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L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre.
Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste.
Sommaire
A) La Philosophie Libertarienne par Marilee Haylock - http://libertariens.chez.com
B) Qu’est-ce que le libertarianisme ? - Libertarianisme.fr
C) Libertarianisme de Wikiberal
D) La philosophie libertarienne de Robert Nozick - par JLR dans l'Arbre@Palabre
E) Le libertarianisme est il une philosophie éthique ou politique par Alexander Mc Cobin ? - Damien Theillier via institut Coppet et Contrepoints
F) Les 12 posts sur le sujet comme la critique sur l'Université Liberté - AG
G) Une critique: La pensée libertarienne. Genèse, fondements et horizons d'une utopie libérale par Sébastien Caré - Denis Clerc - Alternatives Economiques n° 283 -
septembre 2009
H) Une critique: 5 raisons de rejeter le libertarianisme - MM - leboncombat.fr - Article original publié sur le blog Nil Nisi Verum.
I) La réponse aux critiques: Six mythes au sujet du libertarianisme. Par Murray Rothbard - Institut Coppet
A) La Philosophie Libertarienne
Le Libertarianisme est une nouvelle philosophie politique. Bien que ses racines puissent être retracées à travers toute l'histoire des idées, ce n'est que depuis 20 ans qu'elle se présente comme une philosophie bien définie. Cette politique se base sur une idée nouvelle en ce qui concerne le rôle précis du gouvernement au sein d'une société libre.
Aujourd'hui, nous vivons dans un monde où
pratiquement tous les pays se heurtent semble-t-il, vers une forme ou
autre d'étatisme, qu'elle soit communiste ou celle de l'État-providence.
De tout côté, on nous informe que le monde est devenu trop compliqué
pour permettre à l'individu de diriger lui-même sa propre vie. Même
l'idée de l'individu devient de plus en plus démodée et désuète.
Le Libertarianisme s'oppose à la prémisse de base
de l'orientation mentionné ci-haut, ce point de vue qui voudrait que
l'État puisse disposer des droits de l'individu pour lui imposer ceux
qu'il estime conformes au "bien commun"
- et ce, particulièrement en ce qui suit : dans le domaine des
droits civils, on appuie toutes les libertés civiles et on s'oppose à
toute tentative du gouvernement de refaçonner la vie personnelle de ses
citoyens. Dans le domaine de l'économie, on
met à défi le droit du gouvernement de limiter de quelque façon que ce
soit, ou d'obliger le citoyen à supporter par des taxes des projets
qu'il ne supporterait pas volontairement sur le marché libre.
Les Libertariens ne perçoivent pas le gouvernement
comme étant sacro-saint, qui ne peut pas être mis en question, mais
plutôt comme une simple agence qui détient le monopole de l'usage de la
force de la loi. Les Libertariens se concernent alors avec une seule
question de base: "Où repose la justification qui permets au
gouvernement l'usage abusif du
pouvoir ?" La réponse Libertarienne en est que le pouvoir du
gouvernement devrait se limiter à protéger l'individu de l'agression et
de la fraude.
Depuis quelques centaines d'années, la civilisation
occidentale accepte l'idée que la société ne devrait pas être assujettie
aux désirs arbitraires d'un Souverain; et malgré le fait que nous avons
éliminé le "droit divin des rois", il semble que nous l'avons
simplement substitué par le "règne absolu de la majorité". Mais les
individus peuvent aussi bien être réprimés sous une dictature que dans
une démocratie socialisante. Contrairement à l'idée libertarienne qu'à
chaque individu appartient sa propre vie, dans toute société orienté
vers l'État, l'individu appartient à l'État à un degré plus ou moins
élevé.
Le principe que l'État, représentant la société en
son entier, peut agir sur la vie du citoyen comme si elle lui appartient
en toute propriété, explique la raison d'être de beaucoup des lois
aujourd'hui en vigueur au Canada. L'État contrôle ses citoyens afin de
réaliser ses propres objectifs. L'État se
permet de juger quels livres sont appropriés pour le citoyen, et à quel
prix le citoyen pourra échanger ses services ou vendre son produit.
L'État oblige le respect des congés religieux qu'il juge à propos.
L'État redistribue les fortunes des individus, pénalise l'individu s'il
achète un produit d'un autre pays, exproprie l'individu pour prendre sa
propriété s'il estime en trouver une meilleure utilisation et
finalement, oblige l'individu de faire la guerre même si cela devra lui
coûter la vie. Naturellement, tous ces gestes sont posés au nom de
l'intérêt national ou public.
Aujourd'hui, la propriété des droits de l'individu
n'étant plus reconnue, les groupes de pression viennent décider de
l'intérêt public.
Les Libertariens choisissent de ne pas participer à la course des
faveurs que chacun recherche pour son groupe en particulier, plutôt, les
Libertariens demandent une fin à toute subvention gouvernementale, tout
prêt, tout tarif ou autre, car de telles mesures ne servent qu'à
favoriser certains individus et groupes aux dépens des autres. Ce
favoritisme, nous dit-on, est pour rétablir l'égalité, la "justice
sociale". La doctrine libertarienne dicte que le gouvernement devrait
offrir l'égalité aux citoyens, non pas une "égalité de paie,
d'habitation ou de bien-être", mais plutôt l'opportunité non-obstruée de
gagner, de façon honnête, toute chose par transactions volontaires.
Quoique la philosophie Libertarienne soit idéaliste
dans sa vision et dans ses fondements, elle n'est pas utopique. Elle ne
cherche pas à refaire les hommes selon une vision libertarienne d'un
bien commun. Elle voudrait que chaque individu soit libre de réaliser
pour lui-même son propre bonheur, sans que le gouvernement vienne
s'ingérer dans les arrangements entre hommes. Nous croyons qu'une
société gouvernée pour maintenir à chacun la liberté de poursuivre son
bonheur dans le respect de la personne et de la propriété de son
concitoyen réaliserait le plus grand bonheur de tous ses citoyens.
Depuis bien des années, les gens disent que le
socialisme est un "bel idéal" qui n'est pas réalisable "en pratique". En
fait, depuis maintenant une centaine d'années, l'idéal socialiste se
répand partout dans le monde. Les résultats sont
connus : plus l'État applique le socialisme, plus la société
s'appauvrit. Les Libertariens ne croient pas que ceci résulte du
fait que l'idéal est difficilement réalisable. Plutôt, ils croient que
cet idéal, tel qu'exercé par l'État, ne respecte pas la nature de
l'humanité. Il est évident que les pays où les droits et libertés de
l'individu sont les plus protégés sont les pays où l'on retrouve la plus
grand prospérité. En fait, le socialisme n'est ni pratique, ni moral.
Il est intéressant à noter que le principe de base de
la philosophie libertarienne (soit le droit de l'individu de poursuive
ses intérêts sans contrainte ni coercition) est accepté par la plupart
d'entre nous. La seule exception est en ce qui concernent le
gouvernement. La plupart des gens acceptent toujours que le gouvernement
puisse ainsi limiter les droits et libertés des citoyens en autant
qu'il proclame, appuyé d'une logique quelconque, que c'est pour le bien
commun.. Ce que recherchent les Libertariens, c'est de pouvoir appliquer
les mêmes règles de bons sens au gouvernement, afin de prévenir
l'ingérence dans les transactions entre individus.
Les Libertariens croient fermement que le pouvoir
grandissant de l'État au Canada nous étouffe tous. Mais ce n'est pas
nécessairement le gouvernement en tant que tel qui est le plus grand
coupable dans cette affaire: c'est plutôt l'idée que tous nos problèmes
peuvent être réglés par le gouvernement. Afin d'aller à l'encontre de
cette croyance, les Libertariens veulent promouvoir une nouvelle idée -
l'idée d'une liberté personnelle. Notre bataille sera une bataille
éducative, et son succès n'est pas garanti. Il semble bien indiqué, par
contre, que cette philosophie libertarienne soit appropriée à notre
époque.
Marilee
Haylock (1942-1982)
fut Présidente du Parti Libertarien de l'Ontario de 1976 à 1979. "What
is Libertarianism?" a été écrit en 1977. La traduction de l'original fut
réalisée par Michel Champagne, Coordonateur Régional pour le Québec.
http://libertariens.chez.com B) Qu’est-ce que le libertarianisme ?
Le libertarianisme est une philosophie politique basée sur l’idée que les hommes ont trois droits fondamentaux :
- la vie
- la liberté
- la propriété
Cela signifie que votre voisin n’a pas le droit de vous tuer, de vous
enfermer dans une cave ou de vous voler. Par contre la liberté ne
signifie pas « je suis libre de m’emparer de la voiture de mon voisin »
car ce serait violer sa propriété. Vous êtes libre de faire ce que vous
voulez avec ce qui vous appartient, tant que vous respectez les droits des autres.
Cela implique donc une totale liberté économique (marché libre) mais
aussi une totale liberté concernant votre vie privée (sexualité,
drogues, etc.) et une totale liberté d’expression.
Les libertariens considèrent donc que le seul rôle légitime de l’État
est de protéger ces droits, c’est-à-dire de s’occuper de la justice,
mais doit pour le reste laisser les individus entièrement libres.
Voir aussi : Le libertarianisme pour les nuls
Ce n’est pas une morale
Si vous dites des méchancetés sur votre voisin, un libertarien dira
que c’est votre liberté d’expression, et donc que devriez avoir le droit
légalement de le faire, mais il peut penser que c’est immoral de parler
ainsi de quelqu’un (mais cette question ne relève pas de la philosophie
libertarienne). Un libertarien est quelqu’un qui pense que la loi ne devrait pas être utilisée pour forcer les gens à agir bien, pas quelqu’un qui pense que tout comportement est moral.
De même un libertarien considérera qu’il doit être légal de regarder
de la pornographie, de fumer du cannabis ou de ne pas mettre sa ceinture
de sécurité mais pourra penser par ailleurs que la pornographie est
immorale et que c’est une mauvais idée de fumer du cannabis. Simplement
il s’interdira d’imposer par la force (la réglementation) ses choix aux
autres.
C’est de droite ou de gauche ?
Ça dépend pour quoi. Dans le domaine économique, les libertariens ont souvent des idées qu’on retrouve chez la droite en ce qui concerne l’économie comme :
- des impôts faibles (idée : les gens doivent choisir eux-mêmes ce qu’ils font de leur propriété)
- la suppression des monopoles d’État (droit de produire ce qu’on veut)
- l’absence de réglementation sur le travail comme le salaire minimum, le nombre d’heures de travail maximum (car droit de passer librement des contrats)
- le libre-échange entre les pays sans taxes (liberté d’échanger avec tous)
- ne pas imprimer d’argent en plus au profit de l’Etat, causant de l’inflation (car cela fait perdre de la valeur à l’argent existant et est donc une forme de vol)
Mais pour ce qui ne concerne pas l’économie, ils sont plutôt d’accord avec la gauche :
- liberté d’expression totale
- légalisation du cannabis (chacun est responsable de sa santé)
- droit d’immigrer (mais attention cela n’implique pas le droit de vivre d’aides sociales dans le pays d’accueil pour autant)
- droit d’avoir les relations sexuelles avec tout personne majeure consentante
Le point commun, dans tous les cas, est de défendre un maximum de
liberté, avec comme principe que les gens peuvent interagir comme ils
veulent du moment que c’est librement choisi, et font ce qu’ils veulent
de leur propriété. Voir aussi : Le diagramme de Nolan
Libertarien = libéral ?
