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mars 16, 2015

Connaissez-vous le libéralisme "intégral" de Beigbeder et le libertarianisme de Masse ?

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Sommaire:

A) Le libéralisme intégral veut-il la fin de toute communauté humaine ? par Charles Beigbeder

B)  CINQ ATTITUDES LIBERTARIENNES ESSENTIELLES - QL - par Martin Masse





A) Le libéralisme intégral veut-il la fin de toute communauté humaine ?
 
On aurait tort de regrouper sous l’étiquette  « libérale » tous ceux qui défendent la liberté d’entreprendre contre l’omniprésence de l’État dans la vie économique et la multiplication des règles en tout genre. Beaucoup de ceux qui souhaitent libérer l’économie française de sa tutelle étatique ne sont pas, loin s’en faut, les adeptes d’un libéralisme politique absolu où l’État est réduit à une instance de promotion des désirs individuels de chacun. Ils assignent, au contraire, à l’État la mission de perpétuer la France et de garantir le bien commun de la nation.

Seule une minorité de « libéraux » prétend limiter le rôle de l’État à la satisfaction des désirs individuels. Parmi eux, le jeune philosophe Gaspard Koenig, président du think thank Génération libre, qui, dans sa chronique du 16 décembre publiée pour L’Opinion, défend une vision du droit qui se rattache directement à l’individualisme libéral, dans le droit fil des théories du contrat social de Hobbes, Locke et Rousseau.

Il affirme en effet que « c’est en se mettant au service de l’individu et de sa liberté de choix, et non en fantasmant un projet de société holiste, que l’État se trouve dans son rôle légitime », le holisme consistant justement à appréhender la société dans son ensemble, indépendamment de la simple addition de chaque individu.

De même que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers, il est dangereux de mettre la société au seul service de « l’individu et de sa liberté de choix », sans référence à un projet de société qui dépasse les contingences de chacun. Affirmer que la société n’existe que pour satisfaire les désirs individuels de chacun revient en effet à tuer tout esprit public, limiter tout sens du bien commun et affaiblir tout projet national.

D’abord, une telle idéologie part du principe que la finalité des hommes n’existe qu’au niveau qu’individuel, la société n’étant qu’un moyen de permettre un épanouissement relevant avant tout de la sphère privée, dans la droite ligne de Benjamin Constant pour qui « notre liberté à nous doit se composer de la jouissance paisible de l’indépendance privée ». Or, l’homme n’a-t-il qu’une finalité individuelle ? N’est-il pas aussi et avant tout un être social ? Notre liberté ne consiste-t-elle donc pas à désirer communier avec nos semblables autour d’un esprit public ? En réduisant le rôle de l’Etat à un gendarme, gardien des intérêts privés de chacun, Gaspard Koenig montre qu’il n’assigne à l’homme qu’une finalité individuelle, la sociabilité n’étant chez lui qu’une fonction accidentelle de l’homme et non sa nature ontologique.

Par ailleurs, soumettre toute règle sociale au désir individuel et passager de chacun, c’est oublier l’inscription de l’homme dans le temps et son enracinement dans une histoire qui l’a façonné et dont il est pétri, même quand il souhaite s’en affranchir. Ce long travail du temps a forgé des institutions et des mentalités qu’un caprice individuel ne peut balayer au moindre prétexte. De même qu’une nation n’est pas composée uniquement des vivants mais qu’elle s’étend aussi à tous les morts (« La terre et les morts » selon Maurice Barrès), il est illusoire de vouloir gouverner en se fondant sur les seuls désirs fugitifs d’une majorité de circonstance, sans tenir compte du poids de l’histoire dans la constitution de notre propre identité. Cela n’exclut nullement une évolution du droit ; cela signifie simplement que l’Etat ne doit pas se situer uniquement sur le registre de l’instantanéité d’une décision et de l’immédiateté du temps présent, sans se soucier des bouleversements que cela peut impliquer. L’Etat est aussi le gardien d’une mémoire collective, il ne gère pas que des intérêts particuliers.

Enfin, si l’Etat n’est qu’une institution destinée à arbitrer les désirs individuels de chacun, rien n’interdit que soient légalisées des pratiques que la morale commune ou que le simple bon sens réprouvent. C’est ainsi que Gaspard Koenig plaide en faveur de l’assouvissement des désirs les plus fous, pourvu qu’ils soient libres et ne lèsent personne, par exemple la gestation pour autrui,« une pratique qui ne nuit à personne, repose sur le libre consentement d’individus majeurs, et reste dissociée des questions de filiation » (sic).

Sans entrer dans la contestation de ses allégations (la GPA ne nuit-elle vraiment à personne ? Est-elle réellement dissociée des questions de filiation ?), il est fondamental de comprendre les dangers d’une telle vision du droit qui se rattache directement à l’article 4 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen selon lequel « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », sans autre forme de régulation que ce soit. Si les frontières de la liberté sont aussi vastes, alors, le droit peut tout autoriser tant qu’on ne porte pas préjudice à autrui.

Mais ce seul critère est-il suffisant ? Le droit ne peut-il être défini que négativement, ses seules limites se situant dans les dommages potentiels de son application à autrui ? Le restreindre ainsi, c’est construire une société a minima, fondée non plus sur un héritage commun et un idéal partagé mais sur une ligne de front séparant deux ennemis potentiels. Cela revient à considérer que les hommes n’ayant d’aspirations qu’individuelles, le droit n’existe que pour trouver un modus vivendi entre des individus aux intérêts potentiellement antagonistes, animés chacun par un hubris démesuré que vient encadrer une législation qui ne fait que fixer des balises extérieures à l’action des hommes. La définition de l’Etat-gendarme en somme.

Prôner une telle vision du droit, c’est partir implicitement d’un constat d’échec, c’est avoir renoncé à toute forme de communion supérieure entre les hommes, c’est organiser juridiquement la société en partant du principe que chacun ne cherche que son seul intérêt, sans aucun idéal transcendant. Certes, le droit n’est pas la morale mais il est plus vaste qu’un simple fil barbelé entre les hommes. Pour Celse (IIème siècle ap. JC), le droit est ce qui est bon et équitable (« jus est ars boni et aequi »), pour saint Thomas d’Aquin (XIIIème siècle), il est ce qui est juste (« jus est id quod justum est »). Il est toujours la recherche d’une certaine perfection. Ce n’est que lorsque la société est complètement délitée qu’il se limite au tracé des frontières.

Au final, adopter une telle définition du droit, c’est rêver d’une société où chacun se contente d’habiter chez soi, sans communion réelle avec ses semblables, sans racines et sans histoire. Une société qui procède du contrat librement conclu par les citoyens, librement révocable à chaque instant, où chacun est interchangeable. La société de l’individu-roi, où tout désir peut trouver une forme de consécration juridique. Le contraire d’une société enracinée.

par
Source:  Le libéralisme intégral veut-il la fin de toute communauté humaine ?



B)  CINQ ATTITUDES LIBERTARIENNES ESSENTIELLES

  Le libertarianisme n'est pas qu'une théorie économique. C'est aussi une philosophie de l'évolution humaine, une éthique des rapports entre les individus et une attitude générale devant la vie. C'est aussi une « psychologie » différente de celles qui caractérisent les socialistes, les conservateurs, les réactionnaires et les collectivistes de tout acabit. 
  
          On peut devenir libertarien pour des motifs purement logiques, parce qu'on a compris la validité des préceptes économiques de libre marché ou l'importance cruciale de la liberté individuelle dans le développement de la civilisation. Mais ces explications rationnelles, aussi convaincantes soient-elles, n'ont souvent aucun effet sur certains individus parce que ceux-ci ont une attitude générale face à la vie, face à leur propre personne et aux autres, qui en bloque l'appréciation rationnelle. À l'inverse, de nombreux lecteurs du QL nous ont témoigné avoir découvert qu'ils étaient libertariens en nous lisant, même s'ils ne connaissaient rien jusque-là de la philosophie libertarienne, parce qu'ils trouvaient simplement que cela correspondait à leur personnalité ou à leur manière d'appréhender les choses de façon intuitive.  
  
          Pour ceux et celles que les multiples courants d'idées laissent confus et qui ne sont pas certains d'avoir des atomes crochus avec la pensée libertarienne, ou pour ceux qui demeurent indécis et voudraient s'assurer qu'ils en ont bien, voici cinq attitudes essentielles à la psychologie libertarienne. Si vous vous reconnaissez dans chacune d'elle, bravo, il y a de forte chance que vous soyez un libertarien ou une libertarienne dans l'âme; si vous les trouvez idiotes, fausses ou non pertinentes, pas de chance, vous pataugez encore dans les marécages idéologiques où l'humanité s'est embourbée depuis des millénaires; si toutefois vous les trouvez intéressantes mais que vous êtes forcé d'admettre que vous tendez souvent vers le contraire à cause de vieux réflexes ou des pressions de votre entourage, ne désespérez pas! En ce début d'année, c'est le temps de prendre de bonnes résolutions, et ces attitudes méritent d'être cultivées par tous: non seulement parce qu'elles sont adaptées à l'esprit libertarien, mais plus simplement à cause de leur valeur universelle comme source de bonheur et d'équilibre psychologique. 
  
          Les voici donc, sans ordre particulier, et bien sûr sans aucune prétention à offrir une liste exhaustive:   

1- assumer ses choix et cesser de rejeter la responsabilité de ses actions sur les autres
  
         On pourrait difficilement trouver une attitude psychologique plus représentative de l'esprit individualiste libertarien que celle-ci. Les libertariens croient fermement qu'au-delà des influences du milieu et des déterminismes de tout genre, les individus sont ultimement responsables des choix qu'ils font et de la situation dans laquelle ils se trouvent. Ils doivent en assumer les conséquences, bonnes ou mauvaises, sans se plaindre ni en rejeter la faute sur les autres. Bref, la liberté individuelle ne peut pas être dissociée de la responsabilité individuelle.  
  
