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Sommaire:
A) Sacré Pierre Conesa ! - Proche&Moyen-Orient-Online - Hedy Belhassine
B) La propagande djihadiste : petit lexique des détournements de sens de Daech - Slate
- Robin Verner
C) Sciences et religion n’ont rien à se dire - huet.blog.le Monde
D) Shimon Peres, le dernier père fondateur de l’Etat d’Israël, est mort - Le Point
- Danièle Kriegel
E) Terrorisme : la France muscle son budget de la défense en 2017 - la Tribune - Michel Cabirol
F) Terrorisme : faire évoluer notre Etat de droit - figarovox
- Louis Vogel
G) Les racines de la violence humaine plongent dans l’arbre de l’évolution - Le Monde
- Nathalie Herzberg
H) Alep : pourquoi la crise humanitaire ne bouleverse pas la donne géopolitique - Figarovox
- Fabrice Balanche
I) Du « modèle » israélien
- Le Monde diplomatique
- Philippe Leymarie
J) Journée de l’unité allemande - ministère des affaires étrangères allemand
K) Des Américains veulent punir les sociétés françaises présentes en Iran - Boulevard extérieur - François Nicoullaud
A) Sacré Pierre Conesa !
Pourtant remarqué à chacune de ses interventions à la télévision, Pierre Conesa y est rarement
invité. Agrégé d’histoire, énarque, ses états de service dans l’enseignement, la défense,
l’armement et le renseignement auraient pu lui assurer un complément de retraite confortable
dans le lobbying en tous genres s’il s’était enfin abstenu de dire ce qu’il pense. Trop savant, trop brillant, trop décontracté, il a longtemps partagé les secrets d’État, il en sait long, il
décourage les candidats à la contradiction. Lorsqu’en responsabilité il lui arrivait d’être
placardisé, il en profitait pour voyager dans des pays sans touristes ou écrire des livres
singuliers : son petit Guide du paradis Edition de l’Aube 2011 est une friandise truculente à
mettre sur toutes les tables de chevet. Cet intellectuel ne pouvait pas escamoter le débat sur
l’Islam. Il n’est pas arabisant, n’a jamais mis les pieds à La Mecque mais a visité toutes les
capitales du Moyen-Orient où il a observé les Altesses dans l’ombre discrète des délégations
officielles; de surcroît, il n’a pas son pareil pour faire la synthèse d’une pile de documents.
Avec la parution de sa dernière contribution Dr Saoud et Mr Djihad ou La diplomatie
religieuse de l’Arabie Saoudite chez Robert Laffont, l’iconoclaste jette un pavé qui fera des
vagues dans le marigot des jihadologues. Il s’agit d’une échographie du monstre à double
visage qui ronge l’islam: la monarchie wahhabite saoudienne. Hubert Védrine dans une
préface remarquable salut cette étude du saoudo-wahhabisme comme élément du « soft
power idéologique planétaire»au même titre que celui d’Israël, de la Russie, du
Vatican...et juge l’ouvrage « sévère mais documenté... qui comble une lacune de l’analyse
politique»espérant au passage que le moteur auxiliaire du wahhabisme saoudien de
« certains émirats » (traduire le Qatar), fera l’objet d’un indispensable complément d’enquête.
La diplomatie religieuse de l’Arabie Saoudite est un modèle d’endoctrinement et de
prosélytisme d’État au service d’une idéologie que Pierre Conesa n’hésite pas à comparer à
celui des Khmers rouge et des Nazis. C’est une usine à propager le racisme , la misogynie,
l’homophobie, la haine du dissemblable. Elle dispose de moyens logistiques illimités et
bénéficie d’une totale impunité auprès de la communauté internationale corrompue par les
achats de pétroles et les ventes d’armes. Avec la rigueur du professeur d’Université, il retrace
la genèse du Royaume wahhabite en s’appuyant sur une solide documentation d’ouvrages
académiques dont le plus remarquable mérite d’être inlassablement cité : « Le pacte de Nejd »
par Hammadi Redissi, publié au Seuil en 2007, qui demeure l’ouvrage le plus éclairant sur
l’émergence planétaire de l’islam sectaire. Conesa scrute le formidable réseau d’influence de
la Ligue Islamique Mondiale, une ONG qui dispose d’un budget annuel estimé à 5 milliards
de dollars soit cinq à sept fois plus que l’ex URSS et vingt fois moins que le Vatican. Cette
diplomatie prosélyte de l’ombre est sans contradicteur car elle est systématiquement défendue
par la diplomatie officielle. Aucun régime démocratique ne peut lutter contre contre le mal qui
se déguise en bien ; contre Dr Saoud et Mr Djihad ; contre le chantage et l’argent. Et l’auteur
de rappeler que le gouvernement d’union de la gauche de Mitterrand s’était résolu, au début
des années 80 à contracter un emprunt de 3 milliards de dollars auprès de Riyad ; que sous la
Présidence de Sarkozy, Michèle Alliot-Marie Ministre de la Défense, en visite chez son
homologue le Prince Sultan , avait été proprement mise à la porte après sept minutes
d’entretien pour avoir osé faire allusion aux « carences du système éducatif saoudien ». On
pourra regretter que l’auteur, pourtant très informé, ne se soit pas étendu davantage sur les
incroyables complaisances de la France « pays où les droits de l’homme sont mieux protégés
que la population », mais d’autres livres suivront. Dans sa cartographie très complète des
lieux d’influences jihadistes, il démontre comment, aux quatre coins de la planète, l’action
religieuse de la monarchie saoudienne pervertit l’Islam. Ainsi, en Grande Bretagne où vivent
2,8 millions de musulmans, 100 000 enfants suivent les cours de 700 écoles coraniques. Il
existe aussi des hôpitaux halal, des quartiers signalés « Sharias zone » sans alcool, sans tabac,
sans femmes en cheveux, sans homosexuels... Pire, des tribunaux islamiques sont autorisés à
juger selon la loi coranique les conflits en matière commerciale et civile ; y compris les
querelles de couple et de voisinage. Unique protection contre l’arbitraire, les décisions de ces
juridictions sont susceptibles d’appel devant la Hight Court. « Le ministère de la justice laisse
faire. Peu médiatisé, la naissance de ce système d’arbitrage parallèle n’a pas suscité de
réaction en Grande Bretagne » remarque sobrement Pierre Conesa. Effarant ! Pendant ce temps, mais pour combien de temps encore ?... d’autres musulmans résistent à l’hégémonie
wahhabite: en Tunisie, en Algérie, au Maroc mais pas seulement. Qui leur vient en aide ? Qui
dénonce le génocide saoudien au Yémen, qui relaie les cris de souffrance de la jeunesse
encagée d’Arabie ? Personne ou presque. (En France, pas moins de cinq agences de conseil en
communication se chargent de « corriger » l’image des Saoud dans l’opinion) L’enquête de
Pierre Conesa est une contribution majeure à sélectionner en priorité sur l’étalage que
consacrent les libraires à « l’édition jihadologique ». Il faut espérer que sa large diffusion
réveillera les consciences. À l’avenir, nul diplomate, nul élève de l’ENA ou de Sciences Po,
nul commis de l’Etat nul candidat au suffrage universel ne pourront dire qu’il ne savait pas.
B) La propagande djihadiste : petit lexique des détournements de sens de Daech
«Hijrah», «Jahiliya», «Murtadd», «Tâghût», «Tawhid», cinq termes du Coran que la
propagande djihadiste ne cesse de citer. Si tous ces mots sont bien connus de l'islam, il n'en
reste pas moins que l'État islamique en a corrompu le sens. Deux spécialistes de l'islam nous
éclairent sur cette récupération politique. Les djihadistes émettent leur propagande dans toutes
les langues. Dans la longue et souvent haineuse logorrhée à laquelle nous a habitué l'Etat
islamique dans des publications telles que Dabiq, Dar al Islam et, depuis peu, la
revue Rumiyah, certains mots attirent particulièrement l'oeil du lecteur. Il y a d'ailleurs une
bonnee raison à ça, de prime abord: ils sont écrits en arabe (mais suivant l'alphabet latin) dans
des magazines pourtant rédigés en anglais ou en français, signe de leur importance
théologique pour des auteurs imprégnés de références coraniques. Leur récurrence
est frappante. On les trouve martelés dans chaque numéro, chaque brochure, signe cette fois
de leur importance politique pour les djihadistes. Nous en avons retenu cinq, parmi les plus
cités: Hijrah, Jahiliyah, Tâghût, Murtadd, Tawhid. Car comprendre leur emploi, c'est
commencer à entrevoir la mécanique des détournements de sens à l'œuvre chez Daech.
1.«Hijrah»ou le voyage détourné
L'«Hijrah», ou «Hégire» en français, désigne à l'origine le départ de Mahomet et de ses
premiers compagnons de leur ville de La Mecque, où leur foi est persécutée, vers la ville de
Médine, plus au nord de l'Arabie, davantage favorable à la cause de l'islam. La scène se passe
en 622 et permet à la jeune religion d'échapper à la destruction. Elle présente, de fait, une
grande signification pour les musulmans et fixe l'année zéro du calendrier musulman.
Cependant, si les salafistes guerriers utilisent aujourd'hui jusqu'à satiété le terme
d'«Hijrah», ça n'a que peu à voir avec Mahomet. Selon Mathieu Guidère, islamologue et
spécialiste de la langue arabe, auteur récemment du Retour du Califat mais aussi
d'une Introduction à la traductologie, les djihadistes ne sont pas les premiers à s'être emparés
de ce symbole: «Les musulmans considèrent que l'Hijrah originelle a permis à leur religion
de ne pas disparaître et c'est par conséquent un événement si considérable symboliquement
qu'on a constaté qu'ils le reprenaient lorsqu'ils se sentaient menacés. On distingue deux
grands épisodes. Tout d'abord, le terme est réactualisé lors des campagnes mongoles. C'est le
cas une première fois après que les Mongols ont mis à sac Bagdad en 1258. Quelques années après, Ibn Taymiyya emploie le mot. Plus tard, celui-ci est à nouveau utilisé au moment de la
seconde vague des guerres mongoles mené par Tamerlan au XIVe siècle. Le deuxième
épisode, c'est la guerre en Irak en 2003, date à partir de laquelle beaucoup de théoriciens
musulmans appellent à l'“Hijrah”.» Mais l'Hégire promu par l'État islamique est d'une autre
nature. L'organisation terroriste accole au terme depuis 2014 –année au cours
de laquelle Abou Bakr al-Baghdadi est proclamé calife par l'EI– un sens que le concept n'avait
jamais porté en plus de 1.400 ans d'histoire de l'islam. Comme l'explique Mathieu Guidère:
«À compter de 2014, l'EI émet des fatwas dans lesquelles il enjoint les musulmans,
notamment occidentaux, à quitter les territoires non-musulmans pour se rendre dans le “Dar
al islam” (“pays” ou “foyer de l'islam”, comme l'EI appelle son empire). C'est une
innovation majeure, car il n'y avait jamais eu d'appel semblable, même après la
“Reconquista” de l'Espagne par les chrétiens sur les musulmans à la fin du Moyen Âge.
À présent, on n'a pas affaire à une réactualisation mais à une réinterprétation du terme.»
Olivier Carré, sociologue et auteur de Mystique et politique –Le Coran des islamistes, apporte
un éclairage supplémentaire sur cette évolution qui prend à contre-pied l'histoire islamique:
«Normalement, faire l'“Hijrah” à partir d'un pays où l'islam est persécuté ou difficile à
pratiquer est une obligation. Mais dans la tradition musulmane, on a énuméré les situations
ou la résidence en terres non musulmanes étaient admises, dans la perspective d'une
extension pacifique de l'islam.»
