LES ENJEUX SOCIAUX ET ÉCONOMIQUES
DE LA NÉGOCIATION
La négociation collective est l’un des sujets qui permettent de toucher au plus près les
contradictions qui traversent en 2015 la société française.
En apparence, tous les acteurs, responsables et commentateurs, sont d’accord : il faut
développer le dialogue social et plus particulièrement l’un de ses outils privilégiés,
l’accord collectif signé entre des partenaires sociaux représentatifs.
Ce consensus se double d’une justification incontestable : le dialogue social est le point
de convergence qui permettrait d’assurer l’efficience économique et le progrès social.
Mais dès que l’on va plus avant, on constate que ce consensus repose sur des
malentendus et reste superficiel.
Car le sujet est d’abord enfermé dans une « gangue de complexité » constituée de
règles juridiques difficilement compréhensibles pour le non-spécialiste. La perception des
vrais enjeux est délicate de même que celle des évolutions. Les commentaires et
analyses, tout entiers tournés vers le contenu et la taille du code du travail, ignorent ainsi
que de tous les pays occidentaux, la France est l’un des pays qui s’est le plus
résolument tourné vers la négociation collective depuis ces dix dernières années.
Mal comprise pour beaucoup d’économistes et de responsables d’entreprise, la
négociation apparaît aussi dépassée. Devant la révolution digitale et « l’uberisation » de
notre économie, la relation salariale, dans la conception forgée par notre droit du travail,
serait appelée à disparaître. Entre des agents économiques très qualifiés offrant des
prestations à de multiples entreprises et des acteurs assurant les tâches de base sans
possibilité de substitution par la machine, la classe moyenne et le droit qui lui est
maintenant sociologiquement rattaché, le droit du travail, verraient leur place se réduire
progressivement.
CONCLUSION
Les auditions organisées par le groupe de travail en ont été l’illustration : dans notre pays
et dans cette période de forte interrogation, tant du point de vue économique que social,
beaucoup d’acteurs hésitent en réalité sur la voie qu’il convient de suivre.
Le « fil rouge » de ce rapport est que le modèle de relations du travail tel qu’il est issu du
code du travail et des pratiques de négociation des partenaires sociaux paraît décalé par
rapport aux impératifs du présent ; il ne semble pas en capacité d’absorber et de
maîtriser les bouleversements qui s’annoncent et dont on connaît déjà les prémices.
En même temps, une économie et un système de relations sociales ont besoin de
normes et les propositions de table rase en la matière relèvent d’autant plus du
manifeste que les pays généralement cités en exemple ont, quand on prend le temps d’y
regarder de près, des dispositifs juridiques précis et contraignants qui ne ressemblent en
rien à la description qui en est souvent faite.
Que ce soit aujourd’hui ou demain, dans le monde du digital ou de l’« uberisation », nous
aurons besoin de la loi et de normes négociées, sauf à remettre en cause les principes
fondateurs de la République et de la démocratie ainsi que l’efficacité même de notre
économie et de notre système de relations sociales.
Une chose est certaine, les systèmes de relations sociales imposeront sans cesse
davantage la prise en compte de la proximité, de la diversité et de la rapidité dans
l’adaptation.
La conviction sur laquelle repose le présent rapport est que la négociation collective est
un instrument sans pareil pour concilier les exigences de l’économie, dont dépendent
l’emploi et les impératifs du progrès social.
À un moment où il est de bon ton de critiquer l’archaïsme de notre société, on peut se
demander si cette pratique des accords collectifs, loin d’être une tradition qui sera
balayée par la mondialisation, n’est pas, au contraire, un mode de régulation adapté pour
l’avenir.
À cet égard, il est symptomatique de relever que dans des pays relativement éloignés de
notre modèle social, comme les États-Unis, la question de la place de la négociation
collective (collective bargaining) est au centre des réflexions.
Il est en effet loin d’être certain que les modes de management unilatéraux que l’on voit
fleurir dans de nombreux pays et entreprises, présentés comme des modèles absolus
d’efficacité économique, soient, à terme, adaptés aux besoins de compréhension, de
discussion, de participation qu’expriment les personnes quelle que soit leur nationalité et
que favorisent les nouveaux espaces d’information et les réseaux sociaux.
Mais il est tout aussi certain que, pour jouer ce rôle et aborder les révolutions prochaines,
notre système de négociation et les acteurs eux-mêmes doivent s’adapter et se réformer
profondément dans leurs pratiques et leurs modes de pensée.
L’objet du présent rapport a été de soumettre quelques pistes à la réflexion collective. Il
ne prétend pas à l’exhaustivité et encore moins à l’infaillibilité des analyses et
propositions.
L’essentiel est que ces questions soient « mises sur la table » et discutées.
Contrairement à une idée largement répandue, la très grande majorité des acteurs
sociaux sont convaincus de la nécessité de la réforme. Mais cela ne se traduit pas dans
les faits.
Une des raisons principales en est le manque de confiance qui s’est progressivement
installé et qui s’est accentué avec la crise. Ce manque de confiance touche l’ensemble
des rouages de notre société et affecte gravement notre économie et nos relations
sociales.
Pourtant, tant du côté des chefs d’entreprise que du côté syndical, il y a un même
attachement, réel, à la communauté de travail que représente l’entreprise, qui
malheureusement n’a parfois d’égal que la défiance réciproque qui s’installe.
Or il existe des entreprises et des branches professionnelles dans lesquelles, sans
méconnaître les positions des uns et des autres, s’est instauré un climat de confiance
permettant de construire et d’innover.
C’est de la pratique de ces entreprises, de ces branches et de ces syndicats dont il faut
s’inspirer.
L’objet du présent rapport a donc été de porter le débat non sur le seul champ de
l’institutionnel et du droit, ce dont notre pays est le champion incontesté tous pays
confondus, mais d’abord sur celui du jeu des acteurs.
La démarche peut paraître « audacieuse » mais la lettre de mission du Premier ministre
comportait cette exigence.
À l’issue de ce rapport, rien ne serait pire que de laisser croire que la rédaction habile par
le gouvernement et le Parlement de tel ou tel article du code du travail sur les rapports
entre accords d’entreprise et accords de branche serait suffisante pour créer le
dynamisme, l’innovation et le progrès social.
C’est d’abord de confiance, de responsabilité, de volonté d’agir dont il faut parler.
Maintenant.
RÉCAPITULATIF DES PROPOSITIONS
I – Créer une dynamique de la négociation
Proposition n° 1 : Élaborer une pédagogie de la négociation collective démontrant le
caractère rationnel et nécessaire de celle-ci dans un contexte concurrentiel et de crise
économique.
Proposition n° 2 : Mise en valeur des bonnes pratiques des entreprises et des syndicats
sur les moyens d’établir une confiance réciproque, notamment dans la présentation, le
partage et l’utilisation d’informations stratégiques.
