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novembre 09, 2014

DU BON USAGE DES IDEES COMMUNAUTARIENNES EN MILIEU LIBERAL - Le Débat

L'Université Liberté, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Sans rentrer dans le fond de la discussion, et sans poser la question de leur valeur objective, je voudrais parler du bon usage des idées communautariennes en milieu libéral,. Un peu à la manière de Pascal qui parlait du bon usage des maladies. Il y a un usage homéopathique qui permet de guérir le mal libertarien par le mal communautarien. Cet usage curatif des idées communautariennes peut s’observer à trois niveaux. 

Du fait que les communautariens n’ont pas la même répulsion que les libéraux devant ce qui est collectif, public et étatique - en milieu libéral, la seule prononciation de ces mots provoque un malaise - ils nous invitent à une conception un peu moins primitive du rôle de l’Etat et à admettre une certaine légitimité étatique qu’un trop long combat contre le socialisme ou l’excès d’Etat a fait perdre de vue à la plupart des libertariens. 

Premier aspect donc : une certaine relégitimation du rôle de l’Etat dont les libertariens ont, à mon sens, bien besoin. 

Deuxième niveau : les idées communautariennes invitent les libertariens à une révision épistémologique déchirante, puisqu’il s’agit d’intégrer dans leur champ scientifique les phénomènes collectifs. Là aussi, il y a des mots qu’il est difficile de prononcer en milieu libéral. J’ai même vu des gens se reprendre lorsqu’ils prononçaient le mot société parce qu’il ne renvoie pas nécessairement à une réalité estampillée par tous les douaniers libertariens. A cause de cette difficulté à employer certains mots, on est sur le point de créer une novlangue libérale alors que la novlangue n’appartient pas a priori à la terre libérale. 

Troisième niveau : les communautariens invitent les libertariens à réinvestir une plus juste conception des rapports entre l’individu et la société, entre l’intérêt général et l’intérêt particulier, entre le bien propre et le bien commun dans la ligne d’une théorie politique classique. Sur le premier point je voudrais prendre un exemple qui nous incite à adopter une vison plus juste de l’Etat. 
Je cite un libertarien, James Bidinotto qui révise un peu ses conceptions sur l’Etat. Dans la revue The Freeman de décembre 1994, il a écrit un petit article intitulé « The real enemy of liberty » :  

« Selon les sondages, la criminalité est une des principales préoccupations du public, mais curieusement le problème a été peu examiné par les tenants d’un système de libre marché. A lire des journaux libertariens, on aurait l’impression que les problèmes de criminalité seraient créés artificiellement par l’intervention des réglementation étatiques et l’illégalité de la drogue. En l’absence de telles interventions, le crime disparaîtrait. » 

 Il précise que  

« les gens ne commettent pas de crimes à cause de lois stupides qui les forcent à les commettre ou à cause de facteurs environnementaux. La criminalité est la simple conséquence de valeurs choisies et, aujourd’hui, les vagues de crimes sont le résultat de décades de destruction des valeurs culturelles et morales fondamentales. » 

Pourquoi avons-nous si peu de libertariens qui examinent le problème du crime ? Selon Bidinotto, la raison tient au fait qu’ils appliquent à l’examen de la violation des droits individuels un double standard. Les partisans du libre marché pensent le gouvernement comme l’ennemi des droits individuels et de la liberté. Bien sûr, un Etat illimité est certainement le pire ennemi des droits individuels (comme l’histoire sanglante du XXème siècle l’a prouvé), mais à dénoncer avec véhémence les violations gouvernementales du droit, les libertariens en viennent à ignorer les maux mêmes que les gouvernements ont pour objet d’éradiquer, à savoir les violations individuelles des droits privés. Il ajoute : 

 « Comme les Pères Fondateurs le savaient, le gouvernement a un rôle légitime, c’est de répondre à la force à toute tentative de coercition. Mais beaucoup de partisans du laissez-faire, habitués à voir le gouvernement comme l’ennemi en soi, n’ont pu admettre qu’il y avait place pour une forte intervention gouvernementale contre les violations privées des droits individuels. »  

C’est l’usage des idées communautariennes que je voulais citer : il s’agit d’aider les libéraux à admettre une légitimité du rôle de l’Etat. D’autant plus légitime qu’il sera concentré sur ses missions fondamentales et qu’il sera moins corrompu dans son fonctionnement. 

La novlangue libertarienne
Deuxièmement, d’un point de vue épistémologique, on a assisté en milieu libertarien à une certaine dérive, parce que les libertariens ont rendu absolu un principe vrai relativement. Je fais référence au libéralisme ontologique d’une certaine pensée libertarienne qui va au-delà de l’individualisme méthodologique. Elle en est venue à défendre une conception tronquée du réel qui vise à substituer au langage habituel, même philosophique, une quasi novlangue. Des termes sont proscrits, d’autres sont tolérables ou ne le sont pas selon l’oukase du censeur libéral. Je cite les mots « social », « collectif », « société », « entreprise » (il n’y a pas d’entreprises, il n’y a que des entrepreneurs, entend-on volontiers). La société n’existerait pas plus que l’entreprise, la ville, la rue, la France (toutes ces expressions étant prises dans un sens métonymique). Le marché lui-même d’ailleurs serait alors une fiction, tandis qu’il est une réalité, non pas substantielle, mais collective par définition. Je dirais même qu’il représente le collectif libéral à l’état pur. Si on exclut du champ épistémologique toutes ces entités collectives, on ne voit pas comment il pourrait y avoir un objet de la psychologie collective : comment Le Bon pourrait analyser la psychologie des foules (1895) ?
N’ayant pas peur des mots « famille », « communauté », « religion », « sentiment », « nation », qui renvoient à l’expérience sociale de l’individu, les communautariens invitent à leur réintégration dans le domaine de l’admissible et à l’adoption d’une pensée plus subtile que celle de certains libéraux contemporains. Ces derniers sont en cela des infidèles héritiers d’une tradition aristotélo-thomiste à laquelle ils empruntent néanmoins le principe de l ’individualisme méthodologique. Certes, l’individu est le « proton on » (l’être premier) chez Aristote (selon, cette fois, sa Métaphysique), c’est-à-dire qu’il existe d’abord et certes, pour Saint-Thomas, il n’est pas de société qui existe en dehors des individus, mais pour les deux philosophes, la société existe ... sous la catégorie « accidentelle » de la relation, comme réseau de relations dans lequel l’individu n’est qu’un noeud, dont l’existence est plus passagère que le tout dans lequel il s’insère. 

La société existe
En ce sens, je tiens à affirmer que la société existe, mais pas substantiellement comme l’individu. Les libéraux doivent appréhender la réalité plus subtilement : il y a des entités morales et collectives, des réseaux relationnels et nous ne pouvons nous concevoir en dehors de ces réalités. L’entreprise existe : il y a donc un bien commun de l’entreprise en dehors du bien de son dirigeant. La nation existe et son intérêt ne se confond pas avec celui de General Motors. De ce fait, les communautariens réintégrant le social spontané (par exemple la famille très nécessaire à l’individu) et le social artificiel (par exemple l’association) donnent un autre aperçu sur l’excès contemporain d’Etat. Les communautariens ont une explication de ce phénomène qui me parait intéressante en milieu libéral. J’en donne un exemple à partir d’un autre article de Klein tiré du Freeman de la même date qui s’intitule « Du libertarianisme comme communautarisme ». (Entre nous, il n’y a pas de meilleur modèle libéral que le monastère en fait puisqu’il est une organisation fondée sur l’engagement volontaire par lequel on se soumet librement à une discipline stricte, voire très stricte. Le modèle libéral que je propose à mes amis libéraux et libertariens, c’est le monastère. C’est un modèle libéral (bien que communiste) parce que volontaire, beaucoup plus permanent que Woodstock ou l’assemblée générale de la Société du Mont Pèlerin. 

Etzioni, cité par Klein, dit : « le lien des membres d’une communauté lui permet de rester indépendante de l’Etat. » L’ancrage des individus - l’encastrement est peut-être une traduction un peu forte d’ « embeddedness » - dans des familles viables, les réseaux d’amitié, les communautés de foi, les réseaux de voisinage, bref dans des communautés concrètes, les soutient et leur permet de résister aux pressions de l’Etat. C’est peut-être l’absence de ces fondements sociaux qui isole les individus et les soumet à des pressions totalitaires. Cette explication nous renvoie effectivement à la pensée des corps intermédiaires des contre-révolutionnaires qui analysent une réalité qu’ils ont sous les yeux - la destruction du monde des corporations par le décret d’Allarde et l’interdiction des associations par la loi Le Chapelier - et donc ils voient des individus désolidarisés, en déshérence sociale, perdus. On verra par la suite, et à cause de cette destruction, les liens communautaires se reconstituer artificiellement par l’intermédiaire du socialisme. Je pense qu’on ne peut rejeter leur analyse sous le seul prétexte de leur engagement contre- révolutionnaire au XIXème siècle ; la preuve en est que le terme de corps intermédiaires qui était considéré il y a quinze à vingt ans comme réactionnaire a été incorporé dans toute la sociologie positive contemporaine. 

L’homme comme animal politique
Le troisième niveau du bon usage des idées communautariennes consiste en ce qu’elles invitent les libertariens à la réappropriation d’une théorie politique plus classique fondée sur une définition de l’homme comme animal politique. Ce n’est pas parce que qu’elle est classique que cette théorie est plus intéressante ; mais parce qu’elle est plus juste, plus profonde et plus explicative de la réalité si on se place d’un point de vue phénoménologique - c’est-à-dire tel que nous pouvons la vérifier nous-mêmes expérimentalement. Un retour sur la réalité de l’essence de l’homme, des rapport des individus à la société, de l’intérêt général et de l’intérêt particulier - qui sont les termes modernes du bien commun et du bien propre - nous invite à dépasser l’opposition un peu sommaire de modèles de philosophie politique eux-mêmes un peu primaires, que sont l’individualisme d’une part et le collectivisme d’autre part : philosophies qui mènent à cette confrontation un peu stérile du libéralisme et du socialisme comme doctrines politiques. 

Pour le collectivisme, modèle de philosophie politique sous-jacente au socialisme, seule la société existerait réellement et l’individu n’existerait pas ou ne devrait pas exister. L’intérêt individuel est donc absorbé par l’intérêt général. Pour l’individualisme ontologique, le seul qui vaille, seuls les individus existeraient, en conséquence de quoi l’intérêt général se ramène à la somme des intérêts individuels. Si on prend au sérieux la définition de l’homme comme animal politique, ces constructions ne résistent pas à la critique. Si l’homme est un animal politique et social (la traduction de Saint-Thomas de l’animal politique d’Aristote est l’animal politique et « civil »), ma perfection individuelle passe par « l’épanouissement » social de ma personne. L’homme se réalise dans son essence individuelle lorsque toutes ses potentialités d’animal social sont actualisées, à savoir lorsqu’il est bon fils, bon mari, bon patron, bon ouvrier, bon professionnel, bon dirigeant politique, etc. En revanche, l’individu ne se réalise pas pleinement indépendamment, et comme à l’écart de tous ses rôles, de toutes ses dimensions sociales et de toutes ses communautés, y compris de la société politique dans laquelle s’insèrent et dont dépendent d’une certaine manière toutes les collectivités d’ordre inférieur, lesquelles sont influencées par les lois positives déterminées au niveau de la société politique. 

