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février 11, 2023

RP#3 - Février 2023 - Thématique: Libéralisme/Anti-libéralisme

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 Le libéralisme est un système dans lequel s'épanouit celui qui utilise sa raison, qui fournit des efforts, qui échange ou s'associe librement avec les autres, notamment pour désigner un gouvernement à qui ils délèguent le pouvoir de faire respecter les droits individuels. Dans ce système, le transfert de biens d'un individu à un autre ne se fait pas par décret, redistribution, expropriation, vol, pillage ou faveur du prince, mais par l'échange volontaire.

Dans tous les autres systèmes, un pouvoir central domine peu ou prou l'individu, et exerce sur lui diverses spoliations.
Le libéralisme, contrairement à tous les autres régimes, n'admet pas la seule inégalité qui soit vraiment injuste : l'inégalité devant la loi : ce sont des libéraux qui ont éliminé l'esclavage, les castes, les titres nobiliaires, les privilèges. En revanche il ne considère pas comme immorales les inégalités de résultat. Mais n'est-il pas profondément injuste de récompenser de la même façon le paresseux et celui qui se donne du mal ? Celui qui fait n'importe quoi et celui qui réfléchit ? C'est parce qu'il existe cette récompense à la raison et à l'effort que les sociétés qui appliquent la morale libérale ont toujours été, dans tous les temps et sous tous les cieux, les sociétés les plus prospères, comme elles ont été les plus tolérantes, les plus ouvertes et les plus humaines.

 Jacques de Guénin (RIP)



 

SOMMAIRE:

A - Le libéralisme, ce grand incompris ! - Stéphanie Heng et Alban de la Soudière - La Tribune

B - L'homo-œconomicus est-il le seul avenir de l'homme ?

Qu'est-ce que le néolibéralisme et pourquoi est-ce terminé ?

E - Nonobstant ici sur ce blog la page Libéralisme



A - Le libéralisme, ce grand incompris !

Avant de devenir « néo » ou « ultra » et de générer beaucoup de fantasmes souvent injustifiés, le libéralisme était un courant de pensée basé principalement sur la promotion des libertés individuelles, tant dans le domaine économique que sociétal.

Aux Etats-Unis, où pratiquement personne, et surtout pas les deux grands partis, ne remet en cause l'économie de marché et ses fondements « capitalistes », être libéral est plutôt perçu comme à la gauche du spectre politique. En Angleterre, c'est au centre-droit mais nettement à gauche du parti « conservateur ». En Europe continentale, c'est clairement à droite, mais tout aussi clairement dans une frange de la droite qui se distingue fortement de l'autre frange « conservatrice ». L'énorme différence de perception entre les deux rives de l'Atlantique est liée à l'historique des gauches européennes, très marquées par le marxisme et l'anti-capitalisme même si les partis de gouvernement de tradition « social-démocrate », « socialiste » ou encore « travailliste » se sont adaptés depuis longtemps au concept d'économie de marché régulée.

Où réguler et où moins réguler : là est la question !

Le libéralisme classique repose beaucoup sur l'idée de marchés ouverts et d'un gouvernement limité. A l'origine, l'idée de gouvernement « limité » incluait non seulement un faible interventionnisme dans l'économie mais aussi une philosophie de dignité et d'épanouissement individuel à vocation universelle, y compris pour les groupes identitaires opprimés en tous genres.

Plus généralement, les libéraux apprécient la diversité sous toutes ses formes. Ils savent comment en faire une force. Ils savent comment traiter équitablement de tout, de l'éducation à la planification et à la politique étrangère, dans le but de libérer les énergies créatrices des gens.

La séparation des pouvoirs théorisée par Montesquieu est essentielle à leurs yeux, afin que personne ni aucun groupe ne puisse exercer un contrôle durable.

Un autre point essentiel est l'égalité des chances entre les entreprises, les groupes d'individus et les individus eux-mêmes. Cela doit se traduire, en particulier, en encourageant la concurrence sur des bases équitables, et en rendant l'éducation très largement accessible. Un des plus grands défis associé à ces principes est la fiscalité, qui doit trouver les bons compromis.

Libéralisme versus populisme

Cette diversité amène les libéraux à faire l'objet d'attaques de tous bords, en particulier des populistes blancs, bruns, rouges ou même verts, qui voudraient beaucoup plus de régulation chacun dans leur domaine, domaines bien évidemment peu compatibles entre eux.

Le libéralisme reste un milieu plutôt « juste » entre leurs très diverses positions, et le siècle dernier a amplement prouvé que les alternatives étaient des désastres horribles dans le domaine sociétal, tout en n'ayant que très rarement une efficacité économique source de progrès. Inutile d'insister sur l'URSS, l'Allemagne nazie ou la Corée du Nord. Les nuances positives qu'on doit reconnaître dans le domaine économique dans les cas du Chili de Pinochet et de la Chine depuis Deng Xiao Ping ne peuvent absolument pas compenser les graves atteintes aux libertés individuelles de ces régimes anti-libéraux.

Il faut aussi se méfier d'autres atteintes aux libertés, qui s'abritent derrière de nobles causes apparentes, de l'écologie à l'anti-colonialisme en passant par l'anti-racisme ou l'intersectionnalité (le front uni des « victimes ») et la « cancel culture » (une forme de négation ou de ré-écriture de l'histoire): ces idées, parfois belles à l'origine, dérivent trop souvent vers des tentations autoritaires, qu'on serait très inquiet de voir s'approcher des rênes du pouvoir.

Le libéralisme reste aujourd'hui le meilleur moteur d'un progrès équitable tant économique que social.

Le libéralisme en période de crise

Comme nous le montre la pandémie depuis des mois, les crises et les situations d'urgence mettent les systèmes libéraux en difficulté car ils les forcent à restreindre les libertés contre leurs habitudes, au contraire des régimes structurellement moins libéraux, où c'est monnaie courante, crise ou non.

Dans une interview publiée par Public Sénat le 11 juillet 2020, la philosophe française Monique Canto-Sperber analyse la crise sanitaire (covid-19) : "Dans une période de crise comme celle que nous traversons, tout le monde regarde vers l'État. La délibération, les contre-pouvoirs et les autorités indépendantes, trois notions centrales dans la pensée libérale, ne sont opérationnelles que dans la lenteur, la diversité et la consultation. Or, en temps de pandémie, ces exigences volent en éclat", rappelle-t-elle. Selon elle, par conséquent, en général "le libéralisme sort traumatisé de périodes comme celle-là." Elle montre pourtant que le libéralisme "sort renforcé de cette séquence" : "les pays qui ont le mieux réagi à l'épidémie sont des pays dans lesquels la consultation n'a jamais été interrompue, dans lesquels le parlement a toujours siégé et où on a pu entendre les avis contraires, en particulier les avis du bord politique opposé."

 Par Stéphanie Heng, politologue franco-belge et experte en communication et Alban de la Soudière, polytechnicien et fonctionnaire international 

Source: La Tribune



B - L'homo-œconomicus est-il le seul avenir de l'homme ?

 Le concept de « fin de l'Histoire » est un héritage de la philosophie allemande qui a connu un regain d'intérêt au début des années 90, lors de l'effondrement du régime soviétique, grâce à la publication du désormais célèbre ouvrage de Francis Fukuyama qui annonçait une telle fin de l'Histoire, c'est-à-dire le fait d'avoir atteint un modèle politique et économique indépassable : la démocratie libérale. Sauf que le choc des civilisations, théorisé à la même époque par Samuel Huntington et inscrit dans les faits depuis, est venu bousculer les certitudes des Occidentaux, de même que la résurgence des modèles politiques illibéraux, tel celui de Viktor Orbán au cœur de l'Europe, qui semble mieux résister à la violence des chocs civilisationnels que le nôtre, et surtout l'incroyable essor des modèles capitalistes autoritaires, comme en Chine, qui est le véritable gagnant de la mondialisation. Trente ans après, l'Occident est déclassé, l'hyperpuissance américaine n'est qu'un lointain souvenir, l'Europe est au bord de la désintégration, quoi qu'en disent ses thuriféraires, et la France des métropoles ressemble à s'y méprendre à un pays du tiers-monde. Donc, pour répondre à votre question, non, ce n'est pas la fin de l'Histoire, non le modèle libéral n'est pas un must indépassable. Mais, dire cela, c'est ne rien dire, car tout le monde s'en était rendu compte. La question qui m'a occupé dans ce livre a été : une fois ce constat d'échec posé, que fait-on ?

La réponse a consisté, dans un premier temps, à opérer une relecture de l'ouvrage de Francis Fukuyama, « La fin de l'Histoire et le dernier Homme ». Pourquoi ? Principalement parce que s'il a été beaucoup critiqué, il a surtout été mal lu ! Disons-le : Fukuyama est absolument brillant, et il a indiqué lui-même qu'il y avait un problème dans son modèle. Ses critiques l'on fait passer pour un néolibéral standard, adepte du capitalisme américain, mais Fukuyama s'inscrit dans la continuité de la philosophie allemande, Kant, Hegel et Nietzsche ; et il est un disciple de Kojève, lequel relit Hegel à travers la dialectique du Maître et de l'Esclave. Qu'est-ce à dire ? Tout d'abord que Fukuyama n'a rien d'un néolib' idéaliste façon « Mozart de la finance », et surtout que le véritable pivot de son argumentaire, et en même temps sa grande faiblesse conceptuelle, ne réside pas dans « la fin de l'Histoire », mais dans « le dernier Homme »… Or, tout le monde est passé à côté ! Interrogeons-nous : à quoi ressemble-t-il, ce « dernier Homme » ? Fukuyama y répond, sans détour : à un bourgeois déraciné, repu, gavé de richesses, qui renonce à la guerre au profit d'une vie toute de consommation. En d'autres termes, il ressemble à un « chien bien nourri ». Le voilà, l'idéal anthropologique des libéraux. Et là, chacun comprendra aisément qu'on a un sérieux problème !

Francis Fukuyama décrivait dans « La Fin de l'histoire et le dernier homme », la contradiction anthropologique du libéralisme : « [Les êtres humains] voudront être des citoyens plutôt que des bourgeois, trouvant la vie d'esclave sans maître – la vie de consommateur rationnelle – en fin de compte lassante. Ils voudront avoir des idéaux au nom de quoi vivre et mourir, même si les plus importants ont été réalisés hic et nunc , et ils voudront aussi risquer leur vie, même si le système international des États a réussi à abolir toute possibilité de guerre ». Cette contradiction a-t-elle été et peut-elle être résolue ?

