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L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste.
Sommaire:
A) Repenser notre défense pour mieux répondre aux défis sécuritaires. - Fondation Concorde.
B) Risques et renseignement - Entretien avec A. Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la D.G.S.E. - Par Alain CHOUET, Jérôme DIAZ,
C) Les fonds souverains changent-ils la face de l’économie mondiale ? - Par Juliette FAURE, - Diploweb
D) Différentes informations sur la Russie - POUTINE - Géopolitique Terrorisme - Stratégie... Réf Diploweb mil merci à M. Verluise
La mondialisation,
l'intégration par les échanges, la circulation des personnes, des
services et des biens, les tendances à l'uniformisation culturelle ont
pu faire croire à une convergence vers l'unité du monde et à la
construction d'une "communauté internationale". Certains avaient
théorisé la fin de l'histoire, d'autres encore entrevoyaient que la
planète deviendrait plate grâce à l'abolition des barrières physiques et
mentales que devait permettre la diffusion universelle des technologies
d'information et de communication.
L'Europe, construite sur le droit et sur la culture du compromis, apparaissait comme la pointe avancée de ce mouvement. Elle avait aboli la violence comme instrument de règlement des différends entre Etats et au sein des Etats, montrant ainsi l'exemple au reste du monde. Mais l'Union Européenne se trouve désormais confrontée à la remise en cause de sa propre cohésion interne, sous l'effet de la crise économique, de la fatigue des opinions vis-à-vis des ambitions intégratrices, et des menaces, dans la suite des crises migratoires, sur ce qui est l'une des manifestations les plus fortes d'unité, Schengen et la libre circulation des personnes. Les Assises se pencheront donc tout d'abord sur les fragmentations de l'Europe, l'espace immédiat de notre avenir.
Au Moyen-Orient, les dynamiques de fragmentation internes à la région et aux pays semblent s'emballer et entrer en résonance avec le jeu des puissances. Le jeu des acteurs extérieurs et les facteurs propres à ces pays et sociétés entrent entrent en résonance pour alimenter l'évolution des crises de la région. Plus globalement, le jeu des puissances se ranime avec autant, voire davantage de vigueur qu'au temps de la Guerre Froide, et le terrorisme bouleverse le postulat de la paix dans nos sociétés, effaçant ainsi les illusions de l'après-Guerre Froide aux Les Assises s'interrogeront ainsi sur les fractures au Moyen-Orient et sur fragmentations géopolitiques globales.
Le moment est venu de repenser le monde en retrouvant ses racines et comprenant ses dynamiques. Pour éviter que la fragmentation devienne explosion.
A) Repenser notre défense pour mieux répondre aux défis sécuritaires.
Depuis au moins deux élections présidentielles se pose la question de l’efficacité de la dépense de Défense.
S’il semble y avoir un consensus parmi les principaux candidats pour accorder à la Défense une priorité forte qui s’exprime par la nécessité de consacrer 2% du PIB à l’effort de défense,
la persistance de la menace terroriste à l’extérieur comme sur
l’ensemble du territoire national pose de nouveaux défis que les armées,
la Défense et plus largement la Nation doivent relever.
La
Fondation Concorde propose de partir d’une approche alternative de
réfléchir sur des axes de transformation sans chercher à définir ce que
les militaires doivent faire ni comment.
En
d’autres termes : comment améliorer l’efficacité de l’action collective
pour répondre aux attentes de la Nation tout en maîtrisant le coût des
politiques publiques ?
Dans cet esprit, nous développons sept grands axes :
- Restaurer le lien entre armées et citoyens par une action en direction de la jeunesse ;
- Favoriser le recrutement et la fidélisation des militaires dont la défense a besoin ;
- Conforter l’engagement des armées pour la protection du territoire national ;
- Penser autrement la construction du budget de la Défense ;
- Promouvoir une coopération entre la Défense et le secteur privé ;
- Mettre en place une coordination stratégique entre l’État et l’industrie dans l’armement ;
- Crédibiliser un effort européen de défense commune.
Les axes que nous proposons visent à rendre plus efficace la Défense et, par ce biais, lui permettre de dégager des marges de manœuvre tout en restant dans une enveloppe budgétaire maîtrisée.
Détail au sein de ce lien ici:
Synthèse:
1. Comment restaurer le lien entre armées et citoyens par une action en
direction de la jeunesse ?
Enjeux
Enjeux
-
- Les mécanismes mis en place lors de la suspension de la conscription, la « Journée Défense et Citoyenneté » (anciennement JAPD) et l’enseignement de défense de l’Éducation nationale, ont été tellement dilués depuis 1997 qu’ils ne répondent plus aux objectifs initiaux.
- - Comment renforcer la compréhension par les citoyens des menaces, des enjeux et des moyens pour y répondre afin d’asseoir la légitimité de l’effort de défense ?
-
- Comment améliorer la connaissance des armées et de leurs missions pour favoriser l’engagement des jeunes ?
Propositions
dilution des objectifs.
- Renforcer et simplifier le dispositif d’enseignement de défense de l’Éducation nationale en créant un parcours « défense » cohérent, clairement identifié et évalué en fin de cycle.
- Renforcer le dispositif des préparations militaires pour permettre aux jeunes qui le souhaitent (et qui y seraient incités) d’approfondir leur connaissance de la défense par des formations en immersion. Valoriser la participation à ces préparations dans le monde universitaire et en entreprise.
- Renforcer et simplifier le dispositif d’enseignement de défense de l’Éducation nationale en créant un parcours « défense » cohérent, clairement identifié et évalué en fin de cycle.
- Renforcer le dispositif des préparations militaires pour permettre aux jeunes qui le souhaitent (et qui y seraient incités) d’approfondir leur connaissance de la défense par des formations en immersion. Valoriser la participation à ces préparations dans le monde universitaire et en entreprise.
2. Comment favoriser le recrutement et la fidélisation des militaires dont la défense a besoin ?
Enjeux
- - Pour leur recrutement, les forces armées font face à un problème d’attractivité des postes proposés, notamment pour les militaires du rang et les sous-officiers. Elles ont besoin d’attirer les personnels nécessaires, en volume et en compétences, pour être à même de réaliser leurs missions.
-
- Elles doivent aussi s’assurer d’une plus forte fidélisation pour les profils les plus recherchés,
la durée moyenne d’engagement étant de plus en plus faible.
-
- La question du recrutement est intimement liée à la mise en valeur des compétences
acquises pour faciliter la reconversion, donc favoriser le recrutement.
Propositions
- - Systématiser la valorisation des acquis pour l’ensemble des militaires et civils qui entrent sans diplôme au ministère de la Défense.
- - Renforcer les moyens du réseau Défense Mobilité et l’associer dès le recrutement à la gestion des carrières.
-
- Renforcer le nombre des formations diplômantes du ministère de la Défense et mieux en maîtriser les passerelles avec le monde civil. Utiliser ces formations comme un outil
d’attraction et de rétention des compétences rares.
3. Comment conforter l’engagement des armées pour la protection du
territoire national ?
Enjeux
- Mettre en place une « garde nationale » composée d’un noyau dur de 3 000 à 5 000 personnes immédiatement disponibles et d’une réserve de 30000 personnes régulièrement formées sans être activées mais rapidement déployables.
- Confier aux armées la formation des personnels d’une « garde nationale ».
Enjeux
- - En réponse à la menace terroriste qui demeure, l’opération Sentinelle, pensée comme un dispositif d’urgence, est devenue permanente.
-
- Cet engagement prolongé fait peser un risque sur la capacité des armées à assurer leur mission première : assurer la défense des intérêts de la Nation sur le territoire national et à l’échelle internationale.
-
- Il est important de définir les modalités de la participation des armées à la protection du territoire national face à la persistance de la menace terroriste, en interface avec les forces
de sécurité.
Propositions
- Mettre en place une « garde nationale » composée d’un noyau dur de 3 000 à 5 000 personnes immédiatement disponibles et d’une réserve de 30000 personnes régulièrement formées sans être activées mais rapidement déployables.
- Confier aux armées la formation des personnels d’une « garde nationale ».
- 4. Comment penser autrement la construction du budget de la Défense ?