Mathieu Guidère ajoute que l'EI a encore mêlé à l'acception
d'«Hijrah» une autre modification, de nature politique:
«L'EI cale sa notion d'“Hijrah” sur
l'“Alya” juive [c'est le nom que donnent les juifs à leur départ et à leur installation des juifs
en Israël] et il ne s'en cache pas. En septembre 2014, des membres de l'EI avaient même
copié des brochures vantant l'“Alya” pour promouvoir l'“Hijrah”. À ce moment, les cadres
du mouvement disent qu'il faut bâtir l'État islamique par un processus de colonisation inspiré
de celui d'Israël.»
2.«Jahiliya»D'une ignorance l'autre
Lorsque Mahomet accomplit l'Hégire en 622, c'est pour échapper à la vindicte des marchands
polythéistes qui dirigent alors la Mecque. Le polythéisme arabe préislamique est mal connu et
presque exclusivement à travers les écrits d'auteurs musulmans postérieurs. La tradition
musulmane a d'ailleurs trouvé une dénomination particulièrement négative pour cette période:
la «Jahiliya», ou «Temps de l'ignorance». Mais les djihadistes contemporains entretiennent
une vision très spéciale du paganisme. Il suffit, pour passer pour un tenant de la «Jahiliya», de
vivre dans un pays non-musulman et de se conformer aux mœurs locales. Au-delà, la
propagande islamiste a fait de cette «ignorance» le synonyme d'une période d'errements qui
semble un passage attendu dans la vie de ses djihadistes à l'étranger. Cette version de
la«Jahiliya»sert ainsi la communication de Daech dans le cas de terroristes dont la
radicalisation a été rapide après une existence préalablement éloignée des principes
islamiques (comme Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, l'auteur du carnage de Nice).
Mathieu Guidère détaille le principe:
«La “Jahiliya” est alors associée à l'idée de “Tawda”, de repentir. C'est en quelque sorte
l'équivalent islamiste du “Born again” chrétien. Cette idée de repentir après une vie
mauvaise a commencé à être mise en avant par les islamistes après la guerre avec les
soviétiques en Afghanistan. C'était aussi un concept mis en avant par le Groupe Islamique
Armé (GIA) algérien et al-Qaïda». Olivier Carré souligne encore une autre dimension du glissement qu'a subi la notion de«Jahiliya»à l'époque moderne: «Sayid Qutbet ses
successeurs se sont mis à évoquer une “Jahiliya moderne”, une idée qui n'appartient pas à la
grande tradition. Pour eux, il y avait urgence à convertir cette ignorance nouvelle, y compris
en terres musulmanes.»
3.«Murtadd»Un jeu de mots lourd de menaces
Les propagandistes de l'EI prennent un malin plaisir à s'attaquer aux premiers ennemis de
Daech au sein de l'univers de l'islam politique: les Frères musulmans. Pour les djihadistes,
«les Frères» sont avant tout coupables d'un terrible pêché: faire de la politique. Pire, ils
participent même à de nombreux scrutins électoraux à travers le monde.Mohamed
Morsi avait ainsi été démocratiquement élu président par les Égyptiens avant d'être renversé
par un coup d'État militaire en 2014 par les hommes du maréchal al-Sissi. Pour railler ces
adversaires dont l'histoire, déjà longue, et le poids politique ne peuvent qu'agacer
l'organisation terroriste, les propagandistes anglophones de l'EI ne parlent pas de «Muslim
Brotherhood» (nom officiel des «Frères» en anglais) mais de «Murtadd Brotherhood»,
soit «Les Frères apostats». Pour l'islam, est apostat quiconque a rompu avec la religion
musulmane. C'est dire si l'accusation pèse lourd quand elle est lancée à la face des islamistes
tendance «Frères musulmans». Pour Mathieu Guidère, il y a dans cette injure à l'adresse de la
confrérie d'origine égyptienne une forme de clin d'œil historique: «Au départ, l'islam médiéval
fait la différence entre l'apostat, qui sort de la religion sans forcément renier Dieu, et le
renégat, qui par définition le rejette. Mais cette distinction cesse d'exister pour les islamistes.
Et le théologien égyptien Sayid Qutb a été un des premiers à opérer ce glissement de sens. Ce
glissement a lancé le takfirisme, au centre de l'idéologie de l'État islamique aujourd'hui.»
Sayid Qutb, dont l'influence sur les idéologues de Daech est essentielle, a d'ailleurs nourri une
relation complexe avec les Frères musulmans. Après en avoir été l'un des cadres pendant de
nombreuses années, sa radicalité politique finit par l'en éloigner. Sa pensée du takfirisme qui
consiste à dire que la majorité des musulmans sont des apostats qui s'ignorent et sa volonté
d'en revenir à la société des compagnons de Mahomet cadraient mal avec le pragmatisme
politique de ses camarades de lutte.
4.«Tâghût»«Tyran» pour les musulmans, attaque contre les régimes laïcs pour les islamistes
L'Arabie qui voit naître l'islam est tribale. Et avant même l'apparition du nouveau culte, il
n'est pas rare que les chefs de tribus se servent de l'ombre commode de la divinité pour
imposer leur autorité. Les moins dupes peuvent à cette occasion taxer ces charlatans d'être
des «tâghût», qu'on pourrait traduire par «tyran». À présent, il suffit de parcourir une
brochure de propagande djihadiste pour deviner que l'insulte a changé de destinataire. Dans
n'importe quel numéro du magazine Dabiq de l'État islamique, Barack Obama, François
Hollande, l'Égyptien Abdel Fattah al-Sissi ou encore Bachar el-Assad sont indistinctemment
baptisés de cette manière. C'est que pour le djihadiste de notre époque, le «Tâghût» est le chef
d'un régime qui applique une autre loi que la charia, la loi coranique. Le fondamentalisme
chiite a ici ouvert la voie à l'extrémisme sunnite pour Olivier Carré: «Le concept de «Tâghût»
a été mis en valeur par l'ayatollah Khomeini dans le contexte de la révolution islamique et du
conflit avec les Etats-Unis. Mais ça n'a rien de traditionnel.»
5.«Tawhid»Une unicité aux significations multiples
L'islam est le dernier des trois grands monothéismes. Il est aussi la foi qui insiste le plus sur le
principe du Dieu unique. Au centre de la croyance musulmane se situe ainsi le concept de«Tawhid»(«unicité»). Très souvent rappelée dans le Coran, son importance est très
clairement illustrée dans les quatres versets qui composent la sourate 112, dite justement «De
l'unité de Dieu»: «Dis: Dieu est un. C'est le Dieu éternel. Il n'a point enfanté, et n'a point été
enfanté. Il n'a point d'égal.» On voit dans cette sourate que la conception islamique de
l'unicité permet à la foi de Mahomet de se distinguer de ces deux grands prédécesseurs,
pourtant tous deux monothéismes revendiqués: le judaïsme et surtout le christianisme dont
la Trinité passe pour une sophistication coupable. Paradoxalement, cette distinction est aussi à
l'origine d'une logique du dialogue et de l'invention de l'idée musulmane de «religions du
Livre»: «À l'origine, le Tawhid, fondement de l'islam, était inclusif. Les musulmans disaient
aux juifs, aux chrétiens: “Vous êtes les bienvenus au sein de l'islam mais si vous souhaitez
gardez votre religion, libre à vous.” Même quand les non-musulmans devaient s'acquitter
d'un impôt, il s'agissait d'un accord de protection. Aujourd'hui avec l'EI, le “Tawhid” est
utilisé pour exclure. Si ses membres estiment que vous ne respectez pas l'unicité divine, vous
êtes bons pour la mort», analyse Mathieu Guidère. Le goût des djihadistes, à commencer par
ceux de l'État islamique, pour les références au Coran, à la tradition islamique n'est plus à
démontrer. Et l'idéologie qu'ils défendent est largement tributaire de divers courants islamistes
modernes. Mais ces citations empruntées au corpus islamique, loin d'être un retour aux
origines, sont ainsi autant de trahisons à l'histoire musulmane.
C) Sciences et religion n’ont rien à se dire
Le 5 mars 1616, un décret de la Congrégation de l’Index annonçait
officiellement la condamnation des idées de Copernic sur le mouvement de
la Terre. Cette censure ecclésiastique est devenue l’emblème d’une
négation de l’autonomie de la recherche scientifique par les dogmes
religieux. Aujourd’hui, la question des relations entre sciences et
religions et des appels au « dialogue » entre ces deux domaines pourtant
si éloignés par leurs objets et leurs méthodes refait surface.
Le
thème du conflit a dominé les débats qui ont opposé depuis le XVIIe
siècle les savants aux autorités religieuses sur des questions
d’astronomie, de géologie, d’histoire naturelle ou sur l’origine de
l’homme et des religions. Cet essai prend le contre-pied du courant
actuellement dominant chez les historiens des sciences qui minimise les
conflits les plus célèbres entre sciences et religions et propose une
version œcuménique et édulcorée de l’histoire des rapports entre deux
institutions, dont chacune tente d’imposer sa vision du monde, l’une
fondée sur la nature, l’autre sur le surnaturel.
La vraie leçon de l’Affaire Galilée, c’est qu’il ne faut pas mélanger les
torchons et les serviettes. Ou les carottes et les patates. Ou les laboratoires et les sacristies,
synagogues, mosquées et autres temples de toutes religions. Et tabarnak ! Soyons honnêtes,
ces mots ne sont pas ceux qu’emploie le Québécois Yves Gingras dans son dernier ouvrage,
« L’Impossible dialogue – Sciences et religions » paru aux Presses Universitaires de France
(PUF, 423 pages, 21 euros). Mais ils résument son propos, certes de manière un peu cavalière.
L’historien et sociologue des sciences, au début de sa carrière, ne s’attendait pas à écrire sur
ce sujet considéré comme dépassé. Malgré quelques vagues « new age » dont Le Tao de la
physique de Fritjof Capra constitue un exemple majeur. Puis, dans les années 1990, ont fleuri
les tentatives de « dialogue« , de « convergence » et autres rapprochements entre sciences et
religions. Une nécessaire conversation selon les uns, voire des retrouvailles selon les autres.
Et mêmes des « concordances« , lorsque les exégètes prétendent faire coïncider la Bible avec
la géologie et la cosmologie ou le Coran voire le bouddhisme avec la physique quantique.
Trouver à toute force des accointances entre le discours rationnel et scientifique sur l’Univers
matériel, les sociétés et l’histoire humaines – sans oublier psychologie et religions – et celui
de ces dernières.