Vous mettez le doigt sur le sérieux problème, que Hegel, et après lui Marx, nomment « contradiction ». Celle-ci est de nature anthropologique, c'est-à-dire qu'elle concerne l'essence de l'homme. Francis Fukuyama a bien évidemment conscience, au moment où il écrit son ouvrage, que le modèle libéral qu'il défend n'est pas libre de contradictions, car le « dernier Homme » tel qu'il l'envisage ne saurait exister. Quel individu a envie de ressembler aux bourgeois tartuffes illustrés par Daumier, nombrilistes préoccupés uniquement de satisfaire leur bien-être matériel ? L'homo-œconomicus sera empêché de céder à la médiocrité de l'idéal libéral par sa vanité, ou, pour le dire de façon plus philosophique, par son « désir de reconnaissance », ou, pour le dire de façon encore plus philosophique, à la mode platonicienne : par son thymos, et plus particulièrement par sa mégalothymia, sa volonté de puissance.

Posons-nous cette question : pourquoi les sociétés occidentales, au tournant de la Révolution industrielle, renoncent-elles peu à peu au modèle aristocratique de la guerre au profit du modèle bourgeois de l'échange ? Cela a pris plus d'un siècle, et il y a eu des allers-retours (et il y en a encore), mais la dynamique historique est bien celle-là. Pourquoi la production et l'échange plutôt que la guerre et la conquête ? Benjamin Constant y répond ainsi : « La guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d'arriver au même but : celui de posséder ce que l'on désire ». Pour le dire autrement : La richesse est aussi un synonyme de puissance. L'enrichissement est un autre moyen pour un individu (comme pour un État) d'assouvir sa volonté de puissance, d'asseoir son désir de reconnaissance, de satisfaire son thymos, de se distinguer des autres individus (ou de dominer les autres États).

L'enjeu n'est pas de devenir des illibéraux, mais des post-libéraux, c'est-à-dire de prendre le recul nécessaire pour développer un modèle qui permette d'insérer l'idéal de liberté dans un écrin plus majestueux que celui, en toc, qui nous a été livré par les Lumières anglo-saxonnes
Fukuyama, à la suite d'Alexandre Kojève, a cru que le libéralisme, politique et économique, permettrait de maîtriser, voire d'annihiler, la volonté de puissance des individus comme celle des États, et d'obtenir une société entièrement pacifiée. Le XXIe siècle leur a apporté un cinglant démenti, en consacrant la victoire de Machiavel sur John Locke. Le seul moyen de maîtriser la volonté de puissance, c'est de lui opposer une autre volonté de puissance : thymos contre thymos. Le libéralisme a permis de modifier les formes de la rivalité, entre individus comme entre États, non de mettre un terme à cette rivalité. Tout l'enjeu consiste donc à continuer de faire évoluer les formes de la rivalité mégalothymique afin de nous libérer des contradictions propres au libéralisme, de son incapacité à tenir ses promesses en matière économique et sociale, et de sa propension à détruire la beauté du monde, à brûler la nature et à ruiner les civilisations. En d'autres termes, d'en finir avec le libéralisme…

Le concept de liberté a existé bien avant l'apparition du libéralisme. Il survivra aisément à sa disparition. D'autant que l'enjeu n'est pas de devenir des illibéraux, mais des post-libéraux, c'est-à-dire de prendre le recul nécessaire pour développer un modèle qui permette d'insérer l'idéal de liberté dans un écrin plus majestueux que celui, en toc, qui nous a été livré par les Lumières anglo-saxonnes : l'accroissement indéfini des droits et de la richesse des individus.

La question est : comment faire ? Certains envisagent de revenir à un concept de liberté plus proche de celui qu'avaient les Anciens, dans l'Antiquité grecque notamment. Je préfère penser que nous sommes Modernes et que nous le resterons ! Le grand coup de génie politique des Modernes réside dans la création de cet espace de liberté incroyable qu'est la « société civile ». Nous devons en repenser les formes politiques afin de la protéger et de lui rendre son intégrité, et sa spécificité occidentale, et nationale.

Notons que ce n'est pas l'État, mais la société civile qui est ciblée, autant par l'Islam civilisationnel que par le capitalisme américain ou chinois ; et le libéralisme facilite leur emprise progressive par l'extension indéfinie, et aveugle, de ces libertés dites « fondamentales ». Rappelons qu'avant la multiplication des hidjabs et du halal, la France a connu la multiplication des jeans, basket et des hamburgers. Le libéralisme, y compris sous sa forme socialisée, a-t-il constitué un rempart efficace face à ces softs powers civilisationnels agressifs ? Absolument pas ! Notre société civile, notre lieu de vie en commun, nos mœurs, nos traditions, notre environnement, ont été américanisés hier, ils sont islamisés aujourd'hui, et ils seront sans nul doute sinisés demain. Les responsables politiques, quels qu'ils soient, se paient de mots lorsqu'ils parlent de protéger notre civilisation. La vérité c'est que leurs modèles politiques de référence sont tous, peu ou prou, rattachés à une forme de social-libéralisme, d'une impuissance totale parce qu'entièrement aveugle au fait civilisationnel.

À vrai dire, développer un modèle politique civilisationnel digne de ce nom – c'est-à-dire qui soit autre chose qu'une caricature d'autoritarisme politique allié à un libéralisme économique déguisé – est le seul moyen d'exister face à la Chine et aux États-Unis. Qui peut croire sérieusement que le modèle libéral mondialisé nous permettra de rendre à la France sa puissance et de rivaliser avec la Chine ou les USA ? Qui peut croire qu'une dose de protectionnisme économique nous permettra de sauver notre économie, de revitaliser nos territoires, de redorer notre patrimoine ? C'est une véritable révolution intellectuelle et politique qui est attendue si nous voulons éviter d'être fossilisés.

Nous avons progressé cependant, il convient de le noter, car nous posons désormais collectivement – gauche radicale exceptée – le constat de la menace qui pèse sur notre héritage civilisationnel. Le fait d'avoir renoncé au terme « identité nationale » au profit du terme « civilisation » est une première victoire qui reflète une prise de conscience culturelle salutaire. Mais c'est insuffisant. Car, nous nous soumettons encore, sans l'avouer, à l'éternel modèle économique et politique libéral. En gros, nous moquons publiquement la « fin de l'Histoire » de Fukuyama, nous nous rions ouvertement de la prétendue victoire des démocraties libérales, mais intérieurement, nous y souscrivons pleinement, et nos réflexes intellectuels, politiques, et même électoraux, en témoignent. Nous nous comportons comme si le libéralisme avait réellement gagné. Nous sommes intellectuellement restés bloqués au XXe siècle, prisonniers de concepts tels que : démocratie, croissance, réduction des inégalités, protection des libertés individuelles, Laïcité, Innovation, Défis technologiques, réduction de la dette… Rien de tout cela ne nous permettra de résister face aux géants de demain, car ces concepts relèvent d'un même et unique paradigme : le libéralisme. Or, celui-ci est dans l'impasse. Il n'a pas gagné ! Faut-il le répéter ? Lisez Kishore Mahbubani ! Demain, la Chine gagnera.

Rendre à la beauté la place qui lui est due politiquement aura une conséquence immédiate : faire descendre l'homo-œconomicus libéral de son piédestal, et y faire monter à sa place l'homo-æsthéticus.
L'unique solution consiste à changer de paradigme. Le paradigme civilisationnel n'est pas seulement une bizarrerie d'intellectuel, c'est un moyen de rendre à l'Occident son influx. Cela suppose de transformer notre conception de la puissance. Pour le dire vite : neutraliser les ferments de la conquête comme ceux de la concurrence. Pour y parvenir, il nous faut plonger au cœur du libéralisme, et principalement du libéralisme économique, pour exhumer ce qui pourrait permettre de le dépasser, la fameuse contradiction non résolue, la faiblesse du « dernier Homme ». Kojève nous offre la solution. Il a, en effet, abandonné son idéal du dernier Homme libéral lors d'un voyage au Japon, en 1958, lorsqu'il a découvert les merveilles de la civilisation japonaise et son idéal de beauté, au travers du théâtre Nô, de la cérémonie du thé, de la composition florale…

Elle seule peut le faire, aussi étonnant que puisse paraître cette réponse. La beauté est, dans sa dimension politique, le grand impensé de notre époque. Même Simone Weil, lorsqu'elle égrène la longue liste des besoins de l'âme : ordre, liberté, obéissance, responsabilité, etc., n'en dit pas un mot. Se pourrait-il que l'âme puisse se dispenser de beauté ? Bien évidemment pas, mais la considérer sous sa forme politique est un défi – sauf à l'ancrer dans une conception civilisationnelle du politique.

La beauté occupe dans le paradigme civilisationnel la place de la morale dans le paradigme libéral. Car, en effet, de Jean-Claude Michéa, adepte de la common decency orwellienne, à Amartya Sen, prix Nobel d'économie, la moralisation de l'économie semble être l'unique réponse à notre mal-être libéral. Le hic ? La morale est impuissante à prendre en charge les attentes du thymos, elle est incapable de dompter la mégalothymia visible dans le processus d'accumulation indéfinie de capital.

La beauté peut y parvenir, en revanche. Pourquoi ? Parce qu'elle se trouve au cœur de la mécanique d'acquisition des richesses, au cœur de la mécanique capitaliste. Il faut lire l'ouvrage de Lipovetsky et Serroy, « L'esthétisation du monde », lesquels décrivent cela très bien – sans pour autant en tirer les conséquences qu'on pourrait attendre, de façon étonnante… Pour le dire de façon imagée : ce ne sont pas les vertus des aristocrates qui sidéraient le peuple naguère, mais le faste de leurs vêtements et de leurs palais. C'est aussi la beauté de notre patrimoine, naturel et culturel, qui attire chaque année des millions de touristes. Car la beauté est, comme la richesse, synonyme de puissance. Dans tout ce que nous achetons, nous visons la beauté : nos vêtements, nos meubles, nos voitures, jusqu'à la brosse qui sert à nettoyer nos WC. Tout passe entre les mains des designers, sans lesquels rien n'est aujourd'hui commercialisable.