Proposition n° 3 : Organisation des DRH et positionnement des responsables des
relations sociales au sein de l’entreprise en fonction des exigences de la négociation
collective. Prise en compte de l’aptitude à la négociation comme un critère déterminant
lors de l’évaluation de ces responsables.
Proposition n° 4 : Formations de qualité au dialogue social dans les écoles de commerce,
les écoles d’ingénieurs, l’Université et les grandes écoles de la fonction publique.
Proposition n° 5 : Actions de sensibilisation sur la place de la négociation collective
auprès des conseils en stratégie, des consultants, des avocats et des experts-
comptables, avec notamment une réunion régulière sous l’égide des ministres en charge
du travail et de l’économie de l’ensemble des acteurs qui influent directement et
indirectement sur la stratégie des entreprises et sur le social.
Proposition n° 6 : Pratique exemplaire de l’État dans les critères de choix des dirigeants
de la sphère publique, dans leur capacité et leur goût à mener un dialogue social de
qualité.
Proposition n° 7 : Reconnaissance renforcée dans le code du travail de la place des
accords de méthode préalables à une négociation avec des règles souples concernant la
négociation et le contentieux.
Proposition n°8: Mise en place de nouvelles pratiques de négociations insérant
celles-ci dans un tempo plus économe en temps dans le cadre des accords de méthode.
Proposition n° 20 : Encadrement de l’utilisation par l’État des dispositifs de
« négociation administrée » à quelques domaines caractérisés par d’impératives
exigences d’intérêt général et par l’insuffisance de la négociation collective de droit
commun.
Proposition n° 21 : Encadrement dans le temps des conditions de recours judiciaire
contre les accords collectifs avec application de règles inspirées du contentieux des
actes règlementaires.
Proposition n° 22 : Ouverture des formations à la négociation collective aux magistrats
judiciaires et administratifs.
Proposition n° 23 : Mise en valeur des bonnes pratiques concernant le dialogue social
informel et des accords d’entreprise intégrant des dispositifs participatifs à destination
des Institutions représentatives du personnel lors d’événements importants concernant
l’entreprise et ses salariés.
II – Donner de nouveaux champs à la négociation
Proposition n° 24 : Limitation du nombre de réformes législatives du droit du travail en
fixant un agenda social annuel et en le respectant.
Proposition n° 25 : Application du principe selon lequel toute disposition nouvelle du
code du travail doit être gagée par l’abrogation d’une disposition devenue obsolète du
même code.
Proposition n° 26 : Projet, à moyen terme c’est-à-dire dans un délai maximal de quatre
ans, d’une nouvelle architecture du code du travail faisant le partage entre les
dispositions impératives, le renvoi à la négociation collective et les dispositions
supplétives en l’absence d’accord.
Proposition n° 27 : Projet, à court terme c’est-à-dire dans le courant de l’année 2016,
d’une modification du code du travail concernant les conditions de travail, le temps de
travail, l’emploi et les salaires.
Proposition n° 28 : Maintien du principe de la concertation préalable prévu par l’article L.1
du code du travail en l’assortissant de la faculté pour les partenaires sociaux de recourir
soit à la forme de l’accord national interprofessionnel soit à la forme de la « position
commune » qui se borne à la définition des principes essentiels.
Proposition n° 29 : Inscription dans le Préambule de la Constitution des grands principes
de la négociation collective.
Proposition n° 30 : Extension de la négociation collective dans les champs prioritaires
que sont les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi et les salaires (ACTES,
Accords sur les conditions et temps de travail, l’emploi et les salaires).
Proposition n° 31 : Ouverture à la négociation collective des nouveaux champs des
relations du travail : responsabilité sociale des entreprises (RSE) et, avec un mandat de
la loi, économie digitale.
Proposition n° 32 : Définition des quatre missions de la branche, dans un premier
temps, dans les champs prioritaires des accords ACTES.
Proposition n° 33 : Définition, dans un premier temps pour un délai de trois ans, d’un
mécanisme de fusion des branches qui représentent moins de 5 000 salariés avec une
convention collective d’accueil.
Proposition n° 34 : Faculté, par accord majoritaire, de regrouper en deux catégories de
thèmes la négociation des accords d’entreprise et de leur fixer une périodicité
quadriennale avec « clause de revoyure » annuelle.
Proposition n° 35 : Sous réserve de l’ordre public défini par le code du travail et l’accord
de branche, priorité donnée à l’accord collectif d’entreprise dans les champs prioritaires
des accords ACTES. Un bilan de la mesure, pour apprécier l’opportunité de son
maintien, serait dressé tous les quatre ans à l’occasion de chaque nouveau cycle de la
représentativité patronale et syndicale.
Proposition n° 36 : Assimilation législative de l’accord de groupe aux accords d’entreprise.
Proposition n° 37 : Prévoir que les accords de groupe organisent l’articulation accords
de groupe/entreprises/établissements.
Proposition n° 38 : Édiction d’accords type d’entreprise par les branches dans leur rôle
de prestation de services à l’égard des TPE.
Proposition n° 39 : Reconnaissance législative mais avec un encadrement très souple
des « dispositifs territoriaux négociés ».
Proposition n° 40 : Lancement d’une expérimentation relative aux accords collectifs
concernant les filières et les sous-traitants dans le cadre de la notion de l’« entreprise
étendue ».
Proposition n° 41 : Mise en valeur des bonnes pratiques des accords transnationaux et
meilleure articulation entre accords transnationaux et accords nationaux.
LA PLACE DE LA NÉGOCIATION
COLLECTIVE DANS LA FRANCE FIN 2015
En préalable des propositions qu’elle fera, il a été demandé à la mission de dresser un
bilan de la négociation collective avec ses atouts et ses faiblesses. Tel sera l’objet de ce
chapitre, qui implique la compréhension du contenu et de la portée des réformes,
nombreuses, des dix dernières années.
1. Les relations du travail
Une entreprise est d’abord un centre de production de biens et de services. Cette
production s’appuie sur des savoir-faire, des investissements et le plus souvent sur une
communauté de travail composée de salariés.
Pour des raisons extrêmement diverses tenant notamment à l’organisation et au
management, mais aussi à la sociologie, à la psychologie, à l’histoire, aux idéologies et
au droit, la relation individuelle ou collective de travail est l’une des plus complexes
qu’ont à « gérer » les sociétés modernes.
De façon très prosaïque, c’est dans le cadre de cette relation qu’il faut définir les
principes qui sont essentiels tant pour l’entreprise, sa compétitivité et parfois son
existence, que pour la vie quotidienne de seize millions de salariés : contrat de travail,
droits et obligations réciproques de l’employeur et des salariés, salaires, temps de travail,
conditions de travail, santé et la sécurité au travail, articulation entre la vie privée et la vie
professionnelle...
La question posée, sinon sa réponse, est simple à énoncer : quel est le mode de
régulation le mieux adapté pour fixer les règles en la matière ?