On pourrait dire que « je » va bien lorsque sa vocation sociale est accomplie sous toutes ses facettes et que, privé de cet accomplissement « je » s’étiole et se déssèche. « Je » est bien avec autrui lorsque cela va bien avec autrui. 

Comment peut-on dépasser ce double modèle primaire de l’individualisme et du collectivisme ? En voyant que le bien commun et le bien propre, loin de s’exclure et de s’opposer, s’incluent et se complètent. Le bien commun est au coeur de mon bien propre et j’ai besoin de la satisfaction du bien commun de toutes les sociétés auxquelles je participe, pour être bien moi- même. Cela donne du sens à mon action : mon perfectionnement apporte aux sociétés auxquelles je participe : leur perfectionnement concourt à mon propre bien. Bien propre et bien commun sont (réciproquement) solidaires (même si
nous ne le voulons pas). A défaut de cette compréhension, individualisme et collectivisme apparaissent comme deux erreurs par excès, symétriques et inverses. Et libéralisme absolu et socialisme peuvent encore longtemps continuer leur débat hémiplégique. 

Le bien commun et l’intérêt général
Dernière remarque hérétique : le bien commun et l’intérêt général existent-ils ? En milieu libéral, cette question est audacieuse, la réponse, toute prête, fuse immédiatement: l’intérêt général n’existe pas. Je pense au contraire que l’intérêt général existe à sa manière (et donc pas comme une chose) et que l’on doit critiquer son dévoiement par un certain nombre d’intérêts particuliers qui en font une interprétation innocemment ou volontairement trompeuse ou abusive. Le bien commun et l’intérêt général, qui est sa formulation moderne, existent. La preuve en est que si une critique libérale d’une société et de son organisation positive est menée, c’est bien parce qu’elle présuppose que le droit positif existant prive la société d’un bien supérieur qu’elle pourrait atteindre et dont, pour les raisons déjà invoquées, « je » pourrait profiter et d’autres aussi et la société française tout entière. C’est pour cela que les libéraux entrent légitimement en « politique » et non seulement pour maximiser leur intérêt individuel et leur profit personnel (ou bien je n’en suis plus). Voilà ce que je voulais dire du bon usage homéopathique des idées communautariennes en milieu libéral, à mes risques et périls.
 
Par Bernard CHERLONNEIX


Dans mon métier je m'occupe de "noter" les entreprises, nous sommes en effet une grande agence de rating, je prends le pouls de l'économie locale chaque mois et je m'occupe des difficulté financières des particuliers. A la croisée des mondes banques, administrations, organismes publics comme OSEO,entreprises,consulaires, nous sommes idéalement placés pour créer de la valeur par la mise en relation des acteurs et la valorisation de nos informations statistiques.

Je suis universitaire et chercheur en économie à temps partiel, conférencier et auteur d'articles pour des revues d'économie ou des revues d'idées (Commentaire, Sociétal, Revue Politique et Parlementaire).

Je viens d'écrire plusieurs chroniques politiques dans La Croix autour du thème du principe de subsidiarité par exemple, mais aussi sur le sujet du désendettement et de la place de l'éthique dans une bonne gouvernance.


Mon Blog : http://bernardcherlonneix.wordpress.com/ 


LE DEBAT 

Philippe NATAF :
J’ai été intrigué par ce qu’a dit Bernard Cherlonneix à l’instant au sujet de Bidinotto. Il se trouve que je connais très bien Bidinotto, et il n’est certainement pas communautarien. C’est un libéral classique qui critique le libertarianisme à tendance anarchiste. A part cela, Bidinotto est aussi libertarien que les autres. Il ne faut pas croire qu’il est communautarien. 

Alain de BENOIST :
Dans cette discussion il y a un fond philosophique que l’on ne va pas aborder, car cela nous entraînerait trop loin. Alain Laurent disait à juste titre qu’il ne faut pas caricaturer le libéralisme. Il est possible que certains auteurs communautaristes l’aient fait. Pour moi, qui ne suis pas un libéral, le problème est souvent celui du vocabulaire ou de l’orientation. Il est vrai que « libéral » aux Etats-Unis signifie pratiquement le contraire du « libéral » au sens européen. C’est un paradoxe, mais il y a à cela des raisons historiques. 

D’autre part, comme l’a remarqué Alain Laurent, il y a des nuances et des écoles libérales ; l’utilitarisme par exemple n’est qu’une variante parmi d’autres qui n’est pas identique aux autres, tant s’en faut. De ce point de vue, notre discussion est riche d’enseignements car, sauf erreur de ma part, j’ai entendu au moins trois variétés de libéralisme ce soir, rigoureusement antagonistes les unes par rapport aux autres. Je ne prends qu’un exemple : la nature humaine existe ou n’existe pas ; les deux points de vue ont été défendus. Le discours réconciliateur de Bernard Cherlonneix a introduit encore d’autres nuances dans l’affaire. 

Lorsqu’on voit les différentes variétés de libéralisme qui existent, l’on se demande qu’est-ce qui permet de considérer que, en dépit de leur variété, ils sont tous des libéralismes ? Quel est le point commun ? 

Il ne faut pas tomber dans la démarche inverse et caricaturer le communautarisme en le rapprochant indûment de toute une série de phénomènes d’apparence communautaire que l’on rassemblerait sous le paradigme du holisme, pour reprendre la distinction excellente de Louis Dumont. On peut le faire, bien entendu, au sens de l’idéal-type pour voir comment le macro-modèle du holisme s’oppose à celui de l’individualisme. Cela dit, une fois qu’on le rapporte à l’histoire, on se rend compte qu’il y a des différences considérables. Si l’on fait une catégorie fourre-tout où l’on met l’Ancien Régime, les camps du communisme stalinien, la Contre-révolution française et les communautariens américains, l’ensemble ne sera pas très pertinent au plan de sa signification politico-historique concrète. 

Ainsi, lorsque Alain Laurent dit que le communautarisme n’est pas nouveau, il a raison. Or l’on ne peut pas dire que ce soit la même chose qui revient tout le temps. On a cité les noms de Bonald, de Maistre, de Maurras ... La comparaison est justifiée lorsqu’il s’agit des contre-révolutionnaires français ; dans le cas de Maurras, cela me paraît beaucoup plus douteux. Maurras est surtout un nationaliste. Or ce qui frappe dans le communautarisme tel que nous le discutons aujourd’hui, c’est qu’il est fondamentalement anti- nationaliste. A certains égards, il rejoindrait même certains libertariens. 

Prenons un exemple de l’actualité politique française immédiate. Question : doit-on reconnaître officiellement l’existence d’un « peuple corse » ? Un communautarien répond oui, un nationaliste non. Autre exemple : la communauté maghrébine en France doit-elle se voir reconnaître une existence en tant que telle dans la sphère publique (et non seulement sa différence culturelle, ethnique, religieuse, etc) ? Un communautarien répond oui, un nationaliste non. Faisons attention à ne pas transposer des exemples que nous connaissons, et ne croyons pas non plus que le communautarisme est de droite. Il est possible de trouver des éléments proches du communautarisme dans le marxisme, par exemple. Et n’oublions pas que le communautarisme dont nous parlons est américain. Toute cette discussion n’a de sens que rapportée dans une large mesure à la problématique américaine : problème du multiculturalisme, des communautés aux Etats-Unis, la discussion extraordinaire suivant la publication de l’ouvrage de John Rawls dont l’ampleur n’est pas bien perceptible en Europe, puisque nous n’en avons eu qu’un écho relativement abouti. 

En ce qui concerne les communautariens américains, il ne faudrait pas non plus caricaturer leur discours. D’abord, les communautés américaines ne sont pas nécessairement des communautés d’origine. C’est là une grande différence par rapport à la pensée sociologique européenne qui a souvent été une pensée à forte impregnation historico-ethnique. Aux Etats-Unis, ce sont des communautés d’habitat qui à bien des endroits sont parfaitement multiraciales. En second lieu, représenter l’idée communautarienne, ou même l’idée de communauté tout court, comme porteuse d’une sorte de menace castratrice d’assignation à résidence, ou d’alignement obligatoire, ne correspond pas à la réalité. 

Je suis autant qu’Alain Laurent attaché à l’esprit critique et hostile à la morale de troupeau. Les communautariens américains admettent parfaitement que l’on parte de sa communauté ou que l’on soit en dissidence avec elle. Les communautariens ne prétendent pas que nous sommes enfermés dans nos appartenances et que la dimension individuelle n’existe pas. Ils disent simplement qu’il existe une pondération forte de ce contexte dans lequel nous sommes pris. Je peux parfaitement dire que j’exècre la France, que c’est un pays peuplé d’imbéciles et que je préfère de loin les Italiens ou les Anglais ; or les communautariens vont dire que je tiens ce discours en tant que Français. L’idée communautariste est que nous avons trop mis l’accent sur l’individu, que la dimension de l’appartenance collective est devenue indiscernable et qu’il faut la réhabiliter parce qu’elle répond à un besoin humain. 

André BERTEN :
Le communautarisme américain est lié à des orientations idéologiques et politiques importantes. Un article récent de Ronald Dworkin concernant la jurisprudence de la Cour Suprême fait état de deux tendances : l’une, libérale, vise à donner une extension de plus en plus universelle à la notion de droits (exemple des droits civiles, ou des droits des homosexuels) ; l’autre, soutenu par les communautariens, i fait appel à la tradition des Pères fondateurs. Je ne pense pas que ce soit simplement la reconnaissance de communautés de quartier etc, mais cela touche les questions telles que l’avortement, le divorce, les minorités.
Dworkin a fait une série d’articles sur la pornographie, et l’on peut évidemment discuter du rôle des féministes, mais quelles que soient les positions prises, l’argument communautaire consiste à dire que la pornographie ne fait pas partie de notre culture, et que par conséquent elle ne doit pas être autorisée. 

Alain de BENOIST :
C’est vrai que les communautariens sont probablement un peu moins pernicieux. Cela dit, certains auteurs se bornent à dire que, si une communauté décide qu’elle ne veut pas de pornographie pour une raison ou une autre, elle a le droit de la bannir. A l’inverse, si une autre communauté veut autoriser la pornographie, pourquoi pas ? Le point fort de l’argumentation communautarienne est le désir de reconnaissance d’une identité collective en tenant compte évidemment de la multi-appartenance. Alain Laurent donnait un exemple très judicieux en parlant de la Nation : est-ce que ma nation a toujours raison ? Quoique sympathisant avec les communautariens, je réponds non. 

Alain LAURENT :
Il y a certainement dans l’histoire des idées des « pré- communautariens » de gauche. Je pense à Pierre Leroux, inventeur de la notion de communisme. Il faudrait sans doute s’intéresser aux interférences entre communisme et communautarisme ; je me demande parfois si le dernier n’est pas une forme résurgente du premier. 