Version courte : Oui, à peu près.
Version longue :
Souvent quand on dit de quelqu’un qu’il est libéral, on pense à l’économie (comme dans “il est pour le capitalisme libéral”), mais on ne pense pas forcément à la légalisation du cannabis, au droit de choisir son orientation sexuelle, au droit de traverser les frontières.
Souvent quand on dit de quelqu’un qu’il est libéral, on pense à l’économie (comme dans “il est pour le capitalisme libéral”), mais on ne pense pas forcément à la légalisation du cannabis, au droit de choisir son orientation sexuelle, au droit de traverser les frontières.
Aux USA, on a le problème inverse, “liberal” veut en gros dire de
gauche. Si vous votez pour le Parti Socialiste en France vous direz à un
américain “I am liberal”. (Ne lui dites pas “I am socialist” ou il va
sortir son fusil en vous prenant pour un adepte de Staline)
Pourtant, à l’origine, “libéral” désignait les deux types de libertés
(économiques et individuelles) et était un mot en bon français (venant
du latin liberalis), puis suite au changement de sens, les libéraux
américains ont inventé le terme “libertarian” en s’inspirant du mot
français “libertaire”, pour ne pas qu’on les confonde avec les
“liberals” qui sont pour l’intervention de l’Etat dans l’économie. Mais
“libertaire” en français ne voulant pas dire exactement la même chose,
le terme “libertarian” a été francisé en “libertarien” (avec un “e”).
C’est donc un mot français anglicisé puis francisé.
Au final les libertariens français préfèrent parfois s’appeler simplement “libéraux” ou « libéraux classiques » (en expliquant que ce n’est pas que le libéralisme économique) alors que les québécois utilisent plus le mot libertarien.
Libertarianisme.fr
C) Libertarianisme de Wikiberal
Le libertarianisme (ou, rarement, libertarisme) est une philosophie tendant à favoriser au maximum la liberté individuelle, que celle-ci soit conçue comme un droit naturel ou comme le résultat du principe de non-agression. De ce fait, ses partisans, les libertariens, s'opposent à l'étatisme en tant que système fondé sur la coercition, au profit d'une coopération libre et volontaire entre individus.
Le mot libertarien découle du mot anglais "libertarian".
Les libertariens sont des libéraux radicaux, opposés à l'État dans sa forme contemporaine. Pour eux, les pouvoirs de l'État devraient être extrêmement restreints (minarchisme), ou même supprimés (anarcho-capitalisme). Contrairement à l'idée libertaire,
les libertariens ne sont pas pour une société gérée en commun, mais
pour une société où les interactions entre les individus découlent de contrats librement consentis, conformément au Droit naturel et à l'axiome de non-agression.
Le terme anglais de libertarian (libéral) a un sens plus étendu que le terme français "libertarien", qui ne désigne à strictement parler que les minarchistes et les anarcho-capitalistes.
Cherchant à tout prix à insérer les libertariens dans une échelle
droite/gauche on utilise parfois, pour les désigner, des expressions
plus douteuses, comme "libéraux libertaires", ou des expressions
inexactes, comme "anarchistes de droite". Ce que précisément ces
expressions montrent, en fait, est que les libertariens échappent au
clivage habituel droite/gauche.
Historique
D'après Bertrand Lemennicier, la philosophie politique libertarienne naît avec les Levellers au milieu du XVIIe siècle pendant la révolution anglaise. En 1646, dans la prison de Newgate, Richard Overton, un des leaders parmi les levellers, écrit le pamphlet célèbre An arrow against all Tyrants. Cet écrit affirme haut et fort le concept de propriété de soi-même :
- To every individual in nature is given an individual property by nature not to be invaded or usurped by any. For every one, as he is himself, so he has a self-propriety, else could he not be himself; and of this no second may presume to deprive any of without manifest violation and affront to the very principles of nature and of the rules of equity and justice between man and man. Mine and thine cannot be, except this be. No man has power over my rights and liberties, and I over no man's. I may be but an individual, enjoy my self and my self-propriety and may right myself no more than my self, or presume any further; if I do, I am an encroacher and an invader upon another man's right — to which I have no right.
Dans son Traité du gouvernement civil (1690), Locke affirme de la même façon :
- § 27. Encore que la terre et toutes les créatures inférieures soient communes et appartiennent en général à tous les hommes, chacun pourtant a un droit particulier sur sa propre personne, sur laquelle nul autre ne peut avoir aucune prétention. Le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre. Tout ce qu'il a tiré de l'état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui seul : car cette peine et cette industrie étant sa peine et son industrie propre et seule, personne ne saurait avoir droit sur ce qui a été acquis par cette peine et cette industrie, surtout, s'il reste aux autres assez de semblables et d'aussi bonnes choses communes. (traduction de David Mazel, en 1795)
Les libertariens sont les héritiers directs des libéraux classiques dont ils prolongent le libéralisme sans concession envers l'étatisme.
Origine du terme
L'histoire du mot « libertarien » est intéressante, car c'est la
traduction en français de l'anglais « libertarian », lui-même traduction
anglaise du français « libertaire ».
Déjà au début du siècle, le liberal party anglais, au pouvoir, avait dérivé vers de plus en plus d'étatisme, et de moins en moins de libéralisme. Ce changement de cap fut entériné dans les années 1920, où le très étatiste économiste Keynes se réclama comme liberal, en référence à la politique du parti liberal,
et en rejetant explicitement la tradition de pensée libérale. Dans les
années 1950, pour éviter le McCarthysme, les socialistes américains se
sont massivement réclamés comme liberal, en reprenant la tradition keynésienne. Le mot liberal, aux États-Unis en étant venu à dire « socialiste », les libéraux américains (au sens original du terme) ont repris à leur compte le mot libertarian, qui aux États-Unis n'avait pas la connotation de gauche qu'il a en France.
H. L. Mencken et Albert Jay Nock s'affirmaient déjà comme libertarians, et c'est finalement Leonard Reed qui crée la première organisation authentiquement libertarienne, la Foundation for Economic Education (FEE), précédant la Société du Mont-Pélerin qui s'en est inspiré.
Le mot libertarian s'est depuis implanté en Grande-Bretagne (où il avait une connotation de gauche, comme en France), fort de toute la littérature libertarian déjà existante (ils n'allaient quand même pas ajouter à la confusion en créant un terme distinct en Grande-Bretagne !).
Cependant, à la même époque, dans les années 1970, Henri Lepage (Demain le capitalisme, 1978[1]), en traduisant le terme libertarian, et en l'absence de littérature libertarian
francophone, n'a pas voulu risquer l'amalgame avec les anarchistes
socialistes, et a donc préféré utiliser « libertarien » plutôt que « libertaire » (le mot était déjà employé par les Canadiens francophones[2]) :
- Même s'ils défendent une conception "capitaliste" d'organisation des rapports sociaux, les libertariens se distinguent des courants conservateurs "complices" du grand capital et du pouvoir des grandes entreprises. Comme les gauchistes, ils ne craignent pas de dénoncer les "puissances d'argent" et tout ce qui représente le "capitalisme monopolistique", responsable à leurs yeux de la croissance du pouvoir d'oppression de l’État moderne. (Henri Lepage, 1978)
Pour ajouter à la confusion, certains gauchistes ont néanmoins traduit libertarian par « libéral-libertaire », cependant que quelques rares libéraux revendiquent le mot « libertaire ». Les libertarian francophones du Québec, dans un pays où tout le monde est bilingue, ont repris le terme « libertarien », phonétiquement proche de l'américain libertarian, en France l'ADEL en a fait de même puisqu'il s'agit bien de l'association des Libertariens.
Le mot anglais libertarian, quant à lui, est attribué à Leonard Read, fondateur de la Foundation for Economic Education, pour se distinguer des néoconservateurs et des liberals socialistes.
Libéralisme, libertarianisme, libertarisme, libéral / libertarien
Le mot « libertarien » donne lieu au néologisme « libertarianisme »[3] - mot si inutilement compliqué que même ceux qui se revendiquent « libertariens » préfèrent parler de libéralisme
pour nommer leur philosophie (ce en quoi certains libéraux non
libertariens sont en désaccord). Certains utilisent aussi le terme
« libertarisme », mais ce dernier mot est revendiqué également par les
libertaires[4].
A noter que les autres langues latines (italien, espagnol, portugais) utilisent indifféremment les termes libertario / libertariano (libertarien) et libertarismo / libertarianismo (libertarisme).
Certains auteurs français utilisent indifféremment les termes libéral et libertarien (François Guillaumat, Bertrand Lemennicier, etc.), d'autres n'utilisent que le terme libéral (Pascal Salin).
Tout semble dépendre de la volonté ou non de se différencier des
politiciens "libéraux" français (traditionnellement centristes, peu
suspects d'extrémisme et peu enclins à une certaine cohérence
idéologique...), ou de revendiquer résolument le terme de libéral
en se rattachant à la lignée libérale française des siècles passés,
elle-même à l'origine même du courant "libertarien" contemporain.
- libertarien, enne
- n. et adj. (angl. libertarian). Partisan d’une philosophie politique et économique (princip. répandue dans les pays anglo-saxons) qui repose sur la liberté individuelle conçue comme fin et moyen. Les libertariens se distinguent des anarchistes par leur attachement à la liberté du marché et des libéraux par leur conception très minimaliste de l’État.
- adj. Relatif à cette philosophie.
Il semble donc justifié de distinguer entre libéraux et libertariens,
les libertariens étant des libéraux mais les libéraux n'étant pas tous
des libertariens. Le libertarien se réclame de grands principes a priori
(propriété de soi-même, axiome de non-agression, droit naturel...)
alors que le libéral non libertarien se préoccupe de la liberté de façon
plus empirique.
Il faut ainsi aborder les textes anglais avec de grandes précautions, car liberal et libertarian ne peuvent être traduits en français de façon univoque par "libéral" et "libertarien". Ainsi la phrase suivante : "Liberal critiques of libertarianism matter because libertarians claim to be liberals"[6], quasiment intraduisible en français[7], emploie le terme liberal dans le double sens de "progressiste" et de "libéral".
On aura donc les équivalences suivantes, en fonction du contexte :
- liberal : 1. progressiste (voire socialiste)[8] ; 2. libéral (dans son acception ancienne) ;
- libertarian : 1. libéral (classique) ; 2. libertarien ; 3. libertaire (dans son acception ancienne) ;
Politique
Le libertarisme a une existence politique dans les pays anglo-saxons (libertarian party). Il échappe à un positionnement politique classique de par ses thèses qui le situent à la fois à gauche au plan des libertés individuelles (usage libre des drogues, liberté d'expression, liberté d'immigration, liberté sexuelle...) et à droite au plan des libertés économiques (respect de la propriété privée, libre-échange, suppression ou diminution drastique de la fiscalité...). Comme le dit Murray Rothbard : le
libertarien ne voit aucune incohérence à être « de gauche » dans
certains domaines et « de droite » dans d’autres. Au contraire, il
considère que sa position est quasiment la seule qui soit cohérente du
point de vue de la liberté individuelle.
