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novembre 20, 2025

L'ultra-antilibéralisme !

L'ultra-antilibéralisme ou le style paranoïde dans la critique

Commentaire : En France, le qualificatif « libéral » devient une insulte. L'insulte s'accompagne généralement d'une précision qui grossit l’épithète. On n'est pas seulement «libéral», mais «ultra-libéral ». C'est l'apparition de ce style paranoïde qui intéresse Alain Wolfelsperger. Quelle est la signification profonde de cette nouvelle idéologie : l’ultra-antilibéralisme ?

 

L’historien américain Richard Hofstadter a publié en 1964 un article, dont le retentissement a encore un écho aujourd'hui, sur ce qu'il appelait « le style paranoïde dans la politique américaine ». Il le définissait par des traits comme « l'exagération passionnée, la méfiance et les fantasmes de complot » et prenait soin de préciser que le mot « paranoïde » n'était pas à prendre au sens strictement clinique mais qu'aucun autre ne lui paraissait plus approprié. Il montrait la permanence de ce « style » dans l'histoire des États-Unis et insistait surtout sur sa forme contemporaine en privilégiant le cas du maccarthysme. Il observait cependant, au passage, sans donner d'illustrations, que la droite n'en avait pas l'exclusivité. Il aurait pu faire la même remarque à propos des États-Unis. Le style paranoïde sévit aussi de l'autre côté, à la fois, du champ politique et de l'Atlantique si on en juge par la manière nouvelle dont le libéralisme économique est aujourd'hui vitupéré en France dans divers milieux intellectuels et politiques se réclamant surtout de la gauche classique ou extrême mais en développant une critique qui n'est pas sans résonance auprès d'une certaine droite classique ou extrême.

On a toujours dénoncé avec force, dans ces milieux, les conséquences néfastes du système capitaliste (inégalités, insécurité de l'emploi, etc.) avec des arguments pouvant mériter considération quand ils soulèvent de vrais problèmes. Mais on assiste depuis quelque temps, depuis, en fait, que l'économie de marché a retrouvé une sorte de légitimité de principe, à une intensification de cette critique qui ne correspond pas seulement à un simple changement de ton et qui appelle une appréciation moins bienveillante. Au-delà du recours à une rhétorique naturellement plus enflammée qu'aux temps bénis où les gouvernements de droite ne pouvaient faire mieux que de mener des batailles de retardement contre les « avancées » réclamées et souvent obtenues par le « mouvement social », c'est le procès fait au libéralisme qui a changé de nature. C'est aujourd'hui moins le système que la doctrine lui servant de justification qui est mise en accusation en mettant l'accent sur la manière insidieuse dont elle aurait imposé ses préceptes et sur les perspectives désastreuses qui s'ouvriraient si son succès se confirmait. Comme il s'agit là d'aspects du rôle joué par les idées libérales qui n'avaient pas de sens ou d'intérêt il y a trois ou quatre dizaines d'années, on a ainsi affaire à une doctrine de combat inédite destinée spécifiquement à contrer l'hégémonie actuelle d'un prétendu « ultralibéralisme » et que l'on pourrait appeler, de manière parodique, l’ultra-antilibéralisme en raison de sa radicalité, de son contenu exclusivement critique et de l'état émotionnel fait de peur, voire d'épouvante, qu'elle vise à susciter.

C'est à ce propos que le qualificatif « paranoïde », au sens d'Hofstadter, vient naturellement à l'esprit. Les trois idées-forces de cet ultra-antilibéralisme sont, en effet, l'explication de la prépondérance actuelle des thèses libérales en matière économique par une conspiration due à un petit nombre de doctrinaires fanatiques ayant mené à bien une entreprise secrète de prise de pouvoir intellectuel, la prévision de la catastrophe d'ampleur planétaire à laquelle nous conduit inexorablement et à brève échéance la poursuite de la mise en œuvre de ces thèses et la révélation terrifiante de l'essence cachée du projet libéral qui n'est rien de moins que la mise en place d'un nouveau système totalitaire à l'échelle mondiale. 

Une conspiration de doctrinaires fanatiques

La propagation du libéralisme économique serait essentiellement le produit d'un plan machiavélique de manipulation des esprits mis impitoyablement en application par un petit groupe de doctrinaires fanatiques.

Quand on s'intéresse à la manière dont les ultra-antilibéraux cherchent à comprendre la remise en honneur des idées favorables à l'économie de marché depuis près de trente ans, on ne peut qu'être frappé de voir à quel point ils restent stupéfiés par un phénomène aussi contraire, selon eux, aux souhaits légitimes et aux attentes bien fondées de l'humanité (au « sens de l'histoire », aurait-on dit jadis). Comme pour les membres des mouvements dont Hofstadter, reprenant une idée de Daniel Bell, étudiait le style paranoïde aux États-Unis, l'intensité de leur désarroi (avec la propension au conspirationnisme qui en résulte) semble liée à un profond sentiment de dépossession, c'est-à-dire à la conviction d'avoir été intégralement et injustement privés d'un bien qui devait leur appartenir en exclusivité à tout jamais et qui est, en l'occurrence, la suprématie idéologique. C'est pourquoi, quand ils doivent se résoudre à fournir une explication de cette nouvelle situation, seule peut compter, pour eux, la force autonome des idées et non la leçon des faits sur les mérites des différentes thérapeutiques disponibles pour remédier aux maux économiques de notre époque. Ce qui s'est passé, en effet, est, selon eux, exactement le contraire de ce qui aurait dû avoir lieu. Puisque le système capitaliste était entré dans une phase de crise d'une nature sans précédent au milieu des années 1970, la seule issue concevable était, en attendant son effondrement inéluctable, de rajouter une dose d'intervention étatique pour le maintenir encore un peu en état de survie artificielle. Or, c'est la voie exactement opposée de la libéralisation de l'économie qui a été peu à peu adoptée partout. La plupart des observateurs non (ou moins) engagés dans le combat idéologique contre le libéralisme économique s'accordent à considérer que ce choix « réactionnaire » s'explique essentiellement par la prise de conscience du fait que toutes les autres solutions avaient fait la preuve de leur inefficacité et étaient profondément inadaptées au développement de la mondialisation. Le rôle des défenseurs attitrés du marché s'est borné à rappeler que celui-ci avait des vertus que l'on avait trop sous-estimées et qu'il y avait de bonnes raisons de lui faire plus confiance que ce n'avait été le cas dans la période précédente. Sans qu'il faille, d'ailleurs, exagérer leur rôle par rapport aux économistes, en beaucoup plus grand nombre et plus influents, qui trouvent leur inspiration non dans le libéralisme à proprement parler mais dans la théorie normative dite « économie du bien-être » qui relève de la philosophie utilitariste et dans les enseignements pratiques déductibles d'une théorie économique positive dépourvue de présupposés idéologiques.

C'est dans ces conditions que les politiciens désemparés mais pas trop encombrés de préjugés se sont résolus à « faire du libéralisme » comme s'il s'agissait d'appliquer non les préceptes d'une nouvelle religion séculière à laquelle ils se seraient « convertis » mais une thérapeutique dont la mise en application valait la peine d'être au moins essayée. Sans les problèmes rencontrés avec la fin des Trente Glorieuses, il aurait fallu, en effet, une capacité de persuasion hors du commun pour que la petite troupe des économistes restés libéraux dans les années d'après-guerre réussissent à modifier la politique économique d'États démocratiques par la seule force d'une argumentation essentiellement théorique même en bénéficiant, comme on le prétend, de moyens matériels de propagande considérables. C'est bien pourtant cette hypothèse qui est retenue par les ultra-antilibéraux. Le retour en grâce du libéralisme économique est présenté comme principalement le produit d'un processus discret, sinon clandestin, de prise progressive du pouvoir (intellectuel) dont la création de la « société du Mont-Pèlerin » [du nom de la ville suisse où s’est tenue la première réunion] en 1947 par un tout petit groupe de libéraux impénitents est systématiquement mentionnée comme le point de départ le plus probable. C'est par ces « Sages de Sion » d'un nouveau genre qu'ont été mis au point les éléments d'un sinistre complot ayant pour moyens, comme pour lesdits « Sages », l'argent et la ruse, et pour buts la réhabilitation de l'économie de marché et la réalisation d'un vaste retour en arrière par rapport au merveilleux système d'économie mixte qui s'était imposé dans tous les pays occidentaux depuis la grande crise.

Au Mont-Pèlerin

C'est ainsi que Susan George écrit qu'une explication du « triomphe du néo-libéralisme et des désastres économiques, politiques, sociaux et écologiques qui s'ensuivent est que les néo-libéraux ont acheté et payé leur propre "Grande Transformation " [allusion à un livre à la mode chez les anti-libéraux] perverse et rétrograde. Contrairement aux progressistes, ils ont compris que les idées ont des conséquences. À partir d'un minuscule embryon à l'université de Chicago dont le noyau était constitué par le philosophe et économiste Friedrich von Hayek et ses étudiants comme Milton Friedman, les néo-libéraux et leurs bailleurs de fonds ont créé un immense réseau international de fondations, instituts, centres de recherche, publications, chercheurs, écrivains [...] pour développer, mettre en valeur et promouvoir implacablement leurs idées et leur doctrine ». Cette explication est reprise dans de nombreux ouvrages d'un genre plus universitaire mais tout aussi idéologiquement motivés que le texte de Susan George, même si la thèse de la conspiration intellectuelle y est associée à la mention (d'ailleurs très brève) d'autres facteurs. Elle est particulièrement développée par Serge Halimi [le castriste en chef du Monde Diplodocus] qui n'hésite pas, de manière significative, à appeler avec insistance « conjurés du lac Léman » le groupe des intellectuels libéraux du Mont-Pèlerin. Il est permis aussi de penser que c'est cette même thèse qui a inspiré le lancement du mouvement antilibéral connu sous le nom d'ATTAC puisque ses fondateurs ne se cachent pas de vouloir employer, notamment grâce à son « conseil scientifique », la même méthode que celle qui, selon eux, a permis le succès des néo-libéraux après la Seconde Guerre mondiale.

Pour tenter d'échapper à l'accusation de retenir ainsi une interprétation conspiration-niste de l'histoire, c'est à la théorie intellectuellement et politiquement plus correcte fondée sur le concept d'hégémonie culturelle dû à Gramsci qu'il est toujours fait référence à ce sujet. Mais elle ne rend pas plus plausible l'idée qu'il suffit à une infime minorité d'intellectuels complètement à contre-courant, même abondamment pourvus d'argent et d'enthousiasme, de défendre énergiquement quelques principes théoriques pour que, en deux ou trois décennies, ils parviennent, par une curieuse coïncidence, dans tous les pays (ou presque) et, à peu près, au même moment à imposer aux politiciens de gauche comme de droite un renversement complet de leur politique économique. D'ailleurs, la manière précise dont l'« immense réseau » d'influence dont parle George est parvenu à ses fins reste très mystérieuse. On nous rappelle bien que le Président Reagan aux Etats-Unis et Mme Thatcher en Grande-Bretagne avaient été soumis à l'endoctrinement qu'il diffusait mais, outre qu'il serait difficile de prouver l'existence d'un phénomène semblable pour les dirigeants des autres pays, il ne suffît pas, dans les régimes non dictatoriaux, que ceux qui arrivent au sommet du pouvoir aient telle ou telle forte conviction pour qu'ils puissent impunément en imposer durablement les conséquences à leur pays si celles-ci sont manifestement néfastes. Or l'expérience a montré que les citoyens desdits pays ont été et sont toujours, dans une large mesure, des victimes apparemment consentantes puisqu'ils s'obstinent à voter pour les partis mettant en œuvre un programme plus ou moins libéral pourtant contraire à leurs intérêts. Pourquoi ? Parce que, pour reprendre une formule qui revient de manière lancinante dans divers textes, le libéralisme avait pénétré insidieusement « dans leurs têtes » en même temps que dans celles de leurs dirigeants. Le libéralisme économique s'est diffusé à la manière d'une épidémie. Il est ensuite d'autant plus difficile de se débarrasser de cette maladie de l'esprit qu'on n'a, en général, aucune conscience de sa présence en soi. Même ceux qui ont eu la chance de s'apercevoir du mal qui les a frappés comme tout le monde doivent d'abord mener une lutte acharnée contre eux-mêmes pour en guérir.

Quelles preuves ?

Quelles preuves y a-t-il de l'existence de cette vision typiquement paranoïde des choses chez les ultra-antilibéraux ? La première est que c'est la seule manière dont il est possible pour eux de réconcilier les faits avec l'incapacité dans laquelle ils se trouvent d'admettre que les progrès du libéralisme s'expliquent par la gravité des problèmes apparus au cours des années 1970 et l'impuissance de l'État à les résoudre. Si un « néo-dirigisme » adapté aux nouvelles circonstances n'a pas fait l'affaire, c'est qu'un regrettable préjugé favorable au libéralisme avait obscurci les cons-ciences avec une force qui ne peut s'expliquer que par l'efficacité d'une entreprise gigantesque de propagande.

Une seconde preuve est qu'il existe des documents qui confirment presque textuellement l'existence du fantasme, typique chez les victimes du délire de la persécution, de l’emprise totale sur eux du persécuteur qui s'insinue partout et jusque dans leurs propres pensées pour mieux les manipuler. C'est ainsi que, dans un extraordinaire article, l'ancien président d'ATTAC Bernard Cassen écrit notamment : « [le] virus [du néo-libéralisme] est dans les cellules de nos cerveaux et nous avons besoin de les désintoxiquer pour pouvoir penser librement de nouveau », en précisant que « notre objectif est de décontaminer les esprits » (italiques ajoutés). Il est significatif aussi qu'Halimi (op. cit.) mette l'accent sur la nature quasi religieuse ou mystique du phénomène par la répétition insistante du mot « conversion », sans doute pour que personne ne s'imagine que c'est la force d'une argumentation rationnelle qui aurait pu être à l'origine de la faveur dont bénéficient aujourd'hui les idées libérales [et pourtant, Dieu sait si les arguments réationnels en faveur du libéralisme sont forts, à croire que les intellectuels anti-libéraux ne sont rationnels !Je taquine, je pense qu’ils ne connaissent pas le libéralisme et ne s’en informe que pour critiquer et non pour comprendre : antilibéral, c’est non seulement une opinion mais une position voire un gagne-pain].

Les textes révélateurs d'une tendance de ce genre ne sont pas seulement dus à des membres de la basse (ou moyenne) intelligentsia. Elle se manifeste aussi avec éclat chez les vedettes intellectuelles de l'antilibéralisme, comme le prouvent abondamment les écrits du Bourdieu de la dernière époque. Sans négliger l'influence des intérêts des groupes sociaux qui trouvent un avantage à la propagation des idées libérales, il est surtout très attentif au rôle propre des « armes intellectuelles et culturelles » de l'ennemi.

La science ennemie

À cet égard, l'agent principal et le plus redoutable, parce que le plus secret et le plus hypocrite, est moins la doctrine libérale qui s'avoue explicitement comme telle que la « science économique » qui se donne les apparences trompeuses de la scientificité et de la neutralité idéologique mais qui, finalement, soutient le même programme. Mais, si, reprenant ainsi, à la terminologie près, le vieux discours marxiste opposant l’« idéologie bourgeoise » à la « science prolétarienne », c'est-à-dire, en l'occurrence, la pseudo-science économique à sa propre sociologie, Bourdieu est très prolixe dans la dénonciation des artifices malhonnêtes qui rendent la première particulièrement bien adaptée à la fonction de « production et reproduction de la croyance dans l'utopie néo-libérale », il n'en donne aucun exemple précis et n'a pas de véritable explication à fournir du succès d'une entreprise aussi foncièrement mystificatrice. Car la science économique n'est pas née dans les années qui ont immédiatement précédé le renouveau du libéralisme économique comme doctrine d'action et on se demande bien pourquoi elle aurait pu acquérir justement à cette époque et partout en même temps cet « effet d'autorité » surpuissant qui aurait provoqué ce renouveau.