En ce qui concerne la Corse, il est évident qu’un nationaliste français ne sera pas d’accord avec les revendications des Corses. Or les nationalistes corses seraient alors des communautariens, puisqu’ils sont prêts d’expulser tous les malheureux qui ne sont pas « indigènes ». 

Sur les communautariens américains, il est vrai que le terme « community » renvoie à une appartenance de base, mais avec des aspects terrifiants, notamment le contrôle social et le conformisme qui peuvent exister. Pour les Américains, dans la tradition, oser dissimuler quoi que ce soit de la vie familiale aux autres est quelque chose d’odieux : il doit y avoir un regard communautaire et une transparence. Au point de se demander si la vie privée et
l’individualisme existent réellement aux Etats-Unis. 

Alain de BENOIST :
Oui, mais une communauté traditionnelle de Calabre ne répond pas à la définition de « community » américaine, par exemple. 

Angelo PETRONI :
Cela dépend ; il y a tellement de Calabrais aux Etats-Unis ... La Calabre est effectivement un modèle excellent de communauté (autodéfense etc) ... 

Alain LAURENT :
Prenons le fait qu’on parle désormais de la « communauté homosexuelle » ou de la « communauté des Beurs ». Cela signifie qu’à partir d’une certaine particularité (ethnique ou sexuelle par exemple) l’individu est tenu comme solidaire d’un ensemble artificiellement constitué. Si j’étais homosexuel ou Beur, je protesterais avec la dernière énergie contre le fait de vouloir m’assigner à priori tel comportement ou telle solidarité uniquement à partir d’un trait particulier qui existerait par hasard. On sait d’ailleurs que pour un certain nombre de jeunes immigrés, le fait d’être catalogués comme « Beurs » les fait réagir d’une façon négative. Ils se veulent comme libres individus et ne désirent pas traîner telle ou telle étiquette à vie derrière eux. 

Alain de BENOIST :
En effet, le milieu maghrébin déteste l’appellation de « Beurs ». L’exemple est très bon, car il existe des Maghrébins qui ne se reconnaissent pas dans cet ensemble et qui veulent en sortir, ce qui est leur droit. Mais il s’agit de savoir si l’on est prêt à reconnaître l’existence collective de ceux qui ont fait le choix inverse. 

Alain LAURENT :
Et comment va-t-on reconnaître dans la rue les « immigrés communautaires » ? Le langage actuel revient à les assimiler tous de force comme appartenant à cette communauté. A partir du moment où l’on pose comme préalable la liberté de l’individu de se déterminer, le fait de jouer sur une particularité quelconque, affectée d’autorité de l’extérieur, revient à une assignation. Lorsqu’on parle de la « communauté maghrébine de France », de qui parle-t-on ? 

Alain de BENOIST :
Prenons un exemple où l’appartenance n’est pas visible, celui de la communauté juive. Celle-ci regroupe des gens qui se reconnaissent comme membres d’une communauté. D’autres, aussi juifs que les premiers, ne veulent rien savoir de cette communauté, ce qui est leur droit le plus strict. Il y a donc deux démarches, mais le fait est que certains juifs français veulent appartenir et se déclarer solidaires d’une appartenance à la communauté juive ; c’est également leur droit le plus strict. Il ne s’agit d’aucune façon d’enfermer qui que ce soit ou d’assigner de force à quelqu’un une appartenance. C’est de reconnaître - et la reconnaissance est le fond du raisonnement de Taylor - à tort ou à raison le droit de ces gens de se sentir solidaires d’une communauté. 

Alain LAURENT :
En quoi la société libérale empêche-t-elle ce phénomène ? 

Alain de BENOIST :
Je dirais - et ce n’est pas une boutade - que ce qui empêche les communautariens de s’organiser aussi facilement que l’on voudrait, ce sont peut-être les mêmes contraintes de structure qui empêchent les libertariens aux Etats-Unis d’en faire autant. 

Angelo PETRONI :
Je suis d’accord qu’il y a probablement tant de communautariens que l’on peut choisir les significations que l’on veut. Mais il ne faut pas non plus pousser le relativisme. Monsieur Berten a parfaitement raison. Vous faites de la communauté un concept trop simpliste, car transversale et sans territoire. Or il existe des territoires communs. C’est tout le problème de la vaine pâture : je ne veux pas de pornographie dans ma communauté, soit. Mais si je veux bannir la pornographie de mon quartier ou de ma région, d’autres problèmes vont se poser. Et il en va de même pour la ségrégation ou l’intégration raciale. 

Alain de BENOIST :
Oui, mais nous connaissons le résultat en ce qui concerne les Etats- Unis : il y a des quartiers blancs et des quartiers noirs. Ce n’est pas l’assignation : c’est le résultat soit du choix volontaire, soit du poids de facteurs sociologiques. Il y a un habitat préférentiel. Il ne faut pas envisager les choses d’une manière nécessairement antagoniste. 

Lorsque ce débat a démarré aux Etats-Unis, on avait l’impression d’observer deux camps tout à fait tranchés. Or dans les ouvrages publiés actuellement, avec une qualité de débat que l’on aurait du mal à trouver en France, très souvent ces livres essaient de trouver des voies de dialogue et de dire que les libéraux, les libertariens et les communautariens ont des points communs et des ennemis communs. Certains communautariens s’ouvrent aux arguments libéraux ; certains libertariens s’interrogent pour savoir s’il y a des éléments communautariens à retenir. Je ne voudrais pas essayer de masquer l’existence de divergences philosophiques fortes, mais rapporté à l’état actuel du débat l’on se rend compte qu’il ne s’agit pas de deux camps qui s’opposent d’une façon rigoureuse. 

Angelo PETRONI :
Tout à fait d’accord. Il existe des ouvrages montrant que le libéralisme est mieux à même de défendre des communautés, comme la communauté indienne aux Etats-Unis, par exemple. 

André BERTEN :
Un des grands reproches faits aux libéraux par les communautariens est que leur définition de la justice est purement formelle, qu’elle manque de substance. Alain Laurent a dit que les libéraux avaient au contraire une conception substantielle de la liberté et de la justice ; mais il a ajouté que le bien commun consiste pour chacun à pouvoir choisir sa propre définition de la vie bonne. Or, les communautariens rétorquent que cette possibilité de choix est justement formelle et non pas substantielle. J’ai été par la suité intrigué par ce qu’a dit Bernard Cherlonneix sur le bon père de famille, le bon patron, le bon ouvrier etc, car ces catégories supposent l’existence d’un modèle concret. Ainsi, je ne vois pas comment les libéraux peuvent revendiquer la notion d’une liberté substantielle. 

Alain LAURENT :
Il me semble que les communautariens interprètent le terme « substantiel » trop à la manière d’un contenu bien déterminé. J’aurais tendance à prendre le mot « substance » au sens étymologique, c’est-à-dire quelque chose qui se tient d’une manière ferme sous les apparences. Par conséquent, une valeur forte me paraît être en elle-même substantielle : elle n’est pas vide de contenu. Elle n’est pas non plus purement procédurale. 

De même, je ne suis pas d’accord avec le procès intenté contre Kant par les communautariens : la philosophie kantienne me paraît être en elle-même substantielle. Kant, comme les libertariens, pose que l’être humain par nature est une fin en soi. La querelle porte sur l’interprétation du terme « substantiel » que je trouve être beaucoup trop déterminant dans la phraséologie communautarienne. Dans le monde libéral ou libertarien, le fait que l’individu dispose du droit de s’autodéterminer a une consistance substantielle. 


Individu

De Wikiberal
 
L'individu est un être considéré comme une unité distincte, indépendante (un "in-dividu" ne peut être ni partagé ni divisé).
L'individualisme libéral met l'individu au centre de l'éthique, du droit et de l'économie, comme primordial par rapport à toute formation sociale. L’individu doit être considéré comme un fin en soi et non comme un moyen, ce qui minimise l’action possible de l’État ; la pleine propriété de soi donne alors à la responsabilité toute son effectivité.
Même les socialistes reconnaissent à présent le rôle primordial et l'importance qu'il faut donner à l'individu. Dans un forum intitulé "les socialistes et l'individu"[1], ils écrivent que l’individu « ne peut s’entendre comme un atome isolé mais un être social, fraternel ». Constatant « l’aspiration indéniable à une plus grande prise en compte des situations personnelles dans les politiques publiques », les rapporteurs soulignent que « le libéralisme ne conteste ni l’importance du lien social ni la nécessité d’une régulation politique de l’économie de marché » et opèrent un distinguo avec « le néolibéralisme, destructeur ». Bien que cette distinction soit inopérante, il s'agit tout de même d'une évolution notable de la part d'un parti précédemment collectiviste

Objection fréquente

La notion d'individu, disent les critiques, est une abstraction vide de sens. L'homme réel est nécessairement toujours le membre d'un ensemble social. Il est même impossible d'imaginer l'existence d'un homme séparé du reste du genre humain et non relié à la Société. L'homme, comme homme, est le produit d'une évolution sociale. Son caractère éminent entre tous, la raison, ne pouvait émerger qu'au sein du cadre social de relations mutuelles. Il n'est pas de pensée qui ne dépende de concepts et de notions de langage. Or le langage est manifestement un phénomène social. L'homme est toujours le membre d'une collectivité. Comme le tout est, tant logiquement que temporellement, antérieur à ses parties ou membres, l'étude de l'individu est postérieure à l'étude de la société. La seule méthode adéquate pour le traitement des problèmes humains est la méthode de l'universalisme ou collectivisme.
Il s'agit d'une objection étudiée, et réfutée, par Ludwig von Mises dans L'Action humaine (Première partie — L'Agir humain, Chapitre II — Les problèmes épistémologiques des sciences de l'agir humain) :
Tout d'abord nous devons prendre acte du fait que toute action est accomplie par des individus. Une collectivité agit toujours par l'intermédiaire d'un ou plusieurs individus dont les actes sont rapportés à la collectivité comme à leur source secondaire. C'est la signification que les individus agissants, et tous ceux qui sont touchés par leur action, attribuent à cette action, qui en détermine le caractère. C'est la signification qui fait que telle action est celle d'un individu, et telle autre action celle de l'État ou de la municipalité. (...) Si nous examinons la signification des diverses actions accomplies par des individus, nous devons nécessairement apprendre tout des actions de l'ensemble collectif. Car une collectivité n'a pas d'existence et de réalité, autres que les actions des individus membres. La vie d'une collectivité est vécue dans les agissements des individus qui constituent son corps. Il n'existe pas de collectif social concevable, qui ne soit opérant à travers les actions de quelque individu. La réalité d'une entité sociale consiste dans le fait qu'elle dirige et autorise des actions déterminées de la part d'individus. Ainsi la route pour connaître les ensembles collectifs passe par l'analyse des actions des individus.
Comme être pensant et agissant l'homme émerge de son existence préhumaine déjà un être social. L'évolution de la raison, du langage, et de la coopération est le résultat d'un même processus ; ils étaient liés ensemble de façon indissociable et nécessaire. Mais ce processus s'est produit dans des individus. Il a consisté en des changements dans le comportement d'individus. Il n'y a pas de substance dans laquelle il aurait pu survenir, autre que des individus. Il n'y a pas de substrat pour la société, autre que les actions d'individus.
Le fait qu'il y ait des nations, des États et des églises, qu'il existe une coopération sociale dans la division du travail, ce fait ne devient discernable que dans les actions de certains individus. Personne n'a jamais perçu une nation sans percevoir ses membres. En ce sens l'on peut dire qu'un collectif social vient à l'existence par la voie des actions d'individus. Cela ne signifie pas que l'individu soit antécédent dans le temps. Cela signifie seulement que ce sont des actions définies d'individus qui constituent le collectif.
Il n'est pas besoin de discuter si le collectif est la somme résultant de l'addition de ses membres ou quelque chose de plus, si c'est un être sui generis, et s'il est ou non raisonnable de parler de sa volonté, de ses plans, de ses objectifs et actions, et de lui attribuer une « âme » distincte. Ce langage pédantesque est oiseux. Un ensemble collectif est un aspect particulier des actions d'individus divers et, comme tel, une chose réelle qui détermine le cours d'événements.
Il est illusoire de croire qu'il est possible de visualiser des ensembles collectifs. Ils ne sont jamais visibles ; la connaissance qu'on peut en avoir vient de ce que l'on comprend le sens que les hommes agissants attachent à leurs actes. Nous pouvons voir une foule, c'est-à-dire une multitude de gens. Quant à savoir si cette foule est un simple attroupement, ou une masse (au sens où ce terme est employé dans la psychologie contemporaine), ou un corps organisé ou quelque autre sorte d'entité sociale, c'est une question dont la réponse dépend de l'intelligence qu'on peut avoir de la signification que les gens assemblés attachent à leur présence. Et cette signification est toujours dans l'esprit d'individus. Ce ne sont pas nos sens, mais notre entendement — un processus mental — qui nous fait reconnaître des entités sociales.

