicats : comment légaliser une (aberrante) situation de fait
Au 31 décembre 2012, les organisations syndicales (patronales et de
salariés) se finançaient sur le paritarisme à hauteur d'environ 110
millions d'euros par an. Le rapport Perruchot étant passé par là, le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale
porte en son sein une réforme du financement paritaire des syndicats.
L'idée des syndicats et du gouvernement est de créer un fonds paritaire
financé en partie par une taxe sur la masse salariale des entreprises
entre 0,014 % et 0,020% avec un financement pouvant monter jusqu'à 138
millions d'euros, subventions publiques incluses [1].
Cette taxe ressemble à une cotisation volontaire obligatoire. Les
entreprises pourront aussi y voir une cotisation forcée aux
organisations syndicales. D'autant plus qu'en dehors de la formation
professionnelle (Fongefor et Preciputs) les montants perçus sur le
paritarisme n'étaient pas sécurisés juridiquement. Une taxe et un fonds
paritaire dont l'idée et la composition ne peuvent que laisser songeur.
Et qu'en est-il du risque de couper encore plus les organisations
syndicales de leurs adhérents ?
Réforme ou légalisation de bases juridiques fragiles ?
Actuellement, les organisations représentatives du patronat et les
syndicats participent à la cogestion d'un grand nombre d'institutions
qui relèvent du champ de la protection sociale : caisses de sécurité
sociale, Assurance chômage (Unédic), caisses de retraite complémentaires
(AGIRC-ARRCO), institutions de prévoyance, formation professionnelle
(OPCA), logement, handicap. A ce titre elles en tirent des ressources
qui étaient historiquement calibrées pour couvrir leurs frais de
participation à ces structures. Ces sommes ont très vite été dissociées
entre remboursement de frais réels engagés [2]
(les administrateurs n'étant pas rémunérés) payés directement par ces
organismes, des financements aux organisations qu'ils représentent, non
sans difficultés juridiques : comme le relève l'étude d'impact du projet de loi « Ces financements ne font pas l'objet d'une approche consolidée (…) seuls les financements issus de la formation professionnelle font l'objet d'un encadrement réglementaire précis. »
C'est sur ce champ de la formation professionnelle et des OPCA (les
organismes paritaires collecteurs agréés) chargés de collecter les
cotisations finançant cette politique publique, que devrait être
structurée la nouvelle contribution de 0,014% de la masse salariale
nationale en substitution et donc diminuant à due concurrence le montant des dites cotisations. La nouvelle contribution devrait être recouvrée par les URSSAF.
La contribution de 0,014% devrait donc remplacer les financements prélevés actuellement selon trois modalités :
Au bénéfice du FONGEFOR (le fonds national
paritaire de la formation professionnelle continue), qui bénéficie
actuellement d'un prélèvement sur les sommes collectées par les OPCA de
0,75% (article R.6332-97 du Code du travail), soit un montant de 30
millions d'euros/an, qui sera ensuite fléché sur base égale entre les OS
et les organisations patronales, sur base égalitaire entre les
premières et inégalitaire pour les secondes (clé 57,5% MEDEF, 32,5%
CGPME et 10% UPA).
A raison de la participation directe aux OPCA (bien que dissociée
des frais de gestion), des contributions que l'on appelle les préciputs
(article R.6332-43 du CT) et rémunérant les participations paritaires,
les sommes étant plafonnées à 0,75% des montants collectés, soit entre
30 et 35 millions d'euros.
En substitution de l'actuelle règle du plafond des salaires versés
fixé à 0,08‰ finançant le congé de formation économique et social
syndical (soit 10 millions d'euros environ).
Enfin, une possible extension de la contribution de 0,014% avec
un alourdissement de 0,006% pourrait permettre dans un second temps de
se substituer aux financements prélevés sur les organismes sociaux (29
millions d'euros) et sur le 1% logement (6 millions d'euros). La cotisation
au nouveau fonds paritaire chargé d'en recevoir le produit passerait
alors de 75 millions d'euros à 110 millions à charge de prélèvement
constants.
La clarification sera-t-elle cependant au rendez-vous ? En réalité trois lacunes subsistent toujours assorties d'une inconnue :
L'interdiction de financement par les OPCA des
organisations syndicales et patronales, ne s'étend pas aux organismes
paritaires à vocation nationale, le temps de déployer et d'étendre la
nouvelle contribution, de sorte qu'il y aura nécessairement des « effets
de bords » pendant la transition. C'est ce qu'évoque d'ailleurs l'étude
d'impact en précisant : « l'intégration de ces sommes au périmètre
de la contribution directe (…) ne pourrait techniquement pas être
compensée immédiatement à due concurrence par une baisse des cotisations
des entreprises à l'organisme paritaire considéré. » Une remarque
étonnante et contournable si l'on assurait pendant la transition de la
déductibilité de l'une sur l'autre par exemple, afin de « neutraliser »
la charge pour les entreprises.
En second lieu, plus d'une centaine de branches professionnelles ont mis en place des accords de financement du dialogue social
permettant de financer directement le dialogue paritaire de leur
branche par des contributions obligatoires assises sur leur masse
salariale (cas de l'artisanat, de l'agriculture et de la pharmacie). Ces
accords ne semblent pas être concernés par l'actuel projet de loi et
donc par la nouvelle contribution. Les montants versés ne sont par
ailleurs pas connus.
Enfin, pourquoi ne pas basculer et substituer en une seule fois la
contribution sur la masse salariale et réajuster les versements des
entreprises aux organismes sociaux concernés dans leur ensemble. Cette
technique aurait le mérite de la simplicité et de l'efficacité en
clarifiant du même coup l'ensemble des contributions externes des
entreprises mais également des organismes paritaires au financement du
paritarisme.
l'inconnue enfin c'est la dynamique de la
contribution de substitution : à l'heure où l'étude d'impact est menée,
elle est calibrée pour correspondre à l'euro l'euro aux versements
effectués par les entreprises, mais quelle est sa dynamique ? Tout porte
à croire qu'elle sera sans doute plus évolutive que les montants de
cotisation actuels... mais l'étude d'impact se garde bien de
s'intéresser à la dynamique des versements antérieurs comparée à celle
de la nouvelle contribution projetée...
A titre subsidiaire on peut être toutefois étonné que
les défraiements effectués par les différents organismes paritaires ne
fassent pas l'objet d'une publication régulière ni d'un suivi spécifique
de la Cour des comptes.
Les contributions de l'Etat au financement du paritarisme ne sont ni simplifiées ni remises en cause :
Par ailleurs l'État ne met pas fin à son soutien financier aux organisations syndicales. Les montants ne sont pas faibles, de l'ordre de 47,4 millions d'euros.
Cependant, seule une partie sera fléchée vers le fonds. Il faut
évidemment déduire en premier lieu la niche fiscale de 134 millions
d'euros sur les cotisations des adhérents aux syndicats (150 millions
pour 2014). Ensuite, la subvention globale aux 12 instituts supérieurs
du travail semble déjà fléchée et affectée et représente un montant
relativement faible 1,4 million d'euros.
Le reste, soit 36 millions d'euros n'est pas entièrement consolidé au
sein du fonds, notamment les subventions pour formation des conseillers
prud'homaux. Ces subventions représentent 8 millions d'euros et l'on ne
voit pas bien pourquoi elles ne sont pas intégrées au sein du fonds. Celui-ci reçoit donc 28 millions d'euros de contributions de la puissance publique. Celles-ci sont justifiées par la nécessité pour l'Etat de rétribuer « la
participation des partenaires sociaux à la conception, à la mise en
œuvre et au suivi des politiques publiques relevant de la compétence de
l'État », donc en réalité au financement du fonctionnement de la négociation collective. Les subventions sont de deux ordres :
La subvention à la formation économique et sociale
syndicale, c'est-à-dire la formation des représentants syndicaux par
des centres spécialisés rattachés aux organisations syndicales
elles-mêmes (23 millions d'euros) transférée par la réforme au nouveau
fonds.
La création d'une nouvelle subvention publique de 5 millions d'euros
finançant elle directement la participation des partenaires sociaux aux
politiques publiques de la compétence de l'Etat. Il s'agit
véritablement d'un financement direct d'Etat du dialogue social au
niveau national.
On s'étonne cependant que le fonds ne mutualise pas non plus des
dotations indirectes aux organismes sociaux en matière de moyens de
recherche comme l'IRES dont le budget reste rattaché aux services du
Premier ministre [3].
Encore que n'ont pas été documentées ni précisément retracées les « subventions ponctuelles au titre des échéances électorales
». Il s'agit ni plus ni moins que de subventions sur lesquelles le
ministère du Travail a la haute main afin de « fluidifier le dialogue
social » et dont le montant de l'enveloppe globale demeure inconnue et,
n'ayant pas de caractère régulier, n'est pas intégrée au fonds.
Plus curieux, rien n'est dit s'agissant des contributions des
collectivités territoriales en direction des organisations syndicales.
Leur effort n'est cependant pas mince, tant en nature (mise à
disposition de locaux, dont les bourses du travail) que sous la forme de
subventions diverses (aides aux associations proches de syndicats,
subventions pour organisations événementielles, etc…). Les soutiens
directs et indirects ne sont pas renseignés ils mériteraient de l'être surtout s'ils sont pérennes (institutionnalisés).
La gouvernance du fonds sera-t-elle transparente ?
Les modalités envisagées n'offrent pas encore toutes les garanties de
transparence. Le fonds rendra-t-il un rapport au Parlement sur
l'utilisation et le fléchage des financements reçus ? Il n'existe pas de
réponse claire au sein du projet de loi. Par ailleurs, sa structure
d'administration au moyen d'une association paritaire de gestion qui se
dotera d'un règlement intérieur (dont il n'est pas prévu qu'il soit
rendu public, pas plus que ses délibérations) n'apporte pas de garantie
supplémentaire aux citoyens quant au bon usage des fonds. Seuls les
fonds publics semblent plus sécurisés avec la présence d'un commissaire
du gouvernement disposant d'un droit de veto s'agissant de l'usage des
subventions publiques.
On aurait aimé que le conseil d'administration soit plus ouvert, avec
présence d'un député et d'un sénateur par exemple, ou d'un membre de la
Cour des comptes, ainsi que de représentants de la société civile.
Conclusion
Il s'agit bien plus ici d'une légalisation mutualisée des versements
auparavant épars permettant de remonter aux organisations syndicales et
patronales, que d'une véritable remise à plat du système. En clair,
d'une légitimation de financements opaques qui n'avaient pas d'assise
juridique (hors formation professionnelle).
Par ailleurs, on ne sait pas comment va évoluer la taxe (en fonction de
la masse salariale...), elle pourrait rapporter beaucoup plus que prévu
en cas de reprise soutenue de l'activité, ce que se garde bien de
chiffrer l'étude d'impact.
Le risque est de couper un peu plus les syndicats de leur base
d'adhérents (entreprises ou salariés) dont devraient émaner financements
et légitimité.
L'idée d'un chèque syndical obligatoire avec fléchage vers l'organisation de son choix se pose de nouveau.
[1]
Le périmètre total des flux de financement au niveau confédéral n'est
cependant pas totalement couvert. Ainsi que le relève Mme Agnès Le Bot
secrétaire confédération CGT durant son audition à l'assemblée nationale
(voir rapport du député Jean-Patrick Gille, tome 1 p.83) Deux autres
questions importantes ne sont pas traitées dans le projet de loi. Il
s'agit d'une part du droit des confédération syndicales de salariés de
justifier de l'utilisation de subventions et de contributions de façon
totalement interprofessionnelle, c'est-à-dire pour les salariés du
public comme du privé (les flux publics sont hors champ effectivement (voir schéma)).On
sait que ce droit est nié par la Cour des comptes. Et d'autre part, du
droit à l'hébergement syndical des unions territoriales
interprofessionnelles des confédérations.
[2] Comme le relève l'étude d'impact jointe en annexe du projet de loi, p.138.
1 janv. 2005 ... Les associations (non déclarées d'utilité publique) ne peuvent recevoir de dons
importants de plusieurs centaines ou millions d'euros qui sont ...
18 nov. 2011 ... Il faut dire que nos organismes publics ont pour usage de se servir des
associations comme de véhicules juridiques commodes financés ...
20 avr. 2012 ... Il n'y a donc pas de séparation comptable claire entre les « CE publics » financés
par l'intermédiaire des subventions aux associations [7](État, ...
25 mars 2009 ... Au cœur du dispositif, l'association d'acteurs privés au secteur public ... et les
collectivités publiques pour subventionner les associations et ...
4 oct. 1999 ... Note : nous parlons de cette association au présent mais nous ... 8 à 10 millions
de francs de subventions publiques chaque année, l'iFRAP s'y ...
Lors de l'émission "C'est dans l'air" de France 5 du 20
novembre dernier, j'ai découvert Agnès Verdier-Molinié directrice de
l’iFRAP. Cette structure qui a été créée en 1985 par Bernard Zimmern sur
le modèle des think thanks anglo-saxons, et dissoute en 2011, a été
remplacée par la Fondation IFRAP (Fondation pour la recherche sur les
administrations et les politiques publiques).
L’iFRAP publie la revue mensuelle Société civile et se donne pour but d’« effectuer
des études et des recherches scientifiques sur l’efficacité des
politiques publiques, notamment celles visant la recherche du plein
emploi et le développement économique, de faire connaître le fruit de
ces études à l’opinion publique, de proposer des mesures d’amélioration
et de mener toutes les actions en vue de la mise en œuvre par le
Gouvernement et le Parlement des mesures proposées ». Sous cet affichage neutre et bienveillant nous trouvons en fait un think thank ultra libéral .
La Lettre du secteur public
présente l'IFRAP comme « un réseau très militant très engagé pour la
réduction de la sphère publique et des interventions de l'Etat » et
l'Observatoire français des think tanks le qualifie de libéral cherchant
à limiter le rôle de l'État là où le marché et la responsabilité
individuelle peuvent mieux s'appliquer.
Jusque là, rien de bien
discutable. Cependant en creusant davantage, j'ai découvert que l'iFRAP
avait été reconnue association d'utilité publique, par décret de Mr
François FILLON, en 2009. Ce qui lui permet de s'appuyer sur un appel
au don ciblant explicitement les personnes assujetties à l'ISF. Ce
faisant l'Etat - c'est à dire nous - finance implicitement à 66% du
montant des dons une association qui veut sa perte.
Comment
accepter que cette association ait la reconnaissance d’utilité publique
alors qu’elle a cette orientation partisane contraire à l’intérêt
général ?
L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre.
Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
LE LIVRE NOIR DES SYNDICATS
Rozenn LE SAINT Erwan SEZNEC
Enquête sur un monde syndical à la dérive.
Le directeur des ressources humaines d'Air France courant pour échapper à
des délégués en colère, la chemise en lambeaux ; le port de Marseille
bloqué pour la dixième fois en dix ans ; la SNCF en grève pendant le bac
ou les fêtes de Noël ; une dizaine de syndicalistes en moyenne jugés en
correctionnelle chaque année pour détournement de fonds... le
syndicalisme français va très mal.
Ces débordements, qui choquent à juste titre le grand public et les
observateurs étrangers, ne sont pas l'indice d'un excès de pouvoir. Ils
prouvent au contraire un affaiblissement dangereux, qui incite par
exemple certaines organisations à tolérer l'islamisme radical en leur
sein pour assurer leur survie !
De plus en plus coupées du terrain, plombées par les luttes internes,
beaucoup moins éloignées du patronat qu'elles ne veulent bien le dire,
la CGT, la CFDT, la CFTC ou FO sont incapables de prévenir des dérives
graves dans les ports, les imprimeries, le rail, les entreprises de
nettoyage ou la police, sans oublier certains grands comités
d'entreprise, transformés en fiefs et ponctionnés à outrance. Le tout
sous le regard consterné de milliers de délégués qui se demandent quand
ils auront des organisations à la hauteur de leur dévouement
personnel... Une plongée inédite dans un monde syndical en plein
naufrage.
Sommaire:
A) Quel est le véritable poids des syndicats en France ? - Marine Ditta - S-O
A) Quel est le véritable poids des syndicats en France ?
Quotidiennement sur le devant de la scène politique et sociale en
France, les syndicats ne représentent pourtant que 8% des salariés
Ils sont en tête des cortèges de
manifestants, sont fréquemment invités à exposer leurs revendications
dans les ministères voire à l'Élysée, et disent parler au nom des
salariés.
Que ce soit pour discuter de la dernière réforme du code du travail ou du système de retraites, les syndicats sont quotidiennement sur le devant de la scène politique et sociale en France, au niveau national, comme actuellement avec les négociations sur la réforme El-Khomri, ou au sein d'une entreprise, comme on l'a vu avec les négociations tendues au sein du groupe Air France - KLM l'an dernier.
Mais cette visibilité quasi-permanente cache un chiffre qui interpelle : seuls 7% à 8% des salariés français sont syndiqués.
Le système syndical tel qu'il existe actuellement est-il toujours légitime ? Tour d'horizon.
Que pèsent les syndicats en France ?
1,8 millions. C'est le nombre de personnes syndiquées en France aujourd'hui. Cela représente à peine 8% des salariés, l'un des taux les plus faibles d'Europe.
A titre de comparaison, en Allemagne, 18% des salariés sont syndiqués,
au Royaume-Uni ils sont 25%, en Belgique 55%, et jusqu'à 82% en Islande.
En revanche, les syndicats sont plutôt bien présents
dans les entreprises françaises : 56% d'entre elles possèdent un groupe
syndical (ce qui place la France à la dixième place en Europe).
Les syndicats français participent aux négociations des droits et
devoirs des salariés : ils signent chaque année plus de 1000 accords de
branche (corps de métier) et 35 000 accords d'entreprise.
Pourtant, selon une enquête Cevipof, seuls 28% des Français feraient confiance aux syndicats pour défendre leurs droits.
Il existe actuellement en France plusieurs grands syndicats. Rien
qu'au niveau national, cinq sont considérés comme représentatifs, et
ils sont bien plus plus si l'on compte les plus petits. A titre de
comparaison, le nombre de syndicats nationaux chez nos voisins européens
est en général de trois maximum.
Avec un tel nombre, il est souvent difficile de s'y retrouver. On distingue les syndicats représentatifs, non représentatifs, interprofessionnels, professionnels...
Représentatif ou pas ?
