mai 19, 2015

Un Tea party en France, serait-ce possible?

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


 Sommaire:

A) L'heure du tea party a-t-elle sonné en France ? - Suzanne Guggenheim - Atlantico

B) Les racines libertariennes du Tea Party - Par David Kirby - Cato Institute

C) Tea Party de Wikiberal

D) La majorité craint la montée d'un «Tea Party» à la française - Par

 E)  Dette américaine: à quoi jouent les élus du Tea Party? - Par Marie Simon - L'Express

 F) Tea Party, une vague de fond - Elizabeth Dickinson et Joshua Keating - Slate

G)  Le Tea Party : un mouvement protestataire financé par des milliardaires, Les théories du complot comme stratégie de lutte de classes par le haut - Pierre Guerlain p. 145-165

H) Comment un inconnu du Tea Party a fait tomber la star du parti républicain et fait trembler la politique américaine - Marine Caron – Violaine Théry - Trop Libre



A) L'heure du tea party a-t-elle sonné en France ?
 
Le "Tea Party" est un mouvement qui abrite un vaste éventail de tendances politiques : des démocrates à la Kennedy, des supporters de Reagan, la droite évangélique, en passant par toute les nuance de républicains et de libertaires.

Réaliser sur la base de ces idées un large rassemblement en France peut sembler une vraie gageure. Pas forcément par manque de volonté, car un certain nombre des mouvements évoqués dans mon article précédent entretiennent des relations plus ou moins proches, ni même par manque d’une vraie base populaire, car elle est sans doute beaucoup plus large que les pontifes ne voudraient l’admettre. Plus simplement, le libéralisme conscient est encore en France l’apanage d’un nombre limité de personnes formées intellectuellement et engagées politiquement.

Des idées libérales impopulaires en France...

Aussi honorables et salutaires soient les thèses qu’ils défendent, celles-ci, celles-ci restent trop largement inconnues du grand public. Un gigantesque travail d’information et d’éducation, à contre-courant, est à faire. Il n’y a qu’à voir le nombre de Français qui doutent même de la pertinence du capitalisme comme système économique.

Mais comment en serait-il autrement lorsque l’on s’intéresse par exemple à l’enseignement de l’économie au lycée et à l’université ? Combien d’élèves et d’étudiants n’auront même jamais entendu parler de Friedrich Von Hayek ou de Frédéric Bastiat quand ils auront eu plus que leur dose des théories keynésiennes, planificatrices, ou simplement marxistes mais peintes en rose, exclusivement professées au sein du corps professoral et plus largement de la classe politique tous partis confondus ? Jetons simplement un œil aux manuels de sciences économiques pour nous rendre compte du chemin qu’il reste à parcourir dans les esprits français pour tout libéral soucieux de voir diffuser les idées qui sont les siennes. L’importance des groupes de réflexion et de leur rôle éducatif est donc majeure. Il n’y a guère de temps à perdre de ce côté.

... mais qui progressent

Toutefois, certains progrès ont déjà été faits, et les Français ne sont-plus forcément systématiquement hostiles à toute libéralisation de l’économie. Prenons ce sondage réalisé par l’IFOP à la demande de l’IREF qui pose la question suivante : 

« Aujourd’hui, dans le système par répartition, si vous êtes en activité vos cotisations sont entièrement utilisées pour payer les pensions des retraités actuels. Si vous aviez la possibilité de mettre une partie de ces cotisations retraites dans un compte épargne retraite personnel par capitalisation le feriez-vous ? ».

Contre toute attente, 82% des sondés ont répondu oui. Dans le détail, on note que parmi les personnes âgées de 18 à 24 ans, près de neuf répondants sur dix (89%) envisagent cette possibilité, contre 73% des personnes âgées de 50 à 64 ans. Pour ce qui est des professions, 78 % des ouvriers disent oui, presque autant que les professions libérales (81 %). Même les électeurs de gauche ont répondu massivement oui : 63 % de ceux qui ont voté Besancenot en 2007 et 76 % de ceux qui ont voté pour Ségolène Royal.

Il semblerait donc que si certaines théories libérales sont très clairement exposées au grand public, celui-ci est a priori enclin à y adhérer. Aussi rassurant que cela puisse paraître, il reste encore un énorme travail de pédagogie à faire.

Les Français sont-ils prêts ?

La liberté économique et la responsabilité personnelle ne sont malheureusement pas des réflexes pour le citoyen français moyen, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est plutôt l’étatisme dirigiste et la prise en charge qui relèvent pour lui de l’automatisme. Vilipendant les assistés et les fainéants mais considérant avec fierté son « unique modèle social » qui s’effondre chaque jour un peu plus mais que le monde entier est censé lui envier, le Français moyen est toujours prêt à manifester pour défendre ce qu’il appelle ses « avantages acquis» aux côtés des syndicats qui ne représentent que 8% de ces « travailleurs » qu’ils prétendent protéger.

Il ne comprend pas comment la mise en concurrence des entreprises publiques, et à terme leur privatisation, pourraient être avantageuses pour lui en tant que consommateur ; il se plaint régulièrement des hausses de taxes et d’impôts mais ne remet pas en cause la philosophie du « manque à gagner » chère à nos dirigeants. Bref, le citoyen français ne semble pas prêt de faire changer le paysage politique français dans la mesure où cela implique de se remettre lui-même en cause.

Tea party : la France est-elle anti-libérale ?

Réaliser sur la base de ces idées un large rassemblement en France peut sembler une vraie gageure. Pas forcément par manque de volonté, car un certain nombre des mouvements évoqués dans mon article précédent entretiennent des relations plus ou moins proches, ni même par manque d’une vraie base populaire, car elle est sans doute beaucoup plus large que les pontifes ne voudraient l’admettre. Plus simplement, le libéralisme conscient est encore en France l’apanage d’un nombre limité de personnes formées intellectuellement et engagées politiquement.

Tea party : la lutte finale ?

on pourrait conclure qu’un "tea party" à la française relève à l’heure actuelle du vœu pieu, tant les valeurs partagées par ce mouvement semblent à des années-lumière de la mentalité française qui finalement n’éprouve pas tant de raisons de s’opposer à un système politique qui lui assure pour l’instant un minimum de confort.

Soulignons par ailleurs, qu'il est plus que prévisible que les partis politiques traditionnels mettront tout en œuvre, y compris menaces et intimidations, pour qu’un tel mouvement qui risquerait de grignoter leur électorat ne voit jamais le jour. En ce sens, le peu de considération qui est faite des rares libéraux et libéraux-conservateurs authentiques au sein des partis traditionnels est révélateur de la situation.

Souvenons-nous des origines des "tea parties" américaines...

Mais, si l’on regarde en arrière ce qu’était la situation aux Etats-Unis il y a deux ans, on se rend compte que très peu d’Américains étaient vraiment conscients de la situation économique, financière et sociale de l’Amérique. Leur motivation pourtant fut suffisante pour les inciter à s’informer et à s’éduquer.

Et surtout, ce qui change totalement l’équation, c’est que la dynamique qui a créé le mouvement des "tea parties" est en fait partie de la base. A la grande surprise des hommes politiques et des commentateurs, le mouvement est né spontanément et simultanément dans des centaines de villes, à travers tous les Etats, et sans aucune participation d’aucun des habituels acteurs ou ténors de la politique traditionnelle. Deux ans après, avec plus de 3000 groupes répartis sur tout le territoire, cela reste vrai, même si les partis politiques et leurs dirigeants se réclament maintenant du "tea party".

Vers un bouleversement politique ?

Peut-être, l’heure approche-t-elle aussi où un sursaut naturel, issu de la volonté de survie, amènera le peuple français à se regrouper autour de leaders nouveaux aussi bien qu’issus des groupes libéraux cités lors de mon premier article et qui s’organisent déjà, et à s’assembler afin de faire entendre une voix forte réclamant une diminution de l’emprise tentaculaire de l’Etat, une prise en charge personnelle par les individus de leur avenir, et l’effort national nécessaire à assurer la pérennité de l’identité française face à l’Islam envahissant. Une chose est sure, c’est que dans la situation dans laquelle se trouve actuellement tout le monde occidental, les choses peuvent basculer très vite.

Aujourd’hui, certes, les Français ne sont sans doute pas prêts, mais demain, dans un mois … tout peut avoir changé. La vraie force des "tea Parties" c’est la rapidité de réaction, la façon dont le mouvement s’étend rapidement et ensuite la consistance dans l’action. Alors tous les espoirs sont permis. Et si cela se passe, tous les partis politiques peuvent se préparer à la plus fondamentale remise en cause qu’ils n’aient jamais imaginée.

Suzanne Guggenheim

Suzanne Guggenheim est la co-fondactrice du mouvement des "tea-party" au Texas et membre du bureau national des "tea party".
Franco-Américaine de 66 ans, elle vit à Houston, au Texas, depuis le début des années 1980.
Installée aux Etats-Unis depuis le début des années 1980, Suzanne Guggenheim est une militante active au sein des "tea-parties", ces révoltes conservatrices qui mènent la vie dure à Barack Obama. Pour Atlantico, elle s'intéresse à l'éventualité d'un mouvement comparable en France.




B) Les racines libertariennes du Tea Party

Beaucoup de gens de gauche rejettent le Tea Party comme s’il s’agissait de la veille droite religieuse. Mais une récente étude du Cato Institute démontre qu’ils ont tort. Si les membres du Tea Party sont unis sur les questions économiques, ils sont divisés sur les sujets sociétaux qu’ils préfèrent laisser de côté.

Beaucoup d’analystes ont vu dans le choix de Mitt Romney de prendre Paul Ryan comme vice-présent une concession au Tea Party. Et c’est peut-être le cas. Cependant on peut se demander si ces analystes ont conscience de quelle facette du Tea Party il s’agit là.

La semaine dernière, Emily Ekins et moi-même avons publié une nouvelle étude du Cato Institute intitulée « Les racines libertariennes du Tea Party« , en même temps qu’un article d’opinion dans Politico. Voici ce que nous avons montré :

La plupart des gens de gauche classent le Tea Party dans la même catégorie que la vieille droite religieuse, mais les données tendent à prouver qu’ils ont tort. Le Tea Party a de solides racines libertariennes, et est une influence libertarienne sur le Parti républicain.
Rassemblant des données de sondages locaux et nationaux, ainsi que des douzaines d’interviews avec des membres et leaders du Tea Party, nous avons découvert que celui-ci est uni sur le plan économique, mais plus déchiré sur les questions sociales qu’il tente d’éviter. En gros, une moitié du Tea Party est conservatrice, l’autre moitié libertarienne – ou plutôt fiscalement conservatrice, mais modérée sur le plan sociétal.
Le Tea Party renverse l’opinion commune que les candidats républicains doivent rassembler les électeurs socialement conservateurs pour gagner les primaires. De plus en plus, les candidats républicains doivent remporter les votes du Tea Party en insistant sur une position libertarienne en économie.
Hier, une autre étude sur le Tea Party a apporté plus de détails. Le spécialiste en sciences politiques Ron Rapoport de William and Mary College a réalisé un rapport qui résume les conclusions d’un sondage auprès de 12 000 militants de FreedomsWorks (dont je suis vice-président), mené de Décembre 2011 à Janvier 2012.

98% des membres de Freedom Works s’identifient au Tea Party, et 13% des membres du Tea Party sont membres de FreedomWorks – la plus grande proportion pour un groupe relié au Tea Party au plan national. Par conséquent, afin de comprendre le mouvement Tea Party, ses dynamiques, ses positions, son activité et son comportement politique, étudier les militants de FreedomWorks est un bon point de départ. »
Voici quelques conclusions du rapport :
  • Les libertariens sont une partie importante des militants de FeedomWorks, composant près de 30% du groupe. Sur l’immigration et l’avortement, les libertariens (comme on le voit dans la plate-forme du parti sur les trois dernières élections) ont des positions distinctes du Parti Républicain et de beaucoup d’autres membres du Tea Party. Sur l’avortement, les libertariens sont 20% moins susceptibles d’être en faveur d’un amendement constitutionnel bannissant l’avortement, et près de 12% moins enclin à supporter des limites plus strictes sur l’immigration.
  • Le facteur le plus important pour prédire le soutien à un candidat est l’identification libertarienne. Parmi les libertariens (qui composent un tiers des militants de FreedomWorks), Ron Paul était le choix principal, alors que parmi les autres militants il était en retard en termes d’intention de vote.
  • Les partisans de Paul en 2008 parmi les sympathisants de FreedomWorks sont aussi distincts des autres. Seuls 40% d’entre eux ont participé d’une façon ou d’une autre à la campagne McCain-Palin, comparé à 70% des autres sympathisants.
Ces résultats rejoignent les nôtres. Les libertariens composent une part importante de l’histoire du Tea Party, et tiennent des opinions différentes sur un certain nombre de questions et de candidats. Cependant Rapoport sous-estime peut-être le nombre de libertariens à FreedomWorks, et par inférence au Tea Party plus généralement.