Enjeux
-
- Par construction, le budget de la défense est conçu comme une enveloppe maximale, calculée au plus juste. Toutes les dépenses imprévisibles viennent ponctionner les dépenses d’équipement pourtant plus que jamais nécessaires.
-
- Plus les armées sont engagées, plus leurs besoins augmentent et moins les moyens nécessaires sont disponibles. Il convient donc de maintenir la stabilité et la visibilité nécessaire sur le budget soutenant la posture permanente de défense.
-
- Il est important de faire en sorte que les opérations (intérieures ou extérieures) n’obèrent pas la capacité des armées à réaliser leurs missions dans le futur.
Propositions
- - Créer un socle budgétaire pour assurer la permanence de la posture de défense, construit dans la logique des Lois de programmation militaire.
-
- Financer les dépenses hors socle, liées aux aléas sécuritaires et géostratégiques, en dehors du budget de la Défense sur le budget du Trésor et y intégrer l’intégralité des coûts des
OPEX et OPINT (incluant la formation, le maintien en conditions opérationnelles, etc.).
5. Comment promouvoir une coopération entre la Défense et le secteur privé ?
Enjeux
-
- En conséquence d’une approche souvent trop dogmatique ou trop ambitieuse, les différents dispositifs de partenariats public-privé ne délivrent pas les bénéfices escomptés. Pourtant, des gains potentiels existent par une meilleure collaboration entre l’État et les acteurs privés.
-
- Face à la contrainte budgétaire, il est important de fournir des solutions innovantes pour
répondre aux besoins des armées sans pour autant révolutionner les pratiques ou bouleverser le cadre juridique.
- Pour promouvoir une approche de service, de coopération entre les secteurs privés et publics, une option consiste à adopter une démarche incrémentale, reconnaissant le droit à l’échec pour promouvoir l’innovation.
Propositions
-
- Allouer 5% du budget d’équipement et de fonctionnement (soit un volet supplémentaire d’environ 500 M€) à des projets innovants dans les équipements et les services en partenariat entre la Défense et le secteur privé.
-
- Attribuer un statut dérogatoire à titre expérimental à des contrats novateurs permettant d’expérimenter de nouvelles formes de coopération public-privé.
6. Comment mettre en place une coordination stratégique entre l’État et l’industrie dans l’armement ?
Enjeux
- - Le maintien des compétences et du tissu industriel est nécessaire pour permettre l’autonomie stratégique de la France.
-
- Les temps longs des grands programmes d’armement correspondent difficilement avec les temps plus courts du politique et des changements géostratégiques, créant des inefficacités pour l’État comme pour l’industrie. Cela requiert une plus grande flexibilité.
- - Il est nécessaire de donner à l’État et aux industriels une meilleure visibilité stratégique à moyen et long terme et favoriser ainsi l’investissement.
-
Propositions
- Mettre en place des contrats-cadres entre l’Etat et les filières stratégiques pour structurer dans la durée chaque domaine capacitaire.
- Mettre en place des structures conjointes de coordination pour identifier les besoins futurs et fixer les moyens à développer pour y parvenir, notamment en mettant de nouveau en place un mécanisme comme le Plan prospectif à 30 ans.
7) Comment crédibiliser un effort européen de défense commune ?
Enjeux
-
- La mutualisation des efforts de défense (et plus encore des matériels) est bien trop faible
entre Européens en dépit à la fois des potentialités et des bénéfices pour relever les défis de
la sécurité commune.
-
- Il est possible d’augmenter et rationaliser l’effort de défense entre les pays européens tout
en gardant une défense construite sur une base nationale.
-
- Face aux impasses des coopérations entre États, il est envisageable de mettre en place un
financement sur le budget communautaire des capacités militaires de manière à inciter les pays à accroître leur moyens de défense, en partie dédiés aux missions collectives.
Propositions
- - Rejeter l’idée d’une armée européenne, car elle n’est pas réaliste à l’heure actuelle. Seule une base nationale permet de construire un outil militaire crédible.
-
- Donner à la Commission européenne un budget permettant un abondement des
investissements de défense réalisés en coopération et, par là même, de bénéficier d’une dispense de TVA via l’Agence Européenne de Défense. - - Mettre en place un co-financement européen des investissements des États membres au service de la PSDC via le budget communautaire, mais avec de capacités opérées au niveau national et mises au service de la défense collective.
B) Risques et renseignement
Alain Chouet aborde l’état de la menace terroriste en France,
les problématiques du renseignement dans une société démocratique,
l’essor inquiétant des Sociétés militaires privées, la situation en
Arabie saoudite, Syrie, Irak et Afghanistan.
Alain Chouet (A. C. ) : La France fait
incontestablement partie des pays les plus menacés par des membres et
des sympathisants de Daesh. Mais être impliqué dans une politique
interventionniste active dans le monde arabo-musulman est loin d’être le
seul facteur de risque. C’est un facteur incontestablement aggravant
mais pas déterminant comme le prouve l’exemple de la Belgique, tout
aussi menacée que la France sans être pour autant très impliquée dans
des opérations militaires.
De fait, ce sont plutôt des facteurs
internes à chaque pays cible qui déterminent le degré d’exposition au
danger de violence se réclamant de l’islamisme. Sont ainsi
particulièrement exposés les pays qui :
1/ entretiennent sur leur
sol une communauté musulmane conséquente qu’ils on laissé pénétrer par
l’idéologie salafiste des agents d’influence wahhabites, de la Confrérie
des Frères Musulmans ou des oulémas revanchards déobandis du Pakistan ;
2/
ont une législation tolérante en matière de libertés et droits
individuels jointe à une faible « censure sociale » ou une faible
cohésion nationale et laissent à ce titre se développer des zones de
non-droit ou de droit « communautaire » sur leur propre sol.
À
partir de là, on peut essayer de dresser une carte des « pays à risque »
en Europe. La France y figure en bonne place. Si on échelonne
actuellement le risque sur une échelle de 1 (risque majeur) à 3 (risque
mineur) on trouvera :
1/ France, Belgique ;
2/ Royaume Uni, Espagne, Allemagne, Danemark, Italie ;
3/ Suède, Grèce, Pays Bas, Autriche.
C’est une classification volatile qui peut changer du jour au lendemain en fonction des rapports de chaque pays avec la sphère arabo-musulmane à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières.
1/ France, Belgique ;
2/ Royaume Uni, Espagne, Allemagne, Danemark, Italie ;
3/ Suède, Grèce, Pays Bas, Autriche.
C’est une classification volatile qui peut changer du jour au lendemain en fonction des rapports de chaque pays avec la sphère arabo-musulmane à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières.
L’institution de l’état d’urgence en France était certainement nécessaire et aurait dû prendre effet dès les attentats de Charlie Hebdo
(7 janvier 2015). C’est un ensemble de dispositions qui a permis aux
forces de sécurité de déclencher rapidement des contre-mesures efficaces
de saisies d’armes, de neutralisation d’individus menaçants, de
démantèlement de réseaux que les services de police connaissaient déjà
mais pour lesquels il leur manquait à la fois le cadre juridique et le
consensus politique pour agir.
Le problème est que très
rapidement après ces premiers succès, le maintien proclamé de l’état
d’urgence est devenu très théorique et les dispositions contraignantes
exceptionnelles qui y sont liées ont été perdues de vue ou sont restées
inappliquées.
Comment, en effet, prétendre lutter effectivement contre les
violences criminelle, en particulier la criminalité dite terroriste,
quand il est tacitement admis que les forces de sécurité, les pompiers,
les services sociaux et médicaux ne peuvent ni pénétrer ni agir dans des
zones à forte densité ainsi transformées en zones de non-droit livrées
aux activités frauduleuses et aux règlements de compte guerriers entre
bandes rivales munies d’armes de guerre dont elles n’hésitent pas à se
servir impunément contre les forces de l’ordre ? À quoi rime un « état
d’urgence » censé faire face à une menace diffuse, individuelle ou
groupusculaire et imprévisible quand on autorise presque tous les jours
des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes à se
rassembler en masses compactes et vulnérables dans l’espace public pour
des manifestations sociales, culturelles ou sportives ? Qui peut
raisonnablement parler de « dé-radicalisation » quand on a laissé
pendant trente ans des imams salafistes nommés et appointés par des
pétromonarchies wahhabites réactionnaires prendre une bonne part du
contrôle d’un « Islam de France » qui sombre peu à peu dans un
fondamentalisme caricatural - aux dépens d’abord des Musulmans de France
- et qui sert d’habillage idéologique à la pulsion de mort de quelques
dizaines de psychopathes en rupture de repères familiaux et sociaux ?