Les libertariens sont inclassables, et les personnes non averties (au moins en Europe,
où les thèses libertariennes sont encore peu répandues) ont tôt fait de
les classer, par ignorance, tantôt à l'extrême-gauche (anarchisme, refus des lois, défense intransigeante des libertés), tantôt à l'extrême-droite (liberté du port d'armes, défense intransigeante de la propriété et de l'entreprise privée, refus de l'assistanat étatique). Le libertarisme est en réalité anti-politique, pour lui la politique ne diffère pas de l'esclavagisme.
En quoi les libertariens diffèrent des libéraux
Même si le socle philosophique est commun, les divergences avec les libéraux sont nombreuses, et portent sur le rôle de l'État, du service public, la conception de la politique et de la démocratie, l'impôt, la loi, l'immigration, le droit pénal,
etc. (les articles cités explicitent les différences). Les libéraux
considèrent habituellement les libertariens comme des libéraux
"radicaux" voire extrémistes, les libertariens considèrent les libéraux
non libertariens comme des "compagnons de route" qui ne sont pas allés
jusqu'au bout de la logique libérale (en raison d'un trop grand respect
envers l'État, ou d'une conception incomplète de ce qu'est le droit).
Les libertariens ont une vision pessimiste de l’État, les libéraux une
vision optimiste : « pour un libéral, l'État minimal est le plancher ;
pour un libertarien, il est le plafond. » (Patrick Smets).
Les libertariens, en comparaison avec les libéraux, ont de par leur logique propriétariste
des idées très arrêtées sur ce que devrait être le droit dans une
société libre, alors que les libéraux seront moins catégoriques sur le
rôle de l'État et plus hésitants sur la réalité de la lutte des classes que dénoncent les libertariens, ou sur le principe de non agression que les libertariens érigent en règle générale. Les libertariens voient le libéralisme classique comme un compromis incohérent entre le principe de non-agression et l'approbation de l'existence d'un État minimum, qui par définition repose sur l'agression.
Il est cependant impossible de tracer une frontière claire entre libertariens et libéraux (aux États-Unis, on emploie d'ailleurs le même terme dans les deux cas : libertarian).
La différence est peut-être une question d'attitude : les libertariens
déduisent leur position sur tout sujet de grands principes a priori tels
que la non-agression, la propriété de soi-même ou le concept de droit naturel, avec le risque de tomber dans un certain dogmatisme (Rothbard
est souvent cité comme l'exemple-type) ; les libéraux, eux, sont
davantage attachés aux conséquences et adoptent un point de vue
empirique (Hayek) ou utilitariste sans a priori. Comme le remarque un peu cruellement Virginia Postrel (an 18th-century brain in a 21st-century head) : la tradition déductive a défini l'identité libertarienne et son dogme, tandis que la tradition empirique a réalisé ses buts.
Certains "tests" essaient de cerner les différences fondamentales entre libéraux et libertariens, par exemple : Libéral ou libertarien ? Faites le test !.
Points de désaccord entre libertariens
Même si les points de vue sur la réduction du rôle de l’État et
l'importance des droits individuels et de la non-agression font
l'unanimité, il existe plusieurs points de désaccord entre
libertariens :
- l'approche méthodologique : jusnaturalisme, utilitarisme, conséquentialisme...
- la notion de "propriété de soi-même" (self-ownership) est rejetée par certains libertariens qui la trouvent confuse, ainsi que par les libertariens conséquentialistes
- propriété intellectuelle (les brevets sont en général rejetés, parfois aussi les droits d'auteur en dehors du cadre strict d'un contrat liant les personnes concernées)
- nécessité ou non d'un État (minarchisme, anarcho-capitalisme), et s'il est nécessaire, son mode de financement (volontaire ou forcé)
- statut de l'embryon (voir avortement), de l'enfant (voir marchandise), du handicapé
- en liaison avec cette question, les conditions pour devenir "sujet de droit" et donc pouvoir jouir de droits : la seule qualité d'être humain ? la capacité à revendiquer des droits ? l'autonomie ?
- légitimité de la peine de mort
- devoir d'assistance à personne en danger
- légitimité de l'esclavage volontaire
- appropriation libre ou non des ressources naturelles (libertarisme "de gauche", géolibertarianisme, proviso)
- certaines interventions étatiques, refusées par les uns, considérées par les autres comme un moindre mal (guerre, refus de l'isolationnisme, allocation universelle, etc.)
- légitimité des réserves fractionnaires ou de la responsabilité limitée
Libertariens "de droite" et libertariens "de gauche"
Certains auteurs, tels Peter Vallentyne,
se fondent sur le désaccord quant à l'appropriation des ressources
naturelles pour distinguer un libertarisme "de droite" et un
libertarisme "de gauche" ([1]). Ainsi, Rothbard et Kirzner
seraient des libertariens d’extrême droite, car ils admettent que
n'importe qui peut s’approprier des ressources non encore appropriées. Nozick serait seulement "de droite", car il admet le proviso lockéen. Les libertariens georgistes (Henry George, Hillel Steiner)
admettent l'appropriation des ressources naturelles non encore
appropriées en contrepartie d'une location versée à un fonds social.
Enfin les libertariens "égalitaristes" tels Peter Vallentyne exigent en outre le paiement d'un impôt sur tous les avantages reçus de cette appropriation ("taxation complète des avantages").
Les libertariens agoristes
se considèrent également comme des libertariens de gauche, voire
d'extrême gauche, parce qu'ils se considèrent comme
"anti-establishment", aussi bien contre le socialisme que contre le conservatisme.
Aux États-Unis on parle également de conservatisme libertarien[9],
résultant d'une convergence entre deux courants politiques proches, les
conservateurs étant souvent en faveur d'un gouvernement limité et les
libertariens ne rejetant pas les "valeurs conservatrices" ; Ron Paul ou Gary Earl Johnson seraient ainsi des "conservateurs libertariens", ou des "libertariens conservateurs".
Les réalisations libertariennes
Alors que les hommes politiques traditionnels s'emploient à créer des privilèges et de faux droits, les libertariens cherchent à mettre en œuvre leurs idées de façon concrète directement dans la société civile (et non par la coercition
étatique) en créant des services utiles aux personnes, visant à
promouvoir l'autonomie individuelle. On peut citer les exemples
suivants :
- Wikipédia est une encyclopédie coopérative d'inspiration libertarienne, créée par Jimmy Wales ; c'est une bonne illustration du concept contre-intuitif d'ordre spontané ;
- Bitcoin est une monnaie virtuelle décentralisée, créée par des libertariens partisans de la concurrence monétaire ;
- plus généralement, le processus technique de "blockchain" qui est à l’œuvre dans Bitcoin est cyberlibertarien dans sa nature, car il peut être généralisé pour réaliser toutes sortes d'échanges entre les individus, sans intermédiaire ni entité centrale
- les projets d’États libertariens, encore utopiques, pourraient un jour aboutir à des réalisations concrètes, soit par la voie politique (Free State Project), soit ex nihilo (seasteading, villes privées) ;
- l'activisme libertarien (Ron Paul, Rand Paul, Edward Snowden, Hannah Giles, etc.) dénonce les pratiques politiques abusives des États ;
- certains libertariens se sont spécialisés dans le survivalisme et partagent leurs expériences ;
- les philanthropes libertariens (par exemple Peter Thiel) financent divers projets liés à la cause libertarienne.
Un pays pour les libertariens
Aucun pays existant ne pouvant convenir aux libertariens, ces
derniers ont le choix entre militer dans leur propre pays pour davantage
de liberté, ou, quand c'est possible, partir pour des pays plus libres
(comme certaines micronations en Europe,
Amérique ou Asie), ou encore construire à partir de zéro un tel pays.
Les projets ont été très nombreux, mais aucun n'a encore véritablement
abouti. Parmi les anciens projets :
- la Principauté de Minerva, fondée en 1971 par un activiste libertarien de Las Vegas, Michael Oliver, sur les récifs de Minerva, à 500 km au sud-ouest du royaume de Tonga. Cependant, en 1972, les îles Tonga ont annexé Minerva. Le territoire est actuellement revendiqué par la Principauté de Minerva (gouvernement en exil) ainsi que par les îles Fidji.
- la Principauté de Freedonia, créée en 1992. Le but ultime était de créer une nation libertarienne souveraine. Après un essai infructueux en Somalie en 2001, le projet a été abandonné.
- Oceania, The Atlantis Project, projet libertarien de ville flottante, abandonné en 1994. Son auteur s'est tourné vers un projet humanitaire plus ambitieux, Lifeboat Foundation.
- la Principauté de Sealand (ancienne plate-forme militaire de l'armée britannique, construite au large de l'estuaire de la Tamise dans les eaux internationales) est un exemple de micronation réussie (mais non libertarienne, et de plus extrêmement minuscule) dont les libertariens pourraient s'inspirer dans leurs projets futurs.
- le projet Limón REAL fut un projet de province autonome libertarienne au Costa Rica, conduit par Rigoberto Stewart.
- Liberland (nom officiel : "Free Republic of Liberland") est une enclave de 7 km² entre Serbie et Croatie sur la rive du Danube, proclamée république par Vít Jedlička le 13 avril 2015. Ce territoire (appelé aussi "Gornja Siga") résulte d'une querelle de frontière entre Serbie et Croatie qui aboutit à en faire une "terra nullius".
À ce jour, le projet le plus abouti est le Free State Project,
qui vise à regrouper 20000 libertariens dans l'État du New Hampshire,
de façon à exercer une pression politique forte en direction du
libertarisme. Une variante du projet a choisi l'État du Wyoming. Leur clone européen, "European Free State", a été pour le moment abandonné.
Le seasteading
est vu comme une possibilité futuriste d'établir des communautés
libertariennes en-dehors des États, sur des territoires très grands et
non encore étatisés : les eaux internationales. Il n'y a pas de projet
concernant les territoires terrestres inoccupés[10].
D) La philosophie libertarienne de Robert Nozick
Dans Distributive Justice, Nozick entend présenter la théorie libertarienne de la propriété. La thèse défendue est celle-ci :
il n’y a aucunement besoin d’une intervention étatique dans les transferts privés de richesses pour assurer la justice de la distribution
.
Voilà qui caractérise précisément la minarchie, le pouvoir minimal de
l’Etat. Cette position libertarienne est défendue en trois moments.
D’abord, Nozick expose ce qu’on peut traduire par une « théorie de l’habilitation »,
selon laquelle il n’est pas besoin, pour garantir à chacun son dû,
d’organiser une redistribution « artificielle » des richesses pour
respecter une certaine norme de distribution. Ensuite, il montre qu’une
théorie libertarienne de la propriété inspirée par Locke peut assurer
une distribution juste indépendamment d’une intervention extérieure au
marché. Enfin, il conforte sa position dans une critique de l’égalitarianisme de Rawls.