         Au contraire, ceux qui, dans leur vie personnelle, ont toujours tendance à se sentir victime, à justifier leurs problèmes en invoquant une situation spéciale, à chercher des boucs émissaires, à se fabriquer des excuses, à rejeter la faute sur « le système », sont des étatistes en puissance et des candidats idéaux pour un Prix béquille. Comme les multiples pleurnichards et losers qui peuplent notre société, cette attitude les conduit naturellement à chercher des responsables ailleurs pour expliquer leurs propres échecs et à demander des compensations, des rectifications, des reconnaissances de leur situation particulière, de l'aide et des privilèges spéciaux. Nul doute que c'est d'abord et avant tout à l'État, ce sauveur universel responsable de tout – puisque les individus ne sont, de ce point de vue, responsables de presque rien – qu'il reviendra de rectifier les choses et de s'occuper d'eux.  


2- voir l'aventure humaine avec optimisme  

          Les libertariens ont confiance dans l'ingéniosité et le sens de l'initiative des humains. Ils croient que si on laisse les gens libres d'agir dans leur propre intérêt pour trouver des solutions aux multiples défis et problèmes auxquels ils sont confrontés, si les bonnes mesures incitatives sont présentes, la grande majorité s'empresseront de le faire de façon dynamique, productive et souvent astucieuse. Toutes les périodes de l'histoire caractérisées par le progrès l'ont été parce que les individus étaient libres de mener à bien leurs rêves et leurs désirs sans entraves majeures. Et si l'on observe l'évolution humaine depuis la révolution agricole du Néolithique il y a 10 000 ans, on se rend compte que la seule constance est la capacité des membres de notre espèce à inventer de nouvelles choses et à faire face aux multiples obstacles que la nature et – il faut le dire aussi – la stupidité et l'ignorance d'autres hommes placent devant eux. 

          Au contraire, les réactionnaires de gauche ou de droite, les misanthropes et les pessimistes croient que plus les humains sont libres, plus ils risquent de causer du trouble et de s'enfoncer dans le chaos. Pour eux, le progrès est une menace, la stagnation est préférable et doit être imposée parce que chaque innovation risque de défaire le fragile équilibre qui a permis à la civilisation de survivre jusqu'ici. La technologie, la croissance économique, la création de nouveaux produits de consommation ou de nouvelles idées et modes culturelles, tout cela est néfaste et porteur de trouble. Pour ces pessimistes, il y a toujours une catastrophe à l'horizon, qu'il s'agisse du bogue de l'an 2000, du réchauffement de la planète, de la pollution et du surpeuplement, de l'informatisation et de la mondialisation économique, des aliments transgéniques, et quoi encore, qui mérite qu'on impose une fin à toute expérimentation et qu'on revienne à un mode de vie plus « naturel » et drastiquement simplifié, comme celui de nos ancêtres. Évidemment, il revient toujours dans cette perspective à un gouvernement fort de s'opposer au changement et de réprimer les innovateurs pour éviter ces catastrophes et imposer l'ordre idéal.  

3- refuser de s'en remettre à des abstractions collectives 
  
          Les libertariens s'intéressent d'abord à l'individu et le voient comme l'ultime réalité sociale. Pour eux, les entités collectives n'ont de sens que lorsqu'elles s'incarnent dans l'individu, et pas en elles-mêmes. Ça ne veut pas dire que la culture, l'identité nationale, le patrimoine, la langue, et autres phénomènes collectifs, ne sont pas pertinents. Ils le sont, mais seulement parce qu'ils répondent à un besoin des individus. Celui-ci est d'ailleurs toujours à la croisée de nombreuses caractéristiques collectives et ne peut être réduit à une simple pion sur un échiquier collectif unidimensionnel.  
  
          Les libertariens sont donc toujours sceptiques devant les revendications de nature collectiviste et les ramènent nécessairement aux intérêts individuels de ceux qui s'en réclament et prétendent parler au nom du groupe. Pour chaque situation, ils seront plus intéressés à voir non pas quelles seront les conséquences pour « la nation », « les femmes », « les Noirs », « les gais », « les autochtones », ou quelque autre groupe, mais bien de comprendre comment des individus qui peuvent se définir de multiples façons dans un monde pluraliste pourront faire des choix librement et sans avoir à cadrer dans un modèle collectif rigide. C'est la subjectivité de l'individu qui importe, pas son appartenance à des entités collectives abstraites. Et lorsqu'il est question de réaliser quelque chose, ils comptent d'abord sur leurs propres moyens en collaboration volontaire avec d'autres individus qui y trouvent leur compte pour y arriver, pas sur une « mobilisation » collective. 
  
          L'attitude contraire conçoit plutôt la société humaine comme essentiellement composée de groupes qui se côtoient et s'opposent, avec des individus qui n'ont de réalité que comme membres d'un groupe précis. Pour ceux qui voient les choses ainsi, la vie collective est la seule référence et ils ramènent tous les aspects de leur vie à la situation du ou des groupes qu'ils privilégient. C'est l'individu qui doit s'adapter pour correspondre à un idéal collectif, et non les caractéristiques attribuées au groupe qui doivent être relativisées pour faire place à la diversité des individus.  
  
          Ces gens carburent à la fierté collective, aux drapeaux et à la solidarité, aux victoires politiques, légales ou militaires du groupe (c'est-à-dire des organisations qui prétendent le représenter) contre l'ennemi collectif, etc. C'est l'atteinte d'une position idéale pour le groupe qui colore leur vision du monde et les motive à agir, et ils voudraient que tout le monde embarque dans leur croisade. Ils ne comprennent pas pourquoi plusieurs autour d'eux ne sont pas « conscientisées » aux mêmes problèmes sociaux, et ils considèrent ceux qui préfèrent rester à l'écart ou s'opposer à leur démarche comme des égoïstes ou des traîtres. L'État, qui incarne la « volonté nationale » et qui arbitre les relations et conflits entre les multiples groupes, est évidemment au centre des préoccupations de ces collectivistes, puisque tout converge vers lui.   

4- viser une amélioration constante à long terme plutôt qu'une perfection statique à court terme 
  
          Les libertariens conçoivent la vie comme une suite ininterrompue d'adaptations et de remises en question dans un monde en perpétuel changement. Ils ne croient pas en la possibilité d'un monde parfait et utopique, comme la société sans classe de Marx où tous seraient égaux et verraient leurs besoins et désirs comblés à jamais sans conflit. Même dans une société fondée sur des principes libertariens, il y aurait toujours des changements et des problèmes, des conflits et des catastrophes. La différence majeure est que les individus seraient mieux équipés pour y faire face et pour atteindre leurs buts dans une plus grande harmonie.  
  
          Les libertariens ont donc une attitude généralement réaliste et pragmatique et sont réconciliés avec le monde tel qu'il est, même s'ils souhaitent bien sûr eux aussi voir des changements pour le mieux. Ils ne sont pas constamment désespérés de constater que nous ne vivons pas dans un monde parfait, qu'il y a des inégalités, des problèmes sociaux, de l'ignorance, de la pauvreté, de la pollution et toutes sortes d'autres situations déplorables dans le monde. Ils croient que seul l'effort, la créativité et l'apprentissage individuels à long terme permettent de changer les choses et qu'il n'y a pas de solution magique pour tout régler. De toute façon, la vie comme processus biologique et la société comme processus d'interaction humaine sont des systèmes en perpétuel déséquilibre et en perpétuel mouvement de rééquilibrage, et il n'y a donc aucune raison de se désoler du fait que nous ne soyons pas encore parvenus à créer un monde parfait. Un tel monde serait de toute façon synonyme de stagnation et de mort.  
  
          Pour les aliénés de la vie qui sont « conscientisés » à toutes les bonnes causes et qui ressentent à chaque heure du jour le spleen de ne pas se trouver au paradis, l'imperfection du monde est au contraire une source constante de souffrance psychologique. Ceux-là ne veulent pas admettre qu'il n'y a pas de solution immédiate à tous les problèmes de l'univers. Comme on l'entend constamment dans la bouche des militants, ils trouvent que la situation est « inacceptable » et qu'il faut « intervenir sans délai ». Même s'ils prétendent se préoccuper des problématiques à long terme, ces frustrés ne visent qu'une seule chose: un bouleversement social et politique immédiat qui apportera un progrès instantané et leur enlèvera le poids de cette conscience intolérable. Mais quoi qu'il arrive, ils sont de toute façon difficilement capables de se défaire de cette attitude. Dès qu'un problème semble se régler ou devenir moins urgent, ils se dépêchent à se conscientiser et à s'impliquer dans une autre cause, question de ne pas se laisser aller à ce qu'ils croient être de « l'indifférence » devant la souffrance du monde, c'est-à-dire une attitude saine et réaliste devant le peu d'influence qu'on peut avoir sur le sort du monde et une préoccupation première pour son propre sort. Les révolutions, les utopies abstraites et farfelues qui passent par un changement radical de régime – par l'État, donc – leur paraissent bien sûr la seule solution ultime pour régler une fois pour toutes ces problèmes urgents.  

5- être tolérant et accepter la diversité 
  
          Les libertariens ne sont pas des relativistes moraux; ils considèrent que la liberté est une valeur fondamentale et, comme croyants ou partisans d'autres philosophies particulières, ils peuvent professer des principes plus ou moins stricts concernant la bonne conduite et le sens de la vie. Toutefois, ils sont unis par une attitude bien précise: leur acceptation de la diversité des opinions et des croyances et leur refus d'imposer les leurs aux autres. Pour les libertariens, tout est acceptable dans la mesure où quelqu'un ne porte pas préjudice à autrui ou à sa propriété. Les gens peuvent donc faire ce qu'ils veulent avec leur propre corps et entre eux si c'est de façon volontaire. Ils peuvent se droguer, se prostituer, ou consacrer leur vie et leur fortune à la vénération des petits hommes verts venus d'autres planètes. Personne n'a moralement le droit d'empêcher quiconque de vivre comme il l'entend s'il ne fait de tort à personne d'autre, même si la presque totalité de la population désapprouve son comportement particulier.  
  