Citations

« J'ai toujours haï toute nation, profession et communauté ; et tout mon amour va aux individus. »
    — Jonathan Swift
« L'individu ne supporte pas de n'être considéré que comme une fraction un tantième de la société, parce qu'il est plus que cela : son unicité s'insurge contre cette conception qui le diminue et la rabaisse. »
    — Max Stirner
« Si je suis finalement devenu sociologue (comme l’indique mon arrêté de nomination) c’est essentiellement afin de mettre un point final à ces exercices à base de concepts collectifs dont le spectre rôde toujours. En d’autres termes, la sociologie, elle aussi, ne peut procéder que des actions d’un, de quelques, ou de nombreux individus séparés. C’est pourquoi elle se doit d’adopter des méthodes strictement "individualistes". »
    — Max Weber, Lettre à l’économiste marginaliste Lietman, 1920 (citée en exergue du Dictionnaire critique de la sociologie)
« L’historicisation de la notion d’individu est une idée qui semble étrange dès qu’on prend la peine de s’y arrêter, bien qu’elle soit fort répandue. L’être humain n’a-t-il pas le souci de soi et des siens dans toute société ? Le grand sociologue français Durkheim n’éprouve aucun doute sur ce point : « L’individualisme ne commence nulle part », écrit-il : il est de tout temps. Ce qui signifie simplement que les hommes ont de tout temps jugé les institutions (au sens large du terme) à un trébuchet : leur contribution au bien-être des individus. »
    — Raymond Boudon

Relativisme

De Wikiberal
 
Le relativisme est une position philosophique qui soutient qu'il n'existe pas de vérité absolue.

Relativisme et philosophie

Friedrich Nietzsche est considéré comme le type-même de philosophe relativiste. On lui doit les deux formules suivantes :
  • Ce qui a besoin d'être démontré ne vaut pas grand chose.
  • Il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations.
Il faut noter que le relativisme est une opinion paradoxale, si ce n'est auto-contradictoire : l'affirmation que toute vérité est relative est-elle elle-même relative, ou absolue ? Luc Ferry[1] dénonce le "double discours" des relativistes, que leur relativisme n'empêche pas par ailleurs d'énoncer certaines vérités ou de porter des jugements moraux.
Karl Popper souligne que l'attrait du relativisme tient à ce qu'on le confond souvent avec une vérité importante : la faillibilité ("l'erreur est humaine"), qui a joué un rôle important d'un point de vue historique et épistémologique dans la connaissance humaine. Mais du point de vue de la recherche de la vérité, la faillibilité en aucune manière ne peut justifier le relativisme.

Applications du relativisme

La position relativiste s'applique à différents domaines de la connaissance :
  • philosophie et épistémologie (sophistique grecque, scepticisme, criticisme, empirisme, pragmatisme) : il n'existe pas de vérité préexistant à toute théorie scientifique ; ou bien, aucune vérité définitive ne peut être connue ;
  • culture et sociologie (relativisme culturel, historicisme) : il n'y a pas de culture meilleure qu'une autre, ni de comportement ou d'action meilleurs que les autres ; la morale n'est ni absolue ni universelle, elle émerge de coutumes sociales et d'autres institutions humaines ; toutes les opinions se valent ;
  • ethnologie : toutes les civilisations se valent, même le nazisme aurait pu apparaître comme une grande civilisation (Lévi-Strauss) ; "le barbare, c'est l'autre" ;
  • logique : la rationalité n'existe pas, le mode de raisonnement dépend de la personne (polylogisme)
  • morale : toutes les valeurs morales sont équivalentes ("à chacun sa vérité").

Relativisme et politique

Le relativisme ne doit pas être confondu avec la tolérance, car il ne tolère aucune critique ni aucun argument rationnel, puisqu'il les réduit à des assertions elles-mêmes relativistes. Tout énoncé n'est plus que le reflet de la situation sociale, du milieu, de la culture, des préjugés, etc., de la personne qui le formule.
De cette façon, le relativisme ouvre paradoxalement la voie à l'interventionnisme politique. Par exemple, la liberté d'expression peut être réprimée : puisque tous les arguments se valent, on peut en interdire certains, il suffit de décréter que celui qui les émet est motivé par la "haine". Puisqu'une opinion en vaut une autre, la seule chose qui compte finit par être les rapports de force et la loi du plus fort, et sa traduction politique du moment.
Le relativisme se présentant comme une théorie irréfutable, qui n'apporte rien et qui n'explique rien, il ouvre la voie à l'irrationnel et à l'arbitraire politique tel qu'il existe dans les sociétés collectivistes : « la fin justifie les moyens », « tout est politique ». Il n'y a pas de vérité unique, mais des façons de penser différentes : c'est le polylogisme, qui implique que l'on puisse attribuer a priori, à différents individus, différents modes de raisonnement, divers processus rationnels, ou d'inégales capacités logiques, selon leur appartenance à des catégories déterminées. Mises explique comment le marxisme procède de ce genre d'idées (ce qui n'empêche pas les marxistes d'affirmer que leurs "enseignements" sont objectivement vrais) :
« Marx et les marxistes et au premier rang d'entre eux le philosophe prolétaire Dietzgen ont enseigné que la pensée est déterminée par la situation de classe de celui qui pense. Ce que la pensée produit n'est pas la vérité, mais des idéologies. Ce mot signifie, dans le contexte de la philosophie marxiste, un déguisement de l'intérêt égoïste de classe à laquelle appartient l'individu qui pense. C'est pourquoi il est inutile de discuter quoi que ce soit avec des personnes d'une autre classe sociale. Les idéologies n'ont pas besoin d'être réfutées par un raisonnement déductif ; elles doivent être démasquées en dénonçant la situation de classe, l'arrière-plan social de leurs auteurs. Ainsi les marxistes ne discutent pas les mérites des théories physiques ; ils dévoilent simplement l'origine « bourgeoise » des physiciens. Les marxistes ont eu recours au polylogisme parce qu'ils ne pouvaient pas réfuter par des méthodes logiques les théories développées par les économistes bourgeois ou des déductions tirées des théories démontrant le caractère impraticable du socialisme. Ne pouvant démontrer rationnellement la solidité de leurs propres thèses ou la fragilité des idées de leurs adversaires, ils ont dénoncé les méthodes logiques acceptées. Le succès de ce stratagème marxiste fut sans précédent. Il a servi de preuve contre toute critique rationnelle aux absurdités de la soi-disant économie et la soi-disant sociologie marxistes. Ce n'est que par supercherie logique du polylogisme que l'étatisme pouvait s'implanter dans les esprits modernes. »
    — Ludwig von Mises,
Le Gouvernement omnipotent, De l'État totalitaire à la guerre mondiale, Troisième partie — Le nazisme allemand, VI. Les caractéristiques particulières du nationalisme allemand, 6. Polylogisme
Mises explique que les Nazis utilisent de la même façon le polylogisme, préparé pour eux par les marxistes. Les opinions qu'ils rejettent sont dites fausses, parce que juives ou non-aryennes, de même que pour les marxistes est faux ce qui est "bourgeois" ou non-prolétaire. Les dissidents appartiennent à deux catégories : les étrangers (membres d'une classe non prolétaire, ou d'une race non aryenne) et les traîtres (à leur classe, ou à leur race).
Le relativisme poussé à l'extrême aboutit ainsi au nihilisme et au totalitarisme :
« C'est une attitude de fanatiques bornés, qui ne peuvent imaginer que quelqu'un puisse être plus raisonnable ou plus intelligent qu'eux-mêmes. »
    — Mises

Libéralisme et relativisme

Une conséquence du relativisme moral est que "tout est permis", puisqu'il n'y a pas de critère fiable permettant d'apprécier une action.
Le libéralisme n'est en aucune façon un relativisme moral, contrairement à ce que prétendent certains qui se fondent sur l'individualisme qui est à la source du libéralisme pour en tirer des conclusions hâtives.
Tout comportement, toute action peuvent être jugés comme conformes ou non à l'éthique libérale, qui repose sur l'axiome de non-agression, et un tel jugement s'applique à n'importe quel type de culture ou de société. Pour les libéraux et les libertariens, il s'agit bien d'un critère objectif, qui permet de juger aussi bien une politique donnée, qu'une religion ou une philosophie, non pas en elles-mêmes (le libéralisme n'a pas cette prétention), mais dans les rapports sociaux qui en découlent.
En revanche, le libéralisme accepte profondément la différence, et, tant que l'axiome de non-agression est respecté, il n'a aucun problème à reconnaître la diversité des cultures, des moeurs, des religions, des éthiques personnelles, des opinions, etc.
Les libertariens jusnaturalistes sont les plus grands adversaires du relativisme, qui pour eux règne dans les sociétés contemporaines à travers le positivisme juridique et le droit positif.

