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décembre 04, 2025

Jean-Victor Verlinde à découvrir, une première !!

L'Auteur Jean-Victor Verlinde co-anima durant plusieurs années l'émission " A rebrousse-poil " sur Radio Libertaire . Jean-Victor a donc retenu un certains nombre de thèmes toujours actuels ( hélas ! ) qui constituent l'essentiel de son livre : 

" L'ordre mon cul ! La liberté M'habite "

  • Éditeur
    ESPRIT FRAPPEUR

Résumé :

Tous les prétextes sont bons pour faire de nous ce qu'on voudra, soldats, travailleurs, capitalistes, consommateurs, mais pas des êtres libres. Le refus de l'ordre n'est pas nécessairement le désordre, et les anarchistes ne sont ni des aigris ni des rêveurs, qui disent simplement qu'il est temps pour chacun de vivre comme il l'entend, comme il l'aura décidé, parce que la vie n'est pas éternelle. Et qu'il vaut mieux dire non que se taire. Plus qu'un livre, un acte de résistance.  

 


 Sommaire:


L'ordre mon cul:

Au bout du jardin
Les lapins
L’impératif
Sanctuaires
Utiles
Fourrures et Whisky

La Liberté m’ habite:

Les choses
La clé
Baguette magique
Fantaisies
Coup de main
Désobéissance

Avant-propos

L’émission À rebrousse-poil, sur radio Libertaire (89.4 FM en Île-de-France), fut une histoire de rencontre, de constat,de désir... La rencontre, c’est celle de deux anars sous les frondaisons qui entourent le crématorium du Père-Lachaise tandis que ce qui n’était déjà plus Paul Chenard s’élevait dans le seul ciel qui soit, celui où le soleil, les hirondelles et les fumées s’indiffèrent de nos peines. Le constat était que l’uniformisation médiatique, la com plaisante soumission aux vulgarités du moment et la triomphale médiocrité savamment entretenue avaient tragiquement réduit la réflexion des individus, le dynamisme des débats et la possibilité pour chacun de se forger une intelligence - c’est-à-dire une capacité à comprendre- autonome. Autre constat: nous ne pou­vions plus laisser à nos aînés le soin de résister par l’o­riginale et féconde insolence des anarchistes; nous devenions les aînés! Notre désir était alors d’opposer aux paresses de l’esprit, aux facilités des clichés et aux réflexes condi­tionnés, l’iconoclaste pertinence de la pensée libertaire, le refus de tout automatisme, d’où qu’ü vienne, la chas­ se à toutes les «vaches sacrées», même celles qui pais­sent et s’engraissent dans nos propre sespaces. Et de décembre 1995 à décembre 1999, À rebrousse- poil a continué d’être une histoire de rencontre, de constat, de désir. La rencontre d’auditrices et d’auditeurs dont le nombre et la fidélité n’a cessé de nous sur­prendre et de nous émouvoir, le constat partagé que rien n’est jamais acquis et qu’il y a toujours à lutter pour préserver la vigilance, la lucidité et l’intelligence contre toutes les simplifications, tous les mensonges, toutes les prises de pouvoir, et le désir d’être nombreux de chaque côté du poste pour mener ce combat.
L’amicale et attentive exigence des auditrices et auditeurs, abondamment manifestée par les appels téléphoniques et le courrier, m ’a incité à vaincre ma pares­se et à explorer avec eux, de semaine en semaine, cette iconoclaste pertinence. Durant ces quatre années, j’ai été leur furet, le bout ferré de leur canne, la pointe de leur crayon.
Les pages qui suivent sont leurs. Qu’on n’y cherche ni une critique exhaustive de cette société ou de ce temps, ni un manifeste libertaire intégral. Je n’y ai regroupé qu’un certain nombre de thèmes que nous avions explorés ensemble. Si j’ai pu - l’ai-je vraiment pu ? - y rendre les fruits de cette féconde exploration, si j’ai pu ajouter les idées qu’ils m ’ont soufflées - je leur en dois tellement ! - , je sais qu ’il y a une chose que je ne pourrais jamais restituer : l’ immense plaisir que j’ai pris, grâce à elles et eux, à cette aventure.
Jean


P.-S. :À rebrousse-poil est un emprunt fait à Pierre- Valentin Berthier qui titrait ainsi une rubrique régulière du Monde libertaire dans les années soixante.­

 L'ordre mon cul

 Au bout du jardin


N'était quelques-uns, pas mal même, il y a vingt-cinq ans, à juger que nos pieds n’étaient pas faits pour aller tous les jours au même endroit, que nos épaules étaient mieux faites pour porter le sac que le bleu ou le costard, et qu’il était meilleur pour nos pou­ces de les agiter au bord des routes plutôt que de les poser sur les comm andes d’un étau-limeur ou la barre d’espacement d’un clavier... Comme on était sur le bord d’un continent, on trouvait qu’il serait sympa d’al­ler voir l’autre bout. Comme on va au bout de son jar­din... Ce n’était même pas une expérience initiatique, juste un désir de voir comment c’est fait de l’autre côté, comment on y vit. Et c’était de toute façon mieux que d’aller tous les jours au chagrin...


Pour ma part, j’étais passé par l’Autriche puis un bout d’Italie avant d’arriver à Lubjana. Ensuite descen­te vers la côte Adriatique jusqu’à l’Albanie que j’avais préféré éviter en faisant le tour par le nord. J’ai quitté la côte à Split pour passer par Mostar. Ensuite Sarajevo, Pristina, Skopjé. Là, plein sud jusqu’à Salonique, et à nouveau plein est. Istanbul, Ankara, Mossoul, à la frontière irakienne, puis Bagdad, et Bagdad-Bassora avec un étonnant train qui longeait une route et des pipe-lines le long de la frontière irako- iranienne et passait parfois d’un côté, parfois de l’autre.Tout le monde s’en foutait de cette frontière, vu que c’est un désert. À Bassora, plein est pour arriver à Chiraz,en Iran, à proximité de Persépolis. Puis longue  remontée nord-est vers le lac Amoun, deuxième grande étape magique de cet itinéraire : la première était Istanbul, où l'on quitte l’Europe pour le Moyen-Orient. Ici commence l'Orient, les abords de la chaîne himalayenne, les sources du Gange... Du lac Amoun à Kaboul en Afghanistan, puis Islamabad au Pakistan et ensuite Lahore, la frontière indienne, et New-Delhi, Benarès, là vallée du Gange jusqu’à Calcutta... À Calcutta, nous étions, avec 10000 bornes dans les pat­tes, au bout de notre jardin. Nous y étions ravis et heu­reux. Ç’avait été 10000 kilomètres de liberté et de fraternité...C’était il y a vingt-cinq ans.


Aujourd’hui, Mostar est un charnier, Sarajevo un champ de ruines, Pristina soumise à l’épuration eth­nique, Skopjé étouffe sous les réfugiés et sous les ser­gents recruteurs de l’UCK, Istanbul et Ankara sont sous contrôle de l’armée turque, le passage Ankara-Mossoul est impossible à la suite de la guerre du Golfe et le train qui se foutait des frontières s’est arrêté : la voie est désormais remplacée par un champ de mines. De mines et de cadavres d’enfants envoyés devant les troupes pour sauter sur ces mines. À Chiraz, les « gar­diens de la Révolution » veillent à ce que les Occidentaux n’aient pas de relation avec les «musul­mans » - puisqu’ils ont décrété que tout Iranien est musulman - et, a fortiori, avec les musulmanes. Un citoyen allemand, entre autres, a été jeté dans les geô­les de la République islamiste d’Iran pour avoir eu une « relation » avec une Iranienne; nous ignorons ce qu’il est advenu de cette femme... Ces gardiens de la Révolution ne sont ni des militaires, ni des policiers, juste des militants qui ont une foi et une conscience de bien faire. Et même de faire le bien... À Kaboul et à Islamabad les livres, les journaux et la télévision sont interdits. Les femmes ne peuvent aller à la faculté; pas même à l’hôpital... Lahore, Delhi, Bénarès, Calcutta  sont régulièrement le théâtre d’émeutes inter-ethniques et inter-religieuses qui font des centaines de victimes. Ces 10000 kilomètres de paix, de liberté et de fraterni­té sont devenus, en moins de vingt-cinq ans, 10000 kilomètres de haine et de peur...
Les lutteurs de classes aux yeux fixés sur la ligne bleue des lendemains qui chantent, les internationalis­tes qui demain seront le Genrumain, tous ceux que la guerre sociale galvanise ne manquent pas d’explications. Elles n’en sont pas moins des passe-partout qui laissent impuissant à comprendre. Ces massacres, ces guerres, ces haines ne sont pas le fait du Grand Capital avide de faire transpirer de la plus-value aux prolé­taires. L’ignorance et le péril sanitaire des Afghanes et des Pakistanaises n’apportent pas de plus-values.
Le poison qui sème l’horreur, le malheur, la souf­france du Sud-Est asiatique jusqu’aux frontières de l’Italie n’est pas le capital, même dans sa version nou­vel ordre mondial. Ce poison est le fait d’hommes (et peut-être de femmes?) qui se reconnaissent dans une identité. Ils revendiquent cette identité et veulent que l’autre prie comme eux prient. Ils veulent que l’autre mange comme eux mangent. Ils veulent que l’autre tue l’animal comme eux tuent l’animal. Ils veulent que l’au­tre baise comme eux baisent (Je dis bien baise; je ne peux imaginer qu’ils fassent l’amour). Ils veulent que l’autre élève ses enfants com m e eux les élèvent (je n’i­magine pas non plus qu’ils les éduquent). Ils ne veulent pas que l’autre foule la terre où est enterré leur père.
Pendant l’intervention au Kosovo,j’ai entendu deux intellectuels remonter le temps: «mais en1914...mais en1889...mais aux XI ème siècle...» Ils sont allés comme ça jusqu’à la présence des Iléniens, au VI ème siècle, pour savoir qui était légitimement l’occupant de ce territoire.
Ce poison, c’est le communautarisme. C’est l’assi­gnation de l’individu à une identité collective, à une  communauté. Est-il nécessaire, avant de convivre avec quelqu’un, de savoir si son père, son grand-père, son arrière-grand-père étaient là en même temps que les nôtres? Faut-il que pour vivre légitimement quelquepart on y fût précédé par un aïeul? Suis-je, moi qui ne prie pas, l’ennemi de celui qui prie? Sommes-nous adversai­res ou alliés selon que notre quarante-sixième chromo­some est X ou Y? Il ne suffirait donc pas d’avoir des choses à vivre et à partager ensemble? Ou même à ne pas partager, mais simplement convivre dans l’indiffé­rente tolérance — ou la tolérante indifférence. En tout cas dans l’absolue indifférence pour nos différences.

« Pourquoi toujours : Canailles*qui déclarez la guerre et jamais: Crétins qui consentez à la faire.»
Manuel Delvaldès


Gloire et honneur aux déserteurs de toutes les guer­res, aux réfractaires de toutes les patries, aux insoumis de toutes les causes. J’insiste, insoumis de toutes les causes. Aucune ne vaut que l’on fasse ce qu’on ne veut pas faire. Aucune ne justifie le sacrifice de sa liberté, de son autonomie de jugement et d’action, fut-ce au nom d ’un avenir. De la même façon qu ’un passé sacré ne justifie jamais qu’on sacrifie sa liberté et celle d’autrui, l’a­venir ne le justifie pas non plus.
De l’Irak au Kosovo, de la Tchétchénie au Rwanda, et, plus tôt, dans l’Algérie du maintien de l’ordre comme dans celle de la libération nationale, mes seules pensées, mes seules émotions, mes seuls élans n’ont été que pour les victimes. Et encore ! Uniquement les victimes sans uniforme ! Celles qui voulaient juste vivre en paix avec leurs voisins, cultiver et bouffer peinard leurs carottes, faire l’amour. Seulement les victimes  civiles — les autres ont ce qu’ils voulaient donner. Et pour les déserteurs. Ceux qui ont refusé d ’être des crétins complices de canailles. Qui ont refusé l’obéissance, cette lâcheté particulière qu’on honore devant les monuments aux morts. S’il y a des héros de guerre, c’est bien uniquement ceux-là.
Quand le II novembre1998, le Premier ministre Jospin rend hommage aux mutins de 17, c’est aux déserteurs de 14 que je pense. Ceux de 1917 ont fait la guerre pendant trois ans. Ils se sont mutinés parce qu’elle durait trop longtemps, parce que leurs chefs étaient mauvais (a-t-on jamais vu de bons chefs de guer­re!). C’étaient seulement des crétins lassés. Et c’est parce qu’ils restaient, même lassés, des crétins, qu’un ministre pouvait les honorer. Jamais, au grand jamais, un homme politique ,un dirigeant de quoique ce soit (et je dis bien de quoi que ce soit; nous y verrons bien les leaders de la «révolution » !) n’honorera les seuls vrais hommes courageux, les seuls vrais hommes honorables de toute guerre : ceux qui n ’y  vont pas. La désertion est l’acte premier d’un homme libre, pas seulement parce qu’il refuse de tuer ses semblables, mais parce qu’il refuse de se soumettre à un ordre, d’abdiquer sa volonté. Voilà pourquoi jamais un dirigeant ne les honorera.
Le 31 juillet 1914 Jean Jaurès était assassiné. Il était contre la guerre et souhaitait que tous les êtres humains fraternisent par-delà les frontières. Il le vou­lait encore en pleine période, non de menace de guerre, mais de guerre «à nos portes». Il le voulait contre tous les pseudo-pacifistes, contre les pseudos ou même réels - démocrates souteneurs de droits de l’homme qui soudainement comprirent «les nécessités», la «raison supérieure...» Il le voulait contre ce comble de la honte présentée en vertu qui prétend que la désertion est une collaboration au crime. Il le voulait jusqu’à son dernier souffle, Il venait de boucler l’éditorial de L'Humanité dans lequel il affirmait encore qu’il ne se soumettrait pas à ces prétendues raisons. Que disait même pas que la guerre était la plus mauvaise des solutions; Il savait qu’elle n’appartient pas à la catégorie des solutions...
Lors de ses obsèques, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes, chantant L’Internationale en défilant derrière le catafalque, reprenaient cette phrasé: «Ils sauront bientôt que nos balles sont pour nos propres généraux.» Quelques jours après, ces mêmes hommes, acclamés par les mêmes femmes, montaient à la gare de l’Est en criant «NachBerlin».Et qu’on ne me dise pas que ce ne sont pas les mêmes. Ils étaient des dizaines de milliers derrière la dépouille de Jaurès; ils n’ont jamais été des dizaines de milliers à ne pas se soumettre ou à se mutiner.