          Certains diront que les libertariens sont pourtant intolérants envers leurs opposants idéologiques, par exemple envers les socialistes et nationalistes, et qu'ils n'acceptent donc pas les points de vue qui divergent de la philosophie libertarienne. Mais cette critique ne tient justement pas: dans une société véritablement libre, les individus pourront s'organiser comme ils le voudront, dans la mesure où ils ne tentent pas d'imposer leur mode de vie à ceux qui ne le souhaitent pas. Ainsi, les communistes pourront s'acheter un territoire, fonder une commune, se soumettre volontairement à un gouvernement local qui les taxera à 90% et qui planifiera leur vie de classe prolétarienne dans les moindres détails. Ils pourront inviter le reste du monde à venir les rejoindre dans leur paradis terrestre mais, comme on l'a vu au cours du XXe siècle, c'est généralement l'inverse qui se produit. De même, les ultranationalistes et mystiques de la langue pourront s'imposer à eux-mêmes – volontairement toujours, et sans que ça affecte ceux qui n'en veulent rien savoir – une police de la langue qui utilisera des techniques de scanning cérébral ultrasophistiquées pour déterminer s'ils rêvent en français ou dans une autre langue, avec des amendes appropriées pour les contrevenants. Chacun pourra vivre selon son propre idéal et laisser vivre son voisin selon le sien.  
  
          L'attitude des puritains, des paumés, des zélés, des militants exaltés et des croyants fondamentalistes est tout à fait à l'opposé. Ces collectivistes n'ont de répit tant qu'ils n'ont pas imposé à tous leur vision idéale du monde. Pour eux, la diversité est toujours une menace et la tolérance doit toujours s'exercer « à l'intérieur de certaines limites ». Des limites bien sûr déterminées par les autorités gouvernementales et qui réduisent inévitablement la liberté de tous ceux qui n'y cadrent pas, même s'ils ne font de tort à personne. Dans la vision du monde collectiviste, il n'y a tout simplement pas de place pour ceux qui veulent vivre différemment. 
  
          Pour les traditionalistes intolérants par exemple, le simple fait que les homosexuels existent et puissent jouir de la vie est un affront à la volonté divine qui doit être corrigé; pour les égalitaristes coupeurs de têtes qui dépassent, la simple existence de riches est une injustice flagrante, même si ces riches ont gagné leur argent de façon honnête et en rendant des services aux autres dans un marché libre; pour les nationalistes xénophobes, le fait qu'il existe des citoyens québécois qui ne parlent pas français à la maison ou sur la rue autour d'eux, ou qui se foutent de l'identité québécoise qu'ils exaltent et de la survie du français, est un affront direct à la Nation, à nos vaillants ancêtres, à eux-mêmes dans le plus profond de leur moi collectif, et ce même s'ils n'entrent jamais en contact avec ces gens sauf en constatant des données statistiques; pour les fascistes de la santé, ce ne sont plus les désagréments causés par les fumeurs aux non-fumeurs qui sont le problème, mais bien l'existence même de fumeurs: sinon, pourquoi veulent-ils interdire la fumée dans tous les bars et restaurants et empêcher les fumeurs de se retrouver entre eux sans imposer leur fumée à qui que ce soit?  
  
          Quiconque fait preuve d'une forme d'intolérance et de refus de la diversité qui s'apparente à celles-ci dans quelque domaine que ce soit n'a évidemment rien d'un libertarien et a tout d'un partisan de l'autoritarisme et la répression étatique.  
  
          Pour conclure, assumer ses choix et cesser de rejeter la responsabilité de ses actions sur les autres, voir l'aventure humaine avec optimisme, refuser de s'en remettre à des abstractions collectives, viser une amélioration constante à long terme plutôt qu'une perfection statique à court terme et être tolérant et accepter la diversité sont des attitudes psychologiques essentielles pour ceux qui souhaitent vivre l'idéal libertarien: quelqu'un qui les cultive et qui applique systématiquement ces façons de voir les choses aux situations de la vie a compris l'essentiel. Les arguments théoriques plus complexes sur le fonctionnement d'une économie de marché restent cruciaux pour les débats politiques et économiques mais n'auront jamais le même impact, pour la plupart des gens qui s'intéressent peu à ces débats, que la conviction intuitive profonde, fondée sur ces principes généraux, de vivre moralement et bien. 

par Martin Masse édito de QL




 

novembre 29, 2014

MONTESQUIEU - La liberté politique.

L'Université Liberté, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Comme de multiples critiques l’ont montré, la notion de liberté occupe une place centrale dans la pensée politique de Montesquieu1. Avant de la définir dans les quatre premiers chapitres du livre XI et de l’expliciter en tant que « système »2 dans les trois premiers livres de la seconde partie de l’Esprit des lois, le président de la Brède la mentionne pour la première fois dans le troisième chapitre du livre I où il a entrepris de préciser les rapports que peuvent avoir les lois positives avec les différents facteurs qui les déterminent et les font. «Elles (les lois) doivent se rapporter au degré de la liberté que la constitution peut souffrir »3. Montesquieu revient sur la même idée de liberté dans le chapitre 2 du livre VI. Tout d’abord pour montrer que « les peines, les dépenses, les longueurs, les dangers même de la justice, sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberté4. Ensuite pour faire remarquer que la complexité des lois est le propre des républiques et des monarchies et que les formalités de la justice augmentent dans les Etats modérés non despotiques « en raison de5cas que l’ont y fait de l’honneur, de la fortune, de la vie, de la liberté des citoyens » . La liberté, « ce bien qui fait jouir des autres biens6, est donc l’apanage de chaque bon gouvernement7 (qui sait bien se défendre et défendre ses individus.) Voilà la raison pour laquelle Montesquieu en place l’étude suite après l’examen des lois destinées à assurer la sécurité militaire de l’Etat. 


Confronté à la polysémie du terme, Montesquieu distingue la liberté philosophique de la liberté politique. « La liberté philosophique consiste dans l’exercice de sa volonté, ou du moins (s’il faut parler dans tous les systèmes), dans l’opinion où l’on est, que l’on exerce sa volonté. » Par contre, « la liberté politique consiste dans sa sûreté ou du moins de l’opinion que l’on a de sa sûreté»8. Etant de nature métaphysique, la première espèce de liberté est abstractive et ne concerne que l’âme. Comme telle, elle transcende la réalité que désigne la vie collective et se détourne des problèmes qui se rapportent à l’organisation sociale : « La liberté pure est plutôt un état philosophique qu’un état civil »9. Montesquieu, précurseur de la sociologie moderne10 et fondateur de la sociologie juridique,11 refuse d’appréhender la liberté selon des concepts aprioriques ou des appréciations subjectives. Pour lui, la liberté est reliée à des lois objectives qui « dérivent de la nature des choses ». Elle est donc un fait social et ne concerne pas l’individu insulaire et autarcique. C’est pour cela que la vraie liberté, à savoir la liberté politique, n’est pas l’indépendance ou la licence, mais la liberté sous la loi ou « le droit de faire tout ce que les lois permettent »12. Ainsi, la liberté politique n’est ni l’indépendance, ni le droit de faire ce que l’on veut, car ce serait l’anarchie, le chaos, et des luttes effrénées entre les citoyens. Elle n’est pas non plus le pouvoir collectif de la multitude d’imposer ses volontés, car ce pouvoir pourrait être exercé arbitrairement : « Comme dans les démocraties le peuple paraît à peu près faire ce qu’il veut, on a omis la liberté dans ses sortes de gouvernements ; et l’on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple »13. De même qu’il ne faut pas confondre liberté et démocratie, de même il ne faut pas l’assimiler à la légalité. Car, bien que lois, les lois tyranniques ne produisent pas le sentiment de sécurité. Pour développer cette idée, Montesquieu compare « les bonnes lois » dans un gouvernement sage, monarchique ou aristocratique à«de grands filets, dans lesquels»«les poissons » « sont pris, mais se croient libres », et les mauvaises « [d]ans les Etats purement despotiques » à « des filets » dans lesquels ils se « sont si serrés que d’abord ils se sentent pris »14. La liberté politique ne réside donc ni dans la participation à l’exercice du pouvoir, ni dans la simple soumission à la loi. Elle consiste dans la sécurité des citoyens et dans leur certitude que leurs personnes, leurs familles et leurs biens sont protégés par l’Etat contre l’autorité inique de l’arbitraire. « Le seul avantage qu’un peuple libre ait sur un autre, c’est la sécurité où chacun est que le caprice d’un seul ne lui ôtera point ses biens ou sa vie. Un peuple soumis, qui aurait cette sécurité-là bien ou mal fondée, serait aussi heureux qu’un peuple libre»15. La sécurité consubstantielle à la liberté ne peut pas avoir lieu dans le régime despotique, où le souverain n’est pas lié à des lois et commande à l’aveuglette sous la dictée de ses passions : « Un homme libre qui a un juste sujet de croire que la fureur d’un seul (...) ne lui ôtera la vie ou la propriété de ses biens »16. Voilà pourquoi « Personne n’est libre en Turquie, pas même le Sultan »17. La protection des citoyens contre l’asservissement social et politique, toujours et pour toujours illégal et inhumain, ne peut prendre corps que dans les Etats modérés et non despotiques : « La démocratie et l’aristocratie ne sont point des Etats libres par leur nature. La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés »18. Nécessairement exclue des gouvernements despotiques, cette liberté se trouve aussi bien dans une monarchie que dans une république. « Il faut conclure que la liberté politique, concerne les monarchies modérées comme les républiques, et n’est pas plus éloignée du trône que d’un sénat »19. Il en ressort, comme le dit savamment Paul Vernière, que « l’idée de liberté politique », chez Montesquieu, est « liée à l’idée technique de modération »20. 