La critique de la distribution standardisée
Nozick appelle « distribution standardisée
» une distribution des richesses qui répartit les biens entre les biens
entre les personnes selon une certaine règle :
« let us call a principle of distribution patterned if it specifies that a distribution is to vary along with some natural dimension »
Ceci caractérise selon Nozick l’Etat-Providence. Les distributions standardisées posent problème, parce qu’elle ne se posent pas la question de savoir comment en est-on arrivés à telle situation, comment par exemple une situation d’inégalité est survenue entre les richesses des personnes ; elles se contentent de redistribuer les richesses comme si, par exemple, la distribution initiale était injuste parce qu’inégale. Au contraire, l’intérêt de considérer l’« historicité » de la distribution est de savoir si la situation d’un individu convient à la personne de cet individu – c’est la notion de mérite :
« we think it relevant to ask whether someone did something so that he deserved to be punished, deserved to have a lower share.(…) Historical principles of justice hold that past circumstances or actions of people can create differential entitlements ».
Ceci explicite clairement que
la possibilité d’une inégalité juste est au fondement du libéralisme et
de son pendant libertarien. La distribution standardisée est donc
foncièrement injuste, parce qu’elle est aveugle au mérite, mais aussi
parce qu’elle entre continuellement en interférence avec la liberté des
individus quand à leurs possessions. Ceci a deux conséquences : d’une
part la liberté individuelle n’est pas respectée, d’autre part il est
impossible de respecter le standard puisque l’action économique des
individus bouleverse à chaque instant la forme de la distribution. Cette
dernière conséquence affecte évidemment la distribution égalitarienne
chère à Rawls : « any distributional pattern with an egalitarian
component is overturnable by the voluntary actions of individuals ».
Rejetant les standards, Nozick ne peut pas pour autant se passer d’un
critère pour juger de la justice des propriétés et des distributions.
Pour ce faire, il emprunte à Locke une certaine clause de sa théorie de
la propriété.
L’interprétation de la propriété lockéenne :
S’interrogeant
sur ce qui peut fonder la légitimité de la propriété, Nozick affirme
qu’une propriété est juste si elle ne dégrade pas la situation des
autres – « the crucial point is whether appropriation of an object
worsens the situation of others ». C’est ici qu’est introduite la clause
lockéenne : « Locke’s proviso that there be ‘enough and as good left in
common for others’ is meant to ensure that the situation of others is
not worsened ». Selon une interprétation forte, une appropriation serait
illégitime au sens de Locke si elle interdisait aux autres toute
appropriation future. Cependant, le nombre de choses à approprier étant
fini , il est clair qu’arrivera le cas où quelqu’un ne pourra pas
accéder à la propriété, rendant illégitimes toutes les appropriations
antérieures ayant mené à cette situation d’impasse. La clause n’est donc
opératoire selon Nozick que dans son interprétation faible, à savoir :
il est possible de ne laisser à autrui aucune opportunité
d’appropriation ; est seulement interdit de ne lui laisser aucune
possibilité d’user des choses inappropriées.
Cette interprétation permet de soutenir le principe de la libre
concurrence – en tant que concurrence permise à tous – comme principe
fondamental de la justice de la distribution au sens libertarien, même
dans la situation où le champ des choses qu’il est possible d’approprier
est fini . Ce principe est nécessaire et suffisant : il n’y a pas
besoin de l’action d’un Etat pour assurer le respect de la clause
lockéenne – « I believe that the free operation of a market will not
actually run afoul of the lockean proviso (…). If this is correct, the
proviso (…) will not provide a significant opportunity for future state
action ». On est libre d’entendre ici un lointain écho de l’idée chère à
Adam Smith d’une « main invisible » qui règlerait le marché, et la
justice de la distribution, en dehors de toute ingérence volontariste.
La critique de la conception égalitarienne de la justice distributive
permet de démontrer négativement la pertinence de cette position.
La critique de l'égalitarianisme :
1 – Les personnes sont habilitées à leurs atouts naturels.
2 – Si A est habilité à x, A est habilité à ce qui provient de x.
3 – Les richesses des personnes proviennent de leurs atouts naturels. Donc :
4 – Les personnes sont habilitées à leurs richesses.
Critique :
On peut penser que les interprétations fondatrices que Nozick propose de la propriété lockéenne et de la dotation naturelle des atouts n’est pas pleinement satisfaisante. Tout d’abord, on ne voit pas explicitement ce qui motive Nozick à ne retenir que l’interprétation faible de la clause lockéenne. En effet, la lettre de Locke met au principe le droit que chacun doit avoir à l’appropriation ; c’est le sens de l’exigence qui est faite de laisser à autrui des opportunités d’appropriation. Au niveau économique, cela s’appelle la libre concurrence. Cependant, Nozick, en biaisant cette clause, c’est à dire en permettant que certains ne soient jamais propriétaires, est en contradiction avec cette exigence. Au niveau économique, cela autorise les situations de monopole . Or, quoi de plus contraire au droit à concurrence que le monopole ? La clause lockéenne interdit précisément le monopole, car qui accroît ses richesses en jouant le jeu de la libre concurrence est malhonnête s’il interdit aux autres de suivre son chemin. Se reconnaît ici la place que la théorie lockéenne de la propriété accorde à l’égalité, à savoir quelque chose comme une « égalité des chances ». Si la théorie de la propriété ne la respecte pas, elle est injuste.
2 – Si A est habilité à x, A est habilité à ce qui provient de x.
3 – Les richesses des personnes proviennent de leurs atouts naturels. Donc :
4 – Les personnes sont habilitées à leurs richesses.
Et
Nozick de faire ce constat :
« we have found no cogent argument to (help) establish that differences in holdings arising from differences in natural assets should be eliminated or minimized ».
L’absence de cet
argument justifie la minimalisation de l’Etat : il suffit que la
distribution soit opérée par les individus en respectant ses principes
lockéens pour que soit garantie sa justice. L’injustice n’est donc pas
intrinsèque à la distribution libertarienne ; elle n’est le fait que
d’accidents perpétrés par des individus. Ici, il y a une place pour
l’Etat en tant que rectificateur de ces injustices ; mais tout pouvoir
prescriptif lui est interdit.
Critique :
On peut penser que les interprétations fondatrices que Nozick propose de la propriété lockéenne et de la dotation naturelle des atouts n’est pas pleinement satisfaisante. Tout d’abord, on ne voit pas explicitement ce qui motive Nozick à ne retenir que l’interprétation faible de la clause lockéenne. En effet, la lettre de Locke met au principe le droit que chacun doit avoir à l’appropriation ; c’est le sens de l’exigence qui est faite de laisser à autrui des opportunités d’appropriation. Au niveau économique, cela s’appelle la libre concurrence. Cependant, Nozick, en biaisant cette clause, c’est à dire en permettant que certains ne soient jamais propriétaires, est en contradiction avec cette exigence. Au niveau économique, cela autorise les situations de monopole . Or, quoi de plus contraire au droit à concurrence que le monopole ? La clause lockéenne interdit précisément le monopole, car qui accroît ses richesses en jouant le jeu de la libre concurrence est malhonnête s’il interdit aux autres de suivre son chemin. Se reconnaît ici la place que la théorie lockéenne de la propriété accorde à l’égalité, à savoir quelque chose comme une « égalité des chances ». Si la théorie de la propriété ne la respecte pas, elle est injuste.
On
peut alors proposer l’objection que Nozick a montré que l’inégalité des
atouts naturels, qu’on peut entendre finalement comme une « inégalité
des chances », n’a rien d’illégitime. Certes, elle n’est pas illégitime ;
mais cela ne la rend pas légitime. En outre, ce n’est pas parce qu’elle
est naturelle que nous devons nous interdire de la régler . La
situation naturelle des atouts n’est certes pas une situation
d’injustice, puisqu’il n’y a pas de juste et d’injuste ailleurs que dans
l’état civil. C’est une situation d’ a-justice. Or, la justice positive
n’entend pas, quand elle règle la distribution naturelle, réparer une
injustice, mais seulement instituer de la justice là où il n’y en a pas .
Il serait ici particulièrement intéressant que Nozick discute ce point
de la théorie de Rawls, selon lequel les contractants d’un contrat
social, ne pouvant avoir la prescience de la situation qui sera la leur
dans la société future, ont intérêt à instituer un système de justice
qui maximise la situation du plus pauvre ; parce que le plus pauvre, ce
pourrait bien être chacun d’entre eux. Ceci nous amène à penser que le
libertarianisme ne peut être défendu « après coup » que par le groupe
des individus les plus riches (et qui leur en voudra ?) car il garantit
leur différentiel de richesses . Contre cela, Nozick affirme au
contraire que la situation de la propriété n’est pas un jeu à somme
constante : l’accroissement de la richesse des plus riches ne signifie
pas la diminution de celles des plus pauvres. Remarquons pourtant que
Nozick a reconnu qu’il n’y avait pas une infinité de choses à approprier
– c’est le sens de son interprétation faible de la clause lockéenne. Il
faudrait alors qu’il expose explicitement comment il tient ensemble
l’idée que le nombre de choses à approprier est fini et l’idée que
l’appropriation par A d’une chose x ne constitue pas pour B une
dégradation au moins potentielle de sa liberté d’appropriation.
En
définitive, ces remarques succintes nous mettent sur la voie que l’Etat
n’est pas si dispensable pour réaliser la justice distributive. Cette
critique de ce qu’il faut bien appeler un ultra-libéralisme ne doit rien
avoir d’idéologique – il faut rendre hommage à la grande pertinence de
nombre des remarques proposées par Nozick. Pourtant, l’interaction de
l’Etat dans la distribution des richesses paraît nécessaire pour la
simple raison que le champ d’appropriation n’est pas infini. Cette
donnée simple rend difficilement applicable la clause lockéenne dans son
interprétation forte : si tout le monde doit en droit pouvoir
approprier, et si tout le monde ne peut pas en fait approprier, il nous
semble y avoir là une injustice, non pas extérieure à la théorie
libérale, située dans des déviances individuelles, mais intrinsèque à
une interprétation du libéralisme lockéen qui insiste sur la liberté
d’appropriation sans retenir que la lettre lockéenne la bride doublement
par l’exigence de quelque chose comme une égalité des chances et
l’interdiction des monopoles, qui doivent faire en sorte que tout le
monde puisse entrer en concurrence. Et même si on voulait faire la fleur
aux libertariens de leur accorder que cette injustice n’est pas
intrinsèque à leur théorie, on ne pourrait pas céder sur le fait que
celle-ci favorise structurellement la perpétration d’injustices au
niveau individuel – pour les plus riches, le monopole ; pour les plus
pauvres, le vol. Autant d’injustices qu’un Etat fort (puisque les
injustices seront nombreuses et graves) aura devoir de rectifier . Si
cela est juste, le libertarianisme ne peut pas assurer la justice
distributive. l’Etat doit donc constamment organiser la redistribution,
peut-être selon une norme égalitarienne, la liberté individuelle
dût-elle s’en trouver limitée.
Par JLR - l'Arbre@Palabre
E) Le libertarianisme est il une philosophie éthique ou politique par Alexander Mc Cobin
Dans un article intitulé « The Political Principle of Liberty »,
Alexander McCobin, président-fondateur de l’organisation Students for
Liberty, aborde la question de la nature du libertarianisme.