Avant de tenter une réponse, il faut déjà noter que cette présentation est volontairement
simpliste : elle oublie ou feint d’oublier que l’entreprise moderne est dans un nœud de
relations avec ses clients, ses concurrents, ses fournisseurs, ses donneurs d’ordres qui
ont, tout autant que l’employeur, une influence directe sur la communauté de travail de
ses salariés.
À titre d’exemple, le client de certaines entreprises, qui est le plus souvent lui-même un
salarié, a des exigences telles qu’il est devenu l’un des facteurs principaux du stress des
salariés. Le donneur d’ordres peut être particulièrement vertueux dans ses relations avec
ses propres salariés mais reporter les contraintes et les risques sur ses sous-traitants et
notamment les salariés de ces derniers.
Mais si l’on revient à la relation de travail dans son sens étroit, on constate que sa
complexité et sa spécificité ont conduit dans tous les pays à construire, par rapport au
droit commun, des modes de régulation originaux dans le cadre de ce que l’on peut
appeler le droit du travail ou le droit des relations du travail.
Le droit du travail s’est construit depuis le XIXe siècle, non sans luttes syndicales, sur un
constat : le contrat conclu entre l’employeur et le salarié, le contrat de travail, était un
contrat par nature inégal au profit de l’employeur.
Progressivement, une série de dispositions législatives, réunies dans le code du travail,
ont été prises pour compenser cette inégalité et assurer la protection du salarié.
Si l’on prend l’exemple de la France, ce code s’est progressivement enrichi de multiples
dispositions non plus seulement pour assurer une meilleure protection des salariés mais
la régulation d’une société complexe et pour répondre aux demandes de sécurité
juridique des différents acteurs au nombre desquels les entreprises et leurs organisations
professionnelles.
D’autres facteurs ont contribué à une augmentation significative des dispositions
composant ce code : en premier lieu, la nécessaire transposition d’une législation
communautaire particulièrement foisonnante en matière de travail et d’emploi, depuis le
début des années 1980, surtout dans le champ de la sécurité et de la santé au travail ;
en deuxième lieu, une forme de politisation du code, contribuant à une instabilité
législative et règlementaire ; enfin, une interprétation extensive des compétences du
législateur dans la définition des principes fondamentaux du droit du travail.
C’est dans ce contexte que, depuis le début du XXe siècle, s’est progressivement créée
entre la loi et le contrat de travail une source de droit spécifique qui est la faculté
reconnue, d’une part, aux syndicats de salariés et, d’autre part, aux employeurs et aux
organisations les représentant, de signer des accords collectifs.
Par délégation de la loi et dans des conditions définies par le code du travail, ces
accords peuvent créer des normes applicables aux entreprises et à leurs salariés.
Ces accords peuvent être signés essentiellement à trois niveaux : celui de l’entreprise,
celui du secteur économique qui se dénomme la « branche » au sein de laquelle sont
définies les conventions collectives et, enfin, le niveau national et interprofessionnel qui
correspond aux grands accords signés, notamment en matière d’emploi, avec les
confédérations syndicales et les principales organisations d’employeurs.
Si les droits du travail des pays occidentaux sont très différents en raison de leur histoire,
de leur culture et du système juridique de chaque pays, l’architecture de base, telle
qu’elle vient d’être décrite, est assez proche.
La régulation se fait, en conséquence, par les sources essentielles que sont la loi, les
accords collectifs et le contrat de travail. Dans aucun pays une seule de ces sources
n’est exclusive. Mais les systèmes divergent profondément dans la pondération de
chacune.
2. La négociation collective : une tradition française
Le discours dominant est de dire que dans cette pondération, la France se situe dans les
pays qui donnent la plus large place à la loi comme mode de régulation par rapport à
l’accord collectif et au contrat de travail.
Cette évidence est, en partie, inexacte.
En réalité, la France est un pays de négociation collective et, depuis environ une
quinzaine d’années, la tendance est à un renvoi accru à cette négociation.
La branche, lieu de régulation de la concurrence, dont le périmètre est librement défini
par les partenaires sociaux, est considérée comme le niveau pertinent de détermination
d’un socle minimum de garanties sociales pour les salariés (salaire minimum, formation,
qualifications, prévoyance, etc.) et de cadrage général de l’organisation et des conditions
de travail d’un secteur d’activité économique plus ou moins étendu.
Le rôle de l’accord de branche est bien sûr déterminant quand cette dernière est
composée essentiellement de très petites entreprises ou d’entreprises moyennes, ce qui
explique l’importance qu’il revêt pour les organisations professionnelles représentant
l’agriculture, les professions libérales ou l’économie sociale.
La plupart des organisations syndicales y voient également un échelon de négociation
plus mature et plus sûr. Mais aussi le moyen de limiter les risques d’une concurrence
entre les entreprises d’un même secteur qui se ferait par du « dumping social », c’est-à-
dire concrètement au détriment des salariés.
Plus de 95 % des salariés sont ainsi couverts par un accord de branche en France,
chiffre qui a peu d’équivalent dans les autres pays. Une des raisons en est que les
accords de branche s’appliquent aux salariés du secteur et pas seulement aux salariés
adhérant aux syndicats qui ont signé l’accord.
Pour les entreprises, les obligations de négocier à ce niveau sont nées en 1982 avec les
lois dites Auroux.
Le nom du ministre du travail qui sera accolé dans la suite du texte à chacune des lois
dont le ministre est l’initiateur montre la permanence et la convergence des évolutions en
la matière, quels que soient les gouvernements et les politiques qu’ils ont menées.
Les lois de 1982, créant les accords dérogatoires, ont introduit une innovation majeure :
l’obligation annuelle de négocier dans l’entreprise sur les salaires effectifs et la durée
effective et l’organisation du temps de travail.
Mais indépendamment de cette négociation obligatoire, les accords d’entreprise sont
nombreux et portent sur les thèmes les plus divers.
Il existe ainsi de nombreux niveaux d’accords collectifs qui créent de la norme en droit du
travail. Longtemps les rapports entre ces différents niveaux ont été régis par le seul
« principe de faveur ». Le droit applicable était construit sur une base pyramidale dont le
sommet était la loi, ensuite l’accord interprofessionnel, ensuite l’accord de branche,
ensuite l’accord d’entreprise et, enfin, le contrat de travail. Chaque source « inférieure »
pouvait déroger à la norme supérieure à la condition impérative qu’elle soit plus favorable
pour le salarié (articles L. 2253-1 et L. 2254-1 du code du travail).
Près de la moitié des salariés du secteur privé bénéficient de la négociation d’entreprise.
Tel était le cadre général de la négociation collective. Celui-ci a fortement évolué depuis
1982 dans le sens d’un renvoi encore plus fréquent et substantiel du code du travail à la
négociation collective ainsi que d’une autonomisation des différents niveaux de
négociations, limitant fortement la portée du principe de faveur.