La modération
La modération est la condition sine qua non de la liberté. Ou disons, pour reprendre les belles formules de Simone Goyard-Fabre, que « le concept de modération est l’exigence principielle de la politique de liberté » puisqu’il représente « l’axiome du constitutionalisme libéral de Montesquieu »21. Dans L’Esprit des lois, la modération se comprend à duplicité : celle du législateur et celle des régimes politiques. Pour qu’il excelle dans l’art de faire des lois, le législateur doit être animé par l’esprit de modération : « Je le dis, et il me semble que je n’ai fait cet ouvrage que pour le prouver : l’esprit de modération doit être celui du législateur »22. Un bon législateur doit adapter son activité à la multiplicité des circonstances : temps, lieu, climat...Il doit être attentif surtout aux mœurs et aux manières d’être particulières du peuple. Il doit « suivre l’esprit de la nation (...) car nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement, et en suivant notre génie naturel»23. Le respect de la diversité des circonstances et des mœurs de chaque peuple s’inscrit contre l’idée d’uniformité en matière de législation. En ce sens, Montesquieu s’oppose à Condorcet pour qui la loi doit être immuable et invariable : « Comme la vérité, la raison, la justice, les droits des hommes, l’intérêt de la propriété, de la liberté, de la sûreté sont les mêmes partout ; (....) Une bonne loi doit être bonne pour tous les hommes, comme une proposition vraie est vraie pour tous »24 Suivre la voix de la modération, c’est être contre l’hégémonie de l’un, contre la suprématie du modèle figé, et en opposition totale avec ce que peut imposer l’a priori. Par voix de conséquence, c’est valoriser la relativité, opter pour la pluralité, et fêter la richesse de la diversité. 

La modération législative qui tient compte de la spécificité des circonstances et des nations consiste à se tenir entre les extrêmes. Ce qui équivaut à dire qu’elle signifie le juste milieu : « Le bien politique, comme le bien moral, se trouve toujours entre deux limites »25. Eviter les excès constitue une règle d’or pour le législateur. C’est ainsi par exemple qu’en matière de la législation criminelle, le législateur ne doit point « mener les hommes par les voies extrêmes»26, mais agir «d’une manière sourde et insensible »27. Moins il use de la contrainte, plus il est sage. « Inviter, quand il ne faut pas contraindre, conduire quand il ne faut pas commander, c’est l’habilité suprême »28. « Un législateur prudent prévient le malheur de devenir un législateur terrible »29. Car les peines excessives et outrées sont inséparables du régime despotique. Prescrire des peines sévères, c’est prendre pour modèle le despotisme comme s’il n’existait, pour maintenir les hommes dans l’obéissance des lois, d’autre ressort que la crainte, d’autres peines que la mort, les châtiments corporels ou les amendes ! 


La modération est indispensable non seulement en matière de droit pénal, mais aussi en matière fiscale et éducative. Aussi doit-elle concerner le domaine de la religion et le domaine militaire30. Le but avoué de Montesquieu est donc d’introduire l’esprit de modération dans la législation. Pour lui, le mal se confond toujours avec l’excès. Or, le premier mal, le mal par excellence, c’est l’excès de pouvoir ou le despotisme qui signifie la perte totale de liberté.
Le deuxième sens de la modération, à savoir celle des régimes, ne pourrait être saisi qu’à travers la distinction établie par Montesquieu entre les deux types de typologie gouvernementale. La première typologie domine les dix premiers livres de L’Esprit des lois. Elle distingue trois espèces de gouvernements : le républicain, le monarchique et le despotique31. Cette trilogie de Montesquieu est originale. Car elle abandonne la classification classique qui, issue d’Aristote et reprise par Rousseau, distinguait démocratie, aristocratie et monarchie tout en considérant le despotisme comme étant une déviation de cette dernière32. À côté de cette première typologie, connue et familière, il existe une deuxième non moins importante. Il s’agit de celle que renferment expressément les livres XI et XII.Cette seconde typologie oppose les gouvernements modérés aux gouvernements despotiques. À vrai dire, la mention des gouvernements modérés est faite dès le livre III où Montesquieu affirme dans le chapitre 9, consacré à l’étude « du principe du gouvernement despotique », qu’ « un gouvernement modéré peut, tant qu’il veut, relâcher ses ressorts »33. Le même couple conceptuel revient sous la plume de Montesquieu dans le chapitre qui s’intitule : « Différence de l’obéissance dans les gouvernements modérés et les gouvernements despotiques»34. Cette amorce d’une nouvelle classification binaire des régimes politiques prend plus d’amplitude dans le livre V, chapitre 14, où Montesquieu définit, d’une manière à peu près semblable à celle que renferme un fragment des Pensées, la façon de former un gouvernement modéré35. Et ce n’est pas par hasard qu’en commentant le passage en question, Robert Derathé affirme qu’il « aurait été mieux à sa place au début du livre XI, puisqu’il fait allusion à la combinaison des puissances distinguées au livre XI et évoque la liaison entre la liberté et le gouvernement modéré, si nettement affirmée dans le chapitre IV de ce livre»36. La fréquence du terme modération est remarquable dans le livre VI consacré à la question des lois civiles et au rapport qu’entretiennent les individus avec la justice. Or, si le livre VII ne mentionne nullement le concept de modération, c’est peut être pour disposer le livre VIII à faire appel de nouveau à la classification tripartite des gouvernements pour traiter de la corruption de leurs principes. Après avoir étudié les trois sortes de gouvernement quant à leur signification interne, Montesquieu les examine dans les livres IX et X du point de vue externe, c'est-à-dire relativement au droit des gens et aux problèmes qui se rapportent aux relations internationales, à savoir, ceux d’assurer la paix (livre IX) et de conduire la guerre (livre X). Il faut attendre donc le livre XI pour que la distinction des trois gouvernements, qui domine les dix premiers livres, s’efface pour céder la place à la notion du gouvernement modéré qui s’oppose au despotisme. La question qui se pose : pourquoi ce changement ? Tout simplement parce que ce livre a pour objet de chercher comment la liberté des citoyens peut être assurée et garantie par la constitution de l’Etat. Le passage de Montesquieu, d’une classification ternaire à une classification binaire des gouvernements, est donc exigé par l’analyse de la liberté dans son rapport avec la constitution. Contrairement à Brèthe de la Gressaye qui déclare que, dans la première typologie, « la distinction des gouvernements est en définitive fondée sur l’idée de liberté »37, nous pensons que la liberté ne se définit pas en termes de régimes politiques : « Ce mot de liberté dans la pratique ne signifie pas, à beaucoup près, ce que les orateurs et les poètes lui font signifier. Ce mot n’exprime proprement qu’un rapport et ne peut servir à distinguer les différentes sortes de gouvernements : car l’état populaire est la liberté des personnes pauvres et faibles et la servitude des personnes riches et puissantes ; et la monarchie est la liberté des grands et la servitude des petits »38. Entraîné à abandonner sa typologie initiale car elle s’avère incompatible à l’étude de la liberté politique, le président de la Brède fait recours à la deuxième typologie. Comme le dit Simone Goyard-Fabre avec brio : « L’horreur du despotisme allant de pair avec le souci de la liberté, Montesquieu établit la différence entre gouvernements modérés et gouvernements despotiques. Le formalisme typologique s’efface devant la signification politique des régimes: S’il y a trois espèces de gouvernements, ils correspondent à deux conceptions de la politique. Ces deux conceptions ne sont d’abord que suggérées, quoique de manière transparente : ou bien dans un enfer politique, l’homme, ramené à la bête, perd son humanité, ce qui est pire que perdre la vie ; ou bien il faut élaborer la conception d’un gouvernement qui laisse aux sujets toutes leurs chances de liberté. » 39


Mais la liberté s’identifie-t-elle avec la modération ? Certainement pas, car il existe des Etats modérés qui ne sont pas libres. L’Etat est dit modéré dans la mesure où il ne concentre pas les trois pouvoirs en un seul organe : « Dans la plupart des royaumes de l’Europe, le gouvernement est modéré, parce que le prince, qui a les deux premiers pouvoirs (le législatif et l’exécutif), laisse à ses sujets l’exercice du troisième. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs sont réunis sur la tête d’un sultan, il règne un affreux despotisme »40. Ainsi, lorsque les trois pouvoirs sont confondus, cela signifie que nous sommes en présence d’un régime politique despotique comme celui de la Turquie. Mais lorsque la confusion ne se rapporte qu’aux deux premiers pouvoirs sans toucher le pouvoir judicaire, cela veut dire que le gouvernement en question est un gouvernement modéré à l’image de ceux des royaumes de l’Europe. Ces royaumes ne sont pas libres. Car « Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement. »41. Il existe un autre passage qui confirme cette distinction entre la liberté et la modération. « La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n’est pas toujours dans les Etats modérés ; elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir »42. Tout cela nous amène à déduire avec Céline Spector « que la modération ne s’identifie pas à la liberté, elle n’en fournit que la possibilité : tous les Etats modérés ne sont pas libres par nature ; il faut de surcroît qu’y règne une forme de distribution des pouvoirs qui préviennent les abus »43. Le problème de la liberté se confond avec celui de la limitation des pouvoirs que Montesquieu a cru trouver dans le régime Anglais. 