On a vu et entendu des anti-guerres s’opposer à celle-ci parceque c’est une guerre impérialiste, à celle- là parceque l’Europe y faisait le boulot de l’Amérique. À telle autre qui était une guerre du Nouvel Ordre M ondial, etc. Et alors? Les autres guerres seraient-elles acceptables ? Une guerre qui ne serait pas l'initiative de «l’ennemi de classe» serait-elle plus suppor­table? Le problème n’est pas de savoir si c’est la guer­re de l’impérialisme ou... De qui au fait? La nôtre ?
Mon opposition à la guerre n’a rien à voir avec celle de ces anti-guerres de circonstance. Je suis opposé à toutes les guerres. La guerre ça tue, ça fait souffrir, ça transforme des amants en veufs et veuves. La guerre, c’est toujours de prétendues identités à défendre, la guerre c’est toujours des canailles qui cultivent les élans identitaires dégueulasses et mortifères qu’il peut y avoir en nous tous, individus. La guerre c’est toujours  une cause sacrée, mais ça n’a jamais rien à voir avec nos désirs et nos besoins.
il y a 2500 ans, Esope, un esclave affranchi, inven­tait des fables (que La Fontaine pompa sans vergo­gne!), dont celle-ci: Un homme se promenait sur son âne et, sentant la fatigue l’envahir, s’accorda une peti­te sieste sous un arbre tandis que l’âne, tout à sa liber­té, se roulait dans l’herbe et se gratifiait de chardons succulents. Une rumeur violente réveilla l’homme qui, grimpant à l’arbre, aperçut une troupe s’avancer. Il tenta alors de reprendre son âne pour fuir mais celui-ci s’échappa. « Vite, lui dit l’homme, voilà l’ennemi! », et l’âne de se dérober encore en disant: «Que m’importe votre ennemi, le mien est celui qui se juche sur mon dos.»

 Les lapins


Quand les crocs du loup se referment sur ses reins, jamais un lapin ne s’écrie : « Qu’ai-je fait pour mériter ça?», pas même «Pourquoi moi ?» Le lapin, non, mais l’homme, oui. Enfin, pas avec un loup, c’est rare, mais quand il voit mourir un être cher, attraper le sida ou perdre ses clés... Henri Laboritnous a appris que ce qui distinguait l’homme de l’animal,- outre qu’il peut écrire des poèmes d’une main et torturer de l’autre - c’est l’existence dans son cerveau du néocortex, une couche de neurones supplémentaires qui entraîne une activité nouvelle, auto réflective :la conscience de soi et de sa relation au monde.
C’est « cette activité spécifiquement humaine qui consiste à revêtir de signification la nudité de la vie », selon la belle expression de l’anthropologue Margaret Mead (1901-1978), qui est à l’origine de toutes les constructions métaphysiques, philosophiques et idéologiques.
Elle nous pousse trop souvent à rechercher l’origi­ne et la fin de toute chose plutôt que nous consacrer à l’innocent bonheur et la confraternelle joie de passa­gers éphémères d’un monde dépourvu de sens.
Et d’inventer des récits de la création,des buts ultimes, des missions de l’homme. Et des dogmes et lois pour ne pas se tromper de route.
On verra ainsi des aborigènes d’Australie prendre mille précautions et respecter mille règles afin de ne pas réveiller le lézard géant endormi sous le sable dont  le rêve est le monde des hommes. Ailleurs; des Inuits se racontent de génération en génération que l’homme est le descendant d’un ours qui aurait mis sa peau à sécher après être tombé à l’eau en chassant le phoque. Un loup ayant mangé cette peau, les descendants peu­vent donc aujourd’hui tuer les loups, pêcher les phoques et se vêtir de peaux d’ours.
C’est dans le croissant fertile qui relie la Mésopotamie à l’Égypte qu’est apparu le monothéisme. Chez les Hébreux, il y a 3750 ans. Un endroit précis, un peuple précis, un moment précis; voilà déjà une univer­salité bien singulière ! Et qui est en fait, et bien natu­rellement, un copieux salmigondis des légendes des peuples antérieurement présents en ces lieux.
Noé, reflet du mythe grec primitif de Deucarion qui construisit une Arche pour échapper au Déluge, colère divine contre les hommes dans les deux cas. Adam et Ève, punis pour avoir mangé du fruit de la connaissan­ce, imitation de Prométhée puni par Zeus pour avoir donné la connaissance aux hommes. Le meurtre d’Abel par son frère Caïn, écho du m ythe égyptien de la que­relle entre Sethet Horus. La tour de Babel qui est un conte babylonien expliquant, comme dans la Genèse, la mésentente entre les hommes. Ce ne sont là que quelques exemples parmi de nombreux autres. Rappelons ici que ce fondement monothéiste est le mosaïsme (religion de Moïse) des hébreux, tribus sémi­tiques nomades. La religion juive n’en est qu’un déve­loppement particulier, fait d’emprunt à d’autres peu­ples, lors de la sédentarisation en Palestine de quelques tribus hébraïques. Cette religion connut en permanence des dérives sectaires plus ou moins uni­fiées par le corps rabbinique du temple de Jérusalem .
Après la destruction de celui-ci par les Romains (70 de notre ère), l’une de ces sectes- disciple du Baptiste, elle donnait dans le messianisme - réussit à autonomi­ser sa refondation de la religion initiale, notamment en suivant l’occupant dans sa capitale, Rome, et dans toute sa zone d’expansion. C’est d’ailleurs un historien prétendument romain - donc prétendument objectif - que les chrétiens revendiquent pour prouver
l’historici­té de Jésus. Mais ce Flavius Joseph était un ancien chef des rebelles à l’occupant passé à l’ennemi après la chute du temple, et qui a été élevé dans les milieux religieux juifs, puis auprès de ces sectes messianiques !
Cette refondation se fît en copiant et réinterprétant symboliquement les mythes précédents. Par exemple les chrétiens eux-mêmes interprètent le mythe de Jonas passant trente ans dans le ventre du monstre avant de ressortir vivant comme la préfiguration prophétique de Jésus ressortant vivant du tombeau après trois jours. Selon eux Jésus est présenté par le Baptiste comme celui qui rétablira la Justice et la Vérité et qui dit lui- même «Je suis venu abolir la loi précédente». Mais le coup de génie de ces chrétiens est l’invention d’un Jésus non pas prophète - on pourrait toujours réécrire son enseignement - mais dieu incarné. L’alliance est désormais scellée avec le sang du dieu lui-même (et non avec celui d’un agneau, d’une colombe ou du fils d’Abraham). Elle ne peut donc plus être abolie par les hommes, comme ils venaient de le faire avec l’alliance précédente !
Cinq siècles plus tard, dans ce même croissant fer­tile, un troisième monothéisme se formera à partir des théories précédentes. En effet, le Coran fait référence explicite à Abraham, Moïse, les prophètes juifs,Jean le Baptiste, Jésus et sa mère Marie (mais cette fois ni dieu, ni vierge), les anges, le paradis, le jugement der­nier, etc. Bien évidemment, cette nouvelle version se prétend à la fois révélation donnée aux hommes par l’u­nique dieu, et vérité vraie après les errements et erreurs précédents.

 Une extraordinaire illustration de cet emboîtement des monothéismes - et de leur caractère légendaire - est donnée par une esplanade de Jérusalem qui rassem­ble les vestiges du temple construit par le roi mythique des Hébreux pour abriter le signe de l’alliance entre dieu et son peuple élu, le tombeau d’où est sorti vivant un dieu supplicié né d’une vierge, et la mosquée Al Aqsa qui recèle le rocher où Mahomet fut transporté, pour y recevoir la révélation, par un être ailé nommé Djibril (où l’on voit l’archange Gabriel faire de la figu­ration dans les superproductions concurrentes).
Les religions sont des inventions mythiques d’hommes effrayés par le silence d’un monde dépourvu de sens et qui brassent, empilent, synthétisent, synthétisent, concatènent toutes les tentatives de conjurer cette peur existentielle. Inutile d’aller chercher les hin­douisme, shintoïsme, taoïsme et autres. Un mot quand même à propos du bouddhisme. On entend souvent dire que le bouddhisme ne serait pas une religion, mais une philosophie. Alors c’est la seule philosophie dont les adeptes doivent se raser le crâne et porter une robe de couleur. La seule dont les maîtres se disent incarnation les uns des autres. La seule à avoir des monastères. La seule dont le chef (qui se fait appeler Sa Sainteté) par­ticipe aux assemblées de prières œcuméniques du Vatican. Elle n’a pas de dieu ? La belle affaire ! Elle a une gnose, une eschatologie, des dogmes, des règles, des temples, une liturgie, etc.

Peut-être est-ce par incapacité à se consacrer juste au délicat bonheur d’être de passage sur un monde vide de sens que des gens ont besoin d’adhérer à ces gnoses, à ces eschatologies, à tous ces folklores surannés. Ou peut-être par vertige face à ce vide;ou par peur de vivre libre; ou pour ne pas avoir à forger leur vie. Quoique ça
m’afflige, ils ne m ’inspirent pourtant que bienveillante indifférence ou scepticisme rigolard. Basta ! S’ils aiment ça, grand bien leur fasse* Je serai même à leur côté si on les persécute pour ça. Qui que ce soit qui les persécute, et au nom de quoi que ce soit ! Mais s’ils œuvrent ou manœuvrent pour obliger- ou même sim­plement inciter - autrui à appliquer leurs principes, ce sera ma main sur la gueule ! (Quelle que soit la forme que peut prendre ma main sur la gueule : paroles, écrits, actes, etc.)
Et c’est tout ! Et c’est exactement ce qui oppose la laïcité et le cléricalisme. La laïcité c’est le maintien du religieux dans le domaine de la vie privée. Ça les regar­de, ils croient à ce qu’ils veulent (après tout moi aussi!). Ils font ce qu’ils veulent (après tout moi aussi !). Et basta ! Le cléricalisme,c’est tout le contrai­re. C’est l’ingérence des valeurs et des préceptes reli­gieux dans l’organisation de la vie publique et sociale. Dans la vie de tous !
Le cléricalisme, c’est, par exemple, ce que Jean Delumeau, historien, membre de l’Académie, profes­seur au Collège de France, préconise dans une confé­rence publique à Paris en avril 1997 : « La laïcité moderne sera la cogestion de l’espace public par le communautarisme interconfessionnel. »
C’est à Marseille, par exemple, les représentants des religions catholique, protestante, juive et musulma­ne qui animent une structure interconfessionnelle disposant d’un secrétariat en mairie. C’est le patronat local qui réunit chefs d’entreprise, experts divers, juris­tes et responsables des différentes confessions dans une structure du même type. C’est l’université qui les imite. Pas étonnant que l’évêque Saint-Macary, prési­dent de cette Région apostolique, rende compte au  Vatican des expériences d’intégration communautaire (Osservatore romano, mars 1997).
Qu’elles soient de la croix, du croissant, de l’étoile, du lotus, de la dianétique ou du Mandarom, les reli­gions sont donc ennemies de tous ceux qui veulent vivre comme ils le souhaitent. La question n’est même pas de savoir si tel pape est plus réactionnaire, ou plus progressiste, que ses prédécesseurs. Si tel ayatollah élu en Iran représente enfin le début de l’ombre d’un commencement d'ouverture. Si tel rabbin, membre du Parlement ou du gouvernement israélien, est intégriste, traditionaliste ou ouvert.
Durant les «30 glorieuses», quand le système domi­nant pouvait intégrer toutes les couches de la popula­tion par la consommation et l’illusion d’une société à partager, l’Église nous la jouait copain, curé guitariste et Jésus-Christ Super Star. Aujourd’hui, à l’heure où des gens meurent dans la rue parce qu’ils vivent dans la rue - de froid l’hiver et de n’importe quoi d’autre tout le reste de l’année - à l’heure de la chasse au faciès dans les gares et des patrouilles dans les banlieues, les curés bloquent l’accès aux cliniques, transforment à nouveau les femmes libres en sorcières et, comme au bon vieux temps où ils brûlaient Étienne Dolet coupable d’avoir publié un livre d’Érasme (3 août 1546), assignent des éditeurs devant les tribunaux.
Il y a des Guy Gilbert en Perfecto, des Gaillot dans les squats,des Daniel-Ange en soutane, des Di Falco en trois pièces anthracite. Il en faut pour tout le monde ! Et ils passent tous à la télé. Normal, ils font le même bou­lot : l’Église a toujours plusieurs fers au feu et utilise l’un ou l’autre selon les aléas de l’époque ou des sensi­bilités pour placer son ordre du monde totalitaire - elle dit universel - qu’elle veut poser en fondation à toutes les sociétés. Et pour régenter nos vies en y cultivant la peur, la honte et la culpabilité.

 La laïcité radicale est une vigilance et un combat permanent entre les artisans du joug clérical et les hommes et femmes épris de la liberté de vivre, de dési­rer, de penser, de parler et d’agir.

 L’impératif

« Ce q u'il y a de gênant avec la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres.»
Léo Ferré


La moral , c’est toujours les valeurs des uns appli­quées aux autres. Pour les juger ou, pire, les gui­der. Sinon ce n’est pas la morale; à peine pourrait-on  dire des morales.Tout juste des références intimes. Des trucs qu’on s’est choisis une fois pour toutes, qu’on uti­lise pour pas trop se planter, pour pas se perdre de vue soi-même quand on ne sait pas très bien à quoi s’en tenir. Juste des repères.
Certains appellent ça quand même des valeurs et parlent d’éthique. Ils disent qu’elle est indicative, alors que la morale est impérative. C’est cela la morale :l’ impératif. C’est la volonté, ou le désir, ou pire :le besoin ! de voir l’autre vivre selon des références, désirer selon des choix, agir selon des priorités qui ne sont pas les siennes propres. Qui sont celles selon lesquelles nous vivons, nous désirons, nous agissons.
Et la morale se réduit tôt ou tard à ce dilemme: peut-on vivre avec ceux qui ne veulent pas faire comme nous ,ou faut-il les tuer ?
Ni les utopistes ni les philosophes n’ont manqué pour le résoudre. Parmi eux, Hegel n’est pas le moin­dre, qui liera la morale des temps anciens aux Lumières des temps nouveaux pour inventer, rien moins que le  Sens de l'Histoire l (Il faudra attendre peu de temps après pour voir un néo-hégelien, Marx, prétendre «remettre Hegel sur ses pieds». Et promouvoir les tra­vailleurs au rôle désormais messianique d'accomplisseurs de l’Histoire, fonder l’Association internationale des travailleurs, en expulser Bakounine et les anar­chistes puis en transférer le siège à New York afin qu’ils cessent, ces travailleurs, de se mêler de cette révolution qu’il pourra décrire à leur place. Au nom du Sens de l’Histoire enfin rétabli...)
Depuis plus de six mille ans d’histoire consciente des hommes* les propositions des utopistes et des phi­losophes se résument encore à: «Il suffit de tous faire comme on dit et tout ira bien. Quant à ceux qui n’ont pas envie, ça ne fait rien.Vu que notre idée est la seule valable, on les aura vite convaincus et ce sera le bon­heur pour tous. »
Et puisqu’il en va du rôle dévolu à l’Humanité, de l’unique et triomphale voie vers son salut, ces marches forcées vers le bonheur exigent des observances, des règles, des obligations. Morales, les obligations, tou­jours morales, et d’autant plus incontournables qu’elles sont dites universelles. Elles ne peuvent donc suppor­ter aucune dérive, aucun délai, aucun manquement ! Toute déviance, puisqu’elle compromet rien moins que l’accomplissement de l’Histoire et l’avènement de la morale universelle, sera sévèrement châtiée !
Alors, encore et toujours, grands timoniers, petits pères du peuple, sauveurs providentiels, tribuns, pro­phètes, guides suprêmes, moralisateurs de toutes sor­tes, héros de la Cause sacrée, chevaliers de la Raison supérieure, leurs affidés serviles, les aspirants au pou­voir et les affamés de domination décapiteront, brûle­ront, écartèleront, fusilleront, noieront, écorcheront, éviscéreront, ébouillanteront, comme ils n’ont jamais cessé de le faire, pour la Paix, la Fraternité, l’Histoire,  l’Ordre universel, la Cause. Pour le bonheur de tous promis pour demain si chacun adopte leur morale aujourd’hui...
Et six mille ans après des tas de militants de tas de causes sont encore convaincus que le bonheur de tous est dans telle ou telle solution. C’est sûrement très gen­til; merci. Mais qui sont-ils pour définir le bonheur d’autrui? Et qui plus est - excusons-les du peu - de tous et pour toujours ! L’histoire regorge des cadavres de ceux qui ne voulaient pas faire comme on leur a dit que le bonheur était !
Méfions-nous de tous ceux qui prétendent avoir la clé: ils ont tôt fait de faire la serrure qui va avec ! Il est du degré absolu de l’absolue bêtise de croire qu’il y a une solution unique pour tout le monde.Quant à pré­tendre la détenir, ça n’est plus de l’absolue bêtise, c’est de l’absolue suffisance. Et potentiellement du terroris­me : bêtise, suffisance et terrorisme sont synonymes dès lors que l’on croit pouvoir définir le bonheur d’au­trui sans lui...
C’est avec une morale de la Révolution et un idéal de bonheur pour tous que Robespierre inventa la Terreur. C’est aussi avec une morale révolutionnaire qu’en octobre 1917 les bolcheviques utilisèrent l’appa­reil d’Étât tsariste pour mater les révolutionnaires - à commencer par les anarchistes de Kronstadt, de Petersbourg et d’Ukraine  qui n’avaient pas la même idée du bonheur et des lendemains qui chantent...« Ce qu’il y a de gênant avec la morale, c’est que c’est toujours.la morale des autres»

Dans le domaine de la sexualité, je ne connais que deux mots:amour et viol.