Des millions de dollars pour le dialogue science/religions
Ainsi, l’expression « dialogue between science and religion » dans le corpus anglais de
Google Books Ngram Viewer sur la période 1939/2008 montre un pic en 2001 après une
croissance fulgurante à partir de 1995. Le résultat de l’action convergente de « plusieurs
courants idéologiques« , montre Gingras. Parfois sous des formes très organisées et fortement
financées de fondamentalismes religieux comme l’action de la Fondation Templeton, dont
l’homologue islamique pourrait être le Center for islamic studies fondé par le chimiste
Muzaffar Iqbal. L’ingérence de la Fondation Templeton dans le fonctionnement même de la
science et des Universités à l’aide de bourses généreuses (plus de 50 millions de dollars entre
1996 et 2013) dont bénéficient des scientifiques aux convictions religieuses – comme les
physiciens Paul Davies ou John Barrow – se révèle très efficace (selon un mode déjà
expérimenté avec succès par des lobbys industriels comme celui des cigarettiers). Mais que
l’on retrouve jusque dans le travail historique universitaire lorsqu’une « microhistoire » des
sciences insiste sur les opinions religieuses de tel ou tel scientifique alors que la question
posée est celle de la relation entre institutions (Eglises au sens large et activités scientifiques)
et que le lien supposé entre la production scientifique et la conviction religieuse des
chercheurs n’est pas très heuristique quant au succès de la première. Niant le conflit, appelant
à « concilier » Bible, Coran, religions et sciences, ce discours a truffé colloques savants et
gazettes grand public (comme l’affirmait un directeur de la rédaction à Libération « un titre
Dieu et la science, cela fait vendre ! »...).
Dans un tel contexte, le livre d’Yves Gingras, d’une grande clarté conceptuelle, aisé à lire (1)
de par son organisation rigoureuse et reposant sur une érudition maîtrisée (2), vient à point. Le
lecteur y trouvera tout d’abord un retour sur « l’Affaire Galilée » bienvenu tant elle a donné
lieu à des présentations trop romancées. La dernière en date est celle de l’Eglise qui, sous le
mandat de Jean-Paul II, a tenté de se tirer « cette épine du pied » à son honneur. Ce qui est
pour le moins compliqué et débouche sur des contorsions et des contrevérités. Qu’il s’agisse
du traitement réservé au savant, cruel jusqu’à sa mort. Ou la prétention du cardinal Poupard –
en 1994 ! – de faire du Cardinal Bellarmin un meilleur épistémologue que Galilée alors que le
scientifique italien se révèle non seulement sans rival sur ce terrain mais meilleur chrétien que
le prélat, en l’avertissant qu’il prend le risque de voir l’Eglise, un jour, traiter d’hérétique
celui qui niera le mouvement de la Terre autour du Soleil. Plutôt qu’un dialogue sympathique,
les relations entre sciences et religions, singulièrement la chrétienne, furent surtout un conflit
que certains ont vécu « à mort ». Non seulement par la fin tragique de Giordano Bruno, brûlé
vif à Rome en 1600, mais surtout par le lent, graduel mais inexorable processus qui vit la
science expulser la religion de domaines toujours plus vaste de la pensée humaine sur
l’Univers. Physique, astrophysique, cosmologie, géologie, biologie, puis anthropologie, histoire et sciences sociales... partout Dieu est passé d’une position centrale à la
« périphérie » des sciences. Comme lorsque Buffon dans son Histoire naturelle ne mentionne
l’action de Dieu que comme celui qui donne « le branle » à l’Univers puis s’efface pour
laisser place à la physique et ses lois. Mais le mouvement s’est poursuivi jusqu’à son
expulsion. Le triomphe de l’approche rationaliste des phénomènes à éluciders’est
accompagnée de«l’exclusion corrélative de Dieu du champ scientifique«, écrit Yves
Gingras. Le philosophe Arthur Schopenhauer, cité par l’auteur, le dit à sa manière :
«le savoir
est une matière plus dure que la foi, si bien que, s’ils s’entrechoquent, c’est la foi qui se
brise.»
L’expulsion lente et inexorable de Dieu
Les esprits forts l’ont perçu dès le début de l’aventure. Ainsi souligne l’auteur, c’est dès 1671
que Jacques Rohault écrit :
« la théologie et la philosophie (la science, note de SH) ont des
principes différents; la théologie est fondée sur l’autorité et la révélation et
la philosophie n’est fondée que sur la raison d’où il suit que l’on peut traiter l’une sans l’autre« . Que les théologiens s’occupent du « surnaturel » et de
‘l’extraordinaire » et qu’ils laissent les scientifiques s’occuper, plus modestement, de
«l’ordinaire» et du «naturel» où les miracles n’ont pas de place. Cette séparation
épistémologique va permettre l’autonomisation de la science... et ceci malgré les convictions
religieuses souvent maintenues des scientifiques eux-mêmes.
Pour autant, souligne avec
ironie Gingras, l’espace absolu de Newton a été beaucoup plus utile et utilisé par les
physiciens jusqu’à Einstein que son idée qu’il s’agissait là du sensorium Dei. A cette
expulsion lente mais inexorable, les institutions religieuses ont résisté. L’Eglise catholique en
particulier qui a usé et abusé de tous ses moyens pour « censurer » la science jusqu’au début
du 20ème siècle. En 1950 encore, Pie XII, dans Humani generis semble autoriser les
scientifiques catholiques à mener des recherches sur l’évolution des espèces mais «à la
condition que tous soient prêts à se soumettre au jugement de l’Eglise, à qui le Christ a confié
le mandat d’interpréter les écritures et de protéger la foi». Pour enfoncer le clou en affirmant
ensuite que l’hypothèse de la fixité des espèces est « égale » à celle de l’évolution.
Dialogues et divagations
Avec un tel passif, Yves Gingras s’étonne que des historiens aient par la suite, et surtout
depuis vingt ans, avancé l’idée que le conflit entre science et religion serait un «mythe».
Quant au «dialogue» actuel, il faut bien avouer que seules les religions et leurs porte-paroles
en font la demande... dans une curieuse quête de crédibilité auprès des sciences auréolées de
leurs succès. En examinant un à un les composantes de ce dialogue, l’auteur les réduits à...
«l’intersection vide de deux univers de discours». Et règle leurs comptes avec ironie au
« principe anthropique » (dont le Prix Nobel de chimie Ilya Prigogine estimait «qu’il ne
signifie rien») et autres expériences de Carmélites en méditation sous IRM censées montrer
que cette méditation «n’est pas réductible à une pure activité neuronale« . Sans oublier les
divagations de physiciens fondant l’immortalité de l’âme sur la physique quantique, les
dérapages commerciaux habillant de « divin » le boson de Higgs et autres « mélodie secrète" mêlant physique et vision enchantée de la nature. Le paysage français sera lui, dans les années
1990 et 2000 contaminé par l’action de l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP), animé
par Jean Staune et abondamment financée par la fondation Templeton. Quant au discours
officiel de l’Eglise catholique, Benoit XVI en revenait aux « fondamentaux », comme au
rugby : soumettre la raison à la foi. Bref, le conflit entre croyances et savoirs est toujours là,
comme le montrent les difficultés des archéologues américains confrontés au refus de groupes
autochtones de voir des squelettes fossiles soumis à investigation. Le livre d’Yves Gingras
vient donc au moment idoine pour remettre les pendules de la raison à l’heure. Passionné
par frère Marie-Victorin, l’un des fondateurs de l’élan scientifique québécois dans les années
1920, Yves Gingras ne pouvait manquer de reproduire son sage conseil, d’autant plus
perspicace qu’il provient d’un homme de foi, aux uns et aux autres : « laisser la science et la
religion s’en aller par des chemins parallèles (3), vers leurs buts propres. »
(1) L’ouvrage est dans l’ensemble très bien édité mais souffre de quelques rares coquilles,
comme un qui à la place d’un que ou un verbe incorrectement conjugué page 89.
(2) Très bel exemple avec l’explication du personnage de Simplicio dans le « dialogue sur les
deux grands systèmes du monde », qui est un hommage à Simplicius, philosophe du Vème
siècle et non une pique anti-papale.
(3) dans une géométrie euclidienne où les parallèles ne se rejoignent jamais... et non dans
celle de Riemann (un internaute me dit que non, il ne faut pas faire référence à Riemann, peut-
être un mauvais souvenir, en tous cas, c’est correct pour la géométrie de la RG) utilisé en
Relativité générale, sinon, l’image ne fonctionne pas.
D) Shimon Peres, le dernier père fondateur de l’Etat d’Israël, est mort
Ancien Premier ministre, puis président d'Israël et Prix Nobel de la paix en 1994, il
décède à 93 ans au terme d'une carrière politique hors norme. Quand on lui demandait le
secret de sa longévité, Shimon Peres s'amusait à répondre : gymnastique tous les jours, pas de
gros repas et un ou deux verres de bon vin. Parfois, il modifiait sa recette de jouvence en
parlant de ce jus de citron qu'il prenait chaque matin à jeun. Lors de son élection à la
présidence, à 83 ans, il avait eu cette formule : je suis fâché avec la mort. Finalement, la
grande faucheuse a eu raison de l'ultime survivant de la génération des pères fondateurs.
Lorsque mardi 13 septembre, le neuvième président d'Israël fut admis à l'hôpital Tel-
Hashomer à Ramat Gan, près de Tel-Aviv, tout le pays avait compris que le compte à rebours
final avait commencé. L'accident vasculaire cérébral dont il a été victime ne lui laissait guère
de chances de sortir debout du plus grand établissement hospitalier du pays. Il a 11 ans quand,
en 1934, ses parents quittent définitivement la ville de Wisniew, alors en Pologne et
aujourd'hui en Biélorussie, pour s'installer en Palestine mandataire. Plus précisément à Tel-
Aviv. Quatre ans plus tard, son père l'envoie étudier au lycée agricole de Ben-Shemen. Celui
qui est né Szymon Perski devient Shimon Peres et se partage entre ses études, le kibboutz
Gueva où il vit et les activités de Noar HaOved (La Jeunesse travailleuse), le mouvement de
jeunesse du parti au pouvoir, le Mapaï. Ce seront ses premiers pas en politique. Mais c'est dix
ans plus tard que sa vie bascule. Alors que le jeune homme s'est engagé dans la Haganah, la
milice clandestine d'obédience sioniste travailliste créée en 1921 et qui formera en 1948 le
noyau de la jeune armée israélienne, David Ben Gourion décide d'envoyer le jeune homme à
l'étranger. Sa mission : participer à la grande opération d'achat clandestin d'armes. Et c'est
parti pour un destin hors norme. Fini, le jeune vacher qui, en 1945, a épousé Sonia, une fille
de son kibboutz. Place aux feux de la politique. D'abord comme bras droit de David Ben
Gourion, le Premier ministre de l'époque, qui croit en lui au point de le nommer, à même pas
trente ans, directeur général du ministère de la Défense. Une de ses principales tâches fut de
négocier des accords militaires avec la France. Les livraisons d'avions de combat, le fameux
Mirage III, les chars qui ont permis les victoires israéliennes de 1956 et 1967 et, surtout, la
construction du réacteur nucléaire de Dimona.
Un penchant pour la manœuvre politicienne
En 1959, nouveau tournant : c'est cette année-là que commence véritablement sa carrière
politique, avec son élection à la Knesset, le Parlement, sur la liste du Mapaï. Il sera dès lors
constamment réélu et accédera à un éventail impressionnant de fonctions ministérielles :
Finances, Défense, Affaires étrangères, Immigration, Transport et, par deux fois, celles de
chef du gouvernement. Un parcours de champion qui, dit comme cela, semble marqué à l'aune
d'un succès sans faille. Pourtant, en près de 70 ans aux premières loges de l'histoire de son
pays, Shimon Peres aura rencontré plus d'épines que de roses. À la tête du Parti travailliste,
lors des législatives de 1977, 1981, 1984, 1988, il multipliera les échecs électoraux. Si bien
qu'on finira par lui coller l'étiquette de l'éternel « loser » (perdant). Ses propres amis
politiques participeront à la curée. Lors d'une réunion des instances travaillistes, à la fin des
années 80, à sa question « Suis-je un perdant ? » l'assemblée répond en chœur : « Oui ! » Ce
qu'on lui reproche par-dessus tout, c'est son penchant pour la manœuvre politicienne. Yitzhak
Rabin, son archi-rival au sein du parti, ira jusqu'à le qualifier de « sale intrigant ». Pas de répit
non plus à la gauche du Parti travailliste, où ses adversaires ne cessent de rappeler son
parcours de « faucon » et la marque d'infamie que constitue à leurs yeux son soutien actif
dans les années 70 à la colonisation naissante en territoires occupés. À droite, la haine contre
lui atteint son apogée lors des accords d'Oslo de 1993. La rumeur qui court depuis des années
devient vérité chez les tenants du Grand Israël : la mère de Peres serait arabe. Mais qu'importe
ces avanies, au regard des triomphes qui vont suivre : la cérémonie de signature des accords
d'Oslo sur la pelouse de la Maison-Blanche et l'octroi du prix Nobel de la paix même partagés
avec Yitzhak Rabin et Yasser Arafat.