La liberté d’après la constitution
On a souvent confondu la pensée constitutionnelle de Montesquieu avec la théorie de la séparation des pouvoirs. Cette façon d’interpréter le contenu du célèbre chapitre sur la constitution d’Angleterre est tout à fait erronée. C’est ce qu’ont montré Brarhausen, Dedieu, Althusser, et par la suite Vlachos, Simone Goyard-Fabre, Binoche, Paul Vernière, Céline Spector44 et tant d’autres éminents critiques. Nonobstant les efforts fournis par les grands chercheurs et spécialistes mentionnés ci-devant, la meilleure mise au point de la question demeure celle que renferment les travaux de Charles Eisenmann45 . Selon ce critique si avisé, il existe plusieurs arguments qui vont contre l’opinion attribuant à Montesquieu une conception « séparatiste » des pouvoirs : 

Premièrement, le fait que le pouvoir législatif est exercé conjointement par le pouvoir exécutif. En effet, si le monarque ne prend pas part aux délibérations du corps

législatif, il a le droit de s’opposer à leur adoption définitive. « La puissance exécutrice, doit prendre part à la législation par sa faculté d’empêcher »46

Deuxièmement, le pouvoir accordé au parlement de contrôler l’exécution des lois qu’il a votées : « La puissance législative (...) a droit, et doit avoir la faculté d’examiner de quelle manière les lois qu’elles a faites ont été exécutées. » 47 

Troisièmement, l’attribution au parlement de certaines affaires relevant de la justice. Autrement dit, le corps législatif exerce lui-même un pouvoir judiciaire dans des cas exceptionnels. C’est ainsi que les nobles, par exemple, doivent être jugés par la chambre des lords pour se préserver contre les injustices qu’ils peuvent subir des magistrats populaires. « Les grands sont toujours exposés à l’envie ; et, s’ils étaient jugés par le peuple, ils pourraient être en danger, et ne jouiraient pas du privilège qu’a le moindre des citoyens dans un Etat libre, d’être jugé par ses pairs. Il faut donc que les nobles soient appelés, non pas devant les tribunaux ordinaires de la nation, mais devant cette partie du corps législatif qui est composée de nobles. »48 

Quatrièmement, la faculté reconnue au gouvernement de régler la vie du parlement. Le parlement ne peut siéger que lorsqu’il est convoqué par le Roi. Il doit se disperser quand le Roi le proroge et interrompt la session. « Le corps législatif ne doit point s’assembler lui-même (...) il faut donc que ce soit la puissance exécutrice qui règle le temps de la tenue et de la durée de ces assemblées, par rapport aux circonstances qu’elle connaît. »49
De l’avis de Charles Eisenmann, la doctrine exposée au livre XI, chapitre 6, a le sens du non-cumul des trois fonctions entre les mains du même organe.50 Aussi, préconise-t-elle le croisement et la collaboration des trois pouvoirs politiques. L’auteur reprend cette interprétation de la pensée de Montesquieu dans son étude La pensée constitutionnelle de Montesquieu, où il distingue entre « l’interprétation politique du XIXe siècle », qui reproduit fidèlement le vrai contenu de la pensée du philosophe et la « théorie juridique du XXe siècle » ou « l’interprétation séparatiste » à laquelle appartient Jellinek et Laband en Allemagne, Duguit et Carré de Malberg en France, et qui est « en contradiction radicale avec la vue d’ensemble que Montesquieu lui-même a donné à plusieurs reprises de sa constitution idéale, de ses principes, et de ses conséquences. »51 

L’interprétation « juridiste » ou séparatiste, qui attribue à Montesquieu le principe d’une séparation stricte du pouvoir, ne correspond pas à la véritable pensée de l’auteur de L’Esprit des lois. Pour corroborer son point de vue auquel nous nous rallions, Eisenmann cite plusieurs passages de l’œuvre maîtresse de Montesquieu. Mais le texte qui l’emporte sur tous les autres, c’est ce fragment inoubliable du chapitre 6 du livre XI:«Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y étant composé de deux parties, l’une enchaînera l’autre par sa faculté mutuelle d’empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative. »52 
 

Certes, les deux pouvoirs, législatif et exécutif, sont attribués à des organes distincts. Mais cela ne signifie pas du tout qu’ils sont absolument indépendants l’un de l’autre. Car, supposer une telle indépendance, c’est trahir le principe que « le pouvoir arrête le pouvoir » et aller en conséquence contre les objectifs constitutionnels et les buts politiques que Montesquieu s’était proposé d’atteindre. 

Selon l’interprétation du XIXe siècle à laquelle Eisenmann adhère, il existe deux principes qui permettent de saisir l’originalité de l’approche constitutionnelle de Montesquieu.
Le premier tient à la non-confusion des trois pouvoirs ou à la non-identité de leurs organes. Tel est le sens du célèbre texte qui nous éclaire sur la pensée politique de Montesquieu : «Tout serait perdu si le même homme ou le même corps des principaux, ou des nobles ou du peuple exerçaient ces trois pouvoirs: celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »53. Cela n’exclut pas qu’un même organe puisse participer à l’exercice de plusieurs pouvoirs et cela de par l’interdépendance des fonctions politiques de l’Etat. La théorie du non-cumul du pouvoir est dualiste et non ternaire, finit par déduire Eisenmann. Montesquieu, note-t-il : « fait une différence fondamentale entre tribunaux d’une part, Parlement et monarques d’autre part. Pour lui, seuls les Chambres et le Gouvernement – le monarque et les ministres – sont des organes politiques ; à eux seuls, il destine, il assigne un rôle proprement politique. Les juges, les tribunaux, ceux qui exercent le pouvoir de juger, au contraire ne sont pas à ses yeux des forces politiques ; la justice n’est pas un pouvoir au sens politique. »54 

Le second principe réside dans le caractère composé de l’organe législatif ; c’est-à-dire, « du pouvoir suprême ou souverain. » Ce « pouvoir politique le plus élevé»55 doit être partagé entre les forces politiques et sociales à l’image de l’Angleterre où le pouvoir législatif est confié d’une part au peuple représenté par la chambre des Communes et d’autre part aux nobles, représentés par la chambre des Lords. Au sein du pouvoir législatif, les intérêts des deux puissances qui incarnent les vues de la noblesse et celles du peuple, doivent être mis en balance afin de préserver la liberté. Autrement dit, c’est la dualité du corps législatif qui fait que « le pouvoir arrête le pouvoir » et assure la modération de la législation. 

Deux points qui ont un rapport direct avec le problème de la liberté attirent notre attention dans la riche analyse de Eisenmann. Le premier concerne sa façon d’attribuer un caractère dualiste à la notion du pouvoir politique et cela en prenant l’acte juridictionnel comme étant un acte d’exécution de la loi, tout comme l’acte gouvernemental ou administratif. Deux passages confirment cette manière d’envisager le pouvoir judiciaire comme une branche du pouvoir exécutif : « La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l’année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert. De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n’étant attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient, pour ainsi dire, invisible et nulle. »56Ce qui laisse entendre qu’il n’y a que deux pouvoirs visibles : la puissance législatrice et la puissance exécutrice.

Invisible et nulle, la puissance législative l’est aussi par la nature même de son fonctionnement : « Mais, si les tribunaux ne doivent pas être fixes, les jugements doivent l’être à un tel point, qu’ils ne soient jamais qu’un texte précis de la loi. »57 

Les deux passages que nous venons de citer ne doivent pas nous amener à dire avec Eisenmann et Simone Goyard-Fabre58 que seuls le parlement et le monarque constituent des forces politiques. Le pouvoir est répartit en trois espèces de forces, précise clairement Montesquieu au début de son chapitre sur la constitution de l’Angleterre. L’absorption de l’une par les autres ou l’assimilation de l’une aux autres barre la voie à la liberté. Tout comme le gouvernement et le monarque, le parlement est une puissance mise à part. Et c’est son autonomie qui préserve les citoyens contre la tyrannie. « Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur. »59 

Par opposition à Locke60, qui ne parle pas du pouvoir judiciaire et ne le fait pas apparaître dans la distinction qu’il établit entre les différentes sortes de pouvoirs – étant que l’exigence de la justice est implicitement présente dans tous les pouvoirs et constitue la norme qui règle le jeu politique –, Montesquieu prend l’autorité des magistrats pour l’une des trois puissances de l’Etat. Certes, le juge est un homme dont la fonction consiste à établir la justice en se référant « aux textes précis de la loi. » Mais cela ne fait pas de lui un simple perroquet ou un simple agent d’exécution. Les propos de Montesquieu vont dans une autre direction : les délits et les peines doivent être fixés à l’avance par la loi, et les juges n’ont qu’à appliquer les lois aux particuliers afin de rendre justice avec impartialité tout en se gardant de tout arbitraire. 

Donc, c’est de l’autonomie du pouvoir judiciaire, mais c’est aussi de la non corruption des juges et de leur respect de la loi que dépend le sort de la liberté des citoyens.
Le deuxième point sur lequel nous voulons nous attarder concerne le sujet de la « société de classes » et « de la co-souveraineté de plusieurs forces sociales et politiques», qui caractérisent, comme le note Eisenmann, l’Etat modèle de Montesquieu61. Le Président de la Brède est, par delà ses partis pris évidents pour l’aristocratie62, l’un des hommes de la liberté parce qu’il est partisan d’une société de dialogue qui laisse entendre la voix de tous : celle des nobles et celle du peuple. Pour lui, l’Etat n’est pas une personne morale constituée en amont de la société et transcendant ses clivages. La preuve est que chaque groupe social participe au pouvoir législatif et défend ses intérêts et ses prérogatives. Parlant de l’Angleterre dans le chapitre 27 du livre XIX, qui constitue le pendant et le complément du chapitre 6 du livre XI, Montesquieu affirme que ce pays est plein de vitalités et de forces à cause des partis politiques qui s’y trouvent : « Ces partis étant composés d’hommes libres, si l’un prenait trop le dessus, l’effet de la liberté ferait que celui-ci serait abaissé, tandis que les citoyens, comme les mains qui secourent le corps, viendrait relever l’autre.»63 Défenseur acharné de la pluralité, Montesquieu soutient que c’est la diversité, l’adversité et les conflits qui constituent un garde-fou contre l’asservissement des citoyens. S’empêchant d’identifier les partis politiques avec les factions et les partis factieux qui ne causent que des troubles et perturbent le corps social, Montesquieu pense, au contraire, que la liberté se nourrit de contrastes et d’oppositions partisanes. Dans les Lettres persanes, il note avec grande pénétration qu’en Angleterre « on voit la liberté sortir sans cesse des feux de la discorde et de la sédition ; le Prince toujours chancelant sur un trône inébranlable ; une nation impatiente, sage dans sa fureur même. »64 