 Soit les gens s’aiment, et aiment ce qu’ils se font - ou aiment ce qu’ils se font sans nécessairement s’aimer ni très fort ni très longtemps-et on est dans le domai­ne de l’amour: Soit l’un d’entre eux n’aime pas ce qu’on lui fait; il s’agit alors d’un viol :dans ce domaine, toute négation de l’autre, de sa liberté, de son désir, est un viol. Que ce soit par l’usage de la force, de la menace, de la nécessité, de la supériorité ou de la dépendance,
il y a viol si au moins l’une des personnes n’aime pas ce qu’on lui fait. Quelque soit le mode de coercition (physique, économique, psychique, légal- matrimonial- ou autre).
Par contre, quand il y a amour tout est possible, puisque les gens aiment ce qu’ils se font. Quoiqu’ils se fassent; et il n'y a pas de perversion. Je ne dirai même pas que dans l’amour toutes les sexualités sont possi­bles et respectables puisqu’il n’y est en fait plus ques­tion d’hétérosexualité, de sodomie, d’ondinisme,
d’ho­mosexualité, de cunilinguisme, de masochisme, de gérontophilie, de congressisme, d’onanisme, de fella­tion, de travestisme, de satyriasisme, etc. Il n’y a tout simplement que la sexualité tout court : celle que les partenaires vivent à cet instant-là parce que c’est celle- là qu’ils veulent vivre à cet instant. Ces mots ne sont plus alors que des catégories vides de sens de normateurs pour qui la sexualité ne relèvera jamais de la ren­contre d’individus libres, de sentiments libres, de désirs libres.
Quant à utiliser ces catégories normatives pour injurier, stigmatiser, marginaliser ou condamner, il faut vraiment avoir la tête bien truffée de l’ordre moral pour voir une injure ou un vice - en tout cas un prétexte à exclure - dans quelque acte d’amour que ce soit! Jamais je ne dirai à quelqu’un que je déteste « va te faire... (au choix, selon le fantasme de chacun) ». Au  contraire ! Qu'il s'étiole de désespoir dans la solitude définitive de son intimité à jamais désertée. Et je sou­ haite à tous ceux qui me sont sympathiques toutes les ressources de l'imagination pour exprimer leurs désirs et leur amour. Qu'ils aillent se faire...(au choix) !
Par ailleurs, je pense qu'on assume (où qu'on essaye d’assumer) sa sexualité plutôt qu'on ne la choi­sît. Par contre on choisit (enfin, on peut toujours choi­sir) sa - ou ses - pratiques sexuelles.Et qu'on ne vien­ne pas
m 'opposer les cas lourdement pathologiques. Il y a toujours une profonde malhonnêteté à recourir aux situations pathologiques, criminelles ou marginales, pour ne pas aborder simplement les sujets qui ont la
simplicité de la vie. Laissons cela à tous les suppôts de l'oppression, pisse-froid et autres peine-à-jouir toujours prompts à recourir aux psychiatres et criminologues pour ne pas aborder le reste.
Mais la pédophilie ? Le respect de toute liberté suf­fit. J’insiste : de toute liberté ! La sexualité de l’enfant appartient à l’enfant, et c'est tout. La sexualité de cette période de la vie est faite d'interrogations et de découvertes. Quand un adulte s’en mêle, c'est avec ces interrogations et ces découvertes réglées. Et réglées à sa façon.Or une relation (d'amour,sinon on a bien évi­demment affaire à un viol) ne peut se faire qu’une fois ces étapes franchies par chacun dès partenaires. Tant qu'elles ne le sont pas,il s'agit de viol, et c'est tout ! Que ce soit à douze ans, la veille ou le lendemain du dix- huitième anniversaire ou à trente ans; qu'on l’appelle ou non pédophilie. Mais comment savoir que ces étapes sont franchies ? Aimer, c’est être attentif à l'autre, et respecter la liberté de chacun c’est ne pas prendre ses propres désirs pour ceux de l’autre. (Dans la sexualité comme dans l'organisation sociale, d'ailleurs !) 

 La sexualité, c’est cet espace unique et magique où l’individu se réalise pleinement dans ce qu’il a de plus irréductiblement intime dans et par l’échange avec d’autres uniques se réalisant eux-mêmes. Pas étonnant que cette magnifique rencontre entre l’individualisation absolue et le partage total de libertés pleinement autonomes effraie et indigne les prêtres, les magistrats et tous les suppôts de l’oppression. Pas étonnant non plus que ceux-ci reçoivent toujours la complicité directe ou indirecte des pisse-froid et des peine-à-jouir.

 Sanctuaires

«Nous vivons des temps qui font de nous des sim­plificateurs claquemurés. Nous sommes devenus des monstres de justice et d 'intolérance.»
René Char,1941


Dans cette période,l’ennemi était en armes, la Gestapo fouillait les maisons et les corps. Le péril et l’urgence étaient absolus. Il n’y avait plus le temps, plus la place pour le nuancé, le subtil, le complexe. Les temps condamnaient René Char résistant et ses amis aux simplifications abusives et, au nom même de la jus­tice, à devenir intolérants.Et René Char le déplorait.
Aujourd’hui, nous ne sommes plus claquemurés par la peur, la violence et l’horreur. Aujourd’hui, parce que des gens comme René Char n’ont pas craint de tout ris­quer, il est obscène de se livrer encore aux simplifica­tions et à l’intolérance. Plus obscène encore de le faire précisément au nom de la justice.
J’entends déjà « Mais au Chiapas!... Mais en Tchétchénie !...Mais face aux Talibans !...Ils sont cla­quemurés et... » Et justement ! C’est parce qu’ils le sont et qu’ils en crèvent, qu’il est tout aussi obscène de nous livrer, nous qui ne le sommes plus, à la simplifica­tion et à l’intolérance. Et encore plus, de le faire au nom de la solidarité !
Mais cette obscénité est partout présente. Ce ne sont pas les claquemurés volontaires qui manquent;  ces monstres de justice qui singent l’urgence et le péril entre manif, meeting, et AG avant une teuf, une toile, un resto... Ceux pour qui c'est être pour la pédophilie que d’être contre la.censure, être collabo que d’accep­ter le débat et suppôt de l’impérialiste que douter que le sandwich chez Mimile soit meilleur que chez MacDo...
Les simplifications et l’intolérance ne sont plus les conséquences de l’urgence et du péril. On ne les déplo­re plus; elles sont aujourd’hui devenues vertus! Elles sont des attitudes arrogantes produites par ce mélange de crétinisme, de paresse intellectuelle et de refus de débattre - en fait de refus par incapacité - qui fait les intégrismes. Et comme en tout intégrisme, moins les positions sont justifiables, plus le bâton et l’anathème sont nécessaires. « S’il ne pense pas comme nous, qu’on lui ferme sa gueule.»
J’ai vu des gens se vanter dans un journal préten­dument libertaire d’avoir physiquement interdit un débat avec une association antiraciste mais réformiste parce que telle fac, lieu du débat, était  déclarée «sanc­tuaire anarcho-gauchiste ».J’ai entendu des animateurs déclarer sur une radio elle aussi prétendument libertai­re: «La liberté d’expression est le cache-sexe de ceux qui n’ont pas de conviction.»
J’ai vu un secrétaire de syndicat réputé anarcho-syndicaliste dire : « Quand quelqu’un refuse d’utiliser ce que d’autres se sont cassé le cul à mettre en place pour lui, j’appelle ça du fascisme. » Il faut hurler de rire pour ne pas pleurer de désespoir en se Souvenant que ce syndicat fonde ses racines dans l'anarcho-syndicalisme espagnol à une époque où le fascisme était l’en­nemi en armes.Et où les syndicalistes d’alors avaient su, malgré les dangers, éviter ces simplifications imbé­ciles et faire en sorte que tout un chacun soit libre de rejoindre ou non leurs structures !

 J ’ai vu lors de la présentation du Livre noir du communisme, dans les locaux de ce même syndicat, un mili­tant se faire applaudir après avoir dit : «Je n’ai pas lu ce livre, je ne le lirai pas et j’en suis fier. »Puisqu’il est ici question de sectarisme, une anecdote vaut d’être rappelée.
Fin 1916 , l ’anarchiste Voline  et  le bolchevique  Trotsky se rencontrèrent dans l’imprimerie new-yorkai­se de la presse des exilés russes. Trotsky: «Ça chauf­fe là-bas, nous allons bientôt pouvoir rentrer et agir. » Voline:« Quand nous y serons, tu me colleras contre un mur.»' Trotsky: « Je vois bien là le caractère incorrigi­blement romantique des anarchistes. » En décembre 1920, en Russie, la milice bolchevique de Trotsky arrête Voline - qui avait déjà été emprisonné par l’ar­mée rouge (de Trostky) de décembre 1919 à octo­bre 1920 - dans les locaux de l’association anarchiste Nabat et télégraphie à son chef : « Venons d’arrêter Voline. Que faire ? ». Trotsky notera en rouge sur le télégramme «À fusiller». Voline ne sera que condamné à l’exil grâce à l’intervention de délégués européens venus à Moscou préparer le premier congrès de l’Internationale syndicale rouge...
Et combien ai-je vu dans ces mêmes rangs - puisque désormais ils sont en rangs ! - d’esprits rachitiques épris de simplifications étriquées pour qui c’est être révisionniste que refuser de choisir entre rouge ou brun.
Si le communisme bolchevique et le nazisme peu­vent être rassemblés dans un même et nécessaire rejet, ce n’est pas parce que le meurtre de masse relie ce qui n’est ni un projet politique semblable, ni une volonté préétablie comparable, ni un immonde fantasme commun.
Ce qui les rassemble, c’est ce qu’Hannah Arendt (Philosophe allemande,juive, née en 1906, militante active •contre l’antisémitisme, exilée en France (1933), internée par l'administration pétainiste (1940), réfugiée aux Etats-Unis (1941), elle réalise son étude sur le totalitarisme de 1945 à 1951, puis la complète jusque dans les années 70 à la lumière des différents événements survenus dans les pays de l’Est Elle meurt en 1975. Traductions françaises: Eichmmn à Jérusalem, 1966; Le Système totalitaire, 1972; Sur l'antisémitisme, 1973; Compréhension et politique, 1980 \ L’Impérialisme, 1982.) définissait dès 1950 : l’existence d’un projet idéolo­gique voulu comme accomplissement de l’Histoire, la «volonté de domination totale», le « projet totalitaire ». Et cela seul ! Tout pouvoir, toute idéologie est liberticide. Jusqu’à l’horreur. Mais ces horreurs se différencie­ront toujours autant que les idéologies qui les justifient. Celle des dirigeants nazis, avec leur obsession fantas­matique d'une race pure qui ne peut réaliser son deve­nir historique que dans l’extermination de tous ceux qui n’en sont pas. Celle des dirigeants bolcheviques, avec leur obsession fantasmatique d’une classe accomplis­sant l’Histoire par l’adhésion de tous à ce projet, fût-ce au prix de la terreur policière. Même si le nazisme et le communisme bolchevique ne sont en rien comparables, ils procèdent bel et bien l’un et l’autre d’une même immonde saloperie: le pouvoir. Et il y a toujours des pouvoirs différents produisant différemment des immondices différentes.
Notre ennemi n’est jamais celui qui pense ou agit différemment de nous, mais toujours celui qui nous empêche d’agir comme on pense oü qui nous oblige à agir comme il pense. Mais les simplificateurs claque­murés volontaires d’aujourd’hui, qui se veulent mons­trueusement justes refuseront toujours de l’admettre. Normal, comme tous les sectaires, leur ennemi est tout ce qui n’est pas eux...