J. D. : « Nos politiciens mentent à la presse, ils voient leurs mensonges imprimés et ils appellent ça l’opinion publique » écrit John le Carré dans son roman Une amitié absolue [3], que vous citez dans La sagesse de l’espion [4].
Si l’on se fait l’avocat du diable, n’est-ce pas justement dans
l’intérêt d’un pays de ne pas tout dire à sa population, surtout en
matière de renseignement ?
A. C. : Il y a une différence fondamentale entre « mentir » et « ne pas tout dire ». L’article XV de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen stipule que tout agent public doit rendre compte de sa gestion à ses mandants. Il n’implique pas qu’il faille en informer les ennemis ou les concurrents de la collectivité nationale. Nos sociétés occidentales vivent aujourd’hui sous la dictature sans doute excessive de la transparence. Mais cette transparence ne peut s’étendre à tout, en particulier aux domaines de la défense et des relations extérieures. Il est difficilement concevable d’étaler sur la place publique les préparatifs et les objectifs d’actions sécuritaires et militaires ou les argumentaires préparatoires à des négociations internationales complexes. Dans nos démocraties, il appartient ensuite au peuple et à ses représentants de sanctionner les éventuels mensonges sur lesquels auraient été élaborées ces stratégies nécessairement confidentielles. Je constate que les peuples ne font guère usage de ce droit. Les mensonges éhontés des autorités américaines et britanniques sur la base desquels a été déclenchée l’invasion de l’Irak en 2003 n’ont par exemple jamais été sanctionnés. De même le flou qui a présidé aux interventions franco-britanniques en Libye (2011) ou en Syrie (2015) [5]. Les conséquences en sont pourtant dramatiques.
A. C. : Il y a une différence fondamentale entre « mentir » et « ne pas tout dire ». L’article XV de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen stipule que tout agent public doit rendre compte de sa gestion à ses mandants. Il n’implique pas qu’il faille en informer les ennemis ou les concurrents de la collectivité nationale. Nos sociétés occidentales vivent aujourd’hui sous la dictature sans doute excessive de la transparence. Mais cette transparence ne peut s’étendre à tout, en particulier aux domaines de la défense et des relations extérieures. Il est difficilement concevable d’étaler sur la place publique les préparatifs et les objectifs d’actions sécuritaires et militaires ou les argumentaires préparatoires à des négociations internationales complexes. Dans nos démocraties, il appartient ensuite au peuple et à ses représentants de sanctionner les éventuels mensonges sur lesquels auraient été élaborées ces stratégies nécessairement confidentielles. Je constate que les peuples ne font guère usage de ce droit. Les mensonges éhontés des autorités américaines et britanniques sur la base desquels a été déclenchée l’invasion de l’Irak en 2003 n’ont par exemple jamais été sanctionnés. De même le flou qui a présidé aux interventions franco-britanniques en Libye (2011) ou en Syrie (2015) [5]. Les conséquences en sont pourtant dramatiques.
J.
D. : On voit émerger profusion de Sociétés Militaires Privées (SMP),
ces entreprises sans cadre juridique dont les activités font florès sur
le marché de la « reconstruction ». Serait-ce une nouvelle forme
–lucrative- d’action humanitaire ? Que peuvent les Etats et des
organisations comme l’O.N.U. face à ces entreprises ?
A. C. : Ce sont certainement des activités lucratives mais elles n’ont rien à voir avec l’action humanitaire. De fait nous avons affaire à une forme moderne de mercenariat qui signe l’affaiblissement des États-Nations incapables pour des raisons diverses d’assumer la charge de la violence légale qui leur revient normalement dans le cadre du droit international. Pour les États-Unis, il s’agit d’une conséquence de la doctrine de guerre « zéro mort » qui s’est imposée après le traumatisme de l’engagement au Viêt Nam. Comme le rapatriement de cercueils de « boys » tombés au combat est devenu insupportable, les Américains utilisent donc extensivement les instruments de la guerre à distance (missiles de croisière, drones, bombardements aériens) et, puisqu’il faut bien finir le travail au sol par une intervention humaine, on y envoie à grands frais des gens volontaires et grassement payés pour cela qui ne sauraient capitaliser de l’émotion ou de la solidarité sur leurs pertes éventuelles. Pour des pays moins riches comme les pays européens ou certains pays du tiers monde qui n’ont plus les moyens d’entretenir en permanence des dispositifs militaires suffisamment dimensionnés pour faire face à toutes les situations, le recours au mercenariat est une formule d’économie permettant de faire face à des « plans de charge » imprévus. Mais dans tous les cas se pose la question de savoir ce que deviennent ces « grandes compagnies » quand les hasards du calendrier font qu’on n’a pas besoin de leurs services… Professionnels surentraînés, lourdement dotés en armements de toutes catégories, convaincus de leur logique d’entreprise, habitués à se « payer sur la bête », n’ayant de comptes à rendre à personne, pourquoi renonceraient-ils à ce qui fait leur fortune ? En particulier leurs dirigeants qui, par nécessité, entretiennent des rapports étroits avec les plus hauts échelons des exécutifs sur lesquels ils ne manqueront pas d’exercer des pressions diverses pour que perdurent et se multiplient les situations conflictuelles. On est clairement dans ce domaine face à une régression susceptible de coûter cher en termes de sécurité, de liberté et de démocratie.
A. C. : Ce sont certainement des activités lucratives mais elles n’ont rien à voir avec l’action humanitaire. De fait nous avons affaire à une forme moderne de mercenariat qui signe l’affaiblissement des États-Nations incapables pour des raisons diverses d’assumer la charge de la violence légale qui leur revient normalement dans le cadre du droit international. Pour les États-Unis, il s’agit d’une conséquence de la doctrine de guerre « zéro mort » qui s’est imposée après le traumatisme de l’engagement au Viêt Nam. Comme le rapatriement de cercueils de « boys » tombés au combat est devenu insupportable, les Américains utilisent donc extensivement les instruments de la guerre à distance (missiles de croisière, drones, bombardements aériens) et, puisqu’il faut bien finir le travail au sol par une intervention humaine, on y envoie à grands frais des gens volontaires et grassement payés pour cela qui ne sauraient capitaliser de l’émotion ou de la solidarité sur leurs pertes éventuelles. Pour des pays moins riches comme les pays européens ou certains pays du tiers monde qui n’ont plus les moyens d’entretenir en permanence des dispositifs militaires suffisamment dimensionnés pour faire face à toutes les situations, le recours au mercenariat est une formule d’économie permettant de faire face à des « plans de charge » imprévus. Mais dans tous les cas se pose la question de savoir ce que deviennent ces « grandes compagnies » quand les hasards du calendrier font qu’on n’a pas besoin de leurs services… Professionnels surentraînés, lourdement dotés en armements de toutes catégories, convaincus de leur logique d’entreprise, habitués à se « payer sur la bête », n’ayant de comptes à rendre à personne, pourquoi renonceraient-ils à ce qui fait leur fortune ? En particulier leurs dirigeants qui, par nécessité, entretiennent des rapports étroits avec les plus hauts échelons des exécutifs sur lesquels ils ne manqueront pas d’exercer des pressions diverses pour que perdurent et se multiplient les situations conflictuelles. On est clairement dans ce domaine face à une régression susceptible de coûter cher en termes de sécurité, de liberté et de démocratie.