Un syndicat est dit "représentatif" lorsqu'il regroupe
un certain nombre de voix lors des élections professionnelles (au moins
8% au niveau national ou de branche, 10% au niveau d'une entreprise).
Cela lui donne le droit de participer, négocier et conclure les accords
concernant les salariés.
Les syndicats peuvent être considérés comme représentatifs à trois niveaux : au niveau de l'entreprise, au niveau de la branche d'activité et au niveau interprofessionnel.
Interprofessionnel ou professionnel ?
Les plus grands groupes syndicaux français ne défendent pas uniquement
les droits d'un corps de métier ou d'un secteur, ils sont présents dans
des entreprises diverses et se divisent en sous-groupes en fonction des
secteurs.
En France en 2016, huit grandes organisations syndicales
interprofessionnelles sont considérées comme représentatives au niveau
national et ont le droit de négocier et signer des accords dans
plusieurs secteurs :
5 pour les salariés : la CGT, la CFDT, FO, la CFE-CGC et la CFTC
3 pour le patronat : le MEDEF, la CGPME et l'UPA
A cela s'ajoutent de nombreux syndicats professionnels, qui défendent uniquement les un corps de métier
(par exemple la FNSEA pour les agriculteurs, le SNES pour les
professeurs ou encore le FNI pour les infirmiers...). Ils peuvent être
indépendants ou affiliés aux grandes organisations nationales.
Un système qui n'incite pas à se syndiquer
Les mêmes droits que l'on soit syndiqué ou non
Les pays européens qui comptent le plus fort taux de salariés syndiqués
(la Suède, la Finlande) sont aussi ceux qui ont adopté le système dit
"De Gand". Cela signifie que dans ces pays, pour avoir droit à
l'assurance chômage et à des indemnités en cas de licenciement, mais
aussi pour faire partie d'une convention collective (qui assure une
grille de salaire commune à tous), il faut obligatoirement être syndiqué.
En France, aucun de ces droits n'est soumis au fait d'être syndiqué ou
non. Notre pays est même champion en terme de conventions collectives :
plus de 98% des salariés français sont sous un régime de convention collective propre à leur branche et négocié par les syndicats, même s'ils n'y adhèrent pas.
Le financement des syndicats ne dépend pas des adhérents
Selon un rapport de 2006, les cotisations versées par les adhérents ne représentent que 15 à 57% du budget
des principaux syndicats. L'essentiel du reste est constitué de fonds
publics (près de 4 milliards d'euros selon un rapport de 2011, mais ce
chiffre est difficilement vérifiable).
Une situation qui ne conditionne donc pas la stabilité financière d'une structure à son nombre d'adhérents.
Si ce système permet d'exprimer et défendre certains points de vue sans
conditions de ressources, il représente également selon certains
analystes l'une des principales limites du système actuel.
Pour Olivier Galland, sociologue et directeur de recherche au CNRS qui s'exprime sur la revue en ligne Telos, cette dépendance financière à l'État inciterait même les syndicats à maintenir un statu quo plutôt qu'à défendre les droits des salariés :
"Les organisations syndicales ont peu d'incitation à tenir compte de
l'intérêt du plus grand nombre des travailleurs (...) Dans notre pays,
les syndicats cherchent d'abord à préserver un système largement dévoyé –
le paritarisme – qui est essentiel à leur survie en tant
qu'organisation, à la fois par le monopole qui leur est conféré (...) et
par les sources de financement qui y sont associées."
Flexibilité du travail
Autre grand frein au syndicalisme en France
: la précarisation du travail et sa flexibilité. Intérim, temps
partiel, freelance, CDD courts... le temps passé dans une même
entreprise ne cesse de se réduire ou de se remodeler, et la sécurité de l'emploi recule.
Difficile dans ces conditions de se syndiquer, ou de suivre les étapes
d'une action collective. Le taux de syndicalisation des intérimaires
(qui sont tout de même 652 000 en France en 2015) est par exemple de
moins de 1%.
Manque de représentativité
Le taux de participation aux élections professionnelles (qui permettent
d'élire les représentants syndicaux dans les entreprises privées de plus
de 11 salariés et dans la fonction publique) est en baisse depuis
plusieurs années. En 2008, plus de six salariés du privé sur dix avaient
voté. En 2011, avec l'instauration du vote électronique, ils n'étaient plus de 40%.
Dans la fonction publique non plus, les élections professionnelles ne
sont pas très suivies. A peine plus d'un fonctionnaire sur deux a voté
en 2014.
Résultat, sur un plan sociologique, les responsables syndicaux ne
reflètent pas l'ensemble des salariés : ils sont majoritairement
masculins et de plus en plus âgés. La représentation syndicale a
également tendance à être de plus en plus concentrée dans certaines branches d'activité, notamment le service public (ou le taux de syndicalisation est trois fois supérieur à celui du privé).
L'ensemble de ces facteurs révèlent une représentation syndicale assez éloignée des réalités du monde du travail actuel.
Une vision trop "brutale"du dialogue social ?
Comme l'an dernier lors du conflit social au siège d'Air France, régulièrement, les négociations entre syndicats et patronat tournent au conflit larvé. La conséquence d'une vision marxiste de ce que doit être le dialogue social, selon plusieurs analystes.
Considérer le syndicalisme comme l'application de la "lutte des classes" de Marx
ne date pas d'hier. C'est même l'une des fondations intrinsèques de
plusieurs grandes organisations syndicales. A sa création en 1895, la
CGT affirmait déjà lors du congrès de Limoges que syndicalisme devait
servir à "lutter pour mener à la disparition du salariat et du
patronat", autrement dit, lutter contre la hiérarchie.
Si les unions syndicales se sont morcelées et diversifiées au fil des
années (avec notamment l'émergence de syndicats dits "réformistes", qui
acceptent plus facilement de négocier), il résulte des influences
marxistes du syndicalisme français une vision de rapport de force dans
le dialogue social.
Or, le point de vue global de l'ensemble des salariés (syndiqués ou non) est beaucoup plus consensuel : selon un sondage Odoxa,
plus de neuf salariés sur dix souhaiteraient un dialogue social apaisé,
et plus de la moitié considèrent que ce n'est pas le cas aujourd'hui.
Ils touchent 4 milliards par an de la collectivité pour 8 % de
syndiqués. Subventions à gogo, permanents par milliers, gabegie... Un
rapport parlementaire lève le voile. Décapant !
Des vacances à Dakar aux frais de France Télécom ! En février
dernier, 12 délégués syndicaux du groupe se sont rendus au Sénégal,
officiellement pour assister au Forum social mondial. Dans leurs
valises, un mandat en bonne et due forme du très imposant Comité central
de l'unité économique et sociale (CCUES). Pour représenter les salariés
de France Télécom face à la «place importante faite au secteur des
télécoms, notamment dans le cadre des relations nord-sud», la délégation
a reçu un chèque de 12.000 euros. À l'heure où les entreprises serrent
les coûts et l'État taille dans ses dépenses, les syndicats ne
rechignent pas à envoyer leurs membres au soleil, tous frais payés,
simplement «pour nourrir leur réflexion».
Gonflé? Non, une
pratique plutôt ordinaire dans une France qui n'aime pas ses syndicats
mais les nourrit grassement. Car si le syndicalisme n'a jamais été aussi
peu représentatif dans notre pays - seuls 8 % des salariés (public et
privé confondus) adhèrent à une organisation, le taux le plus bas de
l'Union européenne ! -, la machine syndicale, elle, se porte bien, très
bien même. Et pour cause: elle vit aux crochets des autres ! C'est la
démonstration choc que font les députés dans un rapport rendu public
cette semaine, et que Le Figaro Magazine a pu consulter en avant-première.
Au
terme d'une commission d'enquête de six mois, de dizaines d'auditions,
les élus font ce constat: la collectivité fait chaque année un chèque de
4 milliards d'euros pour financer l'activité syndicale. Presque
l'équivalent du budget de l'Enseignement supérieur...
Les cotisations ne représentent qu'une part infime des budgets
syndicaux: guère plus de 3 à 4% pour les organisations représentant les
salariés et de 15 à 60 % selon les cas pour les structures
patronales.C'est une «exception française en Europe», relèvent les
parlementaires, soulignant qu'ailleurs sur le continent, «les
cotisations occupent une part primordiale dans les ressources des
syndicats, plus de 80% dans l'ensemble». Leur «légitimité» est à ce
prix, notamment vis-à-vis des pouvoirs publics, glisse le rapport.
Ici,
ce sont les détachements syndicaux, les décharges horaires, les
subventions aux comités d'entreprise ou encore la gestion des organismes
sociaux et de la formation professionnelle qui fournissent le gros des
moyens. Un système bien huilé mis en place au lendemain de la guerre et
que personne - même en ces temps de crise - n'a osé remettre en cause.
Et surtout pas l'État impécunieux, pourtant avide d'économies. Y
trouverait-il son compte?
Lorsqu'il a décidé de se pencher sur
cette délicate question, Nicolas Perruchot, ce député centriste qui a
fait une entrée tonitruante sur la scène politique en 2001, en évinçant
Jack Lang de la Mairie de Blois, savait qu'il avançait en terrain miné.
L'annonce de sa commission d'enquête a été fraîchement accueillie «en
haut lieu», souffle-t-il. À plusieurs reprises, on m'a fait dire qu'une
commission d'enquête parlementaire sur le prix de l'essence serait mieux
venue», précise Perruchot, pas mécontent de n'en avoir fait qu'à sa
tête.
Les syndicats ne se sont pas bousculés à la porte de la
commission. «Nous nous sommes même demandé si nous aurions besoin de
faire intervenir la force publique, comme nous en avons le droit»,
confie-t-il. Les représentants de l'UIMM - la puissante fédération
patronale de la métallurgie - ou de FO ne se sont présentés à la
convocation des députés qu'in extremis, lors de la dernière semaine
d'audition.
On comprend leurs réticences. Le tableau que dressent
les élus est décapant: «mécanismes de financement structurellement
opaques», «absence de prise en considération (...) des mises à
disposition de personnels et de locaux», «dérives»... Le schéma
descircuits de financement qu'ils ont tenté de reconstituer vaut son
pesant d'or, tant il est incompréhensible.
Les députés se sont
fondés pour leur enquête sur de tout nouveaux éléments, fournis par les
fédérations elles-mêmes. Car, pour la première fois cette année, les
organisations syndicales et patronales ont dû se livrer à un exercice
d'un genre nouveau: la publication de leurs comptes, en vertu de la loi
d'août 2008 sur la représentativité syndicale. Personne n'avait osé leur
demander le moindre bilan depuis la loi Waldeck-Rousseau créant les
syndicats en... 1884 !
Certes, une incertitude plane encore sur
les obligations des puissants syndicats de la fonction publique. En
outre, toutes les organisations ne se sont pas pliées aux nouvelles
règles du jeu avec le même entrain, certaines les ont même royalement
ignorées. On attend toujours les comptes de FO pour 2010, de même que
ceux de l'Union nationale des professions libérales (Unapl). Quant à la
Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), elle
a carrément fait savoir qu'elle n'entendait pas commencer l'exercice
avant l'année prochaine.
Bernard Thibault, lui, a fait le choix de présenter le bilan de la CGT à la presse le 14 novembre.
Sur 79 millions d'euros de cotisations versés par ses adhérents, un peu
moins de 13 ont été affectés à la confédération pour financer ses
activités, a-t-il détaillé. Ce qui lui a permis d'affirmer que près des
deux tiers des recettes de la CGT provenaient des adhérents. À
l'entendre, on serait donc «très loin» de l'image d'un syndicat
«fonctionnant avec l'argent public». Simple question de présentation. Ce
que l'on nomme par facilité «syndicat» est juridiquement composé d'une
kyrielle de structures: sections d'entreprises, unions locales,
départementales, fédérations professionnelles... La maison-mère est
souvent elle-même incapable d'indiquer avec certitude le nombre de ses
affidés. La CGT, par exemple, hésite entre 25.000 et 30.000 entités.
Quoi
qu'en dise M. Thibault, l'essentiel de la richesse de la CGT et des
autres syndicats de salariés provient des moyens humains - détachements,
décharges horaires, etc. - mis à leur disposition par les entreprises
et surtout par l'Etat. Ces petites mains se comptent par dizaines de
milliers dans la fonction publique. Ou plutôt, elles ne se comptent pas.
Car en la matière, l'unité de mesure, c'est l'estimation. Le doigt
mouillé.
Pour en avoir le cœur net, l'Inspection générale de
l'administration a épluché l'an dernier les mécanismes de mise à
disposition pour les syndicats de la fonction publique dans deux
départements, le Rhône et le Loiret. Son rapport, resté confidentiel,
montre que l'administration n'est pas tatillonne avec les absences
syndicales, qu'elle a parfois même renoncé à comptabiliser. Au service
des impôts notamment, les syndicats déclarent que tous les droits
syndicaux ont été pris quand la direction, elle, fait état d'une
importante sous-consommation des heures de détachement ! De manière
générale, les administrations peinent à distinguer les différents types
d'absence ou de décharge.
Les abus prospèrent dans un univers où règne le flou. Soumis aux
questions des inspecteurs de l'administration, les directeurs des
ressources humaines des ministères ont bien dû admettre qu'ils ne
disposaient d'aucun tableau de bord détaillé de leurs effectifs. Des
réponses au moins aussi vagues ont été données aux députés. Du bout des
lèvres, au ministère de la Fonction publique, on reconnaît qu'environ
17.000 agents (en postes équivalents temps plein) seraient mis à la
disposition des syndicats dans la fonction publique. Dont près de 1200 à
l'Éducation nationale. Les parlementaires ont conclu de cet aveu à
moitié officiel que la réalité devait se situer bien au-dessus et
Perruchot avance le chiffre de «28.000 équivalents temps plein pour les
trois fonctions publiques». Si l'on s'en tient au chiffre officiel, les
moyens humains offerts aux syndicats par l'État représenteraient une
enveloppe minimale de 1,3 milliard d'euros. «J'ai dit à Valérie
Pécresse: rien qu'avec une économie de 10% sur ce budget, je te fais
l'équivalent de deux taxes sodas», ironise le rapporteur.
Dans
certains services de l'État comme la police, fortement syndiquée, ces
mises à disposition ont atteint une telle ampleur que le ministre a dû
taper du poing sur la table. Depuis une dizaine de jours, le cabinet du
ministre de l'Intérieur reçoit discrètement les syndicats de policiers
les uns après les autres. Claude Guéant a lancé un pavé dans la mare en
déclarant qu'il comptait «remettre les policiers sur le terrain». Depuis
les déclarations du ministre, les langues se délient, et les
différentes centrales se renvoient la patate chaude. Les uns ont reconnu
des syndicalistes policiers assurant le service d'ordre de
manifestation d'un candidat de gauche, les autres dénoncent les moyens
humains particulièrement généreux consacrés aux œuvres sociales de la
police. Jusqu'où ira le ministre de l'Intérieur? Dans bien des cas, les
administrations préfèrent fermer les yeux pour assurer la paix
sociale.«Globalement, les quotas de détachement dans la fonction
publique ont souvent été dépassés avec la bénédiction des ministères»,
concède un connaisseur.
Cette stratégie dépasse de beaucoup les
détachements de permanents syndicaux. Elle passe aussi par des largesses
aux comités d'entreprise, la mise à disposition de locaux et de moyens
matériels. Toujours dans la police, à Lyon, les syndicats policiers
bénéficient depuis 2008, date de la destruction d'un immeuble ancien,
d'un relogement dans le domaine privé pour un loyer annuel de 87.000
euros.
Au fil des ans, certains comités d'entreprise de la sphère
publique sont devenus de véritables coffres-forts ! Il est vrai que les
patrons n'hésitent pas à mettre la main à la poche bien au-delà des
obligations prévues par la loi. Manière d'acheter, au prix fort, la paix
sociale. Pierre Mongin, à la tête de la RATP, n'aligne-t-il pas 16
millions par an, c'est-à-dire 7 de plus que ce que lui imposent les
textes, dans la caisse syndicale? Durant plus de dix ans à la tête d'Air
France, Jean-Cyril Spinetta a mis des sommes importantes à disposition
de ses comités d'entreprise (3,1 % de la masse salariale). Un compte
courant avait même été mis à disposition par l'entreprise pour éponger
les dettes et la gestion hasardeuse du CCE. Air France l'a fermé en 2008
et a accepté d'éponger un découvert de 7 millions d'euros. Une goutte
d'eau face aux enjeux poursuivis par la direction: faire passer la
privatisation de l'entreprise et la fusion avec le néerlandais KLM.
Même
chose à EDF, qui abrite la plus grosse cagnotte de la CGT,
l'intouchable Caisse centrale d'action sociale (CCAS). «Les magistrats
ne comprennent rien aux impératifs économiques!» s'était emporté un
certain ministre du Budget en 2004 alors qu'une information judiciaire
était ouverte sur les irrégularités de la gestion du comité d'entreprise
(4000 permanents syndicaux). Met-on en cause la gestion d'un syndicat
majoritaire à la veille d'un changement de statut de l'entreprise? Chez
France Télécom-Orange, la direction a trouvé une méthode tout aussi
efficace de mettre de l'huile dans les rouages: acheter des pages de
publicité dans les journaux syndicaux ou encore louer des stands dans
les grands congrès.
Par comparaison, les entreprises privées
«contribuent financièrement assez peu, sauf exception, au financement
des syndicats de leurs salariés», note la commission d'enquête
parlementaire. Hormis les décharges horaires prévues par la loi et les
locaux syndicaux mis à disposition et dûment mentionnés dans leurs
comptes. Au total, les députés évaluent le coût de la représentativité
syndicale dans le secteur privé à 1,6 milliard d'euros. Un chiffre qui
«ne correspond pas, à proprement parler, au financement des "syndicats",
mais plus précisément à celui de l'activité de représentation, de
défense, de revendication menée par les syndicalistes dans les
entreprises», note le rapport. En outre, plus des trois quarts de ces
syndicalistes sont élus par le personnel et non désignés par leur
syndicats.
Les organisations syndicales et patronales se partagent enfin
également, depuis plus de soixante ans, le gros gâteau du paritarisme.
Ce sont elles qui gèrent le circuit de la formation professionnelle en
France (un pactole de 6,3 milliards) et le «1% logement». Elles encore
qui sont aux commandes des grands organismes de la Sécurité sociale et
de l'Unedic, des mastodontes qui assoient leur puissance et font vivre
des dizaines de milliers de militants promus au rang d'administrateurs.