 Le poison qu’est l’assignation de l’individu à une identité collective, à une communauté, ne frappe pas qu’à Téhéran, à Kaboul ou à Dacca. Il frappe plus près. Parfois même des compagnons de route; et ça fait d’au­tant plus mal. On a partagé des sympathies, des enthousiasmes, des luttes, et tout à coup : patatras ! C’est tout juste si on les reconnaît encore. Ça ne remet pas nécessairement en cause le chemin fait ensemble, mais arrivé à un certain point il faut s’arrêter, se sépa­rer, Absolument.
Ainsi de la menace d’outing d’Act-up - révélation de son homosexualité - à l’encontre d’un député lors du débat à propos du PACS. Et du soutien de cette « action » par certains, réputés libertaires. Cette opéra­tion présentait pour le moins un défaut rédhibitoire (outre qu’elle assimilait, à l’instar de l’ordre moral, l’homosexualité à une déviance stigmatisable !) : Des militants proposaient - et d’autres admettaient et soutenaient - l'assignation d'une personne à une communauté dont elle-même ne se revendique pas.
Quelle que soit la vie privée de qui que ce soit, chacun est libre, enfin le croyais-je ! d’en faire état ou non. De plus ces militants proposaient, admettaient et soute­naient la fin de la séparation entre la vie publique et la vie privée d’une personne. Et cela précisément par ces mêmes militants qui viennent d’assigner malgré elle cette personne à une communauté. Et ils veillaient, au nom de leurs seuls critères, à la cohérence entre la vie privée et la vie publique de cette personne.
Ce n'est pas tout. Ils proposaient, admettaient et soutenaient qu’être député ET homosexuel, c’est être nécessairement député DES homosexuels. C’est pure­ment et simplement le vote communautaire: un homosexuel est, et n'est rien d'autre qu'un homosexuel. Il ne­ peut agir que comme homosexuel, et qui plus est comme des militants soutiennent qu’un homosexuel  doit agir ! Bon, alors allons-y :un Noir est, et n’est rien d’autre qu’un Noir. Il ne peut agir que comme Noir, et qui plus est comme des militants soutiennent qu’un Noir doit agir. Une femme est, et n’est rien d’autre qu’u­ne femme. Elle ne peut agir que comme femme, et qui plus est comme des militants qui soutiennent qu'une femme doit agir. Un juif est, et n’est rien d’autre qu’un juif. Il ne peut agir que comme juif, et qui plus est comme des militants soutiennent qu’un juif doit agir. Dans quoi on a les pieds, là ?...
Comment peut-on admettre et soutenir que des mili­tants de quelque cause que ce soit - fût-ce une cause amie; fût-elle même la nôtre ! - puissent assigner quel­qu’un à une communauté, contrôler la cohérence entre sa viè privée et sa vie publique et imposer le vote communautaire ? C’est exactement ce que font les ayatol­lahs en Iran et les talibans en Afghanistan.
Si les associations familiales catholiques avaient inspecté et menacé de rendre publique la vie privée d’un député afin de le stigmatiser ou de faire pression sur lui, tout le monde aurait crié « fascistes ! Bas les pattes ! ». Et tout le monde aurait eu raison. (Quoiqu’on pense par ailleurs de la fonction de député.)
En disant fasciste, je n’agite pas l’injure facile pour blâmer quelques excès militants. Si je dis fascisme, c’est précisément que le fascisme consiste à assigner à chacun une communauté à laquelle il ne peut échapper et exiger de lui un comportement conforme à cette assi­gnation.
Fort heureusement, l'outing n’a pas eu lieu. Faut-il féliciter Act-up pour sa pédagogie de la provocation, ou renforcer la vigilance contre ces tentations communau­taires qui semblent gagner du terrain un peu partout ?
Quand «LesVerts», parti aujourd’hui aux affaires, participe à des comités ou collectifs quelconques, il y a  deux délégués : un délégué homme et une déléguée femme...
Il est absolument inacceptable de voir des êtres automatiquement assignés à tel ou tel rôle selon que les hasards de la nature les ont fait naître avec une vingt-troisième paire chromosomique de type XX ou XY. C’est non seulement inacceptable, mais il est stupéfiant de voir encore aujourd’hui des gens recourir à ces cri­tères rétrogrades et réactionnaires.
Cela semble clair quand il s’agit d’égalité de salai­res, de libre choix des naissances, de tout refus des discriminations et de l’absolu rejet de toute violence sexuelle (excision ou prostitution en particulier, mais pas exclusivement). Force est cependant de constater qu’en considérant les hommes comme oppresseurs parce qu’hommes, celles qu’Annie Lebrun en France et Sallie Tisdale aux États-Unis (entre autres) appellent les féministes néo-victoriennes raisonnent exactement selon le même mode que Jean-Marie Le Pen ou Farrakan. L’un et l’autre estiment que la génétique est un critère social pertinent.
Les combats hélas encore nécessaires aujourd’hui contre l’homophobie et le sexisme amènent des confu­sions difficilement défendables. Comme par exemple les exigences communautaires qui conduisent aujourd’hui Dominique Fernandez, critique esthétique, à voir ses ouvrages rangés, dans certaines librairies new-yorkai­ses, avec ceux de Jean Genet et de Roger Peyrrefitte sous la rubrique Homosexuellemâle. À quand Rika Zaraï dans le même rayon que Marguerite Duras ? Mais après tout, il y a un précédent à ces confu­sions. Et quel !
Est-ce depuis la nuit des temps, l'aube de l'humanité, ou le crépuscule de l’âge d’or, mais le travailleur a toujours été un opprimé. Avant même que la bourgeoi­sie n’émerge, Il y avait le servage, et avant encore,
l’es­clavage. Or de tout temps les hommes ont cherché à échapper à cette condition. Mais cette permanente opposition entre opprimés et oppresseurs, un philoso­phe néo-hégelien en mal de dépassement du maître l’a réifiés par l’invention du concept de lutte des classes. Désormais,cet insupportable rôle auquel l’oppresseur assigne tous les opprimés est devenu une fonction his­torique et un destin libérateur !
Pourtant, si la révolution prolétarienne s’est si peu manifestée depuis cent cinquante ans; si, les rares fois qu’elle s’est manifestée, ceux qui voulaient construire une société de travailleurs par une révolution de tra­vailleurs étaient si peu nombreux qu’il leur fallut chaque fois recourir à la terreur, c’est que les tra­vailleurs, ça n’existe pas. Pas en dehors du lieu où on les assigne. C’est-à-dire pas dans la vie !
On vit grosso modo aujourd'hui soixante-quinze ans. On vit, c’est-à-dire on désire, on aime, on aspire, on souffre. On est travailleur moins de huit heures par jours, moins de deux cents jours par an, de vingt à soixante ans (en moyenne, et en comptant le temps par­tiel). On est donc travailleur moins d’un dixième de sa vie. Et quand il rentre de l’usine, du chantier, du bureau, le travailleur, il surveille les résultats scolaires de ses enfants pour qu’ils ne soient pas travailleurs comme lui. Le dimanche,il va à la pêche - ou au balluche, selon l’âge - pour oublier qu’il est travailleur. En vacances, il ne dit pas «je suis travailleur», il dit «je suis agent de machin » et il ajoute «mais j’attends une promotion ». Quand il regarde la télé, il rêve d’avoir Jean-Luc Delarue comme beau-fils et Tania Kieffer comme maîtresse; il se voit en Patrick Sébastien et regrette de ne pas être Bernard Pivot; mais pas tra­vailleur. Il fait même parfois des cours du soir pour ne pas rester travailleur.

 Être travailleur (comme être femme d'ailleurs !) c’est un rôle assigné aux individus par la société d’op­pression et d’exploitation pour assurer sa reproduction. Jamais les désirs, les besoins, les aspirations des indi­vidus ne peuvent se réduire à ces rôles. La seule lutte des travailleurs, c’est la désertion de ce rôle auquelles assignent leurs oppresseurs. La désertion aussi de cette identité collective, « de classe », que leur attri­buent les chantres d’une Lutte Finale qui justifiera enfin leurs postures d’avant-garde éclairée.

 Utiles

Pour vivre, il faut travailler.
Et d’élaborer à nausée des mondes meilleurs, des lendemains qui chantent, des utopies joyeuses, des sociétés idylliques et des demains où l'Internationale sera le genre humain, tout reposant sur le travailleur,
pierre angulaire, cheville ouvrière et sommet d’un primesautier avenir bâti sur, forcément, le travail.
On voit s’épanouir des utopies que c’en est un bon­heur.
Des alternatives à la société capitaliste, à l’ordre mondial, à la pensée unique, à l’oppression, à l’exploita­tion, à la répression, en veux-tu en voilà... Il n’y aura plus d’armée ! Plus de prison ! Plus de police ! Et la mi­sère aura disparu ? La misère aura disparu ! La violence aussi ? La violence aussi ! Et l’injustice ? Et l’injustice ! Et le travail ? Et...Ah ben non, là, faut pas déconner; pour vivre, faudra toujours travailler.
D ’abord, ce n’est pas vrai !  Pour vivre, il faut respi­rer, boire, manger, dormir. Juste, pour vivre, satisfaire les besoins élémentaires. Le reste, c’est du plus. Plaisir d’être ensemble, de faire joli; du tarabiscoté pour les hédonistes...
Alors, parce qu’il y a longtemps, des salauds, vio­lemment ou légalement - et même violemment et léga­lement, ce n’est pas forcément contradictoire - nous ont spolié les moyens de satisfaire librement nos besoins, parce qu’ils ont légitimé cette spoliation par un système juridique et coercitif, l’État, qui nous contraint à recon­naître cette légitimité comme «Le Droit», parce que,  forts de cette légitimation, ils nous obligent à produire dans leurs entreprises les moyens de satisfaire ces nécessités et que nous n’avons plus d’autre choix que de les leur racheter, il faudrait aujourd’hui encore faire du travail l’axe centralde notre libération ? Et en faire celui du libre exercice de notre liberté dans la société libérée !
L’impossibilité d’imaginer une alternative au travail, à sa sacralisation par les propriétaires, les États, le pape et ses prêtres ou Marx et les siens, en dit long sur la difficulté à raisonner en dehors du regard de l’op­presseur, de ses catégories, de sa logique, en définitive : de sa morale. Pire ! cette difficulté entraîne ceux qui se croient les plus utopistes, les plus radicaux, les plus libertaires, ceux qui osent s’interroger sur le travail, à le remplacer par... l’utilité sociale.
La remise en cause du travail, pas de problème.Vive le temps libre ! On pourra tous faire de la peinture et jouer du saxo (ça va être joli !). «Après tout, un peintre, un musicien,c’est quand même utile à la société.» Voilà, c’est dit: il faut être socialement utile ! Même si jedis que je veux rester au lit à me tripoter les orteils - ou quoique ce soit de plus facile à atteindre - il y aura tou­jours quelqu'un qui, se croyant plus tolérant, plus liber­taire, plus audacieux que les autres, dira : «Si cela t’é­panouit, c’est important. La société a toujours besoin d’hommes épanouis... » Le plaisir, oui, mais à Condition qu’il y ait du retour social !
Le plaisir gratuit, le plaisir pour soi, c’est toujours suspect d’asociabilité. Pas de ça ici ! Pareil pour les moyens de satisfaire les besoins élémentaires. C’est tou­jours en terme de revenus, c’est-à-dire de retours, jamais en terme d’autonomie. Et c’est le revenu minimum , qui doit bien évidemment être d'insertion, ou le revenu social universel, mais toujours accompagnés d’une définition des «ayants droit» et des méthodes de contrôle :pas d’accro ! Ni à la seringue, ni à la couette.

 Que des méritants ! Les plus progressistes admettant la bêche ou le rabot; parfois même le violon... quelle
sub­version ! Même l’enfant ! son autonomie, ce n’est pas qu’il a pas les moyens de se l’assurer ou pas, non, c’est un investissement pour l’avenir. Et de contrôler sa sco­larisation, son comportement social... Mais l’autonomie contre de l’utilité sociale, c’est l’autonomie à condition de la perdre.
Pourtant, l’autonomie sans condition, c’est même pas une utopie. Par exemple , le prix de revient des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (si si, ça existe, et avec ce nom -là!) est d’environ 1800 euros mensuels pour chaque «personne prise en charge ».Bien évidemment, elles n’en touchent pas un centime. C’est pour son inser­ t ion ! çà paye l'hôtel social qui les héberge, l'association sociale qui les prend en charge, les travailleurs sociaux qui les encadrent Avec la moitié de cette somme, ils seraient tout simplement libres et heureux.
La « lutte contre le chômage » coûte (indemnités, fonctionnement des services, salaires des employés, etc.) 9500 francs par mois et par chômeur (Chiffres 1994 du ministère : 286 milliards de francs, 3 millions de chômeurs). Dépensés en prix de revient, pas distribués ! L’équivalent de six millions de SMIC pour filer des clopinettes aux seuls «ayants droit »! On peut faire le même calcul pour le RMI et pour toutes les actions sociales en faveur des plus démunis :indemni­tés, coût de gestion des dossiers, des services, des dispositifs d’accompagnement, des associations, des travailleurs sociaux. Et du contrôle; ne pas oublier, important ça, le contrôle...Ne pas oublier non plus que dans toutes les grandes villes il y a plus de logements vides que de SDF. Et dans les campagnes encore plus, et que la Communauté européenne alloue aux paysans des primes pour qu’ils maintiennent leur terre en jachère.

 Dépenser des sommes considérables pour maintenir les gens dans la dépendance, ça, c’est socialement utile !
0,1% du revenu mondial brut suffit pour couvrir les besoins alimentaires et sanitaires de tous les habitants de là planète. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’Unesco. Je les entends déjà, tous, des démocrates nuancés
jus­qu’aux internationalistes des feuilles militantes en pas­sant par toutes les espèces de tiers-mondains : « Il y a besoins et besoins... » « Ce ne sont pas les mêmes besoins à Douala et à Paris... » « Il faut d’abord rompre avec l’exploitation avant de définir les besoins... » Être autonome, c’est se maintenir en état de marche. Pour ça, il faut ne pas avoir faim , préserver sa santé et, avoir un toit. C’est tout. 0,1%, un millième ! Une heure et demie de travail par an ! Une journée tous les cinq ans ! Ça vaut le coût d’essayer, non ?

Tiens, pendant qu’on y est, autant en finir avec une légende. «Travail, ça vient d’un mot latin qui veut dire torture. »
Ben c’est faux. Le mot travail vient du tripalium des romains. Trois pieux attachés ensemble pour former une sorte de pyramide. Et le travail a conservé les différents sens issus de l’usage que les Romains en faisaient. Le travail, engin dans lequel sont immobilisés les animaux qu’on veut ferrer, soigner ou marquer. Le travail de la parturiente (on dit encore salle de travail pour salle
d’ac­couchement), parce que les Romaines accouchaient accroupies en se suspendant par les mains au sommet d’un petit tripalium.
Et le boulot ? Ben justement, ça a à voir avec les esclaves. Mais pas avec leur activité; avec leur état ! C’est sur le tripalium qu’étaient attachés, comme les animaux, les esclaves que le maître marquait au fer rouge pour en revendiquer la propriété.