3. Un ancrage croissant depuis 1982 dans les lois
et les jurisprudences
3.1. Les lois
Cette évolution s’est faite en plusieurs étapes.
La première est constituée par les lois dites Aubry des 13 juin 1998 et 19 janvier 2000,
élargissant les accords « dérogatoires » sur le temps de travail : si elles permettent de
négocier hors du principe de faveur, dire que ces accords dits dérogatoires créent des
règles forcément défavorables aux salariés est inexact. Créé en janvier 2000, le forfait-jours
des cadres autonomes est souvent soutenu par ses bénéficiaires qui ont obtenu des
jours supplémentaires de repos.
Avec la loi du 4 mai 2004, dite loi Fillon, une nouvelle étape est franchie en autonomisant
l’accord d’entreprise par rapport à l’accord de branche. Ce dernier peut désormais
déroger à un accord de niveau supérieur – y compris en dehors du principe de faveur –,
sauf si celui-ci en dispose autrement. Cette possibilité de dérogation est ouverte sur tous
les sujets de négociation, sauf les salaires minima, les classifications, la mutualisation
des fonds de la formation professionnelle et la mutualisation des fonds de la protection
sociale complémentaire (article L. 2253-3 du code du travail).
Dite loi Larcher et inspirée du système applicable au sein de l’Union européenne, la loi
du 31 janvier 2007 est née des soubresauts du contrat de première embauche (CPE).
Elle donne à la négociation collective interprofessionnelle une place nouvelle en
prévoyant que toute réforme envisagée par un gouvernement en matière d’emploi, de
travail et de formation professionnelle doit être précédée d’une demande de négociation
au niveau national interprofessionnel (article L. 1 du code du travail).
Enfin, la loi du 20 août 2008, dite loi Bertrand, confie, toujours en matière de durée du
travail, à l’accord d’entreprise la compétence de principe pour élaborer certaines règles :
contingent d’heures supplémentaires, répartition et aménagement des horaires. La
convention de branche ne s’applique qu’à défaut d’un tel accord d’entreprise, et le code
du travail qu’en l’absence d’un accord collectif.
La partie la plus souple du code du travail actuel est ainsi celle consacrée au temps de
travail puisqu’elle procède à ce que les spécialistes dénomment une « inversion des
normes » au profit de l’accord d’entreprise.
La seule exception notable au renvoi à la négociation, qui est la cause de beaucoup de
malentendus, porte sur la durée légale du travail. Cette durée légale de « 35 heures »
n’est évidemment pas un plafond d’heures travaillées mais uniquement le seuil à partir
duquel s’applique la majoration due par l’employeur en cas d’heure supplémentaire.
Parallèlement à ce renforcement de la place de l’accord et en particulier de l’accord
d’entreprise, les lois du 20 août 2008 et 5 mars 2014 visent à renforcer la légitimité des
acteurs en réformant les règles de leur représentativité et en renforçant les règles de
validité des accords.
La loi du 20 août 2008 a défini comme représentatifs les syndicats de salariés qui ont
une légitimité fondée sur les résultats aux élections professionnelles, aux comités
d’entreprise et aux délégués du personnel, et sur une élection spécifique pour les très
petites entreprises (TPE).
La loi du 5 mars 2014, dite loi Sapin, a, quant à elle, réformé la représentativité
patronale: seules les organisations qui ont un nombre significatif d’entreprises
adhérentes peuvent signer les accords au nom des entreprises aux niveaux national et
interprofessionnel et des branches.
Dans le champ de l’emploi, la place de la négociation collective est aussi forte, puisqu’il
appartient aux partenaires sociaux représentatifs au niveau interprofessionnel de
négocier la convention d’assurance-chômage. Par ailleurs, la loi du 5 mars 2014 a
renforcé la place de la négociation dans le champ de la formation professionnelle. Enfin,
les plans de sauvegarde de l’emploi, qui faisaient l’objet d’une procédure unilatérale de
l’employeur avec consultation du comité d’entreprise, sont depuis la loi du 14 juin 2013
ouverts à la négociation.
Au-delà de ces textes fondateurs, l’ensemble des lois votées pendant cette période
concernant l’emploi, le travail et la formation professionnelle procèdent à des renvois
substantiels à la négociation collective, que ce soit de branche ou d’entreprise,
notamment : choix de la journée de solidarité, épargne salariale, travail dominical,
service garanti dans les transports terrestres, gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences, égalité hommes/femmes, contrat de génération, accords de maintien de
l’emploi et accords de mobilité.Les lois les plus récentes, que ce soit la loi du 6 août 2015
pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, sur le
travail dominical, ou la loi du 17 août 2015, dite loi Rebsamen, sur le dialogue social et
l’emploi traduisent et amplifient cette évolution. La première place l’accord collectif au
centre des différents dispositifs de travail dominical, la seconde vise à rationaliser et à
regrouper les différentes obligations de négocier au niveau de l’entreprise.
Relevons enfin que les règles de validité des accords ont été renforcées. Pour être
valide, un accord collectif doit depuis 2008 être signé par des syndicats de salariés qui
représentent au moins 30 % des voix, sans opposition des syndicats qui représentent la
majorité des salariés.
Par dérogation à cette règle de droit commun, la loi a posé le principe d’accords
majoritaires (accords signés par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés)
pour l’emploi (accords de maintien de l’emploi, plans négociés de sauvegarde de
l’emploi), pour le regroupement des institutions représentatives du personnel dans les
entreprises de plus de 300 salariés ou, enfin, pour la définition des modalités de la
négociation obligatoire.
3.2. Le juge
Cette évolution n’est pas seulement législative : elle est aussi jurisprudentielle puisque le
juge a accompagné ce mouvement.
La Cour de Justice de l’Union européenne, la Cour de Luxembourg, a fait de la
négociation collective un principe de niveau communautaire (CJCE, 8 septembre 2011,
297/10, Hennigs).
Le Conseil constitutionnel a reconnu le rôle de la négociation collective sur le fondement
du 8e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel : « Tout
travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des
conditions de travail ainsi qu’à la gestion de l’entreprise » (Décision n° 77-79 DC du
5 juillet 1977 ; voir « Les principes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en
matière sociale», O. Dutheillet de Lamothe, Les nouveaux cahiers du Conseil
constitutionnel, 2014, n° 45).
Dans sa jurisprudence récente, le juge constitutionnel reconnaît au législateur la faculté,
« après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de
travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations
représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective,
les modalités d’application concrètes des normes qu’il édicte » (Décision n° 2004-494 DC
du 29 avril 2004.)
Enfin, la liberté contractuelle, qui a valeur de principe constitutionnel, couvre les accords
collectifs du travail (Décision n° 2008-568 DC du 7 août 2008).
Le Conseil d’État, dans ses fonctions consultatives, est, quant à lui, un gardien vigilant
de la bonne application de l’article L. 1 du code du travail. Ses formations contentieuses
veillent à la bonne application des principes constitutionnels et des règles de droit du
travail qui, par exemple en matière de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), renvoient
à la négociation (Assemblée du contentieux, 22 juillet 2015, n° 383481, 385668, 385481,
386496).