Il est vrai que le maître à penser de la reproduction ne peut qu'être démuni pour nous aider à comprendre les mécanismes du changement, c'est-à-dire, en l'occurrence, de l'acquisition progressive mais rapide par la science économique d'une position dominante non seulement dans les sciences sociales mais aussi dans les cercles du pouvoir (y compris -pour comble de malheur et d'étrangeté - ceux de tendance socialiste). Bourdieu ne peut que constater et décrire la modification de l’habitus des agents (par suite de leur « conversion » au néo-libéralisme) et la transformation des règles du jeu social qui lui correspond, mais il n'a pas de théorie à fournir pour l'expliquer. De ce fait, le résultat est le même que dans les écrits précédemment mentionnés. Ses diatribes sur la science économique laissent l'impression que ses effets délétères tiennent à une capacité autonome et quasi irrésistible d'imposer à tous ses enseignements qui est d'autant plus mystérieuse que ceux-ci sont, selon lui, dépourvus de toute valeur théorique et empirique et qu'ils conduisent à justifier des mesures contraires aux besoins humains les plus évidents.

La propension de Bourdieu à se complaire dans l'évocation typiquement paranoïde de vastes machinations néo-libérales ourdies dans l'ombre se manifeste encore plus clairement dans son annonce que « l'avènement d'une sorte de gouvernement mondial invisible au service des puissances économiques dominantes » (les italiques sont de Bourdieu ) est préparé au moyen de traités internationaux « produits dans le plus grand secret » et rédigés de façon « délibérément obscure ».

On constate ainsi avec intérêt, dans le prolongement de l'analyse de R. Boudon [Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme, que je vous recommande], que la vulgate durkheimienne d'apparence « savante » en honneur chez de nombreux sociologues peut, en pratique, parfaitement se concilier avec la théorie du complot la plus rustique et que ce n'est pas seulement là le produit d'une interprétation grossièrement simplificatrice de la pensée du maître. C'est bien Bourdieu lui-même qui n'hésite pas à développer son analyse dans les deux registres.

Marché mondial, catastrophe mondiale

Le libéralisme économique nous conduirait fatalement à une catastrophe humanitaire d'ampleur planétaire ou le spectre de l'« omni-marchandisation du monde ».

Le résultat à attendre du complot ultralibéral est à la mesure de la perfidie de la méthode. Il s'agit du lancement d'une « machine infernale » qui engendre une « course à l'abîme » au nom d'une « utopie ultra-conséquente comme certaines formes de folie » et qui, du fait de la mondialisation, concerne l'ensemble de l'humanité. C'est encore Bourdieu qui s'exprime en ces termes dans Le Monde diplomatique (mars 1998). Ce style hyperbolique est celui qui est de rigueur chez les ultra-antilibéraux. Pourquoi ?

Parce que, comme pour l'extrême droite américaine décrite par Hofstadter à propos de la menace communiste intérieure, la situation exige objectivement, selon eux, de réagir avec rapidité et vigueur tant est catastrophique l'avenir qui s'ouvre devant nous et tant le danger est imminent. Le problème essentiel, en effet, ne provient pas du mal, pourtant déjà affreux, que les politiques libérales font à notre société aujourd'hui. Il se trouve dans le sort beaucoup plus terrible qu'elles nous réservent pour demain. C'est un monde de cauchemar totalement inédit qui nous attend. C'est justement parce que nous n'en avons aucune expérience concrète qu'il faut résister à la tentation de le minimiser. Dans le genre illustré par Polanyi décrivant avec effroi ce qui aurait pu se passer si le libéralisme économique n'avait pas été efficacement contrecarré dès le milieu du XIXe siècle, l'alarmisme s'est emparé de la réflexion antilibérale et y joue un rôle déterminant depuis que cette doctrine monstrueuse a repris le dessus. Le discours apocalyptique ne porte pas (principalement) sur la dégradation de la qualité de l'environnement mais sur le phénomène plus général (dont cette dégradation est un des résultats) de l’omnimarchandisation du monde, comme dit Latouche.

De quoi s'agit-il ? De la reprise et de la systématisation du vieux thème marxien, développé dans les premières pages du Manifeste du Parti communiste, de la pénétration perverse du rapport d'argent dans les relations humaines de toute nature sous l'influence d'une bourgeoisie sans cesse plus puissante et conquérante. Trois exemples suffiront.

Pour Jean-Marie Harribey, économiste et membre du conseil scientifique d'ATTAC, l'heure est grave car « le capitalisme est en passe [c'est-à-dire, en bon français, sur le point !] de réaliser son rêve le plus dément : transformer totalement les rapports de propriété sur la planète, de telle sorte que la moindre activité humaine, la moindre ressource matérielle ou intellectuelle, deviennent des marchandises, c'est-à-dire des occasions de profit. Avec évidemment la volonté de rendre la chose irréversible». Dans la même tonalité, le sociologue Alain Caillé nous assure que « la principale raison de s'opposer [à la mondialisation libérale] est qu'elle s'accompagne d'une tendance apparemment irrépressible à transformer toute chose, toute activité et toute relation humaine en marchandise » (italiques ajoutés). Dans un genre plus familier mais qui correspond à une aussi dramatique mise en garde, l'économiste Michel Beaud a recours à l'anecdote (encore fictive, mais pour combien de temps ?) de l'homme qui se promène dans la campagne avec son petit garçon et qui s'aperçoit brusquement avec horreur que celui-ci a déjà, à son insu, intériorisé les valeurs néo-libérales quand il lui demande candidement : «Dis, Papa, à qui on paye ? »

Il est intéressant d'observer que la pensée progressiste rejoint volontiers sur ce thème la critique conservatrice et romantique du monde bourgeois avec ses éternelles lamentations sur la dégradation de l'environnement traditionnel, la destruction des communautés naturelles par le développement de l'individualisme et de l'économie de marché et la fatale contamination de toutes les motivations désintéressées par l'esprit de lucre qui en résulte. Ce sont ces affinités entre tendances idéologiques apparemment opposées qui expliquent la stratégie d'influence adoptée, sans succès il est vrai, par l'idéologue de la « Nouvelle Droite » Alain de Benoist qui n'a jamais fait mystère de son aversion prioritaire pour le libéralisme en général et le libéralisme économique en particulier et qui aurait aimé constituer avec les ultra-antilibéraux de gauche une sorte de « grande alliance » contre leur ennemi principal commun : l'économie de marché et ses défenseurs. [On notera tout de même que Le vertige social nationaliste de Dominique Reynié remet au goût du jour cette analyse de la collusion des extrêmes.]

Les ultra-antilibéraux n'entrent curieusement jamais dans le détail de la description de ce monde cauchemardesque et des raisons qui le rendraient invivable, sans doute parce que ce qui est « évident » n'a pas besoin d'être démontré. Mais le problème est surtout qu'ils ne fournissent pas les raisons de croire en la quasi-fatalité de sa survenance. Comme il convient quand on se complaît dans un style paranoïde d'argumentation, on est, en fait, ici en plein fantasme. Préférant l'idée conforme à leurs préjugés qu'ils se font du libéralisme à l'étude des textes de ses représentants les plus qualifiés et les plus influents, les ultra-antilibéraux lui attribuent des caractéristiques très largement imaginaires. Dans la mesure où Hayek est souvent considéré par eux comme l'auteur dans lequel on trouverait aujourd'hui l'expression la plus achevée de la pensée économique qu'ils abhorrent, il suffit pourtant Je parcourir les trois tomes de son livre principal pour constater que cet « extrémiste » ne caresse nullement le rêve d'une société intégralement marchande. À plus forte raison rien de tel n'est à attendre des économistes qui n'ont qu'une conception purement pragmatique des solutions libérales.

Les ultra-antilibéraux n'évoquent pas non plus, sauf de manière très vague, la possibilité qu'interviennent ici, à la place ou en complément de la logique (délirante) des idées, des mécanismes du type « pente glissante » qui feraient que les partisans de la libéralisation de l'économie seraient des apprentis sorciers inconscients d'avoir mis le doigt dans un engrenage destiné à échapper à tout contrôle humain et conduisant à la catastrophe. En fait leur intime conviction à ce sujet leur paraît un mode de preuve suffisant, comme s'il suffisait de constater que le mouvement a commencé sous la forme d'un certain nombre (d'ailleurs limité) d'extensions de la place du marché dans la société pour qu'il se poursuive et s'amplifie inexorablement. C'est ainsi qu'est dénoncée, en des termes totalement disproportionnés avec la réalité, la manière dont le phénomène affecterait déjà l'eau (avec l'évocation corrélative de l'idyllique usage gratuit de la bonne eau pure de la fontaine des villages de nos ancêtres), la culture, le langage, le ciel, le corps humain, la sexualité, la santé, le sport, etc.

Objections

Deux arguments principaux peuvent être opposés à la thèse de l'omnimarchandisation. Le premier est que. pour l'essentiel dans l'état actuel des choses, ce qui est appelé « marchandisation » n'est, en fait, rien d'autre qu'une « désétatisation » et que c'est justement parce que la supériorité du mode administratif de gestion et de fourniture des biens sur le mode marchand n'était plus crédible pour des raisons pratiques (et non idéologiques) précises qu'on a choisi d'y mettre fin dans un certain nombre de cas. Libre à certains de penser qu'il est infiniment plus insupportable de payer un prix en échange d'une consommation adaptée aux besoins de chacun que de verser obligatoirement un impôt pour financer des biens standardisés à la suite d'une décision centralisée. On ne voit, en tout cas, pas pourquoi les « relations humaines », comme dit Caille, qui ont toujours échappé à l'emprise de l'État, seraient condamnées à passer, par la même occasion. « sous le joug du marché », comme si celui-ci avait le pouvoir d'interdire aux hommes de continuer à se comporter les uns à l’égard des autres sur un mode ni étatique ni marchand, Les auteurs antilibéraux ne nous offrent aucune analyse générale d'une telle tendance. Ils affirment seulement qu'il s'agit d'un fait d'observation qu'ils établissent en montrant l'existence possible (nécessaire, selon eux) d'un lien entre les principes de base de l'économie de marché et un certain nombre de phénomènes sociaux nouveaux qu'ils jugent particulièrement inquiétants.

Cest ainsi que Zaiki Laïdi, dans un article de Libération (16 juin 2000), contribue, peut-être à son corps défendant à la popularisation des interprétations paranoïdes du renouveau des idées libérales en cherchant à montrer comment la « société de marché » peut se développer grâce au rôle qu'elle joue dans la formation de l'« imaginaire » des individus (ce qui rejoint le thème du « libéralisme dans les tètes ») en affectant l'ensemble de leurs comportements. Il en résulte que la marchandisation du monde peut, par un comble de perversité, progresser même en l'absence d'extension des marchés et, à la limite, sans marché du tout ! « La force idéologique. dit-il, de la société de marché réside peut-être dans sa capacité moins à convertir des secteurs non marchands en secteurs marchands qu'à [imposer la représentation] de la vie sociale comme un espace marchand, même quand il n'y a pas. à la cié, de transaction marchande- » l’une des illustrations qu'il donne de cette capacité prodigieuse est relative à la modification intervenue dans les attitudes des familles à l'égard du système éducatif. Celui-ci tendrait à « se marchandiser » en pratique tout en restant public et gratuit du seul fait que les familles le concevraient maintenant de plus en plus comme, horribile dictu, « un prestataire de services ». Cela signifie que ces familles assigneraient à l'école une finalité aussi aberrante que celle consistant à « préparer les enfants à la vie active » et chercheraient à établir avec cette institution les mêmes relations que celles qu'elles auraient avec une entreprise quelconque sur le marché. En d'autres termes, tout service public doit être considéré comme en voie de marchandisation s'il prend à ses « usagers », jusque-là passifs et confiants en la sagesse supérieure de l'État et de ses agents, la fantaisie un peu vicieuse non de demander sa privatisation au sens juridique du terme mais de se transformer en « clients » désireux de dire directement leur mot sur son fonctionnement et de faire en sorte qu'il réponde mieux à leurs attentes.

On constate ainsi que marchandisation ne veut pas dire autre chose que tendance des acteurs ordinaires du système social à intervenir directement et individuellement pour que celui-ci, au travers de ses institutions marchandes ou non, assure une meilleure satisfaction de leurs besoins tels qu'ils les définissent eux-mêmes. Une telle évolution est peut-être le comble de l'horreur pour ceux qui considèrent qu'il revient seule à une élite (ou, ce qui revient au même, aux interprètes qualifiés du « mouvement social ») de se prononcer à ce sujet mais elle risque de paraître au commun des mortels comme quelque chose de tout à fait supportable, voire de souhaitable. On comprend alors mieux l'intensité de la répulsion et même de la panique des ultra-antilibéraux à l'égard d'un phénomène qui est d'autant plus difficile à contrecarrer qu'il se présente sous des jours aussi diaboliquement séduisants et qu'il conduit insidieusement chacun à se comporter, sans en être conscient, comme s'il était un partisan enthousiaste de l'ultra-libéralisme.

La deuxième raison de ne pas croire en la fatalité de l’omnimarchandisation du monde est qu'il est inconcevable dans une démocratie libérale que la population fasse imperturbablement confiance à des équipes politiques qui, par extraordinaire, ne se seraient pas aperçues toutes seules que la situation empire constamment du fait de la libéralisation de l'économie. Pour qu'il en soit autrement, il faut soit faire une hypothèse de stupidité complète à propos de la population et de la classe politique, soit, ce qui revient au même en un sens, faire appel à l'inusable (et typiquement paranoïde) théorie de la manipulation parfaitement efficace des institutions politiques, de l'opinion, de la culture, etc., par une classe « dominante » tirant secrètement les ficelles et privant la majeure partie de la population de la possibilité de concevoir et de défendre ses « vrais » intérêts. On ne s'attardera pas à démontrer que ni l'une ni l'autre de ces deux justifications ne résistent à un examen un peu approfondi.

Une menace totalitaire

Le libéralisme économique serait une imposture idéologique dissimulant l'essence totalitaire de son projet sous un attachement de façade à la liberté.

Le libéralisme économique est un «néototalitarisme», déclarait publiquement un jour (d'après Le Monde du 18 janvier 1997) un membre éminent du parti gaulliste de l'époque, Philippe Séguin, qui cherchait sans doute à séduire, en même temps que le monde de la presse auquel il s'adressait en l'occurrence, un large électorat supposé toujours sensible au rappel du primat du politique sur le marchand.

Une semaine plus tard, comme pour ne pas se laisser tourner sur sa gauche par ce rival inattendu sur ce terrain, le dirigeant socialiste Pierre Mauroy reprenait la même idée et s'en prenait, à son tour, au « fondamentalisme néolibéral qui ambitionne l'hégémonie du monde comme un totalitarisme moderne » (d'après Le Monde du 25 janvier 1997).