 Fourrures et whisky

«La propriété c'est le vol.»
C’est Pierre -Joseph Proudhon qui disait çà. D’accord, mais ni dieu ni maître ( ça, c’était Blanqui, à peu près à la même époque ). Alors? ben ce n’est pas la grand’messe; si on garde la formule, c’est qu’elle est encore utile aujourd’hui. Pour comprendre. Et pour agir. Pour réfléchir, proposer et faire.
Il y a fort longtemps, entre la fin de la Gaule romanisée et le début du Moyen Âge, les communautés villa­geoises vivaient en quasi-autarcie, séparées par des bois abondants et étendus. En témoignent encore tous les Machin-les-Essarts, Chablis-Sainte-Bidule ou Marolles-sur-Thic, essarts, chablis et marolles étant les noms de terres gagnées sur les forêts ou les marais. Entre les grandes vagues d’invasions - dont elles étaient de toute façon relativement abritées par les forêts -, la vie de ces communautés aurait été fort pai­sible dans l’autonomie sereine s’il n’y avait eu le bri­gandage, razzia de bandes importantes qui écumaient les campagnes et rançonnaient les villages. Quand les terres étaient singulièrement productives, les fruits particulièrement savoureux et les cochons remarqua­blement gras, plusieurs bandes s’établissaient dans la région, ce qui épuisait leurs ressources (ça épuisait aussi les paysans, mais ça les préoccupait beaucoup moins). Ils se faisaient alors la guerre jusqu’à ce que l’une des bandes triomphe des autres, s’établisse dans  la région et s'y construise une retraite fortifiée. Ce n’é­tait pas encore le château féodal, mais la motte, une forte maison entourée de palissade sur une hauteur. D’où tous les Motte-Beuvron, Motte-Saint-Martin et autres Motte-Josserand. Une fois installées à demeure, ces bandes prétendaient, comme n'importe quel maquereau, « protéger » les villageois des exactions de leurs propres rivaux, moyennant entretien, corvées et impôts. S’inventaient là la propriété, le servage et, les rois et les évêques s’appuyant sur ces « seigneurs », la noblesse et l’État.
Bon, d’accord, la propriété c’est le vol. Mais aujour­d’hui ? En quoi la question de la propriété permet-elle de comprendre quelque chose ?
Essayons sur une des questions centrales d’aujourd’hui, celle de la mal bouffe.
En production maraîchère, il y a une rotation impor­tante. Une fois un produit récolté, il est remplacé sur le terrain par un autre, sauf l’hiver, et encore. Cela per­met, comme de nombreuses expériences - production familiale en milieu rural, jardins ouvriers, expériences alternatives - en font preuve d’évaluer à un hectare (1ha-100mx100m) maraîcher la surface nécessai­re à l’alimentation annuelle de cent personnes.
Mais on ne mange pas que des légumes.Il faut donc ajouter les céréales (blé à pain, blé pour pâtes et semoule, riz, maïs, etc.) dont la consommation journa­lière moyenne est de cent grammes par personne. Or la production céréalière moyenne annuelle sous nos lati­tudes est de soixante-quinze à quatre-vingts quintaux (1 q s 100 kg) l’hectare, de quoi nourrir plus de deux cents personnes (0,1 kg x 365 J x 200 pers s 7300kg).Un demi-hectare de céréales pour cent per­sonnes plus un hectare de maraîchage pour les mêmes, la moyenne de production cumulant produits maraî­chers et produits céréaliers correspond donc environ à soixante-cinq personnes par hectare (100 pers. : 1,5 ha = 66,6 pers/ha).
La petite exploitation familiale en France a une moyenne de quarante hectares, de quoi nourrir deux mille six cents personnes (65 x 40)- En ne tenant pas compte des grandes exploitations de type industriel de la Beauce ou de la Brie, l’exploitation générale moyenne, de taille « humaine », représente cent cin­quante à deux cents hectares. Cette surface moyenne de taille humaine représente de quoi nourrir environ dix mille personnes par propriété ! Et il s’agit bien de petites exploitations à taille humaine ! La propriété agricole individuelle concentre, dans les mains d’un seul propriétaire, et d’un propriétaire modeste, une famille agricole, le sort alimentaire de dix mille person­nes !
Bon, la propriété c’est la démesure. Mais qu’est-ce que ça a à voir avec la mal bouffe ?
Le maraîchage, c’est désherber, arroser, récolter, trier, nettoyer, préparer et conditionner les légumes récoltés. C’est encore travailler et amender le sol, sélectionner et préparer les semences et les plants sui­vants, les semer ou les repiquer, pour chaque produit, donc plusieurs fois par an, pour chaque parcelle ! Les expériences de production familiales rurales ou des jar­dins ouvriers ( Les potagers ouvriers étaient soutenus par un pilier du catholicisme social, l'abbé député Jules Lemire (1853-1928) : d'une superficie de 2 ou 380 m², ils correspondaient à une consommation familiale simple, soit deux à trois heures entre le retour de l'usine et le dîner. Les ouvriers n'avaient plus le temps d'aller au bistrot ni au syndicat ! ) permettent d’évaluer ce travai là 1 heure quotidienne par 100 m2.

 Ainsi, une propriété agricole « à taille humaine », ça représente, pour nourrir dix mille personnes, quinze à vingt mille heures de travail. Par jour ! Deux mille sala­riés à temps complet par exploitation ! Même s'ils divi­saient par deux, par trois, par dix, ça ferait encore plu­sieurs centaines de travailleurs par ferme ! La propriété c'est plus la démesure, c'est l'absolu délire !
Oui, mais la mal bouffe ?
Pour que des millions de consommateurs puissent être nourris par seulement quelques milliers de pro­priétés agricoles, tout sincères, honnêtes et attentifs que puissent être les exploitants, il n'y a plus d'autre choix que d’augmenter la productivité. Et pas qu’un peu ! Deux mille pèlerins à remplacer par la chimie !
Alors, sus au rendement ! Les semences seront « améliorées », les techniques sophistiquées. L’exploitation du sol est devenue aussi complexe que celle d'un laboratoire. Plus de rotation des parcelles, plus d’alternance des semis, plus de compost, la régé­nération du sol ne peut plus se faire par recyclage des rebuts de la récolte précédente mais par apport de nutriments de synthèse (azote, phosphate, etc.). Cette recherche de rentabilité exige que la moindre parcelle de sol, la moindre pincée de ces nutriments soit exclu­sivement au service de la production. Haro sur la mau­vaise herbe ! Chasse aux gloutons ! Finis les bouquets champêtres.Terminées les bucoliques papillons. Adieu les tisanes de « simples ». La chasse sera drastique... Et nous bouffons désormais des tartines effervescentes et des tomates fluo à base de semences hypertechniques, d’apports nutritionnels de la grande industrie, de désherbants et de pesticides de synthèse. Tout ça parce qu'une propriété nourrit plusieurs milliers de per­sonnes !
Je ne développerai pas ici les désastres écologiques liés à cette course au rendement. Même si la petite pro­priété agricole, soucieuse de défendre son existence, s’est retrouvée en position d’otage de l’industrie, il est vain et faux d’opposer une paysannerie conviviale à une industrie agroalimentaire qui seule ferait de la mal bouffe et
mettrait en péril la santé et l’environnement. L’exemple de la Bretagne est à cet égard édifiant: les nappes phréatiques, les rivières et même la mer sont polluées par les effluents agricoles, et la pêche côtière comme l’élevage conchylicole sont en péril...Bon appé­tit...et vive la propriété !
Mais on ne mange pas que des nouilles et des légu­mes. Il y a aussi la viande. Je ne recommencerai pas la
démonstration, qui peu ou prou relève des mêmes calculs. Seuls les chiffres changent Par contre on peut aborder un autre problème lié à la propriété.
Une vache ça ne mange que de l’herbe. Et même si la terre n’était pas la propriété d’un paysan, elle pous­serait quand même, l’herbe ! Pareil quand un taureau fait un veau à une vache. Que la vache ait ou non un propriétaire, que le taureau en ait un ou pas, ça ne change rien au fait que les taureaux font des veaux aux vaches et que le veau qui naît, il a coûté 0 franc 0 cen­time ! Même avec un propriétaire. L’herbe que ce veau qui ne coûte rien à personne mangera durant sa (cour­te} vie, outre qu’elle pousserait même s’il n’y avait pas de propriétaire, elle n’a rien coûté non plus. Donc, la viande c’est gratuit. Alors qu’est-ce qu’on paye au bou­cher ? Ben on paye, directement ou indirectement, le manteau de fourrure de la maîtresse du propriétaire de sa boutique, le whisky du moniteur de stage d’équita­tion de la fille du Chevillard, les études du fils du pro­priétaire de la terre. Plein d’autres choses encore... Mais pas la viande. Elle, elle ne coûte rien ! Si on paye, c’est juste parce qu’il y a de la propriété. Et de l’argent. Qui est, disent les économistes, le signe de l’échange. Ben justement, s’il y a échange, c’est qu’il y a propriété­ Sinon ce serait la mise à disposition pour tous, comme le veau qui mût sans rien coûter, qu’un peu d’effort à la vache, qui mange de l'herbe, qui n'a même pas­ coûté d’effort à personne. Salauds de propriétaires !
La propriété industrielle est aujourd’hui capitalis­tique. C’est-à-dire que c’est des actionnaires qui sont, tous ensemble, propriétaires. On pourrait dire qu’ils sont collectivement propriétaires de l’entreprise; qu’ils en ont chacun un bout. Comme les membres de la copropriété d’un imm euble ou d’un terrain, mais ça, c’est la représentation simpliste de l’actionnariat. En fait, ce n’est pas de l’entreprise qu’ils sont propriétai­res, c’est d’une créance, c'est-à-dire d’un droit, sur les résultats de l’entreprise. Sur ses bénéfices. Mais puisque l’action est une créance pour l’actionnaire, elle est, pour l’entreprise, une dette envers eux. Et donc, tout comme un organisme de crédit pèse sur un parti­culier endetté, sur ces choix, sur ses activités, sur sa vie, les actionnaires pèsent sur celle de l’entreprise.
Leur seule motivation, quand ils mettent de l’argent dans une entreprise, quand ils prennent une créance par l’achat d’actions, c’est de finir l’opération avec plus d’argent qu’avant de la commencer. S’ils achètent pour cent - francs, mille, briques, etc.- d’actions, c’est pour en toucher tous les ans cinq, sept, dix, vingt-francs, mille, briques - sur les bénéfices de l’entreprise aux­quels cette créance donne droit. Et ils ont toujours les actions, c’est-à-dire la créance, qu’ils peuvent revendre quand ils veulent. Et plus les bénéfices sont copieux, plus cette créance aura de valeur à la revente. Leur seule motivation, c’est le profit.
Mais le profit, ça ne vient pas comme ça, par la sim­ple grâce de l’activité. Ça repose sur l’exploitation. De  tout. Exploitation des travailleurs; que ce soit de leur savoir-faire ou de leur temps, il faut fabriquer au plus bas prix de revient possible. Exploitation du tiers-monde pour se fournir en matières premières au plus bas coût possible. Ce n’est pas un hasard si les guerres coloniales se produisirent en même temps que le
déve­loppement industriel. Pas un hasard non plus si Jules Ferry fut l’artisan politique des grandes conquêtes colo­niales et le ministre qui transforma le jeune rural mal dégrossi en prolétaire plein de savoir-faire. Et il y a une troisième exploitation. Celle du consommateur.
On n'a pas autant de choix qu’on l’imagine : les pro­duits proposés doivent être rentables. Pas pour nous, pour l’actionnaire ! On achète ce qui lui est rentable ou on n’achète pas. On nous vend, illusion de l'abondance, des choses quasi inutiles à grand renfort de pub. Même si, par exemple, les vêtements sont nécessaires, avoir les trois bandes Adidas, la virgule Nike, le logo Schott ou Chevignon n’apporte rien, sauf aux actionnaires ! Notre consommation est déterminée par leur recherche de.profit Le choix est un faux choix. Quand on a besoin de quelque chose qui correspond vraiment à un besoin on s’aperçoit vite qu’il faut se rabattre sur ce qu’ils veu­lent bien nous proposer. Du vêtement à la bagnole, du moulin à légume à l’audiovisuel. Essayer aujourd’hui d’acheter une platine ou un saphir pour écouter sa col­lection de vieux vinyls est une gageure. Entre tout rem­placer par des CD ou acheter du top, où est le fameux choix du consommateur ? On n’a pas de choix, juste un faux choix dans un éventail imposé par les propriétai­res. Quand ils ne nous imposent pas carrément nos besoins et nos désirs à travers la pub.
Nous sommes ainsi doublement exploités; comme travailleurs, et comme consommateurs. Pas comme travailleurs d’abord et comme consommateurs ensuite. Non, nous sommes à la fois, en même temps, tous, tout  le temps, des travailleurs et des consommateurs. Or, travailleur, on a tout intérêt à gagner le plus possible en travaillant le moins possible. Consommateur, c’est tout le contraire : trouver le plus de produits possible, le plus de qualités possible, pour le moins cher possible. Cette contradiction, qui est la nôtre, consommateurs- travailleurs, et non celle du système capitaliste, a pour­tant une solution.
C’est l’autogestion. Pas celle de certains syndicats, qui est la gestion de l’atelier - du chantier, du bureau - au sein d’un système qui laisse les seuls propriétaires - actionnaires définir la production. Non, l’autogestion dans le sens où les gens, qui certes sont pour certains travailleurs dans telle ou telle entreprise, sont d’abord des consommateurs qui définissent la production.
C’est finalement le consommateur qui travaille et le travailleur qui consomme. La question n’est plus « où aller pour toucher un meilleur salaire ? », pas même «comment gérer mon atelier - mon chantier, mon bureau - pour avoir des conditions de travail moins pénibles ? ». La question est alors, tout simplement : «Est-ce que ce dont j’ai envie mérite que je me fasse chier à le produire ? »
Cette solution, la seule humainement acceptable, remet en cause la propriété. Toutes propriétés, pas seu­lement la privée. C’est à chaque individu de définir ses besoins. Ce n’est pas plus à l’État qu’à l’atelier de le faire. Cette solution në repose pas plus sur un action­naire - propriétaire qu’un travailleur  -propriétaire ou un citoyen - propriétaire. Elle repose sur un individu complet et autonome, et sur sa liberté.
Mais c’est l’anarchie ! Ben oui. Prenons un exemple.
On peut balayer d’un revers de main la question des produits de petite échelle, genre casseroles ou chaussures d’autant que, la recherche de profit n’étant plus le moteur, les productions de série massives visant à augmenter les bénéfices malgré des marges faibles ne seront plus à l’ordre du jour. On aura les pompes qu’on veut et des casseroles pour gaucher, même si ce n’est pas rentable. Ou plutôt profitable ! Et en plus on en fini­ra avec l’exploitation de la main-d’œuvre du tiers- monde. Et avec la pub.
Mais pour la production de produits nécessitant des infrastructures importantes, automobile ou wagon de TGV par exemple, qu’est-ce qui empêche, avant de lan­cer la production, que ce soient les consommateurs qui en définissent les critères.
Aujourd’hui personne ne définit sa voiture. On nous présente prétendument un choix - en gros on peut choi­sir le modèle, la couleur et un ou deux airbags - mais nous n’avons les m oyens de définir ni notre besoin de transport, ni l’objet qui y répondra le mieux. La bagno­le ou leTGV, c’est comme les saphirs ou les Nike, on ne peut que choisir dans un éventail déterminé par des gens que seule anime la recherche de profits et qui se serve de la pub pour déterminer nos désirs.
Inversement, ce n’est pas non plus un bureau, ou un plan, qui doit décider que notre voiture sera comme ça et pas autrement, ou que pour aller à tel endroit ce sera tel moyen et pas un autre. L’unité consommateur - pro­ducteur des individus doit rester intègre, de la prise de décision de la production à la mise en circulation du produit, en passant par les conditions de la fabrication.
Certains anarchistes, en particulier les individualis­tes du siècle passé, étaient, dit-on parfois, partisans de la propriété privée. Il s’agit en fait de propriété « vivrière » d’autosubsistance, chacun étant « propriétaire » d’un logement et d’une parcelle de jardin (n’oublions pas qu’à la fin du XIX ème siècle la France était rurale à plus  de 80 % }. De plus, il s’agissait d’une « propriété » non transmissible. Dans leurs propositions c’était à la com­munauté - collectivité, village, groupe, fédération - d’affecter ce logement à la disparition du titulaire. À tel jeune couple, à tel individu, sans qu’ils aient à atten­dre, pour vivre de façon autonome, la transmission d’un patrimoine. Cette idée était d’ailleurs complètement déconnectée de l’aspect patrimonial de la propriété; c’en était même la condition. Et le moyen pour chacun de ne dépendre de rien ni de personne.
On peut d’ailleurs rapprocher la question des peti­tes entreprises de type artisanal de celle de la « pro­priété » des moyens de subsistance vue par les anar­chistes individualistes du siècle passé. La condition supplémentaire étant : « sans y exploiter autrui », tel que l’avait définie les anarchistes espagnols durant la guerre civile. On voit d’ailleurs ici combien les deux questions essentielles de la pensée libertaire, celle de la liberté individuelle et celle de la propriété, sont étroi­tement liées.