Quant à la Cour de cassation, la chambre sociale, par un arrêt remarquable du
27 janvier 2015, a reconnu la spécificité de l’accord collectif par rapport à l’acte unilatéral
de l’employeur en conférant une présomption de légalité, au regard du principe d’égalité,
aux accords collectifs.
Ces jurisprudences sont issues de processus qui ne vont pas sans soubresauts.
Ainsi la Cour de Luxembourg a dû concilier la négociation collective avec les grandes
libertés de l’Union européenne que sont la libre circulation des personnes et la libre
prestation des services. Dans des jurisprudences contestées, la Cour a jugé que les
accords collectifs pouvaient méconnaître ces libertés et entraver, par exemple, la libre
circulation des travailleurs.
La liberté contractuelle sanctuarise parfois, dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, des accords précédemment signés en empêchant la mise en œuvre
immédiate de réformes nécessaires en matière de négociation.
L’application du principe d’égalité par le juge judiciaire ou le juge administratif est
apparue particulièrement déstabilisante pour la négociation, dont l’un des objets est, par
nature, de faire des différenciations.
Mais l’essentiel est de noter que les jurisprudences ont, en substance, plutôt
accompagné le mouvement législatif tendant à donner davantage de place à l’accord
collectif.
Souvent saisi sur la question de la validité des accords collectifs, le juge judiciaire est
devenu un acteur à part entière de la négociation collective. Toute réforme en la matière
ne peut faire l’économie du rôle qu’il s’est reconnu. Ce rôle d’acteur final de la
négociation collective n’est d’ailleurs pas sans risque pour le juge lui-même tant la réalité
de la négociation et de ses enjeux est différente de la réalité du dossier contentieux qui
lui est soumis.
Non sans paradoxe au regard des critiques récurrentes faites au droit du travail en
France, il résulte du constat qui précède que ce dernier est sans doute un de ceux
qui a été le plus loin dans le renvoi à la négociation collective sous toutes ses formes.
Les pays souvent cités, par exemple l’Allemagne, ont un système juridique beaucoup
plus contraignant sans disposer, par exemple, de l’équivalent de l’autonomie des
accords d’entreprise par rapport à l’accord de branche.
3.3. Le contexte communautaire
La France n’est pas la seule à connaître ces évolutions. Beaucoup de nos voisins voient,
chacun selon sa culture et son histoire, dans la négociation collective une forme
privilégiée de régulation.
L’Union européenne a fortement poussé en ce sens notamment depuis les « entretiens
de Val Duchesse » menés en 1985 sous l’égide de Jacques Delors, alors président de la
Commission des Communautés européennes.
Il y existe ainsi une activité relativement élevée de négociation, tant au niveau
interprofessionnel européen (congé parental, travail à temps partiel, contrat à durée
déterminée, télétravail, stress, etc.) qu’aux niveaux sectoriels (accords sur le temps de
travail dans le transport aérien, sur le football professionnel, etc.).
4. Un accompagnement constant des services de l’État
Pour revenir à la France, les pouvoirs publics ne se sont pas bornés à élaborer des
textes favorables à la négociation collective.
Les services de l’État, et plus particulièrement ceux du ministère du travail, jouent un rôle
essentiel en la matière.
Pour illustrer ce rôle, une image routière sera sans doute plus éclairante que des
développements juridiques sophistiqués sur les procédures et les contrôles. En matière
de négociation collective, l’État est à la fois « Bison futé », en ce qu’il facilite la circulation
et évite les retards, et le « gendarme » qui contrôle les violations de la loi.
4.1. Le soutien et l’accompagnement
L’État joue le rôle de Bison futé en ce qu’il contribue directement ou indirectement à
assurer, à accompagner, inciter, faciliter et soutenir la négociation. Cette action en la
matière est peu connue et reconnue, du moins lorsque cela fonctionne bien. Elle
n’implique l’utilisation d’aucun outil régalien. C’est de la pratique, de l’expertise et surtout
beaucoup du temps des agents de l’État mis au service des partenaires sociaux.
- Au niveau des branches, l’État est présent sous la forme de la présidence des
commissions mixtes paritaires, qui sont constituées en cas de blocage de la négociation.
Lorsque le sujet devient très sensible socialement et politiquement, la Direction générale
du travail (DGT) peut elle-même intervenir (par exemple, dans les négociations sur les
conventions collectives des hôtels-cafés-restaurants, du spectacle vivant, ou de la
production cinématographique...).
La Délégation générale à l’emploi et à la formation permanente (DGEFP) est elle-même
très présente, notamment lors de la négociation de la convention de l’assurance-
chômage, avec là aussi des mécanismes de remontées à plus haut niveau en cas de
graves difficultés (voir, par exemple, la mise en place par le Premier ministre, en 2014,
d’une mission sur l’intermittence).
Dans la très grande majorité des cas, la présence de l’État n’est pas imposée aux
partenaires sociaux mais, au contraire, sollicitée par ces derniers. La seule limite est la
capacité des services du ministère du travail et de l’emploi à faire face à cette demande.
Dans le cadre de la restructuration des branches du spectacle menée par la Direction
générale du travail depuis 2006, plus de 500 séances ont été nécessaires...
C’est dire qu’une grande part du poids de l’opération de restructuration des branches
prévue par la loi du 5 mars 2014, qui consiste à réduire le nombre excessif des
branches, repose sur les services de la DGT.
- L’État joue aussi un rôle de soutien et d’impulsion par ses services déconcentrés que
sont les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation,
du travail et de l’emploi (Direccte) pour les accords négociés au niveau des entreprises.
Parfois l’État, à son niveau central, intervient de façon pressante sur la négociation
d’entreprise. Un exemple peut en être donné lorsque l’État a demandé en 2009 aux
entreprises de plus de 1 000 salariés de négocier des accords sur le stress. L’originalité
du dispositif reposait sur le fait que l’État s’était inscrit dans une logique de « droit
souple » puisque les entreprises visées faisaient l’objet, en fonction de l’état de leur
négociation sur le sujet, d’un régime rendu public de « feux vert, orange ou rouge ». Il
faut souligner qu’il fut, avant qu’il ne soit interrompu à la demande pressante des
organisations professionnelles, plutôt efficace.
Face à l’hostilité déclarée des entreprises à cette forme de droit souple, l’État a été
amené à adopter des mécanismes de sanctions financières, en apparence plus radicaux
(cf. infra sur la « négociation administrée »).
4.2. Le contrôle régalien
L’État est le « gendarme » en ce qu’il assure le contrôle de la légalité des accords de
branche par le biais des arrêtés d’extension pris par le ministre du travail après avis de la
commission nationale de la négociation collective composée des partenaires sociaux
représentatifs.