Intéressante coïncidence dans le temps et l'espace (politique) : à gauche comme à droite, si on en juge par ces deux politiciens réputés « raisonnables » et certainement représentatifs, on considère comme une sorte d'évidence le caractère totalitaire du libéralisme économique et la grave menace qu'il représente en conséquence. On imagine certes facilement l'antipathie profonde que les politiciens de toutes tendances éprouvent spontanément pour une doctrine qui montre qu'ils n'ont qu'une utilité limitée dans le meilleur des cas et qu'ils jouent un rôle néfaste dans le pire. Mais la gravité de l'accusation ne va quand même pas tout à fait de soi, surtout quand on tient compte du sens habituel des mots (d'après Le Petit Robert, « libéralisme » est le contraire de « totalitarisme »). On sait, bien sûr, qu'attaquer le libéralisme (économique) a toujours été considéré, en France, comme un innocent passe-temps qui n'a jamais fait de mal (politique, c'est-à-dire électoral) à personne. Ni Séguin ni Mauroy ne sont, pourtant, membres de ces partis extrémistes dont le discours toujours porté aux exagérations polémiques et à la manipulation sans scrupule des mots est naturellement négligeable. On peut juger, en fait, que ces deux sorties incongrues sont révélatrices de la banalisation d'un type de vitupération du libéralisme économique qu'on aurait eu du mal à imaginer avant la période récente et qui confirme l'acclimatation dans tous les milieux politiques du style paranoïde à ce sujet.

Il se trouve qu'un aussi surprenant oxymore que « libéralisme totalitaire » ne se rencontre pas seulement sous la plume de politiciens naturellement plus soucieux d'efficacité politique que de correction du langage ou de rigueur conceptuelle. Il est devenu un lieu commun de la pensée ultra-antilibérale dont les tenants ont enfourché ce cheval de bataille pour faire croire que c'est le même vertueux combat que celui contre les régimes et des doctrines de nature véritablement totalitaires qu'il faut poursuivre. Pour Labarde et Marris, par exemple, « le libéralisme, doctrine totalisante [?] [...] passera comme tous les totalitarismes [...] après le nazisme et le stalinisme » (italiques ajoutés). À certains égards, il ne s'agit que de la reprise du vieux discours soixante-huitard sur le contrôle permanent de la société par les « dominants » au moyen d'un « terrorisme » (comme disait Lefebvre, qui n'avait pas peur des mots) d'autant plus pernicieux qu'il échappe entièrement à la conscience des « dominés », ce qui a conduit certains à faire, de manière inattendue, de 1984 d'Orwell le roman d'anticipation du monde ultra-libéral. Mais l'argumentation a pris deux formes nouvelles.

Il y a, d'abord, ceux pour qui il y aurait quelque chose de « totalitaire » dans la société « ultra-libérale » parce que le marché tendrait à y être « tout » comme l'État aspire à être « tout » dans les sociétés de type nazi ou communiste. Il est clair qu'il n'y a là rien d'autre qu'un méchant jeu de mots. Les raisons de penser qu'une telle tendance n'existe pas de manière potentielle dans une société libérale conforme à la doctrine ont déjà été rappelées brièvement plus haut. De plus, même si c'était le cas, celle-ci se caractériserait par une infinité de relations bilatérales librement consenties dont on ne voit pas en quoi elles produiraient les mêmes effets que ceux que l'on a pu constater dans les pays ayant fait l'expérience du totalitarisme étatique. Les ultra-antilibéraux qui rêvent d'une société où toutes les relations entre les hommes seraient faites de dons diraient-ils, d'ailleurs, que celle-ci est « totalitaire » ?

Il est, en réalité, impossible de dissocier le concept de totalitarisme de l'idée d'un État envahissant dans la société. C'est à ce sujet qu'une thèse apparentée à la précédente mais un peu plus subtile a parfois été avancée. L'argument central est que l'idéal libéral d'une société pacifiée et unifiée dans l'harmonie réalisée par les seules relations marchandes reposerait, comme pour le fascisme ou le communisme, sur la négation du fait massif de l'irréductibilité du conflit entre les hommes en lui interdisant de s'exprimer normalement et d'être canalisé grâce aux institutions de la démocratie et à l'ensemble des structures collectives intermédiaires entre l'individu et l'État. On montre alors qu'il y a de bonnes raisons de penser que, les hommes étant ce qu'ils sont, une telle société ne pourrait, en fait, perdurer qu'avec l'appui d'un État fort dont la fonction essentielle serait de contraindre les agents à respecter exclusivement les règles du marché.

Les faiblesses de ce raisonnement sautent aux yeux. Il faut d'abord, une fois de plus, rappeler qu'il est tout simplement faux que le libéralisme économique appelle à la destruction de toute autre institution que celle du marché. On peut ajouter ensuite que, même si c'était là le but poursuivi et qu'il était atteint, il n'y aurait, par définition de la nouvelle situation, plus d'État dans la société et, par conséquent, aucun risque que celui-ci ne soit totalitaire. Enfin, s'il est vrai que cet objectif utopique ne peut jamais être atteint en pratique et que le pouvoir de l'État doit contradictoirement augmenter au fur et à mesure que l'on cherche à imposer ce projet à une société dont la plupart des membres ne peuvent que le rejeter, nous aurions affaire à un régime politique autoritaire ou tyrannique. Même en supposant qu'il soit viable, ce qui est très douteux à notre époque, cela n'a rien à voir avec le phénomène totalitaire tel qu'il est classiquement défini. Ce sens normal évoque directement des réalités concrètes comme un chef charismatique disposant d'un pouvoir illimité, une doctrine officielle bénéficiant d'un monopole idéologique, un parti unique, une police omniprésente et omnipotente, des camps de concentration ou même d'extermination pour les opposants réels ou supposés du régime, une propagande perpétuelle, l'intervention de cet État dans tous les domaines de la vie sociale et économique, etc. Dans toute la mesure où l'on peut imaginer ce qui n'a jamais existé sous aucune forme dans la réalité, on voit mal comment l'État tyrannique dont aurait besoin la société libérale idéale en l'absence d'adhésion suffisante de la population à ses principes devrait fatalement dégénérer en un État idéocratique absorbant totalement la société civile et comment, notamment, il pourrait, sans incohérence insurmontable, être ainsi amené à soumettre l'économie elle-même à ses exigences.

La signification tactique du style paranoïde

Le procès fait au libéralisme économique dans le style paranoïde est finalement d'une telle extravagance qu'il laisse perplexe sur les motivations et sentiments réels de ceux qui l'instruisent. On peut penser qu'il exprime moins une angoisse effective devant les risques de la survenance, dans un avenir prochain, d'un monde aussi apocalyptique qu'ils le prétendent que la profondeur de leur désarroi devant le simple fait que ce soit le libéralisme et non le socialisme qui paraisse être aujourd'hui la doctrine économique de référence. Ce retournement complet de situation n'a pas seulement toutes les apparences d'un tour de magie noire. Il est surtout démoralisant et pourrait être un encouragement à se désengager du mouvement historique d'émancipation sociale, pis même, à croire celui-ci dépourvu désormais de toute signification. Pour échapper à cette tentation et rester fidèle à ses convictions, pourquoi ne pas remplacer (provisoirement) la glorification des « lendemains qui chantent » grâce à un socialisme qui n'est plus d'actualité par la dénonciation des « lendemains qui déchantent » (horriblement) par la faute d'un libéralisme qui a le vent en poupe mais auquel il est urgent de s'opposer sans le moindre compromis ?

Il est ainsi possible d'envisager l'hypothèse que tout le discours de style paranoïde contre le libéralisme économique remplisse une fonction moins expressive (d'un affolement réel ou d'une sorte de désespoir) que tactique. Il pourrait n'être, autrement dit, qu'un faux-semblant qui n'aurait pas d'autre sens que de répandre auprès d'un peuple, tenu pour crédule et impressionnable, une croyance à laquelle les initiés n'adhèrent pas vraiment mais qu'ils jugent utile de développer dans le cadre d'une stratégie de lutte contre le capitalisme restée classique dans ses objectifs mais dont il s'agirait seulement de moderniser les méthodes. Puisque, provisoirement, ni la révolution ni les « grandes avancées sociales » ne sont plus à l'ordre du jour, ce discours hyperbolique pourrait avoir au moins l'avantage de motiver les troupes et de les maintenir sous pression en attendant des jours plus propices en même temps qu'il apporterait une compensation à la modestie peu exaltante du programme du retour au mythique « pacte social » d'après-guerre auquel il est, en pratique, associé.

Alain Wolfeslsperger

https://www.catallaxia.org/wiki/Alain_Wolfelsperger:L'ultra-antilib%C3%A9ralisme

Paru initialement dans la revue Commentaire, N°116, Hiver 2006

 

Lire aussi: https://universite-liberte.blogspot.com/2025/11/cryptocratie-pouvoir-cache-oligarchie.html 

 

 


 

novembre 19, 2025

Rhôooo, bah à chaque fois que le socialisme échoue, c'est que les libéraux complotent.

Complot libéral

Le discours antilibéral se réfère régulièrement à un supposé « complot libéral » ou « complot ultralibéral » qui dirigerait le monde et aurait pour objectif la destruction des « acquis sociaux » des travailleurs[1].

Cette désignation d'un ennemi inexistant permet aux antilibéraux de s'imaginer un ennemi contre lequel se battre, tout en reflétant la méconnaissance de concepts essentiels de la doctrine libérale tel l'ordre spontané. Ce complotisme est indissociable des doctrines collectivistes : à chaque fois que le socialisme échoue, c'est que les libéraux complotent. 

 


Illustrations

Lors de la directive Bolkenstein ou du référendum sur le traité européen de 2004, certains ont brocardé un soi-disant « complot libéral » voire « ultra-libéral » mené « contre les peuples » depuis Bruxelles. Ainsi, pour l'écrivain et journaliste Stéphane Denis, dans cette vision des choses, « l’Europe est le foyer d’un complot libéral »[2]. Plus généralement, selon le rédacteur en chef des Échos, les opposants aux réformes en France « restent persuadés qu'un grand complot libéral les menace »[3]. Des auteurs marqués à l'extrême gauche comme la militante altermondialiste canadienne Naomi Klein soutiennent quant à eux, au prix d'une déformation des idées d'auteurs comme Milton Friedman, que le libéralisme a besoin de chocs traumatisants sur la population pour être imposé contre son gré, et que les libéraux chercheraient guerres et conflits pour assurer leur domination. Théorie largement discréditée par les faits : bien loin de diminuer, le rôle de l'État s'accroît avec les crises et les guerres, y compris la guerre en Irak.

Chez les catholiques traditionalistes, dans la lignée de l'opposition catholique au libéralisme au XIXe siècle, un auteur comme Mgr Lefebvre voit un « complot libéral de Satan contre l’Église et la papauté »[4]. Des pamphlets comme Le libéralisme est un péché de Don Félix Sarda y Salvany (préfacé par Mgr Lefebvre) dénoncent davantage la franc-maçonnerie, la libre-pensée, l'athéisme, le rationalisme, le principe de souveraineté de l'individu, etc. que le libéralisme politique à proprement parler, car les gouvernements libéraux « peuvent être parfaitement et intégralement catholiques [...] s'ils reconnaissent comme base du droit public la suprématie morale de l'Église »...

Dans le milieu éducatif, habituellement très politisé, la baisse du niveau des élèves et tous les problèmes de l'Éducation nationale sont mis sur le compte, non pas de l'État et de l'administration publique, mais du néolibéralisme qui chercherait à transformer l'école en entreprise (voir par exemple J.-P. Brighelli, La fabrique du crétin).

On constate au final une entente entre extrême gauche et extrême droite pour critiquer le libéralisme. Ces deux collectivismes et constructivismes sont des protectionnismes étatistes et nationalistes, visant à l’assujettissement de l'individu sous la férule de l’État-Nation, et donc nient la liberté et la responsabilité des personnes.

Pour d'autres enfin, ce serait la Société du Mont-Pèlerin qui tirerait les ficelles dans les coulisses pour imposer le libéralisme. Un syndicat suisse la décrivait ainsi comme (sic) « une secte occulte de la mondialisation ultra-libérale [...] infiltrant la pensée unique auprès d'un maximum de chercheurs, penseurs, universitaires »[5]. Cette affirmation ne résiste pas à l'analyse : la Société du Mont-Pèlerin est une simple société de pensée, un lieu d'échanges et de débats. Le relatif secret de ce qui s'y dit exactement suffit cependant à nourrir les fantasmes les plus fous, malgré la publication de nombreuses contributions d'auteurs devant la Société et des études détaillées. En outre, si l'on imagine un instant la possibilité d'un complot, la très longue durée pendant laquelle les idées de la Société du Mont-Pèlerin ont été marginalisées montre bien l'inefficacité totale de ce supposé complot. Et peut-on sérieusement croire que Karl Popper et Ludwig von Mises ou Jacques Rueff, aux idées si différentes, puissent s'allier dans un complot secret démoniaque ?

La variante plus récente de ce complotisme antilibéral voit dans l'Atlas Economic Research Foundation la maison mère de la machination libérale visant à dominer le monde[6]. Illustration de la qualité toute relative de l'analyse, l'article confond l'IREF, un think tank libéral, et un autre IREF, réseau européen de la franchise.

Analyses du conspirationnisme

Ce genre de complots a été qualifié de « fantasme » par l'économiste Serge Schweitzer[7], tandis que le journaliste Jean Quatremer de Libération rend responsable des associations comme Acrimed de cette idée de complot[8].

Alain Wolfelsperger, professeur à Sciences Po Paris, voit plus généralement dans l'antilibéralisme une vision paranoïde qui procède de la théorie du complot[9]. Wolfelsperger qualifie d'« inusable et typiquement paranoïde » la mise en cause du libéralisme et de la démocratie libérale dans ce qui serait pour certains antilibéraux une « omnimarchandisation » du monde. L'économiste français Pierre Cahuc regrette pour sa part que « le complot libéral et anglo-saxon surdétermine toute prise de position », empêchant toute réflexion[10].

Quant à Naomi Klein, l'essayiste suédois Johan Norberg montre la déformation des faits orchestrée par l'auteur pour faire croire à des « catastrophes fabriquées de toutes pièces et appelées à consolider les pouvoirs et les réformes impopulaires ». Prenant l'exemple chinois, il écrit : « par exemple, Klein allègue que la répression de la Place Tiananmen a été destinée à écraser l'opposition aux réformes pro-marchés, quand en fait elle a ralenti la libéralisation pendant des années ».

Murray Rothbard distingue deux types de théories du complot[11] : les théories superficielles, qui cherchent les bénéficiaires directs des actions incriminées (à qui profite le crime ?), et les théories profondes, fondées sur le soupçon et la paranoïa, qui cherchent d'abord qui tire les ficelles et qui s'alimentent d'elles-mêmes par des analyses fouillées et la découverte incessante de preuves (syndrome du vrai croyant). 

 


 

Le conspirationnisme extrême

Poussée à l'extrême, la thèse du complot libéral rejoint un certain nombre de théories complotistes très en vogue sur Internet, bien qu'elles aient toujours existé auparavant. Ces théories expliquent toutes, à leur façon, que le monde est dominé par une cryptocratie, une petite élite de riches (the Cabal, the powers that be, etc.) :

  • la franc-maçonnerie, après avoir été accusée d'avoir favorisé au XVIIIe siècle les idées libérales et combattu la monarchie, puis promu les idées républicaines et la laïcité au cours des siècles suivants, reste soupçonnée, par son secret, d'alimenter la connivence entre le monde politique et le monde des affaires ;
  • les « Illuminati », organisation contrôlant prétendument les affaires du monde au travers des gouvernements et des grandes multinationales, visant à l'établissement d'un Nouvel ordre mondial ;
  • les diverses thèses liées à l'antisémitisme, théories du complot juif ou du complot sioniste, par exemple les « Protocoles des Sages de Sion », plan de conquête du monde établi par les Juifs et les francs-maçons ;
  • le groupe Bilderberg, élément supposé d'une conspiration mondiale visant à instaurer un gouvernement mondial dirigé par les États-Unis ;
  • la Commission Trilatérale, partisane d'une doctrine mondialiste, auquel certains attribuent l'orchestration de la mondialisation économique ;
  • de la même façon, le CFR (Council on Foreign Relations) serait contrôlé par un groupe de personnes issues de sociétés secrètes d'étudiants des universités Yale et Harvard, il œuvrerait à la formation d'un gouvernement mondial ;
  • impliquant à la fois la finance, la politique et la franc-maçonnerie, la Synarchie serait une élite mondiale agissant dans le secret pour imposer ses vues ;
  • en liaison possible avec ces groupes secrets, il y a plusieurs théories exposant l'influence supposée des Nazis après-guerre, tant d'un point de vue scientifique que financier (par exemple Joseph P. Farrell) ;
  • en ufologie, la principale thèse conspirationniste est celle du Majestic 12, ou MJ-12, groupe secret supposément établi en 1947 par Harry Truman, après l'incident de Roswell ; ce groupe aurait secrètement mené pour son propre bénéfice privé une rétro-ingénierie de la technologie extraterrestre, il garderait ses découvertes secrètes (ou à la disposition uniquement de l'armée US)[12] ; ces découvertes seraient tellement avancées qu'elles ne pourraient être divulguées de crainte d'une rupture civilisationnelle, elles doivent donc rester aux mains d'une élite compartimentée (breakaway civilization) ;
  • à la fois les Jésuites (ou les chevaliers de Malte) et des hominidés non sapiens (de type Homo Capensis, communément surnommés coneheads) sont mis en cause par une whistleblower de la World Bank, Karen Hudes, qui explique que d'énormes stocks d'or seraient délibérément soustraits de la circulation depuis des décennies par une élite cachée au Vatican. La Fed, la BRI, le FMI et d'autres entités internationales fausseraient les marchés et endetteraient délibérément les pays.