Indemnités forfaitaires, frais de formation, prise en charge de
secrétariat, voyages d'études...: les députés énumèrent les multiples
avantages que procure la gestion des organismes paritaires (voir
tableau). «Tout le monde se tient, car tout le monde en croque», résume
un dirigeant d'une caisse de retraite complémentaire, la galaxie
Agirc-Arrco.
Denis Gautier-Sauvagnac, ancien dirigeant de la très
puissante UIMM au sein du Medef, n'a toujours pas livré les secrets de
la «fluidification du dialogue social». Dix-neuf millions d'euros ont
été retirés en liquide des caisses de l'organisation entre 2000 et 2007,
qui auraient majoritairement servi au financement occulte de syndicats,
selon les soupçons des enquêteurs.
«Je suis parvenu à la
conclusion qu'il existe bien un système, une stratégie globale et une
alliance objective entre acteurs concernés, analyse Jean-Luc Touly,
syndicaliste lui-même, en cours de rédaction de son deuxième ouvrage sur
les financements occultes. Si la CGT n'a pas mené la fronde lors de la
réforme des régimes sociaux, comme elle aurait pu facilement le faire,
c'est que le gouvernement avait une monnaie d'échange: la loi sur la
transparence des comptes syndicaux dont l'incidence est limitée. »
Au
plus fort de la crise, les confédérations affichent une insolente santé
financière. Toutes les centrales sont propriétaires de vastes locaux
parisiens : le siège du Medef est valorisé 24 millions d'euros, l'UIMM
dispose d'un trésor de guerre de près de 505 millions d'euros, selon le
rapport. François Chérèque, à la tête de la CFDT, avoue avoir du mal à
cacher ses économies de plus de 350 millions d'euros, dont 34,7 millions
de « trésorerie disponible ». Celle de la CGT est de 42 millions
d'euros. Les fruits d'une «gestion de père de famille» ont expliqué,
sans rire, plusieurs responsables syndicaux...
Des rentiers, les
syndicats français? Ils fonctionnent en tout cas très bien
indépendamment de leur manque de représentativité. Inutile de grandir
pour s'enrichir ! À l'extrême, ils n'auraient guère besoin d'adhérents.
Premier syndicat français, la CGT en compte 670.000. Très loin des 2,4
millions d'IG Metall, le syndicat allemand des «métallos».
C) Les syndicats font rayonner la France sans réinventer la roue
On pourrait penser les
syndicats français nuisibles à l’image de la France. Au contraire, ils
incarnent le dynamisme et la créativité dans un pays où ils font
cruellement défaut.
Les syndicats français ne protègent pas l’emploi. Si tel était le
cas, leurs budgets faramineux seraient incompatibles avec un chômage
tout aussi impressionnant. Ils ne protègent pas plus les salariés,
qu’ils incitent régulièrement à tout faire pour assurer la fermeture des
entreprises qui les emploient : manifestations pour des motifs
risibles, menaces, violations des droits les plus élémentaires,
violence, destruction de l’outil de travail…
Ils jouent pourtant un grand rôle dans la promotion de l’image de la
France à l’étranger, chère à leur grand ami Arnaud Montebourg, promoteur
de la marque France.
En ces temps difficiles, on voit à travers le monde des Français en
exil dynamiques, créatifs et travailleurs, mais en l’absence des
syndicats, l’image des Français qui restent serait celle de fainéants
serviles prêts à payer des impôts monstrueux pourvu que leur voisin en
paient plus. Oui, les syndicats sont utiles, et permettent au reste du
monde de réaliser à quel point les Français sont exceptionnels.
Exceptionnels
par leur dynamisme, les Français n’hésitent pas à battre le pavé à la
moindre revendication puérile. Salariés du privé ou du public, de
l’industrie ou des services, nombreux sont ceux à s’être déplacés ces
derniers mois et à faire entendre leur voix, le tout grâce aux syndicats
qui coordonnent les manifestants et n’hésitent pas à jouer les tour operators et gentils organisateurs d’un jour en affrétant des bus par dizaines.
Exceptionnels par leur détermination, ils n’hésitent pas à remettre au goût du jour le sabotage de l’appareil de production et le sabordage de leur entreprise
pour lutter contre une modernité qui a tant à leur apporter, dans le
seul but de préserver leur mode de vie qui fait la part belle aux
loisirs – dont ils aimeraient d’ailleurs bénéficier un peu plus encore en passant de 35 heures par semaine à 32,
au mépris de l’impératif de compétitivité et de la situation du pays.
Le mot en F, Faillite pour l’État, Fermeture pour les entreprises, est
partout prononcé, mais qu’importe : taper le carton et aller à la pêche,
ça n’a pas de prix.
Exceptionnels par leur créativité, les Français expriment leur
message sur de grandes banderoles bariolées, via des mégaphones, des
clips vidéos humoristiques et, désormais, des morceaux de rap. « Ça peut plus durer« ,
une magnifique chanson sur les suppressions d’emploi chez PSA qui use
habilement des métaphores automobiles et fait référence aussi bien à
l’histoire de France qu’à des classiques du rap et de la chanson
française, dont le clip fait apparaître des salariés de PSA, visage
fermé et menaçant – un mélange subtil de socialisme et de socialisme comme on n’en fait plus qu’en France.
Exceptionnels par leur capacité à défendre leurs idées, aussi stupides soient-elles, tirant tantôt vers le socialisme, tantôt vers le nationalisme,
communs à l’ensemble de la classe politique ou presque. Tentation
protectionniste, dénonciation du grand capital apatride, opposition
entre patrons et ouvriers, entre bourgeois et prolétaires qui se
manifeste par le blocage systématique de toute négociation – blocage
parfois très palpable, comme pour la distribution de quotidiens régulièrement perturbée ces derniers temps et les prises d’otage fréquentes des usagers des monopoles publics du transport.
L’exception française
n’a jamais été aussi bien incarnée que par les syndicats. Leurs efforts
sont vains ; la révolution socialiste surviendra peut-être, mais les
lendemains qui chantent, jamais. Qu’importe ; leur irresponsabilité et
celle des hommes politiques auront suffi à plonger la France dans un
marasme économique dont elle aura du mal à se relever avant longtemps,
bien assez longtemps pour laisser le reste du monde prospérer et nous distancer ; une fois de plus, la France sera un pays à part – cela vaut sans doute bien que l’on renonce à la liberté et la prospérité.
Il n’existe pas de droit à être syndiqué parce que la
syndicalisation implique toujours l’usage de la violence, soit la
violence physique, soit la menace de la violence physique, soit la
violence légale, qui contraint les patrons à se soumettre. Le
syndicalisme c’est l’affirmation d’un droit du plus fort, c’est-à-dire
un faux droit.
Je réfute catégoriquement l’idée qu’il existerait quelque chose comme
un « droit de se syndiquer », ou que la syndicalisation impliquerait un
droit de s’associer librement. Oui, théoriquement, une organisation du
travail pourrait décider d’un arrêt de travail en masse pour obtenir un
résultat. Ce serait en effet une implication de la loi de la libre
association.
Mais chaque syndicat avec lequel je suis familier, se réserve le
droit d’employer la violence contre les travailleurs en concurrence, par
exemple les briseurs de grèves, que ce soit à la manière « col bleu »
en se battant physiquement contre eux, ou à la manière « col blanc », en
obtenant l’adoption de lois obligeant les employeurs à traiter avec
eux, et non avec les briseurs de grèves. (Quelqu’un connaît-il un
exemple contraire ? Si vous connaissez un, je serais heureux d’en
entendre parler. J’ai cru à un moment en trouver un, l’Association du
travail chrétien au Canada, mais après un entretien avec eux, je peux
dire que, même s’ils évitent l’agression des « cols bleus », ils
soutiennent la version « col blanc »).
Pourtant il y a des syndicats qui ne sont pas réellement engagés dans
l’initiation de la violence. En outre, il y a même des gens associés
depuis de nombreuses années avec les syndicats qui n’ont jamais été
témoins d’une réelle flambée de violences.
Permettez-moi de préciser ma position. Je ne parle pas ici de la violence brute seulement, mais plutôt de « la violence, ou
la menace de violence ». Je soutiens que, souvent, aucune violence
réelle n’est nécessaire, du moins dans le syndicalisme tel qu’il est
pratiqué aux États-Unis et au Canada.
Le fisc ne s’est probablement jamais engagé dans l’utilisation réelle
de la violence physique de toute son histoire. (Il est principalement
composé de geeks, et non de gens physiquement agressifs). C’est parce
qu’il s’appuie sur les tribunaux et la police de l’État fédéral qu’il
dispose du pouvoir suffisant. Mais il serait superficiel d’affirmer que
le fisc ne s’engage pas dans « la violence ou la menace de violence ».
Cela est également vrai pour le policier d’État qui vous arrête et vous
donne un P.V. Ils sont entraînés à être extrêmement polis. Pourtant,
« la violence ou la menace de violence » imprègne l’ensemble de leur
relation avec vous.
Je ne nie pas, d’ailleurs, que parfois la direction s’engage
également à « la violence ou la menace de violence ». Mon seul argument
est qu’il est possible de signaler de nombreux cas où ils ne le font
pas, alors que la même chose est impossible pour le mouvement syndical,
au moins dans les pays dont je parle.
À mon avis, la menace émanant des syndicats est objective et non
subjective. C’est la menace, à l’époque des cols bleus, qu’un
travailleur en concurrence, un « briseur de grève », soit roué de coups
s’il essaye de franchir un piquet de grève, et, de nos jours avec les
« cols blancs », qu’un employeur qui renvoie un membre du syndicat en
grève, en lui substituant un travailleur remplaçant de manière
permanente, se retrouve en violation de plusieurs lois du travail.
(Pourquoi, d’ailleurs, n’est-il pas « discriminatoire » et « odieux » de
décrire les travailleurs prêts à accepter un salaire moindre, et à
concurrencer la main-d’œuvre syndiquée, comme des « briseurs de grèves »
? Ne faudrait-il pas mettre cela sur un pied d’égalité avec l’emploi du
mot « nègre » pour les Noirs, ou du mot « youpin » pour les juifs ?)
Supposons qu’un petit homme maigrichon dévalise un grand costaud
joueur de football, et lui réclame son argent en le menaçant que s’il ne
se soustrait pas à sa demande, il lui bottera le derrière. C’est ce que
j’appelle une menace objective, et je ne me soucie pas de la réaction
du footballeur face à cette situation humoristique. Deuxième scénario.
Le même que le premier, mais cette fois, le petit homme maigrichon sort
un pistolet et menace de tirer sur le grand costaud à moins qu’il ne lui
remette son argent.
Maintenant, il y a deux sortes de grands costauds. Le premier va se
sentir menacé et va remettre son argent. Le second va attaquer le petit
gars (en légitime défense, je pense). Peut-être qu’il se sent
omnipotent. Peut-être qu’il est vêtu d’un gilet pare-balles. Cela n’a
pas d’importance. La menace est une menace, quelle que soit la réaction
du grand gars, indépendamment de sa réponse psychologique intérieure.
Revenons maintenant aux relations patrons-syndicats. Le syndicat
menace objectivement les briseurs de grève, et les employeurs qui les
embauchent. Cela, de nos jours, est purement une question de droit, et
non de sentiments psychologiques de la part de quiconque. En revanche,
si on ne peut pas nier que parfois les employeurs initient la violence
contre les travailleurs, ils ne le font pas nécessairement en tant
qu’employeurs. (Toutefois, souvent, ce type de violence est de la
légitime défense.)
Cela est similaire à ce que j’ai dit sur le proxénète dans mon livre Défendre les indéfendables.
À cet effet, je ne me soucie pas de savoir si chaque proxénète a en
effet initié la violence. Il importe peu qu’ils le fassent ou non. Ce
n’est pas une caractéristique nécessaire pour être proxénète. Même s’il
n’y a eu aucun proxénète non-violent dans l’histoire, nous pouvons
malgré tout en imaginer un. Même si tous les employeurs ont toujours
initié la violence contre les employés, encore une fois, on peut
imaginer des employeurs qui ne le font pas. Toutefois, de manière très
contrastée, à cause de la législation du travail qu’ils défendent, nous
ne pouvons pas imaginer des travailleurs syndiqués qui ne menacent pas
du recours à la violence.
Murray N. Rothbard a été vigoureusement combattu par les syndicats.
Cela pour deux raisons. Tout d’abord, en tant que théoricien
libertarien, parce que le mouvement syndical menaçait nécessairement
d’utiliser la violence (voir L’Homme, l’économie et l’État,
pp. 620-632). Deuxièmement, à cause des dommages corporels dont sa
famille a personnellement souffert (voir Raimondo, Justin. 2000. An Enemy of the State: The Life of Murray N. Rothbard. Amherst N.Y. : Prometheus Books, pp 59-61).
Nous ne devons jamais succomber au chant des sirènes de la brutalité des syndicats.
Walter Block est le titulaire de la chaire d’économie de Harold E. Wirth à l’Université Loyola, senior fellow du Mises Institute, et chroniqueur régulier pour LewRockwell.com.
E) Petite Histoire de la CGT
De sa naissance en 1895 aux dernières manifestations de cet automne,
la Confédération générale du Travail alias « La Cégète » a toujours été
un syndicat primaire préférant l’affrontement
au dialogue, le sabordage au compromis. On connaît Limoges pour sa
porcelaine et son pâté de pommes de terre, mais les cégétistes y voient
aussi la terre natale du prolétariat. C’est en effet dans cette ville,
pourtant placée sous la protection de Saint Martial, que le syndicat est
né en 1895 après l’abolition de la loi Le Chapelier proscrivant les
organisations ouvrières.
« La CGT, c’est le Cancer Général du Travail ; encore que
Krasucki dit que c’est faux, parce que le cancer évolue, et pas la CGT
! », racontait Coluche. Trente ans plus tard, cette boutade reste
d’actualité tant ce syndicat donne l’impression de faire un pied de nez
au darwinisme. Son horloge interne s’est arrêtée à la fin du XIXème
siècle lorsqu’il était question de pendre le dernier patron avec les
boyaux du dernier contremaître.
De la défense des ouvriers à celle des immigrés : un siècle de manipulation prolétarienne
Le socle idéologique de la CGT a été ratifié en 1906 lors de la
signature de la « charte d’Amiens ». On y trouve la formulation de
l’acide social qui tuera tant d’entreprises : la lutte des classes est
décrite comme le moteur de l’histoire et la grève comme le meilleur
moyen d’accélérer le processus. Objectif final : la disparition du
patronat et de la propriété individuelle.
Haine des contremaîtres, haine des patrons, haine de l’État bourgeois
: la CGT a toujours été proche d’un PC dont elle relaie l’action depuis
1920. Peu importe si son acte de naissance prône l’apolitisme. Le grand
frère rouge a toujours été le bâton de marche de la centrale de
Montreuil à l’exception d’une courte période, sous Louis Viannet, à la
fin des années 1990.
Savoir manier une clé à molette mais aussi une faucille et un
marteau : les liens entre la CGT et les communistes se sont resserrés
avec Benoît Frachon (1945-1967), ancien ouvrier métallurgiste qui
cornaquera la Confédération sous le Front populaire. Petit bonhomme tout
rond, tout rose et tout sectaire, Georges Séguy dirigea le syndicat de
1967 à 1982 avec un œil tourné en permanence du côté de Moscou. Sans
oublier Henri Krasucki (1982-1992, photo ci-contre), brocardé par les
humoristes pour son côté rustaud et gouailleur. Il sollicitera et
obtiendra du Politburo soviétique une aide financière ; 10 millions de
francs versés en deux fois en 1985 et 1986 pour son syndicat.
Quand la CGT préfère Marx à Proudhon
Frachon, Séguy, Krasucki, Viannet, Thibault, Lepaon et aujourd’hui
Martinez. Quelle que soit leur génération, tous ces hommes sont parés
des plumes rouges du syndicalisme révolutionnaire. Détruire pour
continuer à exister : le syndicat applique la ligne de conduite issue de
la Première Internationale, celle qui choisit Marx plutôt que Proudhon,
la violence plutôt que le pacifisme.
À la CGT, cette tentation communiste fut si totale qu’en 1921, une
branche dissidente se détacha de l’arbre. Plus coco que coco, elle
s’appelait la CGTU. Sitôt fondée, elle s’affilia à l’Internationale syndicale rouge pour
travailler sous le patronage du Kremlin. La brouille sera courte. Comme
les deux faces d’un même marteau et d’une même faucille, CGT et la CGTU
(U pour unitaire) se donnent l’accolade dès 1934, après la
manifestation des ligues d’extrême droite sur la Place de la Concorde à
Paris. La réunification des réformistes (CGT) et des confédérés (CGTU)
sera officielle lors du congrès de Toulouse en 1936.
Plus forts et plus nombreux : ces retrouvailles firent mouche lors
des grandes grèves de 1936 où l’action de la CGT additionnée à celle de
l’ex-CGTU fut déterminante. Les effectifs de la Confédération passèrent
de 800 000 à plusieurs millions d’adhérents en l’espace d’un an.
Cette même année, la Confédération obtint une victoire par KO contre
le patronat grâce aux concessions de Léon Blum : les accords de
Matignon accordent notamment le relèvement des salaires, l’extension des
conventions collectives, des délégués du personnel à l’intérieur des
entreprises, la semaine de 40 heures et 15 jours de congés payés. Le
syndicat pouvait triompher.
La CGT et Vichy
Après
l’ébriété du Front populaire, la gueule de bois. La guerre fut une
période sombre pour la CGT, tiraillée entre son amour pour un PC
approuvant le pacte germano-soviétique de l’été 39 et les partisans de
la ligne anti-hitlérienne, hostile au « défaitisme révolutionnaire »
prôné par Moscou. La CGT finira par demander à tous ses adhérents de
désavouer le pacte germano-soviétique. Certains de ses dirigeants
refusent. Ils seront exclus.
Une déliquescence en appelle une autre : une grande partie de la
gauche donne les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain qui remet en cause
l’existence du syndicat, peu après la formation du gouvernement de
Vichy.
Des dirigeants de la CGT d’avant-guerre se rallient au pétainisme.