LES COMMUNAUTARIENS CONTRE LA MODERNITE avec André BERTEN

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Libéraux et libertariens
Commençons par une petite élucidation de vocabulaire. Il faut se rendre compte que le débat entre les libéraux et les communautariens aux Etats-Unis s’est surajouté à un débat préalable entre libéraux et libertariens. Les libéraux (« liberals ») aux Etats-Unis constituent une position centriste et relativement égalitariste qui est née du New Deal. La figure exemplaire du libéralisme à l’américaine est John Rawls et son ouvrage A Theory of Justice, (1971). Si les libéraux maintiennent une priorité radicale aux droits et aux libertés, ils adoptent malgré tout des positions sociales différentes de celles adoptées par exemple par Robert Nozick. Une des premières réactions à la Théorie de la Justice a été libertarienne, exprimée par Nozick dans son livre Anarchie, Etat et Utopie (1974) qui joignait une forme de libéralisme politique, qui est une vieille tradition américaine, avec les formes de libéralisme économique les plus fortes, celles que l’on trouve chez Hayek ou chez Friedman. Cette caractéristique distingue les libertariens des libéraux. D’ailleurs, par certains aspects, ce courant libertarien correspond mieux à ce qu’on entend par libéraux en France. Donc, il ne faut pas se tromper lorsqu’on envisage le débat entre libéraux et communautariens. La première attaque contre les grands libéraux, Rawls, Dworkin..., a été d’abord une attaque que l’on dit de « droite », en tout cas, elle fut instiguée par les libertariens. Il y a eu d’autres attaques qui venaient des radicaux de gauche, par exemple du marxisme analytique. 

Le débat communautarien se situe de façon tout à fait différente ; Alain de Benoist l’a très bien présenté. Les thèses des communautariens étaient nouvelles, au moins aux Etats-Unis, parce que Rawls a écrit la Théorie de la Justice contre l’utilitarisme et donc contre l’idée que la croissance économique fournissait une sorte de bien-être moyen et que, de ce point de vue, le problème des inégalités et celui du respect absolu des libertés n’étaient pas très importants. Or les attaques communautariennes qui ont, me semble t-il, des résonances avec des traditions avec lesquelles nous sommes plus familiers sur le Continent, avaient une toute autre teneur. Il y a quatre principaux auteurs communautariens : Michael Sandel, Alasdair McIntyre (auteur de Après la vertu et de Quelle justice ? Quelle rationalité ? ), Charles Taylor et Michael Walzer. Outre ses représentants qui ont lancé le mouvement communautarien dans les années 80, il y a toute une nébuleuse de penseurs autour des communautariens. Je dirais de façon presque caricaturale que tout sociologue est communautarien d’une certaine façon, car les idées développées par Sandel sur le fait qu’il y a un certain conditionnement social et culturel des individus, est quelque chose de tout à fait évident et incontestable, mais qui à mon avis n’invalide pas un certain nombre de thèses libérales. 

Par exemple, Robert Bellah et toute son équipe ont défendu, aux Etats- Unis, des thèses sociologiques très proches des thèses communautariennes, bien avant les communautariens eux-mêmes. Des penseurs politiques qui nous sont plus familiers comme Hannah Arendt ou Leo Strauss, traduits en français depuis bien longtemps, ont aussi pas mal d’accointances avec le courant communautarien. Des philosophes néo-aristotéliciens - je pense à Hans Jonas ou Gadamer en Allemagne, et Ricoeur en France - sont également proches de cette pensée. Ricoeur, dans l’ouvrage Soi-même comme un autre, présente ainsi les différents moments de l’éthique et de la morale. Il reconnaît, avec les libéraux, qu’il faut certainement tenir compte des règles morales qui ont une prétention universelle, par exemple la formulation de droits que l’on trouve chez Kant et dans le kantisme, ou dans le libéralisme de John Rawls. Mais, en dernière instance, c’est une éthique du bien commun qui doit surmonter les apories du libéralisme. Donc, je n’hésite pas à placer Paul Ricoeur dans le courant communautarien. Ensuite, on trouve des auteurs républicains dans la tradition de Machiavel comme Quentin Skinner. 

Une critique de la Modernité 
Quel est le trait le plus commun à cette nébuleuse des communautariens? On ne peut les unifier que de façon négative. Ils manifestent une méfiance, et parfois une critique très radicale, vis-à-vis de la modernité et de certains de ses caractères, tels la rationalité ou la prépondérance donnée à l’individu rationnel, l’émergence de l’individualisme qui les choque, la différenciation des sphères comme par exemple la séparation radicale entre la morale et la politique, entre l’Eglise et l’Etat ; l’idée même de laïcité peut faire problème à un grand nombre de communautariens, de même que la liberté, les droits individuels, la méfiance à l’encontre de l’Etat que manifeste tout libéral. Tous ces éléments typiquement modernes ont suscité une critique communautarienne. On peut comprendre un certain nombre de réactions communautariennes, car si on fait une analyse de la modernité, il faut tenir compte aussi d’éléments pathologiques. La modernité n’est pas bien sûr positive à 100%. 

L’intérêt de l’attaque communautarienne est d’avoir mis le doigt sur un certain nombre d’insuffisances de la pensée libérale. Je ne pense pas qu’elle ait donné lieu à une déroute de cette dernière, loin de là. Mais je constate que les principaux tenants de la pensée libérale aux Etats-Unis ont, au cours du débat avec les communautariens, fait un chemin qui les font adopter aujourd’hui une position moyenne. Ils ont intégré un certain nombre des critiques communautariennes, répondu à beaucoup d’objections et dénoncé le fait que certaines critiques étaient déplacées et ne touchaient pas aux fondements du libéralisme. Mais ils ont concédé un certain nombre de choses. On pourrait le montrer chez Dworkin et Kymlicka. John Rawls est un bon exemple de cette évolution. La Théorie de la Justice de 1971 était un livre rigoureusement libéral au sens où les principes de justice affirmaient effectivement la priorité absolue des libertés et des droits fondamentaux par rapport à l’égalité des chances, ou à ce que Rawls appelait le « principe de différence », c’est-à-dire la nécessité de penser le développement économique en fonction aussi de l’avantage des plus mal-lotis d’après le principe visant à maximiser la situation des plus désavantagés. Or, son ouvrage de 1993, Political Liberalism (qui a été presque immédiatement traduit) présente de ce point de vue un certain nombre de concessions. La plus importante vise la définition même du libéralisme. 

Le libéralisme de John Rawls
Au fond, le libéralisme n’est pas une théorie abstraite, absolue, a- historique et sans fondements sociologiques. Rawls reconnaît que défendre les positions libérales, la neutralité de l’Etat et les droits absolus, n’a de sens que par rapport à une tradition, la tradition même du libéralisme. C’est une concession majeure à certaines thèses communautariennes. Certes, la tradition défendue par les libéraux se démarque de façon importante de la conception de la tradition qui est à la base des positions communautariennes. Les libéraux peuvent reconnaître que l’individu n’est pas un être souverain qui choisit absolument les valeurs auxquelles il va adhérer, ni un être absolument libre qui détermine sans présupposés le bien et la finalité qu’il vise. Néanmoins, le monde libéral s’est construit sur l’exigence normative de l’autonomie et de l’indépendance de l’individu, et cela constitue un trait spécifique de sa « tradition ». Il est alors très important de comprendre que si le monde libéral peut être un monde consistant qui a une substance réelle, c’est bien parce qu’il a fait la preuve dans l’histoire que l’exercice des valeurs libérales est aussi une forme de culture politique tout à fait viable. Rawls définit les citoyens de nos sociétés démocratiques libérales comme ayant deux pouvoirs moraux. Le premier pouvoir, dit-il, est la rationalité. Selon Rawls, un individu rationnel est celui qui possède les facultés de jugement et de délibération nécessaires à la recherche des fins et des intérêts qui lui sont particuliers (qui est capable de se former une conception du bien, de la réviser éventuellement ou d’en changer). Mais le second pouvoir est le sens de la justice : il qualifie l’individu comme raisonnable. La tradition libérale comporte ainsi une certaine conception de la justice (dont la « justice comme équité » de Rawls n’est qu’une conception possible). 

C’est pourquoi, par rapport aux conceptions communautariennes qui affirment que l’individu n’est pas un être absolument désincarné et désengagé, il me semble qu’on peut soutenir une position politique libérale qui pose que quels que soient les engagements et les enracinements de l’individu, l’Etat doit lui permettre, et non l’obliger, de changer ses options fondamentales. C’est l’idée qu’un individu peut se convertir ou abandonner la religion dans laquelle il a été élevé. C’est quelque chose qui doit lui être reconnu comme un droit fondamental, une possibilité reconnue politiquement. 

Je vais développer deux thèmes communautariens qui me semblent importants. Le premier concerne la morale et l’épistémologie politique ou la manière dont on conçoit les rapports entre le moral et le politique. L’autre point concerne la question sociologique. 

La théorie du contrat social
Du point de vue de la morale politique, la critique fondamentale des communautariens vise la conception de la société comme le résultat d’un contrat social. Or l’idéologie contractualiste oriente fondamentalement la pensée politique moderne. Tout penseur politique moderne d’une certaine façon est contractualiste. Cela ne veut pas dire que le contrat social a véritablement existé, mais que le modèle selon lequel on doit penser une société pluraliste est le modèle selon lequel les individus se mettent d’accord pour savoir le genre de société à mettre en oeuvre. Or, les communautariens soutiennent que cette fiction est nuisible parce qu’elle rend contingent et secondaire ce qui constitue véritablement les traditions. Le modèle vient de Descartes qui a dit que rien de ce qui lui a été enseigné par les Anciens n’a de valeur et qui recommence à zéro. Les communautariens soutiennent que le modèle libéral politique du contrat social pose qu’à tout moment on peut repenser la société à partir de rien. Ce n’est pas tout à fait faux bien sûr ; cependant, nous libéraux pensons la société à partir d’une tradition. 

Cela implique aussi me semble-t-il une épistémologie, c’est-à-dire une manière de concevoir le jugement politique. Les libéraux défendent l’idée que des arguments qui sont liés à des engagements philosophiques ou religieux ne sont pas des arguments qui doivent être dévéloppés pour constituer les règles de la société. Par exemple, les règles de justice ne doivent pas être justifiées à partir de nos croyances religieuses. Les communautariens estiment, eux, que la laïcité, entendue comme neutralité de l’Etat, est une sorte d’utopie ; non pas qu’il faille avoir un Etat intégriste, un mélange absolu entre l’Eglise et l’Etat, mais qu’il est impossible que n’interviennent pas dans le débat politique nos croyances les plus profondes. Donc cette séparation entre le moral et le politique qui est une des thèses des libéraux est une pure illusion qui ne peut être au fond que mensongère par rapport à ce qui est véritablement en jeu dans les débats. 

Je vais ajouter un élément qui concerne les questions anthropologiques et sociologiques. Un des reproches fondamentaux qui a été fait aux libéraux est celui-ci : les communautés, en tant que telles, ont une valeur. Si nous laissons la société fonctionner selon les règles de la liberté individuelle, c’est-à-dire selon les règles du marché, il y a de grandes chances pour qu’un certain nombre d’identités culturelles disparaissent, soit parce qu’elles sont minoritaires, soit parce qu’elles n’ont pas les moyens de se maintenir, ou encore parce que les règles du libre marché culturel ne se réfèrent pas à la valeur culturelle des groupes : elles sont de nature économique. La critique communautarienne défend l’idée que le libéralisme politique n’a pas d’autres méthodes pour valoriser les libertés que celle du marché. Par rapport à d’autres valeurs (religieuses, artistiques ou esthétiques, etc.), le marché est une méthode qui ne permet pas de préserver les entités culturelles spécifiques. 