Président, il est un infatigable VRP de la paix
Toujours, pourtant, ce destin en forme de montagnes russes. Quelques années plus tard, après
l'assassinat d'Yitzhak Rabin, et alors qu'il est devenu Premier ministre par intérim, il commet
deux erreurs qui vont encore une fois le mettre à terre. Au lieu de décider immédiatement
d'élections générales, ce qui lui aurait permis de gagner haut la main, il les reporte de six
mois. En pleine campagne électorale, alors que sa cote de popularité est en chute libre face au
tsunami d'attentats-suicides commis par le Hamas, il croit pouvoir se refaire une santé
politique en misant sur le sécuritaire qui prendra la forme d'une opération militaire au Liban
du Sud. Une idée qui s'avère désastreuse. Un tir de l'artillerie israélienne touche une base de la
Finul dans laquelle s'étaient réfugiés des Libanais et des Palestiniens. Il y a plus d'une
centaine de tués. Et les militaires rentrent en Israël sous l'opprobre du monde et la colère de la
population arabe israélienne. Résultat : la victoire électorale va... à Benjamin Netanyahu,
l'opposant farouche à toute concession aux Palestiniens. Celui-là même qui, du haut d'un
balcon du centre de la Jérusalem juive et aux côtés d'autres dirigeants de l'opposition de
droite, n'avait rien fait pour calmer la foule des manifestants nationalistes venus, au printemps
de l'année précédente, clamer leur haine de Rabin et Peres, les deux traîtres. K.-O. debout !
Toutefois, ceux qui le croient fini en seront pour leurs frais. Cet homme, ce n'est ni du bois ni
de la pierre, mais du Téflon. En 2001, il fait entrer les travaillistes au gouvernement d'Ariel Sharon, qui en fait son chef de la diplomatie. En 2005, c'est encore une fois la bérézina. Il
perd le leadership des travaillistes. Qu'importe, il claque la porte et part rejoindre Kadima, le
parti que vient de créer le Premier ministre Ariel Sharon, qu'un AVC massif, quelques
semaines plus tard, en janvier 2006 plonge dans un coma irréversible. Ehoud Olmert lui
succède et Shimon Peres devient numéro deux du gouvernement. Douze mois plus tard, il est
enfin élu président de l'État. Sonnez les trompettes de la gloire. Elles vont retentir tout au long
des sept ans de son mandat. Des années durant lesquelles cet octogénaire couronné sera un
infatigable VRP d'abord de la paix, puis de la nouvelle économie, entendue sous l'angle de
l'innovation technologique. Dans les grands forums économiques de la planète, à commencer
par Davos, il se bat pour la voiture électrique, les nanotechnologies. Il se met aussi aux
réseaux sociaux. Son entrée fracassante sur Facebook, avec un clip techno déjanté, fait le tour
du monde. Viendront ensuite Tweeter, Instagram. Bref, à près de 90 ans, il est à la fête. Le
monde entier le reçoit. Et dans sa résidence de Jérusalem, les célébrités de tous poils se
pressent. Politiques, intellectuels, artistes, belles actrices, tout le monde adore ce vieux jeune
homme élégant et dont la voix de basse raconte les légendes du siècle. Cerise sur le gâteau :
les Israéliens qui l'ont tant détesté sont en adoration. Ils lui pardonnent tout, même quand il
prend à contre-pied Benjamin Netanyahu en s'opposant à des frappes israéliennes sur le
nucléaire iranien ou quand il clame haut et fort que Mahmoud Abbas, le président palestinien,
est un partenaire à la paix. À la fin de l'année 2015, il est victime de plusieurs malaises
cardiaques qui l'obligent à réduire drastiquement ses activités et le forcent à de fréquents
allers et retours à l'hôpital. Mi-janvier 2016, Peres est hospitalisé pour « un léger infarctus ».
On lui pose un stent. Mais le vieil homme sait qu'il vit ses derniers mois...
E) Terrorisme : la France muscle son budget de la défense en 2017
Le budget de la défense (hors pensions) augmente factuellement de 600 millions d'euros par
rapport à celui de 2016 pour atteindre 32,7 milliards d'euros. Face à la
menace terroriste et devant un environnement géopolitique instable, le gouvernement
augmente une nouvelle fois le budget de la défense. Il est en hausse de 600 millions d'euros
par rapport au budget 2016. En 2017, les dépenses de défense devraient représenter 1,77% du
PIB de la France (contre 1,78% en 2016), pensions comprises si bien sûr le budget de la
défense est consommé dans sa totalité, soit 40,84 milliards d'euros, dont 8,15 milliards au titre
des pensions. Loin, encore loin des 2% claironnés sur tous les tons par l'ensemble de la classe
politique, certains visant même 2% hors pensions. En attendant d'atteindre ce seuil
(chimérique ?), qui fait tant rêver les militaires, le budget de la défense (hors pensions)
augmente factuellement de 600 millions d'euros par rapport à celui de 2016. Il atteindra 32,7
milliards d'euros, dont 250 millions seront issus de recettes exceptionnelles (0,8% du budget),
notamment générées par les cessions immobilières. Un peu moins que ce qu'avait demandé le
ministère lors de la préparation du budget (33 milliards d'euros). "Nous sommes en deçà du
besoin", explique-t-on à La Tribune. D'autant que le ministère devra avoir le couteau entre les
dents pour ramener dans ses caisses les recettes exceptionnelles.
Une trajectoire financière en hausse
Vu sur un autre angle, le ministère de la Défense se réjouit également d'une augmentation de
775 millions d'euros par rapport à l'annuité prévue par la loi de programmation militaire
(LPM) qui avait été réactualisée en juillet 2015 : 417 millions d'euros de crédits
supplémentaires et 358 millions de gains d'économies (200 millions par des gains d'indice
environ, 50 millions d'économie de produits pétroliers...). Enfin, par rapport à la LPM initiale
de 2013, le budget 2017 gagne plus de 1,1 milliard d'euros. Bref le message de l'Hôtel de
Brienne est clair : la trajectoire financière de la LPM est augmentée dans un environnement
géopolitique instable et de lutte contre la menace terroriste à très haut niveau.
Des effectifs en croissance
La hausse des crédits sera absorbée en grande partie par la hausse des effectifs des militaires.
Alors qu'il était prévu de supprimer 2.600 emplois en 2017, le ministère prévoit d'embaucher
400 personnes l'année prochaine. Soit un écart de 3.000 hommes par rapport aux prévisions.
Soit au total 216 millions d'euros, dont 73 millions pour l'amélioration des infrastructures). En
outre, le ministère prévoit 27 millions d'euros supplémentaires pour accompagner
l'accélération de la montée en cadence de la réserve nationale (40.000 militaires à fin 2018).
Enfin, les mesures d'amélioration de la condition du personnel militaire brûleront en 2017
environ 280 millions d'euros, dont 80 pour les mesures propres au ministère de la Défense et
200 millions pour les mesures intergouvernementales. Enfin, les moyens capacitaires des
soldats bénéficieront d'un bonus de 270 millions d'euros, dont 80 millions serviront à
rehausser les stocks de munitions, principalement de missiles et les bombes.
F) Terrorisme : faire évoluer notre Etat de droit
Avec la possible prise de Mossoul dans les prochains mois, de
nombreux terroristes de Daech pourraient revenir en France. Pour le professeur Louis Vogel,
l'État de droit ne peut pas être une donnée figée et doit «coller» à son temps pour protéger la
société.
L'État de droit est, depuis quelques temps, au centre des débats politiques français concernant
la lutte anti-terroriste. La question est finalement assez simple: dans quelle mesure faut-il faire
prévaloir les règles de droit actuelles, dont on considère qu'elles doivent prioritairement
garantir les libertés publiques, ou les faire évoluer pour lutter plus efficacement contre le
terrorisme, le cas échéant en aménageant la protection des libertés publiques?
L'État de droit est une notion empruntée à l'école juridique allemande qui désigne un système
dans lequel la puissance publique doit obéir au droit.
L'État de droit est une notion empruntée à l'école juridique allemande qui désigne un système
dans lequel la puissance publique doit obéir au droit. Cette notion, qui s'est progressivement
imposée comme étant le contraire de l'arbitraire et de l'absolutisme, est étroitement liée à la
hiérarchie des normes. Ainsi, le juriste autrichien, Hans Kelsen, a défini l'État de droit comme
«un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance
s'en trouve limitée». Progressivement, l'État de droit s'est imposé dans les systèmes
démocratiques occidentaux, allant même jusqu'à constituer l'essence démocratique avec la
séparation des pouvoirs et l'économie de marché. Les attentats massifs, commis en France
depuis janvier 2015, ont abouti à l'adoption de plusieurs lois anti-terroristes qui ont visé à
renforcer l'action des services de renseignements et à renforcer les outils juridiques
d'investigation et de procédure nécessaires aux magistrats enquêteurs. Pour autant, force est
de constater que le rythme des attentats, ou des tentatives, ne faiblit pas. Après Nice le 14
juillet dernier, il y a eu Saint-Etienne-de-Rouvray, mais également les tentatives récentes de
jeunes femmes de commettre des attentats parisiens. Il est probable que nous entrions dans une période encore plus dangereuse que la parenthèse ouverte par les attentats à Charlie
Hebdo en janvier 2015. Incontestablement, nous pouvons penser que les tentatives d'attentats
vont se multiplier pour deux raisons. D'une part, Daech est en position défensive au Moyen-
Orient, sous les bombardements de la coalition et soumis à un possible rapprochement
américano-russe qui mettrait progressivement fin à la guerre syrienne. Replié dans ses
retranchements, Daech développe une stratégie d'attentats en Europe pour démontrer sa force.
D'autre part, la prise de Mossoul pourrait intervenir fin 2016 ou début 2017. Si cette grande
ville du Nord irakien devait passer sous le contrôle de Bagdad, cela marquerait la fin des
territoires conquis par Daech et le retour probable de plusieurs milliers de combattants de
nationalité européenne sur le Vieux continent. Il est donc probable que nous entrions dans une
période encore plus dangereuse que la parenthèse ouverte par les attentats à Charlie Hebdo en
janvier 2015. Dans ce cadre, alors que plusieurs candidats à la primaire de la droite ont avancé
des solutions, le débat sur l'État de droit est central. Elle trouve toute son actualité dans la
question de savoir s'il faut, ou pas, incarcérer préventivement des personnes signalées par les
services de renseignement comme dangereuses puisque la quasi-totalité des terroristes (à
l'exception de certains terroristes de nationalité étrangère) étaient fichés par nos services de
renseignement.