En effet, pour identifier les libertariens, le sondage de Rapoport a demandé aux sondés s’ils étaient libertariens de façon stricte (Oui ou Non). Cette méthode montre quelques 13% de libertariens au niveau national. Cependant, comme David Boaz et moi-même avons montré dans des études précédentes sur les électeurs libertariens, beaucoup de personnes qui ont des convictions libertariennes ne sont pas familières de ce mot. En utilisant des questions plus larges à propos des convictions fondamentales, nous estimons que les libertariens composent entre 15 et 24% de l’électorat (selon le nombre et le degré de précision des questions). S’il avait utilisé de telles méthodes, les données de Rapoport montreraient sûrement la même division 50-50 qu’établissent nos sources.

Peut-être la nomination de Paul Ryan enthousiasme plus les libertariens du Tea Party que les conservateurs. Sans aucun doute, la campagne de Romney connue pour se baser fortement sur l’étude de données a testé l’impact de cette nomination sur divers segments de l’électorat. Si le facteur clef de l’élection de 2012 est le taux de participation, les résultats de Rapoports suggèrent que les libertariens du Tea Party et les partisans de Ron Paul seront cependant moins enclins à aller voter et participer à la victoire que les conservateurs du Tea Party.

Ryan pourrait bien être l’expression politique d’un candidat « fonctionnellement libertarien » dans cette campagne présidentielle. Même s’il est sûr qu’il n’est pas libertarien lui-même. Mais en mettant l’accent sur des questions fiscales plus que sociétales, il peut unir les membres du Tea Party, attirer les libertariens, et plus généralement tous les électeurs concernés par l’économie.

Par David Kirby est vice-président de FreedomWorks et chercheur associé du Cato Institute pour les questions politiques. Traduction : Y. pour Contrepoints - source Le Cato Institute est un think tank américain, un centre de recherches en politiques publiques, dédié aux principes de liberté individuelle, de limitation de l’État, de marchés libres et de paix. Ses chercheurs et analystes mènent des études indépendantes et non partisanes sur un large éventail de questions politiques.



C) Tea Party de Wikiberal

Le Tea Party est un mouvement politique contestataire et populaire aux États-Unis, qui s'oppose à l'État fédéral et ses impôts.
Le Tea Party émerge au début de la présidence de Barack Obama, dans le contexte de la crise économique de 2008-2010 elle-même liée à la Crise financière de 2007-2010. Le mouvement critique notamment les dépenses gouvernementales faites sous l'administration Obama, tant celles qui soutiennent le système financier et la relance économique que celles qui fondent une protection sociale commune au niveau fédéral (Patient Protection and Affordable Care Act).
Réclamant une restauration de l'esprit fondateur du pays, le Tea Party emprunte à ce titre l'imagerie de la guerre d'indépendance et son nom fait référence à la Boston Tea Party, un événement historique qui a marqué les débuts de la Révolution américaine contre la monarchie britannique au XVIIIe siècle. Il est taxé par ses détracteurs de populiste ou d'ultra-conservateur.
Ce mouvement est cependant assez hétéroclite : il rassemble aussi bien des libertariens (Ron Paul, représentant du Texas, son fils Rand Paul, élu au Sénat en novembre 2010) que des conservateurs (Sarah Palin, Christine O'Donnell, Michele Bachmann, Marco Rubio, Ron Johnson, Pat Toomey, ...), voire des membres du mouvement évangélique.
Son programme a été esquissé par ContractFromAmerica.com. Les thèmes communs aux tea-baggers sont les suivants :
  • moins de taxes : TEA = « Taxed Enough Already » (« déjà suffisamment taxé »)
  • réduction de la taille de l'État, dans un sens de retour à l'État des Pères fondateurs, et d'un respect rigoureux de la Constitution
  • limitation des dépenses fédérales et retour à l'équilibre budgétaire
  • refus des "bourses du carbone" et du contrôle des émissions de gaz à effet de serre, refus de la réforme du système de santé de 2010

Liens externes




D) La majorité craint la montée d'un «Tea Party» à la française

Au lendemain des commémorations chahutées du 11 novembre, des élus de la majorité expriment la crainte de voir émerger un parti de droite radical comme aux États-Unis. Comparaison des points communs et différences des deux sources de contestation.

Un président hué et sifflé lors des commémorations du 11 novembre, une politique gouvernementale rejetée, des mouvements de protestation qui se multiplient et s'amplifient, des militants d'extrême-droite de plus en plus prompts à descendre dans la rue… La France est-elle en train de voir émerger un mouvement radical similaire au Tea Party américain? C'est ce que redoutent des élus de gauche au lendemain des commémorations très mouvementées de la Grande Guerre. Le premier ministre Jean-Marc Ayrault lui-même a fait part de son inquiétude à ce sujet lors d'une réunion mardi matin avec les députés de la majorité. «Ce mouvement s'est cristallisé avec l'opposition au mariage des couples homosexuels», a indiqué Jean-Marc Ayrault, selon plusieurs participants. Une crainte partagée par le député PS du Cher, Yann Galut, qui a dénoncé sur Twitter «la montée d'un Tea party à la Française». Dans Le Parisien, le vice-président du Conseil régional d'Ile-de-France, le socialiste Julien Dray, a constaté de son côté la création «d'un bloc réactionnaire».  

Aux États-Unis, le Tea Party est un mouvement minoritaire du Parti républicain, qui lutte depuis plusieurs années contre la politique menée par Barack Obama. A priori rien à voir donc avec la grogne actuelle en France, qui ne prend pas pour l'instant la forme d'un mouvement politique organisé. Pourtant, à y regarder de plus près, on peut y trouver quelques similitudes.

Une idéologie différente

«On constate une analogie avec le mouvement breton des Bonnets rouges, qui manifeste contre l'écotaxe. Dans les deux cas, on se fonde sur une histoire politique très ancienne», explique Denis Lacorne, directeur de recherches au Ceri. Le Tea Party trouve ses origines dans la révolte d'habitants de Boston contre une hausse des taxes sur le thé importé imposée par Londres en décembre 1773. En signe de protestation, ils avaient pris d'assaut les bateaux et jeté des cargaisons de thé à la mer. «Aujourd'hui, des membres du Tea Party sont coiffés de la tricorne (chapeau, ndlr) et d'une perruque blanche comme les hommes de l'époque. Les Bonnets rouges convoquent eux aussi l'histoire, avec leurs bonnets, symbole de la lutte antifiscale au XVIIe siècle. C'est un moyen de montrer que leur protestation remonte dans le temps», décrypte le spécialiste de l'histoire politique américaine. 

Autre similitude: leurs membres. «Le Tea Party est composé en majorité de conservateurs qui s'opposent au mariage gay, à l'avortement, etc. Cette deuxième tendance se rapproche de ce qu'on a observé lors des défilés contre la loi Taubira et à nouveau lundi sur les Champs-Élysées», souligne Denis Lacorne. 

Dans les deux cas, c'est le pouvoir en place qui est contesté: sa politique fiscale, sociale ou encore migratoire. Mais l'idéologie est différente. Aux États-Unis, le Tea Party est un mouvement anti-étatiste, qui réclame moins d'État fédéral, peu ou pas d'impôts, l'abolition de l'Obamacare (assurance maladie)… «En France au contraire, on ne remet pas en cause l'État-providence, on veut conserver notre système de santé et d'allocations. On demande même plus de subventions comme dans le cas des agriculteurs bretons», indique le chercheur. Le mouvement de protestation français ne s'est pas non plus concrétisé sur le plan politique, contrairement à ce qu'on observe aux États-Unis. Multitude de mouvements au départ, le Tea Party a réussi à se fédérer et à asseoir sa présence dans le paysage politique américain. En France, les élections municipales de mars vont constituer un premier test. 

Par




 E)  Dette américaine: à quoi jouent les élus du Tea Party?

Les ultra-conservateurs ont pesé lourd dans la bataille sur le relèvement du plafond de la dette, quitte à diviser le camp républicain. Une stratégie à double-tranchant.

Les ultra-conservateurs du Tea Party, entrés au Congrès en novembre dernier, n'auront rien fait pour faciliter le compromis sur le relèvement du plafond de la dette américaine. C'est même l'un d'entre eux, Jim DeMint surnommé "sénateur Tea Party", qui "menait la bataille", souligne le Huffington Post.  

Allergiques au gaspillage de l'argent public, soucieux de défendre les "petites gens" comme le prétend Sarah Palin récemment encore, ils ont réussi à obtenir une baisse des dépenses fédérales. Une victoire qui ne parvient même pas à les satisfaire, d'ailleurs! Ils l'ont imposée aux démocrates et à la Maison-Blanche, bien sûr... mais aussi aux plus modérés du clan républicain, en brandissant la menace d'un vote négatif, poussée par des organismes tels que Club for Growth et Heritage Foundation. Les illustrateurs de presse s'en donnent à coeur joie pour montrer comment le Tea Party mène le Grand Old Party à la baguette

Les républicains modérés embarrassés

Cette division interne a obligé la chambre basse, présidée par le républicain John Boehner, à retarder le vote. Et de nombreux conservateurs modérés n'ont pas caché leur embarras. "Sous l'unité de façade du parti, les républicains sont troublés par le Tea Party toujours aussi mécontent, et déchirés par des tensions qui vont durer encore des mois", estime Politico.  

Cela correspond pourtant à leurs promesses de campagne en 2010: diminuer l'endettement et réduire le poids du gouvernement fédéral. Mais cette prise de position radicale semble déplacée au regard des enjeux pour le pays. Car "il y a un risque réel que la rigidité et le refus du compromis soient vus par les électeurs comme un obstacle à une solution sérieuse aux problèmes du pays, et c'est le risque que courent les républicains aujourd'hui", note Steven Schier, analyste politique au Carleton College du Minnesota. 

Une étude menée par le Pew Research Center pour le Washington Post a montré lundi que les Américains jugent "ridicule", voire "dégoûtante", la bataille budgétaire qui s'est jouée à Washington. Barack Obama et John Boehner ont perdu des points dans les coeurs américains, mais c'est l'étoile des élus républicains du Congrès qui pâli le plus, moins d'un an après leur victoire électorale. 42% des sondés jugent que leur image s'est dégradée. Ils sont 37% à avoir une plus mauvaise image du Tea Party. 

Et ces tensions pourraient se retourner contre les ultra-conservateurs lorsqu'il sera temps de se mettre en ordre de bataille pour 2012. Pour asseoir le contrôle de la Chambre des représentants, grignoter encore quelques places au Sénat pour y devenir majoritaire et, surtout, conquérir la Maison-Blanche. En faisant échouer un plan de sortie de crise plus ambitieux parce qu'il impliquait une hausse des impôts pour les plus fortunés, les élus du Tea Party semblent s'être aliénés un certain nombre d'électeurs modérés. Ces mêmes électeurs modérés qu'il faudrait séduire pour 2012.






 F) Tea Party, une vague de fond

Comment la presse internationale voit le Tea Party.

Grâce à des personnalités hors de proportion comme Sarah Palin et Christine O'Donnell—ainsi qu’aux récentes controverses autour de l’immigration et de l’islam—les élections de mi-mandat américaines ont cette année beaucoup attiré l’attention des médias internationaux sur les Etats-Unis. Mais comme le montre cet aperçu de la presse non américine, chaque pays semble avoir son point de vue bien à lui sur le mouvement des Tea Party qui s’était juré d’évincer tous les élus en place et y projette ses propres fantasmes et inquiétudes. Comme quoi les médias des différents pays sont avant tout le reflet de leurs sociétés et de leurs cultures. 

AU PAKISTAN

L’idée générale: Le Tea Party est une position politique systématiquement dirigée contre l’islam.