Rendre à la beauté la place qui lui est due politiquement aura une conséquence immédiate : faire descendre l'homo-œconomicus libéral de son piédestal, et y faire monter à sa place l'homo-æsthéticus. Notons que cet homo-æsthéticus n'est pas une création d'intellectuel. Il a existé très largement en Europe, dans ce qui a été le berceau de la Modernité : l'Italie de la Renaissance. Il revêtait à l'époque le visage de l'humaniste lettré, avant d'endosser l'habit de l'aristocrate durant le Grand Siècle français, initiateur du « paradigme des manières » cher à Montesquieu, dans des salons où le rôle des femmes était central tant féminité et civilisation sont inséparables. Il n'est nulle part mieux décrit que dans l'ouvrage de Baldassar Castiglione, « Il Cortegiano », qui surpassait largement le bourgeois urbain contemporain par… sa grâce. De cette grâce qui est venue aux hommes, dit-on, par le Christ, et qui n'est pas seulement synonyme de beauté – Alain Pons nous expliquant qu'elle est aussi « l'acte par lequel on s'attire de la reconnaissance ». Revoilà donc le thymos, dès la Renaissance italienne, pris en charge d'une manière qui n'a rien à envier au libéralisme tant l'humanisme a su créer les merveilles de notre civilisation que le libéralisme n'a de cesse de ruiner.


 

Dans un essai de philosophie politique, « Comment sortir de l'impasse libérale ? », l'écrivain et politologue Frédéric Saint Clair interroge l'échec des démocraties libérales, à l'aune des crises géopolitiques actuelles.

Ancien conseiller du Premier ministre Dominique de Villepin, Frédéric Saint Clair est écrivain et politologue. Il publie « Comment sortir de l'impasse libérale ? Essai de philosophie politique civilisationnelle » aux éditions de l'Harmattan.

 


Qu'est-ce que le néolibéralisme et pourquoi est-ce terminé ?

Et si la pensée néolibérale était passée de mode ? La débâcle de la gestion européenne de la pandémie de coronavirus en 2020 en a été la bien triste illustration. Pénuries de masques, de vaccins, urgences débordées… Le choc du Covid-19 a bouleversé les marchés financiers et a nécessité des plans de sauvetage massifs de la part des États pour répondre en partie aux pénuries. Plus récemment, la spectaculaire démission de Liz Truss a constitué un autre signal fort. Succédant à Boris Johnson, qui rompait peu à peu avec la tradition économique thatchériste des tories de rigueur depuis les années 1980, la première ministre britannique a proposé un «mini-budget» qui prévoyait la réduction des dépenses publiques ainsi que des recettes de l'État (baisse du taux d'impôt sur les sociétés, baisse de l'impôt sur les plus riches, baisse des taxes sur les contributions immobilières, baisse des contributions à la sécurité sociale etc.). Impopulaire, désapprouvé par les marchés financiers, ce programme de réduction du périmètre de l'État a provoqué une crise politique, jusqu'à pousser Liz Truss à quitter son mandat au bout de... 44 jours.

Le néolibéralisme, doctrine qui entend mettre l'Etat au service du bon fonctionnement des marchés, est-il parvenu à ses limites ? C'est l'hypothèse qu'émet le professeur d'économie à l'université d'Angers David Cayla, dans son dernier ouvrage Déclin et chute du néolibéralisme. D'après le chercheur, il faut remonter à la fin des années 2000 et à la crise des subprimes pour entendre sonner le glas de cette pensée longtemps hégémonique.

D'après Cayla, le néolibéralisme s'impose dans la deuxième moitié du XXe siècle à la faveur de quatre grandes crises qui ont entraîné la désagrégation des mécanismes de régulation de l'économie : la fin des accords de Bretton Woods, le choc pétrolier signant le retour de l'inflation, la désindustrialisation des pays développés et la disparition de la croissance économique. Lorsque l'inflation s'accélère au tournant des années 1970, les économistes sont appelés à la rescousse. Contrairement aux penseurs libéraux, les néolibéraux ont mené une réflexion au sujet des cadres légaux et formels au sein desquels les marchés doivent fonctionner. Ils sont également parvenus à changer en profondeur les manières de voir le marché. Autrement dit, le néolibéralisme ne doit pas se borner à faciliter les échanges commerciaux et les interactions marchandes, il doit aussi permettre la coordination des comportements entre individus qui disposent de compétences spécifiques. Dans ce cadre, l'État doit se mettre au service du fonctionnement optimal des mécanismes de marché. Expérimenté en Europe à la faveur de la restructuration de l'Allemagne d'après-guerre, le mode de pensée dit néolibéral se diffuse durant toute la deuxième moitié du XXe siècle.

Si ce modèle s'impose durablement dans le monde occidental, selon David Cayla, il est de moins en moins d'actualité. Un événement majeur s'impose comme tournant : la crise des subprimes en 2008. Afin de sauver le système financier après la faillite de plusieurs banques, les Banques centrales ont été contraintes, pour sauver le système financier, d'intervenir massivement pour reprendre le contrôle des taux d'intérêt. Une telle intervention s'apparente à une administration publique de la finance, soit l'inverse des objectifs des néolibéraux.

Pendant ses années d'expansion, le néolibéralisme n'a pas été confronté à de graves pénuries structurelles. Récemment la crise du Covid-19 a remis en cause ce modèle. Et l'intervention à grande échelle des États dans l'économie, et ce, même aux États-Unis, a montré les limites de ce modèle. Ces crises sont vouées à se reproduire, selon David Cayla, notamment en matière d'énergie. Mais ce vide réflexif ne laisse pour l'instant pas place à un nouveau modèle. La fin du projet qui consiste à faire de l'État l'arbitre impartial d'un système de régulation autonome soumis à des marchés en concurrence ouvre la voie à un projet différent dans lequel, selon l'économiste, l'État devra lui-même piloter des pans entiers de l'économie. Dans une société où les pénuries sont amenées à se multiplier, l'État ne peut être démissionnaire ou se poser en simple arbitre, défend l'auteur de Populisme et néolibéralisme. Se passer du marché, comme se passer de l'État, n'est pas possible. Convoquant le juriste Alain Supiot et l'anthropologue David Graeber, l'auteur alerte sur le potentiel avènement d'un système économique néoféodal, conséquence de l'affaiblissement de l'État de droit : les libertés individuelles ne seraient alors plus garanties et l'on exigerait de chacun une loyauté envers un supérieur, qu'il soit hiérarchique ou étatique. Cayla appelle à une réflexion globale sur notre système économique, afin de répondre à l'urgence climatique et à la raréfaction de nos ressources naturelles, mais met en garde : l'incontournable restauration du respect de la volonté démocratique ne doit pas conduire à remettre en cause les libertés individuelles.


 

 Dans son dernier essai «Déclin et chute du néolibéralisme» (De Boeck Supérieur), l'économiste David Cayla estime que la doctrine néolibérale est en train de s'essouffler. Face à ce constat, il propose plusieurs alternatives à ce modèle.

 


 

 

 



novembre 29, 2014

MONTESQUIEU - La liberté politique.

L'Université Liberté, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Comme de multiples critiques l’ont montré, la notion de liberté occupe une place centrale dans la pensée politique de Montesquieu1. Avant de la définir dans les quatre premiers chapitres du livre XI et de l’expliciter en tant que « système »2 dans les trois premiers livres de la seconde partie de l’Esprit des lois, le président de la Brède la mentionne pour la première fois dans le troisième chapitre du livre I où il a entrepris de préciser les rapports que peuvent avoir les lois positives avec les différents facteurs qui les déterminent et les font. «Elles (les lois) doivent se rapporter au degré de la liberté que la constitution peut souffrir »3. Montesquieu revient sur la même idée de liberté dans le chapitre 2 du livre VI. Tout d’abord pour montrer que « les peines, les dépenses, les longueurs, les dangers même de la justice, sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberté4. Ensuite pour faire remarquer que la complexité des lois est le propre des républiques et des monarchies et que les formalités de la justice augmentent dans les Etats modérés non despotiques « en raison de5cas que l’ont y fait de l’honneur, de la fortune, de la vie, de la liberté des citoyens » . La liberté, « ce bien qui fait jouir des autres biens6, est donc l’apanage de chaque bon gouvernement7 (qui sait bien se défendre et défendre ses individus.) Voilà la raison pour laquelle Montesquieu en place l’étude suite après l’examen des lois destinées à assurer la sécurité militaire de l’Etat. 


Confronté à la polysémie du terme, Montesquieu distingue la liberté philosophique de la liberté politique. « La liberté philosophique consiste dans l’exercice de sa volonté, ou du moins (s’il faut parler dans tous les systèmes), dans l’opinion où l’on est, que l’on exerce sa volonté. » Par contre, « la liberté politique consiste dans sa sûreté ou du moins de l’opinion que l’on a de sa sûreté»8. Etant de nature métaphysique, la première espèce de liberté est abstractive et ne concerne que l’âme. Comme telle, elle transcende la réalité que désigne la vie collective et se détourne des problèmes qui se rapportent à l’organisation sociale : « La liberté pure est plutôt un état philosophique qu’un état civil »9. Montesquieu, précurseur de la sociologie moderne10 et fondateur de la sociologie juridique,11 refuse d’appréhender la liberté selon des concepts aprioriques ou des appréciations subjectives. Pour lui, la liberté est reliée à des lois objectives qui « dérivent de la nature des choses ». Elle est donc un fait social et ne concerne pas l’individu insulaire et autarcique. C’est pour cela que la vraie liberté, à savoir la liberté politique, n’est pas l’indépendance ou la licence, mais la liberté sous la loi ou « le droit de faire tout ce que les lois permettent »12. Ainsi, la liberté politique n’est ni l’indépendance, ni le droit de faire ce que l’on veut, car ce serait l’anarchie, le chaos, et des luttes effrénées entre les citoyens. Elle n’est pas non plus le pouvoir collectif de la multitude d’imposer ses volontés, car ce pouvoir pourrait être exercé arbitrairement : « Comme dans les démocraties le peuple paraît à peu près faire ce qu’il veut, on a omis la liberté dans ses sortes de gouvernements ; et l’on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple »13. De même qu’il ne faut pas confondre liberté et démocratie, de même il ne faut pas l’assimiler à la légalité. Car, bien que lois, les lois tyranniques ne produisent pas le sentiment de sécurité. Pour développer cette idée, Montesquieu compare « les bonnes lois » dans un gouvernement sage, monarchique ou aristocratique à«de grands filets, dans lesquels»«les poissons » « sont pris, mais se croient libres », et les mauvaises « [d]ans les Etats purement despotiques » à « des filets » dans lesquels ils se « sont si serrés que d’abord ils se sentent pris »14. La liberté politique ne réside donc ni dans la participation à l’exercice du pouvoir, ni dans la simple soumission à la loi. Elle consiste dans la sécurité des citoyens et dans leur certitude que leurs personnes, leurs familles et leurs biens sont protégés par l’Etat contre l’autorité inique de l’arbitraire. « Le seul avantage qu’un peuple libre ait sur un autre, c’est la sécurité où chacun est que le caprice d’un seul ne lui ôtera point ses biens ou sa vie. Un peuple soumis, qui aurait cette sécurité-là bien ou mal fondée, serait aussi heureux qu’un peuple libre»15. La sécurité consubstantielle à la liberté ne peut pas avoir lieu dans le régime despotique, où le souverain n’est pas lié à des lois et commande à l’aveuglette sous la dictée de ses passions : « Un homme libre qui a un juste sujet de croire que la fureur d’un seul (...) ne lui ôtera la vie ou la propriété de ses biens »16. Voilà pourquoi « Personne n’est libre en Turquie, pas même le Sultan »17. La protection des citoyens contre l’asservissement social et politique, toujours et pour toujours illégal et inhumain, ne peut prendre corps que dans les Etats modérés et non despotiques : « La démocratie et l’aristocratie ne sont point des Etats libres par leur nature. La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés »18. Nécessairement exclue des gouvernements despotiques, cette liberté se trouve aussi bien dans une monarchie que dans une république. « Il faut conclure que la liberté politique, concerne les monarchies modérées comme les républiques, et n’est pas plus éloignée du trône que d’un sénat »19. Il en ressort, comme le dit savamment Paul Vernière, que « l’idée de liberté politique », chez Montesquieu, est « liée à l’idée technique de modération »20. 