La liberté m'habite

 Les choses

Elf, Saint-Gobain, les HLM de Paris, la Saari, la Mnef, trois cent mille balles le faux rapport, des employés municipaux en maîtres d’hôtel et femmes de chambre, une piscine ici, un hôtel particulier là, etc. C’est vrai que la tentation est grande de céder au faci­le, au croustillant, de dire: « Regardez ce salaud qui profite de son mandat, de son ministère, pour se remplir les poches, pour favoriser ses copains. »
'Trop souvent je lis, j’entends, mes camarades anar­chistes justifier leur refus des institutions et des struc­tures étatiques et administratives par un « tous pour­ris » aussi facile qu’imbécile. Laissons les politiciens haineux et leurs imitateurs établir leur fonds de commerce en conviant les cocus amers et les grugés échau­dés à la chasse « aux copains et aux coquins ».
Ce n’est pas du tout ça le problème. On n’est pas des déçus de l’ordre. La proposition libertaire n’est pas de débarrasser les pouvoirs municipaux, les conseils généraux et régionaux, les parlements et les ministères des tricheurs et des voleurs. L’anarchie n’est pas la recherche du politicien vertueux. Ce qui nous gêne, ce n’est pas que les politiciens et leurs potes se gobergent dans des sinécures au lieu d’exercer sérieusement le pouvoir. Le problème c’est précisément le pouvoir !
(J’irai même jusqu’à dire que pendant qu’ils se vautrent dans leurs privilèges et manigancent leurs détourne­ments, au moins ils nous foutent la paix !) Ce qui est absolument insupportable, c’est que des hommes et des  femmes s’occupent de nos vies, décident à notre place et définissent la manière dont nous pouvons satisfaire nos besoins et nos désirs.

«... J'ai vu à l'œuvre mes amis de la Commune, si honnêtes qu'en craignant d'être terribles, ils ne furent énergiques que pour jeter leurs vies. J'en vins rapidement à être convaincue que les honnêtes gens au pouvoir sont aussi incapables que les malhonnêtes sont nuisibles. Il est donc impossible que la liberté ne s'allie jamais avec un pouvoir quelconque. Si un pouvoir quelconque pouvait faire quelque chose, c'eût été la Commune, composée d'hommes d'intelligence, de courage, d'une incroyable honnêteté. Le pouvoir, incontestablement, les annihila. C'est que le pouvoir est maudit, et c'est pour cela que je suis anarchiste.»

Louise Michel, Mémoires.

Toute belle et émouvante que soit la découverte de l’anarchie par Louise Michel, si les anarchistes sont contre le pouvoir, ce n’est pas parce que l’histoire, l’ac­tualité et l’expérience leur  en démontrent la perversité, mais parce qu’ils refusent radicalement, systématique­ment et définitivement que les uns décident à la place des autres. Personne n’est plus qualifié que soi-même pour définir ses besoins, ses désirs, et les conditions pour les satisfaire, et les anarchistes pensent qu’on peut convivre en êtres libres qui prennent leurs choses en main.
Ce n’est pas (seulement) pour céder à la trivialité que je dis prendre ses choses en main. Je pourrais dire prendre en main son destin, mais foin de la grandilo­quence Ce dont il s’agit, c’est de se coltiner le réel, ces petites choses, ces moyennes choses, ces grandes cho­ses du quotidien, même si a posteriori, quand on regar­de derrière soi, on s’aperçoit que c’est de son destin qu’il s’est agi. C’est précisément ça que veulent les anarchistes : la possibilité pour chacun de se coltiner le réel en fonction de ses désirs, de ses besoins, de sa liberté. Ce sera, ce ne sera même que, à travers l’en­traide et à travers les luttes. Entraide et luttes face à ceux, tous ceux, pour qui il faut un ordre unique pour tous : celui existant aujourd’hui, ou celui qu’ils veulent établir en notre nom. Mais ce sera aussi à travers les moments de grand plaisir, de grand partage.
Les anarchistes ne sont pas des déçus de l’ordre qui veulent tenter autre chose en désespoir de cause. Ce sont des gens qui aiment la vie et la liberté, et les aiment suffisamment pour faire en sorte qu’elles exis­tent. Ici et maintenant; ni dans un au-delà à mériter, ni dans des lendemains qui chantent auxquels sacrifier le présent. On n’a que cette vie-là, pas question de la lais­ser mener ni même définir par qui que ce soit.

 La clé

Michel Bakounine, Camillo Bemeri, Voltairine de Cleyre, Joseph Déjacque, Manuel Dévaldes,
Sébastien Faure ,Emma Goldmann, Émile Henry, Pierre Kropotkine, Nathalie Le Mel, Gaston Levai, Albert Libertad, Ernesto Malatesta, Sylvain Maréchal, Louise Michel, Fernand Pelloutier, May Picqueray, Pierre- Joseph Proudhon, Lysander Spooner, Max Stimer,Voline, tant d’autres encore ont, par leurs écrits, leurs paroles, leurs actes, et quels ! fondé, popularisé, déve­loppé l’anarchie.
Mais l’anarchie n’est pas une doctrine. Il n’y a pas Maître Bakounine ou Sainte Louise Michel, ou qui que ce soit d’autres, à prendre en entier. Il n’y a pas à dire : « Chez Bakounine, chez Louise Michel, chez machin et machin, il y a tels et tels éléments donc il faut le faire puisqu’on est d’accord avec le reste. » S’il y a des cho­ses qui ne nous plaisent pas chez eux,  on s’enfout, on les prend pas. L’anarchie n’est pas un corpus doctrinal. L’anarchie, c’est l’histoire d’hommes et de femmes qui ont lutté ,espéré, désiré, qui ont eu des élans de vie, des élans de liberté (ce qui n’est hélas pas toujours syno­nyme, sauf précisément pour ces gens qui passent à l’acte). Ces hommes et ces femmes, s’ils ont écrit, s’ils ont pris la parole, ils ont aussi, ils ont d’abord, mis leur pensée en action. Dans la lutte, dans des réalisations concrètes, dans l’entraide.
Louise Michel, communarde, institutrice auprès des «petites gens», bagnarde et conférencière. Bakounine, déporté en Sibérie pour son action politique qui s’évade par le Japon pour rejoindre la vieille Europe en passant par le Nouveau Monde, semant la parole et l'action anarchiste tout autour de la planète, jusque dans la pre­mière Internationale. Albert Libertad, qui a mis en pra­tique dans sa vie d’homme un certain nombre de princi­pes non pas élaborés par un Panthéon libertaire, mais parce que pour lui vivre et être libre étaient parfaite­ment synonymes. Et les autres, tous hommes et fem­mes qui ont agi, vécu, décidé de mettre en pratique leurs convictions, leurs désirs.
Certains ont écrit, ou fait des conférences, d’autres non : Marius Jacob, Rirette, Maître Jean, Sacco et Vanzetti, Nestor Makno entre autres, dont on connaît l’action par des témoignages. Il y a aussi ceux qui ont surtout réfléchi, comme Sylvain Maréchal qui, durant la Révolution française, a fait des propositions étonne­ment pertinentes sur la condition de l’homme libre, ou Max Stimer qui a développé la philosophie individualis­te. Mais ni les uns ni les autres n’ont élaboré un systè­me idéologique. Ce sont des libertés en acte, des expé­riences dont on peut s’inspirer, mais s’inspirer aussi bien pour faire que pour ne pas faire. Ne pas faire ne veut pas dire que telle expérience, telle proposition ne convient pas parce qu’elle n’irait pas dans la « bonne direction », mais tout simplement parce qu’elle ne nous convient pas, parce qu’on n’en a pas envie.
Le propre de l’anarchie est de ne pas être une doc­trine qu’il faudrait appliquer avec un zèle laborieux. On lit les témoignages, les analyses, les théories... et on réfléchit avant d’agir. Tous ces écrits sont - et ne sont que - une nourriture pour les hommes et les femmes épris de liberté. Nous sommes des êtres libres qui faisont librement ce que nous voulons de ce qu’ont libre­ment écrit des hommes libres à partir de leur libre expé­rience et de leur libre pensée,.. Il n’y a pas de pro­gramme « clé en main ». Méfions-nous toujours de ceux qui disent avoir la clé : ils ont vite fait de faire la ser­rure qui va avec !

Baguette magique

Mais la société libertaire, comment ce sera ? Patatras ! Le problème, c’est pas qu’on rencontre régulièrement cette question; elle est fondée, et de loin ! Il serait même inquiétant et appauvrissant qu’elle n’apparaisse pas, avec sa nécessaire et provocatrice candeur. Non, le problème - que dis-je, le drame ! - c’est que les réponses ne manquent jamais ! Il se trouve tou­jours, pour y répondre, des militants, des penseurs; même des penseurs de la liberté. Il y a eu, entre autres, l’ahurissante obsession organisatrice de Pierre Besnard, Le Monde nouveau, qui  glace le sang tan telle gèle l’avenir; et régulièrement surgissent encore des utopies sur papier millimétré, des quadrillages de l’espoir, des cadastrages de la vie, des castrations de la liberté.
Définir un avenir - pire encore, l’Avenir, l’Unique, l’Universel (fût - il libertaire) -, déterminer à la place des gens de quoi leur vie sera faite, mettre en place l’itiné­raire fléché de la liberté, ne peut être qu’une escroque­rie liberticide. Je refuse obstinément et absolument de « voir » la société anarchiste. La verront ceux qui la feront et elle ne sera que ce que les gens en feront; je n’ai pas à avoir de projet pour les autres et je refuse à quiconque d’avoir des projets pour autrui. Le faire est la négation même de la liberté.

 La pensée libertaire repose - et ne repose que - sur le respect et l’autonomie des individus. Non un individu idéal au nom duquel on peut prendre de brillantes posi­tions théoriques et définir des stratégies générales et définitives, mais sur le réel désir des gens. La proposi­tion libertaire, c’est donner à tous - c’est-à-dire à cha­cun - le moyen de définir et pratiquer leur vie comme ils l’entendent.
La société libertaire n’existera que pour autant qu’elle n’existe pas comme projet. D’une part, il est impossible d’élaborer un projet définitif pour tous qui ne soit pas,par ce fait  même,totalitaire. D’autre part, il n’y aura de société libertaire que dans la mesure où elle sera une multitude d’expériences et de libertés échangées entre des gens. Voilà pourquoi je refuse de définir, et même de participer, à l'élaboration d'un modèle de société future.
La seule chose qui m ’importe est de participer à la mise en œuvre des moyens concrets, pour chacun et par chacun - et je répète que par chacun je n’entends pas un chacun générique, virtuel et théorique, mais chaque personne qui le désire - de faire ce qu’il veut avec qui le veut aussi.
Je n’en trouve pas de meilleure formulation que celle à laquelle William Godwin est arrivé en 1791 en réfléchissant sur ce qu’il advenait de la R évolution française :


« (...) L'association idéale est le couple de personnes qui discute d'un problème commun en confrontant des jugements personnels et qui devient, par agrégation spontanée, un «petit groupe d'amis ». C'est de la multiplication et de l'interaction de ces petits groupes que naissent de vastes et fluides associations plus nombreuses, toujours multiples et spontanées, où les personnes associées ne sont portées que  par leurs jugements personnels et ne se sentent liées qu'autant et qu'en tant qu'elles sont d'accord avec les autres sur de communes propositions d'action. (...) De telles associa­tions n'ont aucune permanence et aucune prétention d'uni­cité. Quiconque n'est pas d'accord n'a aucun devoir de s'y conformer. L'union y surgit de la convergence pour donner une solution commune à un commun problème. À peine ce problème résolu, l'association cesse d'exister. D'autres per­sonnes, variablement groupées, font, dans d'autres associa­tions, l'expérience de nouvelles voies. (...) »


Voilà comment je vois non la société anarchiste, mais mes relations à autrui, l'implication de mes actions dans celles d'autrui, la réalisation de mes désirs relativement aux désirs d’autrui, la satisfaction de mes besoins par rapport aux besoins d’autrui.
La seule question qui se pose aux anarchistes, ou qu’ils posent, c’est comment décrire un monde possible qui permette de convivre entre différents désirs, diffé­rentes volontés, différents modes de satisfaction des besoins. Entre différentes aspirations aussi car il y a différents regards sur le monde. Quelles luttes, ou plu­tôt quelles pratiques - y compris les luttes, mais pas seulement : il y a aussi l’entraide, les pratiques alter­natives autonomes, etc.- peut-on mettre en œuvre dès aujourd’hui pour arriver à cette cohabitation de désirs différents, de satisfactions différentes des besoins (ces besoins fussent-ils, et c’est rarement le cas ! communs) ? Ce n’est pas aux anarchistes seuls de répon­ dre à cette question et d’élaborer un projet pour tous. Il revient ! chacun de lutter, de s’organiser, d’agir comme il l’entend. Et il y aura non divergence mais apparition de différentes réponses, de différentes propositions, de différentes pratiques. Il n’est pas question d’en choisir une parmi elles, ni de dire qu’elles s’excluent mutuellement.Toute la question est donc bien la cohabitation, la tolérance entre ces différentes pratiques et aspirations.

 Par ailleurs il faut bien admettre que même dans une  « société anarchiste », on ne sera pas sorti de l’au­berge ! Les hommes ne vont pas devenir tout à coup, comm e sous l’effet d’une baguette magique libertaire, libérés de toutes leurs turpitudes. L’exploitation capita­liste reposant sur la contrainte, on peut raisonnable­ment penser que dans un monde où les gens feront ce qu’ils veulent avec qui le veut bien, il n’y aura plus de capitalisme. On peut le penser également pour la pro­priété et la guerre. Pour le reste, il faudra faire avec les mêmes hommes, les mêmes difficultés. La différence sera que pour y faire face ce ne sera plus des institu­tions coercitives aveugles élaborant des réponses juri­diques abstraites, mais des gens groupés comme ils l’entendent « pour donner une solution commune à un commun problème ».