Plusieurs de ces théories du complot sont parfois défendues par des personnalités de premier plan, par exemple Paul T. Hellyer, ancien ministre de la Défense canadien, les soutient dans son livre The Money Mafia - A World in Crisis (2014), un mélange détonnant entre Bilderberg, Trilatérale, extraterrestres, etc. Il affirme que la mondialisation est un complot pour éliminer la classe moyenne au profit des multinationales.

On peut également rattacher à une forme de conspirationnisme les thèses modernes sur ce que Peter Dale Scott appelle « supramonde » ou « État profond » : un cercle informel et non hiérarchisé de contacts de haut niveau, souvent personnels, où le pouvoir politique est contrôlé par des gens très riches. En découle la « politique profonde », caractérisée par des événements non expliqués, tels que l'assassinat de Kennedy, le Watergate, les attentats du 11 septembre 2001.

Un autre type de théories du complot, entre économie et science, met en cause certaines sociétés multinationales (voire certains États) qui feraient obstacle par tous les moyens à la diffusion d'inventions révolutionnaires : moteur à eau, énergie libre ou énergie du vide, antigravité, traitements miracles contre le cancer ou le SIDA, etc.

Certaines thèses conspirationnistes ne sont pas nécessairement fausses, mais elles sont improuvables. Elles s'alimentent elles-mêmes sur le marché cognitif par mise en œuvre de divers procédés : méthode hypercritique, renversement de la charge de la preuve, biais de confirmation d'hypothèse, sources non vérifiables, hyper-rationalisation, importance du soupçon. Les différentes théories du complot se confirment entre elles (les unes exploitant ou rejoignant les hypothèses des autres) ou s'opposent entre elles (ainsi une théorie du complot explique que l'homme n'est jamais allé sur la Lune, une autre affirme qu'il y était déjà allé bien avant 1969).

Par ailleurs, même si certaines de ces théories étaient vraies, ce n'est pas du libéralisme qu'elles relèveraient, mais du capitalisme de connivence ou de la corruption.

Qu'est ce qui pousse vraiment à l'adoption de réformes libérales ?

Cette idée d'un complot libéral étant fausse, qu'est ce qui pousse vraiment tant de pays à travers le monde sur la voie de la libéralisation ? Norberg nous fournit la réponse : ces réformes d'inspiration libérale fonctionnent au profit de chacun, à l'opposé des mesures planificatrices qui appauvrissent la situation de tous. Ce qui explique, à rebours du présupposé conspirationniste de Naomi Klein sur la nécessité de complots secrets pour imposer le libéralisme, la popularité de l'économie de marché, qu'elle se manifeste par des sondages[13] ou quand les individus votent avec leurs pieds.

Un fantasme révélateur

Searchtool-80%.png Article connexe : ordre spontané.

Ce fantasme, contemporain ou plus ancien, d'un complot libéral, permet de réaliser la difficulté de certains à saisir la spécificité d'un ordre libéral ou ordre spontané.

De nombreux penseurs ont développé cette notion d'un ordre spontané d'une société fondée sur la liberté, fruit de l'interaction des hommes et non d'un dessein planificateur visible ou invisible (le fameux complot). Parmi ceux-ci, Zhuangzi au IIIe siècle avant J.C., Bernard Mandeville au XVIIIe siècle avec La Fable des abeilles, suivi par les philosophes des Lumières écossaises, David Hume, Adam Ferguson et Adam Smith (avec l'image souvent caricaturée de la main invisible) puis Frédéric Bastiat avec ses Harmonies économiques au début du XIXe siècle, c'est avec Friedrich Hayek qu'il trouve son exposé le plus complet.

Tous insistent sur cet ordre qui naît spontanément, sans dessein mais de la libre interaction entre les individus. Vouloir plaquer dessus un complot est donc une absurdité complète. Absurdité qui a cependant l'avantage pour ses tenants de permettre la désignation d'un bouc émissaire plus facile à combattre. 


Complot antilibéral

De même que les antilibéraux affirment l'existence d'un complot libéral, les libertariens pourraient affirmer l'existence d'un complot antilibéral, qui tente de répandre la fiction selon laquelle l'action politique serait utile et indispensable. Ce complot antilibéral repose sur :

  • les médias subventionnés, qui évoquent constamment les réalisations, voire les succès politiques des uns et des autres, droite comme gauche, et attire l'attention sur la politique politicienne plutôt que sur l'échec permanent de l'action politique coercitive ;
  • le corporatisme syndical qui prétend promouvoir les acquis sociaux existants ou futurs ;
  • le capitalisme de connivence, qui prétend que l'intérêt du pays passe par les grandes entreprises et grandes banques, qui à ce titre doivent bénéficier de privilèges, du protectionnisme ou d'un planisme étatique.

 

Bibliographie

Voir aussi

Liens externes

 https://www.wikiberal.org/wiki/Complot_lib%C3%A9ral

 


Le fantasme du complot libéral


Les pourfendeurs de la pensée unique ne se rendent-ils pas compte qu'ils sont précisément les agents et les promoteurs de ladite pensée unique ? Qu'ils soient chroniqueurs, humoristes, journalistes, politologues, experts officiels, ils sont partout, sur tous les plateaux de télévision, sur les ondes radios et distillent en permanence la pensée convenue et conformiste qui consiste à réciter tous les couplets de l'antilibéralisme. Se croyant originaux et impertinents, ils se conforment en fait tous au même moule. Ils croient dépasser les bornes et jouent à merveille le rôle de gardien de la pensée conforme. Car le conformiste est antilibéral.

Dans le milieu académique, c'est encore plus flagrant. Il existe notamment un débat récurrent consistant à dénoncer la formalisation outrancière de la science économique en y voyant le signe de l'hégémonie de la "pensée ultralibérale". C'est un des traits singuliers de la pensée conformiste que de voir un " complot libéral " partout, notamment camouflé dans les équations des modèles macroéconomiques.

Les mathématiques seraient le cheval de Troie du grand satan libéral. Pourtant, le besoin de mesure, de formalisation et d'abstraction de la science économique est en grande partie le résultat de la volonté de planification et d'expérimentation de politiques économiques et de réglementations.
Pour prévoir et évaluer les rentrées fiscales liées à l'adoption d'un nouvel impôt, encore faut-il disposer d'un modèle macroéconomique fondé sur des hypothèses très précises. Ceux qui modélisent ont toujours la prétention, pour ne pas dire la vanité, de contrôler les phénomènes économiques et sociaux. Et ils iront jusqu'à s'en prendre aux individus réels si ces derniers ne se comportent pas comme leurs équations l'auraient prévu.
Voyez comment le pouvoir politique s'en prend aux restaurateurs qui n'ont pas joué le jeu de la répercussion de la baisse de la TVA dans le prix des menus parce que les modèles avaient sans doute prévu un tel effet.

Quand un acteur de l'économie ne se comporte pas comme les équations l'avaient prévu, ne faut-il pas revoir les équations plutôt que de contraindre les acteurs ? Un chercheur ne construit pas un modèle en fonction des résultats qu'il désire ; il se doit de formaliser une réalité qui lui est extérieure et qui échappe à sa volonté.

Tout le programme de recherche actuel de la "nouvelle micro-économie" est d'établir qu'il n'est pas optimal de laisser des individus libres de prendre des décisions en fonction de leurs intérêts privés. Et toute la formalisation est orientée en ce sens. Un chercheur qui tenterait de prendre une direction opposée ne trouverait plus de financement ni de laboratoire d'accueil. Pourtant, nous sommes à la limite du scientisme car l'intention est contenue dans les hypothèses : exit la main invisible. D'ailleurs, pour le prix Nobel Joseph Stiglitz, si elle est invisible cette fameuse main, c'est probablement qu'elle n'existe pas ! Si les physiciens raisonnaient ainsi, alors les ondes ou les trous noirs n'existeraient pas. Les manuels modernes d'économie présentent " les défaillances du marché " comme des postulats que l'on ne saurait remettre en question, et qui rendent l'action publique autant indispensable que providentielle. Car c'est bien connu que l'action publique n'est frappée d'aucune de ces défaillances inhérentes à l'action privée… Et l'économiste qui prendrait le risque de prétendre le contraire ne peut plus prétendre faire carrière.

La "nouvelle théorie du commerce international s'inscrit dans cet élan similaire pour démontrer que l'on ne saurait faire confiance au libre-échange pour obtenir des échanges internationaux harmonieux. Il n'aura en effet échappé à personne que les négociations collectives organisées sous l'égide de l'O.M.C., qui voient s'affronter les corporatismes nationaux au risque de dégénérer en guerre économique larvée, constituent un modèle d'harmonie internationale.
Rappelons que l'OMC est issue d'une transformation du G.A.T.T. Mais les missions du GATT étaient claires : il s'agissait d'abaisser les tarifs douaniers - ce qui a été accompli essentiellement dans l'industrie - en vue de fluidifier le commerce international. L'OMC prétend " réguler " le commerce entre les nations en imposant des normes qualitatives (environnementales, sociales, sanitaires) qui font ressurgir les tentations protectionnistes. Mais la définition de pareilles normes est bien plus problématique et leur généralisation est perçue par les pays moins avancés comme un protectionnisme déguisé mis en œuvre par les pays développés.

Pareillement, la "nouvelle économie du travail" montre que le chômage n'est pas le résultat d'entrave au libre fonctionnement du marché. Les théoriciens ont alors inventé le concept de "chômage d'équilibre" selon lequel le chômage résulte du jeu des décisions d'agents rationnels. Il en découle qu'il n'est pas " optimal " pour la collectivité de laisser des individus rationnels s'entendre autour d'un contrat de travail librement négocié en vertu de ces imperfections concurrentielles qui aboutissent à générer du chômage structurel. Là aussi, les négociations collectives encadrées par les partenaires sociaux - qui n'ont qu'un seul leitmotiv : la grève générale - constituent sans doute un modèle qui nous permet d'éviter ce chômage imputable aux forces du marché et il n'aura échappé à personne que le " dialogue social " à la française est un modèle d'harmonie collective.

Enfin, la "nouvelle théorie de la croissance" repose sur des modèles dynamiques dits de " croissance endogène " qui font de l'Etat un "planificateur bienveillant" indispensable à la régulation d'ensemble. Ces quelques exemples montrent que, loin d'assister à une hégémonie de la pensée libérale dans les milieux académiques, c'est à un retour en force des conceptions interventionnistes - relookées sous le vernis de fondements microéconomiques savants et de bons sentiments - que nous assistons depuis plus de 25 ans. Et les derniers prix Nobel d'économie (Stiglitz, Krugman, Williamson et Ostrom) confirment cette tendance lourde. Dans ce contexte, il est pour le moins cocasse de parler de libéralisme triomphant. Le libéralisme recule - et ses ennemis s'en réjouissent - sans doute parce que les hommes ne sont plus à la hauteur des valeurs exigeantes qu'il implique. Les " idiots utiles " nous racontent que le capitalisme n'obéit à aucune valeur ni morale. En fait, l'économie ne fonctionne plus quand les hommes oublient les valeurs hautement morales qu'une économie de liberté et de responsabilité implique.

Jean-Louis Caccomo, Perpignan, le 28 octobre 2009

http://libertariens.chez.com/fantasme.htm

 

Radio libre Rothbard ( https://cdn.mises.org/20_2_2.pdf )

Dans presque tous les débats concernant la FCC en particulier, ou la politique américaine du spectre en général, quelqu'un affirme que le spectre radioélectrique est une ressource unique appartenant au public. Cette affirmation est présentée comme une évidence, un point de départ plutôt que la conséquence historique de groupes d'intérêts particuliers feignant de méconnaître les lois de l'économie.  

On a causé plus de tort au public au nom de « l'intérêt général » que les intérêts privés n'auraient jamais pu en causer dans un marché libre. Pourtant, le public a tendance à réclamer davantage d'intervention, et non moins. Le cas de la radio en est un exemple typique. Je me propose d'examiner, dans une perspective rothbardienne, l'histoire, l'économie et l'avenir potentiel des technologies sans fil américaines.

B.K. Marcus

https://mises.org/journal-libertarian-studies/radio-free-rothbard?d7_alias_migrate=1 

 

juin 28, 2015

Connaissez-vous le néo-socialisme appelé par les uns: ÉCOSOCIALISME ("Faire sauter le verrou des traités libéraux") ÉCOFASCISME PAR LES AUTRES ??

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


Sommaire:

A) L’écosocialisme, le socialisme du 21ème siècle - Par Martine Billard - http://ecosocialisme.com

B) Premier manifeste : 18 thèses pour l’écosocialisme - par Clément Sénéchal - ecosocialisme.com

C) Entretien de Corinne Morel Darleux sur l’écosocialisme avec l’Association Culturelle Joseph Jacquemotte - par

D) Écofascisme de Wikiberal

E)  Rio+20 : L’écologie à laquelle nous avons échappé - Par Pierre Clermont - Contrepoints


A) L’écosocialisme, le socialisme du 21ème siècle

L’écosocialisme, est-ce verdir le socialisme ou repeindre en vert le capitalisme ? (Tribune parue dans le journal l’Humanité en réponse à une tribune de Yannick Jadot donnant son point de vue sur le sujet).

Faire reculer l’emprise du capitalisme


Le texte de Yannick Jadot, dans le débat sur l’écosocialisme ouvert par l’Humanité témoigne de la volonté d’engager, bien au-delà d’EELV, un débat de fond entre les forces qui se réclament de l’écologie, dont le Parti de gauche, sur les moyens et les médiations politiques susceptibles d’engager une transition écologique rendue plus que jamais incontournable. Le député européen exprime, comme une grande partie de la gauche, son scepticisme sur le « marché libre et non faussé au mépris des citoyens ». On ne peut s’empêcher d’y voir une critique en creux de la politique européenne actuelle largement soutenue par le gouvernement français. Mais, en même temps, cette tribune, bien que dressant un constat avec lequel nous avons beaucoup de points en commun, demeure floue.

