En suspendant la réforme des retraites, les députés votent pour la décroissance
ÉDITO. Le vote de l’Assemblée nationale montre que nos représentants privilégient les intérêts électoraux immédiats à la santé des finances publiques du pays et à son avenir économique.
En votant pour la suspension de la réforme des retraites, les députés ont implicitement voté en faveur de la décroissance économique en France, en faveur du « travailler moins pour gagner moins ». On n'en finirait pas de dresser la liste des dénis que cette décision illustre.
À commencer par celui du vieillissement rapide de la population qui promet tôt ou tard à la faillite, de façon mathématique et inéluctable, le régime par répartition dans ses paramètres actuels. Déni également de la situation de délabrement de nos finances publiques, d'une dette amenée à poursuivre son irrésistible ascension par lâcheté ou irresponsabilité budgétaire de nos gouvernants et de nos élus, d'une charge de la dette dépassant désormais le budget de l'Éducation nationale.
La mesure qui se trouve à l’article 45 du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) sera débattue dans l’après-midi dans l’hémicycle. Il sera alors impossible de faire échouer cette marque de « compromis » synonyme de stabilité gouvernementale. Preuve que la couleuvre est particulièrement difficile à avaler, le groupe présidé par Gabriel Attal apparaît plus que jamais tiraillé sur la position à adopter.
Faut-il voter contre cette suspension au nom de la constance sur le sujet et de la fierté à assumer ce legs macroniste ? Ou, au contraire, approuver la suspension au nom de la loyauté à Sébastien Lecornu et de la volonté partagée de déboucher sur un compromis avec les socialistes afin de chasser les démons d’une instabilité gouvernementale, aussi coûteuse sur le plan économique que politique ?
Vers une abstention… suffisante ?
Cité par Libération, le député Pierre Cazeneuve illustre la difficulté de la séquence pour les troupes macronistes : « Il y a le ressenti : il est difficile de revenir sur quelque chose que l’on a beaucoup porté, qui nous a valu d’être très attaqués, de manière extrêmement virulente, et pour lequel beaucoup de collègues ont perdu. Et il y a quelque chose de viscéral : c’est un déni de réalité, une dette qu’on laisse aux générations suivantes ».
Du côté de l’aile droite du parti, certains sont catégoriques : hors de question de revenir sur le seul acquis de l’ère Macron. « Je voterai contre la suspension de la réforme des retraites, quel que soit le rapport de force politique. Parce que je pense que c’est une erreur », a prévenu le macroniste de la première heure Marc Ferracci dans une interview accordée à L’Opinion. Une position partagée par Éric Woerth. D’autres, particulièrement sur l’aile gauche, plaident au contraire pour le vote en faveur de la suspension, histoire de montrer au PS que le bloc central est capable de tendre la main.
Afin de ménager les troupes, et de trouver une formule qui convienne au plus grand nombre, Gabriel Attal prône l’abstention. « Certains souhaitent voter contre la suspension tout en soutenant le PLFSS. D’autres pensent qu’il faut s’abstenir pour marquer le compromis. Le Premier ministre a semblé favorable à une abstention, qui permettrait de défendre notre projet sans bloquer le compromis », a déclaré ce lundi 10 novembre l’ex-Premier ministre devant la presse. C’est donc cette position médiane qui devrait dominer, avec tous les risques qu’elle comporte. Car si le PS et le RN ont prévu de voter pour cette suspension, la France insoumise (qui réduit la concession à un simple « décalage » de la réforme) ne veut pas en entendre parler, tandis que les communistes et les écolos prévoient de s’abstenir.
Du côté de la droite, Horizons et Les Républicains devraient voter contre. Il n’est donc pas certains que cette concession aux socialistes passe si facilement. À moins que l’ultime geste consenti par le gouvernement, qui ajoute un amendement visant à inclure les carrières longes dans la suspension, réussisse à engranger suffisamment de votes à gauche pour éviter le crash.