 Par André BERTEN,



André Berten

https://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/etes/.../DOCH_006_(Berten).pdf
André Berten. HABERMAS CRITIQUE DE RAWLS. LA POSITION ORIGINELLE DU POINT DE VUE. DE LA PRAGMATIQUE UNIVERSELLE

COMMUNAUTARIENS ET LIBERAUX D'alain De Benoist

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Le mouvement communautarien est apparu aux Etats-Unis au début des années quatre-vingt. Plus que d'un « mouvement », il s'agit en fait d'un courant de pensée philosophique, moral et politique, accompagné de quelques cristallisations concrètes, qui a déjà provoqué outre-Atlantique d'innombrables débats, mais dont l'Europe ne semble avoir fait la découverte que récemment. Ses trois représentants les plus connus sont des sociologues et des philosophes: Alasdair MacIntyre, Michael Sandel et Robert Taylor. 

« La question centrale de la philosophie politique : quels sont les principes d'association politique qu'il est juste d'établir ?, est une question morale », a écrit Charles Larmore. L'objectif du mouvement communautarien est précisément d'énoncer une nouvelle théorie combinant étroitement philosophie morale et philosophie politique. Celle-ci s'est élaborée depuis dix ou quinze ans, d'une part en référence à la situation intérieure des Etats-Unis, marquée par une certaine inflation de la politique des « droits », la désagrégation des structures sociales, la crise de l'Etat-Providence et l'émergence de la problématique « multiculturaliste », et d'autre part en réaction à la théorie politique libérale, reformulée au cours de la décennie précédente, soit par des auteurs libéraux au sens américain du terme, comme Ronald Dworkin, Bruce Ackerman et surtout John Rawls, soit par des libertariens comme Robert Nozick. 

Critique du libéralisme
La théorie libérale, selon les communautariens, se présente d'abord comme une théorie des droits, fondée sur une anthropologie de type individualiste. L'individu est à la fois sa référence explicative et ce qui permet de comprendre et d'analyser des faits sociaux comme les préférences des agents. Héritier d'un nominalisme originellement hostile aux « universaux », cet individualisme ne s'en pose pas moins aussi comme un universalisme en vertu d'un postulat d'égalité reposant sur une définition abstraite des agents. Dans l'optique de l' « individualisme possessif » (Macpherson), chaque individu est considéré comme un agent moral autonome, « propriétaire absolu de ses capacités », dont il use pour satisfaire les désirs exprimés par ses choix. L'hypothèse libérale est donc celle d'un individu séparé, existant comme un tout complet par lui-même, qui cherche à maximiser ses avantages en opérant des choix libres , volontaires et rationnels. L'homme se définit ainsi comme un consommateur d'utilités aux besoins illimités. 


Existant comme des touts complets par eux-mêmes, les individus tirent de leur nature
 autonome des droits que la théorie libérale déclare comme tels imprescriptibles et inaliénables. Ce sont des droits « prépolitiques », à la fois antérieurs et indépendants du fait social. Aucune appartenance ne saurait donc être pleinement constitutive de l'individu, sous peine de porter atteinte à son autonomie : seules peuvent exister des associations volontaires, contractuelles, résultant de la volonté des agents de poursuivre toujours leur meilleur intérêt. Les libertariens vont jusqu'à parler de « priorité ontologique » des droits sur les préférences, indiquant par là que les droits ne sauraient être aliénés même si leurs titulaires y consentaient eux-mêmes, au prétexte qu'il en résulterait plus de bien-être, de bonheur ou de satisfaction. Il s'avère par là qu'il n'y a aucune symétrie entre les droits libéraux et les devoirs, car les droits découlent d'une nature humaine qui n'a pas besoin d'autrui pour exister : l'homme a des droits dès l'état de nature, il n'a des devoirs qu'à l'état social ; les droits sont complets en eux-mêmes, tandis que les devoirs sont par définition incomplets. On en déduit que l'obligation morale est elle-même purement contractuelle, qu'elle reste toujours placée dans le sillage de l'intérêt personnel du contractant, et que la société a toujours plus de devoirs envers les individus (à commencer par le devoir de garantir leurs droits) que ceux-ci n'en ont envers elle. 

Le juste et le bon
Cette importance attribuée aux droits explique le caractère « impératif » et déontologique (au sens kantien du terme) de la morale libérale : la théorie libérale place le juste (right) avant le bien (good) et fait découler du juste un certain nombre d'obligations catégoriques liant inconditionnellement tous les agents, quels que puissent être leurs engagements, leurs appartenances ou leurs traits particuliers. Pour les Anciens au contraire, à commencer par Platon et Aristote, la morale est « attractive » et téléologique : elle ne consiste pas dans des devoirs catégoriques, mais dans l'exercice de la vertu. Elle fait partie d'un accomplissement de soi vers lesquels les hommes se sentent attirés du fait même de leur telos. Le bien (la « vie bonne ») est alors prioritaire, et l'action juste se définit comme celle qui est conforme à ce bien. Ce débat sur la priorité du juste et du bien (right vs. good) est aujourd'hui central dans le débat philosophique, politique et moral américain. 

Se référant au célèbre ouvrage de Henry Sidgwick, The Methods of Ethics, qui fut l'un des premiers à entamer ce débat, Charles Larmore précise que « la valeur éthique peut être définie soit par ce qui s'impose à l'agent, quels que soient ses souhaits ou ses désirs, soit parce que l'agent voudrait effectivement s'il était suffisamment informé de ce qu'il désire. Dans le premier cas, la notion de juste est fondamentale, dans le second, c'est la notion de bien. Bien entendu, chaque théorie fait également usage de l'autre notion, mais elle l'explique relativement à la notion qu'elle tient pour principale. Si le juste est fondamental, le bien sera ce que désire ou désirerait l'agent dans la mesure où ses actes et ses désirs sont conformes aux exigences de l'obligation. Le bien est donc l'objet du désir juste. Si le bien est fondamental, le juste sera ce que l'on doit faire pour obtenir ce que l'on voudrait effectivement si l'on était correctement informé ».
 
Rawls et la justice
La théorie libérale moderne a repris l'idée d'une priorité du juste sur le bien. John Rawls, par exemple, en même temps qu'il cherche à détacher le projet kantien de son arrière-plan idéaliste, fondé sur la conception transcendantale du sujet (d'où son recours à la fiction méthodique de la « position originelle ») définit la justice comme « la vertu première des institutions sociales » : le juste se constitue de lui-même, sous l'effet de la volonté de justice, et non par conformité à une quelconque idée du bien (le bien n'étant que la « satisfaction du désir rationnel » manifesté par la personne morale). « Le concept de justice, ajoute-t-il, est indépendant du concept de bien et antérieur à lui, au sens où ses principes limitent les conceptions du bien autorisées ». On retrouve la même idée chez Robert Nozick, Bruce Ackerman et Ronald Dworkin. Le lien entre le primat du juste et la conception libérale des droits apparaît d'ailleurs évident. Les droits découlant de la « nature » des agents, non de leurs mérites ou de leurs vertus, qui ne sont que des attributs contingents de leur personnalité, ils ne peuvent relever que d'une notion abstraite de la justice, non d'une conception préalable du bien ou de la vie bonne. 

En référence à ces droits, le juste prime le bien de deux façons : en importance (les droits individuels ne peuvent jamais être sacrifiés au bien commun) et d'un point de vue conceptuel (les principes de justice qui spécifient ces droits ne peuvent être fondés sur une conception particulière du bien). Rawls écrit ainsi que « chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui, même au nom du bien-être de l'ensemble de la société, ne peut être transgressée ». De même, Robert Nozick affirme qu' « il n'existe aucune entité sociale dont le bien soit tel qu'il justifie un sacrifice en tant que tel. Il n'y a que des individus, des individus différents, qui mènent des vies individuelles ». « Ce qui justifie les droits, constate Michael J. Sandel, ce n'est pas qu'ils permettent de maximiser le bien-être général ou de promouvoir le bien, mais qu'ils constituent un cadre équitable à l'intérieur duquel les individus et les groupes peuvent choisir leurs propres valeurs et leurs propres fins, aussi longtemps que ce choix reste compatible avec l'égale liberté des autres ». 

Le primat du juste sur le bien est également lié à la théorie selon laquelle l'Etat doit rester neutre envers les fins, théorie que l'on retrouve, sous des formes différentes, chez la plupart des auteurs libéraux. La justification de cette théorie emprunte en général deux formes différentes. D'une part, on affirme que nul ne sait mieux que l'individu lui-même où réside son meilleur intérêt ; d'autre part, on souligne la fragmentation sociale existante pour en tirer la conclusion que les sociétaires ne pourront jamais s'entendre sur une conception particulière du bien. Le premier argument dérive de la vision kantienne de l'autonomie comme fondatrice de la dignité humaine, c'est-à-dire de l'égale capacité de chacun à déterminer librement ses fins : toute conception particulière de la vie bonne, c'est-à-dire tout mode de vie concret impliquant une structure spécifique d'activités, de significations et de fins, doit être regardée comme purement contingente, car si elle était constitutive du moi, l'individu ne pourrait pas faire librement ses choix en se hissant au-dessus des circonstances empiriques. On retrouve ici la conception de l'individu comme atome séparé, dans laquelle le moi est toujours antérieur à ses fins. 

L’Etat est le garant des libertés
Le second argument fait appel à la notion de pluralisme et se fonde sur l'idée qu'aucun accord rationnel ne peut s'établir qui permettrait de trancher entre les conceptions concurrentes du bien. On en déduit que, dans une société pluraliste, un Etat qui s'identifierait ou qui privilégierait une conception de la vie bonne plutôt qu'une autre discriminerait entre les citoyens qui adhèrent à cette conception et les autres, et par conséquent ne serait plus capable de traiter tous les sociétaires en égaux. Dans cette perspective, le rôle de l'Etat n'est donc pas de rendre les citoyens vertueux, ni de promouvoir des fins particulières, ni même de proposer une conception substantielle de la vie bonne, mais seulement de garantir les libertés politiques et civiles fondamentales (correspondant au premier principe de Rawls, auquel les libertariens ajoutent le droit de propriété) de façon à ce que chacun puisse poursuivre librement les fins qu'il s'est fixées en référence à la conception du bien qui est la sienne, ce qui n'est possible qu'à la condition d'adopter des principes qui ne présupposent aucune conception particulière du bien commun. Il en résulte une vision purement instrumentale du politique : le politique n'est porteur d'aucune dimension éthique, au sens où l'on ne peut en son nom exiger ni même promouvoir aucune conception du bien commun. 