Ce terme est le nom contemporain qui désigne aux États-Unis le
libéralisme classique. Nous avons choisi ici de conserver ce néologisme
pour en préciser les contours. Je vais donc résumer cet article fort
intéressant mais pas encore traduit pour le lecteur français.
Le libertarianisme, nous dit McCobin, n’est pas une philosophie
globale qui aurait réponse à tout, qui nous donnerait le sens de
l’existence, de la vérité, de l’art et de l’amour. C’est une philosophie
sociale et politique qui cherche à expliquer comment les gens devraient
se comporter les uns vis-à-vis des autres. C’est une philosophie
politique et juridique, non une philosophie éthique. L’éthique nous dit
comment mener une vie bonne, conforme au bien. La philosophie politique
nous dit comment être justes à l’égard des autres. Elle se préoccupe
donc des lois, de leur objet, de leur nature et de leurs limites.
Ainsi, on peut condamner quelqu’un pour sa conduite scandaleuse,
immorale ou vulgaire tout en défendant le droit de cette personne à se
comporter de cette façon, tant que son comportement ne viole pas les
droits d’autrui.
La liberté est donc un principe qui rend possible la coexistence de
nombreuses philosophies de la vie et de l’éthique, dans un cadre
d’interactions sociales volontaires où personne ne vole personne. Les
individus peuvent adopter le libertarianisme en raison de philosophies
de la vie ou de valeurs tout à fait divergentes : l’épanouissement
humain, l’autonomie, la raison, le bonheur, les préceptes religieux, la
sympathie ou l’équité.
Tout comme il peut y avoir plusieurs types de justifications d’un
principe, il peut y avoir également des variations entre
les libertariens sur les politiques à mener, c’est-à-dire sur la manière
d’appliquer le principe de la liberté.
Il y a ainsi des débats ouverts entre libertariens sur de nombreux sujets :
– les brevets et les droits d’auteur (sont-ils des droits de propriété fondés sur la créativité ou des monopoles cachés ?) ;
– la peine de mort pour les meurtriers (est-elle une juste rétribution ou un pouvoir dangereux ?) ;
– l’avortement (y a-t-il deux sujets de droits impliqués, ou seulement un seul ?) ;
– la fiscalité (est-elle purement et simplement du vol, ou des frais à payer pour des services utiles comme la défense ? ) ;
– et même le mariage gay (l’État devrait-il empêcher la
discrimination contre les homosexuels, ou devrait-il tout simplement
laisser le mariage au marché libre ?).
Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de politiques libertariennes :
les lois contre l’assassinat, le viol et l’esclavage sont fondamentales
à tout système juridique civilisé. Elles devraient même s’appliquer à
tous les gouvernements. Néanmoins, il n’est pas toujours évident de
savoir quelles politiques spécifiques sont nécessaires pour faire
respecter ces lois générales. Là encore, des gens raisonnables peuvent
être en désaccord. Par exemple, la façon dont un gouvernement doit
garantir la sécurité contre le terrorisme fait l’objet de débats.
Conclusion
Les libertariens sont des gens issus de toutes les confessions
religieuses ou philosophiques, partisans d’une grande variété de modes
de vie, d’origines ethniques et de groupes linguistiques divers.
Le libertarianisme ne nécessite pas l’unanimité sur tout. La raison pour
laquelle une personne défend le principe de la liberté égale pour tous
peut varier. Un libertarien peut également être en désaccord avec un
autre sur les prescriptions politiques les plus appropriées pour faire
appliquer ce principe dans le monde. Mais tous souscrivent au principe
commun de la liberté égale pour tous. Tous sont unis pour combattre les
lois sur les crimes sans victime, s’opposer à la tyrannie, défendre la
liberté du commerce et de l’entreprise, s’opposer à la violence
agressive.
Damien Theillier,
Le livre d’où est extrait cet article d’Alexander McCobin, Why liberty , est une introduction générale et multidisciplinaire à la puissance transformatrice de la liberté pour l’individu comme pour la société. Il traite de la liberté non seulement d’un point de vue politique, mais aussi au travers du prisme de la culture, de l’entrepreneuriat, de la santé, de l’art, de la technologie et de la philosophie.
Table des matières du livre :
1.Why Be Libertarian, by Tom Palmer
2.There Ought NOT to Be a Law, by John Stossel
3.Libertarianism as Radical Centrism, by Clark Ruper
4.The History and Structure of Libertarian Thought, by Tom Palmer
5.“The Times, They Are A-Changin’”: Libertarianism as Abolitionism, by JamesPadilioni, Jr.
6.The Political Principle of Liberty, by Alexander McCobin
7.No Liberty, No Art: No Art, No Liberty, by Sarah Skwire
8.The Humble Case for Liberty, by Aaron Ross Powell
9.Africa’s Promise of Liberty, by Olumayowa Okediran
10.The Tangled Dynamics of State Interventionism: The Case of Health Care, by Sloane Frost
11.How Do You Know? Knowledge and the Presumption of Liberty, by Lode Cossaerand Maarten Wegge
12.The Origins of State and Government, by Tom Palmer
Télécharger le livre en anglais
Télécharger le 1er chapitre : Why be libertarian?
F) Les 12 posts sur le sujet comme la critique sur l'Université Liberté
Thierry, libertarien néo-Suisse a trouvé la clef de Fa sans " bémol " sur Lausanne
Robert Alexandre Nisbet: sociologie conservatisme/libertarianisme
La vision libertarienne de la société est atomique par Paul Makamea?
Droits naturels ou DROIT NATUREL ?
L'État pense à Vous, ne l'oubliez pas, volez à son secours l'État vous rendra grâce
Connaissez-vous le libéralisme "intégral" de Beigbeder et le libertarianisme de Masse ?
Stéphane Geyres t-il la Liberté par principe naturel ?
Le libéralisme avec Hans-Hermann Hoppe
DU BON USAGE DES IDEES COMMUNAUTARIENNES EN MILIEU LIBERAL - Le Débat
Philosophy: Who Needs It ?? Ayn Rand,
L'anarcho-capitalisme serait-il un idéal de socièté ? La France des "Lumières" serait-elle toujours aussi innovante ?
Le Libertarianisme comme Lemennicier
G) Une critique: La pensée libertarienne. Genèse, fondements et horizons d'une utopie libérale par Sébastien Caré
Les libertariens sont les économistes que nous qualifions souvent
d'ultralibéraux. Ils pensent que le marché concourt mieux que tout autre
mécanisme à faire que la recherche par chacun de son intérêt personnel
débouche sur le meilleur intérêt général qui se puisse concevoir. Pour
eux, l'Etat est l'ennemi toutes les fois qu'il empiète sur la liberté
personnelle au nom d'un pseudo-intérêt général. L'auteur consacre ce
livre - issu d'une thèse de doctorat - à la genèse et à la
conceptualisation de ce courant d'analyse économique (le
libertarianisme) aux Etats-Unis. Il en montre la diversité: les
fondements sont parfois néoclassiques (Milton Friedman, David Friedman,
James Buchanan), "autrichiens" (Ludwig von Mises, Friedrich von Hayek,
Murray Rothbard), voire philosophiques (Ayn Rand et Robert Nozick),
débouchant sur des analyses bien plus différentes qu'on ne le croit. Les
uns s'attachent à un Etat minimal, les autres pensent qu'il est
possible de s'en passer et que tout Etat porte avec lui prédation et
arbitraire.
Contrairement à ce que beaucoup croient, Hayek est "l'un des plus modérés libertariens",
parce qu'il justifie la légitimité de certains services publics. Le
trait commun de ce courant de pensée est davantage de vouloir ouvrir le
champ des possibles en permettant à chacun de vivre comme il l'entend
que de bâtir une société, ce qui suscite le jugement suivant de l'auteur
(mais à la fin d'un volume tout entier pénétré de sympathie critique à
l'égard de ce courant de pensée): "Les libertariens ne donnent au fond aucun sens au vivre ensemble et ne reconnaissent l'existence d'aucun bien commun."
Ce
livre permet de comprendre un peu mieux la diversité et la démarche de
ce courant, analysées avec une précision remarquable. On regrettera
seulement qu'il n'y soit rien dit de ses représentants français. Et,
curieusement, la préface de Claude Mossé annoncée sur la couverture est
absente. Par désaccord?
La pensée libertarienne. Genèse, fondements et horizons d'une utopie libérale,
par Sébastien Caré
Ed. PUF, 2009, 356 p., 34 euros.
Ed. PUF, 2009, 356 p., 34 euros.
Alternatives économiques
H) Une critique: 5 raisons de rejeter le libertarianisme
En parcourant la théologie systématique de John Frame (Systematic Theology: An Introduction to Christian Belief, p. 825-831), je suis tombé sur une critique du libertarianisme. L’auteur y expose 15 points utiles.
Il commence par la définition que R.K. McGregor Wright donne du
libertarianisme : la croyance que la volonté humaine possède le pouvoir
inhérent de choisir avec une égale facilité entre des alternatives. Ceci
est communément appelé “le pouvoir de choix contraire” ou la “liberté
d’indifférence”.
Cette croyance ne prétend pas qu’aucune influence ne puisse s’exercer
sur la volonté, mais elle souligne que, normalement, la volonté peut
surmonter ces facteurs et choisir malgré eux. En fin de compte, la
volonté est libre de tout lien de causalité nécessaire. En d’autres
termes, elle est autonome de toute détermination extérieure.
Le libertarianisme suppose qu’il existe une partie de la nature
humaine que nous pourrions appeler : la “volonté” (en français, on
utilise aussi le mot “arbitre”, comme dans “libre arbitre”). Cette
volonté est indépendante de tous les autres aspects de notre être et est
en mesure de prendre des décisions contraires à toutes motivations.
Il est nécessaire de maintenir ce niveau de liberté parce que c’est
la seule liberté qui peut faire que nous puissions être tenus
responsables de nos actions. Ce point de vue a une longue histoire dans
la théologie chrétienne et une partie significative de l’église
primitive y a adhéré (ou bien à quelque position semblable) jusqu’au
temps d’Augustin, lors de la controverse Pélagienne.
Bien que la position libertarienne ait gagné en popularité dans les
milieux évangéliques modernes, les calvinistes modernes doivent
continuer à s’y opposer. Frame souligne à juste titre que cette vue est
l’objet de critiques très sévères.
