Le
néoconservateur (aussi abrégé en
néocon) ne doit pas être confondu avec un partisan de la
nouvelle droite française et européenne. Par ailleurs, le néoconservatisme est assimilé à tort à un courant particulier du
libéralisme, bien que son discours soit très modérément
libéral. En fait, les néoconservateurs acceptent des interventions étatiques importantes dans l'
éducation
et la santé, en échange de réduction d'impôts et de contrôle de
l'inflation (et encore). Ils considèrent comme très important
l'engagement de l'
État
dans le domaine militaire — en vue de lui faire servir des fins
offensives (à l'opposé du courant paléoconservateur, partisan de l'
isolationnisme).
Historique
En opposition avec la "vieille droite" américaine, fortement anti-
étatiste, la "néo-droite" qui a émergé au cours de la guerre froide, sous la houlette du journaliste
William F. Buckley Jr., directeur de la
National Review,
a ouvertement demandé une augmentation massive des dépenses étatiques
et une extension de l'appareil policier au motif de combattre plus
efficacement le
communisme
à l'intérieur et à l'extérieur des frontières américaines. Dans la
foulée, au cours des années 60, de jeunes intellectuels ayant abjuré
leur ancienne foi dans l'Union soviétique, mais toujours marqués par la
pensée politique trotskiste, ont commencé à se faire connaître en
critiquant la faillite morale entraînée par les politiques sociales
lancées sous Kennedy et Johnson sous l'étiquette de "Grande Société" -
mais il faut noter qu'ils n'ont jamais remis en cause le
Welfare State rooseveltien.
Ces universitaires se nomment
Irving Kristol
(surnommé "le Pape du néoconservatisme"), Daniel Bell, James Burnham,
Seymour Martin Lipset, Patrick Moynihan, etc. et fondent au même moment
des revues telles que
Encounter,
The Public Interest,
The National Interest. Ils seront rejoints par Norman Podhoretz, qui a créé de son côté
Commentary, où il défend la politique de l'Etat d'Israël et s'oppose au pacifisme de la New Left.
Quittant progressivement le terrain social, ces auteurs
s'intéresseront aux relations internationales et défendront - à la suite
du polémologue, stratège et mathématicien Albert Wohlstetter, ainsi que
de l'éditorialiste
William F. Buckley,
que l'implication croissante de l'armée américaine dans le monde entier
afin, disent-ils, de faire pièces à l'empire soviétique. Ils attireront
l'attention du très belliqueux - et supporter inconditionnel de l’État
d'Israël - le sénateur démocrate Henry "Scoop" Jackson, en compagnie
duquel plusieurs d'entre eux siègeront au sein du
Committee on Present Danger. Ils feront campagne au sein du parti démocrate pour que Jackson devienne en
1976
le prochain président des Etats-Unis, mais ils échoueront : Jimmy
Carter sera le candidat démocrate et gagnera les élections
présidentielles.
Quand
Ronald Reagan triomphe en
1980,
ils devinent qu'il est leur homme: ancien démocrate passé à droite,
anticommuniste décomplexé, désireux de faire de son pays la puissance
qui déstabilisera l'URSS, le nouveau président s'entoure d'ailleurs de
certains d'entre eux, nommant en particulier Jeanne Kirkpatrick
ambassadeur représentant les USA aux Nations unies.
Durant les années 80, une nouvelle génération prend la relève: William Kristol (fils d'Irving et fondateur du
Weekly Standard),
Paul Wolfowitz, Paul Kagan, Francis Fukuyama, Daniel Pipes, etc. Avec
la chute du communisme, il sont orphelins de l'ennemi qui entretenait
leur soif d'expansionnisme et d'
interventionnisme.
Mais ils conservent leur attachement à la défense d'Israël et, sous le
prétexte de protéger ce pays, militent pour que les gouvernements
américains successifs se lancent dans des "
guerres préventives". Au sein de multiples think tanks (
Heritage Foundation,
American Enterprise Institute,
PNAC, etc.) ils travaillent à la confection de rapports visant à convaincre les dirigeants politiques de leurs options (cf. la
lettre ouverte à Bill Clinton l'adjurant, en 1998, de renverser le régime de Saddam Hussein).
Aujourd'hui, les néoconservateurs s'identifient généralement avec le
Parti Républicain des
États-Unis - bien que l'un de leurs mentors, Richard Perle, continue de voter pour le parti démocrate - et avec la défense de l’État d'
Israël face à la menace palestinienne.
Leurs rapports avec les libéraux et les libertariens
Les néoconservateurs, de leur propre aveu, ne partagent pas le souhait libéral de voir diminuer le rôle de l'
État. Au contraire, ils aspirent à une augmentation des crédits en matière d'armements, à une extension de l'influence
gouvernementale
américaine dans le monde, au travers d'interventions militaires, de
coups d'État téléguidés, de soutiens financiers à des organisations
satellites dans différents pays d'Europe ou d'ailleurs.
S'ils contestent, comme les libertariens et la plupart des
libéraux, la légitimité de l'ONU, ce n'est pas pour les mêmes raisons :
les seconds le font parce qu'ils n'apprécient guère l'idée d'un
"gouvernement mondial", tandis que les premiers se mobilisent contre ce
type d'institution... parce qu'elle concurrence trop, selon eux,
l'influence des
États-Unis dans les affaires internationales.