Le paradigme anglais fait écho à celui de Rome où la société représentée par ces partis politiques se gouverne elle-même et assure son unité grâce à la divergence qui crée l’harmonie. « On n’entend parler, dans les auteurs, que des divisions qui perdirent Rome ; mais on ne voit pas que ces divisions y étaient nécessaires, qu’elles y avaient toujours été et qu’elles y devaient toujours être. »65Il faut, poursuit Montesquieu, prendre garde à la tranquillité qui, apparemment, règne dans les Etats se prétendant républicains : on est sûr alors que la liberté y est absente. En opposition à l’uniformité despotique66 et au modèle absolutiste du type hobbien, Montesquieu soutient que l’ordre se réalise et l’accord communautaire se maintient grâce à l’hétérogénéité des forces sociales qui visent le bien commun dans leurs débats politiques : « Ce qu’on appelle union dans un corps politique, est une chose très équivoque : la vraie est une union d’harmonie, qui fait que toutes les parties, quelque opposées qu’elles nous paraissent, concourent au bien général de la société ; comme des dissonances, dans la musique, concourent à l’accord total. »67 À la véritable harmonie des gouvernements libres et modérés, Montesquieu oppose la fausse harmonie du despotisme où l’union apparente n’est qu’une soumission obtenue par la crainte et la violence qui causent la mort au sens physique et symbolique. « Mais, dans l’accord du despotisme asiatique, c’est-à-dire, de tout gouvernement qui n’est pas modéré, il y a toujours une division réelle. Le laboureur, l’homme de guerre, le négociant, le magistrat, le noble, ne sont joints que parce que les uns oppriment les autres sans résistance : et, si l’on y voit de l’union, ce ne sont pas des citoyens qui sont unis, mais des corps ensevelis les uns auprès des autres. »68 


Pour s’introduire, la liberté a donc besoin d’une société émancipée du joug du despotisme, du règne du même et de l’impérialisme tuant de l’identique. La liberté politique n’est pas un principe abstrait, mais un fait qui prend de plus en plus corps dans la vie réelle des gens par l’ouverture, les discussions, les débats, les dialogues, les face- à-face entre les personnes et les groupes qui représentent des opinions dissemblables et des intérêts différents.
Que peut-on déduire de tout ce qui précède ? À la lumière de ce que nous venons de voir, nous pouvons dire avec Sergio Cotta que ce n’est pas seulement « le mécanisme purement juridique de la séparation des pouvoirs qui assure la liberté politique, mais (c’est aussi) le libre affrontement des différentes idéologies. »69 

La constitution libre qui établit une certaine distribution des pouvoirs et favorise en conséquence la division partisane qui a pour effet de prémunir les individus contre toute sorte de tyrannie, n’assure qu’un seul genre de liberté politique. Or, le sens de la liberté est double : la liberté qui se rapporte à la constitution et la liberté qui concerne directement le citoyen. « Je distingue les lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution, d’avec celles qui la forment dans son rapport avec le citoyen. »70. La raison pour laquelle la liberté politique constitutionnelle ne coïncide pas nécessairement avec la liberté individuelle, c’est qu’il y a une différence entre une liberté de droit et une liberté de fait. « Il pourra arriver que la constitution sera libre, et que le citoyen ne le sera point. Le citoyen pourra être libre, et la constitution ne l’être pas. Dans ce cas, la constitution sera libre de droit, et non de fait ; le citoyen sera libre de fait, et non pas de droit. »71 Pour que la liberté, dans ces deux branches, soit de droit et de fait, il faut garantir, à part le bon aménagement de l’Etat, la sûreté des individus. Cette sûreté est en rapport avec un grand nombre de facteurs : « des mœurs, des manières, des exemples reçus », mais surtout « de certaines lois civiles »72, par opposition aux lois politiques que Montesquieu nomme « lois criminelles »73.
Après avoir explicité ce qu’il entend par la liberté selon la constitution, Montesquieu va concentrer tout son effort sur la liberté du citoyen74 afin de nous montrer comment le droit criminel peut sauvegarder ou menacer la liberté personnelle. 


La liberté du citoyen
La théorie de la liberté politique proposée par Montesquieu est inséparable de sa conception du droit pénal qu’il expose aux livres VI et XII. C’est surtout dans ce dernier livre, qui s’intitule « Des lois qui forment la liberté politique dans sont rapport avec le citoyen », que l’auteur de L’Esprit des lois se montre préoccupé de la sûreté des individus à travers l’ensemble des mesures juridiques qu’il avance pour protéger les personnes contre l’empire de l’arbitraire et de l’injustice. C’est ainsi qu’il indique que le droit pénal qui doit tendre au châtiment des criminels dans l’intérêt de la société ne doit pas permettre aux juges de condamner des accusés en fondant leurs jugements sur un seul et unique témoignage : « Les lois qui font périr un homme sur la déposition d’un seul témoin sont fatales à la liberté. »75 Aussi faut-il rejeter les faux témoignages et punir sévèrement leurs auteurs, car quand « l’innocence des citoyens n’est pas assurée, la liberté ne l’est pas non plus. »76. La législation criminelle, relative aux actes délictueux et à leur répression, doit tendre toujours à la perfection. Les progrès accomplis dans ce domaine « intéressent le genre humain plus qu’aucune chose qu’il y ait au monde »77. Ces progrès sont basés sur « les connaissances que l’on a acquises dans quelques pays (...) ce n’est que sur la pratique de ces connaissances que la liberté peut être fondée ; et dans un Etat qui aurait là-dessus les meilleures lois possibles, un homme à qui on ferait son procès, et qui devrait être pendu le lendemain, serait plus libre qu’un bacha l’est en Turquie. »78 Le règne de la justice civile ou criminelle ne va pas de pair avec la simplicité de la loi79. Dans les Etats despotiques, les lois sont simples et peu nombreuses et les procès sont rapides parce que, le prince ayant un pouvoir absolu, les sujets n’ont presque pas de droit et sont dépourvus de garanties de bonne justice. Dans les Etats non despotiques, la justice criminelle accumule les formalités et les procédures criminelles sont lentes, longues et complexes, non pas pour embrouiller le procès et alourdir les frais, mais pour permettre la bonne défense aux accusés : « Dans les Etats modérés, où la tête du moindre citoyen est considérable, on ne lui ôte son honneur et ses biens qu’après un long examen : on ne le prive de la vie que lorsque la Patrie elle-même l’attaque ; et elle ne l’attaque qu’en lui laissant tous les moyens possibles de la défendre »80. Pour que les lois réussissent leur rôle de bien faire régner la justice, elles doivent être claires et précises afin de permettre aux individus de savoir à l’avance s’ils sont dans le tort ou pas. À cet égard, Montesquieu valorise les lois des Douze Tables, et les érige en modèle de précision car elles étaient accessibles à tous et « les enfants les apprenaient par cœur. »81

L’imprécision dans la législation civile et criminelle est un signe d’esclavage politique. C’est ainsi qu’étant à la fois vagues et trop étendues, les lois qui définissent le crime de lèse-majesté comme un manque de respect à l’égard du souverain, sont immanquablement despotiques82. L’Esprit des lois fourmille de conseils et abonde en recommandations sur les lois pénales et l’établissement des peines83 pour empêcher l’arbitraire de régner en souverain.
Toutes les mesures, prises par Montesquieu pour réformer et perfectionner le pouvoir judiciaire de son temps, visent la réalisation d’un maximum possible de liberté. Le libéral qu’est Montesquieu, attribue à la procédure criminelle et au système de punition qu’il préconise trois principes qui vont dans le sens du non asservissement des citoyens.



Le premier principe consiste dans la modération des peines. S’inspirant à la fois du souci de l’impartialité et du sentiment de l’humanité, Montesquieu soutient que les peines ne doivent pas être uniquement justes dans leur nature, mais elles doivent être modérées dans leur principe. Dans les pays despotiques dont le ressort est la crainte, les peines sont excessives. Par contre, dans les Etats modérés (monarchies ou républiques) où les citoyens sont à l’abri de la crainte et de l’assujettissement, les peines correctionnelles infligées aux coupables sont douces et supportables : « Il serait aisé de prouver que, dans tous ou presque tous les Etats d’Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu’on s’est plus approché ou plus éloigné de la liberté. »84 Ce qui laisse entendre que les châtiments tiennent à la nature du gouvernement : « La sévérité des peines convient mieux au gouvernement despotique, dont le principe est la terreur, qu’à la monarchie et à la république, qui ont pour ressort l’honneur et la vertu. »85. Pour les gens libres, la répression des crimes est mieux assurée par les peines douces. Celles- ci sont efficaces et ont le même effet que les peines atroces ont sur les individus habitués à la soumission : « L’imagination se plie d’elle-même aux mœurs du pays où l’on est : huit jours de prison ou une légère amende frappent autant l’esprit d’un Européen, nourri dans un pays de douceur, que la perte d’un bras intimide un Asiatique. »86 Les effets dissuasifs des peines dépendent de la mentalité de ceux à qui on les applique. Il n’est pas nécessaire de brutaliser le peuple lorsqu’il est vertueux. Aussi, faut-il l’épargner de la peur de supplices cruels et barbares, comme le carcan et la roue. Car la perte du statut social ou la simple menace d’être humilié et classé parmi les malfaiteurs peuvent avoir plus d’effets dissuasifs que la douleur causée par la peine outrée87. L’extrême sévérité des lois pénales est inadmissible. Car lorsque la peine est sans mesure, on est dans la vengeance aveugle qu’inspire la haine. Or, affirme Montesquieu, « un bon législateur s’attachera moins à punir les peines88qu’à les prévenir ; il s’attachera plus à donner des mœurs qu’à infliger des supplices. » 