J. D. : Dans son roman La Compagnie , qui raconte un demi-siècle d’histoire de la CIA, Robert Littell fait dire à l’un de ses personnages : « J’aide à protéger l’Amérique de ses ennemis » [6]. Parmi ces « ennemis » devrait pourtant figurer le Royaume d’Arabie Saoudite, que vous et d’autres bons connaisseurs pointez régulièrement du doigt [7]…
A. C. : Cela fait près de trente ans maintenant que des anciens de la CIA comme Milton Bearden, Robert Baer [8] et bien d’autres se fatiguent à répéter qu’ils ont systématiquement mis en garde les autorités de leur pays contre le problème que constitue l’activisme islamiste de l’Arabie et son rôle moteur dans l’expression de la violence fondamentaliste. Ce qui ressort de leurs abondants témoignages se ramène toujours à la même problématique. Les responsables politiques américains, toutes tendances confondues, mais en particulier les Républicains, ont toujours considéré que le rapport bénéfice-risque de la relation avec la famille Saoud était en faveur des États-Unis quelles que soient les turpitudes de cette famille et les dégâts consécutifs à leur « diplomatie religieuse » que dénonce Pierre Conesa dans son dernier ouvrage [9]. Les quelques milliers de morts américains du 11 septembre 2001 et les quelques centaines massacrés dans divers attentats ou prises d’otages à l’étranger ne pèsent apparemment pas lourd face au monopole pétrolier consenti à l’Aramco lors du pacte du Quincy (1945), face à la garantie du paiement des hydrocarbures en dollars, face aux soutiens mirobolants des campagnes électorales des candidats aux présidentielles et législatives américaines, face aux financements « généreux » accordés à certains poids lourds des think-tanks de Washington. À considérer tout cela, Robert Littell peut effectivement considérer qu’en dédouanant l’Arabie de ses manipulations hasardeuses, la CIA contribue à défendre et promouvoir les intérêts américains…. Cela dit, et n’en déplaise aux conspirationnistes de tout poil, l’agence de renseignement américaine n’ourdit pas d’obscurs complots. Elle ne fait que ce que le pouvoir exécutif démocratiquement élu lui prescrit.
A. C. : Cela fait près de trente ans maintenant que des anciens de la CIA comme Milton Bearden, Robert Baer [8] et bien d’autres se fatiguent à répéter qu’ils ont systématiquement mis en garde les autorités de leur pays contre le problème que constitue l’activisme islamiste de l’Arabie et son rôle moteur dans l’expression de la violence fondamentaliste. Ce qui ressort de leurs abondants témoignages se ramène toujours à la même problématique. Les responsables politiques américains, toutes tendances confondues, mais en particulier les Républicains, ont toujours considéré que le rapport bénéfice-risque de la relation avec la famille Saoud était en faveur des États-Unis quelles que soient les turpitudes de cette famille et les dégâts consécutifs à leur « diplomatie religieuse » que dénonce Pierre Conesa dans son dernier ouvrage [9]. Les quelques milliers de morts américains du 11 septembre 2001 et les quelques centaines massacrés dans divers attentats ou prises d’otages à l’étranger ne pèsent apparemment pas lourd face au monopole pétrolier consenti à l’Aramco lors du pacte du Quincy (1945), face à la garantie du paiement des hydrocarbures en dollars, face aux soutiens mirobolants des campagnes électorales des candidats aux présidentielles et législatives américaines, face aux financements « généreux » accordés à certains poids lourds des think-tanks de Washington. À considérer tout cela, Robert Littell peut effectivement considérer qu’en dédouanant l’Arabie de ses manipulations hasardeuses, la CIA contribue à défendre et promouvoir les intérêts américains…. Cela dit, et n’en déplaise aux conspirationnistes de tout poil, l’agence de renseignement américaine n’ourdit pas d’obscurs complots. Elle ne fait que ce que le pouvoir exécutif démocratiquement élu lui prescrit.
J. D. : Cinq
ans après le début des hostilités en Syrie, la dernière tentative
d’accord de paix entre la Russie et les Etats-Unis, approuvé par le
régime syrien, a duré moins d’une semaine [10]. Y-a-t’il donc de la lumière au bout du tunnel dans ce pays, méconnu des médias et du grand public il y a encore cinq ans [11] ?
A. C. : C’est à l’évidence pour tous les protagonistes une gesticulation politicienne. Que signifie un accord de cessez-le-feu excluant une des deux parties au conflit ? L’accord conclu entre Washington et Moscou impliquait un arrêt des hostilités entre, d’une part, le régime syrien et ses alliés, et d’autre part une opposition armée « démocratique » ectoplasmique qui n’existe que dans l’imagination ou les calculs des chancelleries occidentales. Étaient par définition exclues de l’accord les organisations djihadistes (Etat Islamique, Jabhat el-Nosra, Ahrar esh-Sham, etc.) qui constituent la véritable autre partie au conflit.
A. C. : C’est à l’évidence pour tous les protagonistes une gesticulation politicienne. Que signifie un accord de cessez-le-feu excluant une des deux parties au conflit ? L’accord conclu entre Washington et Moscou impliquait un arrêt des hostilités entre, d’une part, le régime syrien et ses alliés, et d’autre part une opposition armée « démocratique » ectoplasmique qui n’existe que dans l’imagination ou les calculs des chancelleries occidentales. Étaient par définition exclues de l’accord les organisations djihadistes (Etat Islamique, Jabhat el-Nosra, Ahrar esh-Sham, etc.) qui constituent la véritable autre partie au conflit.
Soutenu par la Russie,l’Iran,
diverses milices chiites – dont celle du Hezbollah libanais – le régime
de Damas est en train de reconquérir mètre par mètre le « pays utile »,
c’est à dire toute la partie à l’ouest de l’axe Damas-Alep. Le
rétablissement de son autorité sur la partie est du pays reste incertain
et dépendra beaucoup des évolutions en Irak et des manœuvres des
différents protagonistes régionaux (Iran, Turquie, Arabie, etc.). Dans
tous les cas rien ne sera jamais plus « comme avant ». L’étendue des
dégâts humains et matériels, l’intensité des rancoeurs locales et du
désir de vendetta entre communautés de villages ou de quartiers voisins
font qu’il faudra sans doute plusieurs générations – et cela reste
incertain - pour reconstruire un pays apaisé. Et même si le régime
dominé par la minorité alaouite a su se rallier une bonne partie de la
population sunnite face aux excès des djihadistes, la situation restera
bloquée dans l’amertume et la peur des uns et des autres – avec des
risques de dérapages violents – tant que des formules de coexistence
communautaire pacifiée n’auront pas été trouvées. Cela reste une
perspective lointaine comme on peut le constater au Liban où, 25 ans
après la fin de la guerre civile, on voit bien que chaque communauté vit
dans son réduit géographique et que le feu couve toujours sous la
cendre.
J. D. : Qu’en est-il des pays voisins, notamment
la Turquie et l’Irak ? En ce qui concerne l’Irak, certains chercheurs
estiment que la situation y est pire qu’avant l’intervention américaine
en 2003 [12]…
A. C. : En Turquie, le parti islamiste AKP, largement pénétré par les Frères Musulmans, a jeté le masque à l’été 2016 après avoir essayé pendant plus de 10 ans de présenter le visage d’un « islamisme modéré » susceptible de servir de modèle de transition et de pôle d’attraction aux régimes arabes issus des contestations de 2011. Ankara n’a pas hésité pour cela à stimuler un peu partout le zèle révolutionnaire des factions islamistes jusqu’à leur fournir assistance logistique et même militaire en Libye, en Égypte, en Irak, en Syrie et jusqu’à soutenir de diverses façons l’implantation de Daesh au Levant. Au terme de cinq années, cette tentative du président Erdogan de ressusciter l’Empire Ottoman dans sa capacité d’influence et de contrôle au Moyen-Orient a non seulement échoué mais s’est retournée contre ses initiateurs en favorisant sur le plan régional un irrédentisme kurde dangereux pour l’intégrité de la Turquie, en permettant à la Russie de reprendre une place importante au Levant, en suscitant l’inquiétude des alliés de l’OTAN et même des conservateurs arabes ainsi que des Européens victimes mais pas dupes de la gestion du problème des réfugiés par Ankara.