Ce qu’il en disent: Si le Tea Party a pu naître au départ sous la forme d’un mouvement économique opposé à l’amplification du rôle du gouvernement fédéral dans l’économie américaine, les médias pakistanais l’assimilent souvent à la réaction brutale anti-islam qui entoure la «mosquée de Ground Zero» et la velléité de brûler des corans en Floride.

Pour le journal pakistanais Dawn, les musulmans américains sont dans «une situation précaire» depuis que le Tea Party et d’autres «fanatiques de droite» se sont ligués pour s’opposer au projet de Cordoba Center à Manhattan, introduisant un «discours venimeux» dans le débat national. Le discours visant les musulmans américains y est qualifié de «réminiscence du traitement infligé à d’autres boucs émissaires de l’histoire américaine».

Pour Dawn, l’ascension du Tea Party a eu lieu de conserve avec «la frénésie de harcèlement des musulmans inspirée par l’affaire Ground-Zero», et est conduite en grande partie par «l’agitateur fanatique» Glenn Beck, qui attaque le président Barack Obama en le traitant de «musulman refoulé». Toujours selon Dawn, «l’instinct prédateur» qui a conduit les Américains à réduire les Africains en esclavage et à éliminer les Indiens «reprend du poil de la bête», et vise cette fois les musulmans. 

EN ALLEMAGNE

L’idée générale: Le Tea Party traduit la peur du déclin américain.

Ce qu’ils en disent: Dans un grand article d’ensemble sur l’histoire et la portée nationale du mouvement du Tea Party, Marc Hujer et Thomas Schulz, du journal Der Spiegel, avancent que «pour la première fois depuis la crise économique mondiale il y a plus de 80 ans, le modèle de succès de l’Amérique est mis en question, ainsi que le principe selon lequel ce pays sans État-providence a toujours mieux réussi que l’Europe». 
 Ils soulignent tout particulièrement les mises en garde de Glenn Beck contre le socialisme à l’européenne et les allusions à Hitler et Staline, expliquant que le Tea Party est un mouvement de «cols bleus qui punaisent des affiches de pin-up dans leur placard». Ils réagissent, développe l’article, contre ce qu’ils perçoivent comme un changement de direction vers un modèle social européen qui leur ferait perdre leur position privilégiée.

Pour les auteurs, «Beck prête sa voix...à une colère dirigée contre les architectes de la nouvelle Amérique».

Hujer et Schulz, qui écrivent peu après le vote de la loi sur la réforme du système de santé, sans doute la réussite la plus impressionnante d’Obama en termes de politique intérieure, observent que «plus Obama est assuré de réussir, plus les protestations se font violentes». 
 EN CHINE

L’idée générale: Le Tea Party va conduire à un conflit entre les États-Unis et la Chine.

Ce qu’ils en disent: Le quotidien contrôlé par le gouvernement China Daily décrit le Tea Party comme une «lame de fond polarisant la société ... largement fondée sur les soupçons autour du passé, des politiques et des motivations d’Obama». Il reproche au mouvement les très violentes critiques adressées aux candidats sortants de ces élections.

Mais au-delà de la réaction brutale anti-Obama, le journal interprète le mouvement comme un signe de «l’incapacité américaine de trouver des solutions politiques» aux problèmes économiques. Le rôle de «principal moteur de la reprise économique mondiale » de la Chine, estime-t-il, «embarrasse et menace les États-Unis». En réaction, des mouvements comme le Tea Party font la promotion d’une vision simpliste de l’économie internationale, selon laquelle il ne peut y avoir qu’un seul pays prospère. Si l’on suit cette vision du monde jusqu’à sa conclusion logique, la guerre pour l’influence ou les ressources entre les deux puissances pourrait s’avérer inévitable. 
 Selon le China Daily, «Le plus grand danger pour la Chine serait que les décideurs américains affrontent des crises économiques et de sécurité nationale qu’ils soient incapables de résoudre».

EN FRANCE

L’idée générale: Le Tea Party est un mouvement prêchant la théorie du complot, fait de réactionnaires et d’anti-élites.

Ce qu’ils en disent: Pour les médias français, le Tea Party représente le summum du stéréotype américain—un mouvement d’électeurs libertaires, anglo-saxons, convaincus de la théorie du complot, enragés par dessus tout de voir que les États-Unis sont en train de perdre leur statut dans le monde. «Le Tea Party c’est le parti du contre» peut-on lire dans Le Monde du 20 octobre dernier. «Le Tea Party c’est aussi...un mouvement libertaire. (...) Dans le Tea Party on veut qu’on nous foute la paix, qu’on nous laisse vivre comme avant, quand tout allait bien, quand l’Amérique vivait sous le status quo anglo-saxon, lorsque le Taliban était à la solde de la CIA, et que ni les Chinois ni Al Qaeda ne s’opposaient à l’hégémonie de l’Oncle Sam. Dans le Tea Party on est typiquement blanc et ok financièrement, du coup on panique un peu lorsque le monde change comme ces temps-ci. Par contre on ne se préoccupe pas trop du climat, car comment concevoir que l’homme puisse avoir en son pouvoir de défaire ce que Dieu a créé». En septembre sur un blog du Monde, les rassemblements conservateurs estivaux, y compris celui de Glenn Beck à Washinton, intitulé Restore Honor, étaient considérés comme «l’occasion d’alimenter les rumeurs et les théories du complot qui ont secoué la maison blanche pendant l’été»--comme la foi musulmane secrète d’Obama, ou le fait qu’il n’aurait soi-disant pas la nationalité américaine. D’où vient ce mouvement? Pour les Français, le Tea Party est fermement ancré dans la tradition américaine de révolte anti-européenne et anti-État-providence. Ce courant depuis longtemps dormant a explosé au moment où toutes les conditions politiques étaient parfaitement réunies—la nécessité de renflouer les banques, de réformer le système de santé, et de s’attaquer au réchauffement climatique. «La tradition de l’anti-élitisme n’est pas nouvelle dans l’histoire américaine » écrit Le Monde. Mais aujourd’hui, «le président est lui-même vu comme l’élitiste en chef». 
 DANS LE MONDE HISPANOPHONE

L’idée générale: Le Tea Party est un mouvement de droite ultra-radical à l’image d’autoritaristes d’un autre âge.

Ce qu’ils en disent: Quand le journal argentin Clarin a envoyé son correspondant pour couvrir la campagne de Christine O'Donnell dans le Delaware, le quotidien a clairement été sidéré par ce qui se passait aux États-Unis. Leur correspondant a écrit espérer comprendre un jour comment une personne «sans instruction, sans emploi, avec un passif de fraude fiscale, qui pratiquait la sorcellerie quand elle était jeune, qui a combattu activement la masturbation, et qui aujourd’hui défend le créationnisme, peut désarçonner le républicain sortant». 

Les Espagnols sont à la fois moins perplexes et plus inquiets. «Nous ignorons si le Tea Party nous inspire une profonde horreur ou une profonde pitié» s’est interrogé El Pais. L’auteur qualifie le Tea Party de mouvement extrémiste et note qu’O'Donnell (par exemple) est «fièrement extrémiste». À partir de là, le journal avertit que «le totalitarisme procède parfois des meilleurs intentions et le fanatisme grandit dans les environnements les plus populaires. Les États-Unis sont en train de vivre un de ces moments (...) où ses valeurs entrent en conflit les unes avec les autres».

Elizabeth Dickinson et Joshua Keating
Traduit par Bérengère Viennot


Rand Paul


G)  Le Tea Party : un mouvement protestataire financé par des milliardaires, Les théories du complot comme stratégie de lutte de classes par le haut 

Il y a plusieurs façons d’aborder la naissance, puis le développement, de ce que l’on appelle communément aux États-Unis le Tea Party ou le Tea Party Movement car il existe une multiplicité de groupes plus ou moins reliés en réseau entre eux. La plus fréquente et médiatique est de dater l’émergence de ce mouvement de la déclaration rageuse d’un journaliste, Rick Santelli, de la Bourse de Chicago (Chicago Mercantile Exchange) en février 2009, soit un mois après la prise de fonction d’Obama, qui reprochait au nouveau Président démocrate de vouloir sauver les propriétaires qui n’avaient pas pu rembourser leurs prêts immobiliers auprès des banques. Il visait donc les victimes de l’irresponsabilité des banques dans le scandale des prêts immobiliers connus sous le nom de subprimes. Il affirmait la nécessité d’une « nouvelle manifestation du thé » qui rappellerait celle de 1773 lorsque des révolutionnaires américains avaient attaqué des bateaux britanniques pour protester contre le statut de citoyens britanniques payant leurs impôts à la couronne mais privés du droit d’être représentés à la Chambre des communes. « No taxation without representation [Pas d’impôt sans représentation] » étant alors le slogan que connaît tout Américain aujourd’hui.

Une continuité historique réactionnaire


Comme il est fréquent aux États-Unis, ce mouvement de protestation cherchait à s’inscrire dans l’histoire du pays et à dénoncer le déclin des valeurs et principes fondateurs. Déjà, cependant, il s’agissait d’un glissement métaphorique car, en 2009, il ne s’agissait plus de lutter contre la puissance coloniale (dont étaient issus les protestataires de 1773) mais de mettre en cause le surcroît d’impôts occasionné par le soutien financier prétendument apporté à des acheteurs négligents. Le mot TEA devient un sigle pour Taxed Enough Already (c’est-à-dire : « On en a marre des impôts »). Depuis la Bourse de Chicago, le commentateur affirmait que la majorité des Américains ne voulaient pas payer pour les prêts immobiliers de leurs voisins. La rhétorique fondamentale n’avait rien de nouveau : les banques, pour le journaliste financier, n’étaient pas la cause d’évictions injustifiées ; le nouveau gouvernement démocrate était accusé de faire payer tout le monde pour sauver des incompétents. Rhétorique aux accents de ­darwinisme social, toujours déployée par la droite pour expliquer les ­problèmes économiques, en rendant les pauvres responsables de la crise ou les classes moyennes victimes de la largesse de l’État. Rhétorique anti-solidarité qui voyait dans la nouvelle administration une incarnation des démocrates redistributeurs et gaspilleurs de l’argent public. Les pancartes, dans certaines manifestations de ce qui est plus une nébuleuse qu’un parti organisé, ne laissent pas de doute sur son orientation générale : par ­exemple « En Amérique nous ne redistribuons pas la richesse, nous la gagnons » ou « AK 47s Today’s Pitchforks », (« Les AK 47 : les fourches aujourd’hui ») : apologie des armes à feu et menace de recours à la violence « populaire ». Ou encore des appels à rejoindre les milices armées 1.
  • 1  Le film de Taki Oldham, The Billionaires’ Tea Party. How corporate America is faking a grassroots (...)