Le second principe consiste dans la proportion des peines avec le crime. En effet, le législateur doit établir des peines qui ne sont pas seulement douces, mais aussi justes, c’est à dire proportionnées aux crimes qu’elles sont censées punir. Ce principe, Montesquieu ne le déduit pas des règles propres au droit naturel, mais de l’observation des faits. « C’est un grand mal, parmi nous, de faire subir la même peine à celui qui vole sur un grand chemin, et à celui qui vole et assassine »89. Si le voleur et l’assassin sont punis également, le voleur n’hésitera pas à tuer. Rien n’est plus injuste, ajoute Montesquieu, que d’infliger la peine de mort, réservée au crime de lèse-majesté, à celui qui calomnie indignement des personnes considérables de l’Etat90. Non seulement la disproportion entre les délits et les châtiments incite le délinquant au pire, mais elle nuit gravement à l’exercice de la liberté. C’est sur quoi insiste le chapitre 4 du livre XII dont l’intitulé suffit à lui seul à nous dévoiler le but ultime du principe en question dans la législation criminelle de Montesquieu : « Que la liberté est favorisée par la nature des peines et leur proportion »91. Une telle proportion ne fait que confirmer, encore une fois, les intentions libérales du philosophe de la Brède : « C’est le triomphe de la liberté, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime. Tout l’arbitraire cesse ; la peine ne descend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose ; et ce n’est point l’homme qui fait violence à l’homme »92


Le troisième principe se rapporte à l’ordre auquel appartient le délit : le crime relève du factuel et non du réflexif. Il se rapporte à l’action et non pas à la pensée : « Les lois ne se chargent de punir que les actions extérieures »93. C’est pour cela qu’il n’est pas inique de condamner la magie et l’hérésie : « L’accusation de ces deux crimes peut extrêmement choquer la liberté, et être la source d’une infinité de tyrannies si le législateur ne sait la borner. Car (...) elle ne porte pas directement sur les actions d’un citoyen, mais plutôt sur l’idée que l’on s’est faite de son caractère »94. De même, il ne faut pas incriminer la sodomie. Ce crime contre nature étant naturellement « caché », la justice le punit le plus souvent sur la déposition « d’un enfant » ou « d’un esclave. » En outre, la recherche de témoignage pour ce genre de crime ne fait qu’ « ouvrir une porte bien large à la calomnie »95. Aussi les lois humaines n’ont-elles pas à juger ni à punir les délits contre la divinité, note courageusement Montesquieu. Car « là où il n’y a point d’action publique, il n’y a point de matière de crime : tout s’y passe entre l’homme et Dieu, qui sait la mesure et le temps de ses vengeances »96. Les crimes contre la foi religieuse, tel que le sacrilège, doivent être punis uniquement de peines ecclésiastiques, et non de peines temporelles établies par l’autorité civile. Par cette séparation de la justice et de la religion, Montesquieu cherche à défendre la liberté de conscience. Dans la même lignée de défendre l’individu contre la servitude, Montesquieu critique sévèrement les incriminations politiques qui ôtent aux citoyens la liberté de discussion à l’égard de ceux qui détiennent le pouvoir. Il pense que c’est une grande tyrannie que de considérer les critiques formulées contre le gouvernement comme un crime de lèse-majesté. Les paroles « ne deviennent des crimes que lorsqu’elles préparent, qu’elles accompagnent, ou qu’elles suivent une action criminelle »97. Le crime de lèse-majesté est un attentat réel et tangible contre le pouvoir et la personne réelle du souverain. Or, « les paroles ne forment point un corps de délit » puisqu’elles « ne restent que dans l’idée ». Dès lors « comment donc en faire un crime de lèse-majesté. Partout où cette loi est établie, non seulement la liberté n’est plus mais son ombre même »98. L’originalité essentielle de Montesquieu tient à son insistance sur la liberté de pensée et d’expression et sur sa recommandation de dénuer de la loi tout droit de regard sur la subjectivité. 

L’idée de liberté est au cœur de la pensée politique de Montesquieu. Cette liberté trouve sa condition de possibilité dans la bonne législation pénale qui est le corollaire de la limitation du pouvoir qui s’impose à tout gouvernement légitime et non corrompu. Par sa distinction entre « la liberté d’après la constitution » et « la liberté du citoyen » exposée aux livres XI et XII de L’Esprit des lois, Montesquieu anticipe la liaison qui sera établie ultérieurement par les constituants américains et français entre le principe de « la séparation des pouvoirs », communément désigné ainsi, et le droit de l’homme et du citoyen. 



Une conclusion s’impose à la fin de cet exposé : dédaigneux du despotisme, Montesquieu ressemble en quelque sorte à Rousseau. Mais à la différence de ce dernier, il n’est pas partisan de l’égalité civile entre les citoyens. Car il se montre clairement hostile au gouvernement direct, et d’une manière générale à la souveraineté du peuple. Il reste comme on l’a dit, noble, « hiérarchique » et compte sur une aristocratie pour éclairer le peuple et le préserver de l’assujettissement. « Il n’est pas indifférent, dit-il, que le peuple soit éclairé »99. Mais, ajoute-t-il, « il faut que le petit peuple soit éclairé par les principaux, et contenu par la gravité de certains personnages »100. Répugnant le despotisme de tous et le despotisme d’un seul, Montesquieu croit que les prérogatives et les privilèges des corps intermédiaires sont essentiels pour la sauvegarde de la liberté.


Par Hichem Ghorbel
(Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax, Département de philosophie)

1 Cf. à cet égard : Binoche (Bernard), Introduction à De l’Esprit des lois de Montesquieu, Paris, PUF, 1998, pp.197- 355 ; Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : la Nature, les lois, la liberté, PUF, 1993, 147-342 ; Iglessias (M. C.), « L’esprit des lois de Montesquieu », in Historia de la Etica, Barcelone, Victoria Camps, 1992, pp .194-224 ; Manent P, La Cité de l’homme, Paris, Flammarion “Champs”, 1997, Chap. 1 et 2; «L’Europe comme valeur: individualisme et liberté politique dans l’œuvre de Montesquieu, in L’Europe de Montesquieu, Cahier Montesquieu, n° 2, 1995, p. 257-270; Pangle T, Montesquieu’s Philosophy of Liberalism, Chicago, The Chicago University Press, 1977, chap. IV; Spector (Céline) « L’esprit des lois de Montesquieu. Entre libéralisme et humanisme civique », Revue Montesquieu, n° 2, 1998, p.139- 161
2 Mes Pensées, n° 80 : « Pour mon système sur la liberté ; il faudra le comparer avec les anciennes républiques ». Nous utiliserons désormais les abréviations suivantes : EL : De l’esprit des lois ; LP : Lettres persanes ; MP : Mes Pensées ; Romains : Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadences. Nos références à l’œuvre de Montesquieu se rapportent aux Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, 1949- 1951.Texte présenté et annoté par Roger Caillois.
3 EL., I ,1, p. 238.
4 EL., VI, 2, P. 310.
5 Ibid., p .311.
6 MP., n° 1797, p 1430
7 Sur ce point, cf. l’article de Gabriel loirette, « Montesquieu et le problème du bon gouvernement », in Actes de Congrès Montesquieu de Bordeaux, Delmas, 1956, pp. 219- 239.
8 EL., XII, 2, p. 431.
9 MP., n°1798, p.1430.
10 Cf. Brèthe de la Gressaye, L’Esprit des lois, T I, Introduction, pp. XCIV- XCIX.
11 G. Gurvitch, « La sociologie juridique de Montesquieu » in Revue de métaphysique et de morale, n° 4, 1939, pp.571-626.
12 EL., XI, 3, p.395.
13 Ibid., XI, 2, p.394.
14 MP. , n° 1801, p.1431.
15 Ibid., n° 1802, p.1431.
16 Ibid., n° 631, p.1152.
17 Ibid., n° 1806, p. 1432.
18 EL. , XI, 4, p.395
19 MP., n° 631, p. 1152.
20 Vernière (Paul), Montesquieu et l’Esprit des lois ou la raison impure, Paris, SEDES, 1977, p.69.
21 Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : La Nature, les Lois, la Liberté, op.cit, p.262. L’italique est de l’auteur.
22 EL., XXIX, 1, p.865.
23 Ibid., XIX, 5, p.559.
24 Cité par Manin Bernard dans son article « Montesquieu et la politique moderne », Cahiers de philosophie politique, Reims, n° 2-3 OUSIA, 1985, p. 194.
25 EL., XXIX, 1, p. 865.
26 Ibid. VI, 12, p.321.
27 Ibid., VI, 13, p.323.
28 Ibid., XXVIII, 38, p.853.
29 Ibid., XV, 16, p. 503.
30 Cf. les développements de Simone Goyard-Fabre, Montesquieu : La Nature, Les Lois, La Liberté, op.cit, pp.268-269.
31 EL. II, 1, p.239.
32 « En substituant cette division à la division traditionnelle (démocratie, aristocratie, monarchie) Montesquieu se propose manifestement d’établir une différence de nature entre la monarchie et le despotisme. On remarquera qu’il utilise deux critères : le critère du nombre lui sert à distinguer le gouvernement républicain du gouvernement d’un seul, tandis que le critère de la légalité lui permet d’opposer radicalement monarchie et despotisme ». Derathé, l’Esprit des lois, T1, note n°2, p.426.
33 EL. III, 9, p.259.
34 Ibid., III, 10, p.259.
35 Ibid., V, 14, p .297 : «Pour former un gouvernement modéré, il faut combiner les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir ; donner, pour ainsi dire, un lest à l’une, pour la mettre en état de résister à
l’autre ; c’est un chef – d’œuvre de législation, que le hasard fait rarement, et que rarement on laisse faire à la prudence. ». CF. aussi MP., n°, 1793, p.1429.
36 Derathé, De l’Esprit des lois, T1, note n° 26, p.447.
37 Brèthe de la Gressaye, L’Esprit des lois, T1, p.32.
38 MP. n° 631, pp.1151-1152.
39 Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : La Nature, Les Lois, La liberté. Op. cit. p.282.
40 EL .XI, 6, p, 397.
41 Ibidem.
42 Ibid, XI, 4, p. 395.
43 Spector (Céline), Le vocabulaire de Montesquieu, Ellipses, 2001, p.45.
44 Barckhausen (Henri), Montesquieu, ses idées et ses oeuvres d’après les papiers de la Brède., Slatkine, 1970, réimpression de l’édition de Paris, 1907, pp.83-107 ; Dedieu (Joseph), Montesquieu et la tradition politique anglaise en France. Les sources anglaises de l’Esprit des lois, Paris, 1909, pp.151-159 ; Althusser (Louis), Montesquieu, La politique et l’histoire, Quadrige /PUF, 1959, pp.98-108. Vlachos (Georges. C), La politique de Montesquieu : notion et méthode, Ed, Montchrestien, 1974, pp.97-115 ; Goyard-Fabre (Simone), Montesquieu : La Nature, Les Lois, La liberté, op. cit. pp.166-194 ; Binoche (Bernard), Introduction à de l’Esprit des lois de Montesquieu, op. cit pp.257-270 ; Vernière (Paul), Montesquieu et l’Esprit des lois ou la raison impure, Paris, SEDES, 1977, pp.68-77 ; Spector (Céline), Montesquieu. Pouvoirs, Richesses et Sociétés, PUF, 2004, pp.185-194.
45 « L’Esprit des Lois et la séparation des pouvoirs », in Cahiers de philosophie politique, Reims, OUSIA, 1985, pp. 3-34 ; « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », in Cahiers de philosophie politique, Reims, OUSIA, 1985, pp.35-66.
46 EL., XI, 6, p. 404.
47 Ibid., p.403.
48 Ibid., p.404.
49 Ibid., pp.402 -403.
50 « L’Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op.cit, p.17 51 « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op.cit, p.47
52 EL., XI, 6, p.405.
53 Ibid., p.397.
54 « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op.cit, p.55. 55 Ibid., p.54.
56 EL., XI, 6, p.398. L’italique est de l’auteur.
57 Ibid., p.399.
58 Sur ce point, la thèse de Eisenmann a été reprise par Simone Goyard-Fabre. Cf. La philosophie du droit de Montesquieu, Paris, Klincksieck, 1973, pp.335-336. Cf. aussi du même auteur, Montesquieu : La Nature, Les Lois, La liberté, op.cit, p.195.
59EL., XI, 6, p.397.
60 John Locke, Traité du gouvernement civil, Garnier-Flammarion, 1992, chapitre XII, pp .250-253.
61 Eisenmann, « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op.cit, p.61.
62 Cf. Althusser (Louis), Montesquieu, la politique et l’histoire, op.cit, .pp.109-122. 63 EL, XIX, 27, p.575.
64 LP., n° 136, p.336.
65 Romains., IX, p119.
66 EL., V, 14, pp292-297. 67 Romains, IX, p.119.
68 Ibid.
69 Sergio Cotta, « L’idée de Parti chez Montesquieu », in, Actes du congrès Montesquieu de Bordeaux, Delmas, 1956, p.263.
70 EL, XI, 1, p.393.
71 Ibid ; XII, 1, pp.430-431.
72 Ibid, p.431.
73 Ibid, 2, p.431.
74 « Ce n’est pas assez d’avoir traité de la liberté politique dans son rapport avec la constitution ; il faut la faire voir dans le rapport qu’elle a avec le citoyen ».Ibid, 1, p.430.
75 Ibid . 3, p.432. 76 Ibid., 2, p.432. 77 Idem.
78 Idem.
79 « Le gouvernement monarchique ne comporte pas des lois aussi simples que le despotique. », Ibid., VI, 1, p.307.
80 Ibid., 2, p.310. En Turquie « où l’on fait très peu d’attention à la fortune, à la vie, à l’honneur des sujets, on termine promptement, d’une façon ou d’une autre, toutes les disputes » (Ibid).
81 Ibid., XXIX, 16, pp.876-877.
82 Ibid., XII, 7, p.438.
83 Cf. l’article de Gravin (Jean): «Montesquieu et le droit pénal» in La pensée politique et constitutionnelle de Montesquieu, Bicentenaire de l’Esprit des lois, Paris, Recueil Sirey, 1952, pp.209- 254.
84 EL., VI, 9, p.318. 85 Idem.
86 LP., n°80, p252. 87 EL., VI, 12, p.321. 88 Ibid, 9, p.318.
89 Ibid., 16, p .328. 90 Ibid., p327.
91 Ibid., XII, 4, p.433. 92 Idem.
93 Ibid., 11, p.441.
94 Ibid., 5, p.435.
95 Ibid., 6, p.437. 96 Ibid., 4, p.433. 97 Ibid., 13, p.443. 98 Ibid., p.442.
99 Ibid., Préface, p.230. 100 Ibid., II, 2, p.243.