A. C. : En Turquie, le parti islamiste AKP, largement pénétré par les Frères Musulmans, a jeté le masque à l’été 2016 après avoir essayé pendant plus de 10 ans de présenter le visage d’un « islamisme modéré » susceptible de servir de modèle de transition et de pôle d’attraction aux régimes arabes issus des contestations de 2011. Ankara n’a pas hésité pour cela à stimuler un peu partout le zèle révolutionnaire des factions islamistes jusqu’à leur fournir assistance logistique et même militaire en Libye, en Égypte, en Irak, en Syrie et jusqu’à soutenir de diverses façons l’implantation de Daesh au Levant. Au terme de cinq années, cette tentative du président Erdogan de ressusciter l’Empire Ottoman dans sa capacité d’influence et de contrôle au Moyen-Orient a non seulement échoué mais s’est retournée contre ses initiateurs en favorisant sur le plan régional un irrédentisme kurde dangereux pour l’intégrité de la Turquie, en permettant à la Russie de reprendre une place importante au Levant, en suscitant l’inquiétude des alliés de l’OTAN et même des conservateurs arabes ainsi que des Européens victimes mais pas dupes de la gestion du problème des réfugiés par Ankara.
Pour faire face à
ces échecs, le gouvernement turc s’est trouvé contraint à des volte-face
spectaculaires et des retraits piteux, à renouer toute honte bue avec
Israël et la Russie après les avoir défiés, à devoir réagir
militairement sur le terrain à la fois contre les djihadistes et contre
les Kurdes. Enfin, et peut être surtout, le gouvernement islamiste s’est
empressé de profiter d’une tentative de coup d’État aux origines plus
que troubles le 15 juillet 2016 – au point que certains le comparent à
l’incendie du Reichstag – pour épurer l’armée, la police, les services de sécurité, la magistrature, l’université et même la presse
de tous les éléments jugés défavorables à son autoritarisme ou même
simplement trop tièdes à son égard. L’islamisme politique soi-disant
modéré encensé à une époque par toute une intelligentsia occidentale
naïve et bien pensante montre son vrai visage. Il n’est pas rassurant.
Quant
à l’Irak, il est clair que dix années d’occupation et d’administration
militaire américaine qui ont ressuscité les vieux démons communautaires
du pays ont engendré des situations inextricables. L’Irak et le monde
sont certainement moralement meilleurs sans Saddam Hussein mais l’Irak
n’est ni plus sûr, ni plus démocratique, ni plus prospère, ni plus
pacifié et l’avenir n’y est pas qu’incertain. Il est sombre. La défaite
annoncée de Daesh dont l’extrémisme violent a fini par exaspérer même la
minorité sunnite qui lui avait apporté son soutien ne signe pas la
réconciliation joyeuse des différentes communautés religieuses et
ethniques du pays. La gestion catastrophique du « proconsul » américain
Paul Bremmer a peut être sécurisé le contrôle des ressources
hydrocarbures locales au profit des majors américaines mais elle a semé
pour longtemps les germes de la révolte, de la discorde et de
l’humiliation dans une région qui n’avait pas besoin de cela pour verser
dans la violence.
J. D. : En Afghanistan, la situation
demeure inquiétante : les Taliban ne baissent pas les armes et sont
toujours aussi puissants [13]. Les Etats-Unis comme l’Union européenne continuent de soutenir Kaboul [14], tandis que le trafic de drogue se porte à merveille [15]… Après quinze ans d’occupation, comment espérer stabiliser le pays ?
A. C. : En 2002, le renversement du régime taliban par des moyens militaires était légitime et justifié. Le régime de Kaboul était un pouvoir d’État qui accordait asile et soutien à une organisation terroriste qui avait durement frappé les États-Unis. Cela dit, après l’anéantissement du noyau opérationnel d’Al-Qaïda et l’éviction des Taliban, il aurait été avisé d’en rester là, quitte à revenir autant de fois qu’il fallait pour éviter toute « rechute » de collusion entre le pouvoir local et le terrorisme international qui n’a jamais compté un seul Afghan dans ses rangs. Vécue comme une intrusion étrangère illégitime par tout un peuple jaloux de son indépendance, l’occupation militaire du pays pendant quinze ans n’a aucunement contribué à juguler le terrorisme international qui est allé s’exercer ailleurs, ni à instaurer un régime politique efficace et respectable dans le pays où l’on pressent déjà le retour politique des fondamentalistes sur les ruines du régime fantoche adoubé par l’OTAN.
A. C. : En 2002, le renversement du régime taliban par des moyens militaires était légitime et justifié. Le régime de Kaboul était un pouvoir d’État qui accordait asile et soutien à une organisation terroriste qui avait durement frappé les États-Unis. Cela dit, après l’anéantissement du noyau opérationnel d’Al-Qaïda et l’éviction des Taliban, il aurait été avisé d’en rester là, quitte à revenir autant de fois qu’il fallait pour éviter toute « rechute » de collusion entre le pouvoir local et le terrorisme international qui n’a jamais compté un seul Afghan dans ses rangs. Vécue comme une intrusion étrangère illégitime par tout un peuple jaloux de son indépendance, l’occupation militaire du pays pendant quinze ans n’a aucunement contribué à juguler le terrorisme international qui est allé s’exercer ailleurs, ni à instaurer un régime politique efficace et respectable dans le pays où l’on pressent déjà le retour politique des fondamentalistes sur les ruines du régime fantoche adoubé par l’OTAN.
Partis de leur Empire des Indes, les
Britanniques s’y sont cassé les dents au XIXe siècle. Idem pour l’Empire
Russe qui, parti de ses conquêtes d’Asie centrale, recherchait un accès
sûr vers les mers chaudes et libres de glace toute l’année. Finalement
tout le monde s’était mis d’accord pour laisser ces « irréductibles »
crever de faim dans leurs montagnes arides. Après tout, ils
constituaient un tampon utile entre les différents impérialismes. Et qui
plus est, ils n’embêtaient personne. C’est encore valable aujourd’hui.
On n’a jamais vu un Afghan aller se faire sauter à New York ou ailleurs
ni se mêler de terrorisme international. Ils se préoccupent de ce qui se
passe chez eux, sans regarder vraiment au-delà. Alors pourquoi ne pas
les laisser décider de leur sort entre eux sans intervention extérieure,
y compris celle de certains de leurs voisins qui se disent alliés de
l’Occident ? Il est clair que cela se fera selon des critères qui ne
sont pas les nôtres, voire qui nous sont détestables, et qu’il faudra
pendant longtemps maintenir un « cordon sanitaire » autour de ce pays
voué aux querelles tribales, aux trafics en tous genres et à la
monoculture des stupéfiants. Mais, en dehors de ce nécessaire
« containment », au nom de quelle doctrine messianique et néo-coloniale
allons nous tenter d’imposer nos valeurs et nos modes de vie aux
autres ? Ce genre d’interventionnisme est voué à l’échec comme le notait
déjà Robespierre il y a plus de deux siècles :
« La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique, est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa Constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis. »
J.
D. : Le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) a
rapporté que les Révolutions Arabes avaient été encouragées, sinon
manipulées, par des associations américaines destinées à « former » des
manifestants… Les médias et les opinions publiques ont-ils été à ce
point leurrés ?
A. C. : Ce ne sont évidemment pas des organisations américaines publiques ou privées qui ont suscité ou manipulé les mouvements de contestation dans le monde arabe à partir de décembre 2010. Il y avait dans les pays de ce monde suffisamment de raisons de mécontentement depuis plus de cinquante ans pour provoquer des troubles civils. Ce genre de troubles n’avait d’ailleurs pas manqué de se produire régulièrement depuis les années 1970 dans la plupart des pays arabes sans que les Occidentaux s’en émeuvent ni ne s’indignent des répressions sanglantes.
A. C. : Ce ne sont évidemment pas des organisations américaines publiques ou privées qui ont suscité ou manipulé les mouvements de contestation dans le monde arabe à partir de décembre 2010. Il y avait dans les pays de ce monde suffisamment de raisons de mécontentement depuis plus de cinquante ans pour provoquer des troubles civils. Ce genre de troubles n’avait d’ailleurs pas manqué de se produire régulièrement depuis les années 1970 dans la plupart des pays arabes sans que les Occidentaux s’en émeuvent ni ne s’indignent des répressions sanglantes.