René Belin (photo ci-contre), l’un des anciens responsables de la
Confédération deviendra même secrétaire d’État à la Production
industrielle et au Travail de 1940 à 1942. Il signera la loi portant sur
le statut des juifs d’octobre 1940.
Côté Résistance, la réunification entre les factions de la CGT est
facilitée par la fin du pacte germano-soviétique. Dès 1943, le syndicat
se ressoude dans la clandestinité. Les militants de la CGT combattent
l’occupant aux côtés des syndicalistes chrétiens de la CFTC. Durant une
guerre, écrivait Maupassant les hommes deviennent pires ou meilleurs.
La bravoure des résistants cégétistes n’a été contestée par personne.
En juillet 1944, le gouvernement provisoire de la République d’Alger
rétablit la liberté syndicale. La CGT sort de la clandestinité à l’été
1944. Après la Libération, le syndicat appelle au productivisme et à la
reconstruction économique du pays. C’est une période où elle affiche
jusqu’à 6 millions d’adhérents. Pour sauvegarder la sainte alliance avec
le PC, les nouveaux statuts votés lors du congrès d’avril 1946
interdisent le cumul des fonctions de membre du bureau de la CGT et de
parlementaire. En revanche, les membres du bureau peuvent appartenir
« aux organismes directeurs d’un parti politique ». Ce sera évidemment
le « parti du peuple ».
Côté gouvernance, le congrès de 1946 greffe une tête bicéphale au
syndicat avec d’une part, le communiste Benoît Frachon (ex-CGTU), et
d’autre part, Léon Jouhaux, moins radical.
Contre le plan Marshall
Si le modèle du syndicalisme révolutionnaire est difficile à imposer
en France, la CGT fait son possible pour l’exporter durant les années
1950. Elle prend parti contre la France coloniale durant la Guerre
d’Indochine (1946). Onze ans plus tard, dans la roue du PC, elle aura la
même attitude en soutenant le FLN et ses porteurs de valises pendant la
guerre d’Algérie.
Pour un syndicaliste révolutionnaire, la couleur de l’enfer c’est le
vert, la couleur du dollar. Dans l’après-guerre, les durs de la CGT
s’opposent au Plan Marshall. En mai 1947, les ministres communistes sont
chassés du gouvernement Ramadier. De grandes grèves démarrent l’hiver
de la même année. C’est le temps de la confrontation pour la
confrontation. Le PC est fort et veut en découdre. Les grévistes
réclament des augmentations de salaire de 25% et la révision
trimestrielle de leurs émoluments. Ce jusqu’au-boutisme provoque des
affrontements au sein même des instances du syndicat où l’on s’interroge
sur les motifs et la conduite de ces actions.
Le président du Conseil Paul Ramadier (SFIO, photo ci-contre) tombe
en novembre 1947, alors que les grèves insurrectionnelles menées par le
PCF et la CGT s’étendent dans toute la France. Dans la nuit du 2 au 3
décembre, des militants de la fédération du Pas-de-Calais de la CGT
sabotent la ligne ferroviaire Paris-Tourcoing. Un train déraille près
d’Arras. Bilan : 16 morts et 50 blessés.
En décembre 1947, Jouhaux claque la porte et lance la CGT-FO pour
rompre le lien ombilical avec le PC. FO sera financée par la CIA. De
leur côté, les enseignants refusent d’opter entre la CGT et FO et créent
la FEN. La galaxie syndicale française est presque au complet.
Le joli mois de mai 1968
Dans les années 1950, le monde syndical se partage entre la CGT et
des syndicats réformistes, moins motivés par l’anéantissement du
capitalisme que par le partage de la valeur ajoutée.
La CFTC se scinde à son tour en 1964 pour donner naissance à la CFDT,
proche du PSU de Depreux et de Rocard. Ses fondateurs quittent le
vaisseau amiral pour mettre la barre à gauche. Ils pactiseront avec la
CGT à la fin des années soixante. Cette union entre les rouges CGT et
les roses de la CFDT se délabrera après les émeutes de mai 68.
En 1972, la CGT soutient officiellement le Programme commun de la
gauche. Après l’élection de François Mitterrand, en 1981, le
gouvernement de Pierre Mauroy sait récompenser les syndicats qui ont
porté son champion au pouvoir. Il leur accorde la nationalisation de
cinq groupes industriels et de 36 banques, des ordonnances réduisant la
durée du travail à 39 heures, la cinquième semaine de congés payés et la
retraite à 60 ans.
Toujours en 1981, la CGT manifeste son soutien officiel aux quatre
ministres communistes du gouvernement Mauroy. Cet alignement avec armes
et bagages provoque une crise au sein même de la CGT. Deux secrétaires
confédéraux démissionnent. Henri Krasucki devient secrétaire général en
1982 à la place de Georges Séguy et s’engage dans un processus de
« soutien critique » à Pierre Mauroy. Pour continuer à exister, il faut
contester. Krasucki l’a bien compris. Il attend son heure.
Elle viendra après le départ des ministres communistes du
gouvernement, en 1984. La CGT monte alors au créneau contre François
Mitterrand. Elle se raidit lorsque les autres syndicats se relâchent. Et
la Cégète retourne à ses vieilles lunes idéologiques. Elle sortira de
son isolement en 1985 avec les journées nationales d’action
interprofessionnelle (projet de loi Delebarre sur la flexibilité…).
C’est durant la grande grève des cheminots de janvier 1987 que le
syndicat fait sa grande démonstration de force sans parvenir toutefois à
paralyser le pays.
Le déclin
Malgré tous les efforts du soldat Krasucki, qui rend son tablier en
1992, les effectifs de la CGT chutent au milieu des années 1990 dans un
déclin symétrique à celui du PC. Le rouge est passé de mode. Du coup,
sous le règne de Louis Viannet, la CGT tente de prendre ses distances
avec Georges Marchais, puis avec Robert Hue, le communiste qui ressemble
à un nain de jardin. En signe de bonne foi, la Confédération renonce
même à donner des consignes de vote en faveur du PC. C’est l’ère de la
schizophrénie.
Lors des grandes grèves de l’automne 1995, la CGT s’allie avec FO
pour combattre la réforme de la Sécurité sociale alors que la direction
de la CFDT soutient le plan Juppé. Puis, elle fait front commun avec la
CFDT contre le projet de réforme des retraites en 2003.
Sous l’ère Sarkozy, la CGT, tombée au plus bas,
joue un rôle ambigu avec le pouvoir afin de conserver son statut de
premier syndicat de France. Après les élections prud’hommales de 2008,
elle reprend la voie de la contestation pure et dure. À l’occasion de la
réforme des retraites de 2010, elle attaque le gouvernement Fillon et
met des centaines de milliers de fonctionnaires dans la rue. En mai
2012, elle revient sur la parole d’apolitisme donnée par Louis Viannet.
Bernard Thibault engage les adhérents de la CGT à désavouer le Président
sortant.
Ce retour à l’activisme politique a ranimé les dissensions au sein de
la centrale. Avec d’un côté une ligne dure, moscovite, partisane des
conflits radicaux, et de l’autre une branche plus encline à la
négociation. Cette schizophrénie interne a donné sa pleine mesure avec
la nomination de Thierry Lepaon après le départ de Bernard Thibaut.
L’élection de cet ancien métallo investi le 6 novembre 2012, après 9
mois de tergiversations a sonné le début d’un processus de déchirement.
Qu’il s’agisse de l’accord sur la formation professionnelle qu’il
voulait ratifier, de l’interminable grève des cheminots de juin 2014
qu’il soutenait à regret, on l’a jugé trop mou, pas assez combatif. Sa
croisade contre l’austérité a fait un flop intégral. Pour lui éviter la
douleur d’un second mandat, certains radicaux « les neuf traîtres », comme il les appelle1, ont alors sorti les peaux de banane : coût des travaux de son bureau, argent englouti dans la rénovation de son appartement de fonction,
indemnités… tout y passé. Il mettra un an et demi avant de céder son
tablier à Philippe Martinez. Depuis, l’ancien apparatchik a été
partiellement dédouané par ses anciens accusateurs…
Exit Lepaon, bienvenue au camarade Martinez. Ex-numéro un de la
branche métallurgie de la centrale (FTM-CGT), le nouveau secrétaire
général de la CGT, un ancien de Renault, ressemble à un personnage de
Cabu avec sa grosse moustache noire. Bien qu’il soit membre du PC selon
une source syndicale citée par l’AFP, il ne sort pas son Tokarev dès
qu’il entend le mot réformisme. Lors d’une interview accordée au journal
Le Monde, il se déclarait même prêt à rencontrer les grands patrons pour leur parler de « la vie ».
Et maintenant ? Eh bien, il s’agit d’inventer de nouveaux conflits à
mener avec les nouveaux prolétaires. Raison pour laquelle le syndicat
s’est engagé aux côtés des migrants, nouveau réservoir de la misère
universelle. Des papiers, de l’argent et du travail pour tous les damnés
de la terre ? Logique ! Comme disait Marx, les prolétaires n’ont pas de
patrie.
Thierry Lepaon, La vie continue, Éditions du Cherche Midi, 191 pages, 15€.
«Enquête sur la CGT», Les Dossiers du contribuable #10 décembre 2012/janvier 2013 – 4,50 € (port compris).Vous pouvez commander en ligne ce numéro.
Le syndicalisme désigne l'action des syndicats, groupes sociaux visant à
défendre des intérêts collectifs. Pour des raisons historiques, le
terme de « syndicalisme » s'applique à l'action des syndicats de
salariés et des patrons (syndicats patronaux), et par extension, à celle
des organisations syndicales étudiantes, lycéennes et professionnelles.
Le syndicalisme s'inscrit dans la lignée des groupements corporatifs,
on peut le considérer comme une forme de corporatisme.
Naissance du syndicalisme
Dès le début du XIXe siècle, il existe
des regroupements d'employeurs, mais rappelons qu'avant la loi Waldeck
Rousseau de 1884, autorisant les syndicats, ce type de « coalition »
(qu'il soit le fait d'ouvriers ou de patrons) est interdit. Le mouvement
syndicaliste prolétarien est né, lui, au cours de la seconde moitié du
XIXe siècle, dans un esprit fortement anti-démocratique. Le suffrage universel, opposé à la notion de « classe », fut perçu à l’origine comme un processus bourgeois socialement mutilant par sa dimension individualiste.
Aujourd’hui encore, les grandes confédérations syndicales acceptent
difficilement le processus de substitution de processus démocratiques
(élections des élus, referendums) au principe organique de
représentation. L’unité sociologique (classe sociale, masse homogène)
continue à primer, dans leur esprit, sur la diversité démocratique et libérale (le suffrage universel et le libre choix du marché).
Napoléon III octroie le droit de grève aux travailleurs comme soupape de sécurité (24 mai 1864 :
loi Ollivier supprimant le délit de coalition et reconnaissant le droit
de grève). La légalisation des associations ouvrières semble permettre
une canalisation plus contrôlable et plus constructive des
revendications et des protestations. La sphère du social, espace
de structuration artificielle et collective des rapports sociaux, est
née. Bien que vide de sens, elle continuera à rassurer le pouvoir
politique au cours du siècle suivant.
Pourtant, la crainte de conflits violents persiste malgré
l’instauration de représentations démocratiques à côté de cet espace
social structuré. À l’opposé de l’approche communautaire du syndicalisme
européen qui connaît un grand succès, le syndicalisme français
n’abandonne pas son engagement révolutionnaire et reste ultra
minoritaire. Adhérer à un syndicat français signifie incorporer pour
militer.
La Charte d’Amiens, en 1905, fixe clairement cette orientation activiste : « La
CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs
conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du
patronat ». Plus loin : « Le Congrès considère que cette
déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe, qui oppose sur
le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les
formes d'exploitation et d'oppression, tant matérielles que morales,
mises en oeuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière. […]
Mais cette besogne n'est qu'un côté de l'œuvre du syndicalisme ; il
prépare l'émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par
l'expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d'action la grève
générale et il considère que le syndicat, aujourd'hui groupement de
résistance, sera, dans l'avenir, le groupe de production et de
répartition, base de réorganisation sociale. »
Le ton est donné. Il ne changera plus.
Collectivisation de la sphère sociale
Pourtant, le législateur lui confie progressivement des pouvoirs croissants, d’abord à l’intérieur des entreprises, mais aussi, après la seconde guerre mondiale, au sein de la sphère de l'État.
En s’institutionnalisant et en radicalisant les rapports sociaux dans une perspective de lutte des classes, le syndicalisme continue à s’éloigner davantage des préoccupations concrètes et élémentaires des salariés.
Le Code du Travail, depuis 1910,
n’est qu’une stratification confuse de règles fondées sur une
sociologie des rapports sociaux et sur une doctrine particulière de l’entreprise, toutes deux d’inspiration sous-jacente marxiste. Il faut noter que depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981,
la très nette accélération de l’empilement de textes a doublé le volume
de ce Code, déjà complexe et touffu, et mené aussi bien l’entreprise que le marché de l’emploi au bord du gouffre.
Or, la représentativité sociologique, quelle qu’elle soit, n’est pas susceptible d’être juridiquement construite. Le droit du travail s’est donc développé de manière anarchique, sans respecter aucune norme de droit, avec les effets désastreux sur l’emploi, le développement de la précarité et le tassement des salaires vers le bas.
C’est juste après la grande guerre que les contrats collectifs, prioritaires sur les contrats individuels, font leur apparition. Le syndicat peut aussi agir en justice en se substituant aux individus
lésés.
Bref, le législateur permet une extension constante du domaine
d’autorité du syndicalisme. Lors du Front Populaire et dans l’immédiat
après-guerre, deux très courtes périodes d’engouement exceptionnel pour
le syndicalisme, les accords de Matignon de 1936 introduisent l’élection
des délégués du personnel dans les entreprises, et les comités
d’entreprise viennent s’ajouter aux précédents en 1945. Dans le même
temps. un Léviathan qui est né : l’« Etat-providence ».
Le syndicalisme est bien entendu partie prenante de cette
collectivisation des rapports économiques et sociaux. On lui assure la
main mise sur la sécurité sociale,
l’entrée au nouveau Conseil Économique et Social, dans les conseils
d’administration des entreprises nationalisées et à la Commission au
Plan.
Institutionnalisation du cartel syndical
Pire, le décret du 31 mars 1966
instaure un oligopole en fixant une « présomption irréfragable de
représentativité pour cinq confédérations nationales » et pas une de
plus. Dorénavant, elles seules disposent du droit (un monopole)
de représenter les salariés au niveau national.
Pour renforcer leur pouvoir, les sections syndicales d’entreprise,
créées dans la foulée en 1968, sont confiées aux délégués syndicaux, non
pas élus mais nommés par ces confédérations. Ainsi les syndicats
peuvent-ils engager, par la seule signature de leur délégué nommé, et
sans autre condition préalable, l'ensemble des salariés d'une entreprise ou d'une branche professionnelle sur des questions fondamentales touchant à leur vie.
En 1982, les lois Auroux alourdissent considérablement le poids des syndicats dans la vie des entreprises : obligation annuelle de négocier, apparition des « groupes d’expression », etc.
L’arrivée des socialistes au pouvoir marque aussi l’accélération du déclin du syndicalisme français.
Avec ses 430.000 représentants et permanents actuels et des comptes totalement opaques, cette institution lourdement bureaucratique
ne parvient toujours pas à évoluer, à appréhender la diversité des
réalités et des attentes des salariés. Malgré plusieurs tentatives
d’ouverture et de modernisation de la part de la CFDT, le monde syndical
persiste globalement dans la voie du conflit idéologique ou de la
défense d’intérêts corporatistes.
Les scissions de SUD et de l’UNSA vont, elles, plutôt dans le sens
d’une radicalisation des luttes. Dernier sursaut du moribond ?
Rappelons que depuis la révolution française, la loi Le Chapelier a fixé l’idée que l’intérêt particulier constitue une menace pour le pays, que seul l’intérêt général
compte. Cette mascarade rhétorique permanente atteint depuis vingt ans
son paroxysme lorsque la lutte syndicale, au nom de cet « intérêt
général », s’est mise à défendre des intérêts spécifiques. On se rend
compte, depuis, qu’il n’existe plus de représentation automatique et
définitive. Les coalitions sont limitées, les stratégies individuelles
et les négociations sont partielles et transversales.
Fonctionnarisation du syndicalisme
Pourtant, les négociations collectives ont progressivement quitté la
sphère de l’entreprise pour être signées au niveau des branches, notion
déjà confuse, à l’échelle interprofessionnelle ou bien enfin directement
avec les ministres. Ces « partenaires sociaux » officiels exercent dés
lors une pression croissante sur un monde politique fragilisé qui espère
trouver un surcroît de légitimité en négociant avec eux. Mais en
définissant au coup par coup le critère de représentativité et en
s’appuyant davantage sur cette légitimité sociale factice, le pouvoir
politique se retrouve confronté à l’antagonisme initial qui oppose
démocratisme et syndicalisme.
Dictature duale : État / syndicats
Dès lors, la société civile se retrouve de plus en plus prise en étau
(voire en otage) entre un pouvoir dual. S’adossant au pouvoir politique en quête d’une nouvelle crédibilité, l’institution syndicale cherche une légitimité. L’effondrement de l’illusion marxiste
et la situation sociale désastreuse où le syndicalisme a contribué à
nous mener, nous offrent l’opportunité d’assainir le syndicalisme dans
ses fondements et dans son fonctionnement. Le concept de « partenaires
sociaux » a prouvé, depuis longtemps mais particulièrement depuis une
dizaine d'années, sa nocivité et son injustice. Le moment est aussi venu
de repenser notre Code du travail, oppressif et incohérent. Le travail ne doit plus être perçu comme un mal à combattre, l’entreprise comme un ennemi à terrasser ou la liberté
individuelle de négocier comme une menace de classe. Il apparaît urgent
d’abandonner l’« idéologie de la négociation collective »
franco-française, purement incantatoire, pour revenir à un ensemble de
normes de Droit et à une vraie place pour les négociations individuelles.
La position libérale, en résumé
Le syndicalisme est légitime, pour autant qu'il respecte les principes du droit, que les syndicats ne prétendent pas représenter plus que leur base d'adhérents, et ne se voient pas accorder par l'État des privilèges (qui sont exorbitants en France : monopole de la représentativité, intrusion illégitime dans la vie des entreprises, entraves à la liberté de travail, gestion de la sécurité sociale, financement occulte et gestion de type mafieux[1],
etc., alors même qu'il y a moins de 10 % de salariés syndiqués dans le
pays). Ces abus de droit sont d'ailleurs aussi bien le fait des
syndicats de salariés que du syndicat patronal.