Son contrôle n’est pas exclusivement juridique et intègre, en droit, pour les refus
d’extension mais aussi en fait, pour les extensions, des considérations d’opportunité sur
l’intérêt que présente l’accord pour la branche concernée.
Devant la complexité croissante des textes soumis à l’extension et en raison des
délicates questions d’opportunité que peuvent poser ces accords, les délais de la
procédure d’extension se sont sensiblement allongés, non sans susciter des critiques de
la part des partenaires sociaux concernés.
L’État ne joue pas, en revanche, ce rôle de contrôle et de gendarme (à l’exception du cas
particulier des accords concernant l’épargne salariale) pour les accords d’entreprise.
Les accords d’entreprise font l’objet d’un dépôt dans les Direccte, mais cette procédure
n’autorise pas les services à opérer un contrôle de la légalité de l’accord à l’instar de ce
que fait l’État en matière d’extension des accords de branche.
Dès lors, en cas de contentieux, seul le juge judiciaire contrôle la validité des accords
d’entreprise.
4.3. La « négociation administrée »
À ces interventions de l’État et de ses services dans le champ de la négociation s’est
ajoutée ces dernières années une intervention sous la forme de sanction qui est
généralement dénommée « négociation administrée ».
Souvent utilisé au sein du ministère du travail, ce vocable est parlant à défaut d’être
juridiquement exact. Il désigne les dispositifs mis en place dans les années 2010 visant à
inciter fortement les entreprises, sous peine de contributions généralement assises sur la
masse salariale, à négocier des accords d’entreprise ou, à défaut, à établir des plans
unilatéraux pris après avis du comité d’entreprise, sur des sujets considérés comme
politiquement et socialement sensibles.
Ces dispositifs s’accompagnent généralement de prescriptions sur les thèmes
obligatoires que doivent traiter ces accords ou plans.
Les pouvoirs publics sont très friands de ces dispositifs, qui sont, en apparence, simples
puisqu’il s’agit d’appliquer une contribution maximale de 1 % de la masse salariale à
défaut d’accord ou de plan sur des sujets comme l’égalité hommes/femmes, l’emploi des
seniors, la prévention de la pénibilité ou le contrat de génération.
Ces dispositifs peuvent forcer à l’existence d’une négociation, et donc à la présentation
de statistiques en apparence avantageuses ; mais non à la qualité de la négociation sur
des champs où pourtant cette qualité et cette effectivité seraient essentielles.
5. Un bilan pourtant mitigé
En dépit des efforts convergents des gouvernements et du législateur en faveur de la
négociation collective, sans oublier bien sûr et d’abord ceux des acteurs eux-mêmes que
sont les partenaires sociaux, le bilan reste mitigé.
Certes, il existe d’incontestables éléments positifs régulièrement mis en avant par le
Bilan annuel de la négociation collective établi par les services du ministère du travail
(DGT, DARES) :
« Il est d’usage (...) de souligner le rôle toujours plus essentiel de la négociation
collective dans notre modèle de relations sociales du travail ; l’année 2014
s’inscrit dans ce mouvement de longue durée. Comme en 2013, la persistance
d’une négociation dynamique notamment au niveau des branches et des
entreprises, nonobstant un contexte économique difficile, atteste que le dialogue
social constitue toujours un levier essentiel pour à la fois préserver et transformer
notre modèle social et assurer un développement économique durable, source de
progrès social » (Bilan 2015 de l’année 2014).
Les données objectives contenues dans ce bilan permettent de justifier ce constat.
Il existe au niveau des branches une activité conventionnelle soutenue qui, selon les
années, varie dans une fourchette comprise entre environ 1 000 et 1 300 accords (951
en 2014).
Quant aux accords d’entreprises, les chiffres sont relativement stables et tournent autour
d’un chiffre pivot de 35 000 par an (36 500 en 2014).
D’un point de vue qualitatif, la négociation est active.
Si l’on prend le niveau des branches, les thèmes essentiels sont les salaires, la
prévoyance et les retraites complémentaires, la formation professionnelle, le contrat de
travail, l’égalité professionnelle et le temps de travail.
La négociation d’entreprise porte, quant à elle, en priorité sur les salaires, le temps de
travail et l’emploi.
Enfin, contrairement à une opinion répandue prêtant à certains syndicats la réputation de
ne signer aucun accord collectif, les taux de signature montrent que l’ensemble des
syndicats représentatifs participent pleinement à la négociation et à la signature des
accords.
S’agissant de la question particulière de la négociation nationale au niveau interprofes-
sionnel qui s’inscrit, en partie, dans le cadre des dispositions de l’article L. 1 du code du
travail issu de la loi du 31 janvier 2007, la négociation porte sur l’emploi et le dialogue
social et les accords ont été pour la plupart transposés dans des textes législatifs.
L’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 a ainsi débouché sur les
dispositions législatives instituant la rupture conventionnelle homologuée du contrat de
travail, la « Position commune » du 9 avril 2008 sur la réforme de la représentativité
syndicale, et l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 sur une réforme
profonde des règles régissant les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE).
Même en cas d’absence de signature d’un accord en bonne et due forme, le contenu des
négociations interprofessionnelles est un élément essentiel qui est généralement pris en
compte par le gouvernement et le législateur.
Le bilan que l’on peut ainsi faire est que la négociation collective, à tous ses niveaux, se
caractérise par une activité stable qui montre une réelle implication des acteurs.
En soi ce constat peut apparaître rassurant.
Mais en même temps ce caractère stable de la négociation ne va pas sans surprendre
dans une période où, dans les conditions précédemment indiquées, le législateur a opéré
-
− les multiples lois sur l’égalité hommes/femmes qui renvoient à un accord collectif ont
conduit à des accords collectifs souvent peu innovants sur le sujet qui se bornent,
pour l’essentiel, à paraphraser les dispositions législatives du code du travail ;
-
− les renvois opérés par la loi du 1er mars 2013 sur le contrat de génération à la
négociation collective notamment de branche pour les PME ne sont pas souvent à la
hauteur des objectifs fixés ;
-
− la négociation de branche a été difficile sur les contreparties du Pacte de
responsabilité et de solidarité en termes d’emploi ;
-
− le nombre des accords de maintien pour l’emploi prévus par la loi du 14 juin 2013
reste très faible (une dizaine) ;
-
− enfin, les TPE/PME sont largement exclues du champ de la négociation collective.
Les modalités de négociation dérogatoire (c’est-à-dire en l’absence de délégué
syndical) ont été peu utilisées ces dernières années, sauf, essentiellement, dans le
champ particulier de l’épargne salariale.
S’agissant du contenu des accords, leur examen montre que les accords porteurs
d’innovation sociale restent peu nombreux, généralement portés par quelques branches
ou groupes d’entreprises. Il existe certes de « vrais » accords innovants sur des
questions comme la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ou
l’égalité femmes/hommes, mais ils restent l’exception.