La modération
La modération est la condition sine qua non de la liberté. Ou disons, pour reprendre les belles formules de Simone Goyard-Fabre, que « le concept de modération est l’exigence principielle de la politique de liberté » puisqu’il représente « l’axiome du constitutionalisme libéral de Montesquieu »21. Dans L’Esprit des lois, la modération se comprend à duplicité : celle du législateur et celle des régimes politiques. Pour qu’il excelle dans l’art de faire des lois, le législateur doit être animé par l’esprit de modération : « Je le dis, et il me semble que je n’ai fait cet ouvrage que pour le prouver : l’esprit de modération doit être celui du législateur »22. Un bon législateur doit adapter son activité à la multiplicité des circonstances : temps, lieu, climat...Il doit être attentif surtout aux mœurs et aux manières d’être particulières du peuple. Il doit « suivre l’esprit de la nation (...) car nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement, et en suivant notre génie naturel»23. Le respect de la diversité des circonstances et des mœurs de chaque peuple s’inscrit contre l’idée d’uniformité en matière de législation. En ce sens, Montesquieu s’oppose à Condorcet pour qui la loi doit être immuable et invariable : « Comme la vérité, la raison, la justice, les droits des hommes, l’intérêt de la propriété, de la liberté, de la sûreté sont les mêmes partout ; (....) Une bonne loi doit être bonne pour tous les hommes, comme une proposition vraie est vraie pour tous »24 Suivre la voix de la modération, c’est être contre l’hégémonie de l’un, contre la suprématie du modèle figé, et en opposition totale avec ce que peut imposer l’a priori. Par voix de conséquence, c’est valoriser la relativité, opter pour la pluralité, et fêter la richesse de la diversité. 

La modération législative qui tient compte de la spécificité des circonstances et des nations consiste à se tenir entre les extrêmes. Ce qui équivaut à dire qu’elle signifie le juste milieu : « Le bien politique, comme le bien moral, se trouve toujours entre deux limites »25. Eviter les excès constitue une règle d’or pour le législateur. C’est ainsi par exemple qu’en matière de la législation criminelle, le législateur ne doit point « mener les hommes par les voies extrêmes»26, mais agir «d’une manière sourde et insensible »27. Moins il use de la contrainte, plus il est sage. « Inviter, quand il ne faut pas contraindre, conduire quand il ne faut pas commander, c’est l’habilité suprême »28. « Un législateur prudent prévient le malheur de devenir un législateur terrible »29. Car les peines excessives et outrées sont inséparables du régime despotique. Prescrire des peines sévères, c’est prendre pour modèle le despotisme comme s’il n’existait, pour maintenir les hommes dans l’obéissance des lois, d’autre ressort que la crainte, d’autres peines que la mort, les châtiments corporels ou les amendes ! 


La modération est indispensable non seulement en matière de droit pénal, mais aussi en matière fiscale et éducative. Aussi doit-elle concerner le domaine de la religion et le domaine militaire30. Le but avoué de Montesquieu est donc d’introduire l’esprit de modération dans la législation. Pour lui, le mal se confond toujours avec l’excès. Or, le premier mal, le mal par excellence, c’est l’excès de pouvoir ou le despotisme qui signifie la perte totale de liberté.
Le deuxième sens de la modération, à savoir celle des régimes, ne pourrait être saisi qu’à travers la distinction établie par Montesquieu entre les deux types de typologie gouvernementale. La première typologie domine les dix premiers livres de L’Esprit des lois. Elle distingue trois espèces de gouvernements : le républicain, le monarchique et le despotique31. Cette trilogie de Montesquieu est originale. Car elle abandonne la classification classique qui, issue d’Aristote et reprise par Rousseau, distinguait démocratie, aristocratie et monarchie tout en considérant le despotisme comme étant une déviation de cette dernière32. À côté de cette première typologie, connue et familière, il existe une deuxième non moins importante. Il s’agit de celle que renferment expressément les livres XI et XII.Cette seconde typologie oppose les gouvernements modérés aux gouvernements despotiques. À vrai dire, la mention des gouvernements modérés est faite dès le livre III où Montesquieu affirme dans le chapitre 9, consacré à l’étude « du principe du gouvernement despotique », qu’ « un gouvernement modéré peut, tant qu’il veut, relâcher ses ressorts »33. Le même couple conceptuel revient sous la plume de Montesquieu dans le chapitre qui s’intitule : « Différence de l’obéissance dans les gouvernements modérés et les gouvernements despotiques»34. Cette amorce d’une nouvelle classification binaire des régimes politiques prend plus d’amplitude dans le livre V, chapitre 14, où Montesquieu définit, d’une manière à peu près semblable à celle que renferme un fragment des Pensées, la façon de former un gouvernement modéré35. Et ce n’est pas par hasard qu’en commentant le passage en question, Robert Derathé affirme qu’il « aurait été mieux à sa place au début du livre XI, puisqu’il fait allusion à la combinaison des puissances distinguées au livre XI et évoque la liaison entre la liberté et le gouvernement modéré, si nettement affirmée dans le chapitre IV de ce livre»36. La fréquence du terme modération est remarquable dans le livre VI consacré à la question des lois civiles et au rapport qu’entretiennent les individus avec la justice. Or, si le livre VII ne mentionne nullement le concept de modération, c’est peut être pour disposer le livre VIII à faire appel de nouveau à la classification tripartite des gouvernements pour traiter de la corruption de leurs principes. Après avoir étudié les trois sortes de gouvernement quant à leur signification interne, Montesquieu les examine dans les livres IX et X du point de vue externe, c'est-à-dire relativement au droit des gens et aux problèmes qui se rapportent aux relations internationales, à savoir, ceux d’assurer la paix (livre IX) et de conduire la guerre (livre X). Il faut attendre donc le livre XI pour que la distinction des trois gouvernements, qui domine les dix premiers livres, s’efface pour céder la place à la notion du gouvernement modéré qui s’oppose au despotisme. La question qui se pose : pourquoi ce changement ? Tout simplement parce que ce livre a pour objet de chercher comment la liberté des citoyens peut être assurée et garantie par la constitution de l’Etat. Le passage de Montesquieu, d’une classification ternaire à une classification binaire des gouvernements, est donc exigé par l’analyse de la liberté dans son rapport avec la constitution. Contrairement à Brèthe de la Gressaye qui déclare que, dans la première typologie, « la distinction des gouvernements est en définitive fondée sur l’idée de liberté »37, nous pensons que la liberté ne se définit pas en termes de régimes politiques : « Ce mot de liberté dans la pratique ne signifie pas, à beaucoup près, ce que les orateurs et les poètes lui font signifier. Ce mot n’exprime proprement qu’un rapport et ne peut servir à distinguer les différentes sortes de gouvernements : car l’état populaire est la liberté des personnes pauvres et faibles et la servitude des personnes riches et puissantes ; et la monarchie est la liberté des grands et la servitude des petits »38. Entraîné à abandonner sa typologie initiale car elle s’avère incompatible à l’étude de la liberté politique, le président de la Brède fait recours à la deuxième typologie. Comme le dit Simone Goyard-Fabre avec brio : « L’horreur du despotisme allant de pair avec le souci de la liberté, Montesquieu établit la différence entre gouvernements modérés et gouvernements despotiques. Le formalisme typologique s’efface devant la signification politique des régimes: S’il y a trois espèces de gouvernements, ils correspondent à deux conceptions de la politique. Ces deux conceptions ne sont d’abord que suggérées, quoique de manière transparente : ou bien dans un enfer politique, l’homme, ramené à la bête, perd son humanité, ce qui est pire que perdre la vie ; ou bien il faut élaborer la conception d’un gouvernement qui laisse aux sujets toutes leurs chances de liberté. » 39


Mais la liberté s’identifie-t-elle avec la modération ? Certainement pas, car il existe des Etats modérés qui ne sont pas libres. L’Etat est dit modéré dans la mesure où il ne concentre pas les trois pouvoirs en un seul organe : « Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré, parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs (le législatif et l’exécutif), laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête d’un sultan, il règne un affreux despotisme »40. Ainsi, lorsque les trois pouvoirs sont confondus, cela signifie que nous sommes en présence d’un régime politique despotique comme celui de la Turquie. Mais lorsque la confusion ne se rapporte qu’aux deux premiers pouvoirs sans toucher le pouvoir judicaire, cela veut dire que le gouvernement en question est un gouvernement modéré à l’image de ceux des royaumes de l’Europe. Ces royaumes ne sont pas libres. Car « Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. »41. Il existe un autre passage qui confirme cette distinction entre la liberté et la modération. « La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n’est pas toujours dans les Etats modérés ; elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir »42. Tout cela nous amène à déduire avec Céline Spector « que la modération ne s’identifie pas à la liberté, elle n’en fournit que la possibilité : tous les Etats modérés ne sont pas libres par nature ; il faut de surcroît qu’y règne une forme de distribution des pouvoirs qui préviennent les abus »43. Le problème de la liberté se confond avec celui de la limitation des pouvoirs que Montesquieu a cru trouver dans le régime Anglais. 