Ainsi, se contenter de refuser de « verdir le socialisme ou de repeindre en vert le capitalisme » nous semble vraiment trop court. Plus explicitement, Pascal Durand, secrétaire national d’EELV, expliquait que son projet n’était pas écosocialiste mais « éco-écologiste » (interview dans Politis) renvoyant, à l’instar de l’idéologie libérale, le socialisme au musée des archaïsmes. Il y a là un désaccord de fond. Si l’écologie analyse avec pertinence les rapports entre l’homme et son environnement, elle ne dit rien en revanche des rapports entre les êtres humains. Les rapports sociaux, et encore plus la question de la propriété des moyens de production, ont toujours été un des points aveugles de la doctrine verte. D’où l’incompréhension de l’importance du dépassement du capitalisme. Il ne s’agit pas d’ajouter une touche de modernisme à un ensemble vermoulu mais de procéder à une nouvelle synthèse, l’écosocialisme, pour faire face aux exigences du XXIe siècle. Nous n’avons jamais proposé d’attendre la sortie du capitalisme pour engager la transition écologique. Mais pour répondre réellement au défi écologique, il faut faire reculer la logique marchande et donc l’emprise du capitalisme sur la société.

L’autre divergence porte sur le cadre spatial et les moyens de changement de modèle. Yannick Jadot exprime sans fard son aversion tant pour l’État central qualifié d’« autorité jalouse » qu’en direction de la nation assimilée aux « chimères d’une nouvelle ligne Maginot ». Si la lutte contre le réchauffement climatique doit être mondiale, car les gaz à effet de serre ne respectent pas les frontières, les pays riches ont toutefois une responsabilité particulière liée à leur mode de vie et aux gaspillages du passé. De la même manière qu’il ne s’agit pas d’attendre la société socialiste pour se préoccuper d’écologie, on ne peut pas non plus espérer que tous les pays se mettent d’accord pour engager le chemin vers la transition écologique. Si nous appelons à un nouvel internationalisme, c’est-à-dire une coopération entre les peuples à mille lieues de la lutte de tous contre tous que supposent la « compétitivité » et le libre-échange, l’État nation reste, pour de nombreuses années encore, le meilleur outil pour organiser la régulation et les politiques écologiques. Sinon, nous nous condamnons à l’impuissance. Ce n’est pas un hasard si l’État constitue la cible principale des politiques libérales du FMI et de l’Union européenne. Au surplus, il est impératif de penser l’avenir en termes de relocalisation industrielle, d’autosuffisance alimentaire et de circuits courts, ce qui exclut la fuite en avant dans la mondialisation au profit des multinationales.

L’État n’est pas diabolique par essence mais exprime les rapports de forces entre les classes à un moment donné, il n’a pas d’autonomie en soi.
Il n’est pas voué à construire des centrales nucléaires et à promouvoir l’agriculture intensive. La planification écologique, c’est l’État au service de la transition. Yannick Jadot mélange donc dans sa critique orientations politiques de la social-démocratie, qui n’a toujours pas compris la nature des enjeux écologiques, et projet de société nécessaire au dépassement du capitalisme. La conversion écologique ne peut effectivement se réduire à verdir des politiques sociales-démocrates qui ne sont que des politiques productivistes. Cela n’a rien à voir avec l’écosocialisme.

Martine Billard



B) Premier manifeste : 18 thèses pour l’écosocialisme

L’écosocialisme est le mélange détonant entre un socialisme débarrassé de la logique productiviste et une écologie farouchement anticapitaliste. Loin d’un modèle abstrait, il propose une alternative concrète pour affronter la crise écologique qui menace l’humanité. En défendant l’intérêt général humain, il renouvelle la pensée républicaine en proposant aux peuples souverains de remettre le système productif et l’économie au service du progrès humain et des besoins réels.
 
Ce premier manifeste en 18 thèses est à la fois le premier résultat et le début d’une démarche ouverte lancée par les Assises pour l’écosocialisme initiées par le Parti de Gauche le 1er décembre 2012 à Paris, avec de nombreuses personnalités, associations, syndicats et revues. Construire le projet écosocialiste est un investissement politique essentiel pour l’avenir de l’autre gauche, en France et à l’étranger.

QU’EST-CE QUE L’ECOSOCIALISME ?

1) Une alternative concrète et radicale. L’écosocialisme n’est pas une utopie à laquelle le réel devrait se conformer. C’est la réponse humaine raisonnée à la double impasse dans laquelle est enfermée dorénavant l’humanité en raison des modes de production et de consommation de notre temps qui épuisent l’être humain et l’environnement. Elle appelle une pensée et une action politique radicale, au sens où elle doit aller à la racine des causes. Nous combattons donc les deux moteurs du système actuel : le capitalisme et le productivisme. Le capitalisme impose la marchandisation pour faire de toute chose une nouvelle source de dividendes. Il est ainsi responsable du creusement des inégalités sociales et de la mondialisation à l’œuvre, libérale et liberticide, où règne le dumping social et environnemental avec la délocalisation des pollutions et des altérations de l’écosystème. Le productivisme épuise les ressources naturelles et perturbe le climat. L’idéologie consumériste est son corollaire. Elle élève l’accumulation matérielle au rang de loi, à grands coups de publicité pour générer des besoins jamais rassasiés. Nous désignons les vrais coupables de ce système : l’oligarchie financière mondialisée, les gouvernements soumis aux lobbies des multinationales sans contrôle démocratique, les idéologues de la concurrence « libre et non faussée », du capitalisme vert et du libre échange. Face à eux, l’écosocialisme est une alternative pour sortir de la crise et imposer l’intérêt général humain : partager les richesses sans attendre, fonder une nouvelle économie des besoins et de la sobriété, préserver le climat, l’écosystème et sa biodiversité.

2) Un paradigme de l’intérêt général. Dans la réalité, avant toute idée humaine sur le sujet, l’être humain est partie intégrante de l’écosystème dans lequel il vit. Ils ne peuvent être dissociés. Il n’y a qu’un seul écosystème global compatible avec la vie humaine. Dès lors, nous sommes tous semblables dans notre dépendance à l’écosystème. Cette vérité s’impose à tous, en dépit de nos différences de tous ordres.  Il y a donc un intérêt général humain qui est lié à celui des autres espèces vivantes : préserver l’écosystème qui rend la vie humaine possible. Comment l’identifier sinon par la libre délibération collective ? Comment celle-ci pourrait-elle être libre si les uns dominent les autres, si des vérités révélées s’imposent en préalable ? Le paradigme écologiste appelle donc la démocratie, l’égalité sociale, la laïcité et le féminisme. Ce sont des conditions indispensables pour que le débat citoyen puisse avoir lieu sans intrusion de force oligarchique, dogmatique ou patriarcale. Enfin, dans la délibération pour déterminer l’intérêt général humain, chacun d’entre nous est appelé à dire non pas ce qui est bon pour lui mais ce qui est bon pour tous. Cela institue l’universalité des droits humains, la citoyenneté comme devoir et la République comme nécessité. Tel est le lien raisonné qui unit l’écologie politique et la République sociale universelle. C’est cette théorie politique globale que nous nommons écosocialisme. Il s’agit d’un humanisme et d’un universalisme socialiste et concret.

3) Une nouvelle synthèse politique à gauche. L’écosocialisme est un nouveau projet politique réalisant la synthèse d’une écologie nécessairement anticapitaliste et d’un socialisme débarrassé des logiques du productivisme. Il permet ainsi la jonction des grands courants de la gauche dans un nouveau paradigme politique. Nous avons besoin de ce projet de société alternatif au capitalisme. Il trace une ligne d’horizon dans la lutte pour une société d’émancipation et de progrès où le saccage de l’environnement et l’exploitation de l’homme par l’homme auront disparu. Notre projet écosocialiste prend en compte les besoins humains et les limites de la planète. Il repense l’utilité sociale de la production, nos manières de consommer, nos besoins réels, la finalité de nos produits et la manière de les produire.

4) Le renouveau du socialisme. Le socialisme a toujours visé l’émancipation de la personne humaine. Elle passe par le partage de la richesse, la démocratisation du pouvoir et l’éducation globale de  chaque femme et chaque homme. Ce programme est toujours le nôtre. Mais nous savons dorénavant que l’émancipation ne peut être atteinte par la croissance sans fin : l’écosystème qui rend la vie humaine possible ne le permet pas. Ce constat oblige à définir un nouveau modèle de progrès en rupture avec le système capitaliste. Doivent être repensés non seulement le système de production et d’échange, mais aussi le contenu des productions et les modes de consommation. Cette approche implique par conséquent l’ensemble de l’organisation sociale et politique. Elle nous oblige à penser de façon nouvelle ce qu’est véritablement le progrès humain dans la perspective de la préservation de l’écosystème. Dans ces conditions, nous proposons un nouvel énoncé de la stratégie émancipatrice pour le futur de l’humanité. Cette nouvelle conscience et son programme d’action sont l’écosocialisme. Ses méthodes sont la radicalité concrète, la planification écologique et la révolution citoyenne.

SORTIR DES IMPASSES IDÉOLOGIQUES
5) Le mensonge du capitalisme vert, les risques de l’environnementalisme. Notre écologie est sociale, elle prolonge les combats historiques de la gauche. Nous rejetons la mystification représentée par une certaine vision de l’écologie qui se veut compatible avec le libéralisme. Nous dénonçons le « capitalisme vert », qui sous couvert de développement durable offre un nouvel espace à la mainmise de la recherche du profit maximal, alimente la dynamique impérialiste et le court-termisme. Nous refusons le discours écologiste qui se contente de culpabiliser les individus. Il s’abstient ainsi de souligner la responsabilité majeure du productivisme sans frein. Il renonce à s’attaquer aux modes de production et de consommation capitalistes et refuse de voir qu’ils exploitent les plus précaires et pillent les pays du Sud. Nous refusons ce que serait une écologie de salon coupée des classes populaires, sans critique sérieuse de l’économie mondialisée, dépourvue de vision sociale et dès lors d’efficacité environnementale. Notre écologie à nous aborde les questions d’environnement en faisant systématiquement le lien avec la critique du système économique et avec les luttes sociales, en y impliquant l’ensemble des citoyens.

6) L’impasse sociale-démocrate. Nous réfutons la doctrine sociale-démocrate qui voudrait que toute redistribution des richesses passe d’abord par la relance de la croissance du PIB et la hausse de la consommation matérielle globale. C’est un double contre-sens. D’une part, elle maintient la puissance du capital financier et suppose que la répartition de la richesse s’organise à partir « des fruits de la croissance ». Elle ne s’attaque pas à l’accumulation déjà acquise. Or nous savons que les richesses existent, et qu’il n’y a pas lieu d’attendre pour les redistribuer. Ce qui est en cause c’est l’accaparement de ces richesses via la prédation du capital. D’autre part, cette doctrine repose sur un modèle d’expansion infinie qui est un suicide de la civilisation humaine. Le PIB est un indicateur qui ne reflète pas le bien vivre dans une société. Il est bien sûr impératif que chaque être humain puisse accéder aux biens fondamentaux. Bien sûr, la relance des activités d’intérêt général est indispensable. Pour autant, la relance d’une croissance économique aveugle n’est pas de nature à répondre aux urgences sociales. Elle est encore moins souhaitable ni tenable du point de vue de la préservation de l’écosystème, des ressources naturelles et du climat. Nous n’attendons donc ni la reprise de la croissance ni les effets bénéfiques de l’austérité : nous ne croyons ni à l’une ni aux autres.

INSTAURER UNE NOUVELLE ÉCONOMIE POLITIQUE AU SERVICE DU PROGRÈS HUMAIN
7) Mettre l’économie au service des besoins. L’écosocialisme veut mettre l’économie et le système productif au service des besoins humains. En cela, il s’oppose à la « politique de l’offre » défendue par les libéraux. Nous refusons cette logique productiviste qui consiste à produire tout et n’importe quoi dans n’importe quelles conditions pour l’écouler sur un marché par des dépenses publicitaires. Comment ne pas voir aussi que dans cet objectif, pour augmenter ses profits, le système nous vend des produits programmés pour tomber en panne et devenir démodés de plus en plus vite ? Comment supporter plus longtemps le gâchis des déchets croissants de notre civilisation ? Comment fermer les yeux sur le fait que beaucoup sont exportés vers les pays du Sud au détriment de la santé des populations et de leur environnement ? Nos décisions collectives doivent au contraire être guidées par la satisfaction des besoins réels. C’est le sens de la planification écologique. Elle inverse cette logique en partant des besoins, du devoir de préserver l’écosystème et du droit de tous à vivre dans un environnement sain. Elle met le système productif en adéquation avec ces impératifs.

8) Rompre avec les schémas de pensée traditionnels. L’écosocialisme remet en cause la dictature des intérêts particuliers et de la propriété privée des moyens de production. Il questionne le rapport au travail. Nous prônons l’appropriation sociale des moyens de production et les propositions alternatives de l’économie sociale et solidaire en termes d’autogestion et de coopératives. Nous défendons la souveraineté budgétaire et la nationalisation comme outil de politique publique, notamment en matière de services bancaires et de crédit. Indice de progrès humain, démondialisation et protectionnisme social et écologique, dotation inconditionnelle d’autonomie et salaire socialisé, revenu maximum autorisé sont autant de perspectives que nous avons à l’esprit pour sortir des sentiers battus et éviter le piège d’un accompagnement du système. Il nous faut également aller plus loin en matière de réduction drastique du temps de travail : « travailler moins pour travailler tous et mieux », fixer le plein emploi comme horizon tout en interrogeant les finalités du travail. Rien ne sert de travailler davantage que le temps utile à produire ce qui nous est nécessaire. Le temps ainsi libéré pourrait utilement être affecté à des activités considérées aujourd’hui comme « improductives » et pourtant combien essentielles au bien vivre.

9) Produire autrement. La révision en profondeur de notre système de production repose sur ce que nous appelons les « 4 R » : relocalisation de l’activité, réindustrialisation écologique, reconversion de l’outil industriel et redistribution du travail. De nombreux besoins non satisfaits existent : dans une industrie relocalisée, dans les services aux personnes, dans l’agro-écologie et l’agriculture paysanne au service de la souveraineté alimentaire et de la santé de tous,  dans la recherche et les filières « vertes » visant à réduire notre dépendance aux ressources épuisables (écoconstruction, efficacité énergétique, rénovation thermique, énergies renouvelables…). Avec l’augmentation du chômage et la crise sociale, l’argument de l’emploi est trop souvent mis en avant contre l’impératif de la protection de l’environnement. C’est une absurdité : on voit aujourd’hui le coût économique et social du laisser-faire libéral, là où la relocalisation et la transition écologique permettraient au contraire de conserver, transformer ou créer de nombreux emplois, locaux et pérennes, dans tous les pays.

10) Instaurer la règle verte comme boussole politique. La « règle verte » est notre indicateur central de pilotage de l’économie. Elle remplace « la règle d’or » des politiques d’austérité et « d’ajustement structurel » imposés par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, la Commission européenne et la Banque centrale européenne. Elle vise à assurer notre responsabilité devant l’humanité et son écosystème en supprimant la dette écologique. Elle associe la nécessaire réduction de certaines consommations matérielles et la nécessaire relance de certaines activités avec la prise en compte systématique de l’empreinte écologique générée. En plus des dégâts déjà commis à rattraper en matière d’émissions de gaz à effet de serre et de perte de biodiversité, nous adoptons comme moyen d’évaluation des politiques publiques, de retarder chaque année le « jour du dépassement global». Il s’agit de la date où nous avons prélevé à l’échelle mondiale le volume de ressources renouvelables égal à ce que la planète est en mesure de régénérer et où nous avons produit les déchets qu’elle est capable de digérer. Notre objectif est de la repousser au 31 décembre, c’est-à-dire de neutraliser notre empreinte écologique. Cela implique la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre et l’arrêt du nucléaire qui produit des déchets radioactifs que nul ne sait gérer et qui comporte des risques inacceptables pour les êtres humains comme pour l’écosystème.