 Fantaisies

 La plus belle, la plus simple, la plus enthousiasmante définition de l’anarchie est probablement celle d’Albert Libertad : « L’ anarchie, c’est la liberté de tous en tout.»
Bien sûr, immédiatement, les malhonnêtes profes­sionnels et autres sectaires amateurs vont rameuter tous les frileux en invoquant le viol, le vol, les violen­ces, etc. La liberté de tous ; c’est-à-dire la liberté de chacun. S’il y a au moins une personne qui n’est pas libre, il n’y a évidemment plus de liberté de tous, ni en tout . Se formaliser de cette formule, c’est refuser d’ad­mettre que « tous » veut toujours dire, et ne veut que dire, « chacun ». Mais l’ignorer, pu feindre de l’ignorer, permet de continuer de faire le malheur de chacun au nom du bonheur de tous...L’anarchie, parce qu’elle est « liberté de tous en tout » n’est pas de ces propositions qui permettent aux manœuvriers de toutes les Causes et aux sectaires bourrés de ressentiments, d’exclusive, et de clichés, de fondre chacun dans un collectif où l’in­dividu est nié, lié, laminé sous le rouleau compresseur des idéologies.
Laissons à ceux qui sont en quête de force de manœuvre et de levier pour leur stratégie le soin d’amalgamer les individus pensant, souffrant, désirant, en une masse homogène. Le cœur même de la pensée libertaire, c’est cette capacité de voir dans «tous» des individus irréductiblement et définitivement singuliers. Même ponctuellement rassemblés par telle ou telle  situation d’oppression, d’injustice, d’exploitation, jamais les aspirations, les désirs, les besoins de l’un ne s’identifieront à ceux d’un autre.
Cette liberté de tous en tout, William Godwin, déci­dément bien inspiré par les impasses républicaines jacobines en a trouvé une formule là encore irrempla­çable :

«Tout est valable, même les fantaisies les plus absur­des, même les formules les plus répulsives, aussi longtemps quelles trouvent des partisans pour les appliquer volontairement; sans prétendre y obliger les autres, aussi longtemps quelles ne font loi que pour ceux - là seuls qui sont librement associé à eux. Rien n'est valable du moment qu'ils s'agit de devenir règle pour tous.»
Bien sûr qu’il y a des tas de gens qui souhaitent vivre des choses dont je ne voudrais pas. Et de beau­coup ! Mais au nom de quelle prétendue universalité dont je revêtirais mes propres aspirations devrais-je les empêcher de vivre ce qu’ils veulent ? Ou pire, les obli­ger à vivre selon mes propres références? Au contraire, grand bien leur fasse ! Au moins pendant qu’ils se font du bien tout seuls à faire ce dont je ne voudrais pour rien au monde, ils me font des vacances ! Et la limite est clair: 
«...aussi longtemps qu’elles ne font loi que pour ceux-là seuls qui se sont librement associés à eux. Rien n’est valable du moment qu’il s’agit de devenir règle pour tous.»

Une des pierres de touche ( Moyen de vérification. La pierre de touche était un morceau de jade utilisée au Moyen-Âge par les changeurs pour vérifier la pureté de certains métaux précieux (elle était censée noircir au contact d'or pur).) de l’anarchie est la ques­tion de la tolérance, que je préfère encore appeler bien­veillante indifférence. Outre que la tolérance implique toujours une certaine condescendance, elle implique  d’abord un regard, et ensuite, surtout, un jugement. Or au nom de quoi juger ? Faut-il définir à l’avance une liste des « ennemis de la liberté », ou la liste de ce qui est, philosophiquement, intolérable (on a vu Umberto Eco s’y essayer dans les colonnes du Monde) ? Mais le problème est précisément que l’intolérable des uns est le tolérable des autres ! Seule l’indifférence évite l’é­cueil de ce qui se révèle vite être un nouvel ordre moral. Mais pas une indifférence qui consiste à contempler sans état d’âme, ou à ignorer confortablement, la souf­france d’autrui. Non, une indifférence bienveillante, une simple absence de jugement de valeur qui s’appuie sur ces quelques mots: « . . . aussi longtemps qu'elles ne font loi que pour ceux-là seuls qui se sont librement associés... » Mais dès qu’il y a loi imposée à qui ne s’était pas libre­ment associé, dès qu’il n’y a plus de liberté en tout pour au moins un individu, c’est « ma main sur la gueule » !
Je ne suis pas non-violent, ni partisan de la non-vio­lence. Il me semble nécessaire de savoir « mettre la main sur la gueule ».Parcontre je refuse absolument de mettre la main sur la gueule d’ennemis désignés une fois pour toutes.Bien évidemment, il y a le fascisme, le sexisme, le capitalisme, le racisme, le cléricalisme... La liste serait longue des ennemis intolérables. Pourtant l’approche en terme de liberté de tous en tout suffit : si quelqu’un entrave de quelque manière que ce soit la libre possibilité pour quiconque de vivre comme il l’entend, c’est...ma main sur la gueule ! Il n’est pas nécessaire qu’il figure sur la liste des ennemis dési­gnés. (On a vu dans l’histoire des anticapitalistes-anti-fascistes - antisexistes-antiracistes-anticléricaux avoir des pratiques qui entravent la liberté d’autrui : à Kronstadt, à Pétersbourg, en Ukraine et jusque devant le central téléphonique de Barcelone ! Pas besoin de savoir s’ils sont amis ou ennemis de la classe, s’ils sont ennemis désignés ou non.)

 L’exemple de la défense du droit à l’avortement est clair et exemplaire : si les libertaires s’opposent aux
commandos anti-IVG, ce n’est pas parce qu’ils veulent que toutes les femmes enceintes avortent ! Par contre les autres, les anti-IVG, veulent, eux, que toutes les femmes restent enceintes, même contre leur volonté. Les libertaires se mobilisent parce qu’il y a de la liber­té en péril, et pas de la liberté théorique, pas la liberté d’un «tous» idéal, mais la liberté d’une chacune réelle qui voit sa libre volonté entravée par la morale d’autrui. Les militants de ces commandos ne sont pas mes enne­mis parce qu’ils refusent l’avortement, ils sont mes ennemis parce qu’ils empêchent d’autres femmes de faire ce qu’elles veulent sous prétexte qu’eux n’aiment pas ça. Ils ne sont même pas mes ennemis à propre­ment parler - je peux même avoir pour eux une bien­veillante indifférence : s’ils aiment les familles nombreuses, grand bien leur fasse - c’est leurs victimes qui se trouvent être, momentanément, l’objet de mon entraide. Et je dis bien momentanément, car je suis convaincu que parmi les femmes qui se trouvent la vic­times de l’ordre moral il y en a avec qui je n’ai rien d’au­tre à voir que leur liberté d’avorter et avec qui je m ’op­poserai sur d’autres sujets. N’empêche !
Cette bienveillante indifférence, je l’ai pour tous, quels qu’ils soient, quoi qu’ils aiment, quoi que ce soit qui les fassent vivre, tant qu’ils font ce dont ils ont envie sans l’imposer à autrui. Un homme libre qui pra­tique librement ce dont il a envie sans l’imposer à per­sonne est quelqu’un avec qui je me sens, sinon sponta­nément mais en tout cas naturellement, en situation d’entraide. Il se donne les moyens de vivre ce dont il a envie sans chercher à le généraliser. C’est le cas (entre autres et aujourd’hui) de là république libertaire éduca­tive Bonaventure, où je n’aurais cependant pas mis mes enfants, de Radio Libertaire, dont j’apprécie moins du  quart des programmes, des squats, que je ne fréquente qu’avec circonspection, de la communauté agricole Longo Maï ou de celle, en Espagne, de Los Arenalejo, quel que soit le degré de sympathie ou de méfiance qu’elles m’inspirent, ou des croyants pratiquants de L’ Arche qui s’abstiennent néanmoins de toute offensive cléricale. Ils font ce qu’ils veulent comme ils le veulent avec qui le veut, sans jamais tenter de l’imposer à per­sonne. Ce sont des libertés souveraines en action et, quoique j’en pense par ailleurs, salut et entraide à eux !

 Coup de main

Je préfère, à l'idée de solidarité, celle de l'entraide  libertaire. Quoique mon père fût militant anarcho-syndicaliste et par ailleurs cotisant d’une caisse de solida­rité ouvrière, la première fois que j’ai rencontré le mot solidarité dans ma vie, c’était au début des années cin­quante, quand avec mes parents nous faisions du
camping sauvage. M.Trigano n’avait pas encore investi ce qui n’était pas encore un loisir de masse, et nous cam­pions dans des terrains de hasard avec du matériel de récupération de l’armée américaine ou bricolé par des artisans bâchiers. La tente tenait par des mâts consti­tués de tubes de métal emboîtés les uns dans les autres jusqu’au jour où quelqu’un d’astucieux eut l’idée de réunir ces éléments de mâts par une ficelle intérieure elle-même terminée par un ressort et un crochet. On ne perdait plus les éléments et cela s’appelait des mâts, « solidarisés ». Étymologiquement, solidarité vient de solidum , c’est-à-dire un ensemble compact, homogène et unique.
C’est encore cette idée d’un ensemble unique et commun qui fait apparaître dans le droit la notion de condamnation ou d’obligation « in solidum », quand plu­sieurs personnes sont contraintes de payer ensemble une somme donnée.
Ce n’est pas un hasard si le sens moderne et mili­tant de solidarité date, selon l’Académie, du milieu du siècle passé. C’était la période des grandes révoltes populaires (1830,1848...).Il se définit comme  « la relation entre personnes ayant un intérêt commun qui entraîne pour chaque élément de l’ensemble l’obligation morale de ne pas desservir les autres et leur porter assistance ».
C’est à cette notion d’intérêt commun et d'obligation que pour ma part j’oppose l’entraide libertaire.
L’absence d’intérêt commun me semble même être la chose la plus importante. Le plus bel exemple en est la lutte des sans-papiers. En ce qui me concerne, et en ce qui concerne bon nombre de gens qui soutiennent les sans-papiers, on a des papiers et on n’a pas de problè­m e de ce côté-là; quand bien même n’en aurions-nous pas, nous ne serions pas victimes de chasse au faciès ni de reconduite aux frontières ! Anars, on se fout des papiers. Et même des frontières. Il n’en reste pas moins que les sans-papiers en ont besoin pour être autono­mes.
Un autre exemple remarquable est celui des luttes féministes, que ce soit l’antisexisme en général, ou telle lutte ou revendication particulière. J’entends et lis parfois les féministes s’esquinter à trouver des arguties qui prouveraient que l’opposition au sexisme, ou la lutte pour le droit à l’avortement, concerne solidaire­ment aussi bien les femmes que les hommes,que nous y avons un intérêt commun. Outre que l’intérêt des hommes dans l’avortement me semble plutôt flirter dangereusement avec le machisme le plus immonde, la seule chose importante est qu’elles veulent pouvoir vivre sans harcèlements ni grossesses non désirées. Ceci est une raison qui se suffît tellement à elle-même que toute tentative de la renforcer par un autre argu­ment devient liberticide en ce sens qu’elle relativiserait et conditionnerait cette élémentaire liberté à un suppo­sé intérêt d’autrui !

 Il n’ y a pas d’intérêt commun. L’ idée même d’un intérêt commun pose question; c’est un réductionnisme inacceptable. Un être humain ne se réduit pas à une commune exploitation, à un commun statut de tra­vailleur (sauf, précisément, pour l'exploiteur !) ou à de communs emmerdements d’usager. Qu’a-t-on de commun avec tel ou tel, hors de s’entendre sur telle et telle chose particulière ? Certes, nous avons parfois besoin des quelques mêmes et élémentaires choses, mais elles sont tellement élémentaires qu’elles ne forment aucune communauté, sinon celle des êtres humains. Au-delà de l’élémentaire appartenance à l’espèce humaine, on n’a aucun intérêt commun, on n’a que des intérêts diffé­rents; et c’est précisément cette différence qui rend la proposition libertaire joyeusement enthousiasmante : s’entraider tous de manière que ces intérêts, ces besoins, ces désirs différents puissent s’épanouir et s’enrichir mutuellement, loin de la triste uniformité d’une solidarité de caserne ! L’intérêt commun est une notion tristement réductrice, étrangère à cette pensée libertaire qui veut et jouit de la liberté de tous en tout.
N’oublions pas non plus que l’intérêt commun conduit, dans sa version républicaine de la solidarité, jusqu’à la coercition: c’est la prison pour ceux qui sont en dehors de l’intérêt commun, les bagnes d’enfants et autres maisons de redressement (qu’il est d’ailleurs question de rouvrir au nom de l’intérêt commun) pour les jeunes à qui on n’arrive pas à inculquer cette notion de l’intérêt commun. Pour obtenir le RMI, ou toute autre forme de « solidarité » sociale - qui est tout sauf de l’entraide, juste des subsides pour ne pas crever, ou plutôt pour ne pas crever trop visiblement - il faut cor­respondre à toute une série de définitions et d’obliga­tions (condition de domicile, inscription dans un pro­cessus « d’insertion », etc.) prouvant qu’on est bien inscrit dans la ligne de « l’intérêt commun ».Sinon, pas  de solidarité ! L'intérêt commun conduit aussi, dans sa version révolutionnaire de solidarité de classe, à l'ulti­me et radicale coercition: le peloton.
L' entraide libertaire, elle, permet et respecte les démarches individuelles et l’aspect ponctuel et circons­tancié des élans de sympathie entre libertés autono­mes: « Sur ce coup-là je te file un coup de main, même si ça n'est pas mon truc. Je reste aussi libre après qu'a­vant, toi tu l'es plus, ça suffit pour qu'on s'entraide ponctuellement, c’est-à-dire sur ce coup-là précisé­ment. » La différence entre la solidarité et l'entraide, c'est celle qu'il y a entre la co-dépendance grégaire et l'élan de fraternelle sympathie qui laisse libres les deux parties.