Il est
exact qu’en 2011, à l’image de ce qui s’est passé dans les Balkans dans
la décennie 1990 puis dans les ex-pays de l’Est dans les années 2000, un
certain nombre d’organisations dites « humanitaires » américaines –
dont beaucoup animées et/ou financées par l’activiste spéculateur
milliardaire Georges Soros (Open Society Fundation, Freedom House, Human
Rights Watch, etc.) – ont fourni aux contestataires des encouragements,
des conseils en organisation, de l’assistance logistique et parfois des
financements. Ces démarches entreprises sur le même modèle que le
soutien aux « révolutions oranges » dans les ex-républiques soviétiques
et ex-pays satellites pour imposer la démocratie par l’action de rue de
minorités activistes n’a fait qu’encourager le désordre, donné de faux
espoirs à des masses désorientées, suscité la réaction violente des
forces conservatrices, qu’elles soient religieuses ou
militaro-autoritaires.
Cependant, si discutables qu’elles soient,
les initiatives de ces organisations activistes n’expliquent ni
l’aveuglement des politiques occidentaux ni le panurgisme bien-pensant
des médias qui ont « leurré » les opinions publiques. Il n’a pas manqué
d’experts, de chercheurs, d’universitaires, de diplomates, de
responsables des services de renseignement pour tirer la sonnette
d’alarme sur des évolutions mal maîtrisées qui ne pouvaient déboucher
que sur des catastrophes et la montée en puissance des forces les plus
réactionnaires. Dès avril 2011, de nombreux chercheurs alertaient sur le
fait que le « printemps arabe » risquait de se transformer rapidement
en « hiver islamiste ». Politiques et médias ont jugé l’expression
politiquement incorrecte et bien vite imposé le silence à ces oiseaux de
mauvais augure. Il n’a pourtant fallu qu’un été pour que leur
prévision se réalise. Alors, n’ont été leurrés que ceux qui voulaient
bien se faire leurrer ou qui se sont leurrés tout seuls.
J.
D. : En tant qu’ancien des « Services spéciaux » et auteur, comment
voyez-vous la géopolitique ? Que vous apporte-t-elle dans votre
compréhension du monde ?
A. C. : La géopolitique n’est l’apanage de personne. Elle commence quand vous donnez des coups de manche à balai au plafond pour intimer le silence aux voisins du dessus puisque vous intervenez sur la frontière de deux espaces privatifs pour obtenir un changement de comportement de « l’autre », lui signifier votre inconfort ou lui transmettre une menace implicite. Tout le monde fait de la géopolitique comme M. Jourdain faisait de la prose. Ce qui est vrai pour les particuliers l’est pour les États. On s’abstient de donner des coups de balai au plafond quand le voisin du dessus est un champion de boxe poids lourd…
A. C. : La géopolitique n’est l’apanage de personne. Elle commence quand vous donnez des coups de manche à balai au plafond pour intimer le silence aux voisins du dessus puisque vous intervenez sur la frontière de deux espaces privatifs pour obtenir un changement de comportement de « l’autre », lui signifier votre inconfort ou lui transmettre une menace implicite. Tout le monde fait de la géopolitique comme M. Jourdain faisait de la prose. Ce qui est vrai pour les particuliers l’est pour les États. On s’abstient de donner des coups de balai au plafond quand le voisin du dessus est un champion de boxe poids lourd…
Ce qui
apporte quelque chose à la compréhension du monde, c’est d’abord
l’histoire, c’est ensuite la géographie politique qui en découle, c’est
enfin la connaissance et le respect de la culture des autres qui résulte
précisément de leur histoire. C’est tout cela, la géopolitique. Mais
c’est une science morose. Elle permet de prévoir les catastrophes de
demain à la lueur des tragédies du passé.
[1] Sont
repris ici les mots de M. Patrick Calvar, Directeur Général de la
Sécurité Intérieure (D.G.S.I.), lors de son audition devant la
Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée
Nationale, le 10 mai 2016 ; voir également l’intervention de M. Mathieu
Guidère, islamologue, lors de l’émission « C dans l’air » (France 5) du 7
septembre 2016 : « Attentat déjoué ? Alerte maximale » ; http://www.france5.fr/emissions/c-dans-l-air/diffusions/07-09-2016_505611
[2] Acronyme
francisé de l’arabe « Da’ish » dont les initiales (« Dawla
al-Islamiyyah fil-Iraq wa ash-Sham ») signifient « Organisation de
l’Etat Islamique en Irak et au Levant ». Voir « Daesh, qu’est-ce que
c’est ? », par Alain Chouet, sur le site du Comité Valmy : http://www.comite-valmy.org/spip.php?article5147
[3] Une amitié absolue, John le Carré, 2004, Editions du Seuil, traduit par Mimi et Isabelle Perrin.
[4] La sagesse de l’espion, Alain Chouet, L’œil Neuf éditions, 2010.
[5] http://www.defense.gouv.fr/operations/irak-syrie/chronologie/chammal-retour-sur-les-dates-cles-de-l-intervention-militaire-francaise-au-levant
[6] La Compagnie. Le grand roman de la CIA, Robert Littell, Editions Buchet-Chastel, 2003, traduit par Nathalie Zimmermann.
[7] Lire
Au cœur des services spéciaux. Menace islamiste : fausses pistes et
vrais dangers, Alain Chouet, La découverte, réédité et augmenté en 2013,
ainsi que le texte de l’intervention de M. Chouet devant le Sénat en
2009. Voir également l’interview de M. Pierre Conesa sur RFI : http://www.rfi.fr/emission/20160917-conesa-specialiste-geopolitique-auteur-saoud-djihad
[8] A
la tête des opérations clandestines de la CIA au Moyen-Orient pendant
vingt ans, Robert Baer est l’auteur d’ouvrages de référence, notamment
Or noir et Maison-Blanche (Folio documents, 2004, traduit par Daniel
Roche) qui porte justement sur les relations américano-saoudiennes, ou
encore La chute de la CIA (Folio documents, 2003). C’est ce dernier
livre qui a inspiré au réalisateur-scénariste Stephen Gaghan le film
« Syriana », produit et interprété par George Clooney.
[9] Dr. Saoud et Mr. Jihad, Pierre Conesa, éditions Robert Laffont, septembre 2016.
[10] « Syrie : le Kremlin fustige les déclarations des Etats-Unis », Le Figaro, 26 septembre 2016 : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/09/26/97001-20160926FILWWW00099-syrie-le-kremlin-fustige-les-declarations-des-etats-unis.php
[11] « Peu
de Français sont capables de situer sans hésiter la Syrie sur une
mappemonde. Encore moins nombreux sont ceux qui connaissent son
histoire » sont les premiers mots d’Alain Chouet en préface de "Quand la
Syrie s’éveillera…", de Richard Labévière et Talal el-Atrache, éditions
Perrin, 2011. Pour un éclairage sur la situation géopolitique de la
Syrie avant 2011, voir l’excellent documentaire « Syrie, parties
d’échecs aux frontières » d’Amal Hamelin des Essarts, diffusé sur France
5 en 2009. Lire également L’exception syrienne. Entre modernité et
résistance, de Caroline Donati, La découverte, 2009.
[12] « Irak, colosse à la tête d’argile », Peter Harling, Le Monde diplomatique, août 2016.
[13] Cf.
l’analyse de Georges Lefeuvre, spécialiste de la zone
Afghanistan-Pakistan, dans l’émission Cultures Monde (France Culture, 19
septembre 2016) : « Djihad : les nouvelles lignes de front. Talibans :
l’éternel retour », http://www.franceculture.fr/emissions/culturesmonde/djihad-les-nouvelles-lignes-de-fronts-14-talibans-leternel-retour
[14] Des 5 500 soldats prévus au départ par Barack Obama pour janvier 2017, leur nombre est passé à 8 400 : http://www.rfi.fr/ameriques/20160706-afghanistan-barack-obama-annonce-le-maintien-8400-soldats-2017.
