Bien sûr, les gens désirent parfois les mauvaises choses. Il est étrange de s'en étonner. Et il paraît encore plus étrange de dire qu'il est injuste que certains types de travail soient sous-payés. [7] Vous affirmez alors qu'il est injuste que les gens désirent les mauvaises choses. Il est regrettable que certains préfèrent la téléréalité et les corn dogs à Shakespeare et aux légumes vapeur, mais injuste ? C'est comme dire que le bleu est lourd ou que le haut est circulaire.
L'apparition du mot « injuste » ici est la signature spectrale indéniable du Modèle Paternel. Comment expliquer autrement la présence de cette idée dans ce contexte étrange ? Si l'orateur fonctionnait encore selon le Modèle Paternel et considérait la richesse comme un héritage d'une source commune à partager, plutôt que comme le fruit de la satisfaction des désirs d'autrui, c'est précisément ce qui se produirait en constatant que certains gagnent bien plus que d'autres.
Lorsque nous parlons de « répartition inégale des revenus », nous devrions également nous demander : d'où proviennent ces revenus ? [8] Qui a créé la richesse qu'ils représentent ? Car, dans la mesure où le revenu varie simplement en fonction de la richesse créée par les individus, sa répartition peut être inégale, mais elle est loin d'être injuste.
Le vol
La seconde raison pour laquelle les fortes disparités de richesse nous alarment est que, pendant la majeure partie de l'histoire humaine, le moyen habituel d'accumuler une fortune consistait à la voler : dans les sociétés pastorales, par le vol de bétail ; dans les sociétés agricoles, par l'appropriation des biens d'autrui en temps de guerre et leur taxation en temps de paix.
Lors des conflits, les vainqueurs recevaient les domaines confisqués aux vaincus. En Angleterre, dans les années 1060, lorsque Guillaume le Conquérant distribua les biens des nobles anglo-saxons vaincus à ses partisans, le conflit était militaire. Dans les années 1530, lorsque Henri VIII distribua les biens des monastères à ses fidèles, il était surtout politique. [9] Mais le principe restait le même. D'ailleurs, ce même principe est encore à l'œuvre aujourd'hui au Zimbabwe.
Dans les sociétés plus organisées, comme la Chine, le souverain et ses fonctionnaires recouraient à l'impôt plutôt qu'à la confiscation. Mais là aussi, on retrouve le même principe : s'enrichir ne consistait pas à créer de la richesse, mais à servir un souverain suffisamment puissant pour se l'approprier.
Cette situation commença à évoluer en Europe avec l'essor de la classe moyenne. Aujourd'hui, nous considérons la classe moyenne comme un groupe de personnes ni riches ni pauvres, mais à l'origine, elle constituait une catégorie distincte. Dans une société féodale, il n'y avait que deux classes : une aristocratie guerrière et les serfs qui travaillaient sur leurs terres. La classe moyenne constituait un troisième groupe, nouveau et urbain, qui subvenait à ses besoins grâce à la production et au commerce.
À partir des Xᵉ et XIᵉ siècles, de petits nobles et d'anciens serfs s'unirent dans des villes qui devinrent progressivement suffisamment puissantes pour s'affranchir des seigneurs féodaux locaux. [10] À l'instar des serfs, la classe moyenne tirait ses revenus principalement de la création de richesses. (Dans les villes portuaires comme Gênes et Pise, elle pratiquait également la piraterie.) Mais contrairement aux serfs, elle avait tout intérêt à en créer en abondance. Toute richesse créée par un serf appartenait à son maître. Il n'y avait guère d'intérêt à amasser plus que ce que l'on pouvait dissimuler. En revanche, l'indépendance des citadins leur permettait de conserver toute la richesse qu'ils créaient.
Dès lors qu'il est devenu possible de s'enrichir en créant de la richesse, la société dans son ensemble a connu une croissance fulgurante. Presque tout ce que nous possédons a été créé par la classe moyenne. De fait, les deux autres classes ont quasiment disparu dans les sociétés industrielles, et leurs noms ont été attribués aux extrémités de la classe moyenne. (Au sens premier du terme, Bill Gates appartient à la classe moyenne.)