Évidemment, on comprend tout de suite la motivation idéologique d’une telle montée au créneau contre un Président qui, en dépit de quelques tentatives keynésiennes de relance de l’économie, n’a pas fait la preuve de son désir d’aider les pauvres grâce au soutien de l’État. Pendant les années Bush, alors que les États-Unis dépensaient une fortune pour des wars of choice (litt. : guerres de choix, au sens de non nécessaires) qui détruisaient des milliers de vies et semaient ravages et destruction en Irak et en Afgha­nistan, il n’y avait pas eu de telles déclarations anti-impôts. Personne n’avait suivi l’exemple de H.D. Thoreau qui, pour protester contre la guerre contre le Mexique (1846-1848), avait refusé de payer ses impôts qui contribuaient à la financer. L’appel à la révolution faisait plus partie d’une stratégie de relations publiques que de référence historique, comme l’a bien analysé Jill Lepore 2. Aux États-Unis, la Constitution est un texte quasi sacré et les Pères fondateurs sont vénérés par presque tous les groupes politiques, hormis la gauche radicale. Faire référence à la Constitution et aux Pères fondateurs donne donc un surcroît de légitimité, y compris lorsque cette référence est purement sémantique et métaphorique.
  • 2  Jill Lepore, The Whites of Their Eyes. The Tea Party’s revolution and the battle over American his (...)
À la suite de cette diatribe anti-Obama, antiprogressiste, anti-solidarité qui n’avait de nouveau que son objet, les victimes des banques dans l’impossibilité de rembourser leurs prêts, des groupes de tea partiers se seraient spontanément créés pour lutter contre l’interventionnisme supposé de la nouvelle administration démocrate. Cette dernière, cependant, avait envoyé tous les signaux nécessaires pour indiquer qu’elle ne se situait pas dans une logique progressiste, socialiste ou social-démocrate. Au contraire, Obama avait nommé des ténors du néolibéralisme comme Lawrence Summers et Timothy Geithner à des postes à responsabilité (respectivement, directeur du Conseil économique national et ministre des Finances) et sa campagne avait été en grande partie financée par Wall Street. Obama est, comme l’a dit récemment Paul Krugman, « en pratique un conservateur modéré », ce qui le place très à droite dans le paysage politique américain actuel 3. Néanmoins, même lorsqu’un Président démocrate se déplace à droite, comme Bill Clinton entre 1993 et 2001, par exemple, cela ne le protège pas d’attaques venant des secteurs les plus réactionnaires. Obama a capitulé face aux républicains sur les exonérations fiscales pour les riches et sur le plafond de la dette mais il reste la cible d’attaques fantaisistes.
  • 3  New York Times, 29 juillet 2011, (...)
Ces groupes dits spontanés, que l’on appelle grassroots en anglais (littéralement « racines de l’herbe ») pour souligner le fait qu’ils seraient composés à la base de citoyens ordinaires, ont proliféré et se sont organisés autour d’une lutte anti-impôts qui a tout de suite reçu l’appui de dirigeants du parti républicain comme Sarah Palin, l’ancienne co-listière de McCain, le candidat républicain à la présidence, ou encore Michele Bachmann, représentante du Minnesota, qui compare la dette américaine à l’Holocauste, ainsi que le soutien financier de milliardaires comme les frères Koch, qui dirigent le groupe Americans for Prosperity et sont actifs dans tous les mouvements antisyndicaux réactionnaires, dans l’État du Wisconsin, par exemple. Ces derniers sont les fils du dirigeant de la très réactionnaire John Birch Society. Ils dirigent et financent l’American Legis­lative Exchange Council, organisation qui travaille en sous-main dans de nombreux États fédérés pour abolir la liberté syndicale 4. Dans la multiplicité de ces mouvements sont apparus des thèmes conspirationnistes et démagogiques que la presse a vite qualifiés de « populistes », terme sur lequel nous reviendrons plus tard.
  • 4  Lire Beau Hodai, « Publicopoly Exposed. How ALEC, the Koch brothers and their corporate allies pla (...)
Parmi les thèmes conspirationnistes, nous pouvons citer le fait que, pour certains, Obama n’était pas un citoyen américain, qu’il était né d’un père kényan et que, par conséquent, il ne pouvait être candidat à l’élection présidentielle, ce qui impliquait qu’il était un imposteur. On appelle ce groupe les birthers car ils affirmaient qu’Obama n’avait pas publié son acte de naissance pour masquer sa forfaiture. Pour d’autres ou les mêmes, Obama était un socialiste ou un nazi, voire les deux ensemble, car les nazis ne s’appelaient-ils pas « national-socialistes » ? Il fut aussi accusé d’être communiste et dépeint en Lénine ou en musulman puisque son deuxième prénom est Hussein, ou encore d’être fasciste ou bien caricaturé avec la petite moustache symbolisant Hitler. Une vedette de la télévision réactionnaire Fox News, Glenn Beck, l’accusa même de détester la « culture blanche ». Dès l’élection d’Obama, les ventes d’armes à feu avaient fait un bond car on supposait qu’il réglementerait la vente de ces armes – ce qu’il n’a jamais tenté. La conspiration cherche à salir une réputation mais aussi et surtout à décrédibiliser tout discours progressiste en le rattachant à une horreur supposée, socialisme, communisme, fascisme, ou même charia islamiste, parfois en mêlant au moins deux de ces sources de peur.

Il n’est pas très utile de montrer que ces idées conspirationnistes n’ont aucune base de vérité, mais de comprendre comment elles naissent et fonctionnent. Après la publication par Obama de son acte de naissance début 2011, l’une de ces conspirations a quasiment disparu du débat. Les autres, sur son socialisme supposé, vont l’accompagner tout au long de son mandat. Il s’agit ici de rumeurs pour détruire une réputation qui sont mises en circulation dans les milieux plus ou moins défavorisés, ce qui empêche une appréhension des rapports de pouvoir en termes politiques. Aussi minime que soit la volonté réformatrice d’Obama, elle est inacceptable pour les plus réactionnaires. Sur la réforme de la santé et le problème de la couverture médicale universelle (public option), Obama n’a cessé de lâcher du lest au lobby médical et aux assurances pour finalement faire passer un texte qui, certes, améliore quelque peu la situation des millions d’Américains sans assurance. Cependant, on l’a accusé, lors du débat sur ce texte, de vouloir mettre en place des « jurys de la mort » (death panels, Palin) pour favoriser l’avortement. Le Tea Party, téléguidé par ses soutiens financiers, a pris une part importante dans la lutte contre l’assurance-santé pour tous. Les États-Unis sont la seule démocratie occidentale à ne pas bénéficier de ce type d’assurance qui marche mieux et pour moins cher ailleurs, au Canada, par exemple.

Il est possible que les groupes de citoyens ordinaires qui répandent ces rumeurs y croient, tant l’histoire récente américaine donne d’exemples de détournement de la colère des citoyens par des démagogues. Les riches démagogues réactionnaires qui les financent et les orientent, comme le groupe FreedomWorks, ont certainement une vision moins simpliste du paysage politique américain. La lutte contre le Big Government et les déficits est une lutte antisociale, anti-écologique et extrémiste qui vise à abolir ce que certains appellent « la main gauche de l’État », c’est-à-dire tous les programmes sociaux et d’éducation, tout en sauvegardant « la main droite de l’État », qui renvoie au complexe militaro-industriel et à l’univers carcéral. Ainsi, Reagan, le Président réactionnaire qui a commencé à détricoter les programmes sociaux mis en place par Roosevelt ou Johnson, avait réussi à convaincre une frange importante de la classe ouvrière que l’élite qui l’opprimait était composée d’universitaires ou de journalistes dits de centre gauche (liberal). Le groupe des « Reagan Demo­crats » qui votaient contre leurs intérêts économiques et déjà contre l’État dit tentaculaire s’était créé lors de sa présidence 5. Nixon a mis en place sa « stratégie sudiste » afin de casser l’alliance entre syndicalistes et groupes minoritaires, en jouant sur un racisme feutré pour détacher les ouvriers blancs de l’alliance qu’ils formaient avec les Noirs à l’intérieur du parti démocrate.
  • 5  Lire Thomas Frank, What’s the Matter with Kansas? How Conservatives Won the Heart of America, Me (...)
Le Tea Party, contrairement à ce que les médias dominants en ont fait, s’inscrit donc dans une longue tradition réactionnaire appelée par commodité, mais de façon problématique, « populiste », qui cherche à annuler toutes les conquêtes sociales du xxe siècle. Sur le plan des théories du complot, il s’inscrit dans la lignée de l’anticommunisme des années 1950, de l’anticatholicisme du milieu du xixe siècle, et de l’antimaçonnisme du début du xixe siècle. Aujourd’hui ce que l’on appelle de façon également problématique l’islamophobie fonctionne comme une théorie du complot, qui est bien souvent une forme de racisme anti-Arabes voire antimusulmans mais n’est pas nécessairement de nature religieuse. L’ennemi mobilisateur officiel est le socialisme imaginaire d’Obama ou sa foi musulmane également fantaisiste. La contestation s’organise, sur le plan rhétorique, autour de l’impôt et du déficit budgétaire des États-Unis qui serait responsable des difficultés de la classe moyenne. Le Tea Party n’a pas de liens institutionnels directs avec les croyants d’autres conspirations comme celles qui font référence aux OVNI, aux hélicoptères noirs de l’ONU censés venir envahir les États-Unis, mais il existe des trames thématiques communes avec les théories du complot d’extrême droite qui craignent un gouvernement mondial et, par ailleurs, les conspirationnistes religieux se retrouvent dans les rangs du Tea Party. Il existe un va-et-vient constant entre diverses formes de conspirations ou théories du complot et il arrive que les théories se combinent ou se complètent en s’organisant toujours autour d’une remise en cause de l’action gouvernementale ou des élites intellectuelles, mais le Tea Party souligne la virulence des oppositions lorsqu’un démocrate est au pouvoir 6. Les démocrates ne remettent pourtant pas en cause les structures du fonctionnement économique ou politique des États-Unis, ils ne représentent pour l’extrême droite que le fantôme d’un progressisme possible. La caricature nauséabonde d’un Obama socialiste et musulman est le masque simpliste d’une détermination idéologique, téléguidée par les financiers de la mouvance.
  • 6  Lire Michael Barkun, A Culture of Conspiracy, Apocalytptic Visions in Contem­porary America, Univ (...)
Les États-Unis ont un taux d’imposition plus bas que la plupart des démocraties occidentales, et si, effectivement, les déficits commerciaux et budgétaires sont un signe des difficultés économiques du pays, il faut savoir d’où ils viennent. L’état de guerre permanente qui existe aux États-Unis depuis les années 1950 et qui fut dénoncé par le président Eisenhower dans son discours d’adieu en 1961, lorsqu’il évoqua la puissance du « complexe militaro-industriel », est de plus en plus difficile à financer par un pays en déclin économique relatif. Les administrations Johnson, Nixon, Reagan et Bush 1 et 2 ont fait gonfler les budgets militaires, dans des proportions astronomiques dans le cas de George W. Bush. Elles ont donc conduit à un renversement de situation, les États-Unis ­passant d’un statut de créancier du monde à celui de débiteur. L’admi­nistration Clinton, pourtant interventionniste en politique extérieure comme au Kosovo en 1999 (sans autorisation de l’ONU), avait rétabli l’équilibre budgétaire (surplus de 86 milliards de dollars) que les républicains ont ensuite détruit (plus de 3 000 milliards de déficit). Le vice-président Cheney a même affirmé que les déficits ne comptaient pas, comme l’avait prouvé Reagan 7.
  • 7  Chiffres cités par Greg Palast dans un article de Truthout du 21 juillet 2011, « The Deficit Is No (...)

Le Tea Party, l’idéologie conservatrice et les « libertariens »

Le Tea Party, totalement financé par l’extrême droite, s’insurge donc contre les déficits créés par leur parti lorsqu’il était au pouvoir. Certaines mouvances du Tea Party – celles regroupées autour des « libertariens » dont Rand Paul et son fils Ron Paul –, par ailleurs totalement réactionnaires sur le plan social, dénoncent les dépenses militaires américaines comme l’une des causes du déficit, d’autres ne le mentionnent même pas. Les élus proches du Tea Party ne proposent cependant pas d’alléger le déficit en réduisant ces dépenses militaires. Cette opposition aux dépenses militaires et aux guerres de choix lancées par les États-Unis conduit certains progressistes comme Ralph Nader à envisager une coalition « populiste » ponctuelle sur certains plans. Aux États-Unis, le terme « populiste » n’a nécessairement pas le même réseau de connotations négatives qu’en français 8. Le site Antiwar.com est d’inspiration « libertarienne » mais rejoint assez souvent la gauche radicale dans ses condamnations de la politique étrangère américaine 9. Cette apparente identité de vues renvoie cependant à des contextes idéologiques fort différents : la gauche radicale est anti-impérialiste, la droite libertarienne est isolationniste et nationaliste ; elle se concentre sur les coûts financiers supportés par les États-Unis.