À cela s’ajoute une difficulté spécifique concernant plus particulièrement l’emploi. Par
nature, l’accord vise à protéger la situation des salariés compris dans son périmètre, que
ce soit en termes de salaires, de conditions de travail ou d’emploi, ce que les spécialistes
appellent les « insiders ». Très rares, en revanche, sont les accords innovants qui portent
un regard tourné sur l’extérieur et plus particulièrement encore sur la précarité et les
personnes au chômage.
Ainsi la négociation collective a tendance à accentuer la dualité du marché du travail.
Il existe une seule exception, qui a d’ailleurs surpris les commentateurs, pour laquelle le
bilan tant quantitatif que qualitatif est positif. Deux ans après le vote de l’article 13 de la
loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, sur le licenciement économique et les
plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), les partenaires sociaux signataires de l’accord
national interprofessionnel du 11 janvier 2013 qui est à l’origine de la loi considèrent que
« les résultats sont au rendez-vous, au-delà même des hypothèses les plus favorables
de l’époque : les PSE sont désormais très majoritairement négociés dans toutes les
entreprises, quelle que soit leur taille ; même si des études plus qualitatives doivent
encore être conduites, il ressort que la négociation des PSE par les organisations
syndicales améliorent leur contenu pour les salariés, notamment par la préservation de davantage d’emplois ; les PSE sont beaucoup plus sécurisés pour les entreprises,
puisque le taux de recours devant les tribunaux a baissé de 25 % à 8 %. ».
Il ne s’agit évidemment pas de se féliciter du nombre de PSE, qui même négociés seront
toujours trop nombreux, mais de constater que dans un domaine particulièrement
sensible pour les salariés et les entreprises le renvoi opéré par le législateur au profit de
la négociation d’entreprise semble fonctionner jusqu’à présent.
Mais à cette exception notable près, tout se passe comme si les multiples réformes au
bénéfice de la négociation collective avaient eu des effets très limités et n’avaient pas
véritablement changé la donne.
Il faut donc essayer d’en rechercher les causes.
Elles tiennent au contenu du code du travail mais aussi au « jeu des acteurs » que sont
les entreprises et leurs organisations professionnelles et les syndicats de salariés.
Il est bien difficile de dire si l’une de ces deux causes prime sur l’autre. La seule certitude
est qu’elles se conjuguent.
6. Le code du travail
Le code du travail serait l’illustration de l’économie administrée et règlementaire dans
laquelle se situe notre pays, très différente des pays anglo-saxons, des pays
scandinaves et de l’Allemagne dont le droit législatif beaucoup plus réduit donne de
grands espaces à la négociation.
On peut regretter que cette question prenne souvent un tour polémique et simpliste.
Sur le fond, la question qui se pose est de savoir si le code du travail, alors même qu’il
procède à de larges renvois à la négociation collective, n’épuise pas, par sa taille et son
contenu, les capacités de négociation qui existent dans notre pays.
Il faut ici distinguer la question de la taille du code de celle de l’encadrement législatif de
la négociation.
6.1. Les effets multiplicateurs de la norme législative
Il existe de multiples causes qui expliquent sinon justifient la taille qu’a atteint ce code.
Certaines sont connues, d’autres moins.
L’objet du présent rapport n’est pas d’en dresser la liste exhaustive. Ce serait d’ailleurs
une étude utile, impliquant davantage les sociologues et les politologues que les juristes.
Au regard du seul objet du rapport, il est important de souligner plus particulièrement
deux causes.
- La première tient au fait que les relations entre l’État, entendu au sens le plus large du
terme (pouvoirs publics et administrations) et la société civile, ici le monde du travail,
sont plus complexes qu’il n’y paraît.
Le scénario le plus souvent présenté est celui de normes imposées unilatéralement par
un État interventionniste et bureaucratique à une société civile qui n’est plus en capacité
de les absorber.
Il doit être fortement nuancé si l’on veut sortir du domaine du discours pour passer à
celui de la compréhension et surtout de l’action.
En réalité, la société civile est en attente de normes étatiques et en exprime en
permanence le besoin. Les multiples consultations auxquelles procède l’État lorsqu’il
élabore un texte concernant le code du travail montrent que, notamment au nom de la
sécurité juridique, la demande globale, y compris celle des organisations représentant
les entreprises, tend de façon quasi systématique à l’allongement du texte.
Le besoin de sécurité juridique, dont on pense souvent à tort que la meilleure façon d’y
répondre se trouve dans l’extrême précision du texte, est, à l’évidence, plus fort que le
besoin de simplification.
- Seconde raison : dans une société moderne et complexe toute règle de droit nouvelle
suscite de façon quasi immédiate ses propres « anticorps » visant à la neutraliser, la
contourner, parfois à la potentialiser bien au-delà des effets voulus. Il en résulte des
séquences de plus en plus rapides dans lesquelles interviennent des règles nouvelles
puis, dans un court laps de temps, des normes venant apporter des corrections et des
ajouts à la norme initiale.
Ce phénomène est particulièrement remarquable dans les domaines où les réformes
sont très nombreuses. Il existe un « effet multiplicateur » de la norme très prégnant dans
le monde du social.
Plus le code du travail est lourd plus il impose de dispositions législatives, y compris de
la part des projets de lois et de règlements qui veulent le simplifier...
Ces mécanismes conduisent à un code du travail particulièrement « bavard » lorsqu’il
s’agit de négociation collective. Il se caractérise, en effet, par un empilement des
obligations de négocier.
Le Centre d’analyse stratégique, dans la Note d’analyse n° 240 de septembre 2011,
constatait dans le même sens que « l’un des risques est que ce "mille-feuilles", au lieu de
favoriser une culture de la régulation conventionnelle, ne contribue à assimiler la
négociation collective (...) à une contrainte administrative ».
Surtout, le découpage en nombreuses obligations de négocier ainsi opéré fait souvent
obstacle à une approche négociée globale des sujets relevant de la négociation alors
même qu’une telle approche favorise une négociation équilibrée et de qualité.
En conséquence existe un phénomène de saturation du dialogue social par des
obligations successives de négocier – que la loi du 17 août 2015 relative au dialogue
social tend à réduire – s’accompagnant parallèlement de ce qui apparaît comme une
faible appropriation des dispositifs ouverts par le droit du travail en vue d’offrir aux
partenaires sociaux de l’entreprise la possibilité d’organiser leur activité au plus près des
réalités économiques.
Pour reprendre l’expression du DRH d’un grand groupe, pourtant peu avare d’avancées
sociales et de réflexions sur l’emploi des jeunes : « on a tellement eu l’habitude que les
ministres successifs du travail nous disent ce qu’il faut négocier, comment il faut négocier
et quand il faut négocier que la négociation n’est plus pour nous un enjeu de
management sur lequel il convient de réfléchir et de bâtir une stratégie de ressources
humaines : c’est devenu une obligation administrative au même titre qu’une formalité à
remplir ».