Gabriel Attal et sa proposition à 1000 euros
Quoi qu’il en soit, hors de question pour Gabriel Attal de donner l’impression de subir la séquence à l’heure où l’Assemblée s’apprête à enterrer cette réforme phare du macronisme. C’est ainsi que le chef de Renaissance entend profiter de l’occasion pour remettre sur la table une réforme en profondeur du système actuel. Soit « un système universel, clair et compréhensible », s’inspirant de la réforme Philippe avortée de 2020 et introduisant une dose de capitalisation. Avec notamment l’instauration d’un dispositif inédit : doter chaque enfant d’un compte de capitalisation armé de 1000 euros à la naissance, sans conditions de ressources, via un « fonds souverain ». Ce compte de capitalisation pourrait être abondé par les parents ou grands-parents de l’enfant, qui seraient incités à le garnir via un abattement fiscal.
Selon l’exposé des motifs de l’amendement déposé par Gabriel Attal (et consulté par Le Figaro et Le Parisien), l’objectif de la mesure serait de « favoriser l’accumulation d’un capital personnel pour chaque jeune Français, placé dans un véhicule d’investissement collectif et sécurisé », mais aussi de « renforcer la souveraineté financière nationale en orientant l’épargne vers le financement de l’économie française, notamment les entreprises stratégiques, les infrastructures et la transition énergétique ».
Le tout, donc, au service d’un système qui serait totalement repensé. « Chacun sera libre de choisir le moment où il part. On ne fixe qu’une condition : il faudra un montant minimal de pension de retraite à atteindre pour pouvoir liquider sa retraite », a plaidé Gabriel Attal, prônant une formule dans laquelle « un euro cotisé ouvre les mêmes droits, que l’on soit salarié, fonctionnaire ou indépendant ». Toutefois, le président du groupe Ensemble pour la République est conscient que cet amendement n’a aucune chance de passer dans le cadre de l’examen du PLFSS. Mais l’objectif est ailleurs : le texte lui permet d’ouvrir le débat, à l’heure où la suspension de la réforme des retraites est perçue comme une façon de renvoyer ce dossier explosif à la présidentielle 2027. Ou comment transformer le douloureux enterrement d’une réforme en promesse de campagne.
Budget de la Sécu : le Parti socialiste, menacé d’isolement à gauche, navigue en eaux troubles
Le PS assume son vote « pour » la partie recettes du budget de la Sécurité sociale par le débat à venir sur la réforme des retraites. Mais le discours peine à convaincre ses alliés.
EN BREF
• Le PS a voté « pour » la partie « recettes » du budget de la Sécurité sociale.
• Après ce choix, ils s’attirent les critiques de la France insoumise, et d’autres élus à gauche.
• Le fossé pourrait se creuser avec le vote à venir sur la suspension de la réforme des retraites.
PS, comme « Parti solitaire » ? Ou sur le point de l’être. Le vote des socialistes samedi 8 novembre sur la partie « recettes » du budget de la Sécurité sociale fait loucher à gauche. À quelques rares exceptions individuelles, les députés de Boris Vallaud ont été les seuls dans cette partie de l’hémicycle à soutenir le texte remanié par une semaine de débats. Une position qui devient de plus en plus difficile à tenir.
Le volet du PLFSS a été adopté avec environ 170 voix, en tenant compte des erreurs de vote. Dans les votes « pour », la majorité du groupe EPR, du MoDem, des LIOT, une poignée d’Horizons, une écologiste, trois GDR… et cinquante-neuf voix socialistes. Le soutien du PS n’est pas vraiment une surprise. L’amendement sur la suspension de la réforme des retraites, qu’ils ont obtenu de Sébastien Lecornu contre la non-censure, figure dans le volet « dépenses » du PLFSS. Or, si la partie recettes avait été rejetée, le texte serait passé directement au Sénat, privant ainsi l’Assemblée du débat sur ce sujet.