Mais ce n'est qu'avec la révolution industrielle que la création de richesse a définitivement supplanté la corruption comme principal moyen de s'enrichir. En Angleterre, du moins, la corruption n'est devenue ringarde (et n'a d'ailleurs commencé à être qualifiée de « corruption ») qu'avec l'apparition d'autres voies, plus rapides, pour s'enrichir.
L'Angleterre du XVIIe siècle ressemblait beaucoup au tiers-monde d'aujourd'hui, en ce sens que les fonctions publiques constituaient une voie reconnue vers la richesse. Les grandes fortunes de cette époque provenaient encore davantage de ce que nous appellerions aujourd'hui la corruption que du commerce. [11] Au XIXe siècle, la situation avait évolué. Les pots-de-vin persistaient, comme partout encore, mais la politique était alors entre les mains d'hommes davantage guidés par la vanité que par l'avidité. La technologie avait rendu possible la création de richesses plus rapide que leur vol. L'homme riche par excellence du XIXe siècle n'était pas un courtisan, mais un industriel.
Avec l'essor de la classe moyenne, la richesse cessa d'être un jeu à somme nulle. Jobs et Wozniak n'eurent plus besoin de nous appauvrir pour s'enrichir. Bien au contraire : ils créèrent des choses qui améliorèrent matériellement nos vies. Ils n'avaient pas le choix, sinon nous ne les aurions pas achetées.
Mais comme, pendant la majeure partie de l'histoire, le principal moyen d'accéder à la richesse était de la voler, nous avons tendance à nous méfier des riches. Les étudiants idéalistes voient leur conception enfantine et inconsciente de la richesse confirmée par d'éminents auteurs du passé. C'est le cas d'une vision erronée qui rencontre une conception dépassée.
« Derrière chaque grande fortune se cache un crime », écrivait Balzac. Sauf qu'il ne l'a pas dit. En réalité, il affirmait qu'une grande fortune sans cause apparente était probablement due à un crime si bien exécuté qu'il avait été oublié. Si l'on parlait de l'Europe de l'an 1000, ou de la plupart des pays du tiers monde aujourd'hui, cette citation erronée serait tout à fait juste. Mais Balzac vivait dans la France du XIXe siècle, où la révolution industrielle était déjà bien avancée. Il savait qu'on pouvait faire fortune sans voler. Après tout, il l'avait fait lui-même, en tant que romancier populaire. [12]
Seuls quelques pays (et ce n'est pas un hasard, les plus riches) ont atteint ce stade. Dans la plupart, la corruption règne encore en maître. Dans la plupart, le moyen le plus rapide de s'enrichir est de voler. Aussi, lorsque l'on constate des inégalités de revenus croissantes dans un pays riche, on a tendance à craindre qu'il ne retombe dans le schéma du Venezuela. Je pense, au contraire, que c'est l'inverse qui se produit. Je pense que nous assistons à l'émergence d'un pays bien plus avancé que le Venezuela.
Le levier de la technologie
La technologie va-t-elle creuser l'écart entre riches et pauvres ?
Elle creusera assurément l'écart entre les personnes productives et improductives. C'est là tout l'enjeu de la technologie. Avec un tracteur, un agriculteur énergique pourrait labourer six fois plus de terre en une journée qu'avec une équipe de chevaux. Mais seulement s'il maîtrisait une nouvelle forme d'agriculture.
J'ai vu de mon vivant le levier de la technologie se déployer de manière tangible. Au lycée, je gagnais ma vie en tondant des pelouses et en servant des glaces chez Baskin-Robbins. C'était le seul travail disponible à l'époque. Aujourd'hui, les lycéens peuvent programmer ou concevoir des sites web. Mais seuls quelques-uns le feront ; les autres continueront à servir des glaces.
Je me souviens très bien qu'en 1985, grâce aux progrès technologiques, j'ai pu m'acheter mon propre ordinateur. Quelques mois plus tard, je gagnais ma vie comme programmeur indépendant. Quelques années auparavant, cela aurait été impossible. Le métier de programmeur indépendant n'existait pas. Mais Apple a créé de la richesse grâce à des ordinateurs puissants et abordables, et les programmeurs se sont immédiatement mis à l'œuvre pour en créer davantage.