 CONSTRUIRE LA RÉVOLUTION ECOSOCIALISTE
11) Les luttes doivent converger. Notre objectif de rupture civilisationnelle impose que l’action politique soit le fait du plus grand nombre. Il s’agit de rassembler et d’agir, non de se contenter d’avoir raison entre convaincus, ou pire, de dresser les uns contre les autres : nous nous situons aux côtés des salariés et des exclus du système qui résistent et sont porteurs de projets alternatifs sociaux et environnementaux. La reconversion écologique ne se fera pas sans eux, encore moins contre eux. Nos adversaires dans cette bifurcation radicale de société ne sont pas les chercheurs ou les salariés de l’industrie, mais bien les banques, les multinationales et les actionnaires qui orientent la production en fonction de leurs intérêts privés et non de l’intérêt général.

12) Lutter et résister pour inventer. La révolution écosocialiste combine propositions programmatiques et présence dans les luttes sociales et environnementales, aux côtés de toutes celles et ceux qui résistent. Les citoyens engagés dans ce projet s’impliquent dans le développement d’expérimentations et alternatives concrètes : circuits courts, associations pour le maintien de l’agriculture paysanne, soutien aux ceintures vivrières et actions contre l’artificialisation des sols, collectifs de villes en transition, reprise d’entreprises par les salariés, systèmes d’échanges locaux, épargne citoyenne et monnaies complémentaires, habitat collectif et co-voiturage… Ils sont actifs dans des actions de désobéissance civique non violente, opérations anti-publicité ou réquisitions de logements vides. Les élus du peuple pour le projet écosocialiste s’engagent  dans une démarche cohérente entre leurs discours et leurs actes. Ils font vivre la gauche par l’exemple en prenant des mesures d’interdiction de la publicité, de retour en régie publique de l’eau, de renchérissement du mésusage ou encore d’extension de la gratuité des services publics.

13) Mettre en œuvre la planification écologique. La planification écologique impose la prise en compte du temps long et la maîtrise publique, le tout placé sous contrôle des citoyens, travailleurs et  usagers. Le problème n’est pas l’industrie, la recherche ou la technique en soi, mais bien l’absence de choix et de contrôle citoyen. Une révolution citoyenne est nécessaire pour conquérir cette capacité de contrôle.   Tel est le mélange détonant d’utopisme révolutionnaire et de technicité auquel nous aspirons.  Le Plan écologique donne la possibilité d’organiser la bifurcation vers un autre mode de développement, en interrogeant nos besoins et en réorientant production, échange et consommation en vertu de leur utilité sociale et écologique. Le secteur de la recherche doit se réorganiser autour de l’intérêt général et des besoins réels, et inventer de nouvelles formes participatives par le biais par exemple de conventions de citoyens. L’école publique, à travers les voies professionnelles, technologiques et générales, doit organiser l’élévation des connaissances et des qualifications à tout âge afin de réussir cette bifurcation et faire émerger de nouvelles filières. Des « conférences de participation populaire » doivent être organisées pour redéfinir les critères d’utilité sociale et environnementale et l’articulation entre les différents échelons, des politiques européennes aux actions locales. La planification écologique organise l’intervention continue des salariés dans la gestion des entreprises, dans le prolongement de la convergence croissante des luttes sociales et environnementales.

14) Pas d’égalité et de République sociale possibles sans Constituante ! Nous affirmons l’exigence d’un haut niveau de culture commune par l’école publique incluant l’éducation à l’environnement. Sinon comment rendre possible l’émancipation individuelle et collective, seule à même de permettre le consentement à un contrat social partagé par tous ? Le projet écosocialiste réaffirme le rôle de l’État, de la collectivité et des services publics, indispensables pour planifier la rupture, construire une société émancipatrice et garantir l’égalité d’accès aux droits fondamentaux pour tous, partout. Ils doivent être refondés par le moyen d’une assemblée constituante. Celle-ci doit renouveler de fond en comble les formes institutionnelles et mettre en place les moyens démocratiques qui rendront possibles l’implication citoyenne permanente et la souveraineté populaire en tous domaines. Car la tâche révolutionnaire est immense. Nous appuyons en effet la mise en place d’un « ménagement » du territoire à rebours de l’étalement urbain, de la concentration des populations dans des mégalopoles et de la mise en concurrence des territoires. Nous militons pour un nouvel urbanisme qui rapproche les fonctions indispensables au « bien vivre » (services publics de santé et d’éducation, logement, activité professionnelle, culture et loisirs, biodiversité, agriculture paysanne). Nous refusons la marchandisation du vivant et les OGM, ainsi que la financiarisation des biens communs comme l’eau, l’énergie et le savoir,  et la privatisation des services publics. Ceux-ci doivent faire l’objet d’une gestion publique en repensant l’articulation entre l’État, garant de l’égalité républicaine, les collectivités locales et l’action des citoyens, syndicats, associations et usagers.

15) Mener la bataille culturelle. Le projet écosocialiste mène son  combat  idéologique par l’éducation populaire. Il veut décoloniser l’imaginaire. Il dénonce la programmation d’un individu-consommateur docile, soumis aux avis de prétendus experts et aux impératifs du productivisme qui nous fait désirer des productions nuisibles et inutiles, fabriquées à l’autre bout de la planète dans des conditions de travail indignes et sous des législations environnementales défaillantes voire inexistantes. Il combat les bras armés du productivisme que sont la publicité, avec son cortège de marchandisation des corps et de sexisme, la mode et les médias, relayés par les organismes de crédit, qui nous conditionnent et nous soumettent à une injonction d’achat et de gaspillage permanents. Cette bataille idéologique est aussi une bataille de vocabulaire. Nous refusons la politique de l’oxymore et la novlangue libérale : le « prix du travail » qui devient un « coût », les cotisations sociales des « charges », les « gardiens de la paix » renommés « forces de l’ordre », la vidéosurveillance « vidéoprotection », ou encore le nucléaire déguisé en énergie « propre et décarbonée ».

16) Faire sauter le verrou des traités libéraux. A l’échelle mondiale, nous dénonçons les accords promus par l’Organisation mondiale du commerce, accords de libre échange et accords de partenariat économique qui contribuent à l’épuisement des ressources naturelles, à l’exploitation des peuples du Sud et au dumping social dans les pays dits développés. Parce qu’elle est la première zone économique du monde, l’évolution de l’Union européenne implique toute la planète. Sa politique libérale est verrouillée par les traités actuels et les plans d’austérité. Établis sous la houlette de lobbies économiques et financiers, ils ont tous en commun de prévoir la disparition des services publics, l’extension du domaine marchand et du libre-échange. Cela provoque à la fois gâchis dû aux compétitions mercantiles, et destruction des services publics et biens communs au profit des intérêts privés. L’Europe libérale et austéritaire empêche aussi de maîtriser et d’orienter le contenu de la production et de l’échange vers des objectifs de progrès humain. Dans ces conditions, nous assumons qu’une politique écosocialiste en Europe passe par la désobéissance à l’Europe libérale et à ses directives. Il faut pour cela construire d’autres rapports de force entre les citoyens, le pouvoir de la finance et celui des institutions anti-démocratiques de l’Union européenne. Si l’échelon européen peut être pertinent pour de grandes politiques environnementales et sociales, leur mise en œuvre ne sera possible que par la construction d’une autre Europe, sous le contrôle démocratique des peuples.

17) Porter un combat internationaliste et universaliste. Il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine. Il faut en tirer les conséquences dans tous les domaines. Les décisions  prises à un endroit sur la planète ont des répercussions partout ailleurs. Le projet écosocialiste implique la reconnaissance de la responsabilité des pays dits du Nord, de l’Organisation mondiale du commerce, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale vis à vis des peuples dits du Sud. Il dénonce la compétition organisée en lieu et place de la coopération,  le productivisme et ses effets sur le climat mondial, le pillage des ressources naturelles, l’accaparement des terres arables, ou encore l’austérité imposée par la Troïka. Il induit la reconnaissance de la Déclaration universelle des Droits de l’homme et  la création d’un Tribunal international des crimes contre l’environnement. L’écosocialisme nous impose de contribuer aux débats liant politiques de développement et de progrès social, et préservation de l’environnement. Pour cela, nous soutenons et nous inspirons des alternatives à l’étranger : révolutions citoyennes et Printemps arabe, refus de la dette et des monopoles médiatiques en Argentine, assemblée constituante en Islande et au Vénézuela, initiative Yasuni ITT pour laisser le pétrole sous terre en Équateur… Les savoirs, l’expérience et les méthodes acquises dans ces situations doivent pouvoir converger. Le projet écosocialiste doit pouvoir être porté par un forum mondial qui en fasse le but de la révolution citoyenne de notre temps.

18) Mener la révolution citoyenne pour l’écosocialisme. Compte tenu de l’ampleur de son objectif, la remise en cause du modèle productiviste capitaliste ne peut résulter d’une simple alternance électorale et de décisions venues d’en haut. Elle implique une refonte radicale des institutions incluant scrutins à la proportionnelle, parité et non cumul des mandats permettant au peuple d’être effectivement représenté dans toutes ses caractéristiques. Il s’agit de mettre au pas l’oligarchie et d’assurer, en toutes circonstances, la souveraineté populaire par une démocratie réelle. Cela exige que les majorités parlementaires écosocialistes conjuguent leur action avec des mouvements d’implication populaire dans tous les domaines de la vie de la société. Cette réappropriation de l’initiative politique et citoyenne par chaque femme et chaque homme, dans le but de déterminer partout et sur tous les sujets quel est l’intérêt général, c’est ce que nous nommons la révolution citoyenne. C’est une révolution. Car elle se propose de changer les formes de la propriété, le système institutionnel et la hiérarchie des normes juridiques, sociales et environnementales qui organisent la société et l’économie. Elle est citoyenne. Car elle veut donner le pouvoir à chacun non pour l’intérêt d’une catégorie sociale en particulier mais pour le bien de tout humain, Et car elle se donne des formes institutionnelles et se soumet au suffrage universel, dans le pluralisme politique. Nous refusons que le désespoir et la colère ne basculent du côté de la haine. Ni avant-garde éclairée, ni dictature verte, ni repli ethniciste, nous défendons donc la voie démocratique de la révolution citoyenne. Le peuple n’est pas le problème, il est la solution. Le pire dommage de la crise actuelle de la civilisation humaine serait que l’humanité soit incapable de s’ouvrir à la voie d’un autre futur. L’écosocialisme peut être celui-ci. Qu’il fleurisse !

Ce « Manifeste des Assises pour un écosocialisme » sera discuté tout au long de l’année et donnera lieu à de nouveaux débats à l’occasion des secondes Assises pour l’écosocialisme qui se tiendront en décembre 2013. Le comité des Assises est composé des personnalités suivantes : Mathieu Agostini, Paul Ariès, Guillaume Etievant, Laurent Garrouste, Susan George, Janette Habel, Damien Joliton, Matthieu le Quang, Jacques Lerichomme, Michael Löwy, Laurent Maffeis, Corinne Morel Darleux, Arno Munster, Danièle Obono, Anita Rozenholc…





C) Entretien de Corinne Morel Darleux sur l’écosocialisme avec l’Association Culturelle Joseph Jacquemotte
 
Tenter d’élaborer une alternative concrète, sociale et antiproductiviste au capitalisme dans un contexte de consommation de masse et de toute-puissance du pouvoir financier semble relever du baroud d’honneur. C’est néanmoins le pari engagé par les tenants de l’écosocialisme, un projet qui entend faire la synthèse entre le marxisme et l’écologie politique. C’est dans cet esprit que s’est tenue le 5 mars 2014 la seconde rencontre du Réseau écosocialiste européen, qui a réuni une soixantaine de participants issus d’une dizaine de pays.

En marge de cette journée de travail, l’Association culturelle Joseph Jacquemotte (ACJJ) a pu s’entretenir avec Corinne Morel Darleux, qui a notamment coordonné la rédaction des « 18 thèses pour l’écosocialisme», fruit d’un long travail de dialogue ouvert par les « Assises pour l’écosocialisme » initiées par le Parti de Gauche français. La femme politique revient sur les fondements de l’écosocialisme, sur sa place dans le débat politique français et international, ainsi que sur les possibilités de mise en pratique de cet ambitieux projet de transition écologique et sociale.

ACJJ : Quels sont les principaux points qui font de l’écosocialisme le « paradigme majeur du XXIe siècle », selon les mots de Jean-Luc Mélenchon ?
Corinne Morel Darleux : C’est d’abord un constat d’impasses : celles de la social-démocratie et de l’écologie telles qu’elles existent actuellement. On peut voir aujourd’hui que les politiques d’austérité, souvent mises en place par des gouvernements sociaux-démocrates en Europe, sont inopérantes d’un point de vue socio-économique, car elles ne résorbent ni la crise, ni le chômage, et qu’elles conduisent à une régression sociale sans précédent. Par ailleurs, ni le socialisme « réalisé » ni la social-démocratie n’ont réussi à intégrer pleinement toutes les implications de la contrainte écologique : dans un monde aux ressources finies, on ne peut continuer la course à la croissance à tout prix.

L’écologie est, quant à elle, confrontée à d’autres écueils. D’abord parce qu’une série de thématiques écologiques ont été intégrées par le système sous la forme du « capitalisme vert », qui consiste à s’en remettre aux producteurs responsables de la dégradation environnementale pour faire face à l’urgence écologique, leur permettant d’engranger des profits à chaque étape du cycle pollution/dépollution.

Un certain courant de l’écologie, l’environnementalisme, s’est par ailleurs constitué sans élaborer de critique du capitalisme. Cette idéologie, en laissant croire que l’écologie ne se posait qu’en termes de protection de la nature, sans dimension économique et sociale, a ouvert la voie à une récupération politique par le système. Elle participe dès lors à légitimer les fausses bonnes solutions techniques que sont les mécanismes financiers de quotas CO2, la compensation carbone, les échanges de droits d’émissions de gaz à effet de serre… Sans s’attaquer le moins du monde aux racines du problème, à savoir le système économique capitaliste qui vise à une rentabilité maximale du capital dans un minimum de temps.

De ces constats découlent plusieurs fondements de notre réflexion écosocialiste. D’abord que l’écologie doit être fondamentalement anticapitaliste, et être systématiquement combinée avec un volet social. Notre projet s’inspire à la fois du marxisme et de l’écologie politique, en tenant compte des erreurs du passé et des nouveaux enjeux qui viennent les percuter. Si on veut vraiment défendre l’environnement, faire face au changement climatique, engager la bifurcation énergétique, etc., on doit absolument s’attaquer aux fondements du système. On ne peut donc pas avoir d’écologie digne de ce nom sans s’attaquer aux causes, à savoir le système de production et de consommation. Ceux qui se disent écologistes, mais ni de gauche ni de droite sont à cet égard les idiots utiles du capitalisme vert.

Peut-on réellement parler d’un nouveau paradigme ? Les textes fondateurs de l’écologie politique semblent s’inscrire dans l’esprit des 18 thèses de l’écosocialisme…
Il y a une filiation très claire avec certains fondateurs de l’écologie politique des années 1970 (notamment André Gorz), mais également avec la déclaration internationale de Belem sur l’écosocialisme de 2009. Comme nous le précisons dans le manifeste, on n’est pas en train de réinventer l’eau chaude ! Par contre c’est la première fois qu’on redéfinit cette pensée politique à l’aune des nouveaux défis écologiques du XXIe siècle, notamment la question du réchauffement climatique, dont on avait encore peu conscience quand fut théorisée l’écologie politique. C’est surtout la première fois qu’on donne à l’écosocialisme une ambition majoritaire et gouvernementale. Il était jusqu’ici porté par d’éminents penseurs, mais pas par des partis politiques qui ont vocation à exercer le pouvoir. Notre principal apport est donc d’essayer de donner une visibilité et un impact politique à ce projet qu’il n’a jamais eu jusqu’ici.