Les « libertariens » sont une mouvance que l’on appelle parfois ultraconservatrice, même si ce terme est trompeur aux États-Unis. Ils sont contre pratiquement toute intervention de l’État, notamment en ce qui concerne la sécurité sociale car ils la considèrent comme une forme d’esclavage, obligeant les gens à financer leurs voisins en les privant ainsi de leur liberté et de leur argent gagné de façon juste. Cela renvoie à une philosophie d’hyper-individualisme égoïste où chacun a droit de garder ce qu’il considère comme ses ressources gagnées de façon juste, légale et légitime. Il s’agit d’un retour au darwinisme social même si on ne dit plus comme John Rockefeller en 1905 « Dieu m’a donné mon argent ». Néanmoins, pour le Tea Party, donner de l’argent aux victimes des crises économiques causées par les banques, c’est voler les autres.
  • 8  Lire l’article de Bruce E. Levine, « Populist Alliances or Senseless Wars and Corporate Welfare », (...)
  • 9  Voir l’article de Walter Russell Mead, « The Tea Party and American Foreign Policy », Foreign Affa (...)
Les théories économiques, souvent inspirées de Hayek et Friedman, servent ici d’arguments de lutte des classes. La redistribution des richesses et les assurances-santé offertes à tous deviennent les causes d’un déficit qui pénalise les gens ordinaires. L’impôt redistributeur devient l’instrument du larcin. Ce qui change avec le Tea Party c’est que le darwinisme social, qui ne bénéficie qu’aux plus fortunés, semble être devenu une revendication populaire contre des élites qui ne connaissent pas la réalité de leur pays. Le Tea Party s’en prend aux initiés de la capitale américaine (« Inside the beltway », dit-on en référence au périphérique autour de Washington). Là encore il n’innove en rien car Reagan déployait la même rhétorique. Le monde des affaires ne veut du reste pas de dépérissement de l’État mais au contraire un État qui le subventionne, l’exonère d’impôts et ne réglemente pas. Le Tea Party se fait l’apôtre d’un égoïsme anti-pauvres et anti-exclus de la société de consommation, qui a de longues racines historiques mais qui se présente pour la première fois comme un mouvement de masse 10. Dans la perte des repères politiques traditionnels, l’action du Tea Party n’apparaît pas de prime abord pour ce qu’elle est : une mise en musique de la lutte des classes dont quelques paroles ont changé, mais pas les motivations. Ces idées sont celles de l’écrivaine Ayn Rand, décédée en 1982, qui vantait le « rationalisme de l’égoïsme » et rejetait l’altruisme. Elle rejetait toute forme de collectivisme et défendait les idées de ceux qui deviendraient les « libertariens » avant la lettre en faisant l’apologie du laissez-faire. Dans une fort pertinente analyse des liens entre Ayn Rand et le Tea Party, Amy Benfer, journaliste au magazine de gauche Mother Jones, notait : « Le génie particulier de Rand a toujours été de renverser les hiérarchies traditionnelles et de transformer l’image des riches, de ceux qui ont du talent et des puissants pour en faire des opprimés. 11 »
  • 10  Lire Paul Krugman, « A Tale of Two Moralitie », New York Times, 13 janvier 2011 Cet auteur, libéra (...)
  • 11  Amy Benfer, « And the Rand Played On », Mother Jones, juillet-août 2009.
Elle faisait aussi le lien avec Rick Santelli qui avait lancé le Tea Party. Cette technique a, bien évidemment, des équivalents en France, du poujadisme au Front national en passant par les citations de Jaurès par Sarkozy. Des leaders disent s’exprimer au nom du peuple contre les élites et leur promettent le respect et l’égalité. Souvent cette rhétorique aux accents conspirationnistes a besoin d’un bouc émissaire pour rassembler le ­peuple contre des élites redéfinies dans un sens opposé au sens de classes dominantes selon Marx ou d’« élite du pouvoir » selon C. Wright Mills 12. Il est courant d’utiliser le terme de « populiste » pour décrire ces groupes. Le populisme alors devient l’idéologie démagogique, anti-élitiste qui permet aux élites de rejeter tout discours critique les visant.
  • 12  C. Wright Mills, L’Élite du pouvoir, Maspero, 1969 (réédition à paraître, Agone, mars 2012). La (...)

La mouvance ou nébuleuse des Tea Parties veut recréer le « rêve américain », rêve qui n’a jamais existé dans le réel, et s’apparente à un type de propagande pour faire croire à l’égalité des chances entre tous les citoyens. Il est intéressant de noter que l’expression « rêve américain » est apparue en 1931, durant la Grande Dépression qui montrait l’échec du rêve et la nature idéologique de ce mythe. Néanmoins, un mouvement progressiste du nom d’American Dream Movement vient de se créer précisément pour faire pièce au Tea Party, faux mouvement populaire 13. Le Tea Party est certes une mouvance populiste au sens où elle en appelle au pouvoir du peuple contre les élites, qu’elle fait référence à la révolution américaine et dit se positionner hors du clivage habituel entre démocrates et républicains ou conservateurs et libéraux. Néanmoins, la révolution américaine ne fut pas une révolution sociale, et les rédacteurs de la Constitution lors de la convention de Philadelphie en 1787 faisaient partie de l’élite politique, économique, intellectuelle du pays et il est difficile de puiser chez eux un discours anti-élitiste. Au contraire, Hamilton, qui appelait le peuple « la grande bête » (great beast), et Madison se méfiaient du peuple, de ce qu’ils appelaient la « démocratie pure », et assumaient un élitisme aux antipodes du populisme affiché par le Tea Party14. Jefferson, qui est souvent cité pour son discours sur la dette et les impôts, avait augmenté les taxes pour financer l’expansion territoriale des États-Unis 15.

L’élitisme que le Tea Party dit vouloir combattre au nom des valeurs fondatrices des États-Unis (dont aucune ne saurait être négative ou problématique) n’est pas celui de la domination économique des grands groupes financiers ou industriels qui délocalisent ; ce n’est ni Wall Street (mais parfois « les banques » quand même) ni Wal-Mart, mais des acteurs hollywoodiens, des professeurs d’université progressistes, des libéraux assimilés aux socialistes, la fameuse « nouvelle classe » des gestionnaires des programmes d’aide de l’État fédéral dénoncé, dès les années 1960, par Irving Kristol, l’inspirateur du néoconservatisme. La lutte des classes est ainsi redéfinie : on n’oppose plus les classes dominantes et possédantes à la classe des travailleurs mais le peuple, qui inclut dans ce schéma classes possédantes et classes dominées, aux technocrates qui gèrent les programmes sociaux. Le Tea Party jette le doute sur le réchauffement cli­matique et contribue à empêcher le passage de lois protégeant l’environnement, il soutient la chaîne de télévision Fox News, propriété du milliardaire réactionnaire Rupert Murdoch qui met toute son énergie à soutenir le monde des affaires et à casser tout ce qui est le plus légèrement progressiste. En aucun cas le Tea Party n’est un mouvement apolitique qui dirait non à la gauche comme à la droite : il est clairement du côté du monde des affaires qui le subventionne.

Surtout le Tea Party suit sur la lignée de Reagan qui avait parlé de « welfare queens » (« reines des allocs ») pour dénoncer les profiteurs de la largesse publique américaine, profiteurs qui trichent et vivent comme des rois grâce à leurs généreuses allocations. Ainsi, ce sont les plus ­pauvres des pauvres qui volent l’argent honnêtement gagné par la classe moyenne, pas les banquiers qui s’octroient de gigantesques bonus et émoluments, les chefs d’entreprise qui gagnent 100, 200 ou 4 000 fois le salaire minimum. Le cri de cynisme égoïste de Rick Santelli lancé au nom du peuple, de la révolution américaine et contre les élites symbolisées par Obama n’est qu’un retour aux valeurs capitalistes d’avant Theodore Roosevelt et les premières conquêtes sociales. Ne pas aider ceux qui ont été trompés par les banques et ont pris des crédits qu’ils ne pouvaient rembourser devient ainsi un acte respectable, rationnel et même révolutionnaire et anticolonialiste.
  • 13  Le programme de ce mouvement est keynésien et de gauche. Il réclame la taxation des riches, anathè (...)
  • 14  Lire Sheldon Wolin, Democracy Incorporated: Managed democracy and the specter of inverted totalita (...)
  • 15  Par contre, Thomas Paine, l’auteur de Common Sense (Le Sens commun), qui n’est jamais évoqué par c (...)
Que signifie en fait la lutte contre les déficits publics dans une situation de guerre permanente, sinon la réduction des programmes sociaux, des salaires des fonctionnaires, des subventions aux cliniques du planning familial, aux bibliothèques, à la construction de transports publics ? Sous couvert d’exercice comptable nécessaire pour sauver le pays, le Tea Party souhaite, comme nombre de républicains issus du monde des affaires ou de réactionnaires européens, organiser une contre-révolution sociale dans laquelle toute redistribution keynésienne est impossible. Ce n’est pas le socialisme qui est visé mais le keynésianisme. Il s’agit de mettre en place un système qui est préconisé pour la Grèce par l’Europe et le FMI dans lequel les sacrifices principaux sont demandés au peuple, au nom duquel le Tea Party dit s’exprimer. Le vieux principe de la privatisation des bénéfices et de la socialisation des pertes reste opérant. Clinton avait transformé le système d’aide aux pauvres en passant du « welfare » (aide aux démunis) au « workfare » (obligation de travailler pour toucher des allocations limitées dans le temps). Cependant, les grandes sociétés ne paient pas d’impôts, ou très peu, ce qui a conduit le célèbre milliardaire Warren Buffett à déclarer que son taux d’imposition était plus bas que celui de sa secrétaire. 16. Ce sont ces grandes sociétés qui bénéficient du nanny state (État nounou). Le contribuable paie les dégâts du capitalisme mais le ­mouvement de protestation cherche des boucs émissaires par incapacité de penser de façon systémique et revendique un retour à un capitalisme pré-keynésien encore plus dur.

Jeux idéologiques autour des théories du complot et du populisme

Tout en gardant une rhétorique dite populiste et anti-élites, le Tea Party défend l’inégalité et le droit des possédants à garder leur fortune. Certes, parfois ses candidats ou thuriféraires disent de grosses bêtises (par ­exemple, que la masturbation, c’est l’adultère) ou montrent qu’ils ignorent la Constitution dont ils se disent les plus grands défenseurs. (Sharon Angle, candidate non élue du Tea Party en novembre 2010, avait même déclaré que les Pères fondateurs n’avaient pas parlé du gouvernement dans la Constitution). Parfois il ne s’agit pas de bêtise lorsque les tea partiers affirment que leurs élus ne les représentent pas et sont enfermés dans une bulle élitiste qui n’a plus aucun contact avec les gens du peuple. Ce constat fort juste ne s’inscrit cependant pas dans un cadre progressiste car il est annulé par les préconisations antisociales mises dans la tête des protestataires précisément par les représentants de l’oligarchie qui ne tiennent pas à défendre les intérêts et la dignité des Américains ordinaires.
  • 16  Le 14 août 2011, il a publié dans le New York Times une tribune libre intitulée « Stop Cuddling th (...)
Néanmoins, il faut s’intéresser aux raisons qui ont fait émerger un nouveau mouvement de protestation parmi les classes moyennes principalement blanches, même si ce mouvement est un allié objectif plus ou moins naïf des pouvoirs oligarchiques en place. Une partie des gens qui sont mobilisés ou organisés par le mouvement du Tea Party sont effectivement des laissés-pour-compte du néolibéralisme qui voient leurs salaires rognés au cours des années (le salaire moyen de 90 % des Américains, hors inflation, est aujourd’hui plus bas qu’en 1973). Ils comprennent que, quel que soit le parti au pouvoir, la situation de la classe moyenne ne s’améliore pas et, comme tant d’autres victimes du néolibéralisme en France ou en Europe, ils sont tentés par une rhétorique xénophobe ou anti-pauvres pour appréhender leur propre relégation sociale. Les partis xénophobes ou quasi fascistes parlent des problèmes quotidiens des franges déclassées de la population 17.
  • 17  Il est de plus en plus fréquent d’évoquer le fascisme pour parler des États-Unis chez les auteurs (...)

Dans ce paysage de déclin et de déclassement, la gauche a quasiment disparu et le parti démocrate, comme ses équivalents grec ou du New labour britannique sont, de fait, des néolibéraux. Le discours dit populiste de droite parle des problèmes réels d’une frange de la population et les inscrit dans un cadre xénophobe et anti-intellectuel. Comme il est habituel dans les situations de crise, crises qui sont évidemment l’ordinaire du capitalisme, les divers groupes victimes du fonctionnement du système se déchirent et se rendent responsables de la crise, ce qui permet à l’élite du pouvoir de déplacer la colère 18. Les émeutes anti-italiennes en France dans les années 1930, les attaques contre les quartiers noirs aux États-Unis dans les années 1920, l’hostilité aux Irlandais dans la Grande-Bretagne en crise dans l’entre-deux-guerres participent de la même dynamique. Le monde des affaires joue de la délocalisation et de l’immigration clandestine pour améliorer ses profits mais n’hésite pas à utiliser le langage du multiculturalisme et de la diversité pour désamorcer la critique de ses pratiques. On peut reprendre ici le titre d’Emmanuel Todd « le libre-échange contre la démocratie 19 ». Ainsi le jeu complémentaire entre Wal-Mart et capitalistes d’État chinois qui appauvrit les travailleurs américains et lie les travailleurs chinois à des conditions de travail parfois quasi esclavagistes devient illisible sur le plan politique. Toute remise en cause de ce système aux États-Unis est immédiatement accusée de xénophobie anti-chinoise (ce qui peut effectivement être le cas lorsqu’une situation économique compliquée ne peut être appréhendée de façon systémique).
  • 18  Sur la crise et les crises du capitalisme et les impasses de la gauche, lire Paul Mattick, Busines (...)
  • 19  C’est le titre d’un chapitre de son livre Après la démocratie (Gallimard, 2008), qui est certes (...)