Comme le suggère cet exemple, le rythme auquel la technologie accroît notre capacité de productivité est probablement exponentiel, et non linéaire. On peut donc s'attendre à une variation toujours plus grande de la productivité individuelle au fil du temps. Cela creusera-t-il l'écart entre riches et pauvres ? Cela dépend de quel écart on parle.
La technologie devrait accroître les inégalités de revenus, mais elle semble réduire d'autres inégalités. Il y a un siècle, les riches menaient une vie bien différente de celle des gens ordinaires. Ils vivaient dans des maisons pleines de domestiques, portaient des vêtements somptueux et inconfortables, et se déplaçaient en calèches tirées par des attelages de chevaux qui nécessitaient eux-mêmes leurs propres maisons et domestiques. Aujourd'hui, grâce à la technologie, les riches vivent comme tout le monde.
Les voitures en sont un bon exemple. On peut s'offrir des voitures de luxe, fabriquées à la main, qui coûtent des centaines de milliers de dollars. Mais quel intérêt ? Les constructeurs gagnent davantage en produisant un grand nombre de voitures ordinaires qu'un petit nombre de modèles haut de gamme. Un constructeur produisant des voitures en série peut donc se permettre d'investir beaucoup plus dans leur conception. Si vous achetez une voiture sur mesure, il y aura toujours quelque chose qui tombera en panne. Le seul intérêt d'en acheter une aujourd'hui, c'est d'afficher sa richesse.
Prenons l'exemple des montres. Il y a cinquante ans, investir une somme importante dans une montre permettait d'obtenir de meilleures performances. À l'époque des mouvements mécaniques, les montres de luxe étaient plus précises. Ce n'est plus le cas. Depuis l'invention du mouvement à quartz, une simple Timex est plus précise qu'une Patek Philippe coûtant des centaines de milliers de dollars. [13] En effet, comme pour les voitures de luxe, si l'on tient absolument à dépenser une fortune en montre, il faut accepter certains inconvénients : outre une précision moindre, les montres mécaniques doivent être remontées.
La seule chose que la technologie ne peut dévaloriser, c'est la marque. C'est précisément pourquoi on en parle de plus en plus. La marque est le vestige qui subsiste lorsque les différences substantielles entre riches et pauvres s'estompent. Mais l'étiquette apposée sur un objet importe bien moins que le fait de le posséder ou non. En 1900, si vous possédiez une calèche, personne ne s'enquérait de son année ou de sa marque. En posséder une était signe de richesse. Dans le cas contraire, on prenait l'omnibus ou on marchait. Aujourd'hui, même les Américains les plus modestes conduisent des voitures, et c'est uniquement grâce à la publicité omniprésente que nous sommes capables de reconnaître les modèles particulièrement chers. [14]
Ce même schéma se répète dans de nombreux secteurs. Si la demande est suffisante, la technologie permettra de produire un bien à un prix abordable, ce qui autorisera sa vente en grande quantité. Les versions produites en masse seront, sinon meilleures, du moins plus pratiques. [15] Or, rien ne plaît plus aux riches que le confort. Les personnes aisées que je connais conduisent les mêmes voitures, portent les mêmes vêtements, possèdent le même type de meubles et mangent la même chose que mes autres amis. Leurs maisons se trouvent dans des quartiers différents, ou, si elles sont dans le même quartier, elles sont de tailles différentes, mais leur mode de vie est similaire. Les maisons sont construites selon les mêmes techniques et contiennent sensiblement les mêmes objets. Il est peu pratique de faire appel à un professionnel pour quelque chose de cher et de sur mesure.
Les riches passent leur temps comme tout le monde. Bertie Wooster semble bien loin. Aujourd'hui, la plupart des gens assez riches pour ne pas travailler ne travaillent pas pour autant. Ce n'est pas seulement la pression sociale qui les y pousse ; l'oisiveté est source de solitude et de démotivation.