Il donne plus de détails dans son livre, mais voici une liste de ces critiques qu’il prend plusieurs pages à exposer :
- L’Écriture ne l’enseigne d’aucune façon explicite. –
- L’Écriture n’établit jamais la responsabilité humaine sur la “liberté libertarienne” (c’est à dire, la liberté version “libertarienne”) ou, d’ailleurs, quelque autre forme de liberté. –
- L’Écriture n’indique pas que Dieu donnerait une quelconque valeur positive à la liberté libertarienne (ni même n’admet qu’elle existe). –
- L’Écriture ne juge jamais la conduite de quelqu’un par rapport à sa liberté libertarienne. –
- Dans les tribunaux civils, nous ne supposons jamais que la liberté libertarienne soit une condition de la responsabilité morale. –
- Les palais de justice assument normalement le contraire du libertarianisme, à savoir, que le comportement des criminels découle de motifs divers et variés. –
- L’Écriture contredit l’idée que seules les décisions sans cause sont moralement responsables. –
- L’Écriture nie aussi que nous avons l’indépendance exigée par la théorie libertarienne. –
- Le libertarianisme, par conséquent, viole l’enseignement biblique concernant l’unité de la personnalité humaine dans le cœur. –
- Si la liberté libertarienne est nécessaire à la responsabilité morale, alors Dieu n’est évidemment pas moralement responsable, car il n’est pas libre d’agir contre son propre caractère saint. –
- Le libertarianisme est essentiellement une généralisation très abstraite du principe “la capacité limite la responsabilité”. –
- Le libertarianisme est incompatible non seulement avec la prédestination divine de toutes choses, mais même avec sa connaissance des événements futurs. –
- De même que les théistes ouverts Pinnock et Ricer, les libertariens ont tendance à faire leur point de vue sur la volonté libre une vérité centrale non négociable, avec laquelle toutes les autres déclarations théologiques doivent être rendues compatibles. –
- Les défenses philosophiques du libertarianisme font souvent appel à l’intuition comme groupe de croyance au libre arbitre: chaque fois que nous sommes confrontés à un choix, nous pensons que nous pourrions choisir d’une façon ou d’une autre, même contre notre désir le plus fort. –
- Si le libertarianisme est vrai, Dieu a quelque peu limité sa souveraineté, afin de ne pas accomplir tout ce qui va arriver.
Article original publié sur le blog Nil Nisi Verum.
I) La réponse aux critiques: Six mythes au sujet du libertarianisme.
Le libertarianisme est aujourd’hui le
credo politique dont la progression est la plus rapide aux États-Unis.
Avant de juger et d’évaluer les mérites du libertarianisme, il est
essentiel de comprendre ce qu’il est, et surtout ce qu’il n’est pas. En
particulier, il convient de réfuter un certain nombre d’idées fausses
répandues (notamment auprès des conservateurs) à son sujet. Dans cet
essai, je vais énumérer, et soumettre à la critique, les mythes les plus
répandus au sujet du libertarianisme. Une fois ces mythes réfutés, les
lecteurs seront en mesure de discuter du libertarianisme, libres de
l’influence des idées fausses ; il sera alors possible de débattre de
cette philosophie, d’en évaluer les mérites et les démérites.
Mythe 1 : Les
libertariens croient que les individus sont des êtres socialement
isolés, hermétiques, insensibles aux influences extérieures
Pour fréquente que soit cette critique,
elle n’en reste pas moins surprenante. Au cours de mes lectures, je n’ai
jamais rencontré un auteur libéral soutenant une telle position. La
seule exception étant le fanatique Max Stirner, un individualiste
allemand du milieu du XIXe siècle, qui n’eut cependant qu’une influence
minime sur le mouvement libertarien. En outre, la philosophie de Stirner
selon laquelle « la Force Fait le Droit [Might Makes Right] » et son
rejet de tous les principes moraux, quels qu’ils soient, y compris celui
des droits individuels, qu’il qualifia d’ « illusion mentale », ne
permettent guère de l’inclure parmi les penseurs libéraux. Hormis
Stirner, cependant, aucun auteur libéral n’a soutenu une opinion
ressemblant, même de loin, à cette accusation fréquente.
Les libertariens, il est vrai, sont
individualistes, politiquement et méthodologiquement. Ils soutiennent
que seuls les individus pensent, préfèrent, agissent et choisissent. Ils
croient que les individus sont propriétaires de leur corps, et qu’ils
ont le droit de n’être pas victimes d’intrusion violente. Mais aucun
individualiste ne nie que les gens s’influencent les uns les autres, que
ce soit à propos de leurs buts, leurs valeurs, leurs désirs ou leurs
occupations. Comme F.A. Hayek le souligna dans son remarquable article,
« Le sophisme de l’effet de dépendance », la critique de la libre
entreprise que J.K. Galbraith énonça dans The Affluent Society,
reposait sur cette proposition : la science économique fait l’hypothèse
que les individus établissent seuls leurs préférences, qu’ils ne sont
pas influencés par d’autres. Au contraire, comme Hayek le souligna, tout
le monde sait que les gens ne déterminent pas seuls les valeurs
auxquelles ils sont attachés, mais qu’ils sont influencés dans leur
choix. Aucun libertarien ne nie que les individus s’influencent
constamment les uns les autres. Il n’y a rien à objecter à cette
tendance inévitable. Les libertariens ne s’opposent pas à la persuasion
volontaire, ni à la coopération et à la collaboration entre individus.
Ils s’opposent à l’imposition violente de valeurs par le biais du
pouvoir politique, et à la pseudo « coopération » imposée par l’État.
Mythe 2 : Les libertariens sont libertins. Ils sont hédonistes et courent après les modes de vie alternatifs
Irving Kristol a récemment défendu une
telle position. Kristol prétend que l’éthique libertarienne est
hédoniste, et que les libertariens « vénèrent la société de consommation
et tous les modes de vie alternatifs que la prospérité capitaliste met à
disposition des hommes. » En réalité, le libertarianisme n’est pas, et
ne prétend pas être, une théorie morale ou esthétique ; il n’est qu’une
théorie politique, un sous-ensemble de la théorie morale qui traite du
rôle de la violence en société. La théorie politique traite du rôle de
l’État, de ce qu’il doit faire ou ne pas faire ; l’État se distinguant
des autres groupes sociaux en ce qu’il organise la violence. Le
libertarianisme soutient que seule l’autodéfense peut justifier le
recours à la violence, et que l’emploi de la force devient illégitime,
injuste et criminel lorsqu’il dépasse cette limite. Le libertarianisme,
par conséquent, stipule que les violations des droits individuels sont
illégitimes et qu’une personne devrait être libre d’agir comme bon lui
semble à condition qu’elle respecte les droits d’autrui. La façon dont
une personne se comporte à l’intérieur de ces limites est d’une
importance cruciale, mais ne concerne pas le libertarianisme.
Il n’est donc pas surprenant que
certains libertariens soient hédonistes, adeptes de modes de vies
alternatifs, alors que d’autres adhèrent fermement à la moralité
bourgeoise et conventionnelle. Certains libertariens sont libertins ;
d’autres sont très attachés à la discipline imposée par les doctrines
religieuses. D’autres encore n’ont pour morale que celle imposée par
l’axiome de non-agression. Autrement dit, le libertarianisme, en
lui-même, ne prescrit aucune théorie morale générale ou personnelle. Il
n’offre pas de sagesse de vie ; ce qu’il offre, c’est la liberté, de
sorte que chacun puisse être libre d’agir selon ses propres principes
moraux. Les libertariens s’accordent avec Lord Acton lorsqu’il affirme
que « la liberté est la plus haute des fins politiques », mais pas
nécessairement la fin la plus haute sur l’échelle de valeurs de tous les
individus.
En revanche, il n’est pas contestable
que les économistes libertariens, partisans de la libre entreprise,
soient ravis lorsque le marché libre accroît l’éventail de choix à la
disposition des consommateurs, et augmente ainsi leur niveau de vie.
Sans aucun doute, l’idée que la prospérité est plus souhaitable que la
misère est une proposition morale, et a trait au champ plus large de la
théorie morale ; c’est malgré tout une proposition à laquelle je crois
fermement.
Mythe 3. Les libertariens ne
croient pas aux principes moraux ; ils se limitent à des analyses
coûts-avantages en supposant que l’homme est toujours rationnel.
Ce mythe est, bien sûr, lié à
l’accusation précédente d’hédonisme, et l’on peut en partie y répondre
de la même façon. Il existe en effet des libertariens, en particulier
les économistes de l’école de Chicago, qui refusent de croire que la
liberté et les droits individuels sont des principes moraux ; et qui
évaluent les politiques publiques à l’aune de leurs prétendus coûts et
avantages sociaux.
Tout d’abord, la plupart des
libertariens sont “subjectivistes” en économie, c’est-à-dire qu’ils
croient que le bien-être des individus ne peut être ni mesuré ni
additionné. De ce point de vue, les concepts de coûts ou d’avantages
sociaux sont illégitimes. De surcroît, l’existence de principes moraux,
du droit naturel sur sa personne et sa propriété, est centrale dans
l’argumentation de la plupart des libertariens. Par conséquent, les
libertariens soutiennent que la violence agressive, c’est-à-dire la
violation de ces droits, est absolument immorale, quels que soient les
personnes ou les groupes à l’origine de cette violence.
Loin d’être immoraux, les libertariens
appliquent simplement une éthique humaine universelle à l’État, de la
même manière que la plupart des gens appliqueraient cette éthique à
toutes les autres personnes ou institutions sociales. En particulier,
comme je l’ai souligné ci-dessus, le libertarianisme, en tant que
philosophie politique, applique sans crainte à l’État une croyance
éthique que la plupart d’entre nous entretenons à l’égard de la
violence. Les libertariens ne font aucune exception à la règle d’or
lorsqu’il s’agit de l’État. Les libertariens soutiennent qu’un meurtre
reste un meurtre, et qu’il ne peut pas être justifié par la raison
d’État s’il est commis par le gouvernement. Nous croyons qu’un vol reste
un vol et qu’il ne devient pas légitime si une bande organisée de
criminels le renomme « impôt ». Nous croyons que l’esclavage reste
l’esclavage même si l’institution qui l’applique l’appelle
« conscription ». En résumé, la clé de la théorie libertarienne, c’est
qu’elle applique à tous son éthique universelle, et ne fait pas
d’exception pour l’État.
Les libertariens sont donc loin d’être
indifférents ou hostiles à l’égard des principes moraux. Au contraire.
Ils sont les seuls prêts à étendre leur application aux activités de
l’État lui-même.
Il est vrai que les libertariens
permettent à chaque individu de choisir ses valeurs et d’agir en accord
avec elles. Autrement dit, les libertariens accordent à chaque personne
le choix de se comporter de façon morale ou immorale. La libertarianisme
s’oppose fermement à l’imposition à qui que ce soit (groupe ou
individu) de credo moraux par la violence, sauf, bien sûr, la
prohibition morale à l’égard de la violence elle-même. Mais nous devons
prendre conscience qu’aucune action ne peut être dite vertueuse sans
être entreprise librement, en l’absence du consentement volontaire de
l’individu. Comme le souligne Frank Meyer,
Ni la liberté ni la vertu ne peuvent
être imposées aux hommes. Dans une certaine mesure, il est vrai, l’on
peut les forcer à simuler la vertu. Mais la vertu est le fruit de la
liberté bien comprise. Et aucune action entreprise de force ne peut être
dite vertueuse (ou vicieuse).
Si un individu doit, par la contrainte,
agir d’une certaine façon, cela n’est plus un choix moral de sa part.
Une action ne peut être morale que si elle est librement entreprise ;
une action ne peut guère être dite « morale » si l’on est forcé de
l’entreprendre à la pointe d’un fusil. L’on ne peut donc pas prétendre
que l’imposition de conduites morales, ou l’interdiction de conduites
immorales, répandent de quelque façon que ce soit la vertu ou la morale.
Au contraire, la coercition atrophie la moralité car elle ôte la
liberté de choix individuelle, la liberté d’agir de façon morale ou
immorale. Paradoxalement, donc, la coercition prive les individus de
l’opportunité de se comporter de façon morale.