Face à cette théorie, ici résumée à grands traits, le point de départ de la critique communautarienne est avant tout d'ordre sociologique et empirique. Observant les sociétés contemporaines, les communautariens constatent la dissolution du lien social, l'éradication des identités collectives, la montée des égoïsmes et la généralisation du non-sens qui en résulte. Ces phénomènes, selon eux, sont autant d'effets d'une philosophie politique qui provoque l'atomisation sociale en légitimant la recherche par chaque individu de son meilleur intérêt, lui faisant ainsi regarder l'autre comme un rival, sinon un ennemi potentiel ; qui défend une conception désincarnée du sujet, sans voir que les engagements et les appartenances des agents sont aussi constitutifs de leur personnalité ; qui provoque, en se réclamant d'un universalisme abstrait, l'oubli des traditions et l'érosion des modes de vie différenciés ; qui, sous couvert de « neutralité », généralise le scepticisme moral et qui, d'une façon plus générale, reste en fonction même de ses principes nécessairement insensible aux notions d'appartenance, de valeurs communes et de destin partagé. 

Le libéralisme défait les communautés
Les reproches que les communautariens adressent au libéralisme sont tantôt limités à la seule philosophie politique, tantôt étendus à une conception plus générale de l'homme et de la société. On peut les énumérer rapidement. D'après les communautariens, le libéralisme néglige et fait disparaître les communautés, qui sont un élément fondamental et irremplaçable de l'existence humaine. Il dévalue la vie politique en considérant l'association politique comme un simple bien instrumental, sans voir que la participation des citoyens à la communauté politique est un bien intrinsèque constitutif de la vie bonne. 

Il est incapable, quand il ne les nie pas, de rendre compte de manière satisfaisante d'un certain nombre d'obligations et d'engagements, tels ceux qui ne résultent pas d'un choix volontaire ou d'un engagement contractuel, comme les obligations familiales, la nécessité de servir son pays ou de faire passer le bien commun avant l'intérêt personnel. Il propage une conception erronée du moi en se refusant à admettre que celui-ci est toujours « encastré » (embedded) dans un contexte social-historique et, en partie au moins, constitué par des valeurs et des engagements qui ne sont ni objets d'un choix ni révocables à volonté. 

Il suscite une inflation de la politique des droits, qui n'a plus grand chose à voir avec le droit lui-même (réclamer ses droits, c'est désormais seulement chercher à maximiser ses intérêts au détriment des autres), et produit un nouveau type de sociétaire, l' « individualiste dépendant » (Fred Siegel), en même qu'un nouveau type de système institutionnel, la « république procédurale » (Michael J. Sandel). Il exalte à tort la justice comme la « vertu première des institutions sociales », au lieu d'y voir un palliatif qui ne possède qu'une « vertu de remède » et s'impose surtout quand les vertus communautaires font défaut. Il méconnaît enfin, du fait de son formalisme juridique, le rôle central que jouent la langue, la culture, les moeurs, les pratiques et les valeurs partagées, comme bases d'une véritable « politique de reconnaissance » des identités et des droits collectifs. 

Pour les communautariens, l'homme se définit au contraire avant tout comme un « animal politique et social ». Il s'en déduit que les droits ne sont pas des attributs universels et abstraits, produits par une « nature » distincte de l'état social et qui constitueraient par eux-mêmes un domaine autonome, mais l'expression des valeurs propres à des collectivités ou des groupes différenciés (le droit d'un individu à parler sa langue est indissociable du droit à l'existence du groupe qui la pratique), en même temps que le reflet d'une théorie plus générale de l'action morale ou de la vertu. La justice se confond avec l'adoption d'un type d'existence (la vie bonne) ordonné aux notions de solidarité, de réciprocité et de bien commun. La « neutralité » dont se prévaut l'Etat libéral est regardée soit comme désastreuse dans ses conséquences, soit plus généralement comme illusoire, car renvoyant implicitement à une conception singulière du bien qui ne s'avoue pas comme telle. 

Je n'examinerai évidemment pas ici dans le détail tous ces aspects de la critique communautarienne. Je ne donnerai qu'un exemple, tiré de la théorie du moi (self), telle qu'on la trouve surtout formulée chez Michael J. Sandel. 

La théorie du moi de Sandel
Le libéralisme définit l'individu comme ce qui reste du sujet une fois qu'on lui a enlevé toutes ses déterminations personnelles, culturelles, sociales et historiques, c'est-à-dire qu'on l'a extrait de sa communauté. Il postule par ailleurs l'autosuffisance des individus par rapport à la société et soutient que ces individus poursuivent leur meilleur intérêt en faisant des choix libres et rationnels sans que le contexte social-historique dans lequel ils les font pèse sur leur capacité d'exercer leurs « pouvoirs moraux », c'est-à-dire de choisir une conception particulière de la vie bonne.  

Pour soutenir cette conception du sujet, les libéraux sont implicitement tenus de regarder comme contingent ou négligeable tout ce qui est de l'ordre de l'appartenance, du rôle social, du contexte culturel, des pratiques et des significations partagées : lorsqu'il « entre » en société, l'individu n'engage jamais la totalité de son être, mais seulement la part de lui-même qu'exprime sa volonté rationnelle. Pour les communautariens, au contraire, une idée présociale du moi est tout simplement impensable : l'individu trouve toujours la société déjà là — et c'est elle qui ordonne ses références, constitue sa manière d'être au monde et modèle ses visées. 

Du point de vue libéral, la « décontextualisation » du sujet est le fondement de sa liberté. Les individus ayant des désirs différents, tout principe dérivé de ces désirs ne peut être que contingent. Or, la loi morale exige une fondation catégorique, et non pas contingente. Même un désir aussi universel que le bonheur ne peut servir de fondement, car l'idée qu'on s'en fait est éminemment variable. C'est pourquoi Kant fait reposer tout son système sur l'idée de liberté dans les relations entre les êtres. Le juste, dit-il, n'a rien à voir avec la fin que les hommes ont par nature ou avec les moyens qui permettent de l'atteindre. Son fondement doit donc être recherché en amont de toute fin empirique, en l'occurrence dans le sujet capable de volonté autonome. « Mais, demande Sandel, qu'est-ce qui me garantit que je suis un tel sujet, capable de faire appel à la pure raison pratique ? Strictement parlant, rien ne me le garantit : le sujet transcendantal n'est qu'une possibilité — une possibilité que je suis tenu de postuler si j'entends me considérer comme agent moral libre (...) C'est seulement si mon identité n'est jamais liée aux objectifs et aux intérêts que je peux avoir à tout moment que je peux me penser moi-même comme un agent capable de faire ses choix de manière libre et indépendante ». 

Or, pour les communautariens, le problème est que cette liberté « moderne » — liberté « négative », comme le dit Isaiah Berlin —, dans la mesure même où elle se donne comme indépendante de toute détermination, a toutes chances d'être, non seulement formelle, mais vide de sens. « Une liberté complète, écrit Taylor, serait un espace vide dans lequel rien n'aurait de valeur, où rien ne vaudrait rien ». Toute volonté de subordonner la totalité des présupposés de notre situation sociale à notre pouvoir d'autodétermination rationnelle se heurte en effet au fait que l'exigence de libre détermination de soi est elle-même indéterminée. « Imaginer une personne incapable d'attachements constitutifs, conclut Sandel (...) ne revient pas à concevoir un agent idéalement libre et rationnel, mais à imaginer une personne totalement dépourvue de caractère et de profondeur morale ». 

Je suis tout ce qui me constitue
A cette conception procédurale du moi, Michael J. Sandel oppose une conception constitutive dans laquelle le moi, loin d'être antérieur aux fins qu'il se donne, est lui-même constitué par des fins qui ne sont qu'en partie l'objet de ses choix. La distance entre les caractéristiques que je possède et la personne que je suis est du même coup abolie : je suis tout ce qui me constitue et je ne peux faire usage de ma raison que dans le cadre qui est le mien. Le moi, en d'autres termes, est toujours pris dans un contexte dont on ne peut l'abstraire. 

l est situé et incarné. Dès lors, la communauté n'est plus un simple moyen pour l'individu de réaliser ses fins, ou encore un simple cadre des efforts qu'il déploie pour rechercher son meilleur avantage. Elle est au fondement des choix qu'il effectue, dans la mesure même où elle contribue aussi à fonder son identité. Dans cette perspective, écrit Sandel, les individus doivent moins être considérés « comme des sujets séparés ayant certaines choses en commun que comme des membres d'une collectivité donnée ayant tous des traits particuliers ». Il en résulte que le mode de vie social-historique est inséparable de l'identité, tout comme l'appartenance à une communauté est inséparable de la connaissance de soi, ce qui signifie, non seulement que c'est à partir d'un mode de vie donné que les individus peuvent opérer des choix (y compris des choix opposés à ce mode de vie), mais aussi que c'est encore ce mode de vie qui constitue en valeurs ou en non-valeurs ce que les individus considèrent ou non comme valables. 

Communautarisme « constitutif » et « sentimental »
Sandel distingue ici avec netteté le communautarisme « constitutif » du communautarisme « instrumental » ou « sentimental ». Le communautarisme instrumental se borne à souligner l'importance de l'altruisme dans les relations sociales. Le communautarisme sentimental y ajoute l'idée que ce sont les pratiques altruistes qui permettent le mieux de maximiser l'utilité moyenne. Mais ces deux attitudes ne sont pas incompatibles avec la théorie libérale. Le communautarisme « constitutif », au contraire, ne possède aucun caractère optionnel, mais repose sur l'idée qu'il est tout simplement impossible de conceptualiser l'individu en dehors de sa communauté ou des valeurs et des pratiques qui s'y expriment, car ce sont ces valeurs et ces pratiques qui le constituent en tant que personne. L'idée fondamentale est alors que le moi est découvert plus que choisi, car par définition on ne peut choisir ce qui est déjà donné. 

Les communautariens affirment ainsi que tout être humain est inséré dans un réseau de circonstances naturelles et sociales qui constituent son individualité et déterminent, au moins en partie, sa conception de la vie bonne. Cette conception, ajoutent-ils, vaut pour l'individu, non en tant qu'elle résulte d'un « libre choix », mais parce qu'elle traduit des attachements et des engagements qui sont constitutifs de son être. De telles allégeances, précise Sandel, vont au-delà des obligations que je contracte volontairement et des ‘devoirs naturels’ que je dois aux êtres humains en tant que tels. Elles sont ainsi faites que je leur dois parfois plus que la justice ne le demande ou même ne l'autorise, non du fait des engagements que j'ai contractés ou des exigences de la raison, mais en vertu même de ces liens et de ces engagements plus ou moins durables qui, pris tous ensemble, constituent en partie la personne que je suis ». 

Une communauté authentique n'est donc pas une simple réunion ou addition d'individus. Ses membres ont en tant que tels des fins communes, liées à des valeurs ou à des expériences partagées, et pas seulement des intérêts privés plus ou moins congruents. Ces fins sont des fins propres à la communauté elle-même, et non pas des objectifs particuliers qui se trouveraient être les mêmes chez tous ou chez la plupart de ses membres.  

Dans une simple association, les individus regardent leurs intérêts comme indépendants et potentiellement divergents les uns des autres. Les rapports existant entre ces intérêts ne constituent donc pas un bien en soi, mais seulement un moyen d'obtenir les biens particuliers recherchés par chacun. La communauté, au contraire, constitue un bien intrinsèque pour tous ceux qui en font partie, affirmation que les communautariens présentent soit comme généralisation psychologique descriptive (les êtres humains ont besoin d'appartenir à une communauté), soit comme généralisation normative (la communauté est un bien objectif pour les êtres humains). 