Il est clair que le Tea Party défend certaines théories du complot souvent liées à l’identité du président Obama. D’autre part, son appel au ­peuple contre les élites l’apparente à un mouvement populiste. Les difficultés cependant s’accumulent dès que l’on utilise ces vocables. Tout d’abord, le financement et l’agencement des idées du Tea Party sont totalement élitistes, c’est-à-dire pensées par des milliardaires, les frères Koch, ou des députés ultraconservateurs comme Rand Paul 20. C’est habituel pour ­nombre de groupes réactionnaires, fascistes et démagogiques mais en contradiction flagrante avec le message déployé sur les ondes et lors des multiples rassemblements où, par exemple, Sarah Palin est l’invitée vedette. L’expression américaine « astroturf » (gazon artificiel) est utilisée pour décrire cette mouvance car c’est tout le contraire de « grassroots ». Mark Crispin Miller, professeur de journalisme à l’université de New York, voit là une des caractéristiques fondamentales de cette nébuleuse : faire de la propagande en faisant croire que les idées sont l’émanation du ­ressentiment populaire. (Voir le film d’Oldham.)
  • 20  Lire Rand Paul, The Tea Party Goes to Washington, Center Street, New York, 2011. Il est à noter qu (...)

Le vocable « populiste », certes, renvoie souvent à des mouvements démagogiques d’extrême droite, mais aux États-Unis le terme a désigné un mouvement progressiste de la fin du xixe siècle. Issu des campagnes, il luttait contre le pouvoir des banques et les saisies des terres agricoles et des fermes. Le terme est longtemps resté proche du sens de progressiste, même s’il renvoyait à un mouvement qui réclamait plus de justice sociale dans le cadre de l’économie capitaliste américaine. Les définitions savantes du terme passent toutes par une affirmation sur la quasi-impossibilité de définir un concept aussi vaste et flou. Ainsi le politologue Pierre-André Taguieff, qui est l’auteur d’un article de référence sur le sujet, écrit-il : « Les usages récents du mot “populisme” semblent avoir pris le même pli que ceux du mot “fascisme” dans le langage ordinaire : le suremploi polémique a fait de ce terme une étiquette disqualificatoire et un opérateur d’amalgame permettant de stigmatiser, en les rassemblant abusivement, un certain nombre de phénomènes sociopolitiques ou de leaders jugés détestables ou redoutables par celui qui les dénonce. 21 » Plus loin il ajoute : « Dans le langage médiatique à la française des années 1990, Lula pourrait être identifié comme un leader “populiste” de gauche et classé dans la même catégorie qu’un Bernard Tapie22 »
  • 21  Pierre-André Taguieff, « Le populisme et la science politique : du mirage conceptuel aux vrais pro (...)
  • 22  « Le populisme et la science politique… », art. cit., p. 29.

On voit que cette étiquette n’est pas très porteuse puisqu’elle mélange droite et gauche, progressistes et réactionnaires, hommes du peuple et oligarques, et même si l’auteur propose plusieurs modèles de populisme en fin d’article, on se rend bien compte que cette nouvelle étiquette crée autant de problèmes qu’elle prétend en résoudre. Si le mot populiste renvoie à ceux qui font appel au peuple contre les élites, alors toute la gauche progressiste peut être délégitimée par ce vocable. Le terme ne sert plus à éclairer une discussion politique mais à disqualifier, comme le dit Taguieff de l’usage populaire, mais cela s’applique aussi aux usages dits scientifiques des politologues. Il faudrait, si l’on suivait cette pente, classer parmi les auteurs populistes le sociologue C. Wright Mills qui a étudié « l’élite du pouvoir » et montré les relations et connivences entre groupes dominants et monde de stars artificiellement créées par un système d’hyper-compétition. Si le Tea Party est populiste dans son acception négative courante en français, que dire de Bush ou Clinton ou des présidents français ou premiers ministres britanniques ? Le Tea Party propose des analyses simplistes et tente de masquer son côté réactionnaire par une rhétorique en appelant au peuple, mais n’est-ce pas là l’ordinaire du monde politique ? Sa démagogie n’est pas en doute, mais celle-ci n’est-elle pas typique de tous les mouvements politiques dans une démocratie réduite aux campagnes électorales ? Dans un entretien avec Le Monde magazine, François Chantal de Vergniolles dit, après avoir évoqué les premiers mots de la Constitution américaine, « We, the people »: « C’est de ce populisme-là dont on parle, un populisme commun aux républicains, aux démocrates, à la droite comme à la gauche – même s’il s’est déplacé vers la droite au cours des quatre dernières décennies et qu’exprime aujourd’hui le Tea Party. 23 » Ainsi, pour ce politologue spécialiste des États-Unis, tout le monde est populiste depuis la révolution. Autrement dit, le concept ne veut plus rien dire s’il suffit de faire référence au peuple pour être populiste. Il n’y a plus ni droite ni gauche mais du populisme partout. 

23  Édition du 22 octobre 2010, p. 28.

Il y a un jeu entre élites accusant un mouvement de populisme et l’utilisant en même temps. C’est ce que l’auteur Christopher Hitchens, au temps où il faisait partie de la gauche radicale, avait appelé « la manipulation du populisme par l’élitisme 24 ». Comme le souligne Serge Halimi : « De nos jours, le populisme a d’autant plus mauvaise presse que ceux qui écrivent (ou réécrivent) l’histoire appartiennent aux milieux privilégiés et fréquentent souvent, en tant qu’experts et commentateurs, les gouvernants et les industriels. 25 » Les élites libérales américaines et les républicains du monde des affaires dénoncent publiquement le populisme ou les bêtises du Tea Party mais, tout comme cette mouvance qu’en fait ils co-produisent, ils se refusent à analyser les structures de pouvoir et de domination sur un plan systémique. Mystification qui n’est pas bien neuve. Le Tea Party joue un rôle de complément utile, voire d’idiot utile, pour tous les groupes dominants qui tentent de masquer leur domination. Les frères Koch financent ainsi le gouverneur Walker du Wisconsin pour que celui-ci baisse les retraites des fonctionnaires et abolisse le droit de négociation collective des syndicats. Les idées de la classe dominante restent les idées dominantes comme l’avait vu Marx, mais grâce à la captation gramscienne de la colère légitime d’une partie de la population, ce sont les victimes elles-mêmes qui se font les vecteurs des idées dominantes.

Le populisme du Tea Party est un mélange de colère et de recherche de bouc émissaire, comme c’est souvent le cas pour les mouvements démagogiques d’extrême droite. La colère prend des accents racistes ou xénophobes de la part de gens effectivement déclassés, d’une classe moyenne surtout blanche, précarisée et qui cherche des respon­sables à la crise là où ils ne sont pas. Le malaise économique est bien réel et, en dépit du cri d’égoïsme revendiqué par Santelli, certains partisans du Tea Party sont eux-mêmes des victimes du scandale des subprimes, des gens qui ont perdu leur maison ou leur emploi délocalisé vers un pays à bas salaires. Le fonctionnement de la démocratie américaine, où l’argent joue un rôle déterminant dans le choix des candidats, aboutit à un choix entre deux partis aux différences idéologiques minimes. Ces deux partis ont coopéré dans le sauvetage des banques en 2008 sans songer à sauver leurs victimes, ce qui laisse peu de place à des espoirs de changement. Le Tea Party s’engouffre donc dans un vide et s’empare d’un véritable malaise pour le recadrer selon des paramètres réactionnaires.
  • 24  Paul Street et Anthony Di Maggio, Crashing the Tea Party, op. cit., p. 10. Le mot « populiste » é (...)
  • 25  « La parenthèse populiste. Comment la gauche abandonne le peuple », Agone, 2004, n° 31-32.
Les théories du complot sont, bien sûr, intellectuellement ridicules, mais elles sont également un signe de désespérance fondé sur un manque d’information fiable. La théorie du complot vient prendre la place d’une réflexion institutionnelle. Dans un article de 2004, Michel Albert explique la différence entre « théorie du complot » et « réflexion institutionnelle » 26. Dans un cas, on fait référence à des conspirations secrètes menées par des groupes ou des individus, dans l’autre, on étudie le jeu des institutions et des structures sans passer par des conjectures sur le secret. Il souligne aussi que, pour la gauche, la théorie du complot qui attaque les mêmes cibles que la gauche radicale est catastrophique car la méthode, qui manque d’intégrité intellectuelle, décrédibilise tous les résultats. On peut même aller jusqu’à dire que la théorie du complot est radicalement opposée au progressisme puisqu’elle place de l’occulte et du mystère là où il faut analyser des faits et des structures.

Ceci n’empêche pas l’étude du terrain dans lequel se développe telle ou telle théorie du complot. Si l’assassinat de John Kennedy ou les attentats du 11 septembre 2001 ont donné naissance à tant de théories du complot qui reposent sur des prétendues intuitions ou des suppositions, c’est aussi parce que l’information officielle est parcellaire, contradictoire et donc suscite la quête de sens. Il est plus facile de se dire qu’on a une explication que d’accepter son incompréhension ou son manque de connaissances. Dans un contexte de déclin économique et de relégation sociale forte, la quête du bouc émissaire et, par conséquent, les théories du complot fleurissent. Elles peuvent par ailleurs être mises en circulation par des intérêts puissants, comme c’est le cas pour le Tea Party, faux mouvement populaire mais vraie émanation des financements d’ultra-droite.
  • 26  Michael Albert, « Conspiracy Theory », Z Magazine, 22 octobre 2004. (Les vues de Michael Albert su (...)
De même qu’il faut interpréter un délire paranoïaque et ne pas se contenter de rejeter le délirant, il faut voir au-delà du délire du Tea Party, ce que ne font pas les spécialistes de la science politique. Le délire ultra-réactionnaire du Tea Party est en partie une co-production de la droite financière américaine et des néolibéraux. Dans le vide laissé par l’absence d’une gauche progressiste forte implantée dans les classes dominées, le mécontentement légitime des Américains qui voient leur situation économique se dégrader se dirige vers ceux qui affirment avoir des solutions à leurs problèmes. Les exclus du système capitaliste sont victimes d’un « racisme social 27 », comme le disait Bourdieu, et les délires du Tea Party, qui sont dénoncés sans en chercher les racines, sont aussi une forme de racisme social. L’administration Obama, très proche des milieux d’affaires, a reconduit l’allégement des impôts pour les plus fortunés mis en place par l’administration Bush. Cette administration libérale veut baisser les salaires des professeurs et a commencé à négocier un démantèlement partiel de l’aide médicale aux personnes âgées ou pauvres pour parvenir à un accord sur le plafond de la dette avec les ultras chez les républicains 28. Il y a donc une impasse et un blocage dans l’expression du mécontentement car Obama a accepté l’ordre du jour de la droite. Le système oligarchique génère la multiplication de ressentiments de classes, xénophobes et/ou racistes.
  • 27  Parlant du racisme de l’intelligence, c’est-à-dire de l’arrogance, Bourdieu écrivait : « Ce racism (...)
  • 28  Ce débat qui s’est terminé début août 2011 a consacré la victoire des ultra-réactionnaires, qui on (...)
Les élites du pouvoir ont créé les conditions de paupérisation de la majorité des Américains par la conjugaison de guerres aussi peu éthiques qu’elles sont coûteuses, et des pratiques économiques dites de libre-échange qui favorisent les délocalisations et le chômage. L’état des routes et des transports en commun aux États-Unis est peu digne d’une superpuissance, les services publics sont délabrés, le système carcéral hypertrophié (plus de 2,3 millions de prisonniers plus deux autres millions sous contrôle judiciaire) permet de criminaliser la pauvreté et de maintenir l’existence d’un groupe paria puisque les Noirs sont surreprésentés dans les prisons 29. Ces élites créent donc le « populisme » dont les politologues affirment ne pas pouvoir vraiment le définir mais aussi le craindre.  