Dans d'autres pays, comme aux États-Unis, des millions de salariés ne peuvent être embauchés que s'ils adhèrent à un syndicat (closed shop) ;
la puissance des syndicats y est telle que les chefs d'entreprises
eux-mêmes se voient imposer certaines décisions et doivent obliger leurs
salariés à se syndiquer, même s'ils ne le souhaitent pas.
Quant à la prétention des syndicats de salariés à être capables de faire progresser les salaires, elle est fortement mise en doute par les économistes[2].
Il existe en effet une loi assez stricte qui aligne le niveau des
rémunérations (financières ou en nature) sur celui des productivités.
Des syndicats peuvent obtenir temporairement et pour quelques activités
des conditions plus avantageuses que celles qu'autoriserait la
productivité ; mais ce succès n'est qu'un transfert, au détriment
d'autres salariés ou des consommateurs, et ne saurait durablement remettre en cause le niveau des rémunérations.
Citations
« La pensée libertarienne est pleinement en accord avec un syndicalisme volontaire, mais catégoriquement opposée à un syndicalisme coercitif. » — Walter Block
« Paradoxalement, la baisse des adhésions
syndicales peut également s'interpréter comme une rançon du succès des
syndicats sur le "marchépolitique". Dans la mesure où aujourd'hui la législation contraignante de l'État
se substitue de plus en plus à la protection du syndicat, il est
inévitable que moins de gens se sentent motivés pour mettre leur écot et
leur temps à la disposition des centrales ouvrières. Pourquoi payer des
cotisations, ou sacrifier du temps à l'activité syndicale si la plupart
des objectifs qui guidaient l'action des syndicats sont désormais
inscrits dans la loi ? » — Bertrand Lemennicier
« La racine de l'idée syndicaliste se trouve dans la croyance que les entrepreneurs et capitalistes
sont d'irresponsables autocrates qui sont libres de conduire
arbitrairement leurs affaires. Une telle dictature ne doit pas être
tolérée. […] L'erreur fondamentale de ce raisonnement est évidente. Les
entrepreneurs et capitalistes ne sont pas des autocrates irresponsables.
Ils sont inconditionnellement soumis à la souveraineté des
consommateurs. Le marché est une démocratie de consommateurs. Les syndicalistes veulent transformer cela en démocratie des producteurs. Cette idée est fallacieuse, parce que la seule fin et raison d'être de la production est la consommation. » — Ludwig von Mises, L'Action humaine[3]
« La CGT, la CFDT, FO, la CFTC et la CGC ne sont
nullement gênées par leur ridicule poids réel dans la population
salariée. Elles parlent haut et fort et agissent en maîtresses des
lieux. Les gouvernements se plient humblement à tous leurs désirs. Et
elles empoisonnent la vie de tout le monde avec une bonne conscience
affichée qui fait frémir. » — Claude Reichman
« Des dizaines d’années avant l’apparition des
premiers partis communistes et même des premiers théoriciens
socialistes, ce sont les libéraux du XIXe siècle qui ont posée, avant tout le monde, ce que l’on appelait alors la « question sociale » et qui y ont répondu en élaborant plusieurs des lois fondatrices du droit social moderne. C’est le libéral François Guizot, ministre du roi Louis-Philippe qui, en 1841, fit voter la première loi destinée à limiter le travail des enfants dans les usines. C’est Frédéric Bastiat, cet économiste de génie que l’on qualifierait aujourd’hui d’ultralibéral forcené ou effréné, c’est lui qui, en 1849,
député à l’Assemblée législative intervint, le premier dans notre
histoire, pour énoncer et demander que l’on reconnaisse le principe du droit de grève. C’est le libéral Émile Ollivier qui, en 1864,
convainquit l’empereur Napoléon III d’abolir le délit de coalition,
ouvrant ainsi la voie au syndicalisme futur. C’est le libéral Pierre Waldeck-Rousseau qui, en 1884 fit voter la loi attribuant aux syndicats la personnalité civile. » — Jean-François Revel, La Grande parade
Depuis la guerre, les syndicats n'étaient plus un sujet d'étude très
prisé des économistes. Un professeur a calculé que 9 % des articles
publiés dans les années 40 dans les revues économiques avaient pour
sujet les syndicats. Dans les années 60, le pourcentage était descendu à
2. En 1975, il n'était plus que de 1,5. Les syndicats étaient devenus
la province quasi exclusive des sociologues et spécialistes en "
relations sociales " . Tout se passait comme si les économistes avaient
cessé de s'intéresser au sujet, malgré l'absence de recherche vraiment
fondamentale sur la nature du phénomène syndical et ses effets sur
l'environnement économique.
Le renouveau d'intérêt des
économistes pour les syndicats il y a quelques années a été largement
due à la controverse suscitée par le livre de deux chercheurs de
Harvard, Richard B. Freeman et James L. Medoff . Traditionnellement, les
économistes du travail sont plutôt des " institutionnalistes " qui
délaissent les longues recherches chiffrées et ne s'intéressent guère
aux subtilités de la théorie moderne de l'optimum. L'originalité de
Freeman et de Medoff a été de rompre avec ce comportement et de traiter
l'économie des syndicats avec toutes les ressources statistiques et
économétriques dans la tradition des recherches du National Bureau of
Economic Research. Le résultat est un travail extrêmement sophistiqué où
les deux auteurs attaquent de façon persuasive la thèse de notre
premier chapitre - à savoir que le syndicat doit d'abord et avant tout
être perçu comme un groupe de pression à vocation redistributive. Leur
argument est que se concentrer sur l'aspect monopolistique des syndicats
empêche de voir le rôle positif qu'ils exercent dans la société en tant
que véhicules de protestation; et que, globalement, leur contribution à
l'économie est plutôt largement positive. La somme de recherches et
de calculs empiriques introduite dans leur thèse a assuré son succès.
Nous vivons une époque où le caractère " scientifique " d'un travail
dépend avant tout de la quantité de chiffres, de tableaux et de
régressions qui y figurent. Par leurs publications, Freeman et Medoff
ont apporté une légitimité " scientifique " aux arguments de ceux qui
prétendent que la contribution des syndicats au bien-être des sociétés
industrielles modernes est nécessairement positive.
Nous pensons
l'inverse. Mais, pour défendre la validité de notre thèse, Freeman et
Medoff nous imposent maintenant de démontrer qu'on ne peut pas tirer de
la quantité d'informations empiriques qu'ils ont rassemblée les
conclusions qu'ils prétendent. Tel est l'objet de ce second chapitre. La
plupart des faits mis à jour par Freeman et Medoff sont certes
incontestables. Tout économiste a désormais une dette envers eux pour la
patience que leur a demandée leur travail de recherche statistique.
Mais il ne suffit pas de multiplier les données empiriques, encore
faut-il savoir les interpréter correctement. C'est là où nous ne sommes
plus d'accord. Nous croyons qu'en partant des mêmes constatations
empiriques, il est possible de prétendre qu'elles valident en réalité
davantage la thèse traditionnelle du syndicat-cartel que leurs propres
conclusions. Dans un premier temps nous présenterons un résumé de la
thèse de Freeman et Medoff. Nous discuterons ensuite la validité des
preuves empiriques qu'ils prétendent apporter à l'appui de leur
argumentation.
LES ARGUMENTS DE FREEMAN ET MEDOFF Traditionnellement,
quatre attitudes s'affrontent. L'analyse économique explique que les
syndicats servent surtout à exercer un effet de monopole sur le marché
du travail. Leur action a pour conséquence principale de relever le
niveau relatif des salaires dont bénéficient les salariés syndiqués, au
détriment de leurs collègues non syndiqués. Elle entraîne des effets
négatifs sur l'évolution de la productivité et l'emploi. Les chefs
d'entreprise se plaignent, eux, du caractère rigide des conventions
collectives imposées par l'action syndicale, des entraves à la
production qu'introduit le renouvellement des grèves, ainsi que du
niveau plus élevé d'absentéisme qui résulterait des progrès de la
protection syndicale. Les spécialistes des relations humaines
insistent essentiellement sur les avantages que les entreprises
retireraient, sur le plan de la gestion, des progrès de la négociation
collective. Celle-ci faciliterait les gains de productivité. Enfin, les
cadres syndicalistes insistent pour rappeler que leurs organisations ne
sont pas seulement là pour défendre les salaires; elles remplissent
également une fonction essentielle de protection des syndiqués contre
les décisions arbitraires de la direction. Toutes ces affirmations ne
sauraient être vraies simultanément. Lesquelles sont les plus crédibles?
Jusqu'à présent, on ne disposait que de très peu de données empiriques
permettant de départager les points de vue. C'est cette insuffisance des
données statistiques qui a motivé les travaux des deux chercheurs
américains.
Les deux armes du travailleur : le départ et la protestation Albert
O. Hirschman, dans son célèbre livre Exit, Voice and loyalty, distingue
deux mécanismes par lesquels les gens réagissent à un écart entre leurs
aspirations et la réalité . Freeman et Medoff reprennent à leur compte
cette typologie. Les travailleurs insatisfaits de leurs rémunérations ou
de leurs conditions de travail réagissent, et sanctionnent leur patron
en quittant leur emploi pour un autre, qui leur semble meilleur, dans
une autre firme. Mais il existe également une autre manière de faire
part de son mécontentement : protester. Avant que de prendre la porte,
on fait part à son patron, de manière plutôt vive, de ce qui ne va pas. Ces
deux modes de sanction ne sont pas équivalents. Lorsqu'on discute avec
son patron, mieux vaut être plusieurs que seul. Deux facteurs renforcent
le caractère nécessairement collectif des actions de protestation. Leur
objet, les conditions de travail, ont à bien des égards un caractère
naturel de " biens publics " . Lorsqu'il s'agit de conditions de
sécurité, d'éclairage, de cadences, de règles de négociation des
salaires, d'arbitrage en matière de licenciement... ce qui est accordé
peut difficilement être limité à quelques bénéficiaires et interdit aux
autres. Comme pour la défense nationale, l'hygiène et la santé publique,
il s'agit de " biens " qui concernent l'ensemble d'une communauté, et
qui, pour être produits en quantité optimale, requièrent des procédures
de décision collective. En l'absence d'action collective, les
individus ne tiendront pas compte dans leur comportement des
conséquences de leurs faits et gestes sur le bien-être des autres.
L'action individuelle pour obtenir l'amélioration des conditions de
travail ou du niveau des salaires sera peu efficace car les " coûts " en
seront concentrés sur la personne alors que tout le monde profitera des
résultats acquis. C'est cette asymétrie entre les coûts et les
avantages qui rend l'action individuelle inadéquate, et donc improbable,
pour traiter ce genre de problèmes. Par ailleurs, un ouvrier isolé,
même s'il a de bons motifs, n'osera pas élever la voix de peur de
prendre le risque de se faire renvoyer. Si le monde où évoluent les
travailleurs était parfait, soulignent Freeman et Medoff, et s'ils
avaient donc la possibilité garantie de retrouver aussitôt du travail au
même salaire, la loi du marché suffirait à assurer la protection de la
liberté de parole: malheureusement ce n'est pas le cas Lorsqu'il n'y a
pas de syndicats, les entrées et les sorties représentent donc le
principal mode d'ajustement par lequel les travailleurs peuvent exprimer
leur mécontentement. Les employeurs, de leur côté, règlent leur
comportement en fonction des préférences du travailleur marginal, celui
qui sera prêt à partir au moindre changement dans les termes de
l'échange. Ce travailleur marginal est celui pour lequel les " coûts de
mobilité " sont les plus bas. C'est typiquement un homme jeune, qui
n'a pas encore investi véritablement dans l'entreprise pour laquelle il
travaille. Dans ce cas, l'entreprise tend à négliger les besoins de la
main-d'oeuvre plus ancienne et plus âgée, qui, elle, est moins mobile
pour des raisons de compétence technique et de qualifications
spécifiques aux métiers de la firme où elle est employée, ou encore de "
droits " non transférables ailleurs (comme les pensions de retraite à
la mode anglo-saxonne). Les syndicats réduisent les " coûts de
transaction " internes de la firme Si l'on est en présence d'entreprises
fortement syndicalisées, expliquent les deux auteurs américains, la
tendance sera au contraire de tenir compte des préférences de tous les
travailleurs, de telle sorte que les besoins de ceux qui sont le moins à
même de s'exprimer individuellement (parce que c'est pour eux que les
coûts de prendre le risque de quitter l'entreprise sont les plus
élevés), seront également pris en considération. De ce fait,
concluent-ils, loin de nuire à la productivité, le mécanisme de
protestation par l'action collective du personnel est au contraire un
facteur d'amélioration des performances, et cela de quatre façons :
1. La présence d'un syndicat permet de réduire les " coûts de transaction " de l'entreprise. Lorsqu'un
employé formé par l'employeur le quitte avant que ce dernier n'ait
récupéré la contrepartie de son coût d'investissement, c'est une perte
sèche pour la firme. En offrant aux employés la possibilité de protester
ouvertement, avec moins de risques personnels, le syndicat diminue la
mobilité des travailleurs les plus insatisfaits, et donc les coûts que
cela entraîne pour l'entreprise.
2. Parce qu'il contrôle
l'établissement et l'évolution des rémunérations et qu'il les déconnecte
des performances individuelles, le syndicat réduit l'intensité des
phénomènes de rivalité au sein du personnel. Sa présence améliore la
coopération des gens au travail. Ce qui facilite le contrôle des
performances individuelles par l'encadrement. L'entreprise supporte des "
coûts de contrôle " moins importants.
3. En favorisant la
hausse des salaires en structurant les rémunérations autour d'un certain
nombre de normes types, l'activité du syndicat facilite le travail de
gestion du personnel. Elle permet à l'encadrement de faire son travail plus efficacement.
4. La présence du syndicat améliore la communication entre les employés et leur encadrement. En
facilitant la circulation de l'information, en facilitant également
l'introduction d'innovations locales dans le processus de production,
elle entraîne des effets positifs sur la productivité. Entendons-nous
bien. Freeman et Medoff ne nient pas la réalité de phénomènes
monopolistiques classiques. Ils reconnaissent qu'ils existent, et qu'ils
sont source d'effets nuisibles. Mais, prétendent-ils, à force
d'insister sur les aspects négatifs de l'action syndicale, les
économistes traditionnels ont fini par oublier totalement que les
syndicats pouvaient également être à l'origine de certains effets
bénéfiques. Ce sont ces effets qu'ils s'efforcent de présenter dans leur
livre, avec force chiffres et données empiriques à l'appui.
LES ÉCARTS DE SALAIRES Comment
les rémunérations dans les secteurs à forte implantation syndicale se
comparent-elles aux secteurs à faible syndicalisation? Avant Freeman et
Medoff, les travaux les plus connus et influents étaient ceux du
professeur G. Lewis . Publiés en 1963 (et confirmés par une nouvelle
étude rendue publique en 1983), ils suggéraient que les salaires des
secteurs syndiqués seraient en moyenne supérieurs de 10 à 20 % à ceux
des autres secteurs. A partir de leurs régressions, Freeman et Medoff
trouvent un écart sensiblement plus important. Compris entre 20 et 30 %.
Le problème de ces estimations est qu'elles portent le plus souvent sur
des données de nature transversale où ce sont des salaires gagnés par
des gens différents qui sont comparés à un moment unique dans le temps.
Ce genre d'analyse présente une faiblesse; les écarts constatés peuvent
avoir deux origines : ils peuvent s'expliquer par la différence de
syndicalisation, mais ils peuvent aussi avoir pour cause des données
propres aux deux populations étudiées - la technique utilisée ne permet
pas de faire la part des choses entre les deux hypothèses. Pour obtenir
des chiffres incontestables, il faudrait par exemple éliminer
l'influence de variables telles que les différences de formation et
qualification. Il n'est en effet pas absurde de penser qu'en raison du
caractère mieux protégé des emplois offerts, les entreprises des
secteurs d'activité à fort taux de syndicalisation ont plutôt tendance à
recruter des agents présentant, toutes choses égales d'ailleurs, des
qualifications professionnelles plus élevées. Pour pallier cet
inconvénient, des études portant sur des données statistiques
longitudinales ont été entreprises. Elles observent comment le salaire
d'un employé évolue quand il passe d'une activité à forte implantation
syndicale à une activité où l'influence des syndicats est beaucoup plus
faible (voir nulle). Leurs résultats donnent un écart moyen compris
entre 8 et 15 %. Ce qui confirmerait que l'avantage salarial apporté par
la présence de syndicats forts serait loin d'être négligeable. Ces
estimations proviennent des États-Unis. D'autres travaux ont été
réalisés sur des données canadiennes. Ils donnent des estimations
d'écart compris entre 20 et 30 %.
En Grande-Bretagne, le
différentiel a été estimé aux alentours de 7 %. En revanche, en France,
aucun écart notable n'a pu être observé. Deux études y ont été
réalisées. L'une par le tandem Frédéric Jenny et André Weber, deux
économistes connus travaillant pour le Conseil de la concurrence.
L'autre par François Hennart, de l'université d'Orléans. Les premiers
n'ont pas réussi à séparer l'effet sur les salaires lié au taux de
syndicalisation, du fait que ce sont les secteurs les plus syndiqués qui
sont aussi les plus concentrés. Le second, quant à lui, n'a trouvé
aucune différence significative de salaire dès lors que l'on fait
intervenir des données comme la structure des âges, le sexe, ou le
niveau de qualification de la force de travail . Les études des deux
économistes américains font enfin apparaître une moins grande dispersion
des rémunérations dans les secteurs fortement syndiqués. L'écart des
salaires y serait réduit de 20 à 25 %. 2 .
LES AVANTAGES EN NATURE Les
avantages en nature sous forme de pensions complémentaires, de
retraite, d'assurances médicales, de congés payés, d'indemnités de
départ, de prêts bonifiés, etc., sont incontestablement le produit de la
syndicalisation. Ils représentent souvent plus du tiers du coût du
travail dans l'entreprise, allant même parfois au-delà de 50 %. Les
travaux statistiques de Freeman et Medoff confirment l'existence d'une
corrélation très significative avec le taux de syndicalisation. En
moyenne, les secteurs fortement syndicalisés bénéficieraient d'avantages
en nature dont le montant serait supérieur de plus de 60 % à ce qui est
observé dans l'échantillon de firmes où le taux de syndicalisation est
faible. A salaires constants, l'écart serait encore de plus de 30 %.