Quelles sont, d’autre part, les principales différences avec le mouvement de la décroissance ?
Il y a d’abord pas mal de points communs, notamment du fait qu’une partie du Parti de Gauche (dont moi-même) est issue de l’écologie radicale et de l’objection de croissance. Même si on préfère parler de critique de la croissance à tout prix, nous avons beaucoup emprunté à cette mouvance, notamment l’idée qu’on ne doit pas attendre le retour de la croissance pour partager les richesses. Il y a aussi la critique du choix du produit intérieur brut (PIB) comme indicateur de référence : on sait aujourd’hui qu’il n’est pas synonyme de bien-être, de meilleures conditions de travail, etc.

Notre divergence fondamentale tient surtout à notre rapport aux travailleurs et aux syndicats, ainsi qu’à notre manière de nous adresser au monde du travail. L’industrie n’est pas l’ennemi de l’écologie. Il faut relocaliser plutôt que de délocaliser à l’étranger dans des conditions de production insoutenables d’un point de vue humain et écologique. On aura besoin d’une réindustrialisation en Europe, avec une autre industrie qui pose la question de savoir ce qu’on produit, pourquoi et comment. Dès le début, on a donc eu une approche de l’écologie en lien avec les mouvements sociaux et les syndicats. Ce sont les travailleurs qui mettront en place la bifurcation écologique dans nos sociétés.

Je crois que c’est une grande nouveauté dans la démarche écologique, car, pendant longtemps, il faut bien dire qu’une partie de l’écologie radicale n’a pas franchement œuvré dans le sens d’un rapprochement avec le monde ouvrier. Ils ont même parfois participé d’une crispation, avec d’un côté les méchants salariés de l’industrie qui défendraient leur emploi sans se soucier de la nature, et de l’autre côté les gentils écolos « baba cool » qui défendaient les oiseaux sans se préoccuper des travailleurs. Une de nos réussites est d’avoir remis autour de la table des milieux écologistes et syndicaux qui ne se parlaient plus, et qui sont pourtant réunis par une lutte contre les mêmes oligarques. On le doit en partie au fait que l’on s’est fondé sur le socle social et historique de la Gauche traditionnelle, du mouvement ouvrier.

Quelle est justement la place qu’occupent les syndicats dans votre vision de la transition écologique ? Ne suscite-t-elle pas des réticences de la part d’associations de travailleurs des industries polluantes ?
Il y a encore des résistances, après c’est très divers selon les organisations, les branches et les régions. On peut au minimum se réjouir que le débat soit engagé. Le fait d’avoir cette approche liant écologie et socialisme a permis de lever beaucoup de barrières, et de bien faire comprendre qu’aujourd’hui se battre pour la transition écologique, c’est en réalité aussi proposer de nouvelles formes d’emplois plus pérennes, non délocalisables. Il s’agit notamment d’anticiper de futures suppressions de postes liées au fait que les matières premières ne sont pas inépuisables.

Il faut noter qu’il ne s’agit pas de considérations uniquement écologiques, mais pragmatiques : le pic de pétrole est passé, donc soit on laisse faire le marché, ce qui conduira à des centaines de milliers de suppressions d’emplois dans l’aéronautique, la pétrochimie, l’industrie automobile, etc., soit on anticipe, par la planification écologique. Il faut assurer des formations adéquates, restructurer les filières industrielles, organiser l’accompagnement de la reconversion pour ne pas laisser les travailleurs sur le carreau. Tout cela va dans le sens des intérêts à long terme des travailleurs et de l’emploi.

D’autre part, l’écosocialisme pose la question de la propriété des moyens de production, de l’autogestion, des coopératives, bref, de l’organisation du travail au sein des entreprises. Les travailleurs sont capables de s’organiser pour assurer la production, ils n’ont pas besoin des fonds de pension ni d’actionnaires qui ne servent qu’à ponctionner une part des profits. L’écosocialisme, c’est aussi être favorable à un rapport de production plus favorable aux travailleurs dans le conflit Capital-Travail. Nos idées sont dès lors appréhendées de façon beaucoup plus favorable par le monde du travail que si on était arrivé avec un discours culpabilisateur, assimilant les salariés de l’industrie avec les dégâts causés par cette même industrie.

Les 18 thèses de l’écosocialisme accordent une place importante à la démocratie. En quoi est-ce une spécificité écosocialiste ? On peut en effet imaginer que des débats démocratiques conduisent les citoyens à opter pour un modèle productiviste…
On fait le pari de l’intelligence collective. Si les travailleurs prennent ensemble les décisions du mode de production de l’entreprise, on a plus de chance que cette production aille dans le sens de l’utilité sociale que vers des produits qui vont être vendus uniquement aux plus riches. S’ils avaient le choix, ils préféreraient sans doute produire des outils utiles à la vie courante plutôt que des Rolex, des 4×4, des Yachts, dont ils n’auraient pas eux-mêmes l’usage.

Notre vision de la planification écologique implique par ailleurs la mise en place d’assemblées citoyennes au niveau local qui puissent justement discuter des choix de consommation et de production1. En France, la constitution de comités de bassins, pour la gestion des rivières, qui associent riverains, agriculteurs, représentants industriels, pêcheurs, et autres usagers est à cet égard concluante : par le dialogue, ces comités parviennent à établir un intérêt général, qui n’est pas la somme des intérêts particuliers. Résultat : on a en France un des meilleurs systèmes de gestion des eaux de rivières.

Dans le cadre de la planification écologique, on souhaiterait généraliser ce type d’expérience à une échelle plus large. D’une part parce que c’est un système qui permet de mettre en mouvement la bifurcation écologique, qui ne peut être imposée autoritairement par une poignée de décideurs. D’autre part parce que la démocratie est la condition de la définition de l’intérêt général.

Mais peut-on réellement établir un intérêt général commun en se contentant de donner davantage de pouvoir de décision aux salariés des entreprises capitalistes ? Même si le profit n’est pas capté directement par les actionnaires, les travailleurs pourraient être tentés de poursuivre la logique productiviste…
Il n’a jamais été question pour nous de supprimer l’initiative privée ! Le profit généré par une entreprise qui respecte les travailleurs, l’environnement, et qui revêt une utilité sociale, ne nous pose pas de souci, d’autant moins si elle investit dans l’outil de travail. Mais donner le pouvoir aux salariés de déterminer leurs choix de production et de gestion change la donne : des travailleurs exposés à des produits chimiques dangereux ne continueraient pas à produire de la même manière si on leur laissait le choix. On l’a vu avec l’amiante, on le voit aujourd’hui avec l’agriculture chimique, où les personnes exposées aux produits phytosanitaires développent des cancers…

Ne faudrait-il pas alors définir l’intérêt général au niveau le plus élevé possible, qu’il soit national, européen ou mondial ?
La planification écologique implique bien sûr un cadre précis et des orientations nationales. Prenons par exemple la question du revenu maximum autorisé, qui a fait l’objet d’une proposition de loi des élus Front de Gauche en 2009. À partir du moment où on limite le revenu maximum, un certain nombre de produits de luxe perdent leur sens. Avec un partage des richesses plus important et une fiscalité plus juste, on revient à une consommation qui correspond aux besoins humains, et sur laquelle la production est amenée à s’aligner. Il ne s’agit pas de dire qu’on n’a plus le droit à la beauté et à la futilité, sauf quand c’est sur le dos des travailleurs et des ressources naturelles.

 « Un projet politique positif »

Les travaux menés notamment par le PG autour de la question de l’écosocialisme ont-ils révélé un clivage au sein de la Gauche, opposant les partisans du développement durable aux partisans de l’idéologie du progrès?
Il y a certes des divergences au sein de la Gauche sur base du rapport au productivisme, mais le mouvement écosocialiste est lui-même loin d’être homogène. Il importe de noter le ralliement progressif de segments croissants de la Gauche à l’impératif de transition écologique. Aucun des débats organisés sur l’écosocialisme ne l’a été par le seul PG. Plusieurs forces du Front de Gauche y ont joué un rôle moteur, notamment le mouvement Ensemble, la Gauche anticapitaliste, les Alternatifs ou encore la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE). On travaille aussi avec une partie de la Gauche d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), voire avec certains militants du PS. Des collectifs citoyens et syndicaux sont aussi impliqués. Je crois que l’écosocialisme est davantage facteur de rassemblement que de divergence.

Un des grands absents des débats sur l’écosocialisme n’est-il pas le Parti communiste français (PCF), dont les divergences avec le PG sont patentes sur certaines questions écologiques ?
Comme tous les partenaires du Front de Gauche, le PCF était présent aux Assises. À la dernière fête de l’humanité [NDLR : fête annuelle organisée par l’Humanité, organe de presse historique du PCF] j’ai participé à un grand débat sur le sujet. Si le PCF ne se reconnaît pas dans l’écosocialisme, on se retrouve sur pas mal des « 18 thèses » du manifeste. En réalité, au-delà des querelles de chapelle et des clivages de partis, il n’y a pas de réelles divergences de fond. Nous avons de nombreux points de convergence, que ça soit sur la défense de l’environnement, la réappropriation des moyens de production, ou encore l’autogestion. Il existe toutefois de vrais désaccords politiques qu’on n’a pas encore réussi à dépasser, notamment sur le nucléaire. Cela dit la question fait débat au PCF, où beaucoup de militants aimeraient que le parti évolue sur cette question.

Ces querelles de partis que vous évoquiez n’ont-elles pas pour effet de « pourrir » le débat sur l’écosocialisme ?
Je n’en ai pas l’impression. Depuis un an et demi qu’on travaille sur ce projet, on a présenté le manifeste dans une dizaine de pays différents, on l’a traduit en 8 langues et tenu une cinquantaine d’assemblées citoyennes partout en France sur ce projet. Le vote majoritaire de la motion écosocialiste présentée à Madrid lors du quatrième congrès du Parti de la Gauche européenne (PGE) montre qu’il existe également une dynamique européenne… Les éventuelles dissensions partisanes n’empêchent donc pas la dynamique que l’on ressent. Le fait que le Réseau écosocialiste européen que nous avons lancé à Paris en janvier intègre à la fois des membres du PGE et d’autres partis, dont certains membres des Verts européens, montre aussi que l’audience n’est pas limitée sur le plan partisan. On ne cherche pas à avoir raison dans notre coin, mais à travailler sur un projet politique positif, sur une base large.

Justement, ce vote intervenu à Madrid n’a obtenu qu’une majorité relative. Certaines délégations, pourtant sensibles aux thématiques écologiques, ont précisément rejeté la motion car ils y voyaient la main du Parti de Gauche, et la volonté sous-jacente de renforcer une tendance politique plutôt qu’une autre…
Les considérations partisanes ne sont jamais absentes, mais il faut noter que la motion a été soutenue par des partis comme Syriza (Grèce), Die Linke (Allemagne), le Bloco portugais, l’alliance rouge-verte (Danemark), qui présentent la particularité d’être de jeunes partis et porteurs d’une dynamique dans leurs pays respectifs. Je suis assez confiante sur le fait de pouvoir entraîner progressivement tout le monde. Il faut laisser du temps aux partis historiques d’obédience communiste, qui ont probablement encore des questions internes à résoudre sur le productivisme. Nous respectons ce temps de débat, mais cela ne nous empêche pas de continuer à avancer avec les partenaires qui le souhaitent.

«  La relocalisation, condition majeure pour une réelle solidarité internationale» 

Quittons l’Europe pour adopter une perspective globale. Comment l’écosocialisme tel que vous le concevez concilie-t-il le droit au développement des pays du Sud et l’impératif d’un développement soutenable ?
Ces deux questions ne sont pas contradictoires, mais au contraire intimement liées. Les pays du sud se sont vu imposer un mode de développement au service de notre propre consommation. Dans le domaine agricole, le FMI et l’OMC ont obligé les pays en développement à passer d’une agriculture vivrière à des monocultures intensives destinées à l’export. De même, dans l’industrie extractive, on continue à exploiter les ressources naturelles à notre profit de façon scandaleuse. L’exploitation de l’uranium au Niger pour alimenter l’industrie nucléaire française en offre un triste exemple. La réflexion sur la relocalisation de l’activité et la sortie de la dépendance aux énergies fossiles doit donc être une étape dans la reprise en main par les pays dits du sud de leur destin, afin qu’ils puissent produire selon leurs propres besoins.

Cela implique également une remise en cause des réseaux de production industrielle, rendus possible par une mondialisation libérale qui a fait de certains pays les ateliers du monde. Les ouvriers y travaillent dans des conditions abjectes, comme l’a rappelé l’effondrement d’une usine de textile au Bangladesh l’année dernière. Quand on se dit de Gauche, on ne peut pas continuer à supporter que des produits de notre vie quotidienne continuent d’être produits dans ces conditions épouvantables. La question de la relocalisation est une condition majeure pour une réelle solidarité internationale.

Il faut toutefois pousser le raisonnement jusqu’au bout : pour qu’il y ait relocalisation de l’activité chez nous et dans le sud, il faut un certain nombre de mesures. Le protectionnisme social et solidaire n’a rien d’un repli national : c’est au contraire un outil de coopération et de solidarité. Tant qu’on n’aura pas le courage de désobéir à l’Union Européenne et aux institutions internationales de libre échange, on continuera à cautionner et alimenter cette mondialisation qui fait tant de désastres au niveau social et environnemental.

Sur quelles alliances politiques pensez-vous pouvoir vous appuyer pour porter ce projet ?
Il faut avancer sur nos deux jambes : les urnes et la rue. S’il n’y a pas dans la rue une mobilisation citoyenne et des mouvements sociaux qui soutiennent ces propositions, on ne pourra atteindre nos objectifs en les décrétant d’en haut. C’est pourquoi on prend tant de soin à associer à nos réflexions les associations, les syndicats et les collectifs citoyens. Au niveau électoral, on essaye d’élargir par la base, en partant du Front de Gauche et des organisations qui en font partie. Le programme L’humain d’abord porté par Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle de 2012 recelait de nombreux points d’inspiration écosocialiste. Nous souhaitons l’élargir vers d’autres groupes, à la Gauche de la Gauche (NPA et décroissants notamment), mais aussi à la Gauche d’EELV et du Parti socialiste, avec lesquels on continue d’avoir des échanges pour leur faire comprendre qu’on est plus fort unis, surtout si on a l’ambition d’incarner une alternative à la social-démocratie pour les prochaines échéances électorales.

Dans cette optique de rassemblement, le terme « socialiste » ne risque-t-il pas de gêner une série d’acteurs ancrés dans les valeurs de Gauche qui ne partagent pas un certain nombre de référents marxistes ?
L’intérêt de l’écosocialisme est justement d’associer l’écologie et le socialisme, et de permettre à des militants, qu’ils proviennent du marxisme ou des combats pour la défense de l’environnement, de s’y retrouver. Il ne s’agit pas de doser les deux composantes pour faire plaisir aux uns et aux autres, mais d’avoir un ensemble cohérent susceptible de fédérer. Durant les nombreuses assemblées auxquelles j’ai participé, j’ai été frappée par la capacité de ce projet à unir des gens d’horizons très divers. Cette dynamique fédératrice est selon moi l’une de nos plus belles réussites politiques.