Par nature, l'État de droit est évolutif et s'adapte aux circonstances.
Se résigner à la faiblesse et à l'acceptation du terrorisme sous prétexte que la mise en œuvre
des mesures nécessaires ne serait pas conforme aux règles actuelles de l'État de droit n'est pas
satisfaisant. L'État de droit ne peut pas être une donnée figée. Par nature, l'État de droit est
évolutif et s'adapte aux circonstances, dans le cadre constitutionnel et conventionnel fixé par
les textes en vigueur. En Israël, un pays démocratique et un État de droit, il est possible
d'effectuer une rétention administrative préalable sur le fondement d'une enquête policière.
Au-delà d'une certaine durée, le juge peut se prononcer. Sans préjuger d'une éventuelle
révision constitutionnelle, une mesure privative de liberté, prise par les forces de sécurité
intérieure sous le contrôle de magistrats, me semble être une mesure adéquate aux
circonstances actuelles. De la même manière, la création d'un Parquet national anti-terroriste,
voire d'une Cour de sûreté anti-terroriste, qui serait composée de magistrats professionnels, ne
me semble pas porter une atteinte excessive à l'État de droit. Bien au contraire, c'est justement
en s'adaptant que l'État de droit «colle» à son temps et offre une protection aux citoyens, à la
fois contre l'arbitraire, mais également contre le terrorisme.
Professeur agrégé de Droit privé, Louis Vogel est ancien président de l'Université Paris
Panthéon-Assas et ancien président de la Conférence des présidents d'Université. Depuis
2016, il est maire de Melun.
G) Les racines de la violence humaine plongent dans l’arbre de l’évolution
Deux siècles et demi que ces deux-là s’affrontent. Que, par disciples interposés, leurs théories
sur l’origine de la violence humaine déchirent philosophes et scientifiques. Thomas Hobbes
contre Jean-Jacques Rousseau, le « loup pour l’homme » contre le « bon sauvage », l’humain
intrinsèquement agressif envers son semblable contre l’individu pétri d’innocence, poussé au
mal par une société corruptrice. Dans une étude publiée mercredi 28 septembre par la
revue Nature,une équipe espagnole tranche le débat : la violence létale humaine plonge ses
racines dans la théorie de l’évolution. En d’autres termes, si l’homme « descend du singe », il
en va de même de ses tendances meurtrières. Pour aboutir à ce constat sans appel, José Maria
Gomez, écologue à la station expérimentale des zones arides d’Almeria, et ses collègues de
trois autres universités espagnoles se sont livrés à un incroyable travail d’accumulation de
données. Pendant deux ans, ils ont dépouillé cinquante ans de littérature scientifique : 3 500
articles analysant la violence entre membres d’une même espèce chez les mammifères et
1 000 articles portant sur les causes de la mortalité parmi les humains. Pour ces derniers, ils
ont étendu leurs sources aux analyses bio-archéologiques ou paléontologiques, aux relevés
ethnographiques, aux bilans d’autopsie ou encore aux registres portant les causes de décès
(à partir du XVIIe siècle). Et ils ont fait tourner les ordinateurs. Sur les 1 024 espèces de
mammifères étudiées, 40 % étripent joyeusement les leurs.« Cela a été notre plus grande
surprise, admet José Maria Gomez. La violence létale n’est pas concentrée dans des groupes
considérés comme a priori violents, tels les carnivores. Elle sévit aussi de façon importante
chez les rhinocéros, les marmottes, les chevaux... »
« L’ÉTUDE EST FORMIDABLE »
Les scientifiques espagnols livrent un chiffre moyen : l’agression intraspécifique constitue
0,3 % des causes de mortalité chez l’ensemble des mammifères. Elle n’est « pas fréquente,
mais répandue », concluent-ils. Mais c’est famille par famille que l’examen trouve toute sa
richesse.«Jamais je n’avais vu un travail aussi détaillé sur la violence parmi les
mammifères », s’enthousiasme Michel Raymond, directeur de recherche au CNRS et
responsable de l’équipe de biologie évolutive humaine de l’université de Montpellier. L’étude
démontre que la position dans l’arbre phylogénétique des espèces explique fortement la
tendance à tuer ses congénères. Fauves, ursidés, rongeurs : quelques familles se distinguent
particulièrement. Avec une mention spéciale pour les primates – nos cousins et nos ancêtres,
faut-il le rappeler ? –, chez qui le poids de la violence létale atteint 2 %. La raison ? « L’étude
est formidable mais elle n’explique pas les causes de cette concentration, souligne Mike
Wilson, anthropologue à l’université du Minnesota (Etats-Unis). Pour moi, c’est le large
recours à l’infanticide chez les primates. » L’arbre de l’évolution des espèces n’explique
pourtant pas tout. Là où les chimpanzés se tuent à plaisir, les bonobos, leurs plus proches
parents, présentent des mœurs beaucoup plus pacifiques. Peut-être faut-il y voir la place prépondérante des femelles chez ces derniers. Les chercheurs ont, plus globalement, tenté
d’isoler d’autres causes. Résultat : plus une espèce est sociale et territorialisée, plus la
violence létale s’y exprime. Les disciples de Rousseau y trouveront une petite consolation.
Car, pour le reste, l’examen des 600 populations humaines à travers le temps et l’espace
détruit allègrement le mythe de notre innocence originelle. Les relevés archéologiques
confirment en effet que la pitié pour son frère n’étouffait ni sapiens ni Neandertal : « Pour ces
temps anciens, les résultats enregistrés sont conformes avec le niveau de violence attendu
compte tenu de la position de l’homme dans l’arbre phylogénétique », commente José Maria
Gomez. « L’homme n’a pas attendu l’accumulation des richesses au néolithique
pourêtreviolent,souligne l’archéologue Jean Guilaine, professeur honoraire au Collège
de France et auteur du Sentier de la guerre (Seuil, 2001). On a montré que les chasseurs-
cueilleurs s’affrontaient eux aussi. »
« DONNÉES ROBUSTES »
Il est vrai que la situation se gâte encore par la suite. L’âge du fer en Europe et en Asie (à
partir de – 1100) et la période dite « formative » dans le Nouveau Monde (environ – 1000)
connaissent une poussée importante de violence létale, nettement au-dessus des prévisions
évolutives qui devraient lasituerau même niveau que celle des grands singes. Et, à
en croire les données présentées par l’article, cela dure jusqu’à la fin du Moyen Age. De
quoi nourrir la thèse du psychologue américain Steven Pinker : en 2011, dans un livre qui fit
événement aux Etats-Unis, il avait brillamment mis en évidence le déclin de la violence
depuis la période moderne. Certains ne manqueront pas de mettre en cause la fiabilité des
données anciennes. Peut-on tirer une règle statistique d’une série de tombes du néolithique ou
d’un cimetière médiéval ? Certes pas. Mais de centaines de cimetières, répartis dans de
multiples points du continent, accompagnés parfois de témoignages écrits ou de registres :
l’affaire paraît nettement plus sérieuse. « Cette partie est évidemment la plus fragile, elle sera
controversée, convient Mike Wilson. Mais ils ont malgré tout fait preuve d’une grande
prudence, en sélectionnant des données robustes. » L’étude de Nature va plus loin encore.
Elle classe les données humaines en fonction du type de société dont elles portent le
témoignage. Il apparaît cette fois que les organisations tribales ou claniques affichent un degré
de violence nettement plus élevé que les sociétés étatiques. Cette fois, ce n’est plus le combat
entre deux philosophes morts, mais la guerre entre deux familles d’anthropologues rivales que
l’article devrait réveiller. Par exemple, les travaux de l’Américain Napoleon Chagnon sur
l’extrême violence des Yanomami d’Amazonie restent aujourd’hui encore très controversés.
La publication de Nature ne passera pas inaperçue dans ce milieu. Pour la primatologue Elise
Huchard, ces résultats viennent rappeler que, « quelle que soit l’approche utilisée
pour comprendre et expliquer l’intensité et les motifs de notre violence, il ne faut
pas oublier que l’homme est un mammifère, car ce simple fait biologique contribue
à expliquer notre comportement social ». Un mammifère ni plus ni moins violent que les
autres. Simplement particulièrement flexible dans son agressivité, car particulièrement divers
dans son organisation sociale. Et plus paisible que jamais, ce que souligne l’anthropologue
Mike Wilson. « A l’heure où Donald Trump martèle que la société est violente, il est de
salubrité publique de rappeler qu’on vit mieux dans une ville américaine que dans l’ancien
Far West. »
Nathalie Herzberg
H) Alep : pourquoi la crise humanitaire ne bouleverse pas la donne géopolitique
Alors que la crise humanitaire s'aggrave, le régime syrien
soutenu par les Russes et les Iraniens reprend du terrain. Pour Fabrice Balanche, les rebelles
sont plus que jamais liés à Al-Qaïda et Moscou ne saurait être le seul responsable du chaos.
À propos d'Alep, le politologue libanais Ziad Majed a déclaré au
journal Le Monde: «Si on parle d'un point de vue de droit international, et de la
convention de Genève, ce qui se passe commence même à dépasser le cadre des crimes de
guerre, ce sont presque des crimes contre l'humanité». Quelle est aujourd'hui la situation
humanitaire dans l'ancienne capitale économique de la Syrie?
Ziad Majed fait partie des chantres de l'opposition syrienne qui affirmaient que Bachar el
Assad allait tomber en quelques semaines au début de la révolte syrienne. Il prétendait qu'il
n'existait pas de problème communautaire en Syrie et que les djihadistes ne pourraient jamais
s'affirmer en Syrie. Lui et tous ceux qui comparent la situation en Syrie avec la guerre
d'Espagne et les jihadistes aux brigades internationales sont assoiffés de notoriété facile. Ils
bénéficient de l'engouement d'une partie des médias où l'émotion domine plus que la
réflexion. Enfin, je dirais que leur émotion, à géométrie variable, sert aussi à masquer leurs
piètres analyses sur le conflit syrien. Il serait temps qu'ils fassent leur mea culpa, car le
désastre humanitaire en Syrie est aussi la conséquence de cette irealpolitik. Tous les
observateurs réalistes avaient anticipé ce qui allait se passer si les rebelles ne quittaient pas
Alep-Est, comme cela leur avait été proposé par la Russie. Cela dit, il est évident que ce qui se
déroule à Alep-Est est horrible pour les populations civiles qui sont sous les bombes. Ce que
décrit l'ONU sur la situation humanitaire est exact: hôpitaux détruits, population terrée dans
des abris, femmes et enfants prisonniers des décombres, etc. Mais tous les observateurs un
peu réalistes avaient anticipé ce qui allait se passer si les rebelles ne quittaient pas Alep-Est,
comme cela leur avait été proposé par la Russie. Je citerais tout simplement John Kerry au
micro de la NPR le 14 septembre dernier: «Quelle est l'alternative (en Syrie)? L'alternative
est-elle d'ajouter encore des milliers de morts aux 450.000 personnes qui ont déjà été tuées.
Qu'Alep soit complètement envahie? Que les Russes et Assad bombardent partout
indistinctement dans les jours à venir pendant que nous regardons cela impuissant?
L'alternative c'est essayer d'obtenir tout de même quelque chose puisque l'Amérique ne veut
pas intervenir avec ses troupes. Or, l'Amérique a pris la décision de ne pas intervenir
militairement en Syrie. Le Président a pris cette décision».
L'Armée syrienne soutenue par l'aviation russe a repris un quartier de la zone d'Alep
contrôlée par les rebelles. De quels rebelles s'agit-il?