LES DIFFÉRENCES DE MOBILITÉ Pour
Freeman et Medoff, l'un des avantages économiques du syndicat est qu'en
négociant des procédures de réclamation et d'arbitrage, ainsi que des
règles d'ancienneté plutôt plus favorables aux plus anciens dans
l'entreprise, il favorise une réduction de la mobilité de la
main-d'oeuvre. Leurs chiffres confirment une plus grande stabilité de
l'emploi dans l'échantillon d'entreprises à forte implantation
syndicale. Selon les secteurs, le taux moyen des démissions y est entre
30 et 65 % inférieur à ce que l'on observe ailleurs. Le nombre moyen
d'années passées par un salarié dans une entreprise y est de près d'un
tiers plus long. Cette moindre mobilité, du fait des comportements
spontanés de la main-d'oeuvre se traduirait, pour l'entreprise, par une
économie de coûts de l'ordre de 1 à 2 %. Pour obtenir dans les firmes
des secteurs les moins protégés un taux de démission identique, il
faudrait, selon Freeman et Medoff, y augmenter les salaires d'environ 40
%.
LES AJUSTEMENTS CONJONCTURELS Dans l'entreprise,
une catégorie de décisions importantes concerne la façon dont il
convient de réagir aux variations soudaines et imprévisibles de la
demande. Faut-il en priorité faire porter l'ajustement sur les salaires,
les heures de travail ou le niveau de l'emploi? Les recherches de
Freeman et Medoff confirment que la présence d'une influence syndicale
forte modifie le comportement des firmes face aux aléas inattendus de la
conjoncture. Durant les périodes de récession, les entreprises
fortement syndiquées recourent davantage au licenciement temporaire, et
ont plutôt tendance à éviter toute incidence sur le nombre d'heures
travaillées, ainsi que sur les salaires. Lorsque la reprise apparaît,
elles reprennent leurs anciens employés, cependant que les firmes non
syndiquées embauchent plutôt de nouveaux salariés. Ce n'est que lorsque
la crise se prolonge que les syndicats se montrent davantage disposés à
accepter des baisses de rémunération, ainsi que des aménagements aux
conditions de travail.
L'IMPORTANCE DE L'ANCIENNETÉ Freeman
et Medoff mettent en évidence l'existence d'une corrélation étroite
entre le taux de syndicalisation et la présence de dispositions
contractuelles favorisant l'ancienneté dans l'entreprise. Ils montrent
que, dans les firmes fortement syndiquées, la sécurité de l'emploi et
l'avancement y sont d'autant mieux assurés que les ouvriers concernés
sont plus anciens. D'une manière générale, les avantages en nature sont
ainsi conçus qu'ils bénéficient davantage aux plus anciens qu'aux
autres.
LE TAUX DE SATISFACTION DES SALARIÉS L'un des
résultats paradoxaux de l'enquête de Freeman et Medoff fait apparaître
que si les travailleurs des entreprises les plus fortement syndiquées
sont en règle générale moins tentés de quitter volontairement leur
emploi, en revanche, c'est dans cette catégorie d'entreprises que les
gens se plaignent le plus de leur situation. Leurs griefs portent
principalement sur les conditions de travail, ainsi que leurs rapports
avec les contremaîtres. Pour les deux économistes, cette contradiction
n'est qu'apparente. Pour obtenir des avantages, il faut exprimer son
mécontentement. Il est donc normal que, même si les gens n'ont pas envie
de quitter leur travail, les syndicats y entretiennent un degré
d'insatisfaction suffisant pour peser sur les décisions de l'employeur.
LES EFFETS SUR LA PRODUCTIVITÉ Selon
Freeman et Medoff, c'est une erreur de croire que la présence d'un
syndicalisme actif dans l'entreprise nuit à la productivité. Leurs
observations, affirment-ils, montrent que dans de nombreux secteurs
c'est l'inverse. Les établissements syndiqués afficheraient, dans
l'ensemble, une productivité plus élevée. L'explication en serait
simple. Le monopole syndical incite l'encadrement à embaucher une
main-d'oeuvre plus qualifiée pour ajuster la productivité aux salaires
versés. La moindre mobilité et l'amélioration des méthodes de gestion
assurent une coopération plus efficace au sein de l'entreprise elles
réduisent les occasions de conflit et donc les coûts internes. Certes,
le syndicat a le moyen d'imposer des conditions restrictives de travail
(cf. le fameux exemple du syndicat des pilotes exigeant la présence de
cois personnes dans le cockpit de l'appareil, alors que celui-ci a été
spécifiquement conçu pour être piloté par deux personnes seulement).
Mais, expliquent Freeman et Medoff, les analyses empiriques démontrent
que les deux premiers effets l'emportent largement sur le troisième. La
productivité serait en gros supérieure de 20 à 30 % dans les
établissements les plus syndiqués.
L'EFFET SUR LES PROFITS Les
études de Freeman et Medoff confirment la présence d'une corrélation
négative entre le pouvoir syndical et la rentabilité des capitaux
investis. D'une manière générale, la syndicalisation diminue les profits
de la firme. Cette réduction se situerait, selon eux, dans une
fourchette de 10 à 30 %, selon les années et les secteurs d'activités.
Leurs données confirment également que cet effet sur les profits est le
plus fort là où l'industrie est la plus concentrée; et le plus faible en
revanche là où la concurrence est la plus forte. Lorsqu'une entreprise
détient un véritable monopole industriel ou commercial, la présence d'un
syndicat puissant entraîne une forte réduction des profits. Elle n'a
que peu d'effets lorsque la firme appartient à une activité où la
concentration est faible.
LA PUISSANCE POLITIQUE Aux
États-Unis, le lobbying est une activité quasiment officielle. Les
syndicats ne se privent pas d'utiliser leur pouvoir de pression sur les
hommes politiques. Les militants syndicaux interviennent activement dans
le soutien à la campagne des candidats les plus favorables aux thèses
et revendications syndicales. Toutefois, selon les travaux de Freeman et
Medoff, si les syndicats américains ont jusqu'à présent bénéficié d'un
pouvoir politique suffisant pour éviter que ne soient remis en cause les
grands textes législatifs qui fondent leur pouvoir monopolistique dans
les secteurs où leur influence est depuis longtemps déjà assurée (le
Noris La Guardia Act, par exemple), en revanche il ne s'est pas révélé
suffisant pour leur permettre d'étendre leur influence dans de nouveaux
secteurs à tradition syndicale faible.
LE DÉCLIN DES ADHÉSIONS SYNDICALES Le
pourcentage de la population active syndiquée, dans le secteur privé de
l'économie américaine, a sérieusement régressé depuis les années 50.
Selon Freeman et Medoff, ce phénomène s'expliquerait principalement par
la chute du recrutement dans les secteurs les moins syndiqués. Ils
incriminent également le comportement des entreprises américaines qui,
depuis quelques années, auraient multiplié les mesures légales, mais
aussi illégales, pour enrayer les progrès de la syndicalisation. Telles
sont les principales thèses que Freeman et Medoff présentent dans leur
ouvrage. Nombre de données qui y figurent sont incontestables. Nous
pensons cependant que les conclusions qu'ils en tirent, même s'ils n'ont
pas tort sur tout, sont trompeuses, souvent fausses, et parfois fondées
sur des preuves empiriques qui restent néanmoins douteuses. Nombre de
faits rapportés par Freeman et Medoff restent compatibles avec
l'interprétation classique du syndicat vu comme un cartel, et peuvent
être resitués dans une approche contredisant le modèle d'exit and voice
qu'ils proposent.
LES DÉFICIENCES DE L'ANALYSE DE FREEMAN ET MEDOFF Au
coeur de l'analyse des deux économistes américains, il y a la thèse que
les services des syndicats constitueraient un ensemble de " biens
collectifs " , générateurs d'" externalités " positives. Les syndicats
offriraient des services qui, dès lors qu'ils seraient disponibles pour
un salarié, le seraient nécessairement pour tous du fait de la
difficulté d'empêcher quiconque d'en bénéficier. Dans de telles
circonstances, il est difficile d'éviter qu'un grand nombre de gens se
comportent en " passagers clandestins > : chacun attend que ce soit
l'autre qui prenne l'initiative et en supporte les coûts de production.
Une contrainte légale au profit des syndicats serait donc nécessaire
pour que ces services soient produits. C'est la justification
traditionnellement utilisée par les économistes pour légitimer
l'intervention de l'État. Cet argument est contestable. Il n'est pas
nécessairement vrai que les services rendus par les syndicats soient "
par nature " des biens collectifs. Ainsi que le rappelle John Burton ,
les services rendus par les syndicats peuvent être regroupés en quatre
rubriques
1. La négociation des termes du contrat de travail. Le
syndicat négocie en lieu et place de l'employé, son salaire, les
avantages en nature, ainsi que les conditions de travail.
2. La
surveillance de l'exécution des termes du contrat. Le syndicat veille à
ce que les clauses contractuelles soient bien appliquées. Il protège les
salariés contre des décisions de la direction qui auraient pour
conséquence de remettre en cause certains termes de l'accord collectif.
3.
Une action de soutien politique. Les syndicats font pression sur les
parlementaires pour obtenir des législations favorables aux intérêts de
leurs adhérents. Ils interviennent dans le financement des partis
politiques, contribuent à la diffusion de leurs idées, et aident leur
propagande électorale.
4. L'apport d'avantages privatifs.
L'adhésion au syndicat permet de bénéficier d'un certain nombre de
services réservés aux syndiqués : par exemple l'accès à certaines
mutuelles, les colonies de vacances gérées par les comités d'entreprise,
des centrales d'achat avec des facilités de paiement, etc. Question:
Tous ces services sont-ils vraiment des " biens collectifs " ? A
l'évidence, les colonies de vacances, les bons d'achat, les mutuelles ne
sont pas des " biens publics " . Il en va de même pour l'activité
politique des syndicats. Elle est un " bien public " pour les gens qui
partagent les mêmes idées que l'homme politique en faveur de qui le
syndicat fait campagne. Mais pour les autres, il s'agit plutôt d'un "
mal ". Il s'agit de faux " biens collectifs " La négociation des
contrats, ainsi que la surveillance de leur application, ne sont pas
davantage des services dont on peut considérer qu'ils ont par nature un
caractère " public " ou " collectif " . Dans les deux cas, l'exclusion
est possible.
On pourrait imaginer que les syndicats
interviennent seulement pour négocier collectivement les contrats de
leurs adhérents et laissent les autres se débrouiller. Freeman et Medoff
évoquent également l'argument selon lequel le lieu de travail, et tout
ce qui le caractérise (la sécurité, l'éclairage, le chauffage, le
confort des installations, etc.), constitueraient un " bien public " .
L'analogie qui vient immédiatement à l'esprit est celle de la rue. Mais
cette assimilation est abusive. A la différence de la rue, le lieu de
travail est la propriété de quelqu'un. Si un salarié n'est pas content
de l'éclairage qui règne dans son atelier, s'il conteste les règles de
sécurité qui y sont imposées par le propriétaire (interdiction de boire
de l'alcool sur le lieu de travail, obligation d'entretenir et de
nettoyer les machines avant de s'en aller, etc.), ou encore s'il n'est
pas content des prestations qu'il trouve à la cantine de
l'établissement, personne ne l'empêche de chercher un travail ailleurs.
Freeman et Medoff raisonnent comme si les ouvriers étaient "
copropriétaires " de leur atelier; ou encore comme si ces lieux
n'appartenaient à personne. Or ce n'est pas le cas. Autre faiblesse de
leur raisonnement.
Admettons qu'il y ait une liaison positive
entre taux de syndicalisation et efficacité productive, et que celle-ci
résulte bien de ce que la présence d'un syndicat actif améliore la
coopération. Si tel est le cas, on ne voit pas pourquoi les entreprises
auraient encore besoin de recourir aux services de contremaîtres et de
tout un personnel d'encadrement. N'est-ce pas précisément leur métier
que d'assurer une meilleure organisation et coopération des salariés
dans le cadre de leurs tâches quotidiennes? Pourquoi l'entreprise ne se
dessaisit-elle pas de ces problèmes pour en confier l'administration aux
syndicats eux-mêmes, puisque, si l'on écoute Freeman et Medoff, ils
sont supposés être plus efficaces? De la même façon, si cette
hypothèse était vraie, comment se fait-il que tant de firmes continuent
encore de lutter contre la présence des syndicats? Faut-il supposer que
les chefs d'entreprise sont tous des masochistes? Tout ceci est
incohérent. Reste l'argument que l'employé est, par rapport à son
employeur dans une situation d'infériorité car la seule sanction dont il
dispose -le quitter pour une autre firme, implique un ensemble de coûts
personnels qui freinent sa mobilité.
Creusons cette notion. Si
la mobilité a un coût, c'est notamment parce que l'occupation d'un
travail implique de la part de l'employé un certain investissement dans
des savoir-faire, des connaissances ou des tours de main spécifiques à
l'entreprise, et qui ne lui seront plus d'aucune utilité s'il passe dans
une autre firme. Si l'on suit Freeman et Medoff, cette situation
justifierait que l'on protège ces travailleurs contre la concurrence de
salariés marginaux qui, eux, n'ayant pas investi autant, ou ne cherchant
pas à investir, accepteraient les emplois qu'ils convoitent pour un
salaire moindre. Il s'agirait, en d'autres termes, de protéger les
salariés contre les phénomènes de dévalorisation de leur capital de
lavoirs spécifiques qui se produit à l'occasion de chaque changement
d'emploi.Un handicap qui n'existe pas Mais au nom de quoi devrait-on
leur accorder cette protection? La réalité d'un tel coût est en fait
fort problématique. Si un travailleur s'attend à rentier dans une
entreprise où il sait qu'il n'a aucune chance de récupérer, en cas de
départ, la moindre partie de ses investissements en capital humain, dès
le début il exigera un salaire plus élevé. Freeman et Medoff raisonnent
sans tenir compte que sur un marché du travail où la concurrence, pour
attirer et fidéliser une main-d'oeuvre aux savoirs de plus en plus
spécialisés est forte, le marché capitalise dés le départ, dans les
rémunérations, ce genre d'aléa.
Par ailleurs, une façon pour les
entreprises d'attirer la main-d'oeuvre est d'offrir aux salariés
embauchés la garantie qu'ils retrouveront lors de leur départ la
contrepartie des efforts spécifiques d'investissement consentis pendant
leur présence dans l'entreprise. Comment? En leur offrant des contrats
qui prévoient le versement d'indemnités de départ. Celles-ci
représentent dès l'embauche une sorte de reconnaissance des droits de
propriété de l'employé sur le capital spécifique qu'il aura accumulé
dans son travail. Elles sont un facteur de plus grande productivité
puisque l'employé n'hésitera plus à investir dans des savoirs ou des
compétences dont il n'a pas la garantie qu'il pourra demain en monnayer
la valeur dans un aune emploi.
A la différence de Freeman et
Medoff, ce raisonnement laisse entendre que la présence d'un marché
libre et concurrentiel est, là encore, la meilleure garantie de réduire
les " coûts de mobilité " de la main-d'oeuvre. La protection des droits
des uns sur leur accumulation de capital humain spécifique n'est pas
acquise au prix du sacrifice du droit des autres de venir leur faire
librement concurrence sur le marché du travail. La solution qui
émergeait du fonctionnement d'un marché libre et concurrentiel est plus
juste que l'intervention restrictive du syndicat.
En réalité, le
modèle traditionnel du monopole, combiné avec un modèle de
représentation des processus d'action collective mettant l'accent sur le
rôle central des préférences de l'" employé médian ", suffit largement à
rendre compte de la plupart des faits statistiques observés par Freeman
et Medoff, sans qu'il soit besoin de faire appel à leurs explications .
Pour le démontrer, nous prendrons quatre exemples .
Les écarts de rémunération Les
écarts de rémunération peuvent être expliqués par d'autres éléments du
marché du travail Admettons qu'il soit démontré sans l'ombre d'un doute
que les salaires des secteurs d'activité les plus syndicalisés sont
nettement plus élevés, cela ne suffit pas pour autant à démontrer qu'il y
a un lien de causalité nécessaire et durable entre syndicalisation et
taux de salaires. On peut expliquer le même résultat en faisant
intervenir d'autres facteurs et mécanismes. Prenons un modèle simple à
deux secteurs. L'un bénéficie de la " protection " d'un syndicat
puissant. Les syndicats sont totalement absents de l'autre. Grâce à
l'action de leur syndicat, les ouvriers du premier arrachent à leurs
entreprises le versement de meilleurs salaires. Ce taux de salaires plus
élevé y réduit l'embauche. Un certain nombre d'ouvriers qui y auraient
trouvé un emploi sont contraints de rechercher un travail dans le
secteur non syndicalisé. Cet afflux de demandes y entraîne une baisse du
taux des salaires jusqu'à ce que les conditions du plein emploi y
soient retrouvées. Résultat. on a deux secteurs, avec deux taux de
salaires différents, mais un taux de chômage finalement inchangé.
Cependant, cet écart de salaires crée une opportunité de profit. Des
travailleurs du secteur non protégé sont attirés par les hauts salaires
pratiqués dans l'autre. Ils préfèrent rester plus longtemps au chômage
plutôt que de prendre un emploi dans le secteur moins bien rémunéré,
parce qu'ils attendent qu'un emploi éventuel s'y libère. De même des
gens qui ne se manifestaient pas encore sur le marché du travail parce
qu'ils n'étaient pas satisfaits des rémunérations proposées, sortent de
leur réserve et gonflent la file d'attente de ceux qui viennent
s'inscrire au chômage dans l'espoir de trouver un jour un emploi dans le
secteur où les salaires sont les plus élevés. En résultat, on a bien
deux niveaux de salaires différents. Mais, en contrepartie, on a aussi
la formation de files d'attente, avec des probabilités différentes de
trouver l'emploi recherché. Le secteur syndicalisé étant selon toute
vraisemblance celui où les barrières à l'entrée sont les plus
importantes, donc aussi celui où le taux de rotation des emplois est
sans doute le plus faible, il se peut que l'écart apparent des
rémunérations offertes ne corresponde pas à une différence significative
des revenus réellement attendus par des agents économiques.