Il est donc particulièrement grotesque
de vouloir mettre entre les mains de l’État (qui n’est rien de moins que
l’organisation qui regroupe les policiers et les soldats) la garde
légale de la morale. Donner à l’État la responsabilité d’assurer l’ordre
moral revient à donner à un renard la charge d’un poulailler. Quelle
que soit l’opinion que l’on puisse avoir des personnes à la tête de
l’État (en charge d’organiser la violence en société), l’on doit
reconnaître qu’elles ne se sont jamais distinguées par leur probité
morale ou par leur soin à appliquer les principes moraux.
Mythe 4. Le libertarianisme est athée et matérialiste. Il néglige la spiritualité humaine.
Il n’existe aucune connexion nécessaire
entre la position que l’on adopte à l’égard du libertarianisme et ses
propres opinions religieuses. Certes, la plupart des libertariens
contemporains sont athées, mais cela doit être mis en perspective avec
le fait que la plupart des intellectuels, quelles que soient leurs
tendances politiques, sont également athées. Beaucoup de libertariens
sont croyants : juifs ou chrétiens par exemple. L’on compte de nombreux
croyants parmi les penseurs libéraux, ancêtres du libertarianisme : de
John Lilburne, Roger Williams, Anne Hutchinson, et John Locke, pour le
dix-septième siècle, à Cobden et Bright, Frédéric Bastiat et les
libéraux français, et enfin l’illustre Lord Acton.
Les libertariens croient que la liberté
est un droit naturel, une composante centrale de la loi naturelle en
accord avec l’essence de l’homme. L’origine – naturelle ou divine – de
cet ensemble de lois naturelles est une question importante du point de
vue ontologique, mais elle n’est pas pertinente pour la philosophie
politique ou sociale. Comme le dit le Père Thomas Davitt, « Si le terme
« naturel » est signifiant, il se rapporte à la nature humaine, et
lorsqu’il est accolé au mot « loi », le mot « naturel » renvoie à un
ordre manifesté dans les inclinations de la nature humaine. Par
conséquent, il n’y a rien d’intrinsèquement religieux ou théologique
dans la notion de « Loi Naturelle » de Thomas d’Aquin. » Ou, comme
D’Entrèves l’écrit à propos du juriste protestant hollandais du XVIIe
siècle Hugo Grotius :
« La définition que donne Grotius de la loi naturelle [natural law] n’a rien de révolutionnaire. Lorsqu’il soutient que la loi naturelle est l’ensemble des règles que l’homme est capable de découvrir par l’usage de sa raison, il ne fait rien d’autre que reformuler l’idée scolastique selon laquelle l’éthique aurait un fondement rationnel. En fait, son but est même de réhabiliter cette idée, menacée par l’Augustinisme extrême de certaines écoles de pensée protestantes. Lorsqu’il affirme que ces règles sont intrinsèquement valides et indépendantes de la volonté divine, il reprend une thèse déjà énoncée par les penseurs de l’École. »
Les libertariens ont été accusés
d’ignorer la nature spirituelle de l’homme. Mais on peut facilement
parvenir à des conclusions libertariennes en partant de prémisses
religieuses ou chrétiennes : mettre en évidence l’importance de
l’individu, de son libre arbitre, des droits naturels et de la propriété
privée. Mais on peut également parvenir à ces propositions en adoptant
une approche areligieuse, fondée sur la loi naturelle [natural law],
édictant la croyance que l’homme peut parvenir à une compréhension
rationnelle de la loi naturelle [natural law].
De plus, historiquement, il n’est en
aucun cas certain que la religion soit un fondement plus solide pour
parvenir à des conclusions libertariennes. Comme Karl Wittfogel le
rappelle dans son livre Oriental Despotism, l’alliance du trône
et de l’autel a permis pendant des siècles d’asseoir le règne du
despotisme sur la société. Historiquement, l’alliance de l’Église et de
l’État a été, dans bien des cas, une coalition tyrannique réciproque.
L’État s’est servi de l’Eglise pour sanctifier et prêcher l’obéissance à
sa loi prétendument divine ; l’Eglise s’est servie de l’État pour
obtenir des ressources financières et des privilèges. Les anabaptistes
ont exercé une autorité collectiviste et tyrannique sur le Munster au
nom de la religion chrétienne. Et, plus proche de nous, le socialisme
chrétien et le catéchisme social ont joué un rôle majeur dans
l’émergence de l’étatisme. Quant au rôle apologétique de l’Eglise
orthodoxe dans la Russie soviétique, il n’est plus à prouver. Certains
prêtres catholiques en Amérique Latine ont même prétendu que le Salut ne
pouvait venir que du marxisme ; et, si j’étais impertinent, je
soulignerais que le Révérend Jim Jones, non content d’être léniniste, a
également prétendu être la réincarnation de Jésus.
Par ailleurs, maintenant que l’échec du
socialisme a été prouvé politiquement et économiquement, les socialistes
font désormais appel à des arguments moraux et spirituels. Le
socialiste Robert Heilbroner, au cours d’une argumentation visant à
justifier le caractère nécessairement coercitif du socialisme et
l’imposition d’une morale collective à la société, affirme que « la
culture bourgeoise n’est concernée que par la réussite matérielle des
individus. La culture socialiste, elle, doit être concernée par leur
réussite morale et spirituelle. » Curieusement, Dale Vree, l’auteur conservateur et chrétien de la National Review, a totalement approuvé la position de Heilbroner. Selon Vree :
Heilbroner reprend en vérité une
thèse soutenue depuis vingt-cinq ans par la plupart des contributeurs de
la National Review : la liberté et la vertu sont inconciliables.
Traditionnalistes, prenez-en note. Malgré sa terminologie discordante,
Heilbroner s’intéresse à la même chose que vous : la vertu.
Vree est également fasciné par la
position d’Heilbroner selon laquelle une culture socialiste doit
« promouvoir la primauté du collectif », plutôt que « la primauté de
l’individu. » Il cite l’opposition que Heilbroner dresse entre la
réussite « morale et spirituelle » du socialisme et la réussite
« matérielle » bourgeoise, et ajoute fort justement : « cette
affirmation a des accents familiers ». Vree applaudit ensuite l’attaque
que Heilbroner lance contre le capitalisme parce que la notion de
« bien » est étrangère à ce système économique, et qu’il « laisse les
adultes consentants se comporter comme bon leur semble ». Contrairement à
cette liberté permissive et cette diversité, Vree note que « la
position de Heilbroner est séduisante. La notion de « bien » est
consubstantielle au socialisme, et une société organisée selon ces
principes ne tolèrera pas tous les comportements ». Parce que selon lui
« le collectivisme économique et l’individualisme culturel sont
incompatibles », Vree défend une nouvelle alliance du socialisme et du
traditionalisme, un collectivisme à tous les niveaux.
Il faut souligner ici que le socialisme
devient particulièrement despotique lorsqu’il entend remplacer les
incitations matérielles et économiques par de prétendues incitations
morales, quand il prétend promouvoir la « qualité de vie » (quel que
soit le sens que l’on donne à cette expression) plutôt que la prospérité
économique. Lorsque l’on considère la croissance des salaires réels,
l’on se rend compte que les individus jouissent de plus de liberté et
d’un niveau de vie plus élevé. En réalité, la dévotion altruiste que le
people voue à la mère patrie socialiste doit régulièrement être
réaffirmée par le fouet. Mettre l’accent sur les incitations
individuelles matérielles revient inéluctablement à mettre l’accent sur
la propriété privée, et sur le caractère sacré du fruit de ses efforts.
Cela, en retour, renforce la liberté personnelle, comme l’illustre le
contraste entre la Yougoslavie et la Russie soviétique ces trois
dernières décennies. Le plus effroyable despotisme que la terre ait
porté ces dernières années fut sans aucun doute celui de Pol Pot, et le
régime cambodgien alla si loin dans sa haine du matérialisme qu’il
décida d’abolir l’usage de la monnaie. L’abolition de la monnaie et de
la propriété privée rendirent les individus entièrement dépendants des
rations de subsistance que l’État leur versait, et la vie devint un
enfer. Nous devrions être prudents lorsque nous méprisons la vie et les
objectifs matériels.
L’accusation de matérialisme dirigée à l’encontre de l’économie de marché ignore le fait que toutes les actions
humaines, quelles qu’elles soient, nécessitent la transformation
d’objets matériels par l’utilisation de l’énergie humaine, en accord
avec les idées et les buts de l’individu qui agit. Il est absurde de
séparer le « mental » ou le « spirituel » du « matériel ». Toutes les
grandes œuvres d’art, les grandes émanations de l’esprit humain, sont
nées de l’utilisation d’objets matériels : toiles, brosses et
peintures ; papier et instruments de musique ; pierres et matières
premières pour construire les églises. En réalité il n’y a pas
d’opposition entre le « spirituel » et le « matériel », et par
conséquent, le despotisme qui paralyse la production matérielle doit
paralyser la production spirituelle.
Mythe 5. Les libertariens sont des utopistes. Ils
croient que tous les individus sont vertueux, et que, par conséquent,
le contrôle étatique n’est pas nécessaire. Les conservateurs ajoutent
souvent que, puisque l’Homme est naturellement malveillant (au moins
partiellement), une forte régulation étatique est socialement
nécessaire.
Cette croyance à propos du
libertarianisme est fort répandue. Il est pourtant difficile d’en
comprendre l’origine. Rousseau, le principal défenseur de l’idée que
l’homme est bon par nature mais corrompu par ses institutions, n’était
guère libertarien. Hormis les écrits romantiques de quelques
anarcho-communistes, que je ne considérerais en aucun cas comme
libertariens, je n’ai jamais rencontré d’auteurs libertariens (ou
libéraux classiques) qui aient défendu cette idée. Au contraire, la
plupart des auteurs libertariens soutiennent que l’homme est à la fois
moralement bon et mauvais, et que, par conséquent, il est important pour
les institutions sociales d’encourager les conduites morales et de
décourager les conduites immorales. L’État est la seule institution
sociale capable d’utiliser la violence pour obtenir son revenu et sa
richesse ; toutes les autres doivent soit vendre des produits ou des
services sur le marché, soit recevoir des dons volontaires. L’État est
également la seule institution capable d’utiliser les ressources
provenant du vol organisé pour réguler la vie économique et contrôler la
propriété des individus. Par conséquent, l’institution étatique est,
pour les escrocs, un moyen sanctifié et socialement légitimé de
commettre des vols légalisés et d’exercer un pouvoir dictatorial.
L’étatisme exhorte donc l’immoralité et le caractère criminel de
l’homme. Comme Frank Knight l’a dit d’un ton incisif : « la probabilité
que les gens au pouvoir soient des individus averses à la possession et à
l’exercice du pouvoir est à peu près équivalente à la probabilité
qu’une personne extrêmement affectueuse et attentionnée ait pour
fonction de fouetter les esclaves dans une plantation. » Une société
libre, ne mettant pas de moyens légitimés à disposition des hommes pour
commettre des exactions, décourage les tendances criminelles de la
nature humaine et encourage les échanges pacifiques et volontaires. La
liberté et l’économie de marché découragent le racket et encourage
l’harmonie sociale et les bénéfices mutuels des échanges volontaires,
qu’ils soient économiques, sociaux ou culturels.