Conclusion
Je pense que ce qui précède aura suffi à montrer ce qui sépare et oppose libéraux et communautariens. Au-delà de cette opposition, je voudrais néanmoins signaler, pour finir, qu'il existe aussi des points de convergence. Presque tous les communautariens, par exemple, critiquent le centralisme et la bureaucratie étatique, et prônent des formes variées de démocratie participative et d'initiative locale. Le fond de leur message est que si l'on ne peut redonner vie à des communautés organiques ordonnées à l'idée de bien commun et de valeurs partagées, la société n'aura pas d'autre alternative que l'autoritarisme ou la désintégration. Si certains se proposent de revitaliser les traditions, beaucoup se réclament d'une tradition de « républicanisme civique » qui a connu son apogée dans les républiques italiennes de la fin du Moyen Age. Aux Etats-Unis, cette tradition emprunte autant à Machiavel et Hannah Arendt qu'à Thomas Jefferson, Patrick Henry et John Dewey. 

La notion de renouveau d'une citoyenneté active en constitue le centre, de pair avec une redéfinition de la vie démocratique axée sur l'idée de participation, de reconnaissance et de bien commun. « La notion centrale de l'humanisme civique, écrit ainsi Charles Taylor, est que les hommes trouvent leur bien dans la vie publique d'une république de citoyens». Le communautarisme semble par là devoir déboucher sur une remise en cause de l'Etat-nation et sur un certain renouveau de l'idée fédéraliste.

Par Alain de BENOIST,
 

Nouvelle droite

De Wikiberal

Définition

Au sens européen, courant politique né à la fin des années 1970 sous l'influence d'Alain de Benoist, relayé par le Figaro Magazine, dont nombre de rédacteurs provenaient du GRECE (Groupement de Recherche et d'Etudes pour la Civilisation Européenne). Ses membres cultivent de fortes accointances avec le Club de l'Horloge et l'extrême-droite, de fortes accointances aussi avec le discours de gauche (marxisme, communautarisme, altermondialisme). Ils sont profondément antilibéraux (ex: refus de la liberté individuelle et de l'égalité devant la loi), tout particulièrement sur les sujets de société. Un autre trait les caractérisant est leur rejet des valeurs chrétiennes de l'Occident au profit d'un néopaganisme exacerbé.
Au sens américain, synonyme de néoconservateur, regroupe les partisans du choc des civilisations et d'un État militarisé par leur idéologie, et du prosélytisme religieux puritain par calcul politique.

Idéalisme

De Wikiberal
 
En philosophie, l'idéalisme est un courant de pensée qui affirme la prééminence des représentations mentales (ou le primat de la conscience) dans la connaissance que l'homme peut avoir de la réalité.
Du point de vue de la théorie de la connaissance, l'idéalisme est souvent opposé au réalisme, bien que cette opposition ne soit pas absolue (ainsi la philosophie kantienne est un idéalisme transcendantal associé à un réalisme empirique). Le seul réalisme que nient toutes les variantes de l'idéalisme est le "réalisme naïf"[1] qui affirme la réalité absolue de l'objet (niant le conditionnement réciproque sujet/objet).
Du point de vue de la philosophie de l'esprit, l'idéalisme est opposé au matérialisme, bien qu'il ne propose pas une solution unique au problème corps-esprit.
L'idéalisme est davantage une position épistémologique issue du primat de la conscience qu'une doctrine dogmatique figée. Il a conduit à des développements très riches dans des domaines très variés de la connaissance (philosophie allemande du XIXe siècle, existentialisme du XXe siècle, physique moderne, phénoménologie, psychologie, linguistique, etc.) ainsi qu'en métaphysique.
On doit prendre garde au fait que le terme d'idéalisme n'a pas le même sens d'un philosophe à l'autre. Par exemple, Kant, Schopenhauer et Nietzsche emploient tous trois ce terme dans des sens très différents : Kant l'emploie en pensant à Berkeley et à ceux qui nient l'existence des choses extérieures ; Schopenhauer l'emploie généralement en référence à la philosophie kantienne ; Nietzsche l'emploie en référence à Platon et à tous ceux qui décrivent un monde idéal et dévaluent ainsi le "monde réel". 

Interview D'alain De Benoist - Lectures et culture - Liberaux.org


Alain de Benoist, journaliste, écrivain et philosophe, est le principal penseur du courant connu sous le nom de Nouvelle Droite.
Alain de Benoist est né le 11 décembre 1943 à Saint-Symphorien (Indre-et-Loire). Il est marié et père de deux enfants.
Ancien élève des lycées Montaigne et Louis-le-Grand, il a fait ses études à la faculté de droit de Paris (droit constitutionnel) et à la Sorbonne (philosophie, sociologie, morale et sociologie, histoire des religions).
Il a été successivement :
  • 1962-66 secrétaire de rédaction des Cahiers universitaires.
  • 1964-68 rédacteur en chef de la lettre d'information hebdomadaire L'Observateur européen.
  • 1967-68 directeur des publications du Centre des hautes études internationales (HEI).
  • 1968-69 rédacteur en chef adjoint de L'Écho de la presse et de la publicité.
  • Depuis 1969 directeur de la revue Nouvelle École.
  • 1969-76 collaborateur du Courrier de Paul Dehème.
  • 1970-71 rédacteur en chef du magazine Midi-France.
  • 1970-82 critique à Valeurs actuelles et au Spectacle du monde.
  • Depuis 1973 éditorialiste de la revue Eléments.
  • 1977-92 collaborateur du Figaro-magazine.
  • 1980-92 collaborateur du « Panorama » de France-Culture.
  • Depuis 1988 directeur de la revue Krisis.
  • 1991-99 éditorialiste de La Lettre de Magazine-Hebdo.
Il est directeur de collections aux Editions Copernic (1977-81), aux Editions du Labyrinthe (depuis 1982), aux Editions Pardès (1989-93), aux éditions de L'Age d'Homme (depuis 2003).
Il utilise aussi les pseudonymes : Robert de Herte, Fabrice Laroche.

Métapolitique


Depuis plus de trente ans, Alain de Benoist poursuit méthodiquement un travail d'analyse et de réflexion dans le domaine des idées. Écrivain, journaliste, essayiste, conférencier, philosophe, il a publié plus de 50 livres et plus de 3.000 articles, aujourd'hui traduits dans une quinzaine de langues.
Ses domaines de prédilection sont la philosophie politique et l'histoire des idées, mais il est aussi l'auteur de nombreux travaux portant notamment sur l'archéologie, les traditions populaires, l'histoire des religions ou les sciences de la vie.
Indifférent aux modes idéologiques, récusant toute forme d'intolérance et d'extrémisme, Alain de Benoist ne cultive pas non plus une quelconque nostalgie « restaurationniste ». Lorsqu'il critique la modernité, ce n'est pas au nom d'un passé idéalisé, mais en se préoccupant avant tout des problématiques postmodernes. Les axes principaux de sa pensée sont au nombre de quatre :
  1. la critique conjointe de l'individuo-universalisme et du nationalisme (ou de l'ethnocentrisme) en tant que catégories relevant l'une et l'autre de la métaphysique de la subjectivité ;
  2. la déconstruction systématique de la raison marchande, de l'axiomatique de l'intérêt et des multiples emprises de la Forme-Capital, dont le déploiement planétaire constitue à ses yeux la menace principale qui pèse aujourd'hui sur le monde ;
  3. la lutte en faveur des autonomies locales, liée à la défense des différences et des identités collectives ;
  4. une nette prise de position en faveur d'un fédéralisme intégral, fondé sur le principe de subsidiarité et la généralisation à partir de la base des pratiques de la démocratie participative.
Alors que son œuvre est connue et reconnue dans un nombre grandissant de pays, Alain de Benoist reste largement ostracisé en France, où l'on se borne trop souvent à associer son nom à celui d'une Nouvelle droite dans laquelle il ne s'est jamais véritablement reconnu. 
  • Vu de droite. Anthologie critique des idées contemporaines, Copernic, 1977.
  • Maiastra. Renaissance de l'Occident ? (en collab.), Plon, 1979.
  • Le Guide pratique des prénoms, Publications Groupe-Média, 1979.
  • L'Europe païenne (en collab.), Seghers, 1980.
  • Les idées à l'endroit, Libres-Hallier, 1979.
  • Comment peut-on être païen ?, Albin Michel, 1981.
  • Ernest Renan, "La Réforme intellectuelle et morale" et autres extraits choisis et commentés, Albatros, 1982.
  • Orientations pour les années décisives, Labyrinthe, 1982.
  • Les Traditions d'Europe, Labyrinthe, 1982.
  • Fêter Noël. Légendes et traditions, Atlas, 1982.
  • La Mort. Traditions populaires, histoire et actualité, (en collab.), Labyrinthe, 1983.
  • Démocratie : le problème, Labyrinthe, 1985.
  • Europe, Tiers-Monde, même combat, Robert Laffont, 1986.
  • Racismes, antiracismes, (en collab.), Méridiens-Klincksieck, 1986.
  • L'éclipse du sacré. Discours et réponses, (en collab.), Table Ronde, 1986.
  • Quelle religion pour l'Europe ? (en collab.), Georg, Genève, 1990.
  • Critique du nationalisme et crise de la représentation, GRECE, 1994.
  • Le Grain de sable. Jalons pour une fin de siècle, Labyrinthe, 1994.
  • La Ligne de mire. Discours aux citoyens européens. 1 : 1972-1987, Labyrinthe, 1995.
  • L'Empire intérieur, Fata-Morgana, 1995.
  • Famile et société. Origines - Histoire - actualité, Labyrinthe, 1996.
  • La ligne de mire. Discours aux citoyens européens. 2 : 1988-1995, Labyrinthe, 1996.
  • Ernst Jünger. Une bio-bibliographie, Guy Trédaniel, 1997.
  • Communisme et nazisme, 25 réflexions sur le totalitarisme au XXe siècle, Labyrinthe, 1998.
  • Dieu est-il mort en Occident ?, (en collab.), Guy Trédaniel, 1998.
  • Manifeste pour une renaissance européenne, (en collab.), GRECE, 1999.
  • L'Écume et les galets. 1991-1999 : dix ans d'actualité vue d'ailleurs, 2000.
  • Dernière année, notes pour conclure le siècle, L'Âge d'Homme, 2001.
  • Critiques - Théoriques, L'Âge d'Homme, 2003.
  • Au-delà des droits de l'homme. Pour défendre les libertés, Krisis, 2004
  • Bibliographie générale des droites françaises, 4 vol., Dualpha, 2004-2005.
  • Jésus et ses frères, et autres écrits sur le christianisme, le paganisme et la religion, Les Amis d'Alain de Benoist, 2006.
  • C'est-à-dire. Entretiens-Témoignages-Explications, 2 vol., Les Amis d'Alain de Benoist, 2006.
  • Nous et les autres - Problématique de l'identité, Krisis, 2006.
  • Carl Schmitt actuel, Krisis, 2007.
  • Nouvelle École (revue fondée en 1968).
  • Krisis (revue fondée en 1988).

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