Dans
ce cas, la présence d'un écart de salaire important et durable peut
être interprétée non pas comme le produit de deux rapports de force
différents liés à la présence ou non d'un pouvoir syndical fort, mais
comme la contrepartie au niveau des salaires de la coexistence de deux
marchés du travail caractérisés par des variables institutionnelles
différentes : sur l'un, les rémunérations sont peut-être plus basses,
mais cela est compensé par une rotation plus rapide des emplois et une
probabilité plus grande pour chaque demandeur d'emploi d'accéder au
travail qu'il convoite; sur l'autre, les salaires sont plus élevés, mais
cet avantage se trouve réduit par la probabilité plus faible pour
chaque demandeur d'obtenir l'emploi qu'il recherche. Les données fourmes par Freeman et Medoff ne tiennent malheureusement pas compte de cette hypothèse.
Le coût économique du monopole syndical Le
coût économique du monopole syndical est beaucoup plus élevé qu'ils le
disent Freeman et Medoff estiment à 0,24 % du Produit national brut la
perte sociale totale liée à la présence de monopoles syndicaux. Ce
chiffre paraît bien faible. La figure suivante fait apparaître, sur
l'axe vertical, le salaire maximal que les employeurs 1, 2, 3 sont prêts
à offrir, ainsi que le salaire minimal que les groupes de travailleurs
a, b, c... exigent pour abandonner leurs autres activités et prendre les
emplois salariés qui leur sont ainsi offerts. L'axe horizontal
représente les embauches. Les particuliers classent par ordre
décroissant les rémunérations maximales offertes par les différentes
firmes, cependant que les employeurs font l'inverse: ils y classent par
ordre croissant les rémunérations minimales exigées par ceux qui
postulent aux emplois qu'ils offrent. Le salaire maximal qu'une firme
est prête à payer est déterminé par la valeur de la productivité
marginale d'une embauche. Celle-ci dépend, d'une part de la productivité
de la firme (c'est-à-dire sa capacité à combiner les facteurs de
production de façon à obtenir un produit le plus élevé possible pour le
coût le plus faible); d'autre part du prix du produit sur le marché. La
firme peut payer des salaires élevés soit parce qu'elle est très
efficace sur un marché très compétitif; soit parce que, même si elle
n'est pas très efficiente, elle bénéficie sur le marché d'une position
de monopole.
De la même manière, le salaire minimal exigé par
les employés est déterminé par les préférences des individus et le
revenu alternatif qu'ils sont susceptibles d'obtenir dans une activité
non salariée. L'intérêt de chaque firme est d'embaucher l'individu qui,
pour des qualités identiques, présente les exigences les plus faibles.
En agissant ainsi, elle pourra capter le maximum de " gains à l'échange
". (Le " gain à l'échange " est la différence entre le prix que l'on est
prêt à payer et le prix que le marché vous impose effectivement de
débourser.) Selon le même principe, celui qui cherche un emploi a
intérêt à se faire embaucher par l'entreprise qui offre le salaire le
plus élevé.
Par exemple, les groupes d'individus c et d
pourraient se faire embaucher par les firmes 1 ou 2 (qui sont prêtes à
offrir des rémunérations plus élevées que les sommes qu'eux-mêmes
réclament au minimum). Mais ils sont en concurrence avec a et b qui se
montrent a priori moins exigeants. Si elles en ont la possibilité, les
firmes 1, 2 et 3 leur préféreront leurs concurrents. La firme 1 pourrait
réaliser d'importants bénéfices en embauchant les individus a, b et c;
mais elle est en concurrence avec les firmes 2 et 3 qui, elles, sont
prêtes à offrir davantage pour attirer à elles ces salariés. Lorsqu'il y
a concurrence, les entreprises sont dans l'incapacité de s'approprier
la totalité des " gains à l'échange " disponibles. La firme 1 voudrait
embaucher l'individu a. C'est avec lui qu'elle réaliserait le gain à
l'échange le plus élevé. Mais cet individu apprend que la firme 2 a
accepté d'embaucher c pour un salaire quatre fois plus élevé. Il exige
la même chose. La firme 1, plutôt que de se voir privée de ses services
accepte, et réalise néanmoins encore un " gain à l'échange "
substantiel. Même chose avec les travailleurs b et c, ainsi que les
firmes 2 et 3. Finalement, les firmes 1, 2, 3 embaucheront les ouvriers
a, b et cau même salaire qui correspond, d'une part, à la rémunération
maximale que la firme 3 était prête à payer; d'autre part, au salaire
minimal que le travailleur c exigeait pour accepter de quitter son
activité présente pour un emploi salarié.
C'est l'offre de la
firme " marginale " qui, en définitive, impose son prix au marché, et
interdit aux employeurs de capter pour leur compte exclusif
l'intégralité des " gains à l'échange " . La concurrence conduit à ce
que les " gains à l'échange " disponibles seront partagés entre les
employeurs et les salariés embauchés. Sachant que c'est le salaire 3
qui, sous les effets de la concurrence s'impose au marché, la part des "
gains à l'échange " captée par les salariés est égale à sa somme
l'écart entre le salaire effectivement versé également à tous et le
salaire minimal exigé au départ par chacun). La part des employeurs,
elle, est représentée par la l'écart entre le salaire effectivement
versé par les entreprises à tous les travailleurs et le salaire maximal
que chacune était a priori disposée à offrir). Ce salaire 3 est celui
qui maximise la somme des gains à l'échange, tant pour les salariés que
pour l'ensemble des entreprises. Résultat: l'embauche des entreprises se
limitera aux travailleurs a, b et c. En revanche, d et e ne trouveront
pas d'emploi (aux conditions minimales qu'ils demandent). Parce qu'elles
ne peuvent offrir au maximum que des salaires inférieurs au prix imposé
par le marché, la firme 4 sera contrainte de se retirer. Imaginons
maintenant qu'intervienne un syndicat qui fait pression sur les pouvoirs
publics pour que soit imposé aux entreprises un salaire minimal proche
du salaire 1de l'échelle verticale mais inférieur à celui-ci. Ce salaire
dépasse ce que les firmes 2 et 3 étaient en mesure d'offrir à leurs
salariés. Elles aussi doivent se retirer du marché. Mais, en agissant
ainsi, elles suppriment les emplois b et c. A ce nouveau salaire, la
part des " gains à l'échange " captée par le secteur des entreprises
(leurs profits) diminue d'une somme égale à la somme A+B+E . La part des
" gains à l'échange " captée par les salariés (dans leur ensemble)
augmente de la somme A+B+C. On constate que ce que perd le secteur des
entreprises n'est pas intégralement récupéré par les salariés. Le total
des " gains à l'échange partagés entre les deux parties est diminué de
la somme E+F. Celle-ci est perdue pour tout le monde. Elle représente le
" coût social " qui résulte de l'activité corporative du syndicat. Le
travailleur a bénéficie d'un revenu plus élevé. Mais l'élimination des
firmes 2 et 3, et le non-emploi des ouvriers c et b, se traduisent au
niveau de la collectivité par une " perte sociale " que Freeman et
Medoff estiment, pour l'économie américaine, à 0,24 % du PNB. Cette
façon de comptabiliser le " coût social " des syndicats est cependant
erronée. Elle suppose que le syndicat atteint son objectif " sans coûts "
. Ce qui est une absurdité. La rente apportée par l'entente syndicale
est gaspillée en investissements visant à la protéger Au salaire de
niveau 1, les travailleurs b, c et d (e a renoncé à travailler) seraient
eux aussi preneurs d'un emploi dans la firme 1 . Pour y prendre la
place de a , ils seraient même prêts à se contenter d'un salaire minimal
de niveau 3. Le fait que le syndicat obtienne des pouvoirs publics le
vote d'un salaire minimal de niveau 1représente pour eux un coût en
termes d'opportunités de gains dont ils se trouvent ainsi privés.
Le
syndicat court le risque qu'un homme politique en mal de clientèle ne
s'intéresse à leur problème et ne les aide à obtenir une législation qui
leur serait plus favorable qu'aux intérêts visés par a . Comment ces
derniers peuvent-ils s'en préserver? La réponse consiste pour a à "
acheter " le consentement de b, c et d en obtenant de la collectivité
qu'elle les " indemnise " pour un montant égal aux sommes perdues. Le
coût de leur exclusion comme conséquence des activités du syndicat est
représenté par la somme D+E+F+G+H. Elle est supérieure au total des
"gains à l'échange " encaissés par a à la suite des actions corporatives
de leur entente. Si ces derniers devaient avoir le consentement des
exclus du marché du travail ils ne pourraient pas l'obtenir. C'est alors
le contribuable qui va payer sous la forme d'une allocation de chômage
ou d'un revenu minimum ce silence des exclus. Une fois cette opération
de redistribution réalisée, le groupe d'individus a qui obtient un
salaire minimum en sa faveur a en contrepartie l'assurance que b,c et d
ne gagneraient rien à contrer l'action de leur syndicat. Faisons
maintenant le bilan de la séquence d'événements consécutive à
l'intervention du syndicat organisé par a . Au lieu que a, b et c
occupent un emploi- salarié, seuls a e est employé. Leur revenu apparent
est plus élevé que ce qu'aurait été le niveau d'un marché libre. Mais
le coût social du monopole n'est plus E+F mais D+E+F+G+H. D'après Gordon
Tullock, ce coût est encore plus élevé car il faut ajouter les sommes
investies dans l'action syndicale et politique pour obtenir le salaire
minimum. Cette somme n'excedera pas A+B+C la rente désirée. Le véritable
" coût social " de l'action syndicale devient A+B+C+D+E+F+G+H.
Si
l'on reprend les chiffres cités par Freeman et Medoff (un écart de
salaires entre secteurs syndicalisés et non syndicalisés de l'ordre de
20 % ;une réduction du volume des effectifs employés de l'ordre de 13 % ;
un taux de syndicalisation moyen de 25 % ;une masse salariale égale aux
trois quarts du PNB; enfin un produit national brut de 3 069 milliards
de dollars en 1982), on obtient un " coût social " estimé à 4 % du PNB -
ce qui est très supérieur aux 0,24 % calculés par les deux auteurs. Toutes
ces dépenses non productives investies par les salariés dans l'espoir
de capter la " rente " économique attendue de la présence d'un syndicat,
représentent un formidable gaspillage collectif, beaucoup plus élevé
que le chiffre modeste avancé par les deux auteurs américains. Et cela
en définitive pour des gains corporatifs illusoires, car impossibles à
maintenir dans le long terme.
L'effet productivité Lorsque
le salaire augmente, la firme, pour maximiser son profit (ou minimiser
ses coûts), cherche à égaliser la valeur de la productivité marginale du
travail par franc dépensé, à celle des autres facteurs de production.
En conséquence, si la productivité marginale des autres facteurs est
inchangée, il lui faut, après une augmentation de salaire, obtenir une
élévation de la productivité marginale du travail. Elle cherchera à
obtenir le même supplément de production avec moins de travailleurs,
l'opération se traduit par une réallocation de ressources entre
différents facteurs de production, sans que l'augmentation de la
productivité du travail se traduise par une augmentation de la
production totale, ni même une réduction des coûts. Il y a seulement un
effet de substitution qui soit à l'oeuvre. Cette remarque donne la clé
de l'erreur que Freeman et Medoff commettent lorsqu'il déduisent de la
présence d'une corrélation positive entre le taux de syndicalisation et
la productivité du travail, la conclusion que l'activité corporative des
syndicats favoriserait le progrès technique. Ils supposent que les
gains de productivité ainsi observés correspondent à un déplacement de
la courbe de demande de travail, alors qu'en réalité il s'agit d'un
simple K effet de substitution " (c'est-à-dire un déplacement le long de
la courbe de demande de travail). Si, en effet, il suffisait
d'augmenter le prix d'un de ses facteurs pour que l'entreprise augmente
sa productivité globale, on aurait alors le secret de la croissance : il
suffirait d'imposer aux entreprises des charges toujours plus élevées
pour obtenir le résultat désiré. C'est clairement absurde. Le fait que
la firme réorganise l'affectation de ses ressources en procédant, dans
sa fonction de production, à la substitution d'un facteur à un autre,
n'est pas un signe de progrès. Obtenir le même supplément de
production avec moins de salariés n'a pas la même signification
économique que 1e fait d'obtenir un produit plus élevé avec le même
nombre d'employés. Une autre version du même argument est celle dite de
l'" effet de choc sur l'encadrement ". Le syndicat aurait un effet
positif sur la productivité du fait des conséquences stimulatrices que
sa présence entraînerait au niveau de l'encadrement. Pour reprendre la
terminologie si spéciale de Harvey Liebenstein, l'irruption d'un
syndicat dans la vie d'une entreprise aurait pour conséquence d'y
provoquer une diminution de l'" inefficience X ". Cette vision est
clairement incompatible avec les faits observés. L'idée que la présence
d'un syndicat stimulerait l'activité de l'encadrement et contribuerait
ainsi à améliorer les relations de coopération au sein du personnel est
incompatible avec l'observation de nombreuses pratiques syndicales
(telles que, par exemple, l'opposition des syndicats au contrôle des
performances, ou encore leur attitude restrictive dès lors qu'il s'agit
d'introduire de nouvelles innovations techniques).
Il ne semble
guère que leur présence soit conçue aux fins d'aider l'encadrement à
mieux faire son travail. Un élément statistique, relevé par Freeman et
Medoff eux-mêmes, rend apparent le caractère scientifiquement
fantaisiste de cette hypothèse. Il s'agit de la corrélation négative
entre syndicalisation et taux de profit. Si l'effet du syndicat est
d'améliorer la productivité de l'entreprise comme le ferait le progrès
technique, les profits ne devraient pas diminuer, mais au contraire
augmenter. Non seulement la rentabilité moyenne devrait s'améliorer,
mais cela devrait également s'accompagner d'une augmentation de l'emploi
pour le niveau de salaire négocié par le syndicat.
S'il était
efficace, le syndicat contribuerait à déplacer la courbe de productivité
marginale vers la droite. Les travailleurs syndiqués associés à la même
quantité de biens d'équipement seraient plus productifs que le même
nombre de travailleurs non syndiqués associés à la même quantité de
capital. Les profits seraient alors nécessairement plus élevés. Or c'est
précisément la relation inverse que font apparaître les recherches
empiriques de Freeman et Medoff. Le raisonnement théorique, ainsi qu'on
l'a vu dans les pages précédentes, montre clairement qu'une des
conséquences normales de l'entente syndicale doit être la baisse de la
rentabilité du capital investi par les actionnaires de la firme. Les
preuves empiriques sont, sur ce point, dépourvues d'ambiguïté. Elles
sont confirmées non seulement par les travaux de Freeman et Medoff, mais
aussi par ceux de Clark, ou encore de Ruback et Zimmerman. Toutes les
études révèlent une chute significative des profits consécutive à la
progression de l'influence des syndicats dans une industrie.
Si
Freeman et Medoff avaient raison, la courbe de demande de travail des
firmes syndiquées devrait se déplacer vers la droite. Pour un même
nombre de salariés, la productivité marginale devrait être plus élevée
dans le secteur syndicalisé que dans l'autre. De même, pour les profits.
Pour un plus grand nombre d'embauches au salaire désiré par l'entente,
les profits devraient être aussi élevés qu'en situation de concurrence.
Or tout cela est visiblement incompatible avec les observations
empiriques rassemblées à ce jour. C'est donc que Freeman et Medoff se
trompent. Ils méprennent un déplacement de la courbe de travail pour un
déplacement le long de la courbe.
Des faits statistiques compatibles avec une autre interprétation du rôle des syndicats. Freeman
et Medoff présentent toute une série de faits statistiques dont
beaucoup sont incontestables. Ils en tirent une série de conclusions
corroborant, pensent-ils, leur modèle d'exit and voice. Mais la plupart
de ces données empiriques ne sont pas décisives car elles peuvent
facilement être réintégrées dans un modèle classique analysant le
syndicat comme un " cartel ". Prenons, par exemple, la moindre rotation
de la main-d'oeuvre dans les firmes syndicalisées. Freeman et Medoff
l'interprètent, comme l'indice d'un meilleur climat social, la preuve de
ce que le syndicalisme améliorerait les conditions du dialogue entre la
maîtrise et le personnel. Mais il est tout aussi possible de soutenir
que cette moindre mobilité est en réalité quelque chose qui est
recherché par le syndicat, dans l'intérêt même de sa survie et des
intérêts personnels qu'il sert. Lorsqu'un salarié syndiqué s'en va, pour
cause de mise à la retraite ou par décision personnelle, l'entreprise
cherche à le remplacer. Or, une conséquence de l'action restrictive du
syndicat est qu'à chaque fois que les entreprises du secteur syndicalisé
recrutent, elles trouvent en face d'elles toujours davantage de
candidats qu'il y a de places disponibles. La préoccupation du syndicat
est donc de faire en sorte que les employeurs ne profitent pas de cette
position pour réviser leurs conditions de salaires. En général il y
réussit fort bien. Mais plus la rotation de la main-d'oeuvre est forte,
plus c'est difficile et coûteux. Toutes choses égales d'ailleurs, le
syndicat maintiendra d'autant plus aisément sa cohésion face aux
pressions du marché, que la mobilité de la main-d'oeuvre dans les firmes
soumises à son influence est faible. Autrement dit, le syndicat a tout
intérêt à faire ce qu'il peut pour abaisser le taux moyen de rotation du
personnel dans les entreprises qu'il contrôle. Nous avons signalé que
les recherches de Freeman et Medoff confirmaient que l'influence du
syndicalisme allait généralement de pair avec des clauses contractuelles
avantageant davantage les plus anciens dans l'entreprise. Cette
observation est parfaitement cohérente avec le souci des syndicats de
réduire la mobilité. Une manière d'y arriver est de privilégier les
travailleurs les moins mobiles, c'est-à-dire les anciens.