Les néoconservateurs sont partisans en particulier de la
"doctrine Wolfowitz", qui pose que l'objectif principal de la politique
étrangère des États-Unis est d'empêcher la montée de tout pays (
Russie,
Chine...) qui pourrait faire échec à l'hégémonie américaine sur le monde entier.
Il n'est donc pas étonnant que les libertariens américains aient,
pour la plupart, identifié les néoconservateurs comme des étatistes au
moins aussi nuisibles que leurs homologues d'autres tendances
politiques.
Murray Rothbard,
qui avait identifié en eux un discours fortement imprégné de
philosophie marxiste, a dénoncé sans faillir leur influence dans la
politique américaine et a notamment insisté sur le fait qu'ils servaient
l'alliance du
Big Business et du
Big Government, tandis qu'ils défendaient le développement d'un
Warfare State jouxtant le
Welfare State (deux faces d'une même médaille, puisque - pour citer la célèbre phrase de
Randolph Bourne:
War is the Health of State). Plusieurs de ses libelles anti-néocons sont accessibles
ici.
Depuis la
mort de
Rothbard, d'autres auteurs libertariens ont pris la relève pour dénoncer les politiques néoconservatrices, par exemple sur
lewrockwell.com ou
antiwar.com.
Ivan Eland, par exemple, a consacré plusieurs livres très critiques vis-à-vis du néo-conservatisme.
Ron Paul souligne l'alliance du
welfare state avec le
warfare state.
Martin Masse, fondateur du webzine libertarien
Le Québecois libre a brillamment résumé la vraie nature de l'idéologie néoconservatrice lorsqu'il écrit :
- Aujourd'hui, les néoconservateurs américains prétendent défendre la « démocratie » et la « liberté »
mais ont gardé cette tendance à vouloir l'imposer aux autres pays par
la force. Le fait que les États-Unis doivent se transformer en empire
pour atteindre cet idéal ne semble pas les déranger particulièrement.
Ils valorisent les valeurs militaristes et croient que la liberté ne
sera protégée que par un État fort. C'est tout le contraire de ce que
croient les libertariens cohérents. Les néoconservateurs ne sont en fait
que des trotskistes mutants qui ont plaqué leurs croyances étatistes et
impérialistes sur un discours superficiellement « conservateur » dans le sens américain du terme, c'est-à-dire en faveur du libre marché et des valeurs traditionnelles.
De ce côté-ci de l'Atlantique, l'
antilibéralisme foncier des néoconservateurs n'est pas bien compris, de sorte que l'on a pu voir des personnalités libérales (
Alain Madelin, notamment) reprendre à leur compte leurs vues, comme s'il s'agissait d'options compatibles avec la pensée libérale.
Ron Paul caractérise les néoconservateurs par la pratique du "noble mensonge" et résume leurs idées ainsi (
Liberty Defined,
Noble lie) :
- il est du devoir des élites de tromper les masses
- les gouvernants sont des êtres supérieurs qui ont des droits et des devoirs à l’égard des inférieurs
- une utilisation cynique de la religion est importante pour
faire passer le message à destination d’une société obéissante, de façon
à empêcher les individus de penser par eux-mêmes
- les menaces externes unissent le peuple ; la peur est un
ingrédient nécessaire au succès. Selon Machiavel, s'il n'existe pas une
menace extérieure, les dirigeants doivent en créer une
- cela unit les gens et les rend plus obéissants envers l'Etat.
Les néoconservateurs affirment que c'est dans l’intérêt du peuple
puisque l'individualisme est fondamentalement mauvais et que l'élite
doit se conformer à son devoir de gouverner les incompétents
- la religion, le mensonge et la guerre sont les outils utilisés
par les néoconservateurs pour supprimer l'individualisme et fortifier
une élite dirigeante. Ces points de vue sont, à des degrés divers et sur
diverses questions, adoptés par les dirigeants des deux partis
politiques. C'est pourquoi l'individualisme est sous attaque constante
et la philosophie des Pères fondateurs a été si gravement compromise.
Les néoconservateurs nieront toujours cela (cela fait partie de leur
noble mensonge) car cela ferait exploser leur couverture
- ils font en fait le contraire, revendiquant un brevet de
superpatriotisme, et quiconque est en désaccord avec leurs guerres et
leurs projets d’assistanat est anti-américain, anti-patriote,
non-humanitaire, opposé aux troupes, et ainsi de suite.
Postérité
La vision du monde néoconservatrice a séduit nombre d'intellectuels
aux Etats-Unis, tels que le philosophe Allan Bloom (qui servit de modèle
au romancier Saul Bellow pour son roman
Ravelstein), disciple de
Leo Strauss, philosophe politique d'origine allemande (très prisé par un Paul Wolfowitz, par exemple).
En Europe, l'influence néoconservatrice semble avoir gagné une
partie du Labour de Tony Blair et se reconnaît en France dans les
articles et essais de nombreuses personnalités comme
Jean-François Revel (depuis
Comment les démocraties finissent jusqu'à
L'Obsession anti-américaine), André Glucksmann (en particulier dans
Ouest contre Ouest)),
Yves Roucaute (
La Puissance de la liberté et
Le Néoconservatisme est un humanisme), ou encore
Guy Millière, le laudateur attitré pour l'Hexagone de
George W. Bush auquel il a déjà consacré pas moins de trois livres (!!).
Des sites comme
libres.org ou encore l'
Institut Hayek défendent plus ou moins ouvertement le point de vue néoconservateur au sein du monde francophone.