La liberté d’après la constitution
On a souvent confondu la pensée constitutionnelle de Montesquieu avec la théorie de la séparation des pouvoirs. Cette façon d’interpréter le contenu du célèbre chapitre sur la constitution d’Angleterre est tout à fait erronée. C’est ce qu’ont montré Brarhausen, Dedieu, Althusser, et par la suite Vlachos, Simone Goyard-Fabre, Binoche, Paul Vernière, Céline Spector44 et tant d’autres éminents critiques. Nonobstant les efforts fournis par les grands chercheurs et spécialistes mentionnés ci-devant, la meilleure mise au point de la question demeure celle que renferment les travaux de Charles Eisenmann45 . Selon ce critique si avisé, il existe plusieurs arguments qui vont contre l’opinion attribuant à Montesquieu une conception « séparatiste » des pouvoirs : 

Premièrement, le fait que le pouvoir législatif est exercé conjointement par le pouvoir exécutif. En effet, si le monarque ne prend pas part aux délibérations du corps

législatif, il a le droit de s’opposer à leur adoption définitive. « La puissance exécutrice, doit prendre part à la législation par sa faculté d’empêcher »46

Deuxièmement, le pouvoir accordé au parlement de contrôler l’exécution des lois qu’il a votées : « La puissance législative (...) a droit, et doit avoir la faculté d’examiner de quelle manière les lois qu’elles a faites ont été exécutées. » 47 

Troisièmement, l’attribution au parlement de certaines affaires relevant de la justice. Autrement dit, le corps législatif exerce lui-même un pouvoir judiciaire dans des cas exceptionnels. C’est ainsi que les nobles, par exemple, doivent être jugés par la chambre des lords pour se préserver contre les injustices qu’ils peuvent subir des magistrats populaires. « Les grands sont toujours exposés à l’envie ; et, s’ils étaient jugés par le peuple, ils pourraient être en danger, et ne jouiraient pas du privilège qu’a le moindre des citoyens dans un Etat libre, d’être jugé par ses pairs. Il faut donc que les nobles soient appelés, non pas devant les tribunaux ordinaires de la nation, mais devant cette partie du corps législatif qui est composée de nobles. »48 

Quatrièmement, la faculté reconnue au gouvernement de régler la vie du parlement. Le parlement ne peut siéger que lorsqu’il est convoqué par le Roi. Il doit se disperser quand le Roi le proroge et interrompt la session. « Le corps législatif ne doit point s’assembler lui-même (...) il faut donc que ce soit la puissance exécutrice qui règle le temps de la tenue et de la durée de ces assemblées, par rapport aux circonstances qu’elle connaît. »49
De l’avis de Charles Eisenmann, la doctrine exposée au livre XI, chapitre 6, a le sens du non-cumul des trois fonctions entre les mains du même organe.50 Aussi, préconise-t-elle le croisement et la collaboration des trois pouvoirs politiques. L’auteur reprend cette interprétation de la pensée de Montesquieu dans son étude La pensée constitutionnelle de Montesquieu, où il distingue entre « l’interprétation politique du XIXe siècle », qui reproduit fidèlement le vrai contenu de la pensée du philosophe et la « théorie juridique du XXe siècle » ou « l’interprétation séparatiste » à laquelle appartient Jellinek et Laband en Allemagne, Duguit et Carré de Malberg en France, et qui est « en contradiction radicale avec la vue d’ensemble que Montesquieu lui-même a donné à plusieurs reprises de sa constitution idéale, de ses principes, et de ses conséquences. »51 

L’interprétation « juridiste » ou séparatiste, qui attribue à Montesquieu le principe d’une séparation stricte du pouvoir, ne correspond pas à la véritable pensée de l’auteur de L’Esprit des lois. Pour corroborer son point de vue auquel nous nous rallions, Eisenmann cite plusieurs passages de l’œuvre maîtresse de Montesquieu. Mais le texte qui l’emporte sur tous les autres, c’est ce fragment inoubliable du chapitre 6 du livre XI:«Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y étant composé de deux parties, l’une enchaînera l’autre par sa faculté mutuelle d’empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative. »52 
 

Certes, les deux pouvoirs, législatif et exécutif, sont attribués à des organes distincts. Mais cela ne signifie pas du tout qu’ils sont absolument indépendants l’un de l’autre. Car, supposer une telle indépendance, c’est trahir le principe que « le pouvoir arrête le pouvoir » et aller en conséquence contre les objectifs constitutionnels et les buts politiques que Montesquieu s’était proposé d’atteindre. 

Selon l’interprétation du XIXe siècle à laquelle Eisenmann adhère, il existe deux principes qui permettent de saisir l’originalité de l’approche constitutionnelle de Montesquieu.
Le premier tient à la non-confusion des trois pouvoirs ou à la non-identité de leurs organes. Tel est le sens du célèbre texte qui nous éclaire sur la pensée politique de Montesquieu : «Tout serait perdu si le même homme ou le même corps des principaux, ou des nobles ou du peuple exerçaient ces trois pouvoirs: celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »53. Cela n’exclut pas qu’un même organe puisse participer à l’exercice de plusieurs pouvoirs et cela de par l’interdépendance des fonctions politiques de l’Etat. La théorie du non-cumul du pouvoir est dualiste et non ternaire, finit par déduire Eisenmann. Montesquieu, note-t-il : « fait une différence fondamentale entre tribunaux d’une part, Parlement et monarques d’autre part. Pour lui, seuls les Chambres et le Gouvernement – le monarque et les ministres – sont des organes politiques ; à eux seuls, il destine, il assigne un rôle proprement politique. Les juges, les tribunaux, ceux qui exercent le pouvoir de juger, au contraire ne sont pas à ses yeux des forces politiques ; la justice n’est pas un pouvoir au sens politique. »54 

Le second principe réside dans le caractère composé de l’organe législatif ; c’est-à-dire, « du pouvoir suprême ou souverain. » Ce « pouvoir politique le plus élevé»55 doit être partagé entre les forces politiques et sociales à l’image de l’Angleterre où le pouvoir législatif est confié d’une part au peuple représenté par la chambre des Communes et d’autre part aux nobles, représentés par la chambre des Lords. Au sein du pouvoir législatif, les intérêts des deux puissances qui incarnent les vues de la noblesse et celles du peuple, doivent être mis en balance afin de préserver la liberté. Autrement dit, c’est la dualité du corps législatif qui fait que « le pouvoir arrête le pouvoir » et assure la modération de la législation. 

Deux points qui ont un rapport direct avec le problème de la liberté attirent notre attention dans la riche analyse de Eisenmann. Le premier concerne sa façon d’attribuer un caractère dualiste à la notion du pouvoir politique et cela en prenant l’acte juridictionnel comme étant un acte d’exécution de la loi, tout comme l’acte gouvernemental ou administratif. Deux passages confirment cette manière d’envisager le pouvoir judiciaire comme une branche du pouvoir exécutif : « La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l’année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert. De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n’étant attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible et nulle. »56Ce qui laisse entendre qu’il n’y a que deux pouvoirs visibles : la puissance législatrice et la puissance exécutrice.

Invisible et nulle, la puissance législative l’est aussi par la nature même de son fonctionnement : « Mais, si les tribunaux ne doivent pas être fixes, les jugements doivent l’être à un tel point, qu’ils ne soient jamais qu’un texte précis de la loi. »57 

Les deux passages que nous venons de citer ne doivent pas nous amener à dire avec Eisenmann et Simone Goyard-Fabre58 que seuls le parlement et le monarque constituent des forces politiques. Le pouvoir est répartit en trois espèces de forces, précise clairement Montesquieu au début de son chapitre sur la constitution de l’Angleterre. L’absorption de l’une par les autres ou l’assimilation de l’une aux autres barre la voie à la liberté. Tout comme le gouvernement et le monarque, le parlement est une puissance mise à part. Et c’est son autonomie qui préserve les citoyens contre la tyrannie. « Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur. »59 

Par opposition à Locke60, qui ne parle pas du pouvoir judiciaire et ne le fait pas apparaître dans la distinction qu’il établit entre les différentes sortes de pouvoirs – étant que l’exigence de la justice est implicitement présente dans tous les pouvoirs et constitue la norme qui règle le jeu politique –, Montesquieu prend l’autorité des magistrats pour l’une des trois puissances de l’Etat. Certes, le juge est un homme dont la fonction consiste à établir la justice en se référant « aux textes précis de la loi. » Mais cela ne fait pas de lui un simple perroquet ou un simple agent d’exécution. Les propos de Montesquieu vont dans une autre direction : les délits et les peines doivent être fixés à l’avance par la loi, et les juges n’ont qu’à appliquer les lois aux particuliers afin de rendre justice avec impartialité tout en se gardant de tout arbitraire. 

