Pourquoi le Loup d’Intermarché est problématique.
Le loup d’Intermarché se présente comme un conte moral contemporain. Or, comme l’explique Roland Barthes dans Mythologies, toute fable populaire fonctionne comme un mythe : elle naturalise une idéologie sous couvert d’évidence émotionnelle.
La publicité est ici un dispositif de pouvoir doux. Adorno et Horkheimer parlaient déjà de l’industrie culturelle comme d’un système qui transforme des normes sociales en affects partagés dans Dialektik der Auflärung (1944), rendant la critique difficile.
Le choix du loup n’est pas anodin. Dans l’imaginaire occidental, analysé par Lévi-Strauss, le loup incarne l’altérité radicale : ni domestique, ni intégrable sans transformation.
De Hobbes (homo homini lupus) à Perrault, le loup représente ce qui menace l’ordre social. Il n’est pas simplement incompris, il est structurellement antagonique. Le récit pose donc une question politique classique : comment une communauté traite-t-elle ce qui lui résiste ?
La réponse proposée n’est ni l’exclusion ni la coexistence conflictuelle, mais la transformation intégrale de l’altérité. Le loup doit abandonner la prédation, c’est-à-dire sa fonction écologique et symbolique. Il cesse d’être ce qu’il est pour devenir tolérable.
Le loup doit abandonner la prédation, c’est-à-dire sa fonction écologique et symbolique. Il cesse d’être ce qu’il est pour devenir tolérable. Cette logique correspond exactement à ce que Michel Foucault appelle la normalisation : l’inclusion par ajustement aux normes dominantes.
Le pouvoir moderne, explique Foucault dans Surveiller et punir, ne s’exerce plus par la répression brute, mais par la correction des comportements. Le loup n’est pas contraint physiquement. Il intériorise la norme. Il se réforme lui-même. Cette auto-discipline rappelle le sujet néolibéral décrit par Wendy Brown : responsable de son exclusion, sommé d’optimiser sa propre acceptabilité.
La violence est ici invisible, car consentie. C’est la forme la plus efficace du pouvoir. Le message implicite est clair : si tu es rejeté, c’est que tu n’as pas encore fait assez d’efforts pour changer.
Toute conflictualité est psychologisée. Il n’y a plus de rapports de force, seulement des défauts individuels à corriger. Ce déplacement est au cœur de la gouvernementalité néolibérale analysée par Foucault au Collège de France.
Or la nature, comme le rappelle Darwin, n’est ni morale ni bienveillante. Elle est faite de prédation, de concurrence, de mort.
Supprimer la prédation du loup revient à produire une écologie fictive, une nature aseptisée. Cette vision est paradoxalement anti-écologique. Elle nie les équilibres réels au profit d’un décor pacifié.
Cette vision est paradoxalement anti-écologique. Elle nie les équilibres réels au profit d’un décor pacifié. Bruno Latour a montré combien cette séparation entre nature réelle et nature représentée est politiquement dangereuse.
La forêt du film n’est pas un écosystème, mais un espace symbolique de consensus. Le cadre esthétique ; douceur, lenteur, chaleur ; participe de ce que Walter Benjamin appelait l’esthétisation du politique.
Nous sommes face à une utopie régressive : un monde sans histoire, sans conflit, sans extérieur. Cette imagerie rejoint une tradition française de mythification du collectif organique, analysée par Zeev Sternhell dans ses travaux sur les droites françaises.
Une communauté homogène, harmonieuse, enracinée, où la différence n’est acceptable que si elle ne trouble pas l’ordre. Cette vision n’est pas explicitement fasciste, mais elle partage certains ressorts de l’imaginaire réactionnaire.
Le rappel constant du caractère « 100 % franco-français » de la production agit comme un marqueur symbolique. Cette caractéristique rappelle une autre polémique, celle du studio à l'origine de Clair Obscur 33 basé également à Montpellier
Dans les deux cas, une blanchité exacerbée, qui gomme tout ce que la France a de pluriel, comme une mise en abime ironique de leurs productions.
L’origine devient une valeur morale en soi, ce que Pierre Bourdieu qualifierait de capital symbolique non interrogé.
L’universalisme affiché repose en réalité sur une forte clôture culturelle. Cette contradiction est typique de ce que Étienne Balibar appelle un universalisme différentiel.









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