Par
exemple en favorisant le principe de l'ancienneté dans la détermination
des hiérarchies salariales. De la même façon, nous avons vu que c'est
dans les secteurs syndicalisés que les avantages en nature sont
proportionnellement les plus élevés. C'est logique. Un avantage en
nature est spécifique à la firme. Il représente souvent un
investissement que l'employé a peu de chance de retrouver de manière
identique dans une autre firme. Si l'objectif du syndicat est de freiner
la mobilité naturelle des travailleurs, son souci sera d'obtenir une
part d'avantages en nature la plus élevée possible. Selon le même
principe, il faut s'attendre à ce que les syndicats s'opposent aux
horaires flexibles ou " à la carte ", à la multiplication des contrats "
à temps partiel ", ou encore aux cumuls d'emplois individuels; et donc
que leur fréquence soit moins répandue dans les secteurs syndicalisés.
Cette
attitude s'explique aisément. Des horaires libres compliquent le
travail de contrôle et de prise en main du personnel par les militants
syndicaux. La multiplication des contrats " à temps partiel " crée une
population peu concernée par les " conquêtes " du syndicat. Ces
préférences syndicales rejoignent l'intérêt des entreprises. Pour des
raisons fiscales, celles-ci préfèrent, si elles le peuvent, et si cela
ne gêne pas leur politique de recrutement, augmenter la part des
avantages collectifs en nature au détriment des rémunérations
monétaires. C'est autant de moins qu'elles paient en impôts.
De
la même façon, il est souvent de l'intérêt de l'entreprise de réduire le
taux de rotation de son personnel. Toute embauche d'un nouveau
travailleur en remplacement d'un ancien se traduit en effet par une
série de coûts fixes qui pourraient être évités. Pour cela elle aussi
cherche à s'attacher les anciens en leur offrant des avantages dont le
personnel ne peut jouir qu'en restant fidèle à leur entreprise (par
exemple la possibilité de prendre sa retraite dans un établissement
spécialisé financé par l'employeur).
L'hypothèse du "
syndicat-cartel " laisse cependant penser que c'est dans les secteurs où
l'influence des syndicats est la plus forte que ces comportements de
l'employeur seront les plus marqués. Or, c'est précisément ce que
confirment les données empiriques de Freeman et Medoff. Reprenons leur
thèse selon laquelle la moindre fréquence des démissions d'employés dans
les secteurs syndicalisés serait la preuve de ce que la présence des
syndicats y est un facteur favorable à la productivité. Ayant noté que
c'est dans les entreprises les mieux syndiquées que les travailleurs
expriment verbalement le taux d'insatisfaction le plus élevé, ils
interprètent ce paradoxe en supposant que l'indice de satisfaction
véritable des employés dans l'entreprise s'exprime prioritairement par
leur attitude vis-à-vis de la mobilité, alors que leurs réponses
verbales ne sont qu'un instrument de surenchère servant à faire pression
sur la direction pour en obtenir des avantages matériels accrus. En
fait, il n'est nul besoin de telles contorsions intellectuelles pour
rendre compte de l'observation simultanée de ces deux résultats.
Le
taux de démission n'est pas un indicateur de satisfaction, mais un
comportement. On peut très bien être fort insatisfait de son emploi, et
malgré tout y rester. Démissionner présente en effet un " coût
d'opportunité ". Ce coût est d'autant plus fort que le salaire associé à
l'emploi présent est plus élevé par rapport à celui que l'on sait
pouvoir obtenir ailleurs. Comme les rémunérations réelles du secteur
syndicalisé (y compris les avantages collectifs en nature) sont en
principe plus élevées que celles des secteurs où les syndicats sont
moins implantés, il en résulte que c'est dans ces secteurs que le coût
de quitter l'entreprise est lui-même le plus important, quel que soit le
degré de satisfaction réelle que le salarié éprouve dans son emploi.
Les deux observations enregistrées par Freeman et Medoff ne sont pas
incompatibles.
Le paradoxe n'existe que dans leur tête. Cette
contre-interprétation se trouve confortée par le fait que c'est bel et
bien dans les secteurs les plus syndiqués que, comme on pourrait
logiquement s'y attendre, le taux d'absentéisme est le plus fort. Si
l'absentéisme n'a jamais été un signe de grande productivité, il n'a
jamais non plus été un signe particulier d'épanouissement dans le
travail. C'est bien la preuve que l'interprétation donnée par Freeman et
Medoff est contestable.
Aucune preuve de la supériorité de leur modèle, au contraire Si
l'on assimile le syndicat à un cartel, il est clair que son intérêt est
de rendre l'offre comme la demande de travail les moins élastiques
possibles, Une technique pour atteindre cet objectif consiste à obtenir
des employeurs qu'ils pratiquent le moins possible une politique de
salaires fondée sur la promotion individuelle. L'évaluation individuelle
permet en effet à l'entreprise de désolidariser les individus et, en
quelque sorte, de les " acheter " par une politique astucieuse de
salaires " au mérite ". L'employeur favorisera davantage les salaires de
ceux qui n'appartiennent pas au syndicat. Même si ces promotions sont
justifiées par des différences personnelles de productivité, celles-ci
étant difficilement mesurables, le syndicat les dénoncera comme
l'expression d'une politique de favoritisme, éthiquement condamnable.
Pour maintenir son pouvoir sur le personnel, le syndicat a intérêt à
imposer à l'employeur un mode de rémunération lié à la nature du poste
de travail, et non à la productivité individuelle de chaque salarié.
Dans cette politique, le syndicat recevra l'appui des salariés les moins
productifs. Ce mode de rémunération présente en effet a l'avantage de
rendre l'origine des différences de salaires, et donc leur
justification, plus transparente. La tendance de l'évolution sera de
ramener la dispersion des salaires au sein d'un même établissement, ou
d'une même firme, vers la médiane des rémunérations.
Ce que
confirment les recherches de Freeman et Medoff dont les données
statistiques établissent que la présence des syndicats est positivement
corrélée avec une moindre dispersion des salaires. Pour les deux
économistes américains, c'est la conséquence de ce que le syndicalisme
renforce la cohésion sociale de l'entreprise. Une autre manière de voir
les choses est de considérer qu'il s'agit là d'un dispositif dont
l'avantage est d'améliorer les moyens de contrôle et de discipline du
syndicat, notamment en renforçant au sein du personnel la solidarité des
groupes les moins efficaces contre les plus productifs.
Dernier
exemple, le comportement conjoncturel des firmes américaines. Ainsi que
nous l'avons déjà évoqué, les travaux de Freeman et Medoff montrent que
la syndicalisation conduit l'entreprise à préférer l'ajustement par la
mise au chômage de ses éléments les plus jeunes, plutôt que par le
partage par tous d'un nombre réduit d'heures de travail. Ce choix est
bien dans la logique d'un comportement de cartel qui conduit à sacrifier
les salariés les plus jeunes, les plus récents et les plus mobiles, aux
intérêts des plus anciens.
Au total, l'ouvrage de Freeman et Medoff relève de deux lectures. D'un
côté, il y a l'ensemble de faits et de données statistiques qui résume
de manière remarquablement documentée tout ce que la recherche
économique a accumulé concernant l'effet des syndicats sur la gestion
des entreprises. De l'autre, il y a un modèle d'interprétation dont la
structure logique est contestable. A la différence du modèle classique
qui assimile le syndicat à une entente, Freeman et Medoff présentent une
thèse qui n'élimine pas d'emblée la possibilité pour le syndicalisme de
rendre des services positifs à la collectivité. C'est leur droit. Mais,
pour être entièrement convaincants, il leur aurait fallu répondre à
deux exigences.
La première : présenter un modèle dont toutes
les conclusions correspondent aux données empiriques rassemblées; or,
ainsi que nous l'avons vu, ils n'y réussissent qu'au prix de quelques
grossières erreurs d'analyse théorique (comme à propos de la relation
productivité/profit, ou encore la confusion entre déplacement d'une
courbe de demande et déplacement sur la courbe).
La seconde:
compléter par une réfutation de la théorie adverse du " syndicat-cartel "
en recherchant des conclusions qui seraient incompatibles avec leur
propre analyse, et en contradiction avec les faits rassemblés; or toute
cette partie est absente. Voilà pourquoi, entre autres raisons, leur
ouvrage est à prendre avec de sérieuses réserves. Il ne contient rien de
décisif qui impose de rejeter définitivement l'hypothèse classique que
le syndicat est d'abord et avant tout une organisation corporative
entraînant des effets négatifs sur l'efficience du système économique.
Correctement analysé, il semble même que son contenu empirique en
renforce plutôt la solidité.
Il y a ententes et ententes L'insistance
de l'approche économique traditionnelle à ne voir dans le syndicat
qu'un " mal public " (au lieu du " bien public " que croient y déceler
Freeman et Medoff) se heurte à l'objection que les ententes et les
cartels d'entreprises sont parfois de bonnes choses. Bien que ce ne soit
pas le cas de la législation, de plus en plus d'économistes admettent
que, si les ententes et cartels existent de manière aussi fréquente,
c'est qu'ils doivent avoir une fonction économique positive, et servir
le consommateur. Il existe aujourd'hui tout un pan de l'économie
industrielle qui, à propos de l'analyse des phénomènes d'intégration ou
de semi-intégration verticale (franchises, concessions, fusions,
joint-ventures, etc.), réhabilite le rôle des ententes. L'entente, le
cartel, la joint-venture seraient des procédés par lesquels deux ou
plusieurs entreprises cherchent à identifier les économies d'échelle,
les complémentarités ou les synergies diverses qui pourraient les
rapprocher (et éventuellement justifier ultérieurement une fusion). Dans
cette optique, les ententes s'inscrivent dans la double démarche de
concurrence et de coopération qui caractérise le fonctionnement d'un
marché libre. L'idée de cette approche est qu'il n'y a pas de différence
de nature fondamentale entre une entente, un mariage d'entreprises
(fusion), et la création d'une seule firme. Ce ne sont que l'expression
de degrés différents dans une même démarche. Dans les trois cas, il
s'agit de formes d'organisations qui sont toutes le résultat d'accords
contractuels volontaires, et dont la finalité ne peut donc être que
d'exploiter des " gains à l'échange " non encore réalisés. Il est alors
tentant de considérer que ce qui s'applique aux firmes industrielles et
commerciales doit aussi être valable pour les " ententes " de
travailleurs.
Pourquoi n'y aurait-il pas aussi des ententes
syndicales qui soient économiquement " efficientes " ? C'est dans cette
optique que se situe la démarche de Freeman et Medoff. Raisonner ainsi
revient cependant à négliger une différence de nature essentielle entre
les deux institutions. Dans l'entente entre deux firmes, l'objectif
recherché est toujours de découvrir une meilleure combinaison des
ressources qui permette d'obtenir un résultat plus rentable, donc plus
efficient. Dans l'entente entre travailleurs, rien de cela. Le but du
syndicat n'est pas d'assortir les travailleurs de manière que leur
coopération avec la direction de la firme permette de produire plus
ensemble que séparément. Cette fonction est celle à qui revient
normalement à l'encadrement (ou au management, pour utiliser un terme
plus moderne). Si vraiment les syndicats remplissaient ce rôle, les
entreprises n'auraient pas besoin de recourir à l'embauche de personnels
d'encadrement. Il leur suffirait de contracter avec la " firme-syndicat
". Qu'elles ne le fassent pas, et qu'elles ressentent quand même la
nécessité de rechercher des services d'encadrement, indique que tel
n'est certainement pas le but de l'entente syndicale. Celle-ci poursuit
d'autres fins. C'est cette simple constatation de bon sens qui rend
suspecte une théorie qui veut absolument démontrer le contraire.Pourquoi le déclin du syndicalisme?Qui
adhère au syndicat? Le profil de ceux qui appartiennent à une entente
peut nous en révéler infiniment plus sur les attentes des travailleurs à
l'égard des syndicats que n'importe quel autre fait. Pour mieux
comprendre les raisons pour lesquelles les individus se syndiquent,
ainsi que les raisons de la baisse progressive depuis les années 60,
puis brutale au moment de la crise économique des années 70, du taux de
syndicalisation dans la plupart des pays occidentaux, nous utiliserons
un modèle simple d'offre et de demande d'adhésion syndicale.
Du
côté de la demande, les employés sont motivés à se syndiquer si le prix
de leur activité syndicale est bas - c'est-à-dire si le montant des
cotisations, ainsi que le coût du temps consacré à des actions
militantes, restent suffisamment faibles. Toutes choses égales
d'ailleurs, plus ce prix est élevé, moins les individus seront tentés
d'adhérer au syndicat. Si, pour un même coût global, les avantages
attendus de l'adhésion sont importants, ou si on note dans la population
une modification des attitudes plus favorable à faction syndicale, le
résultat sera un déplacement vers la droite de la courbe de demande, et
donc un accroissement, toutes choses égales d'ailleurs, de la demande
d'adhésions.
Du côté de l'offre, il faut remarquer que la
révélation des préférences des salariés ne vas pas sans coûts. De même
il est coûteux d'organiser une entente, de négocier des contrats, de
faire la grève, etc. Le militantisme n'est jamais gratuit (même si les
gens ne sont pas rémunérés). II existe donc comme partout ailleurs une
3courbe d'offre " qui traduit le dynamisme avec lequel leaders syndicaux
et militants vont travailler pour accroître le recrutement de leur
syndicat, et améliorer leur offre de services aux adhérents. Plus la loi
élève les barrières institutionnelles à la création et au
fonctionnement d'ententes syndicales, plus la courbe d'offre se
déplacera vers la gauche, entraînant, toutes choses égales d'ailleurs,
une baisse du nombre de travailleurs syndiqués. Même résultat, si les
conditions tu industrielles sont telles que les coûts d'organisation de
faction syndicale dans un secteur donné sont naturellement élevés
(industrie caractérisée par exemple par un grand nombre de firmes
dispersées). Celui qui montre naturellement une forte aversion pour le
risque, qui ne s'attend pas à voir son profil de carrière s'améliorer
dans un avenir prévisible, qui préfère être rémunéré par des prestations
non imposables, dont le revenu est plutôt dans la partie de la
distribution des revenus qui se situe 3 gauche de la médiane, ou qui ne
pense pas pouvoir retrouver aisément un nouvel emploi en dehors de son
travail actuel, est un candidat idéal dont il est relativement facile
d'obtenir l'adhésion. En effet, pour un coût donné de l'adhésion et de
l'action syndicale, l'avantage personnel attendu de la syndicalisation
est relativement élevé. Pour ce profil d'individu, la courbe de demande
se déplace vers la droite.
C'est le cas, par exemple, du
travailleur manuel, qui n'est plus tout jeune, qui a déjà atteint le
maximum de ses espérances de salaires, et qui appartient à une catégorie
professionnelle dont la distribution des revenus est relativement peu
dispersée. Ces caractéristiques se retrouvent également dans le cas des
minorités ethniques immigrées, où l'expérience prouve que le taux de
syndicalisation est traditionnellement élevé. En revanche, les femmes et
les jeunes font un calcul différent. Les jeunes ont par définition
l'avenir devant eux. Leur profil de carrière et de revenu n'est pas
encore déterminé. Les femmes mariées, ou qui espèrent bientôt l'être,
cumulent au moins deux emplois - celui du marché du travail et celui du
marché du mariage. Les revenus en nature qu'elles retirent de leur
mariage ne sont pas imposables. Pour ces deux catégories de population,
le gain apporté par la syndicalisation est plus faible. La courbe de
demande se déplace vers la gauche. Un changement de population salariée
En poursuivant ce type de raisonnement on fait apparaître qu'il est
normal que les syndicats soient plutôt plus puissants et mieux implantés
dans les zones où dominent les industries concentrées, avec des
établissements à effectifs salariés importants. C'est dans ce cas de
figure que les coûts d'organisation et de fonctionnement de l'entente
ont en effet toutes chances d'être les plus faibles. Ce schéma
relativement simple et standard peut être utilisé pour expliquer les
variations du taux de syndicalisation dans des pays comme la France, les
États-Unis ou la Grande-Bretagne. Depuis vingt ans la plupart des pays
industrialisés connaissent de profonds changements dans la structure de
leurs populations salariées. On y note une plus grande proportion de
jeunes, davantage de femmes mariées, de moins en moins d'ouvriers, mais
de plus en plus de gens ayant fait des études. Or il s'agit de
catégories sociales pour qui les avantages de la syndicalisation, toutes
choses égales d'ailleurs, sont plutôt moindres.
Par ailleurs,
la crise économique des années 70 a elle aussi réduit les avantages
attendus d'un syndicalisme militant. Enfin, la structure industrielle a
changé. La part des industries concentrées dans la production
industrielle a sensiblement diminué. Les entreprises des secteurs en
développement sont plus dispersées, leurs établissements sont
généralement plus petits, et elles exercent leurs talents sur des
marchés plus concurrentiels que la moyenne. L'élasticité de la demande
de travail y étant plus forte, les coûts d'organisation pour les
syndicats y sont plus élevés qu'ailleurs. Il faudrait également
mentionner l'évolution de la législation. Par exemple, en
Grande-Bretagne où le gouvernement a supprimé le système de la closed
shop, ainsi que tous les règlements publics dont l'effet était,
directement ou indirectement, de " subventionner " l'activité des
syndicats en en réduisant le coût d'établissement et d'adhésion.
Globalement, tous ces changements ont déplacé la courbe d'offre vers la
gauche.
Le résultat est une chute importante du nombre de
syndiqués dans les économies occidentales. Tout cela est évidemment très
schématique et demanderait à être plus approfondi. Mais ces quelques
éléments permettent déjà de répondre à Freeman et Medoff qui, à partir
de l'expérience américaine, attribuent les déboires du syndicalisme
occidental à l'aggravation artificielle des obstacles à l'extension du
mouvement syndical dans les entreprises. En réalité, l'essentiel du
déclin s'explique vraisemblablement davantage par des changements
profonds intervenus du côté de la " demande de syndicat " plutôt qu'au
niveau de l'offre. Dans la mesure où elle a aggravé l'insécurité de
l'emploi, la crise économique des années 70 a sans doute ajouté beaucoup
à la perte d'attrait des syndicats.
Paradoxalement, la baisse
des adhésions syndicales peut également s'interpréter comme une rançon
du succès des syndicats sur le " marché politique ". Dans la mesure où
aujourd'hui la législation contraignante de l'État se substitue de plus
en plus à la protection du syndicat, il est inévitable que moins de gens
se sentent motivés pour mettre leur écot et leur temps à la disposition
des centrales ouvrières. Pourquoi payer des cotisations, ou sacrifier
du temps à l'activité syndicale si la plupart des objectifs qui
guidaient l'action des syndicats sont désormais inscrits dans la loi?