Les rebelles «modérés» ont refusé de se désolidariser du Front al-Nosra, la branche syrienne
d'al-Qaïda. Son emprise n'a fait qu'augmenter depuis le printemps 2016. Les rebelles
«modérés» ont refusé de se désolidariser du Front al-Nosra, la branche syrienne d'al-Qaïda.
Au contraire, deux des principaux groupes rebelles d'Alep dit «modérés», la brigade al-Zinki
et Suqour es-Sham, se sont même officiellement affiliés à la coalition (Jaysh al Naser) dirigée
par le Front al-Nosra durant la dernière trêve. Cela indique que le Front al-Nosra domine
davantage les différentes factions rebelles, y compris celles considérées comme «modérées».
Le Front al Nosra n'est pas membre de Fatah Halep, la coalition des rebelles d'Alep, mais c'est
lui qui sur le terrain dirige les opérations militaires. Son emprise sur Alep-Est n'a fait
qu'augmenter depuis le printemps 2016, date à laquelle il a envoyé 700 combattants en renfort
alors que des combattants des brigades modérées commençaient à quitter la zone avant que la
dernière sortie ne soit coupée. L'ouverture provisoire d'une brèche dans le siège d'Alep, en
août 2016 (bataille de Ramousseh), a encore augmenté son prestige et son emprise sur les
rebelles.
L'accord de coopération militaire américano-russe, qui portait d'abord et avant tout sur
Alep, semble avoir fait long feu. Comment expliquer cet échec?
Les Saoudiens n'ont que faire des civils syriens, ils bombardent quotidiennement depuis deux
ans le Yémen. L'Arabie Saoudite et autres bailleurs arabes de la rébellion syrienne n'ont aucun
intérêt à voir se concrétiser l'accord entre les États-Unis et la Russie. Ils veulent que le combat
continue car sinon cet accord russo-américain signifie la victoire du camp Assad en Syrie et
notamment celle de l'Iran. Les Saoudiens n'ont que faire des civils syriens, ils bombardent
quotidiennement depuis deux ans le Yémen sans aucune considération pour la population
civile. Nous sommes dans une guerre régionale et les considérations humanitaires sont
instrumentalisées sans scrupules. L'objectif pour l'Arabie Saoudite est précisément d'obliger
les États-Unis à intervenir davantage en Syrie pour bloquer l'Iran et la Russie. Pour cela il faut
influencer l'opinion publique, c'est-à-dire les électeurs des membres du Congrès, en vue
d'infléchir la politique américaine. Cela fonctionne puisqu'Alep est devenu un mot-clé de
l'élection présidentielle américaine et il faudra beaucoup de détermination au successeur de
Barak Obama pour résister aux pressions interventionnistes. Sur le plan psychologique,
Bachar el Assad a gagné au pire puisqu'il apparaît comme le moindre mal. Il lui reste à
éliminer les rebelles. Mais revenons aux faits. Depuis le printemps 2012, date de la
militarisation à outrance de l'opposition syrienne, le régime syrien utilise une stratégie
classique de contre-insurrection. Il s'agit moins de gagner les cœurs que de faire plus peur que
l'adversaire et de prouver qu'il est le seul capable de ramener la paix en Syrie. Après cinq
années de guerre, tout ce qui compte pour l'immense majorité des Syriens c'est précisément de
vivre en paix, peu leur importe qui dirige le pays. Sur le plan psychologique, Bachar el Assad
a donc gagné puisqu'il apparaît, au pire, comme le moindre mal. Il lui reste à éliminer les
rebelles. Pour cela il faut les séparer de la population civile dans laquelle ils se dissimulent.
La technique de contre-insurrection utilisée à Alep-Est consiste donc, depuis l'hiver 2013-
2014, à bombarder sporadiquement pour faire fuir les civils, puis d'encercler le territoire
rebelle. Résultat auquel l'armée syrienne est parvenue début septembre. La population d'Alep-
Est est ainsi passée de plus d'un million d'habitants en 2011 à 200,000 aujourd'hui selon
l'ONU, mais sans doute beaucoup moins. À titre de comparaison la partie occidentale d'Alep,
sous contrôle gouvernemental, compte 800,000 habitants.
Quel semble être aujourd'hui l'objectif du Kremlin et de Damas?
Damas considère que ceux qui restent dans Alep-Est soutiennent les rebelles car les autres ont
eu le temps de fuir. C'est en partie vrai, car il s'agit pour l'essentiel des familles des
combattants. Après trois années de bombardement, le camp de Bashar el Assad considère que
ceux qui restent dans Alep-Est soutiennent les rebelles, car les autres ont eu tout le temps de
fuir. C'est en partie vrai, car il s'agit pour l'essentiel des familles des combattants, qui sont
donc payées pour rester. Désormais, la seule solution envisagée par les militaires pour les
convaincre de quitter Alep-Est est de frapper aveuglément et massivement. Dans quelques
jours, une trêve sera sans doute proclamée pour permettre à ceux qui le souhaitent d'être
évacués. Mais encore faut-il qu'ils le puissent, car les groupes radicaux empêchent les civils
de partir pour les utiliser comme boucliers humains, comme ce fut le cas à Homs. Puis les
bombardements reprendront jusqu'à la reconquête totale des quartiers rebelles d'Alep. Il faut
noter que c'est la première fois depuis l'été 2012, que l'infanterie est engagée pour reprendre
du terrain comme le quartier de Farafirah au centre-ville, Sheikh Saïd au sud, ou l'ex camp
palestinien de Handarat au nord. À Alep, les groupes radicaux empêchent les civils de partir
pour les utiliser comme boucliers humains, comme ce fut le cas à Homs. Ce que j'ai décrit
était annoncé. La seule façon de l'empêcher est d'entrer dans une confrontation militaire avec
la Russie en abattant les avions russes et syriens. Je doute que l'Occident souhaite une
escalade de ce type. Certains évoquent la distribution de missiles sol-air aux rebelles, au
risque de les voir tomber dans les mains d'Al-Qaïda ou de Daesh. Par ailleurs, il n'est pas sûr
que cela soit efficace, car les Russes bombarderaient de plus haut avec du plus lourd et
feraient donc plus de dégâts. La Russie pourrait aussi frapper avec des missiles de croisière
depuis la mer Caspienne.
Au-delà d'Alep, le rapport de force est-il en train de changer entre le régime et les
rebelles? Que change sur ce point l'intervention turque qui se poursuit tout au Nord de
la Syrie?
L'exécutif américain est paralysé au moins jusqu'à la prise de fonction de la nouvelle
administration en janvier 2017. La Russie ne croit plus à la possibilité d'un accord de
coopération militaire avec les États-Unis. Le bombardement de l'armée syrienne à Deir ez Zor
par l'aviation de la coalition internationale, le 17 septembre dernier, fut le coup de grâce
donné à ses longues et laborieuses négociations. S'agit-il d'une erreur comme le prétendent les
États-Unis? Ou d'une mauvaise information donnée sciemment par un membre de la coalition
qui aurait intérêt à voir échouer l'accord? Erreur ou non, cet épisode risquerait d'entamer la
crédibilité de la Russie si Vladimir Poutine ne réagissait pas énergiquement. En tout état de
cause, le Président russe considère que les États-Unis sont incapables de convaincre leurs
alliés de cesser le combat, il a donc décidé de les mettre devant le fait accompli. L'exécutif
américain est paralysé au moins jusqu'à la prise de fonction de la nouvelle administration en
janvier 2017. Il s'agit donc de l'emporter à Alep d'ici trois mois. Recep Teyep Erdogan, a lui,
anticipé ce qui allait se passer et il a trouvé plus judicieux de négocier avec Vladimir Poutine.
Il a obtenu du maître du Kremlin la création d'une zone sous influence turque au Nord-Est
d'Alep pour accueillir les futurs réfugiés, tout en bloquant l'avancée des Kurdes vers l'Ouest.
En échange, le Président turc a dû s'engager à réduire son soutien aux rebelles syriens. Ce qui
augure mal de l'avenir de la rébellion syrienne car la Turquie est indispensable pour son
soutien logistique
Agrégé et docteur en Géographie, Fabrice Balanche est maître de conférences à l'Université
Lyon-2 et chercheur invité auWashington Institute. Spécialiste du Moyen-Orient, il a publié
notamment La région alaouite et le pouvoir syrien(éd. Karthala, 2006) et Atlas du Proche-
Orient arabe (éd. RFI & PUPS, 2010).
I) Du « modèle » israélien
Au regard du débat conduit en France — depuis 2015 et la recrudescence d’attentats —
à propos de l’engagement des armées sur le territoire national, avec notamment
l’opération « Sentinelle », il nous a paru intéressant de faire le point sur la manière dont
d’autres nations, qui ont eu à faire face à des actes ou des menaces terroristes, se sont
reposées (ou non) sur les militaires pour renforcer leur dispositif. Premier volet, et pas le
moins controversé, le « modèle » israélien.
Les députés Olivier Audibert Troin et Christophe Leonard, chargés par l’Assemblée d’une
mission d’information « sur la présence et l’emploi des forces armées sur le territoire
national (1) », se sont saisis de cette question. D’autres rapports sont parus récemment sur ce
thème, notamment, en juillet, celui des sénateurs Jean-Marie Bockel et Gisèle Jourda sur
la « “Garde nationale” : une réserve militaire forte et territorialisée pour faire face aux
crises ». Pour compléter leur décorticage très complet de la problématique française, les
députés Troin et Leonard ont été conduits à enquêter sur la situation au Royaume-Uni, en
Belgique, ainsi qu’en Israël. Lire aussi Gideon Levy, «Israël ou la religion de la
sécurité », Le Monde diplomatique, octobre 2016. Les rapporteurs se défendent de considérer
que le cas israélien serait identique au cas français. Mais ils « ne voulaient pas s’interdire à
priori d’étudier la façon dont une démocratie s’est adaptée à une menace terroriste de long
terme — indépendamment de la lecture politique que l’on peut faire des causes et des
motivations du recours à la lutte armée ».
Dans la profondeur
Les députés ont d’abord constaté que l’effort principal est mis, en Israël, sur un contrôle strict
des frontières et des flux, l’objectif — tel que résumé par le député israélien Omer Barlev,
militaire de carrière qui a été à la tête de l’unité d’élite Sayeret Matkal, spécialisée dans la
lutte antiterroriste — consistant à « neutraliser les terroristes le plus loin possible des centres
urbains qui sont leurs cibles » : c’est pourquoi les forces sont essentiellement concentrées aux
frontières, tandis que le renseignement permet de « traiter les difficultés restantes dans la
profondeur géographique du territoire urbain ». Dans ce cadre, l’aéroport international de
Tel-Aviv David Ben Gourion, principale porte d’entrée du pays, fait l’objet de mesures de
contrôle drastiques, très au delà des standards internationaux : périmètres grillagés, lignes de
contrôle successives opérées par des gardes armés, passage au peigne fin des voyageurs et des
bagages, etc. Lire aussi Abaher El Sakka & Sandra Mehl, « La cérémonie de
l’humiliation », Le Monde diplomatique, septembre 2015. L’autre outil de contrôle est la
«barrière de sécurité» autour de Jérusalem-Est occupée: 127kilomètres ont déjà été construits (sur 145). Ce dispositif vise à séparer la ville de Jérusalem-Ouest, proclamée
capitale d’Israël en 1950, de la zone censée être placée sous la responsabilité de l’Autorité
palestinienne, suivant un tracé contesté (2), ne suivant ni les frontières reconnues de l’Etat
israélien, ni même celles de l’annexion opérée en 1947.