Argument irrecevable pour La France insoumise, qui estime que la suspension de la réforme n’est qu’un « leurre » et qui avait de toute façon rompu avec les socialistes bien avant cet épisode. L’examen du budget de l’État avait déjà tourné au pugilat entre les deux partis de gauche, et les tensions n’ont été que plus vives lors de celui de la Sécurité sociale. Les esprits se sont notamment échauffés lors du rejet d’un amendement PS augmentant la CSG sur les revenus du capital. « Jean-Luc Mélenchon ne défend plus les travailleurs, il défend le grand capital ! », s’est emporté Philippe Brun dans Le Point, ce à quoi Manuel Bompard a répliqué en ironisant sur « Vladimir Ilitch Brun, le guide suprême de la révolution prolétarienne », en référence à Lénine.
« Olivier, je ne te comprends pas »
Samedi soir, après le scrutin en séance, Jean-Luc Mélenchon s’est fendu d’un tweet assassin. « Voter le budget du gouvernement c’est être son soutien », a cinglé le fondateur de la France insoumise. Peu surprenant. Plus surprenant en revanche est la position d’autres députés de gauche, tout aussi perplexes sur la stratégie des socialistes.
L’écologiste Sandrine Rousseau en fait partie. « Olivier, je ne te comprends pas. Vraiment, je ne te comprends pas », a-t-elle posé sur BFMTV ce dimanche 9 novembre. « Ce que nous avons adopté dans l’hémicycle hier, c’est - 3 millions de recettes par rapport à la copie du gouvernement. On investit moins sur la santé, la sécurité, les familles, le volet vieillesse que ce que le gouvernement voulait initialement » , explique-t-elle. La députée de Paris a voté contre le volet « recettes », sur la même ligne que La France Insoumise.
Sandrine Rousseau fait à ce stade figure d’exception dans son camp - en excluant les ex-députés LFI qui siègent désormais avec les Verts. La majorité du groupe dirigé par Cyrielle Chatelain a opté pour l’abstention, afin de « ne pas bloquer la suite des débats » a expliqué sa présidente. Mais le vent pourrait tourner.
Le 6 novembre sur RTL, la secrétaire nationale des Écologistes estimait ainsi que c’était « un devoir moral politique » de s’opposer aux textes budgétaires actuellement en débat, évoquant « le triple axel des socialistes » à la réception incertaine. « La formule est jolie mais on ne fait pas le bonheur des Français avec des punchlines », répond Olivier Faure dans Le Parisien samedi soir. « Notre devoir, c’est de leur éviter les horreurs contenues dans ces deux projets de loi. Si tout s’arrête, le gouvernement procédera seul par loi spéciale et ordonnances et nous imposera ce que nous pouvons empêcher par le débat », se défend-il.
PCF et écolos pour apaiser (pour l’instant)
Pour l’instant les députés écologistes tempèrent les propos de leur dirigeante, qui exprime simplement « une inquiétude » face aux « alertes qui nous remontent de partout » sur le terrain démine Cyrielle Chatelain dans Libé. Les élus communistes jouent aussi les pompiers, à l’image du président du groupe GDR Stéphane Peu qui « déplore les excès de langage d’un côté comme de l’autre » entre insoumis et socialistes, mais considère que cela « n’invalide pas l’unité nécessaire » face à la poussée de l’extrême droite. « Ne cherchez pas de rupture », a insisté Fabien Roussel dimanche sur France 3. « Chacun fait ce qu’il veut », a-t-il résumé disant « comprendre ceux qui votent contre » le budget tout en se revendiquant « plutôt de la tendance de ceux qui veulent construire ».
Mais la séquence budgétaire est loin d’être finie et le plus dur est encore à venir pour les socialistes. Premier test d’envergure : la journée du mercredi 12 novembre avec l’examen de l’amendement de suspension de la réforme Borne et le vote sur l’ensemble du Budget de la sécurité sociale. Sur les deux sujets, les insoumis ont déjà officialisé leur position contre. Olivier Faure mise donc sur les communistes et écologistes, qu’il presse de « participer pleinement à la discussion avec le gouvernement, aller chercher aussi à le faire plier, ou à bâtir les compromis utiles et faire en sorte que nous puissions donner un budget au pays. » Et aussi que le PS ne se retrouve pas seul et en première ligne des critiques qui ne manqueront pas d’arriver en cas d’échec.