« Le pouvoir par les urnes, la rue, mais pas par les armes» 

Comment voyez-vous concrètement se dérouler la transition écologique et avec quels acteurs ? On a parlé, tout à l’heure, de la place déterminante des syndicats et des travailleurs dans le projet écosocialiste. Les détenteurs des moyens de production doivent-ils être expropriés, ou peut-on imaginer une forme de compromis de classe ?
La question de la nationalisation est essentielle, mais il ne faut pas confondre étatisation et socialisation. Certains secteurs stratégiques doivent faire l’objet d’une coordination étatique. C’est par exemple le cas de l’énergie ou des banques, pour lesquels doit exister un pôle public. La seule nationalisation est toutefois insuffisante : le fait qu’EDF ait longtemps été un monopole d’État n’a pas empêché l’entreprise de mettre en place le nucléaire de façon totalement antidémocratique. Un déchet radioactif public n’en reste pas moins toxique ! Le contrôle étatique des moyens de production stratégiques est nécessaire, mais pas suffisant. Il faut dès lors une articulation entre le niveau national, garantie de cohérence et d’égalité républicaine, les collectivités territoriales et les conférences de participation populaire au niveau local, qui permettent d’assurer le contrôle citoyen.

Pour la plupart des autres secteurs, on privilégie la socialisation, c’est-à-dire la réappropriation sociale des moyens de production. Il s’agit des Société coopérative et participative (SCOP), des coopératives autogérées, des Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), dans lesquelles les salariés et usagers remplacent les actionnaires. Tant que ces derniers imposeront des taux de rentabilité du capital allant jusqu’à des 15%, on ne pourra avoir de réflexion sérieuse sur l’utilité sociale de la production, sur les réinvestissements nécessaires dans l’outil productif, etc.

La confrontation avec le Capital semble inévitable dans ce contexte…
On est conscients qu’on ne nous déroulera pas le tapis rouge, et que nous serons de fait dans une confrontation de classe. Les premiers mois d’un gouvernement écosocialiste devront être utilisés pour mettre en place le cadre dans lequel cette bifurcation sera possible : la répartition des richesses par une vraie révolution fiscale. La constitution d’un pôle public de l’énergie, qui implique la nationalisation d’EDF, GDF-Suez, Total et Areva, qui était dans le programme du FDG a été minutieusement préparée. On ne planifie pas d’expropriation sans indemnité ni de coup d’état économique et financier. En revendant des filiales étrangères et en réinvestissant cet argent au niveau français, on peut, avec quelques autres astuces boursières, faire en sorte que l’État en devienne 100% actionnaire. C’est possible. L’argent est là ! Il est tout simplement mal réparti et mal utilisé.

Réforme plutôt que révolution, donc ?
Tout dépend de ce que l’on entend par les deux termes. On n’est pas pour une révolte violente et imposée. Nous prônons une révolution citoyenne, comme elles ont pu intervenir par exemple en Amérique latine, où le peuple a repris le pouvoir, par les urnes, par les rues, parfois aussi c’est vrai par les armes. Mais nous croyons avant tout à la force de la loi républicaine, celle qui est déterminée par l’intérêt général et s’impose à tous : la liberté d’entreprendre ne sera évidemment pas remise en cause, mais les entreprises privées devront se conformer à la loi.

Le projet écosocialiste porté par le PG à travers ses 18 thèses insiste sur la volonté de sortir d’une écologie culpabilisante, qui éluderait la responsabilité du productivisme effréné. Ne risque-t-on pas de tomber dans l’extrême inverse, qui consiste à disculper les individus de leur participation à la consommation de masse ?
On part du principe qu’il est plus motivant pour les gens de leur parler de l’importance pour tous de préserver les ressources écosystémiques que de leur dire qu’il faut couper l’eau du robinet quand ils se lavent les dents… Les mini-injonctions culpabilisantes ne font pas changer d’attitude. Beaucoup de comportements polluants sont des comportements contraints : la surutilisation des voitures est liée aux déficiences des transports publics, les incitations à la consommation de masse, mode et publicité, sont présentes partout dans la société. En réalité, la plupart des gens se rendent bien compte que la majorité de la dégradation de l’environnement n’est pas de leur ressort. Si on veut que les gens comprennent que les gestes quotidiens sont utiles, cela doit s’inscrire dans un projet politique plus large. Notre responsabilité de politiques est de mettre en place le cadre, les conditions qui rendent le changement de comportement possible.


1 Voir la proposition de loi sur la planification écologique déposée par le Front de Gauche à l’Assemblée Nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion1991.asp



 D) Écofascisme de Wikiberal

L'écofascisme ou écototalitarisme est une forme d'idéologie totalitaire dont la finalité officielle est la protection de l'environnement.  

On entend par écofascisme (notamment selon le politologue finlandais J.P. Roos) l'idéologie de certains protecteurs autoproclamés de l'environnement radicaux qui prônent l'abandon complet des technologies dans nos sociétés à l'exception de la bougie ainsi qu'une réduction forcée de la population humaine afin de sauver une nature originelle idéalisée et qui n'a jamais existé. Il s'agit d'une variante radicale de l'écologie profonde avec des aspects totalitaires et primitivistes.
L'écofascisme rejoint le fascisme ou le nazisme originel en ce qu'il place une utopie au-dessus de l'homme, qui n'est qu'un moyen pour une fin qui lui est extérieure. L'homme n'est qu'un parasite, perturbant la pureté « naturelle ». Une véritable haine de soi et de l'humanité, au bénéfice d'une nature idéalisée. Voici par exemple ce qu'écrivait David Graber, un biologiste américain[1]:
«Des chercheurs en sciences sociales me disent l'humanité est une partie de la Nature, mais ce n'est pas vrai. Quelque part en chemin [..] nous avons rompu le contrat (qui nous unissait à la nature) et nous sommes devenus un cancer. Nous sommes devenus une peste pour nous-mêmes et pour la Terre. [..] Il n'y a plus qu'à espérer un virus dévastateur. »
    — David Graber
Cyril dit Meo, élu vert, reprend cette critique de la décroissance et de l'écofascisme. Il y voit « une défense de la Nature appuyée sur une conception biocentrique de sacralisation de la Terre […], [qui] s’appuie sur une critique de la rationalité du monde moderne perçue comme destructrice de la planète et de l’ordre du vivant »[2]. On peut souligner d'ailleurs comme l'auteur que cette « disparition de l’authenticité du monde naturel passé » est caractéristique d'une pensée foncièrement réactionnaire. Un classique de la décroissance est en effet « l’irrationalisme mystique, le spiritualisme, l’anti-positivisme et la référence au temps cyclique, qui permet de retourner au passé, de restaurer un ordre antérieur »[3].
Ce présupposé est doublement faux. D'une part, la « nature » rêvée par ces écologistes n'existe pas ; la nature est en perpétuel changement, des espèces apparaissent, disparaissent. C'est l'homme qui protège la bio-diversité bien souvent, notamment par la chasse qui régule la surpopulation de grands prédateurs (loup, lynx) menaçant la faune locale. Dans le cas où la faune locale herbivore menace les forêts et autres plantations, c'est toujours l'homme qui régule ladite faune par la chasse.
En outre, la nature pure et accueillante idéalisée par les environnementalistes n'existe pas, et c'est à chaque fois l'homme qui la domestique, qui aménage les fleuves pour limiter les inondations, qui se protège de conditions difficiles, qui aménage le paysage, etc.
Les « écofascistes » souhaitent atteindre leurs buts au moyen d'une dictature qui permettrait de réduire la population terrestre par la coercition, tandis que ses habitants restant assureraient la continuité de l'humanité avec des moyens techniques archaïques (chasse, pêche, cueillette de petits fruits, de champignons et de racines, etc). Sont prévus également des modes malthusiens de contrôle des naissances afin de ne pas menacer l'environnement par une surpopulation, tels que l'abattage des bébés considérés en surnombre. Les plus extrêmes se positionnent en faveur d'une amélioration génétique de la population humaine que servirait l'eugénisme.
Le précurseur de l'écofascisme le plus connu est le finlandais Pentti Linkola, qui prône notamment:

Citations

  • « N'importe quelle dictature serait meilleure que la démocratie moderne. Il ne peut y avoir de dictateur assez incompétent pour montrer plus de stupidité qu'une majorité populaire. La meilleure serait une dictature où de nombreuses têtes rouleraient et où le gouvernement empêcherait toute croissance économique. » (Pentti Linkola)

Notes et références

  1. tel que cité par George Reisman in The Toxicity of Environmentalism, 1990
  2. Cyril di Meo, La face cachée de la décroissance, L'Harmattan, 2006
  3. Di Meo, op. cit.




E)  Rio+20 : L’écologie à laquelle nous avons échappé

Avec Rio+20, nous allons fêter le vingtième anniversaire de la Conférence de Rio, qui a servi de rampe de lancement à la grande campagne contre le réchauffement climatique d’origine humaine. Cela mérite célébration.

Nous allons fêter le vingtième anniversaire de la Conférence de Rio, qui a servi de rampe de lancement à la grande campagne contre le réchauffement climatique d’origine humaine. Cela mérite célébration.

Si la civilisation occidentale s’est élevée au-dessus de toutes les autres (ben non, désolé MRAP, LICRA, SOS-trucmuche et autres crustacés nourris de nos impôts, toutes les civilisations ne se valent pas), c’est parce qu’elle a inventé l’individu. Dans toutes les civilisations traditionnelles, on n’existe que comme membre d’un groupe – une famille, un clan, une tribu, ce que vous voulez. Et on est tenu de se comporter comme membre dudit groupe : il faut en respecter les codes, les usages, les traditions, les conventions. N’allez pas vous amuser à émettre la moindre idée nouvelle, car vous êtes sûr de violer quelque part une règle ou un tabou. Le groupe vous a à l’œil.

La société occidentale a été la seule à briser ce carcan. Ca ne s’est évidemment pas fait d’un coup : il y a fallu des générations. Mais plus elle libérait l’initiative de l’individu, plus elle s’apercevait qu’elle en recevait de bienfaits en retour. Et inversement, dans les périodes de régression, tout allait plus mal. C’est en inventant l’individu que la société occidentale a trouvé la formule magique, l’extraordinaire source d’énergie et de créativité qui lui a permis de développer les instruments intellectuels grâce auxquels elle a porté la connaissance à des sommets inégalés, qu’elle a multiplié les exploits technologiques et scientifiques, qu’elle a conquis le monde. Ce qu’ont fait les Occidentaux, pas une bête ne l’aurait fait. On s’attendrait à ce qu’ils soient fiers de leur passé et de leur présent.

Les sectateurs du politiquement correct veulent qu’ils en aient honte.
Pour eux, l’histoire de l’Occident n’est qu’une succession d’exactions et de pillages, de spoliations et de massacres.

De même, pour la faction écologique de la confrérie, la société occidentale n’a jamais fait que saccager la nature, gaspiller les ressources, polluer l’air, empoisonner l’eau, exterminer les espèces vivantes, accumuler partout la ruine, la misère et la dévastation pour le profit égoïste de quelques-uns. Et aujourd’hui plus que jamais.

Voilà ce qui arrive, disent-ils, quand on laisse tout un chacun libre de n’en faire qu’à sa tête, de produire et de vendre ce qui lui plaît, de penser comme il l’entend. Ils brûlent de mettre de l’ordre dans ce bordel archiultranéolibéral.

Malheureusement, leur discours – ce que Lomborg a appelé la litanie – est assez lassant et n’a qu’un faible impact sur le public. Il leur fallait une Grande Illumination autour de laquelle mobiliser les masses. Elle survint à la fin des années 80 : quelques scientifiques, qui jusque là avaient soutenu le contraire, se mirent soudain à clamer que la température de la planète était en train de monter de manière catastrophique du fait des rejets de gaz à effet de serre provoqués par l’activité humaine. « On vous l’avait bien dit, s’exclamèrent les écologistes, le modèle de société occidental nous conduit au désastre ! »

Impressionnés, les milieux politiques demandèrent quoi faire. « Arrêter immédiatement les émissions de gaz à effet de serre, leur fut-il répondu, et notamment les rejets de CO2″. « Mais le coût économique va être pharamineux ? » « C’est ça ou la mort de la planète. » « Ah bon… » Tout le monde s’inclina. En 1992, on convoqua une grande conférence à Rio, avec plus de 20 000 participants venus du monde entier, qui se mit d’accord pour réduire les rejets de gaz à effet de serre – accord formalisé et quantifié à Kyoto en 1997.

L’écologie triomphait. Tous les Etats, tous les gouvernements, toutes les institutions scientifiques, tous les médias, en un mot, toute la bonne société, étaient à ses pieds. Elle avait pris en main les destinées du monde, elle allait sauver la planète. Mais à condition qu’on lui obéisse et que nul ne s’avise de contester ses décrets.

Les sceptiques en firent aussitôt l’expérience. Car il y avait bien sûr quelques sceptiques – il y en a toujours. On leur fit vigoureusement savoir qu’il n’était pas question de discuter – « the science is settled », leur annonça-t-on. On leur barra l’accès aux revues scientifiques et aux grands médias, on leur imposa le silence. Et pour que l’opinion sache bien à qui l’on avait affaire, on les qualifia de « négationnistes » – le même terme qu’on emploie pour désigner les illuminés qui nient la réalité des camps d’extermination nazis.

Mais les sceptiques ne rentrèrent pas sous terre. Ils prirent le maquis informatique. Interdits de séjour dans tous les médias institutionnels, ils se réfugièrent dans les jungles du web, d’où ils entreprirent de réfuter point par point la théorie de l’origine humaine du réchauffement. Pendant des années, ils grignotèrent ainsi les certitudes officielles, exposant leurs contradictions et leurs approximations. Ils réussirent même, avec la fameuse affaire du Climategate, à surprendre les irréprochables savants du réchauffement le pantalon sur les chevilles, en train de trafiquer délibérément leurs résultats, de dissimuler leurs données, d’organiser le boycott des travaux de leurs adversaires par des méthodes inspirées de celles de la mafia sicilienne.

En dépit de son poids énorme, de ses gigantesques moyens, de tous les appuis institutionnels dont il dispose, le rouleau compresseur de l’écologisme n’est pas parvenu à écraser la résistance des sceptiques. Au contraire, ceux-ci ont proliféré. Mieux, la planète elle-même s’est mise à pencher de leur côté. Selon la théorie officielle, on l’a dit, l’augmentation des températures serait le résultat direct des rejets de gaz à effet de serre. Depuis la fameuse conférence de Rio, il y a vingt ans, ceux-ci ont augmenté d’environ 50%. On s’attendrait à une montée concomitante des températures. Or, depuis  maintenant une quinzaine d’années, elles refusent de bouger. Les sceptiques avaient raison depuis le début : l’activité humaine n’est pour rien dans le réchauffement.

Le rouleau compresseur, cependant, continue de rouler – en tout cas dans les médias, qui n’ont pas soufflé mot des débats en cours. Mais c’est désormais essentiellement l’effet de la force d’inertie, car la machine se disloque peu à peu. D’autant plus que la crise économique a amené les gouvernants à regarder d’un œil plus sobre les extravagantes dépenses exigées par le programme des écologistes. La vaste campagne du réchauffement est aujourd’hui sur les récifs.

Heureusement. Car son objectif n’était pas seulement environnemental : il était politique. La victoire de l’écologisme aurait marqué une étape décisive de l’ensemble du politiquement correct dans son entreprise de domination des esprits. Elle aurait permis d’imposer en matière de climat une pensée unique et obligatoire, une vérité officielle que nul n’aurait été autorisé à contester : elle aurait permis de faire disparaître tout esprit critique, cad de mettre un terme au droit des individus de penser par eux-mêmes. Dans ce domaine d’abord – avant de passer aux autres.

Autrement dit, le mouvement écologique – et au-delà de lui, l’ensemble du politiquement correct dont il fait partie – n’est pas seulement l’ennemi de l’industrialisation, de la croissance économique, etc. Il est l’ennemi de ce qu’il y a de plus fondamental dans la société occidentale : la liberté de penser de l’individu.

Autrement dit encore, son horizon ultime est le retour au mode de fonctionnement de la société traditionnelle. Cette société où le groupe vous a à l’œil.

Par Pierre Clermont  

D'autres liens de Contrepoints sur l'Écofascisme


 
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