Donc, c’est de l’autonomie du pouvoir judiciaire, mais c’est aussi de la non corruption des juges et de leur respect de la loi que dépend le sort de la liberté des citoyens.
Le deuxième point sur lequel nous voulons nous attarder concerne le sujet de la « société de classes » et « de la co-souveraineté de plusieurs forces sociales et politiques», qui caractérisent, comme le note Eisenmann, l’Etat modèle de Montesquieu61. Le Président de la Brède est, par delà ses partis pris évidents pour l’aristocratie62, l’un des hommes de la liberté parce qu’il est partisan d’une société de dialogue qui laisse entendre la voix de tous : celle des nobles et celle du peuple. Pour lui, l’Etat n’est pas une personne morale constituée en amont de la société et transcendant ses clivages. La preuve est que chaque groupe social participe au pouvoir législatif et défend ses intérêts et ses prérogatives. Parlant de l’Angleterre dans le chapitre 27 du livre XIX, qui constitue le pendant et le complément du chapitre 6 du livre XI, Montesquieu affirme que ce pays est plein de vitalités et de forces à cause des partis politiques qui s’y trouvent : « Ces partis étant composés d’hommes libres, si l’un prenait trop le dessus, l’effet de la liberté ferait que celui-ci serait abaissé, tandis que les citoyens, comme les mains qui secourent le corps, viendrait relever l’autre.»63 Défenseur acharné de la pluralité, Montesquieu soutient que c’est la diversité, l’adversité et les conflits qui constituent un garde-fou contre l’asservissement des citoyens. S’empêchant d’identifier les partis politiques avec les factions et les partis factieux qui ne causent que des troubles et perturbent le corps social, Montesquieu pense, au contraire, que la liberté se nourrit de contrastes et d’oppositions partisanes. Dans les Lettres persanes, il note avec grande pénétration qu’en Angleterre « on voit la liberté sortir sans cesse des feux de la discorde et de la sédition ; le Prince toujours chancelant sur un trône inébranlable ; une nation impatiente, sage dans sa fureur même. »64 


Le paradigme anglais fait écho à celui de Rome où la société représentée par ces partis politiques se gouverne elle-même et assure son unité grâce à la divergence qui crée l’harmonie. « On n’entend parler, dans les auteurs, que des divisions qui perdirent Rome ; mais on ne voit pas que ces divisions y étaient nécessaires, qu’elles y avaient toujours été et qu’elles y devaient toujours être. »65Il faut, poursuit Montesquieu, prendre garde à la tranquillité qui, apparemment, règne dans les Etats se prétendant républicains : on est sûr alors que la liberté y est absente. En opposition à l’uniformité despotique66 et au modèle absolutiste du type hobbien, Montesquieu soutient que l’ordre se réalise et l’accord communautaire se maintient grâce à l’hétérogénéité des forces sociales qui visent le bien commun dans leurs débats politiques : « Ce qu’on appelle union dans un corps politique, est une chose très équivoque : la vraie est une union d’harmonie, qui fait que toutes les parties, quelque opposées qu’elles nous paraissent, concourent au bien général de la société ; comme des dissonances, dans la musique, concourent à l’accord total. »67 À la véritable harmonie des gouvernements libres et modérés, Montesquieu oppose la fausse harmonie du despotisme où l’union apparente n’est qu’une soumission obtenue par la crainte et la violence qui causent la mort au sens physique et symbolique. « Mais, dans l’accord du despotisme asiatique, c’est-à-dire, de tout gouvernement qui n’est pas modéré, il y a toujours une division réelle. Le laboureur, l’homme de guerre, le négociant, le magistrat, le noble, ne sont joints que parce que les uns oppriment les autres sans résistance : et, si l’on y voit de l’union, ce ne sont pas des citoyens qui sont unis, mais des corps ensevelis les uns auprès des autres. »68 


Pour s’introduire, la liberté a donc besoin d’une société émancipée du joug du despotisme, du règne du même et de l’impérialisme tuant de l’identique. La liberté politique n’est pas un principe abstrait, mais un fait qui prend de plus en plus corps dans la vie réelle des gens par l’ouverture, les discussions, les débats, les dialogues, les face- à-face entre les personnes et les groupes qui représentent des opinions dissemblables et des intérêts différents.
Que peut-on déduire de tout ce qui précède ? À la lumière de ce que nous venons de voir, nous pouvons dire avec Sergio Cotta que ce n’est pas seulement « le mécanisme purement juridique de la séparation des pouvoirs qui assure la liberté politique, mais (c’est aussi) le libre affrontement des différentes idéologies. »69 

La constitution libre qui établit une certaine distribution des pouvoirs et favorise en conséquence la division partisane qui a pour effet de prémunir les individus contre toute sorte de tyrannie, n’assure qu’un seul genre de liberté politique. Or, le sens de la liberté est double : la liberté qui se rapporte à la constitution et la liberté qui concerne directement le citoyen. « Je distingue les lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution, d’avec celles qui la forment dans son rapport avec le citoyen. »70. La raison pour laquelle la liberté politique constitutionnelle ne coïncide pas nécessairement avec la liberté individuelle, c’est qu’il y a une différence entre une liberté de droit et une liberté de fait. « Il pourra arriver que la constitution sera libre, et que le citoyen ne le sera point. Le citoyen pourra être libre, et la constitution ne l’être pas. Dans ce cas, la constitution sera libre de droit, et non de fait ; le citoyen sera libre de fait, et non pas de droit. »71 Pour que la liberté, dans ces deux branches, soit de droit et de fait, il faut garantir, à part le bon aménagement de l’Etat, la sûreté des individus. Cette sûreté est en rapport avec un grand nombre de facteurs : « des mœurs, des manières, des exemples reçus », mais surtout « de certaines lois civiles »72, par opposition aux lois politiques que Montesquieu nomme « lois criminelles »73.
Après avoir explicité ce qu’il entend par la liberté selon la constitution, Montesquieu va concentrer tout son effort sur la liberté du citoyen74 afin de nous montrer comment le droit criminel peut sauvegarder ou menacer la liberté personnelle. 


La liberté du citoyen
La théorie de la liberté politique proposée par Montesquieu est inséparable de sa conception du droit pénal qu’il expose aux livres VI et XII. C’est surtout dans ce dernier livre, qui s’intitule « Des lois qui forment la liberté politique dans sont rapport avec le citoyen », que l’auteur de L’Esprit des lois se montre préoccupé de la sûreté des individus à travers l’ensemble des mesures juridiques qu’il avance pour protéger les personnes contre l’empire de l’arbitraire et de l’injustice. C’est ainsi qu’il indique que le droit pénal qui doit tendre au châtiment des criminels dans l’intérêt de la société ne doit pas permettre aux juges de condamner des accusés en fondant leurs jugements sur un seul et unique témoignage : « Les lois qui font périr un homme sur la déposition d’un seul témoin sont fatales à la liberté. »75 Aussi faut-il rejeter les faux témoignages et punir sévèrement leurs auteurs, car quand « l’innocence des citoyens n’est pas assurée, la liberté ne l’est pas non plus. »76. La législation criminelle, relative aux actes délictueux et à leur répression, doit tendre toujours à la perfection. Les progrès accomplis dans ce domaine « intéressent le genre humain plus qu’aucune chose qu’il y ait au monde »77. Ces progrès sont basés sur « les connaissances que l’on a acquises dans quelques pays (...) ce n’est que sur la pratique de ces connaissances que la liberté peut être fondée ; et dans un Etat qui aurait là-dessus les meilleures lois possibles, un homme à qui on ferait son procès, et qui devrait être pendu le lendemain, serait plus libre qu’un bacha l’est en Turquie. »78 Le règne de la justice civile ou criminelle ne va pas de pair avec la simplicité de la loi79. Dans les Etats despotiques, les lois sont simples et peu nombreuses et les procès sont rapides parce que, le prince ayant un pouvoir absolu, les sujets n’ont presque pas de droit et sont dépourvus de garanties de bonne justice. Dans les Etats non despotiques, la justice criminelle accumule les formalités et les procédures criminelles sont lentes, longues et complexes, non pas pour embrouiller le procès et alourdir les frais, mais pour permettre la bonne défense aux accusés : « Dans les Etats modérés, où la tête du moindre citoyen est considérable, on ne lui ôte son honneur et ses biens qu’après un long examen : on ne le prive de la vie que lorsque la Patrie elle-même l’attaque ; et elle ne l’attaque qu’en lui laissant tous les moyens possibles de la défendre »80. Pour que les lois réussissent leur rôle de bien faire régner la justice, elles doivent être claires et précises afin de permettre aux individus de savoir à l’avance s’ils sont dans le tort ou pas. À cet égard, Montesquieu valorise les lois des Douze Tables, et les érige en modèle de précision car elles étaient accessibles à tous et « les enfants les apprenaient par cœur. »81

L’imprécision dans la législation civile et criminelle est un signe d’esclavage politique. C’est ainsi qu’étant à la fois vagues et trop étendues, les lois qui définissent le crime de lèse-majesté comme un manque de respect à l’égard du souverain, sont immanquablement despotiques82. L’Esprit des lois fourmille de conseils et abonde en recommandations sur les lois pénales et l’établissement des peines83 pour empêcher l’arbitraire de régner en souverain.
Toutes les mesures, prises par Montesquieu pour réformer et perfectionner le pouvoir judiciaire de son temps, visent la réalisation d’un maximum possible de liberté. Le libéral qu’est Montesquieu, attribue à la procédure criminelle et au système de punition qu’il préconise trois principes qui vont dans le sens du non asservissement des citoyens.



Le premier principe consiste dans la modération des peines. S’inspirant à la fois du souci de l’impartialité et du sentiment de l’humanité, Montesquieu soutient que les peines ne doivent pas être uniquement justes dans leur nature, mais elles doivent être modérées dans leur principe. Dans les pays despotiques dont le ressort est la crainte, les peines sont excessives. Par contre, dans les Etats modérés (monarchies ou républiques) où les citoyens sont à l’abri de la crainte et de l’assujettissement, les peines correctionnelles infligées aux coupables sont douces et supportables : « Il serait aisé de prouver que, dans tous ou presque tous les Etats d’Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu’on s’est plus approché ou plus éloigné de la liberté. »84 Ce qui laisse entendre que les châtiments tiennent à la nature du gouvernement : « La sévérité des peines convient mieux au gouvernement despotique, dont le principe est la terreur, qu’à la monarchie et à la république, qui ont pour ressort l’honneur et la vertu. »85. Pour les gens libres, la répression des crimes est mieux assurée par les peines douces. Celles- ci sont efficaces et ont le même effet que les peines atroces ont sur les individus habitués à la soumission : « L’imagination se plie d’elle-même aux mœurs du pays où l’on est : huit jours de prison ou une légère amende frappent autant l’esprit d’un Européen, nourri dans un pays de douceur, que la perte d’un bras intimide un Asiatique. »86 Les effets dissuasifs des peines dépendent de la mentalité de ceux à qui on les applique. Il n’est pas nécessaire de brutaliser le peuple lorsqu’il est vertueux. Aussi, faut-il l’épargner de la peur de supplices cruels et barbares, comme le carcan et la roue. Car la perte du statut social ou la simple menace d’être humilié et classé parmi les malfaiteurs peuvent avoir plus d’effets dissuasifs que la douleur causée par la peine outrée87. L’extrême sévérité des lois pénales est inadmissible. Car lorsque la peine est sans mesure, on est dans la vengeance aveugle qu’inspire la haine. Or, affirme Montesquieu, « un bon législateur s’attachera moins à punir les peines88qu’à les prévenir ; il s’attachera plus à donner des mœurs qu’à infliger des supplices. » 