Les distinctions sociales d'il y a un siècle ont également disparu. Les romans et les manuels de savoir-vivre de cette époque ressemblent désormais à la description d'une étrange société tribale. « En ce qui concerne la pérennité des amitiés… », suggère le Manuel de gestion du foyer de Mme Beeton (1880), « il peut s'avérer nécessaire, dans certains cas, pour une maîtresse de maison de rompre, en prenant en charge un foyer, nombre d'amitiés nouées au début de sa vie.» On attendait d'une femme qui épousait un homme riche qu'elle se détache des amies moins fortunées. Agir ainsi aujourd'hui passerait pour un barbare. La vie serait d'ailleurs bien ennuyeuse. Les gens ont encore tendance à se séparer quelque peu, mais bien plus en fonction de leur niveau d'éducation que de leur richesse. [16]
Matériellement et socialement, la technologie semble réduire les inégalités entre riches et pauvres, au lieu de les creuser. Si Lénine avait visité les bureaux d'une entreprise comme Yahoo, Intel ou Cisco, il aurait cru que le communisme avait triomphé. Tout le monde porterait les mêmes vêtements, aurait le même type de bureau (ou plutôt de box) avec le même mobilier, et s'appellerait par son prénom plutôt que par un titre honorifique. Tout semblerait conforme à ses prédictions, jusqu'à ce qu'il jette un œil à leurs comptes bancaires. Oups !
Est-ce problématique si la technologie creuse ces inégalités ? Pour l'instant, cela ne semble pas être le cas. En creusant l'écart de revenus, elle semble réduire la plupart des autres inégalités.
On entend souvent critiquer une politique au motif qu'elle creuserait les inégalités de revenus entre riches et pauvres. Comme si c'était une évidence que ce serait néfaste. Il est possible qu'une plus grande disparité des revenus soit préjudiciable, mais je ne vois pas comment on pourrait l'affirmer comme une vérité absolue.
En réalité, cela pourrait même être faux, dans les démocraties industrielles. Dans une société de serfs et de seigneurs de guerre, il est certain que la disparité des revenus est le signe d'un problème sous-jacent. Mais le servage n'est pas la seule cause de cette disparité. Un pilote de 747 ne gagne pas 40 fois plus qu'une caissière parce qu'il est un seigneur de guerre qui la tient sous son emprise. Ses compétences sont tout simplement bien plus précieuses.
J'aimerais proposer une autre idée : dans une société moderne, une plus grande disparité des revenus est un signe de bonne santé. Le progrès technologique semble accroître la variation de la productivité à un rythme supérieur à la moyenne. Si l'on n'observe pas de variation correspondante des revenus, trois explications sont possibles : (a) l'innovation technique s'est arrêtée, (b) les personnes les plus à même de créer de la richesse ne le font pas, ou (c) elles ne sont pas rémunérées pour cela.
On peut affirmer sans risque que les options (a) et (b) sont défavorables. Si vous n'êtes pas d'accord, essayez de vivre un an avec les seules ressources dont disposait un noble franc moyen en l'an 800, et faites-nous part de vos observations. (Je serai généreux et ne vous renverrai pas à l'âge de pierre.)
La seule possibilité, si l'on veut une société de plus en plus prospère sans augmentation des disparités de revenus, semble être (c) : que les gens créent beaucoup de richesse sans être rémunérés. Que Jobs et Wozniak, par exemple, travaillent volontiers 20 heures par jour pour produire l'ordinateur Apple pour une société qui leur permet, après impôts, de conserver juste assez de leurs revenus pour égaler ce qu'ils auraient gagné en travaillant de 9 h à 17 h dans une grande entreprise. Les gens créeront-ils de la richesse s'ils ne sont pas rémunérés pour cela ? Seulement si c'est amusant. On écrira des systèmes d'exploitation gratuitement. Mais personne ne les installera, n'assurera le support technique ni ne formera les utilisateurs. Et au moins 90 % du travail, même dans les entreprises technologiques les plus performantes, relève de cette seconde catégorie, peu gratifiante.
Toutes les formes de création de richesse peu attrayantes ralentissent considérablement dans une société qui confisque les fortunes privées. On peut le vérifier empiriquement. Imaginez que vous entendiez un bruit étrange, probablement dû à un ventilateur. Vous l'éteignez : le bruit cesse. Vous le rallumez : le bruit recommence. Éteint : silence. Allumé : bruit. En l'absence d'autres informations, il semblerait que le bruit provienne du ventilateur.