• L’« enveloppe de sécurité » ainsi organisée autour de Jérusalem est gardée par environ 1 700
hommes : 736 policiers du Magav (police des frontières), affectés principalement au contrôle
des points de passage ; 565 hommes de la police militaire ; 114 agents chargés du recueil du
renseignement (notamment par la surveillance vidéo aux abords de la barrière ) ; 200 gardes
fournis par des sociétés privées de sécurité ; 33 agents de liaison et de coordination avec
l’Autorité palestinienne.
• 16 points de passage sont aménagés, sous forme de postes frontière permettant le filtrage et
le contrôle des véhicules et des piétons, adossés à des infrastructures de rétention, de contrôle
approfondi.
• La surveillance est organisée de telle sorte que tous les points de la « barrière de sécurité »
font l’objet d’un contrôle visuel au moins toutes les dix minutes. Des capteurs d’intrusion et
de franchissement peuvent donner l’alerte. Des patrouilles motorisées sont également
déployées le long de la barrière.
Renseignement intérieur
La communauté israélienne du renseignement comprend plusieurs services spécialisés :
• la direction du renseignement militaire (Aman) de l’« Armée de défense d’Israël » (Tsahal) ;
• le Mossad, service de renseignement extérieur (l’équivalent de la DGSE française) ;
• le Shabak (plus connu sous le nom de Shin Beth), chargé d’assurer « la sûreté de l’État (type
ancienne DST française, dont les fonctions ont été reprises par l’actuelle DGSI).
Le renseignement intérieur relève en premier lieu de la compétence de ce dernier service, qui
compte 7 000 agents, un chiffre élevé sachant qu’Israël compte 8,4 millions d’habitants (en
France, selon la norme israélienne, la DGSI serait forte de 55 600 agents, au lieu de l’actuel
effectif-cible de 4 400 personnels, lequel ne sera d’ailleurs atteint qu’à la fin 2017).
« Israel Defense Forces post, Golan Heights » cc SarahTz
Le Shabak doit, selon ce qui a été indiqué aux rapporteurs :
• assurer la sécurité d’Israël contre les activités illégales ;
• garantir la protection des hautes personnalités et des bâtiments figurant sur une liste de
« symboles gouvernementaux » établie par les autorités (mais cette liste est assez restreinte) ;
et, selon ce qui a été indiqué aux députés français, le Shabak n’assure pas de protection
rapprochée 24 heures sur 24 à tous les membres du gouvernement) ;
• gérer les listes d’habilitation à accéder aux informations confidentielles et à procéder aux
enquêtes de sécurité nécessaires à la constitution de ces listes ;
• veiller à la protection des informations classifiées contre l’espionnage ;
• définir des procédures de sécurité pour protéger les administrations et les bâtiments publics
(dont l’aéroport Ben Gourion) et contrôler leur mise en œuvre ;
• fournir au gouvernement des analyses sur la base des renseignements acquis par le service,
allant d’études de type académique à des évaluations précises du niveau de violence de tel ou
tel groupe au jour le jour.
L’organisation du service articule des directions spécialisées (opérations spéciales, contre-
insurrection, cyber-renseignement, etc) et des directions territoriales compétentes pour le
« centre » (Jérusalem et Cisjordanie), le « sud » (Bande de Gaza, désert du Neguev), le
« nord » (du port Ashdod à la frontière libanaise, incluant Tel-Aviv).
En immersion
Ces directions spécialisées sont largement autonomes, chacune comptant assez de personnels
et de matériels pour recueillir des renseignements, les analyser, et conduire des interventions
sans attendre de renforts du niveau central. Le même souci d’autonomie, relève le rapport,
préside à l’organisation infra-régionale des moyens du Shabak, avec — à l’échelle de chaque
agglomération — une unité antiterroriste complète, dotée de moyens étoffés d’interrogation,
d’exploration de données (data mining), de renseignement d’origine humaine et
électromagnétique, de gestion des ressources humaines et de conseil juridique. Selon les
observateurs interrogés par les rapporteurs, les services israéliens connaissent
individuellement chaque famille, voire chaque membre de la famille, dans les zones
considérées comme sensibles. Le suivi de la population est très poussé, et repose notamment
sur des dispositifs efficaces de renseignement d’origine humaine : certains agents sont ainsi
placés « en immersion » pendant des dizaines d’années. Même s’il n’existe pas, comme en
France, de coordonnateur national du renseignement, la coopération inter-services semble
aller de soi en Israël, avec un « pool » d’échange automatique d’informations (3) dans le cadre
d’un continuum intérieur/extérieur, le Shabak s’en remettant souvent à l’armée pour conduire
les phases d’intervention des opérations de contre-terrorisme. Selon les observations
recueillies par les rapporteurs, la concurrence entre les services de renseignement est d’autant
plus faible en Israël que ceux du ministère de la défense ont en la matière une prépondérance
très nette : « Quand la communauté du renseignement doit s’exprimer d’une seule voix, c’est
généralement celle des militaires ».
Militarisation de la police
Le rapport souligne que « si la place des armées dans le dispositif de protection du territoire
israélien est limitée à la défense des frontières et à l’administration des territoires occupés,
c’est, par une sorte de contrepartie, au prix d’un haut degré de “militarisation” de certaines
forces de police et d’une large diffusion des armes à feu parmi les civils ». Les rapporteurs
donnent l’exemple du Magav, corps d’élite rattaché à la police et chargé d’une mission de
maintien de l’ordre dans les zones les plus sensibles du territoire israélien. Le Magav est
chargé notamment de la protection des lieux saints, de la garde des frontières, d’opérations en
zone urbaine comme en zone rurale, de missions de maintien de l’ordre en Cisjordanie, et de
la protection des abords de la ville de Jérusalem. Selon ses responsables, ce corps
« multifonctions » est constitué de quatre principaux types d’unités :
• des unités chargées du contre-terrorisme, en uniforme ou non ;
• des unités auxquelles sont confiées des missions courantes de sécurité, en uniforme militaire
gris et armées de fusils d’assaut M16 ;
• des unités de patrouille spécialisées dans l’antiterrorisme ;
• des unités d’intervention qui remplissent les mêmes fonctions que les forces françaises du
GIGN ou du RAID.
Les effectifs du Magav s’élèvent à 8 800 hommes, auxquelles s’ajoutent plus
1 600 réservistes. Ce sont pour moitié des conscrits (4) ; leur formation de base est donc
militaire avant tout, la mission de police n’étant dispensée que dans un second temps.
Densité d’uniformes
L’armée israélienne n’est affectée à la sécurité « intérieure » que dans les territoires occupés
de Cisjordanie et sur le plateau du Golan, annexé par Israël et placé sous un statut de
« territoire militaire ». Même en Cisjordanie, elle n’administre directement que l’une des trois
zones du territoire — la zone C ; la zone A, qui regroupe 40 % de la population palestinienne,
est placée sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, tandis que la zone B est co-administrée
— par l’armée israélienne et l’Autorité palestinienne (5) Mais l’armée peut être amenée à
intervenir sur le territoire israélien dans le cadre de la mobilisation de réservistes afin de
prêter son concours aux autorités civiles en cas de crise sécuritaire majeure. Ce réservoir de
troupes est constitué de tous les anciens appelés, hommes ou femmes, qui ont déjà effectué un
(long) service militaire, mais restent mobilisables. L’armée dispose ainsi de vingt divisions
territorialisées de réservistes, représentant plusieurs centaines de milliers d’hommes et de
femmes susceptibles d’être rappelés. De manière générale, l’éducation à la sécurité commence
très tôt en Israël : abris dans toutes les écoles, alertes aux tirs de roquettes, etc. — ce qui
prédispose la grande majorité de la population à respecter les mesures de précautions, à
s’engager dans les forces de sécurité, ou à apporter son soutien en cas de demande des
autorités. Les écoles israéliennes sont certes gardées, mais leur sécurité est confiée à des
sociétés privées. En outre, bien qu’Israël ait subi des attentats dans les lieux de culte, ceux-ci
ne font pas systématiquement l’objet d’un dispositif physique de surveillance. Plus largement,
notent les rapporteurs, la présence policière et militaire est très peu visible à l’intérieur du
territoire israélien. Le député Élie Elalouf, président du groupe d’amitié France-Israël de la
Knesset, le Parlement israélien, a d’ailleurs fait remarquer à ses collègues français que la
densité d’agents en uniforme est plus élevée à Paris qu’à Tel-Aviv...
Port d’armes
Michael Oren, un autre député, a indiqué aux rapporteurs que 3 % des Israéliens étaient
autorisés à porter une arme dans l’espace public (ce qui serait une hypothèse basse, selon ce
qu’ont compris les parlementaires) : ramené à la population française, cela correspondrait à
près de deux millions de porteurs d’armes. Il s’agit des personnels des armées et des forces de
sécurité, autorisés à porter leur arme de dotation en dehors de leur temps de service (en vertu
d’une règle restaurée en octobre 2015, en réaction à une nouvelle vague d’attentats) ; des
agents de sociétés privées de sécurité, le plus souvent d’anciens militaires, qui sont
généralement armés ; et de particuliers disposant de port d’armes. Selon les rapporteurs, « la
diffusion de l’armement est vue souvent comme une sorte de contrepartie à la faible densité
de policiers et de militaires à l’intérieur du pays », et considérée comme « une réponse
valable au terrorisme » : ces dernières années, un environ un quart des agresseurs auraient pu
être maîtrisés directement par des civils ou des militaires hors service. M. Élie Elalouf précise
que l’État songe à mettre en place un système d’alerte géolocalisée sur téléphone portable, à
destination de tous les titulaires d’un permis de port d’arme, en cas d’attaque terroriste à leur
proximité. Ces spécificités israéliennes sont à méditer en France, au moment où une gauche
de gouvernement en difficulté se cramponne à « l’état de droit », et où une droite emportée
par son élan « sécurocrate » envisage de modifier la Constitution pour permettre l’adoption de
mesures de rétention préventive contre plus d’une dizaine de milliers de suspects potentiels...
Philippe Leymarie
(1) Les conclusions en ont été déposées, en juin, sous forme d’un rapport de plus de
250 pages.
(2) Huit kilomètres font notamment l’objet de recours en justice.
(3) Ce « pool » comporte un dispositif propre à protéger les sources d’information, en cas de
besoin.
(4) Le Magav vient en deuxième position dans les choix d’affectation des appelés, après la
prestigieuse brigade Golani.
(5) Lire « Autonomie limitée en Cisjordanie », Le Monde diplomatique, octobre 2014.
J) Journée de l’unité allemande
Message du ministre fédéral des Affaires étrangères Frank-WalterSteinmeier à
l’intention des missions diplomatiques et consulaires allemandes à l’occasion de la Journée de
l’unité allemande
La chute du mur de Berlin, la réunification de l’Allemagne et la fin de la division entre l’Est
et l’Ouest de l’Europe sont des événements qui ont marqué incontestablement un tournant
historique, bien au-delà des frontières de l’Allemagne. Cet élan était porté par l’espoir, ou
mieux encore par l’attente que dorénavant, tout irait mieux. Certains ont également évoqué la
« fin de l’Histoire ». Nous étions nombreux à croire qu’un nouvel ordre était en train de se
dessiner et qu’il allait apporter la paix et la stabilité au monde entier. Aujourd’hui, vingt-sept
ans après la chute du mur, force est de constater qu’il y a longtemps que le monde n’a plus été
dans un tel désordre. Les crises et les conflits s’abattent sur nous avec une force et une densité
que personne n’aurait pu prévoir en 1989. Les anciens et les nouveaux acteurs luttent pour l’influence dans un monde devenu confus. Nous sommes bien loin de la « fin de l’Histoire ».