 Désobéissance

L’ âge d ’or, c’est quand on veut. Il suffit de commen­cer. Bien sûr, ça ne va pas aller tout seul. Le pro­blème, ce n’est pas simplement la définition du monde meilleur quand il sera meilleur; ça, avec une ramette de papier et un bon stylo, j’en fais un tout de suite de monde meilleur — j’en fais même plusieurs, différents mais tous meilleurs !
Mais il ne suffit pas de convaincre tout le monde qu’avec ma ramette et mon joli stylo j’ai fait un monde encore meilleur que le monde meilleur précédent. Si on attend d’avoir convaincu tout le monde pour le vivre, l’âge d’or ce n’est pas pour demain. Mais faut-il vrai­ment que les choses soient bien finies, bien dessinées, bien réglées pour passer à l’acte ? L’ âge d’or, ne pour­rait-on pas le voir se faire petit à petit, en faisant confiance aux gens pour le construire, le vivre et le défendre eux-mêmes ?
Le passage à l’acte sera pas facile.
Mais si on veut que tout le monde aille dans le même sens, «le bon», ça sera encore moins facile. Il serait temps d’arrêter avec cette idée qu’on ne peut rien faire tant qu’on n’aura pas fait la révolution avec le bon programme, celui qui va satisfaire tout le monde tout le temps. Il ne peut pas y avoir de projets qui soient vala­bles pour tous et pour toujours. Par contre chacun de nous en a, et pour le temps qui lui reste. Un projet pour tous et pour toujours, je m’en fous. Ce qui m’intéresse, c’est un projet pour moi - et pour ceux qui veulent le  partager - tout le temps...qu’on en a envie. Mais «pour moi» ne veut pas nécessairement dire contre les autres. C’est à cela qu’on reconnaît les anarchistes : les gens qui ont envie de faire une chose, ils le font; ceux qui, à côté, ont envie d’en faire une autre, eh bien! ils le font aussi. Et le fédéralisme libertaire, c’est précisément faire en sorte que ces activités autonomes puissent cohabiter ou s’articuler entre elles. Dans l’entraide et la bienveillante indifférence.
Le passage à l*acte sera pas facile, donc, mais attendre le rendra pas plus facile. Attendre quoi ? Des temps meilleurs ? Une modification des rapports de force ? Des mobilisations qui le rendront plus facile ?  Une révolution où tout sera enfin possible ? C’est préci­sément du passage à l’acte que dépendront ces fac­teurs. C’est le passage à l’acte qui, par l’entraide, modi­fiera le rapport de force, toute la question du rapport de force est dans celle de l’entraide et du respect; entrai­de et respect dans l’action. Dans toutes les actions. Ceux qui veulent vivre d’autres choses autrement ne sont pas des adversaires ! L’ adversaire, c’est celui qui nous empêche de vivre comme on veut, pas celui qui veut vivre comme il veut.
On va me dire: «Tu ne te rends pas compte à quel point les gens sont aliénés, enfermés dans des besoins et des désirs artificiels créés par le capitalisme. » Mais on ne peut pas se contenter de dire « la révolution est impossible tant que les gens sont aliénés» et «quand on aura fait la révolution les gens ne seront plus aliénés» ! C’est toute la question du passage à l’acte concret qui se pose ici. Qui peut juger, et au nom de quoi, de la réalité de tel ou tel besoin pour telle ou telle personne ?
De plus en plus de gens ont besoin d’une voiture pour avoir un boulot, en général insatisfaisant, et gagner un salaire, en général insuffisant, qui sera bouf­fé par les traites, l’assurance, l’essence, l’entretien et quelques PV, à partles quelques centaines de francs qui resteront pour boucler la fin de mois. Doit-on attendre la révolution qui amènera le meilleur des mondes et en attendit supporter ces situations quand il y a tous les matins des milliers de personnes qui vont aux mêmes endroits, seules dans leur voiture ?
Des milliers de gens n’arrivent même plus à bouffer. Doit-on attendre la révolution et les laisser aux mains des curés et du contrôle social sous prétexte que ce n’est pas révolutionnaire de s’en occuper ?
Le passage à l’acte et l’entraide, c’est le plaisir de la vie dans l’action, du partage de ces actions dans la joie. Et ce plaisir, cette joie sont moteurs de désaliéna­tion; beaucoup plus qu’un tract ou qu’un projet, même bien fait, même s’il circulé sur Internet. C’est quelque chose qui donne enfin son sens au mot fraternité. Qu’on ne vienne pas me dire que c’est cureton, j’en ai marre. L’ amour de mon prochain est un sentiment qui ne me fait pas peur : ça fait deux mille ans que les curetons nous l’ont confisqué, il serait temps de se le réappro­prier et de le vivre, c’est-à-dire de faire ensemble, sans attendre, ce qu’on a envie de faire ensemble, au lieu de le leur laisser au nom de la révolution anticléricale !
On entend souvent: «Les anars ne font rien; ils ne proposent rien.»
Ceux qui ont voulu une radio ont fait une radio qui dure depuis bientôt vingt ans. Ceux qui ont voulu une école autogérée ont fait une école autogérée.Et des ate­liers, des restaurants, des communautés de vie, des squats, des crèches, des imprimeries, des laveries, des théâtres, des communautés agricoles, des menuiseries, des librairies... Ils l’ont fait dans la lutte, car il y avait des rapports de force à basculer, avec les propriétaires, avec les pouvoirs publics, avec les bien-pensants. Ils l’ont fait dans l’entraide, dans la joie, dans la fraternité Ils l'ont fait sans attendre parce qu’ils en avaient envie, et d’autres avec eux...
Si ça, ce n’est pas faire quelque chose, il faudra bien du talent pour m ’expliquer en quoi « les anars ne pro­posent rien. Les Verts - ou les communistes, ou ce que chacun veut mettre à la place -, oui, ils font des choses concrètes». Quelles choses concrètes ? Ah oui, ils bâtis­sent des programmes. Il ne faut pas perdre de vue que si les politiciens font, ils font en sorte qu’on ne puisse pas faire.Et en «faisant», ils mettent en place quelque chose qui gèle définitivement la possibilité pour tous - c’est-à-dire pour chacun - de faire.
À ces actions essentiellement individuelles, voire « égoïstes », on oppose toujours les actions de masse, même si, grèves mises à part et les salariés  qui y sont directement impliqués, il y a peu d’actions de masse.
Restent les manifestations, qu’on nous présente donc comme une action à laquelle il y a obligation d’être
nombreux pour qu’elle soit « de masse ».
Il est toujours plus facile, voire plus confortable, de manifester contre le racisme, l’ordre moral, la misère, etc. à quelques milliers entre République et Nation. (Il s’agit bien évidemment du nom des places, on n’a plus ces illusions !) que de pratiquer des alternatives concrè­tes dans la vie quotidienne. Bien sûr, réunis ensemble un samedi après-midi, on semble « faire masse ». La question de l’efficacité ou non d’être quelques centai­nes, voire - soyons optimistes - quelques milliers de plus ne se pose même pas: «On  ne peut quand même pas rester sans rien faire !»
Il ne faut jamais rester sans rien faire ! Mais croire qu’en manifestant on ne reste pas sans rien faire, c’est
admettre qu’il n’y rien d’autre à faire. Passer à l’acte, réaliser ses désirs, assumer ses besoins, c’est non seu­lement et très concrètement agir, mais aussi susciter  des solidarités et modifier des rapports de force bien plus sûrement qu'en manifestant. Se donner les moyens de vivre sa vie dans des pratiques alternatives, dans l’entraide, voilà qui a une force subversive incontestable.
Certains anarchistes disent qu’une action doit être révolutionnaire pour être anarchiste. Pas du tout. Mais une action doit être anarchiste pour être révolutionnai­re. Une toute jeune femme écrivait il y a cent ans : « L’obéissance c’est la mort. » Le bouquin qui commen­çait par ces mots s’appelle Pour  lavie; c’est un éloge de la vie. Désobéir c’est vivre, et vivre c’est agir.
Aucun pouvoir ne pourra jamais naître tant qu’on data: «Je ne fais que ce je veux.» Un passage à l’acte ici et maintenant, uniquement fondé sur les besoins et les désirs de ceux-là même qui agissent et qu’indiffère toute obéissance à l’ordre, que ce soit l’ordre moral, l’ordre social, l’ordre historique, sera toujours éminemment révolutionnaire et éminemment anarchiste car jamais aucun ordre ne pourra s’exercer là-dessus.
Pas même par la répression. Il y  a moins de 170000 policiers, gendarmes et CRS affectés au maintien de l’ordre. Même en y ajoutant les renseignements géné­raux, la surveillance du territoire, la police anti-immi­gration (4000 rien qu’à ça !) la PJ (Navarro et ses cosaques) et l’administration, la comptabilité, la forma­tion, on arrive tout juste à 200000. Ça fait un policier pour 300 personnes ! Même en enlevant les bébés et les vieillards, on reste 150 par policier !
L’âge d’or c’est quand on veut.

Victor Verlinde

 Petite bibliographie sommaire

Ragon (Michel), La Mémoire des vaincus, Albin Michel, 1990; Livre de poche, 1992.
David-Néel (Alexandra), Pour la Vie, Les Nuits Rouges, 1998.
Darien (Georges), Le Voleur, Gallimard Folio,1987.
Sp o o n e r (Iysander), Outrage à chefs d’État, Les Belles
Lettres, 1991.
Pu c c ia r e l l i (Domenoco), Le Rêve au quotidien, les expériences collectives de la Croix-Rousse 1975-1995,
Atelier de création libertaire, 1996.
Black (Bob),Travailler, moi ? jamais !, L’ esprit frappeur, 1997.
Groupe Maurice Joyeux ,brochures, rééditions et tirés à part, 145, rue Amelot 75011 Paris.
Écouter tous  les CD de Sarcloret et Serge Utgé-Royo.

«L ’esprit frappeur est étoilant et rieur. »
Georges Henein

«La vérité est si obscurcie en ces temps où le mensonge est établi qu'à moins d'aimer la vérité on ne saurait la connaître. » Biaise Pascal, Pensées
 

Citations et critiques sur le livre: L'ordre, mon cul ! La liberté m'habite

A) Si le communisme bolchevique et le nazisme peuvent être rassemblés dans un même nécessaire rejet , ce n'est pas parce que le meurtre de masse les relie , ce qui n'est ni un projet politique semblable , ni une volonté préétablie comparable , ni un immonde fantasme commun .

Ce qui les rassemble , c'est ce qu'Hannah Arendt définissait dès 1950 : l'existence d'un projet idéologique voulu comme un accomplissement de l'Histoire , " LA VOLONTÉ DE DOMINATION TOTALE " , le " Projet totalitaire ". Et cela seul ! TOUT POUVOIR , TOUTE IDÉOLOGIE EST LIBERTICIDE . Jusqu'à l'horreur .

Mais les horreurs se différencieront toujours autant que les idéologies qui les justifient . Celle des dirigeants nazis , avec leur obsession fantasmatique d'une race pure qui ne peut réaliser son devenir historique que dans l'extermination de tous ceux qui n'en sont pas . Celle des dirigeants bolcheviques , avec leur obsession d'une classe accomplissant l'Histoire par l'adhésion de tous à ce projet , fût-ce au prix de la terreur policière .

Même si le nazisme et le communisme bolchevique ne sont en rien comparables , ils procèdent bel et bien , l'un et l'autre d'une même immonde saloperie : LE POUVOIR .

Et il y a toujours des pouvoirs différents , produisant différemment des immondices différentes . 

De l'Irak au Kosovo , de la Tchétchénie au Rwanda , et , plus tôt , dans l'Algérie du maintien de l'ordre comme dans celle de la libération nationale , mes seules pensées , mes seules émotions , mes seuls élans n'ont été que pour les victimes . Et encore ! Uniquement les victimes sans uniforme ! celles qui voulaient juste vivre en paix avec leurs voisins ,cultiver et bouffer peinards leurs carottes , faire l'amour . seulement les victimes civiles .... Les autres ont ce qu'ils voulaient donner .

Ceux qui ont refusé d'être des crétins complices de canailles . Qui ont refusé l'obéissance , cette lâcheté particulière qu'on honore devant les monuments aux morts . Si il y a des héros de guerre , c'est bien uniquement ceux-là .

Quand le 11 novembre 1998 , le premier ministre rend hommage aux mutins de 1917 , c'est aux déserteurs de 1914 que je pense . ceux de 17 ont fait la guerre pendant 3 ans . Ils se sont mutinés parce qu'elle durait trop longtemps , parce que leurs chefs étaient mauvais ( a-t-on jamais vu de bons chefs de guerre ! ) C'étaient seulement des crétins lassés . Et c'est parce qu'ils restaient , même lassés , des crétins , qu'un ministre pouvait les honorer .....  

A propos des croyants et du cléricalisme : " quoique ça m'afflige , ils ne m'inspirent pourtant que bienveillante indifférence ou scepticisme rigolard . Basta ! S'ils aiment ça , grand bien leur fasse . Je serai même à leur coté si on les persécute pour ça , qui que ce soit les persécutant et au nom de quoi que ce soit ! Mais s'ils œuvrent ou manœuvrent pour obliger ou même simplement inciter autrui à appliquer leurs principes , ce sera ma main sur la gueule ( quelle que soit la forme que peut prendre ma main sur la gueule : paroles , écrits , actes , etc .... ) " 

Hardiviller


 

 

 

B) Ne pas oublier non plus que dans toutes les grandes villes il y a plus de logements vides que de SDF. Et dans les campagnes encore plus, et que la communauté européenne alloue aux paysans des primes pour qu'ils maintiennent leur terre en jachère. Dépenser des sommes considérables pour maintenir les gens dans la dépendance, ça, c'est socialement utile ! 

Et pour les déserteurs. Ceux qui ont refusé d'être des crétins complices de canailles. Qui ont refusé l'obéissance, cette lâcheté particulière qu'on honore devant les monuments aux morts. S'il y a des héros de guerre, c'est bien uniquement ceux-là.  

Il est du degré absolu de l'absolue bêtise de croire qu'il y a une solution unique pour tout le monde. Quant à prétendre la détenir, ça n'est plus de l'absolue bêtise, c'est de l'absolue suffisance. Et potentiellement du terrorisme : bêtise, suffisance et terrorisme sont synonymes dès lors que l'on croit pouvoir définir le bonheur d'autrui sans lui... 

blandine5674 


 

 

 

C) Le propre de l'anarchie est de ne pas être une doctrine qu'il faudrait appliquer avec un zèle laborieux. On lit les témoignages, les analyses, les théories... et on réfléchit avant d'agir. Tous ces écrits sont - et ne sont que - une nourriture pour les hommes et les femmes épris de liberté. Nous sommes des êtres libres qui font librement ce que nous voulons de ce qu'ont librement écrit des hommes libres à partir de leur libre expérience et de leur libre pensée... Il n'y a pas de programme "clé en main". Méfions-nous toujours de ceux qui disent avoir la clé : ils ont vite fait de faire la serrure qui va avec !  

philubi


 



D) J'entends et lis parfois les féministes s'esquinter à trouver des arguties qui prouveraient que l'opposition au sexisme, ou la lutte pour le droit à l'avortement, concerne solidairement aussi bien les femmes que les hommes, que nous y avons un intérêt commun. Outre que l'intérêt des hommes dans l'avortement me semble plutôt flirter dangereusement avec le machisme le plus immonde, la seule chose importante est qu'elles veulent pouvoir vivre sans harcèlement ni grossesses non désirées. Ceci est une raison qui se suffit tellement à elle-même que toute tentative de la renforcer par un autre argument devient liberticide en ce sens qu'elle relativiserait et conditionnerait cette élémentaire liberté à un supposé intérêt d'autrui ! 

Mais faut-il vraiment que les choses soient bien finies, bien dessinées, bien réglées pour passer à l'acte ? L'âge d'or, ne pourrait-on pas le voir de faire petit à petit, en faisant confiance aux gens pour le construire, le vivre et le défendre eux-mêmes ?  

KamilleB


 



4° de couverture :
Tous les prétextes sont bons pour faire de nous ce qu'on voudra, soldats, travailleurs, capitalistes, consommateurs, mais pas des êtres libres.
Le refus de l'ordre n'est pas nécessairement le désordre, et les anarchistes ne sont ni des aigris ni des rêveurs.
Ils disent simplement qu'il est temps pour chacun de vivre comme il l'entend, comme il l'aura décidé, parce que la vie n'est pas éternelle.
Et qu'il vaut mieux dire non que se taire.
Plus qu'un livre, un acte de résistance. 

louisemiches 


 





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