À différentes époques et en différents lieux, la possibilité d'accumuler une fortune en créant de la richesse a connu des hauts et des bas. En Italie du Nord, au 800, c'était impossible (les seigneurs de guerre s'en emparaient). En Italie du Nord, au 1100, c'était possible. France centrale en 1100 : création de richesse interrompue (système féodal en vigueur). Angleterre en 1800 : création de richesse activée. Angleterre en 1974 : création de richesse interrompue (taux d’imposition de 98 % sur les revenus du capital). États-Unis en 1974 : création de richesse activée. Nous avons même mené une étude comparative : Allemagne de l’Ouest : création de richesse activée ; Allemagne de l’Est : création de richesse interrompue. Dans tous les cas, la création de richesse semble apparaître et disparaître comme le bruit d’un ventilateur, selon que l’on active ou désactive la perspective de la conserver.
Il y a un certain effet d’inertie. Il faut probablement au moins une génération pour transformer une population en Allemands de l’Est (heureusement pour l’Angleterre). Mais si nous n’étudiions qu’un simple ventilateur, sans toutes les connotations négatives liées à la question controversée de la richesse, personne ne douterait que le ventilateur soit à l’origine du bruit.
Si l’on supprime les disparités de revenus, que ce soit en s’appropriant les fortunes privées, comme le faisaient les seigneurs féodaux, ou en les taxant excessivement, comme l’ont fait certains gouvernements modernes, le résultat semble toujours être le même : la société dans son ensemble finit par s’appauvrir.
Si j'avais le choix entre vivre dans une société où je serais matériellement bien plus aisé qu'aujourd'hui, mais parmi les plus pauvres, ou dans une société où je serais le plus riche, mais bien plus pauvre qu'aujourd'hui, je choisirais la première option. Si j'avais des enfants, il serait sans doute immoral de ne pas en avoir. C'est la pauvreté absolue qu'il faut éviter, pas la pauvreté relative. Si, comme les éléments présentés jusqu'ici le suggèrent, il faut choisir entre l'une ou l'autre dans sa société, il faut opter pour la pauvreté relative.
On a besoin de riches dans sa société, non pas tant parce que leurs dépenses créent des emplois, mais à cause des sacrifices qu'ils consentent pour s'enrichir. Je ne parle pas ici de la théorie du ruissellement. Je ne dis pas que si l'on laisse Henry Ford s'enrichir, il vous embauchera comme serveur à sa prochaine réception. Je dis qu'il vous fabriquera un tracteur pour remplacer votre cheval.
Paul Graham
Remarques
[1] Si ce sujet est si controversé, c'est en partie parce que certains de ceux qui s'expriment le plus ouvertement sur la question de la richesse — étudiants, héritiers, professeurs, politiciens et journalistes — sont ceux qui ont le moins d'expérience en la matière. (Ce phénomène est familier à quiconque a déjà entendu des conversations sur le sport dans un bar.)
Les étudiants dépendent encore largement de l'aide financière de leurs parents et ne se sont jamais interrogés sur la provenance de cet argent. Les héritiers, quant à eux, en dépendront toute leur vie. Les professeurs et les politiciens évoluent dans les méandres d'une économie socialiste, à distance de la création de richesse, et perçoivent un salaire fixe, indépendamment de leurs efforts. Les journalistes, par déontologie, se tiennent à l'écart du service commercial des entreprises pour lesquelles ils travaillent, chargé de collecter les revenus. Nombre d'entre eux ignorent que l'argent qu'ils reçoivent représente une richesse – une richesse créée, sauf pour les journalistes, par d'autres. Ils vivent dans un monde où les revenus sont distribués par une autorité centrale selon une notion abstraite d'équité (ou de manière aléatoire, dans le cas des héritiers), plutôt que d'être versés par autrui en contrepartie d'un effort consenti. Il peut donc leur paraître injuste que le reste de l'économie fonctionne différemment.
(Certains professeurs contribuent effectivement à la richesse de la société. Mais leur rémunération n'est pas un échange de bons procédés. Il s'agit plutôt d'un investissement.)
[2] À la lecture des origines de la Fabian Society, on croirait entendre une invention des enfants idéalistes de l'époque édouardienne, tels que décrits dans « The Wouldbegoods » d'Edith Nesbit.
[3] Selon une étude de la Corporate Library, la rémunération totale médiane des PDG des entreprises du S&P 500 en 2002, incluant salaire, bonus, attributions d'actions et exercice d'options d'achat d'actions, s'élevait à 3,65 millions de dollars. D'après Sports Illustrated, le salaire moyen d'un joueur de NBA lors de la saison 2002-2003 était de 4,54 millions de dollars, et celui d'un joueur de baseball de la Ligue majeure au début de la saison 2003 était de 2,56 millions de dollars. Selon le Bureau des statistiques du travail, le salaire annuel moyen aux États-Unis en 2002 était de 35 560 $.