Le second principe consiste dans la proportion des peines avec le crime. En effet, le législateur doit établir des peines qui ne sont pas seulement douces, mais aussi justes, c’est à dire proportionnées aux crimes qu’elles sont censées punir. Ce principe, Montesquieu ne le déduit pas des règles propres au droit naturel, mais de l’observation des faits. « C’est un grand mal, parmi nous, de faire subir la même peine à celui qui vole sur un grand chemin, et à celui qui vole et assassine »89. Si le voleur et l’assassin sont punis également, le voleur n’hésitera pas à tuer. Rien n’est plus injuste, ajoute Montesquieu, que d’infliger la peine de mort, réservée au crime de lèse-majesté, à celui qui calomnie indignement des personnes considérables de l’Etat90. Non seulement la disproportion entre les délits et les châtiments incite le délinquant au pire, mais elle nuit gravement à l’exercice de la liberté. C’est sur quoi insiste le chapitre 4 du livre XII dont l’intitulé suffit à lui seul à nous dévoiler le but ultime du principe en question dans la législation criminelle de Montesquieu : « Que la liberté est favorisée par la nature des peines et leur proportion »91. Une telle proportion ne fait que confirmer, encore une fois, les intentions libérales du philosophe de la Brède : « C’est le triomphe de la liberté, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime. Tout l’arbitraire cesse ; la peine ne descend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose ; et ce n’est point l’homme qui fait violence à l’homme »92


Le troisième principe se rapporte à l’ordre auquel appartient le délit : le crime relève du factuel et non du réflexif. Il se rapporte à l’action et non pas à la pensée : « Les lois ne se chargent de punir que les actions extérieures »93. C’est pour cela qu’il n’est pas inique de condamner la magie et l’hérésie : « L’accusation de ces deux crimes peut extrêmement choquer la liberté, et être la source d’une infinité de tyrannies si le législateur ne sait la borner. Car (...) elle ne porte pas directement sur les actions d’un citoyen, mais plutôt sur l’idée que l’on s’est faite de son caractère »94. De même, il ne faut pas incriminer la sodomie. Ce crime contre nature étant naturellement « caché », la justice le punit le plus souvent sur la déposition « d’un enfant » ou « d’un esclave. » En outre, la recherche de témoignage pour ce genre de crime ne fait qu’ « ouvrir une porte bien large à la calomnie »95. Aussi les lois humaines n’ont-elles pas à juger ni à punir les délits contre la divinité, note courageusement Montesquieu. Car « là où il n’y a point d’action publique, il n’y a point de matière de crime : tout s’y passe entre l’homme et Dieu, qui sait la mesure et le temps de ses vengeances »96. Les crimes contre la foi religieuse, tel que le sacrilège, doivent être punis uniquement de peines ecclésiastiques, et non de peines temporelles établies par l’autorité civile. Par cette séparation de la justice et de la religion, Montesquieu cherche à défendre la liberté de conscience. Dans la même lignée de défendre l’individu contre la servitude, Montesquieu critique sévèrement les incriminations politiques qui ôtent aux citoyens la liberté de discussion à l’égard de ceux qui détiennent le pouvoir. Il pense que c’est une grande tyrannie que de considérer les critiques formulées contre le gouvernement comme un crime de lèse-majesté. Les paroles « ne deviennent des crimes que lorsqu’elles préparent, qu’elles accompagnent, ou qu’elles suivent une action criminelle »97. Le crime de lèse-majesté est un attentat réel et tangible contre le pouvoir et la personne réelle du souverain. Or, « les paroles ne forment point un corps de délit » puisqu’elles « ne restent que dans l’idée ». Dès lors « comment donc en faire un crime de lèse-majesté. Partout où cette loi est établie, non seulement la liberté n’est plus mais son ombre même »98. L’originalité essentielle de Montesquieu tient à son insistance sur la liberté de pensée et d’expression et sur sa recommandation de dénuer de la loi tout droit de regard sur la subjectivité. 

L’idée de liberté est au cœur de la pensée politique de Montesquieu. Cette liberté trouve sa condition de possibilité dans la bonne législation pénale qui est le corollaire de la limitation du pouvoir qui s’impose à tout gouvernement légitime et non corrompu. Par sa distinction entre « la liberté d’après la constitution » et « la liberté du citoyen » exposée aux livres XI et XII de L’Esprit des lois, Montesquieu anticipe la liaison qui sera établie ultérieurement par les constituants américains et français entre le principe de « la séparation des pouvoirs », communément désigné ainsi, et le droit de l’homme et du citoyen. 



Une conclusion s’impose à la fin de cet exposé : dédaigneux du despotisme, Montesquieu ressemble en quelque sorte à Rousseau. Mais à la différence de ce dernier, il n’est pas partisan de l’égalité civile entre les citoyens. Car il se montre clairement hostile au gouvernement direct, et d’une manière générale à la souveraineté du peuple. Il reste comme on l’a dit, noble, « hiérarchique » et compte sur une aristocratie pour éclairer le peuple et le préserver de l’assujettissement. « Il n’est pas indifférent, dit-il, que le peuple soit éclairé »99. Mais, ajoute-t-il, « il faut que le petit peuple soit éclairé par les principaux, et contenu par la gravité de certains personnages »100. Répugnant le despotisme de tous et le despotisme d’un seul, Montesquieu croit que les prérogatives et les privilèges des corps intermédiaires sont essentiels pour la sauvegarde de la liberté.


Par Hichem Ghorbel
(Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax, Département de philosophie)