29  Loïc Wacquant, Les Prisons de la misère, Raisons d’agir, 1999.

Richard Hofstadter avait, dans les années 1960, écrit un livre sur le style paranoïaque dans la politique américaine qui est toujours considéré comme une référence dans l’étude des théories du complot 30. Il précisait qu’il n’utilisait pas le mot « paranoïaque » dans un sens psychiatrique mais métaphorique. Néanmoins, comme dans le cas de la paranoïa personnelle, il y a des causes et un terrain propices aux « opinions délirantes » 31. Les délires du Tea Party, comme les autres délires, ont leur noyau de vérité dans le réel : l’indéniable chute du niveau de vie de la plupart des Américains qui affecte la classe moyenne. Comme dans les autres délires, les raisons premières et les causes véritables sont noyées dans un tourbillon d’affirmations erronées, agressives et fallacieuses. Les discours xénophobes, ignares ou les théories du complot peuvent prêter à sourire ou à rire, mais se moquer d’un paranoïaque n’est pas très constructif. Sur le plan politique, c’est méconnaître les structures qui génèrent la paranoïa et le simplisme.
  • 30  Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Politics and Other Essays, Jonathan Cape, Londr (...)
  • 31  Denis Lacorne, « Tea Party, une vague de fond », Le Monde, 19 octobre 2010.
Les gens ordinaires qui sont effectivement très mobilisés par le Tea Party affirment vouloir lutter contre le Big Government mais sont plus focalisés sur l’assurance-maladie que sur le coût des guerres (mentionné par les « libertariens » dans une perspective nationaliste et isolationniste), et ils sont en général en faveur du système carcéral, contre la fermeture de Guantanamo et n’évoquent jamais le fait que les grandes sociétés échappent à l’impôt. Ce que les multiples groupes réactionnaires bien organisés qui alimentent la colère des tea partiers ont bien su faire, c’est s’inspirer des idées de Gramsci sur l’hégémonie culturelle 32. Ils ont su capter le mécontentement causé par le néolibéralisme et le rediriger vers une défense de la liberté, un thème américain par excellence, qui est ­surtout la liberté d’entreprendre jumelée à la liberté de coucher sous les ponts 33. C’est précisément parce que cette alliance-amalgame entre ressentiment populaire et démagogie réactionnaire financée par le monde des affaires n’est pas nouvelle que l’évocation d’une possibilité de dérive fasciste n’est pas totalement fantaisiste. La démocratie est confisquée par les puissances d’argent et les décisions des élus vont très souvent à l’encontre des souhaits de citoyens. Le complexe militaro-industriel, c’est-à-dire l’oligarchie qui dirige le pays, utilise ces militants comme de bons petits soldats naïfs. Ceux-ci croient, ou disent croire, à une seconde révolution américaine et à un fantasme de rêve américain d’égalité des chances mais ils travaillent surtout à un nouveau triomphe du darwinisme social, précisément celui induit par le néolibéralisme qui crée les conditions de leur déclassement et de leur colère.
  • 32  Lire Susan George, La Pensée enchaînée. Comment les droites laïque et religieuse se sont emparées (...)
  • 33  On connaît la fameuse boutade d’Anatole France : « La majestueuse égalité des lois interdit aux ri (...)

Pierre Guerlain est professeur de civilisation américaine à l’université Paris Ouest, Nanterre.@u-paris10.fr> « Le Tea Party : un mouvement protestataire financé par des milliardaires », revue Agone, 47 | 2012, [En ligne], mis en ligne le 24 janvier 2014. URL : http://revueagone.revues.org/1061. Consulté le 19 mai 2015. DOI : 10.4000/revueagone.1061

Notes

1  Le film de Taki Oldham, The Billionaires’ Tea Party. How corporate America is faking a grassroots revolution, NTSC, démonte tous les mécanismes de financement et montre les pancartes utilisées lors de nombreux meetings du Tea Party. Cet article est redevable aux nombreux articles de Paul Street sur le site ZNet ainsi qu’au livre qu’il a publié avec Anthony DiMaggio, Crashing the Tea Party. Mass media and the campaign to remake american politics, Paradigm Publishers, Boulder, 2011. Lire aussi l’article de Frank Rich, « The Billionaires Bankrolling the Tea Party » publié par le New York Times le 28 août 2010.
2  Jill Lepore, The Whites of Their Eyes. The Tea Party’s revolution and the battle over American history, Princeton University Press, 2010.
3  New York Times, 29 juillet 2011, .
4  Lire Beau Hodai, « Publicopoly Exposed. How ALEC, the Koch brothers and their corporate allies plan to privatize government », In These Times, 11 juillet 2011, , ainsi que Jane Meyer, « Covert Operations. The billionaire brothers who are waging a war against Obama », The New Yorker, 30 août 2010, .
5  Lire Thomas Frank, What’s the Matter with Kansas? How Conservatives Won the Heart of America, Metropolitan Books, New York, 2004. (Une traduction française de ce livre a été publiée aux éditions Agone en 2008, sous le titre Pourquoi les ­pauvres votent à droite.)
6  Lire Michael Barkun, A Culture of Conspiracy, Apocalytptic Visions in Contem­porary America, University of California Press, Berkeley, 2003.
7  Chiffres cités par Greg Palast dans un article de Truthout du 21 juillet 2011, « The Deficit Is Not Default of Obama », .
8  Lire l’article de Bruce E. Levine, « Populist Alliances or Senseless Wars and Corporate Welfare », Truthout, 7 juillet 2011, .
9  Voir l’article de Walter Russell Mead, « The Tea Party and American Foreign Policy », Foreign Affairs, mars/avril 2011, vol. 90, n° 2, p. 28-44. Il fait remonter la tradition « populiste » de cette mouvance complexe et contradictoire au ­président Jackson dans les années 1830.
10  Lire Paul Krugman, « A Tale of Two Moralitie », New York Times, 13 janvier 2011 Cet auteur, libéral de gauche, critique Obama pour sa timidité face aux républicains et sa propension à leur céder sur les principes (lire « The President Is Missing », New York Times, 10 avril 2011).
11  Amy Benfer, « And the Rand Played On », Mother Jones, juillet-août 2009.
12  C. Wright Mills, L’Élite du pouvoir, Maspero, 1969 (réédition à paraître, Agone, mars 2012). La version américaine (The Power Elite), qui reste d’actualité, date de 1956.
13  Le programme de ce mouvement est keynésien et de gauche. Il réclame la taxation des riches, anathème chez les tea partiers. Lire ce programme à l’adresse suivante : .
14  Lire Sheldon Wolin, Democracy Incorporated: Managed democracy and the specter of inverted totalitarianism, Princeton University Press, 2008.
15  Par contre, Thomas Paine, l’auteur de Common Sense (Le Sens commun), qui n’est jamais évoqué par cette mouvance, est une source d’inspiration plus féconde pour les progressistes d’aujourd’hui.
16  Le 14 août 2011, il a publié dans le New York Times une tribune libre intitulée « Stop Cuddling the Super-Rich [Arrêtez de chouchouter les super-riches] », dans laquelle il affirme la nécessité de taxer les privilégiés plus lourdement. Discours qui ­semble plus à gauche que celui du Président mais qui représente certainement les vues les plus rationnelles des capitalistes qui savent, contrairement aux dinosaures du Tea Party, que le monde des affaires a aussi besoin d’une société sans dysfonctionnements exorbitants. Il a bien sûr été accusé d’être socialiste par Fox News et les ultras chez les républicains.
17  Il est de plus en plus fréquent d’évoquer le fascisme pour parler des États-Unis chez les auteurs de gauche, qui toutefois soulignent les différences avec le fascisme historique italien. Lire Larry Portis, Histoire du fascisme aux États-Unis, Éditions CNT-RP, 2008, ou encore un article de Gary Alan Scott sur le site militant CommonDreams, « The Rise of Fascism in America », 12 avril 2006,  ; Chris Hedges, « Is America ‘Yearning for Fascism’? », 29 mars 2010,  ; Matthew Rothschild, « Chomsky Warns of Risk of Fascism in America », The Progressive, 12 avril 2010.
18  Sur la crise et les crises du capitalisme et les impasses de la gauche, lire Paul Mattick, Business as Usual. The economic crisis and the failure of capitalism, Reaktion Books, Londres, 2011.
19  C’est le titre d’un chapitre de son livre Après la démocratie (Gallimard, 2008), qui est certes surtout centré sur la France mais son constat sur le « libre-échange » vaut pour les États-Unis aussi.
20  Lire Rand Paul, The Tea Party Goes to Washington, Center Street, New York, 2011. Il est à noter que le chapitre sur la folie des dépenses militaires est tout à fait intéressant et pertinent, même si les ressources économisées par une réduction de ces dépenses ne seraient pas affectées aux programmes sociaux. Comme source primaire sur le Tea Party, on peut consulter l’ouvrage simpliste de ses deux partisans Scott Rasmussen et Douglas Schoen, Mad as Hell. How the Tea Party Movement is fundamentally remaking our two-party system, Harper Collins, New York, 2010.
21  Pierre-André Taguieff, « Le populisme et la science politique : du mirage conceptuel aux vrais problèmes », Vingtième siècle. Revue d’histoire, octobre-décembre 1997, n° 56, p. 4‑5. On peut aussi consulter l’article de Margaret Canovan « Trust the People! Populism and the two faces of democracy », Political Studies, 1999, XLVII, p. 2‑16. L’auteur dit aussi que la définition du populisme est vague.
22  « Le populisme et la science politique… », art. cit., p. 29.
23  Édition du 22 octobre 2010, p. 28.
24  Paul Street et Anthony Di Maggio, Crashing the Tea Party, op. cit., p. 10. Le mot « populiste » étant pris dans son sens américain de progressiste ou populaire.
25  « La parenthèse populiste. Comment la gauche abandonne le peuple », Agone, 2004, n° 31-32.
26  Michael Albert, « Conspiracy Theory », Z Magazine, 22 octobre 2004. (Les vues de Michael Albert sur le sujet sont exposées dans l’article « Conspirations ou institutions ? Le 11-Septembre et au-delà », reproduit supra, p. 29-58.)
27  Parlant du racisme de l’intelligence, c’est-à-dire de l’arrogance, Bourdieu écrivait : « Ce racisme est propre à une classe dominante dont la reproduction dépend, pour une part, de la transmission du capital culturel, capital hérité qui a pour propriété d’être un capital incorporé, donc apparemment naturel, inné. Le racisme de l’intelligence est ce par quoi les dominants visent à produire une “théodicée de leur propre privilège”, comme dit Weber, c’est-à-dire une justification de l’ordre social qu’ils dominent. Il est ce qui fait que les dominants se sentent justifiés d’exister comme dominants ; qu’ils se sentent d’une essence supérieure. » (Questions de sociologie, Minuit, 1984, p. 264.)
28  Ce débat qui s’est terminé début août 2011 a consacré la victoire des ultra-réactionnaires, qui ont obtenu « 98 % de ce qu’ils voulaient » face à un président Obama peu combatif qui aurait pu choisir d’agir en invoquant le 14e Amendement mais a, au contraire, accepté que les riches ne paient pas d’impôts supplémentaires alors que tous les autres voient leurs droits et prestations rognés. Il s’agit bien cependant de la victoire des républicains dans leur ensemble et pas seulement de la frange du Tea Party, fort minoritaire au Congrès.
29  Loïc Wacquant, Les Prisons de la misère, Raisons d’agir, 1999.
30  Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Politics and Other Essays, Jonathan Cape, Londres, 1966. On peut aussi lire Chip Berlet, « Toxic to Demo­cracy: Conspiracy theories, demonization & scapegoating », Political Research Associates, 2009, . L’auteur
fait, à juste titre, du Protocole des sages de Sion, un faux antisémite créé par les partisans du tsar au début du xxe siècle, l’exemple même de la théorie du complot – même si Mein Kampf ferait un autre bel exemple. Cependant, lorsqu’il considère que Walt et Mearsheimer, auteurs de l’article « The Israel Lobby and US Foreign Policy », (Chip Berlet cite la version de la London Review of Books), ont copié la structure de ce Protocole, il confond une position politique non conspirationniste (qui est critiquable car sa définition du lobby est trop extensive, voir Chomsky plus bas) et un tissu de mensonges qui visent tout un groupe. Lire la réponse de Noam Chomsky, « The Israel Lobby? », 28 mars 2006, .
31  Denis Lacorne, « Tea Party, une vague de fond », Le Monde, 19 octobre 2010.
32  Lire Susan George, La Pensée enchaînée. Comment les droites laïque et religieuse se sont emparées de l’Amérique, Fayard, 2007.
33  On connaît la fameuse boutade d’Anatole France : « La majestueuse égalité des lois interdit aux riches comme aux pauvres de coucher sous les ponts, de mendier dans la rue et de voler du pain. »



H) Comment un inconnu du Tea Party a fait tomber la star du parti républicain et fait trembler la politique américaine

Comment un inconnu du Tea Party a fait tomber la star du parti républicain et fait trembler la politique américaine
Le républicain Eric Cantor, numéro deux de la Chambre des représentants des Etats-Unis, a perdu de façon totalement inattendue la primaire de Virgine en vue des élections de mi-mandat. Cette défaite face à un activiste inconnu du Tea Party a provoqué un séisme au sein du Parti Républicain (Grand Old Party [1]).