En parallèle, le Représentant Spécial de Barack Obama pour
l’Afghanistan a annoncé une aide militaire annuelle de 3 milliards de
dollars jusqu’à 2020 : http://www.usip.org/publications/2016/07/06/qa-obama-s-troop-decision-and-afghanistan-s-stability. Côté européen, la Commission a débloqué 27, 5 millions d’euros d’aide humanitaire : http://ec.europa.eu/echo/where/asia-and-oceania/afghanistan_fr.
[15] « Afghanistan : l’impossible retrait américain ? » de Théotime Chabre, Carto n°37, septembre-octobre 2016.
Par Alain CHOUET, Jérôme DIAZ,
A. Chouet, ancien chef du service de renseignement de
sécurité de la D.G.S.E. Jérôme Diaz, est journaliste indépendant,
auditeur Séminaires Jeunes de l’IHEDN et de l’IHESJ, diplômé du Master 2
« Sécurité Internationale et Défense » de la Faculté de Droit de
Grenoble.
C) Les fonds souverains changent-ils la face de l’économie mondiale ?
Comment les fonds souverains sont-ils devenus des
acteurs incontournables des nouvelles dynamiques financières et
géopolitiques mondiales ? Leurs ressources immenses et la nouveauté de
leur stratégie d’investissement long terme en font depuis quelques
années des pionniers du financement de l’économie mondiale. La prise de
participation de fonds souverains dans des actifs à l’étranger noue des
liens stratégiques entre les pays.
AU COURS Au cours de ces dernières années, la finance mondiale
s’est transformée sous l’influence croissante des fonds souverains. Il
existait seulement une vingtaine de fonds souverains en 2000 tandis
qu’ils sont aujourd’hui plus de 75 et ne cessent d’augmenter [1] :
Israël, Hong Kong, la Turquie, la Grande Bretagne et l’Indonésie ont
récemment annoncé la création d’un fonds souverain. Au service d’un
État, le fonds souverain investit sur les marchés financiers pour
garantir la diversification et la durabilité des revenus publics. Ce statut hybride, acteur financier sous mandat public,
est inédit et révolutionnaire tant pour le fonctionnement et la
régulation de la finance que pour les possibilités de développement des
pays. Selon le « Sovereign Wealth Fund Institute », la taille des fonds
souverains a pratiquement doublé depuis 2010 pour représenter près de
7,4 trillions de dollars en décembre 2015. [2]
Une partie considérable de la manne monétaire de la finance
d’aujourd’hui est donc publique et de ce fait, répond à des régulations
et des exigences spécifiques. Cette irruption des États sur les marchés
financiers a un double effet. D’un côté, la finance doit s’adapter à un
investisseur qui obéit à une logique d’État et à des critères de
transparence et de responsabilité. De l’autre côté, l’État se dote d’une
nouvelle source de financement qui lui permet de mener les missions
cruciales de stabilisation du budget, d’élaboration de politiques
publiques et d’épargne intergénérationnelle. La rencontre de ces deux
mondes est bienvenue. Elle permet aux États d’avoir une influence sur
les régulations et les pratiques financières ;
et elle octroie à la finance une nouvelle noblesse d’âme en servant les
intérêts des citoyens. Les fonds souverains remédient ainsi aux
évolutions incontrôlées du capitalisme mondial qui ont abouti à une
disjonction entre la création de profits non régulée et les besoins
croissants de financement public. Dans le même temps, l’interaction des
fonds souverains constitués en communauté d’investisseurs entretient un
nouveau réseau en finance, connoté d’une force stratégique inédite.
Nouveaux acteurs hybrides des relations internationales, quel est
l’impact des fonds souverains sur les dynamiques financières et
géopolitiques mondiales ?
La présence d’une logique d’État
permet d’infléchir la finalité des investissements vers des impacts
positifs pour le développement des pays (I). Les fonds souverains
s’imposent comme les gendarmes de marchés et les principaux financeurs
de l’économie mondiale (II). A l’occasion de partenariats entre fonds
souverains, une dimension diplomatique nécessairement affleure, avec son
potentiel de coopération et de déstabilisation (III).
I. Aux mains d’un fonds souverain, les stratégies financières sont réindexées sur une finalité d’intérêt public
Le
fonds souverain peut servir plusieurs fonctions. Son rôle par
excellence est de pallier le fameux syndrome hollandais, autrement
appelé « malédiction des ressources naturelles » par les économistes du
développement. Les fonds souverains sont généralement établis par des
pays exportateurs de ressources naturelles ou de biens de consommation.
Lorsque leur balance commerciale devient largement excédentaire, ces
pays accumulent des revenus et s’exposent ainsi à plusieurs risques.
Premièrement, l’accumulation de devises crée un risque d’excès de
liquidités et de volatilité de la valeur de la monnaie locale.
Deuxièmement, le pays entretient une dépendance envers ses revenus issus
de l’exportation sans être certain que ces revenus soient stables et
durables. L’épuisement des ressources du pays, les fluctuations du prix
sur les marchés, la concurrence de nouveaux acteurs ou encore la
diminution de la demande sont autant de risques qui pèsent sur la
longévité des revenus. Troisièmement, une économie qui dépend d’une
seule source de revenus n’est pas robuste : les profits issus de
l’exportation peuvent financer les besoins immédiats du pays sans
inciter à investir dans un système de production nationale. Pour toutes
ces raisons, les pays en développement riches en matières premières ont
sombré dans une impasse économique menant paradoxalement à plus de
pauvreté et d’instabilité que des pays similaires sans ressources. Dans
cette situation, le fonds souverain est un mécanisme de protection très
efficace contre la dépendance d’un pays envers ses « rentes ». En
diversifiant la source des revenus, il crée un mécanisme
d’investissement et d’épargne intergénérationnel qui assure la stabilité
et la durabilité des richesses publiques. On peut citer le cas du fonds
souverain malaisien, « Khazanah Nasional », qui a réussi à utiliser les
revenus pétroliers du pays pour soutenir l’industrie nationale,
diversifier ses secteurs de production ou financer des projets
domestiques à impact économique et social. Suivant la même logique, le
fonds souverain coréen, « Korea Investment Corporation », utilise les
revenus issus de ses exportations commerciales pour financer l’économie
du pays à long terme. En février 2016, le président du groupe a annoncé
la croissance des réserves du fonds de 85 milliards de dollars à 200
milliards d’ici 2020. [3] A terme, on peut imaginer qu’il serve à financer le coût de réunification des deux Corée.
II.Les fonds souverains : gendarmes des marchés et financeurs de l’économie mondiale
La
présence de ces investisseurs publics sur les marchés financiers impose
de nouvelles régulations en finance. La lutte contre la corruption est
une des raisons fondamentales qui expliquent la prolifération des fonds
souverains. Au Nigeria par exemple, le fonds souverain a été mis en
place pour s’assurer que les revenus pétroliers soient gérés de façon
transparente. Des critères légaux très clairs définissent le modèle
d’investissement du fonds et les conditions sous lesquelles les revenus
sont placés ou retirés, sécurisant ainsi le capital public du pays. Par
ailleurs, les fonds souverains deviennent acteurs d’une régulation de la
qualité des investissements. Le fonds souverain norvégien, « Norges
Bank Investment Management » (NBIM), fait par exemple preuve d’un
activisme d’actionnaire qui n’a pas de précédent dans l’histoire de la
finance. Le fonds s’est engagé à se retirer de tout investissement lié à
la production de combustibles fossiles. Dans les entreprises dans
lesquelles il est investi, il requiert la réduction des émissions de gaz
à effet de sphère. La taille et l’importance stratégique de NBIM font
de ses engagements éthiques un véritable moyen de pression sur les
pratiques financières. NBIM n’hésite pas à mettre en œuvre ses
sanctions : récemment, le fonds a mis un terme à sa participation dans
l’entreprise américaine « Duke Energy Corp. » après la révélation de son
bilan de pollution. [4]
Non sans une certaine ironie de l’histoire, c’est un fonds issu de
revenus pétroliers qui est aujourd’hui le champion du financement de la
transition énergétique et de la sensibilisation au changement
climatique.