Même si les images des crises et des catastrophes dominent les journaux et les informations, il
est important que nous nous rappelions régulièrement nos exploits. Pensons seulement à
l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, aux accords de Minsk au sujet de l’Ukraine, aux étapes
déjà franchies dans la crise des réfugiés ou encore à l’accord de paix en Colombie qui met fin
à un conflit qui semblait si longtemps dénué de tout espoir. La diplomatie demande du temps
et de la patience. On ne peut pas résoudre les problèmes du monde du jour au lendemain. Les
solutions sont souvent le fruit d’un travail laborieux fait de nombreuses petites étapes. C’est
long et parfois frustrant. Mais ce qui compte, c’est que nous possédons les instruments
nécessaires pour créer un peu d’ordre. Cela implique aussi que l’Allemagne assume sa
responsabilité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons revu et renouvelé notre
politique extérieure au cours de ces dernières années. L’Allemagne a également pris la
présidence de l’OSCE en 2016 et se porte candidate à un siège au Conseil de sécurité des
Nations Unies pour la période 2019/2020. De même, mon initiative visant à mener des
entretiens communs sur le contrôle des armements avec l’Occident et la Russie s’inscrit aussi
dans cette logique de responsabilité. Pour qu’un nouvel ordre puisse se constituer, il faut faire
preuve de force créative. En ces temps de guerre, l’Allemagne doit donc fournir de nouvelles
impulsions afin de façonner notre monde. Je suis convaincu que la patience et la volonté
d’aller vers les autres nous permettront d’apporter au monde un peu plus de paix et de justice.
K) Des Américains veulent punir les sociétés françaises présentes en Iran
Aux Etats-Unis, le lobby anti-iranien n’a pas désarmé après l’accord sur le programme
nucléaire passé entre Téhéran et les grandes puissances le 14 juillet 2015. Cet accord devrait
permettre la suppression progressive des sanctions qui frappent l’Iran depuis le début des
années 2000. L’organisation United Against Nuclear Iran ne l’entend pas ainsi. Elle se donne
pour but de "punir" les sociétés étrangères, notamment françaises, qui coopéreraient avec
l’Iran. Un article de François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran et analyste
de politique internationale.
Peugeot, une longue tradition en Iran
Par une fuite dans la presse [1], les Français ont récemment découvert qu’une organisation
américaine, United Against Nuclear Iran (UANI), menait une campagne d’intimidation auprès
de grandes sociétés françaises intéressées par le marché iranien. Dans les lettres adressées à
ces sociétés, UANI souligne tous les risques liés à une présence en Iran, et annonce son
intention de dénoncer les sociétés qui bénéficieraient d’argent public américain tout en faisant
des affaires avec l’Iran. Quelle est cette organisation qui poursuit l’Iran de sa vindicte après
l’accord de Vienne de juillet 2015, mettant fin en principe à la crise nucléaire iranienne ?
Deux hommes sont à l’origine d’UANI : l’un, Mark D. Wallace, avocat et brièvement diplomate, son principal fondateur et depuis son directeur général, l’autre, Thomas Kaplan,
homme d’affaires et mécène, son principal financier. Tous deux sont très liés, Mark Wallace
figurant parmi les dirigeants de plusieurs des sociétés d’investissement et de commerce
contrôlées par Thomas Kaplan, notamment Tigris Financial Group et Electrum Group.
Un diplomate d’occasion
Mark Wallace, d’abord avocat à Miami et proche de Jeb Bush, gouverneur de Floride,
conseille son frère, George W. Bush, lors de l’élection présidentielle de 2000 au moment clé
de la vérification des votes de l’Etat de Floride. Après la victoire de ce dernier grâce à une
décision de la Cour suprême, il entre dans l’administration fédérale, puis fait partie des
dirigeants de son équipe de campagne lors de sa réélection en 2004. Il participera aussi à la
campagne de John McCain en 2008, battu par Barack Obama. Wallace se pare volontiers du
titre d’ambassadeur, ayant en effet été nommé fin 2005 ambassadeur auprès des Nations
Unies, non comme chef de la mission américaine, mais comme adjoint responsable des
questions administratives et financières de l’ONU. Il travaille alors en parfaite harmonie avec
l’ambassadeur chef de mission, John Bolton, néoconservateur connu pour son style abrupt et
ses vues radicales, et mène avec lui une politique agressive de pression sur le Secrétariat des
Nations Unies. Bolton entrera plus tard au Conseil consultatif de l’UANI. Wallace ne s’entend
pas avec le successeur de Bolton, Zalmay Khalilzad, beaucoup plus modéré, et démissionne
début 2008.
Un nid de « faucons »
C’est alors qu’il fonde l’association « American Coalition against a Nuclear Iran », plus
connue sous le nom de « United against Nuclear Iran ». Le principal organe collégial de
l’organisation, le Conseil consultatif, agrège d’anciennes figures du monde de la défense et du
renseignement, américaines mais aussi britannique, allemande, israélienne, et plusieurs
anciens ministres de différents pays, dont l’Espagnole Ana Palacio, passée à l’histoire pour
avoir, en qualité de ministre des affaires étrangères, donné instruction à ses ambassades
d’attribuer à l’ETA les attentats islamiques du 11 mars 2004 à Madrid. On y trouve encore
une figure connue de la diplomatie américaine au Proche-Orient, Dennis Ross, réputé très
proche d’Israël. Ce conseil est actuellement présidé par Joseph Lieberman, ancien sénateur
démocrate, fervent avocat de la relation spéciale entre les Etats-Unis et l’Etat hébreu.
« Un homme de la Renaissance »
L’autre personnalité clé d’UANI, bien qu’elle n’y occupe aucun poste, est Thomas Kaplan,
qui finance à lui seul environ la moitié de son budget. Kaplan a fait fortune en investissant
dans les métaux, notamment or et argent. Il est aussi, avec sa femme, un collectionneur d’art
avisé, un ardent défenseur d’Israël, un militant de la cause des grands félins menacés. Il est
enfin un philanthrope tourné vers la France, ayant notamment contribué à la récente création
d’une librairie française sur la Cinquième avenue à New-York. En somme, « un homme de la
Renaissance », si l’on en croit le discours qui a accompagné la remise de sa croix de chevalier
de la Légion d’Honneur en avril 2014. Dans sa réponse, le récipiendaire évoque son
engagement face aux ambitions nucléaires de l’Iran, motivé par le souvenir du sort infligé aux
Juifs par le nazisme, et citant UANI, s’exprime ainsi : « certes, UANI ne dispose pas de
missiles Tomahawk ou de porte-avions, mais nous avons plus fait pour mettre l’Iran à genoux
que n’importe quelle initiative privée et la plupart des initiatives publiques ». De fait, UANI, à
même époque, obtient l’engagement de grandes compagnies, américaines, européennes, asiatiques, de rompre toute relation avec l’Iran. UANI se flatte aussi d’avoir obtenu en juin
2013 du président Obama un décret plaçant sous sanctions toute coopération avec l’industrie
automobile iranienne, où les Français étaient très présents. Dès février 2012, Peugeot avait
déjà quitté l’Iran, où il contribuait à assembler près de 500.000 voitures par an, dans l’espoir
de nouer un partenariat avec General Motors, elle-même sous pression d’UANI. Mais le
décret de juin 2013, abrogé en 2016 après l’accord de Vienne, a mis en difficulté Renault, très
actif en Iran. Au total, l’industrie automobile française, selon les représentants du secteur, a
dû perdre en cette affaire au moins 5.000 emplois.
Une amitié mal placée
A noter que Thomas Kaplan se trouve à ce jour éclaboussé par une méchante affaire de
détournement d’argent d’au moins un milliard de dollars au détriment d’un fonds public
malaisien voué au développement du pays. La justice américaine et la justice suisse sont en
effet sur la piste d’un sulfureux playboy et homme d’affaires, se présentant aussi comme
philanthrope, Taek Jho Low, qui est au cœur de ce scandale. Or Thomas Kaplan a bénéficié
de placements venant de Taek Jho Low, lui a offert un siège au conseil d’administration de sa
société Electrum, et lui a apporté son soutien public dans un clip promotionnel pour sa société
Jynwel Capital : on y voit ainsi Thomas Kaplan, après une poignée de mains prolongée
avecTaek Jho Low, le présenter comme un partenaire de totale confiance.
Casinos et bombes atomiques
L’autre important mécène d’UANI, à hauteur d’à peu près le quart de son budget, est le
milliardaire américain Sheldon Adelson, qui a fait sa fortune dans les hôtels de luxe et les
casinos à Las Vegas, Macao et Singapour. Sheldon Adelson est un fervent soutien de
Benjamin Netanyahou, notamment au travers du quotidien gratuit Israel Hayom, qu’il
possède. Il condamne évidemment le « socialisme » d’Obama et apporte son appui à Donald
Trump.
En ce qui concerne l’Iran, il s’est fait remarquer en octobre 2013, alors que se nouait la
négociation avec Téhéran, en recommandant publiquement de procéder à un tir de semonce
atomique dans le désert iranien, et de notifier à la République islamique qu’une seconde
bombe serait envoyée sur Téhéran si elle ne se pliait pas aux exigences américaines.
Secrets d’État
Reste à savoir s’il existe des complicités entre UANI et « l’État profond » américain : services
de renseignement, néoconservateurs insérés dans l’administration et agissant en informateurs
bénévoles... Un coin du voile a été brièvement soulevé lors d’un procès en diffamation et
chantage qui a opposé de 2013 à 2015 un armateur grec, Victor Restis, à UANI.
L’organisation accusait en effet Victor Restis de violer l’embargo américain, alors que celui-
ci affirmait n’acheminer vers l’Iran que des produits agroalimentaires, exemptés de sanctions
pour raisons humanitaires. Au fil de la procédure, les avocats de Victor Restis ont demandé au
tribunal fédéral saisi de l’affaire d’ordonner à UANI de présenter les documents à la source de
ses accusations. C’est alors qu’en un mouvement sans précédent, le Département de la Justice
américain a demandé au tribunal d’écarter cette requête au nom de la protection du secret
d’État. Le tribunal s’étant incliné, l’affaire a été classée sans que l’on en sache davantage sur
les secrets à protéger. Mais cette intervention extraordinaire a laissé présumer qu’UANI avait
accès à des informations privilégiées venant de l’appareil d’État américain, voire d’appareils
d’État étrangers [2].
[1] Le Parisien, 4 août 2016 http://www.leparisien.fr/espace-premium/fait-du-jour/coups-bas-
contre-les-societes-francaises-en-iran-04-08-2016-6014317.php
Challenges le 29 août 2016 http://www.challenges.fr/monde/20160826.CHA2666/l-etrange-
ong-americaine-qui-fait-la-chasse-aux-groupes-francais-en-iran.html
[2] Eli Clifton est le premier journaliste ayant mené une enquête approfondie sur les activités
d’UANI. Ses révélations ont beaucoup apporté au présent article.
Cf notamment
:http://www.salon.com/2014/08/11/billionaires_sketchy_middle_east_gamble_meet_the_man
_betting_on_war_with_iran/ ethttp://lobelog.com/uani-principals-tied-to-target-of-money-
laundering-investigation/