Une défaite historique pour les Républicains
Considéré depuis 2001 comme une étoile montante du GOP, Eric Cantor est aujourd’hui l’un des républicains les plus influents de la Chambre des représentants. Elu de Virginie et président de la majorité, sa notoriété le désignait successeur du Speaker[2] John Boehner lors des prochaines élections du Congrès. Faisant figure de favori lors des primaires républicaines du 10 juin dernier, le match semblait presque joué d’avance… Suite à une campagne spectaculaire de publicité d’un million de dollars, les sondages lui promettaient un avantage de 34 points sur son concurrent !

Contre toute attente, un écart de 7000 voix a été enregistré en la défaveur d’Eric Cantor. A 55% contre 45%[3], le candidat David Brat soutenu par le Tea Party a créé la surprise. Aucun expert politique n’avait prévu ce revirement : le leader républicain s’est fait battre par un professeur d’économie locale inconnu du grand public. Seul Robert Costa, journaliste au Washington Post[4], avait alerté l’opinion sur la popularité surprenante de l’outsider. Bien qu’Eric Cantor soit l’un des collecteurs de fonds les plus importants, son budget largement supérieur à celui de David Brat (5,4 millions contre 207 000 dollars) ne lui a pas assuré la victoire. Il est le premier dirigeant de la majorité à perdre une primaire en 115 ans.

Un retournement de situation inopiné
L’échec d’Eric Cantor a défrayé la chronique américaine. C’est notamment son assimilation à une « créature de Washington » guidée par l’opportunisme politique qui lui a été reproché par David Brat, mais aussi par son propre camp. Avide de pouvoir, Eric Cantor se revendiquait tour à tour de l’establishment ou des « young guns »[5], ce qui a conduit ses pairs à le comparer à un personnage de « House of Cards »[6] dont la loyauté sert uniquement l’ambition et l’avancement. Cette inconstance a dégradé son image auprès de l’électorat républicain.

David Brat a profité de ce discrédit relatif pour détourner les faiblesses de son concurrent à son avantage. Il a notamment reproché à Eric Cantor d’être trop modéré sur les questions fiscales et de santé (Obamacare). A la Chambre, Eric Cantor s’est en effet distingué par sa capacité à faire des compromis, notamment sur le vote du budget 2014. Il a ainsi contribué à mettre fin au « shutdown »[7] avec les autres dirigeants du GOP[8]. Cette prise de position qui se voulait constructive pour le pays, et avait été saluée comme telle, lui a valu les critiques des plus radicaux des républicains.

L’immigration cristallise le débat
« A vote for Eric Cantor is a vote for open borders »[9] a été l’argument de choc de David Brat tout au long de la campagne, qui a reproché à son adversaire ses positions modérées sur le sujet de l’immigration. Eric Cantor avait promis d’accorder la citoyenneté américaine aux enfants entrés illégalement sur le territoire[10], ce qui lui a valu d’être caricaturé comme promoteur d’une amnistie généralisée. David Brat a d’ailleurs envoyé des milliers de mails en accusant son rival de vouloir donner « illegal aliens amnesty » [11]. Au sein de son groupe parlementaire, Eric Cantor est pourtant l’un des plus rigides en matière de politique migratoire[12].

C’est probablement son double discours qui a pénalisé le candidat républicain. Il a en effet voulu répondre à la fois au besoin de main d’œuvre des entrepreneurs et au manque de sécurité des Américains… mais il n’y est visiblement pas parvenu ! Ce résultat électoral montre qu’il sera désormais très compliqué pour le Congrès de légiférer sur l’immigration, qui est pourtant au cœur d’un grand projet de réforme actuellement : par peur d’un vote sanction, les élus risquent de ne plus se prononcer sur la question[13]. Erik Herzik de l’Université du Nevada affirme à ce sujet : « immigration reform is dead »[14].

La stratégie de David Brat semble donc avoir payé. En se focalisant sur ce débat controversé, il a réussi à décrédibiliser et à déconnecter Eric Cantor du terrain. Le représentant sortant n’a pas réussi à reconquérir ses électeurs face à la virulence de son adversaire.

Le come-back du Tea Party
Dans un contexte peu porteur pour le Tea Party – celui-ci ayant enchaîné les défaites – la victoire de David Brat marque la résurgence de la mouvance ultra-conservatrice sur la scène républicaine. Un sursaut inattendu alors que le mouvement était en retrait depuis le « government shutdown » de l’automne 2013[15]. Sous la pression du Tea Party, le Congrès Américain n’avait pas réussi à trouver d’accord sur le budget 2014, entraînant un blocage institutionnel historique : 800 000  fonctionnaires s’étaient retrouvés au chômage technique[16].

Le comité American Bridge, affilié aux démocrates, commente les résultats : « pour ceux qui étaient tombés dans le piège de croire que le parti républicain avait réussi à tuer le Tea Party, cette soirée devrait permettre de remiser cette théorie »[17]. La mouvance gagne en effet en influence auprès des Républicains, entraînant probablement une radicalisation du parti à l’avenir. Zachary Werell, directeur de campagne de David Brat, évoque un tournant politique. Selon lui, l’argent et le pouvoir ne sont plus désormais les seuls leviers pour gagner une élection : « people vote and money doesn’t win »[18].

La césure entre peuple militant et establishment
Selon le journaliste David Wasserman, Eric Cantor a perdu son électorat de base[19]. Cette défaite cuisante révèle que les militants se sont révoltés contre l’establishment. En préférant un candidat plus proche d’eux, les électeurs ont remis en cause la direction élitiste du parti. Ce choix aura des conséquences directes sur le fonctionnement interne du GOP. La désynchronisation entre le Tea Party et les Républicains risque de nuire à l’unité du parti d’opposition au moment où celui-ci a besoin d’être fort pour agir face à Barack Obama[20].

Les quatre prochains mois devraient donc être dominés par des manœuvres politiciennes. Si Kevin McCarthy[21] est soutenu par Eric Cantor pour prendre sa succession fin juillet[22], d’autres candidats républicains sont aussi dans la course[23]. Le Tea Party est également susceptible de revendiquer l’un des trois hauts postes de la Chambre[24]. La démission d’Eric Cantor de sa fonction de chef de la majorité risque donc encore d’accroitre les tensions parmi les Républicains.

Les nouveaux défis pour 2016
Le président Obama n’ayant plus le droit de briguer un troisième mandat, les Républicains espéraient avoir une carte à jouer pour reconquérir la Maison Blanche. La disqualification d’Eric Cantor et la résurgence du Tea Party ont cependant provoqué un tremblement de terre politique qui affecte la présidentielle de 2016, surtout face à une Hillary Clinton déjà activement partie en campagne dans le camp adverse. Jeb Bush, potentiel candidat, est considéré comme le « grand perdant » de la défaite d’Eric Cantor[25]. Républicain modéré, il s’était clairement positionné en faveur de l’amnistie pour les immigrants illégaux – présentant leur démarche comme un « act of love » envers les Etats-Unis[26].

Les Républicains font donc aujourd’hui face un dilemme : poursuivre une ligne modérée ou conservatrice sur les questions migratoires. Le risque majeur est de perdre l’électorat hispanique, traditionnellement conservateur mais issu de l’immigration et déterminant par la présidentielle à venir[27]. Le retour du Tea Party menace donc de provoquer de violentes dissensions au sein du GOP…

Marine Caron – Violaine Théry avec

Retrouvez la note de la Fondation pour l’innovation politique « Comprendre le Tea Party »

[1] Le Parti Républicain est également surnommé Grand Old Party (GOP).
[2] Le Speaker est le terme pour désigner le président de la Chambre des représentants des Etats-Unis. Il s’agit actuellement de John Boehner, représentant républicain du 8ème district de l’Ohio.
[4] Jonathan Cohn, The GOP just got a wake-up call, New Republic, 10.06.14
[5] « Young gun » = jeune star incarnant la nouvelle vague et le renouveau du parti.
[6] House of Cards est une série télévisée américaine. Diffusée pour la première fois en 2013, elle raconte la vie d’un homme politique prêt à tout pour obtenir le poste « suprême ».
[7] Le “shutdown” est la crise de l’automne 2013 qui a paralysé les activités gouvernementales fédérales des Etats-Unis.
[8]Be brave, Republicans, The Economist, 24 juin 2014
[9] John Cassidy, Cantor loses, and Whasington goes ape, The New Yorker, 11.06.14
[10]Be brave, Republicans, The Economist, 24 juin 2014
[11] Tim Murphy, Eric Cantor loses GOP primary. Wait, What ?!, Mother Jones, 10.06.14
[12] Ramesh Ponnuru, What does Cantor’s defeat mean ? Nobody knows, Bloomberg View, 10.06.14
[13] Dan Nowicki et Erin Kelly, Immigration reform died with Cantor’s defeat, analysts say, Azcentral.com, 12 juin 2014
John J. « Jack » Pitney, Jr., politologue au Collège Claremont McKenna College de California a dit : « Republicans will be very skittish to take on immigration reform. Their attitude will be: Why risk it? » (Les Républicains seront frileux à l’idée d’adopter une réforme sur l’immigration. Leur attitude serait : Pourquoi prendre ce risqué ?).
[14] Ibid. Eric Herzik est president du département de sciences politiques de l’Université de Reno au Nevada.
[15] Hélène Sallon, « Shutdown » : les Etats-Unis pris au piège du Tea Party, Le Monde, 09.10.13
[18] Lisa Mascaro, Michael A. Memoli et Mark Z. Barabak, Eric Cantor defeat by tea party shakes Republican politics to its core, Latimes, 10 juin 2014
[19]John Cassidy, Cantor loses, and Whasington goes ape, The New Yorker, 11.06.14
[20] Jonathan Cohn, The GOP just got a wake-up call, New Republic, 10.06.14
[21] Kevin MacCarthy est « House Whip » (n°3 de la Chambre des représentants) : député chargé de veiller à ce que les élus de son parti soient présents et votent en fonction des consignes du parti. Il est chargé de la « discipline » du groupe. En France, son équivalent est le coordinateur de groupe.
[22] Luke Russert and Frank Thorp V, Cantor annouces resignation as majority leader, NBC news, 11.06.14
[23] Chez les Républicains, l’élu du Texas Jeb Hensarling ainsi que Paul Ryan, vice-président lors de la campagne électorale de 2012, sont intéressés par le poste. Parmi les élus du Tea Party, Tom Price de Georgie et Steve Scalise de Lousiane sont également préssentis.
Albert R. Hunt, Cantor’s gone, let the Republican infighting begin, Bloomberg View, 10.06.14
Derek Wallbank, House majority leader Cantor loses to Tea Party opponent, Bloomberg, 11.06.14
[24] Ibid.
[26] Ibid.
[27] Lisa Mascaro, Michael A. Memoli et Mark Z. Barabak, Eric Cantor defeat by tea party shakes Republican politics to its core, Latimes, 10 juin 2014




 

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