Montesquieu

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Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu est un philosophe et magistrat français du siècle des Lumières né le 18 janvier 1689 à la Brède (Gironde), et mort à Paris le 10 février 1755.
Certains ont voulu le réduire, à l'image d'un doctrinaire univoque du libéralisme, mais en fait il fut l'inspirateur le plus lucide avec John Locke des principes d'organisation politique et sociale sur lesquels nos sociétés modernes s'appuient.
« Dans une nation libre, il est très souvent indifférent que les particuliers raisonnent bien ou mal: il suffit qu'ils raisonnent; de là sort la liberté, qui garantit des effets de ces mêmes raisonnements ».
Il est le père de la théorie de la séparation des pouvoirs afin d'en neutraliser les abus. Montesquieu voit dans le législatif le pouvoir le plus susceptible d'abuser de son autorité. Toutefois, Montesquieu ne désirait rien d'autre que de voir évoluer la monarchie française vers le modèle britannique, alors que les pères fondateurs de la Révolution française (excepté Mounier) fuyaient au contraire ce modèle gangrené par la corruption.
Fils de Jacques de Secondat, baron de Montesquieu (1654-1713) et de Marie-Françoise de Pesnel, baronne de la Brède (1665-1696), Montesquieu naît dans une famille de magistrats, au château de la Brède (près de Bordeaux) dont il porte d'abord le nom et auquel il sera toujours très attaché. Ses parents lui choisissent un mendiant pour parrain afin qu'il se souvienne toute sa vie que les pauvres sont ses frères[1].
Après une scolarité au collège de Juilly et des études de droit, il devient conseiller du parlement de Bordeaux en 1714. En 1715, il épouse à 26 ans Jeanne de Lartigue, une protestante issue d'une riche famille et de noblesse récente qui lui apporte une dot importante. C'est en 1716, à la mort de son oncle, que Montesquieu hérite d'une vraie fortune, de la charge de président à mortier du parlement de Bordeaux et de la baronnie de Montesquieu, dont il prend le nom. Délaissant sa charge dès qu'il le peut, il s'intéresse au monde et au plaisir.
À cette époque l'Angleterre s'est constituée en monarchie constitutionnelle à la suite de la Glorieuse Révolution (1688-1689) et s'est unie à l'Écosse en 1707 pour former la Grande-Bretagne. En 1715, le Roi Soleil Louis XIV s'éteint après un très long règne et lui succèdent des monarques plus faibles. Ces transformations nationales influencent grandement Montesquieu ; il s'y référera souvent.
Il se passionne pour les sciences et mène des expériences scientifiques (anatomie, botanique, physique...). Il écrit, à ce sujet, trois communications scientifiques qui donnent la mesure de la diversité de son talent et de sa curiosité : Les causes de l'écho, Les glandes rénales et La cause de la pesanteur des corps.
Puis il oriente sa curiosité vers la politique et l'analyse de la société à travers la littérature et la philosophie. Dans les Lettres persanes, qu'il publie anonymement (bien que personne ne s'y trompe) en 1721 à Amsterdam, il dépeint admirablement, sur un ton humoristique et satirique, la société française à travers le regard de visiteurs perses. Cette œuvre connaît un succès considérable : le côté exotique, parfois érotique, la veine satirique mais sur un ton spirituel et amusé sur lesquels joue Montesquieu, plaisent.
En 1726, Montesquieu vend sa charge pour payer ses dettes, tout en préservant prudemment les droits de ses héritiers sur celle-ci. Après son élection à l'Académie française (1728), il réalise une série de longs voyages à travers l'Europe, lors desquels il se rend en Autriche, en Hongrie, en Italie (1728), en Allemagne (1729), en Hollande et en Angleterre (1730), où il séjourne plus d'un an. Lors de ces voyages, il observe attentivement la géographie, l'économie, la politique et les mœurs des pays qu'il visite. Avant 1735, il avait été initié à la franc-maçonnerie en Angleterre[2].
De retour au château de la Brède, en 1734, il publie une réflexion historique intitulée Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, monument dense, couronnement de ses années de voyages et il accumule de nombreux documents et témoignages pour préparer l'œuvre de sa vie, De l'esprit des lois. D'abord publié anonymement en 1748 grâce à l'aide de Mme de Tencin, le livre acquiert rapidement une influence majeure alors que Montesquieu est âgé de 59 ans. Ce maître-livre, qui rencontre un énorme succès, établit les principes fondamentaux des sciences économiques et sociales et concentre toute la substance de la pensée libérale. Il est cependant critiqué, attaqué et montré du doigt, ce qui conduit son auteur à publier en 1750 la Défense de l'Esprit des lois. L'Église catholique romaine interdit le livre - de même que de nombreux autres ouvrages de Montesquieu - en 1751 et l'inscrit à l'Index (La partie religion avait été écrite au même titre que les autres). Mais à travers l'Europe, et particulièrement en Grande-Bretagne, De l'esprit des lois est couvert d'éloges.
Dès la publication de ce monument, Montesquieu est entouré d'un véritable culte. Il continue de voyager notamment en Hongrie, en Autriche, en Italie où il demeure un an, au Royaume-Uni où il reste 18 mois. Il poursuit sa vie de notable, mais reste affligé par la perte presque totale de la vue. Il trouve cependant le moyen de participer à l'Encyclopédie, que son statut permettra de faire connaître, et entame la rédaction de l'article Goût : 'il n'aura pas le temps de terminer, c'est Voltaire qui s'en chargera.
C'est le 10 février 1755 qu'il meurt d'une fièvre inflammatoire.


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