[4] Au début de l'Empire, le prix d'un esclave adulte ordinaire semble avoir été d'environ 2 000 sesterces (par exemple, Horace, Sat. ii.7.43). Une servante coûtait 600 sesterces (Martial vi.66), tandis que Columelle (iii.3.8) indique qu'un vigneron qualifié valait 8 000 sesterces. Un médecin, P. Decimus Eros Merula, paya 50 000 sesterces pour sa liberté (Dessau, Inscriptiones 7812). Sénèque (Ep. xxvii.7) rapporte qu'un certain Calvisius Sabinus paya 100 000 sesterces par esclave versé dans les classiques grecs. Pline l'Ancien (Histoire naturelle, VII, 39) rapporte que le prix le plus élevé payé pour un esclave à son époque s'élevait à 700 000 sesterces, pour le linguiste (et probablement enseignant) Daphnis, mais que ce montant avait depuis été dépassé par des acteurs rachetant leur liberté.
À Athènes, dans l'Antiquité, les prix variaient de façon similaire. Un simple ouvrier valait environ 125 à 150 drachmes. Xénophon (Mémoires, II, 5) mentionne des prix allant de 50 à 6 000 drachmes (pour le directeur d'une mine d'argent).
Pour en savoir plus sur l'économie de l'esclavage dans l'Antiquité, voir :
Jones, A. H. M., « Slavery in the Ancient World », Economic History Review, 2:9 (1956), 185-199, réimprimé dans Finley, M. I. (éd.), Slavery in Classical Antiquity, Heffer, 1964.
[5] Ératosthène (276-195 av. J.-C.) a utilisé la longueur des ombres dans différentes villes pour estimer la circonférence de la Terre. Son erreur n'était que d'environ 2 %.
[6] Non, et Windows, respectivement.
[7] L'une des plus grandes divergences entre le modèle paternel et la réalité réside dans la valorisation du travail acharné. Dans le modèle paternel, le travail acharné est en soi une vertu. En réalité, la richesse se mesure à ce que l'on apporte, et non à l'effort fourni. Si je peins la maison de quelqu'un, le propriétaire ne devrait pas me payer plus cher pour le faire avec une brosse à dents.
Pour quelqu'un qui adhère encore implicitement au modèle paternel, il semblera injuste qu'une personne travaille dur et soit mal payée. Pour clarifier la situation, imaginons que nous nous séparions de tous les autres et que nous placions notre travailleur sur une île déserte, où il devra chasser et cueillir des fruits. S'il est mauvais dans ce domaine, il travaillera dur sans obtenir grand-chose à manger. Est-ce injuste ? Qui est injuste envers lui ?
[8] La persistance du modèle paternel s'explique peut-être en partie par la double signification du terme « distribution ». Lorsque les économistes parlent de « distribution des revenus », ils font référence à la distribution statistique. Mais à force d'utiliser cette expression, on l'associe inévitablement à l'autre sens du mot (comme dans « distribution de l'aumône »), et l'on perçoit ainsi inconsciemment la richesse comme une ressource provenant d'une source unique. Le terme « régressif », appliqué aux taux d'imposition, a un effet similaire, du moins sur moi : comment quelque chose de régressif pourrait-il être bénéfique ?
[9] « Dès le début du règne, Thomas Lord Roos fut un courtisan assidu du jeune Henri VIII et ne tarda pas à en récolter les fruits. En 1525, il fut fait chevalier de l'Ordre de la Jarretière et reçut le titre de comte de Rutland. Dans les années 1530, son soutien à la rupture avec Rome, son zèle à réprimer le Pèlerinage de Grâce et sa propension à voter la peine de mort lors des procès pour trahison qui marquèrent la succession de procès spectaculaires qui émaillèrent le parcours matrimonial tumultueux d'Henri VIII firent de lui un candidat idéal pour recevoir des biens monastiques. »
Stone, Lawrence, <i>Family and Fortune: Studies in Aristocratic Finance in the Sixteenth and Seventeenth Centuries</i>, Oxford University Press, 1973, p. 166.