1 Cf. à cet égard : Binoche (Bernard), Introduction à De l’Esprit des lois de Montesquieu, Paris, PUF, 1998, pp.197- 355 ; Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : la Nature, les lois, la liberté, PUF, 1993, 147-342 ; Iglessias (M. C.), « L’esprit des lois de Montesquieu », in Historia de la Etica, Barcelone, Victoria Camps, 1992, pp .194-224 ; Manent P, La Cité de l’homme, Paris, Flammarion “Champs”, 1997, Chap. 1 et 2; «L’Europe comme valeur: individualisme et liberté politique dans l’œuvre de Montesquieu, in L’Europe de Montesquieu, Cahier Montesquieu, n° 2, 1995, p. 257-270; Pangle T, Montesquieu’s Philosophy of Liberalism, Chicago, The Chicago University Press, 1977, chap. IV; Spector (Céline) « L’esprit des lois de Montesquieu. Entre libéralisme et humanisme civique », Revue Montesquieu, n° 2, 1998, p.139- 161
2 Mes Pensées, n° 80 : « Pour mon système sur la liberté ; il faudra le comparer avec les anciennes républiques ». Nous utiliserons désormais les abréviations suivantes : EL : De l’esprit des lois ; LP : Lettres persanes ; MP : Mes Pensées ; Romains : Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadences. Nos références à l’œuvre de Montesquieu se rapportent aux Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, 1949- 1951.Texte présenté et annoté par Roger Caillois.
3 EL., I ,1, p. 238.
4 EL., VI, 2, P. 310.
5 Ibid., p .311.
6 MP., n° 1797, p 1430
7 Sur ce point, cf. l’article de Gabriel loirette, « Montesquieu et le problème du bon gouvernement », in Actes de Congrès Montesquieu de Bordeaux, Delmas, 1956, pp. 219- 239.
8 EL., XII, 2, p. 431.
9 MP., n°1798, p.1430.
10 Cf. Brèthe de la Gressaye, L’Esprit des lois, T I, Introduction, pp. XCIV- XCIX.
11 G. Gurvitch, « La sociologie juridique de Montesquieu » in Revue de métaphysique et de morale, n° 4, 1939, pp.571-626.
12 EL., XI, 3, p.395.
13 Ibid., XI, 2, p.394.
14 MP. , n° 1801, p.1431.
15 Ibid., n° 1802, p.1431.
16 Ibid., n° 631, p.1152.
17 Ibid., n° 1806, p. 1432.
18 EL. , XI, 4, p.395
19 MP., n° 631, p. 1152.
20 Vernière (Paul), Montesquieu et l’Esprit des lois ou la raison impure, Paris, SEDES, 1977, p.69.
21 Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : La Nature, les Lois, la Liberté, op.cit, p.262. L’italique est de l’auteur.
22 EL., XXIX, 1, p.865.
23 Ibid., XIX, 5, p.559.
24 Cité par Manin Bernard dans son article « Montesquieu et la politique moderne », Cahiers de philosophie politique, Reims, n° 2-3 OUSIA, 1985, p. 194.
25 EL., XXIX, 1, p. 865.
26 Ibid. VI, 12, p.321.
27 Ibid., VI, 13, p.323.
28 Ibid., XXVIII, 38, p.853.
29 Ibid., XV, 16, p. 503.
30 Cf. les développements de Simone Goyard-Fabre, Montesquieu : La Nature, Les Lois, La Liberté, op.cit, pp.268-269.
31 EL. II, 1, p.239.
32 « En substituant cette division à la division traditionnelle (démocratie, aristocratie, monarchie) Montesquieu se propose manifestement d’établir une différence de nature entre la monarchie et le despotisme. On remarquera qu’il utilise deux critères : le critère du nombre lui sert à distinguer le gouvernement républicain du gouvernement d’un seul, tandis que le critère de la légalité lui permet d’opposer radicalement monarchie et despotisme ». Derathé, l’Esprit des lois, T1, note n°2, p.426.
33 EL. III, 9, p.259.
34 Ibid., III, 10, p.259.
35 Ibid., V, 14, p .297 : «Pour former un gouvernement modéré, il faut combiner les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir ; donner, pour ainsi dire, un lest à l’une, pour la mettre en état de résister à
l’autre ; c’est un chef – d’œuvre de législation, que le hasard fait rarement, et que rarement on laisse faire à la prudence. ». CF. aussi MP., n°, 1793, p.1429.
36 Derathé, De l’Esprit des lois, T1, note n° 26, p.447.
37 Brèthe de la Gressaye, L’Esprit des lois, T1, p.32.
38 MP. n° 631, pp.1151-1152.
39 Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : La Nature, Les Lois, La liberté. Op. cit. p.282.
40 EL .XI, 6, p, 397.
41 Ibidem.
42 Ibid, XI, 4, p. 395.
43 Spector (Céline), Le vocabulaire de Montesquieu, Ellipses, 2001, p.45.
44 Barckhausen (Henri), Montesquieu, ses idées et ses oeuvres d’après les papiers de la Brède., Slatkine, 1970, réimpression de l’édition de Paris, 1907, pp.83-107 ; Dedieu (Joseph), Montesquieu et la tradition politique anglaise en France. Les sources anglaises de l’Esprit des lois, Paris, 1909, pp.151-159 ; Althusser (Louis), Montesquieu, La politique et l’histoire, Quadrige /PUF, 1959, pp.98-108. Vlachos (Georges. C), La politique de Montesquieu : notion et méthode, Ed, Montchrestien, 1974, pp.97-115 ; Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : La Nature, Les Lois, La liberté, op. cit. pp.166-194 ; Binoche (Bernard), Introduction à de l’Esprit des lois de Montesquieu, op. cit pp.257-270 ; Vernière (Paul), Montesquieu et l’Esprit des lois ou la raison impure, Paris, SEDES, 1977, pp.68-77 ; Spector (Céline), Montesquieu. Pouvoirs, Richesses et Sociétés, PUF, 2004, pp.185-194.
45 « L’Esprit des Lois et la séparation des pouvoirs », in Cahiers de philosophie politique, Reims, OUSIA, 1985, pp. 3-34 ; « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », in Cahiers de philosophie politique, Reims, OUSIA, 1985, pp.35-66.
46 EL., XI, 6, p. 404.
47 Ibid., p.403.
48 Ibid., p.404.
49 Ibid., pp.402 -403.
50 « L’Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op.cit, p.17 51 « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op.cit, p.47
52 EL., XI, 6, p.405.
53 Ibid., p.397.
54 « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op.cit, p.55. 55 Ibid., p.54.
56 EL., XI, 6, p.398. L’italique est de l’auteur.
57 Ibid., p.399.
58 Sur ce point, la thèse de Eisenmann a été reprise par Simone Goyard-Fabre. Cf. La philosophie du droit de Montesquieu, Paris, Klincksieck, 1973, pp.335-336. Cf. aussi du même auteur, Montesquieu : La Nature, Les Lois, La liberté, op.cit, p.195.
59EL., XI, 6, p.397.
60 John Locke, Traité du gouvernement civil, Garnier-Flammarion, 1992, chapitre XII, pp .250-253.
61 Eisenmann, « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op.cit, p.61.
62 Cf. Althusser (Louis), Montesquieu, la politique et l’histoire, op.cit, .pp.109-122. 63 EL, XIX, 27, p.575.
64 LP., n° 136, p.336.
65 Romains., IX, p119.
66 EL., V, 14, pp292-297. 67 Romains, IX, p.119.
68 Ibid.
69 Sergio Cotta, « L’idée de Parti chez Montesquieu », in, Actes du congrès Montesquieu de Bordeaux, Delmas, 1956, p.263.
70 EL, XI, 1, p.393.
71 Ibid ; XII, 1, pp.430-431.
72 Ibid, p.431.
73 Ibid, 2, p.431.
74 « Ce n’est pas assez d’avoir traité de la liberté politique dans son rapport avec la constitution ; il faut la faire voir dans le rapport qu’elle a avec le citoyen ».Ibid, 1, p.430.
75 Ibid . 3, p.432. 76 Ibid., 2, p.432. 77 Idem.
78 Idem.
79 « Le gouvernement monarchique ne comporte pas des lois aussi simples que le despotique. », Ibid., VI, 1, p.307.
80 Ibid., 2, p.310. En Turquie « où l’on fait très peu d’attention à la fortune, à la vie, à l’honneur des sujets, on termine promptement, d’une façon ou d’une autre, toutes les disputes » (Ibid).
81 Ibid., XXIX, 16, pp.876-877.
82 Ibid., XII, 7, p.438.
83 Cf. l’article de Gravin (Jean): «Montesquieu et le droit pénal» in La pensée politique et constitutionnelle de Montesquieu, Bicentenaire de l’Esprit des lois, Paris, Recueil Sirey, 1952, pp.209- 254.
84 EL., VI, 9, p.318. 85 Idem.
86 LP., n°80, p252. 87 EL., VI, 12, p.321. 88 Ibid, 9, p.318.
89 Ibid., 16, p .328. 90 Ibid., p327.
91 Ibid., XII, 4, p.433. 92 Idem.
93 Ibid., 11, p.441.
94 Ibid., 5, p.435.
95 Ibid., 6, p.437. 96 Ibid., 4, p.433. 97 Ibid., 13, p.443. 98 Ibid., p.442.
99 Ibid., Préface, p.230. 100 Ibid., II, 2, p.243.


Montesquieu

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Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu est un philosophe et magistrat français du siècle des Lumières né le 18 janvier 1689 à la Brède (Gironde), et mort à Paris le 10 février 1755.
Certains ont voulu le réduire, à l'image d'un doctrinaire univoque du libéralisme, mais en fait il fut l'inspirateur le plus lucide avec John Locke des principes d'organisation politique et sociale sur lesquels nos sociétés modernes s'appuient.
« Dans une nation libre, il est très souvent indifférent que les particuliers raisonnent bien ou mal: il suffit qu'ils raisonnent; de là sort la liberté, qui garantit des effets de ces mêmes raisonnements ».
Il est le père de la théorie de la séparation des pouvoirs afin d'en neutraliser les abus. Montesquieu voit dans le législatif le pouvoir le plus susceptible d'abuser de son autorité. Toutefois, Montesquieu ne désirait rien d'autre que de voir évoluer la monarchie française vers le modèle britannique, alors que les pères fondateurs de la Révolution française (excepté Mounier) fuyaient au contraire ce modèle gangrené par la corruption.
Fils de Jacques de Secondat, baron de Montesquieu (1654-1713) et de Marie-Françoise de Pesnel, baronne de la Brède (1665-1696), Montesquieu naît dans une famille de magistrats, au château de la Brède (près de Bordeaux) dont il porte d'abord le nom et auquel il sera toujours très attaché. Ses parents lui choisissent un mendiant pour parrain afin qu'il se souvienne toute sa vie que les pauvres sont ses frères[1].
Après une scolarité au collège de Juilly et des études de droit, il devient conseiller du parlement de Bordeaux en 1714. En 1715, il épouse à 26 ans Jeanne de Lartigue, une protestante issue d'une riche famille et de noblesse récente qui lui apporte une dot importante. C'est en 1716, à la mort de son oncle, que Montesquieu hérite d'une vraie fortune, de la charge de président à mortier du parlement de Bordeaux et de la baronnie de Montesquieu, dont il prend le nom. Délaissant sa charge dès qu'il le peut, il s'intéresse au monde et au plaisir.
À cette époque l'Angleterre s'est constituée en monarchie constitutionnelle à la suite de la Glorieuse Révolution (1688-1689) et s'est unie à l'Écosse en 1707 pour former la Grande-Bretagne. En 1715, le Roi Soleil Louis XIV s'éteint après un très long règne et lui succèdent des monarques plus faibles. Ces transformations nationales influencent grandement Montesquieu ; il s'y référera souvent.
Il se passionne pour les sciences et mène des expériences scientifiques (anatomie, botanique, physique...). Il écrit, à ce sujet, trois communications scientifiques qui donnent la mesure de la diversité de son talent et de sa curiosité : Les causes de l'écho, Les glandes rénales et La cause de la pesanteur des corps.
Puis il oriente sa curiosité vers la politique et l'analyse de la société à travers la littérature et la philosophie. Dans les Lettres persanes, qu'il publie anonymement (bien que personne ne s'y trompe) en 1721 à Amsterdam, il dépeint admirablement, sur un ton humoristique et satirique, la société française à travers le regard de visiteurs perses. Cette œuvre connaît un succès considérable : le côté exotique, parfois érotique, la veine satirique mais sur un ton spirituel et amusé sur lesquels joue Montesquieu, plaisent.
En 1726, Montesquieu vend sa charge pour payer ses dettes, tout en préservant prudemment les droits de ses héritiers sur celle-ci. Après son élection à l'Académie française (1728), il réalise une série de longs voyages à travers l'Europe, lors desquels il se rend en Autriche, en Hongrie, en Italie (1728), en Allemagne (1729), en Hollande et en Angleterre (1730), où il séjourne plus d'un an. Lors de ces voyages, il observe attentivement la géographie, l'économie, la politique et les mœurs des pays qu'il visite. Avant 1735, il avait été initié à la franc-maçonnerie en Angleterre[2].
De retour au château de la Brède, en 1734, il publie une réflexion historique intitulée Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, monument dense, couronnement de ses années de voyages et il accumule de nombreux documents et témoignages pour préparer l'œuvre de sa vie, De l'esprit des lois. D'abord publié anonymement en 1748 grâce à l'aide de Mme de Tencin, le livre acquiert rapidement une influence majeure alors que Montesquieu est âgé de 59 ans. Ce maître-livre, qui rencontre un énorme succès, établit les principes fondamentaux des sciences économiques et sociales et concentre toute la substance de la pensée libérale. Il est cependant critiqué, attaqué et montré du doigt, ce qui conduit son auteur à publier en 1750 la Défense de l'Esprit des lois. L'Église catholique romaine interdit le livre - de même que de nombreux autres ouvrages de Montesquieu - en 1751 et l'inscrit à l'Index (La partie religion avait été écrite au même titre que les autres). Mais à travers l'Europe, et particulièrement en Grande-Bretagne, De l'esprit des lois est couvert d'éloges.
Dès la publication de ce monument, Montesquieu est entouré d'un véritable culte. Il continue de voyager notamment en Hongrie, en Autriche, en Italie où il demeure un an, au Royaume-Uni où il reste 18 mois. Il poursuit sa vie de notable, mais reste affligé par la perte presque totale de la vue. Il trouve cependant le moyen de participer à l'Encyclopédie, que son statut permettra de faire connaître, et entame la rédaction de l'article Goût : 'il n'aura pas le temps de terminer, c'est Voltaire qui s'en chargera.
C'est le 10 février 1755 qu'il meurt d'une fièvre inflammatoire.


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