Puisqu’un système de liberté
encouragerait les échanges volontaires, découragerait les actes
criminels, et supprimerait la seule voie légitimée pour commettre des
crimes et des agressions, nous pourrions nous attendre à ce qu’une
société libre soit moins affectée par les crimes et la violence que nos
sociétés actuelles, bien que l’on ne puisse pas affirmer qu’ils
disparaîtraient complètement. Ce n’est pas de l’utopie, c’est la
conséquence, relevant du bon sens, du changement de ce qui est perçu
comme socialement légitime et du changement de la structure sociale des
récompenses et des punitions.
Envisageons notre thèse sous un autre
angle. Si tous les hommes étaient bons et qu’aucun d’eux n’avait de
penchants criminels, l’État serait superflu, comme les conservateurs le
reconnaissent. Mais si, à l’inverse, tous les hommes étaient
malveillants, alors, la défense de l’État n’en serait pas moins
délicate : pourquoi supposer que les membres du gouvernement, ceux qui
détiennent les armes et le pouvoir d’agression, seraient-ils par
extraordinaire exempts de ces vices ? Tom Paine, un libertarien
classique, dont les positions sur la nature humaine sont souvent
considérées comme naïvement optimistes, a réfuté l’argument reposant sur
la malveillance humaine avancé par les conservateurs pour justifier un
État fort. Selon lui « Si la nature humaine est corrompue, il est
superflu de renforcer la corruption en mettant sur le trône une
succession de rois, qui, quelle que soit leur légitimité sociale, sont
désignés pour gouverner » Et Paine d’ajouter : « Aucun homme depuis la
Chute n’a été suffisamment vertueux pour assumer la charge du pouvoir. »
Et comme le libertarien F.A. Harper l’écrivit un jour :
« Le principe selon lequel l’autorité
politique est nécessaire en raison de la malveillance humaine implique
que cette autorité soit étendue à toutes les sphères de l’activité
humaine. La société entière serait ainsi dirigée par un seul homme. Mais
qui officierait alors en tant que dictateur ? Puisque tous les
individus sont malveillants, il n’y a aucune raison pour que le
dictateur ne le soit pas, quelles que soient les procédures qui le
désignent. La société serait alors dirigée par un tyran totalement
malveillant, entre les mains duquel seraient concentrés tous les
pouvoirs. Comment serait-il alors possible que cet arrangement
n’engendre pas de déplorables conséquences ? En quoi un arrangement de
cette sorte pourrait-il être meilleur qu’une société sans aucune
autorité politique ? »
Enfin, puisque, comme nous
l’avons vu, les hommes sont en vérité à la fois bons et mauvais, une
société libre encourage le bien et décourage le mal, tout du moins au
sens où le volontaire et le mutuellement bénéfique sont bons, et où le
criminel est mauvais. Aucune théorie de la nature humaine, qu’elle
suppose la vertu, le vice, ou un mélange des deux,
ne peut justifier l’étatisme. Le penseur libéral F.A. Hayek, au cours
d’une argumentation visant à nier son conservatisme, souligna que :
« L’attrait principal de l’individualisme, [que défendaient Adam Smith
et ses contemporains] est d’être un système au sein duquel les hommes
mauvais peuvent le moins nuire. C’est un système social dont le bon
fonctionnement ne dépend pas de la valeur morale des hommes qui le
composent, mais qui fait usage des hommes dans toute leur variété et
leur complexité.
Il est important de souligner ce qui
différencie les libertariens des utopistes (au sens péjoratif du terme).
Le libertarianisme n’a pas pour but de remodeler la nature humaine. En
revanche, l’un des objectifs principaux du socialisme est de créer (en
pratique en utilisant des méthodes totalitaires) l’Homme Nouveau acquis
au socialisme, un individu dont la fin ultime serait de travailler avec
diligence et altruisme au service du collectif. Le libertarianisme est
une philosophie politique qui affirme que, quelle que soit la nature
humaine, un système politique moral et efficace ne peut être fondé que
sur la liberté. Le libertarianisme, autant que n’importe quel autre
système politique, sera bien sûr d’autant plus efficace que les gens qui
le composent seront pacifiques et peu enclins aux activités criminelles
ou agressives. Les libertariens, comme la plupart des gens, aimeraient
vivre dans un monde sans criminel et peuplé d’individus bienveillants.
Mais cela n’est pas l’élément constitutif de la doctrine libertarienne,
qui affirme que, quelque moral ou immoral que puisse être l’homme, la liberté est préférable.
Mythe 6. Les libertariens croient que les individus sont les meilleurs juges de leurs propres intérêts.
Tout comme l’accusation précédente
soutenait que les libertariens croient que tous les hommes sont
parfaitement bons moralement, ce mythe accuse les libertariens de croire
que tous les individus sont parfaitement raisonnables. Dans la mesure
où la plupart des gens ne le sont pas, les critiques du libertarianisme
affirment donc que l’État doit intervenir.
Mais les libertariens ne supposent pas
plus la sagesse absolue qu’ils supposent la perfection morale. Certes,
affirmer que la plupart des gens sont meilleurs juges que des tiers de
leurs propres besoins et de leurs propres objectifs relève du bon sens.
Mais le libertarianisme ne suppose pas que cela soit toujours le cas.
Les libertariens soutiennent plutôt que tous les individus devraient
avoir le droit de poursuivre leur propre intérêt comme ils l’entendent.
Les libertariens défendent la liberté d’action dans la limite du respect
des droits de propriété d’autrui, mais n’affirment pas que toutes les
actions sont nécessairement raisonnables.
Il est vrai, en revanche, que sur le
marché libre, les gens sont libres de s’orienter vers des experts
capables de leur donner des conseils sur la façon dont poursuivre au
mieux leurs intérêts. Comme nous l’avons vu plus haut, les individus ne
sont pas des êtres socialement isolés, hermétiquement séparés les uns
des autres. Car sur le marché libre, si les individus doutent de ce que
pourrait être leurs propres intérêts, ils sont libres d’embaucher ou de
consulter des experts, qui, en raison de leurs compétences, seront
capables de les orienter. Sur le marché libre, les individus peuvent
faire appel à ces experts, et continuellement tester la justesse et
l’utilité de leurs conseils. Par conséquent, sur le marché, les
individus tendent à se tourner vers les experts dont les conseils sont
les plus efficaces. Le marché libre récompensera les bons médecins, les
bons avocats, les bons architectes, et dévalorisera les moins
compétents. L’expert de l’État, en revanche, acquiert ses revenus par
l’imposition des contribuables. Aucun filtre marchand n’existe pour
évaluer sa capacité à conseiller chacun dans le sens de ses véritables
intérêts. La seule compétence qu’il doit posséder, c’est celle qui
consiste à obtenir le soutien de l’appareil coercitif de l’État.
L’expert privé aura d’autant plus de
succès qu’il satisfera les besoins des gens, alors que l’expert de
l’État aura d’autant plus de succès qu’il parviendra à obtenir des
faveurs politiques. Par ailleurs, l’expert de l’État n’a aucune raison
d’être plus vertueux que les autres ; sa seule supériorité résidant dans
ses capacités à obtenir les faveurs de ceux qui exercent le pouvoir
politique. Mais il existe une différence cruciale entre les deux : des
incitations pécuniaires poussent l’expert privé à prendre soin de ses
clients ou de ses patients. Aucune incitation de cette sorte n’existe
pour l’expert de l’État ; il obtient ses revenus quels que soient ses
résultats. Par conséquent, pour le consommateur individuel, le marché
libre est un arrangement économique préferable.
J’espère que cet essai a contribué à
réfuter les mythes et les idées reçues qui entourent le libertarianisme.
Les conservateurs (et les autres) doivent comprendre que les
libertariens ne croient pas que les individus sont tous moralement bons
ou meilleurs juges de leurs propres intérêts, ni qu’ils sont socialement
isolés les uns des autres. Les libertariens ne sont pas nécessairement
hédonistes ou libertins, ils ne sont pas non plus forcément athées ; ils
croient à l’existence de principes moraux. Procédons désormais à un
examen précis du libertarianisme, tel qu’il est réellement, sans que
notre jugement soit biaisé par ces mythes et ces légendes. Examinons
objectivement les arguments en faveur de la liberté. Je crois fermement
que, lorsque cela sera fait, cette philosophie verra le nombre de ses
adhérents croître de façon importante.
Notes
- John Kenneth Galbraith, The Affluent Society (Boston: Houghton Mifflin, 1958); F. A. Hayek, « The Non-Sequitur of the ‘Dependence Effect,’ » Southern Economic Journal (Avril, 1961), pp. 346-48.
- Irving Kristol, « No Cheers for the Profit Motive, » Wall Street Journal (21 Fev., 1979).
- Pour une defense de l’application des critères éthiques universels à l’État, voir Pitirim A. Sorokin et Walter A. Lunden, Power and Morality: Who Shall Guard the Guardians? (Boston: Porter Sargent, 1959), pp. 16-30.
- Frank S. Meyer, In Defense of Freedom: A Conservative Credo (Chicago: Henry Regnery, 1962), p. 66.
- Thomas E. Davitt, S.J., « St. Thomas Aquinas and the Natural Law, » in Arthur L. Harding, ed., Origins of the Natural Law Tradition (Dallas, Tex: Southern Methodist University Press, 1954), p. 39
- A. P. d’Entrèves, Natural Law (London: Hutchinson University Library, 1951), pp. 51-52.
- Karl Wittfogel, Oriental Despotism (New Haven: Yale University Press, 1957), esp. pp. 87-100.
- Sur ce sujet et sur la question des sectes chrétiennes en général, voir Norman Cohn, Pursuit of the Millenium (Fairlawn, N.J.: Essential Books, 1957).
- Dale Vree, « Against Socialist Fusionism, » National Review (8 décembre, 1978), p. 1547. L’article de Heilbroner se trouve dans Dissent, été 1978. Pour davantage d’informations au sujet de l’article de Vree, voir Murray N. Rothbard, « Statism, Left, Right, and Center, » Libertarian Review (Janvier 1979), pp. 14-15.
- Journal of Political Economy (December 1938), p. 869. Cité in Friedrich A. Hayek, The Road to Serfdom (Chicago: University of Chicago Press, 1944), p. 152.
- « The Forester’s Letters, III, »(orig. in Pennsylvania Journal, Apr. 24, 1776), in The Writings of Thomas Paine (ed. M. D. Conway, New York: G. P. Putnam’s Sons, 1906), I, 149-150.
- F. A. Harper, « Try This On Your Friends », Faith and Freedom (Janvier, 1955), p. 19.
- F. A. Hayek, Individualism and Economic Order (Chicago: University of Chicago Press, 1948). Hayek a mis à nouveau l’accent sur ce point dans son essai « Why I Am Not a Conservative, » The Constitution of Liberty (Chicago: University of Chicago Press, 1960), p. 529.
Traduction de Geoffroy Le Gentilhomme, Institut Coppet
Par Murray N. Rothbard - Institut Coppet