[10] Des vestiges archéologiques témoignent de l'existence d'importantes agglomérations plus anciennes, mais il est difficile de déterminer leur fonctionnement.
Hodges, Richard et David Whitehouse, Mohammed, Charlemagne and the Origins of Europe, Cornell University Press, 1983.
[11] William Cecil et son fils Robert furent tour à tour les ministres les plus influents de la Couronne et tous deux profitèrent de leur position pour amasser des fortunes parmi les plus considérables de leur époque. Robert, en particulier, poussa la corruption jusqu'à la trahison. « En tant que secrétaire d'État et principal conseiller du roi Jacques en matière de politique étrangère, [il] bénéficiait d'un traitement de faveur particulier : les Hollandais lui offraient d'importants pots-de-vin pour qu'il ne fasse pas la paix avec l'Espagne, et l'Espagne lui en offrait d'importants pour qu'il la fasse. » (Stone, op. cit., p. 17.)
[12] Bien que Balzac ait amassé une fortune grâce à ses écrits, il était notoirement imprévoyant et fut toute sa vie accablé par les dettes.
[13] Une montre Timex avance ou retarde d'environ 0,5 seconde par jour. La montre mécanique la plus précise, la Patek Philippe Tourbillon 10 Jours, affiche une précision de -1,5 à +2 secondes. Son prix de vente est d'environ 220 000 $.
[14] Si l'on demandait à un habitant moyen de l'époque édouardienne de choisir entre une limousine Lincoln Town Car dix places de 1989 en excellent état (5 000 $) et une berline Mercedes S600 de 2004 (122 000 $), il y a fort à parier qu'il se tromperait.
[15] Pour analyser de manière pertinente les tendances des revenus, il faut parler de revenu réel, c'est-à-dire de revenu mesuré en fonction du pouvoir d'achat. Or, la méthode habituelle de calcul du revenu réel ignore une grande partie de la croissance du patrimoine au fil du temps, car elle repose sur un indice des prix à la consommation, obtenu en juxtaposant une série de chiffres dont la précision est limitée à une zone géographique précise et qui n'intègre pas le prix des nouvelles inventions tant qu'elles ne sont pas suffisamment répandues pour que leur prix se stabilise.
Ainsi, même si l'on pourrait penser qu'il est bien préférable de vivre dans un monde doté d'antibiotiques, de voyages en avion ou d'un réseau électrique, les statistiques de revenus réels, calculées de manière classique, démontrent que nous ne sommes que légèrement plus riches grâce à ces technologies.
Une autre approche consisterait à se demander : si l'on pouvait remonter le temps jusqu'à l'année x, combien faudrait-il dépenser en biens de consommation pour faire fortune ? Par exemple, en 1970, ce serait certainement moins de 500 dollars, car la puissance de calcul que l'on peut acquérir aujourd'hui pour 500 dollars aurait valu au moins 150 millions de dollars en 1970. La fonction tend vers une valeur asymptotique assez rapidement, car sur des périodes supérieures à un siècle environ, on peut trouver tout le nécessaire dans les déchets actuels. En 1800, une simple bouteille en plastique vide avec un bouchon à vis aurait semblé un véritable chef-d'œuvre d'ingénierie.
[16] Certains diront que cela revient au même, car les riches ont un meilleur accès à l'éducation. C'est un argument valable. Il est encore possible, dans une certaine mesure, d'influencer l'admission de ses enfants dans les meilleures universités en les inscrivant dans des écoles privées qui, de fait, contournent le processus d'admission.
Selon un rapport de 2002 du Centre national des statistiques de l'éducation, environ 1,7 % des enfants américains fréquentent des écoles privées non confessionnelles. À Princeton, 36 % des étudiants de la promotion 2007 provenaient de ce type d'établissement. (Curieusement, ce pourcentage est nettement inférieur à Harvard, environ 28 %.) Il s'agit là, de toute évidence, d'une faille importante. Celle-ci semble toutefois se réduire, au lieu de s'aggraver.
Les concepteurs des processus d'admission devraient peut-être s'inspirer de l'exemple de la sécurité informatique et, au lieu de simplement supposer que leur système est inviolable, évaluer son degré de vulnérabilité.