L’activisme d’actionnaire des fonds souverains
permet également de lutter contre le problème de l’asymétrie
d’information sur les marchés financiers. Le manque de transparence des
informations délivrées par les entreprises, voire la rétention ou la
manipulation d’informations (déclaration de faux profits, dissimulation
de pertes…), est une source de risque immense pour les investisseurs et
une des causes de la création de bulles financières. Pour réduire les
aléas sur la valeur de leurs actifs, les fonds souverains demandent une
transparence des normes comptables et la publication d’informations
financières fiables de la part des entreprises dans lesquels ils sont
investis. Cela renforce la mise en application des normes
internationales de régulation des marchés, comme les « International
Financial Reporting Standards utilisés en Europe » ou les « Generally
Agreed Accounting Principles » américains.
Au-delà de ce nouveau
rôle de gendarme de la finance, les fonds souverains détiennent aussi
une puissance transformative sur la finance en proposant un nouveau
modèle d’investissement. L’essence de leur stratégie repose sur
l’investissement sur un horizon long terme pour garantir que les revenus
d’aujourd’hui bénéficient aux générations futures. Alors qu’un fonds de
pension traditionnel a besoin de produits qui génèrent des retours
annuels pour déverser les retraites à ses contribuables chaque année,
les fonds souverains n’ont théoriquement pas d’engagement sur l’année
mais plutôt sur 5, 10 voire 20 ans. Ils ont ainsi une approche
contra-cyclique par rapport à la volatilité court terme des marchés.
Lors de la panique qui a saisi les marchés début janvier 2016, les
bourses ont chuté dans un mouvement général de rétraction des
investissements et vente des actions. A contre courant de cette
tendance, un groupe de fonds souverains [5]
réunis au Forum Économique de Davos le 21 janvier 2016 affirmait leur
engagement contre la volatilité des marchés, en annonçant la création du
nouvel indice d’investissement long-terme, le « S&P Long-Term Value
Creation Index ». Cet engagement est très prometteur. Jusqu’à présent,
les investissements long terme étaient désertés par les investisseurs
traditionnels. Ils requièrent en effet un engagement stable et pérenne
et sont souvent associés à de forts coûts fixes initiaux, une faible
profitabilité immédiate et des risques qui pèsent sur leur viabilité.
Dans le cas de produits illiquides comme les infrastructures,
l’investisseur est impliqué durant l’ensemble de la période
d’investissement et peut difficilement se rétracter en cours. Pour ces
raisons, les investisseurs court terme ne préfèrent pas s’y risquer.
Pourtant, ce sont ces investissements qui sont la clé du financement
d’une économie globale : réseaux électriques, voies de communication,
assainissement en eau ou encore financement de la transition énergétique
sont autant d’investissements cruciaux délaissés par les règles
classiques de la finance. Les fonds souverains ont une position
privilégiée pour combler ce gouffre. On peut citer l’approche de la
« Caisse de dépôt et placement du Québec » (CDPQ) qui travaille
directement avec le gouvernement canadien pour concevoir et financer des
projets d’infrastructures publiques et de transports à impacts sociaux
et environnementaux. De la même manière, CDPQ est membre de la
plateforme d’investissement « Resurgent Power Ventures » en
coparticipation avec deux autres fonds souverains du Koweït et d’Oman et
des investisseurs privés pour financer le développement du réseau
électrique indien. La taille de la plateforme s’élève déjà à 850
millions de dollars.
III. La collaboration entre fonds souverains donne lieu à des alliances stratégiques et diplomatiques
La
collaboration de plusieurs fonds souverains au sein d’un même
investissement est d’ailleurs de plus en plus courante. Ils partagent
ainsi leurs ressources et leur expertise entre pairs et montent des
plateformes de co-investissement sans avoir besoin de recourir à un
gestionnaire d’actifs. Typiquement, le fonds russe « Russian Direct
Investment Fund » ne fonctionne que sur ce modèle de collaboration. Il a
déjà scellé des partenariats dans de nombreux pays dont la France,
l’Italie, le Qatar, le Bahreïn, les Émirats Arabes Unis, la Chine,
l’Inde…
Un des objectifs déclarés de ces alliances est
d’approfondir la coopération économique bilatérale. Ces nouvelles
alliances représentent ainsi des engagements stratégiques entre pays et
redessinent une diplomatie économique peu médiatisée. Ainsi, le fonds souverain chinois
a déployé une présence internationale impressionnante. Armée de son
imposant fonds de près de 814 Md$, « China Investment Corporation »
(CIC), la puissance financière de la Chine prend de vraies allures
géopolitiques. En 2014, la Chine a établi un véhicule entièrement dédié à
la construction d’infrastructures et de voies de communication à
travers l’Asie centrale. Ce nouveau fonds, au nom programmatique de
« Silk Road Fund », est doté de 40 Md$. A titre de comparaison, cela
représente déjà près d’un tiers du budget de l’Union européenne.
En France, sous l’égide de la Caisse des Dépôts, le fonds souverain
« Caisse des Dépôts Capital International » a conclu avec la CIC un
partenariat d’investissement pour le financement du Grand Paris à
hauteur d’1 Md€.
Certes, les fonds souverains se sont engagés
à respecter les Principes de Santiago, qui stipulent que leur stratégie
d’investissement ne doit servir que des objectifs commerciaux et non
stratégiques. On peut néanmoins s’interroger sur les capacités
d’influence voire d’ingérence que confère la prise de participation
financière d’un acteur souverain dans l’économie d’un autre pays.
Récemment, le fonds de pension souverain australien, « Queensland
Investment Corporation » (QIC), a proposé un nouveau degré de
partenariat entre fonds. QIC a acquis une telle expertise en matière
d’investissements qu’il propose aujourd’hui ses services de
gestionnaires d’actifs à d’autres fonds d’États australiens. [6]
Les retours sur ces activités bénéficient au budget de l’État : chaque
année, QIC paye un dividende au Trésor. Mais l’impact stratégique de
cette activité n’est pas anodin : dans le cas hypothétique où QIC serait
en rivalité avec un État dont il gère le fonds souverain, son ingérence
pourrait devenir une ascendance problématique.
Les fonds
souverains sont ainsi devenus des acteurs incontournables des nouvelles
dynamiques financières et géopolitiques mondiales.
[1] https://www.preqin.com/docs/reports/2015-Preqin-Sovereign-Wealth-Fund-Review-Exclusive-Extract-June-2015.pdf
[4] http://www.wsj.com/articles/norway-sovereign-wealth-fund-to-no-longer-invest-in-duke-energy-1473271601
[5] Canada
Pension Investment Board (CPPIB), Government Investment Corporation of
Singapore (GIC), New Zealand Superannuation Fund, Ontario Teachers’
Pension Plan (OTPP), ATP Denmark and PGGM Netherlands.
[6] « From
investor to manager – how QIC is crossing the fence », entretien avec
Jim Christensen, Managing Director, Global Multi-Asset à QIC, sur
« Institutional Investor Network », 20 juin 2016. https://www.investorintelligencenetwork.com/research/case-studies/investor-manager-%E2%80%93-how-qic-crossing-fence#
Par Juliette FAURE
Juliette Faure a travaillé pour un think tank de
fonds souverains à New York. Elle a obtenu un Master en Relations
Internationales à Columbia University à New York après avoir étudié à
Sciences Po Paris et à la Sorbonne Paris IV en philosophie.
D) Différentes informations sur la Russie - POUTINE - Géopolitique Terrorisme - Stratégie...
Vincent DOIX, Diplômé du Master Affaires Publiques de SciencesPo Paris et en droit international à Paris 1 Panthéon
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B) Russie : les risques d'une puissance instable
Laurent CHAMONTIN, Polytechnicien
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C) La guerre de l'information à la russe, et comment s'en défendre
Laurent
CHAMONTIN, diplômé de l'École Polytechnique. Il a vécu et voyagé dans
le monde russe. Il est l'auteur de « L'empire sans limites – pouvoir et
société dans le monde russe » (Éd. de l'Aube – 2014).
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D) 2017, année Poutine ?
Cyrille
BRET, enseigne à Sciences Po Paris et dirige le site de géopolitique
EurAsia Prospective (eurasiaprospective.net). Il anime le compte twitter
@cy_bret.
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