Cette saturation de la négociation par les strates successives du code du travail a une
conséquence paradoxale : plus le législateur insiste sur la négociation plus elle apparaît
comme une obligation formelle pour les entreprises.
Des échos à ce constat figurent dans le livre de Robert Badinter et d’Antoine Lyon-Caen
(Le Travail et la loi, Fayard, 2015) consacré au contenu du code du travail.
6.2. Les mécanismes correcteurs de la négociation par la norme
législative
Aux considérations qui précédent s’ajoute une problématique en apparence juridique
mais qui, en réalité, est plus culturelle que juridique.
La négociation collective, c’est-à-dire le fait de déléguer à des partenaires sociaux
représentatifs le pouvoir de définir la norme juridique fait, en France, l’objet d’un procès
en légitimité. Car le principe de cette délégation ne relève pas de la culture juridique
propre à notre pays.
L’idée même qu’il puisse y avoir, dans une matière aussi sensible que celle du droit
social, une source de droit distincte de la loi à la main de syndicats et d’organisations
n’ayant aucune formation juridique ou connaissance des grands principes de notre droit
apparaît à beaucoup de juristes et de responsables politiques comme une incongruité.
6.3. Une responsabilité non exclusive du code du travail
Par son contenu, par son instabilité législative, notre code est sans doute l’une des
causes des évolutions précédemment signalées. Même si l’on admettait qu’il est la cause
exclusive, ce que soutiennent de nombreuses analyses et prises de position qui
confinent en ce moment à une forme d’unanimisme, il suffirait de le réduire de façon
drastique et de libérer ainsi des espaces au profit de la négociation.
Enfin libérés des contraintes législatives et règlementaires multiples, les acteurs
syndicaux et professionnels se saisiraient des nouveaux espaces de liberté au profit d’un
dynamisme retrouvé de la négociation.
Or tous les praticiens du social le savent à défaut de le dire : il n’en est rien.
Le scénario le plus probable est que rien ne se passerait aux différents niveaux de la
négociation collective, sauf le désordre.
Car ces différentes analyses oublient un élément essentiel de la négociation : ce qu’il est
convenu d’appeler « le jeu des acteurs », auquel vont s’attacher les développements qui
suivent.
7. L’économie et l’entreprise
L’approche économique sur la négociation collective est nuancée.
Pour certains économistes, l’accord collectif, comme un accord de branche, est d’abord
une forme d’entente qui, par nature, porte atteinte aux règles de la concurrence,
notamment en ce qu’elle réduit l’entrée dans la branche d’entreprises nouvelles, du fait
des minima négociés.
Ensuite, le rapport de forces que traduit la négociation aux différents niveaux peut
paraître découplé de l’efficience économique à court terme : il empêche notamment toute
adaptation « à la baisse » des conditions d’emploi et de rémunération, dès lors que les
syndicats se placent dans une posture et une logique de répartition d’avantages
supplémentaires.
Enfin est dénoncé le découplage croissant entre le temps de la négociation, long et non
maîtrisé, et celui de l’économie, de plus en plus court et contraint.
Mais des études montrent aussi que la négociation collective est à double facette.
Plus précisément :
− l’économie reconnaît depuis fort longtemps que la négociation peut jouer un rôle
important dans l’entreprise, non seulement pour défendre les intérêts des salariés,
mais aussi pour améliorer les échanges d’information entre l’employeur et les
salariés. Des travaux ont par exemple montré que la signature d’accords d’entreprise
permettait aux entreprises de réduire la rotation de la main-d’œuvre en France ;
− la négociation collective, au-delà du cadre de l’entreprise, peut suppléer également
aux dysfonctionnements des marchés pour réduire les risques de dumping social.
Au-delà de ces questions de principe, l’examen de la pratique montre la distance réelle
entre les entreprises et la négociation collective.
La tendance actuelle, certes brossée à grands traits car ce n’est pas toujours le cas, est
que la négociation collective ne participe pas directement à la création de valeur de
l’entreprise, ni même à la valorisation du travail, du savoir-faire et de l’intelligence de la
communauté de travail.
Elle est davantage perçue comme un « centre de coûts » que comme un « levier de
performance ».
Cela est confirmé si on regarde de plus près la situation des entreprises en fonction de
leur taille.
- Mondialisation oblige, les dirigeants des grands groupes dont une partie des
établissements sont situés sur le territoire français ont désormais une vision très
internationale de l’entreprise, de son développement et de ses capacités de projection
dans les marchés émergents.
De par leur formation et cette approche mondialisée, ils considèrent la négociation
collective comme une particularité locale de la France à laquelle il faut satisfaire, mais
sans y voir, à quelques exceptions notables près qu’il faut saluer, un levier de
compétitivité.
À leurs yeux, le social se réduit bien souvent à l’animation du comité d’entreprise
européen. Ils s’intéressent davantage aux programmes mis en place unilatéralement tels
que les plans de recrutement ou la gestion des talents et des compétences, et aux
indicateurs que suivent les analystes financiers dans ces domaines (embauches,
turn over, gestion des compétences et licenciements). Cette approche, qui n’est pas
propre à la France, s’inscrit dans une démarche de management mondialisé d’inspiration
anglo-saxonne : mais elle n’est pas générale comme le montre l’exemple de l’Allemagne.
Ces dirigeants y sont très largement incités par les cabinets en stratégie qui les
accompagnent dans leurs choix. Les maîtres-mots sont : marchés émergents, monde
digital, vitesse de décision, retour sur investissements, nouveaux standards de
consommation, explosion des modes de management. De négociation, de dialogue
social, de salariés, il est beaucoup moins question.
Dans ces groupes, la fonction DRH évolue dans le même sens. Perdant parfois sa place
au sein du comité exécutif du groupe, le DRH est de plus en plus recruté en fonction de
ses capacités et de ses expériences internationales et opérationnelles, mais sans
connaissance ni goût particulier pour la négociation. La fonction RH consiste de plus en
plus à établir des plans de recrutement des meilleurs potentiels sur la base d’une
stratégie fondée sur l’attractivité du groupe, des plans visant à améliorer l’efficacité du
management et, enfin, des plans de départ.
La négociation collective est renvoyée à des cadres RH qui appliquent une stratégie à
laquelle le « top management » ne les a guère associés.
Au moment même où l’on s’interroge sur le « DRH des trente prochaines années », sur
le lien entre les DRH et les directions opérationnelles ou sur les conséquences de la
révolution digitale, la question de la négociation apparaît sous un mode mineur quand
elle n’est pas tout simplement ignorée.
Le management moderne n’inclut pas ou peu la négociation. Des études ont montré que
la part représentée par les liens avec les partenaires sociaux de l’entreprise
représentaient, en dépit d’une perception contraire des intéressés, une part relativement
faible de la fonction RH.
Les directions des ressources humaines sont accompagnées, le plus souvent, par des
experts qui globalement estiment que la négociation des dispositifs nouveaux en matière
d’emploi (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, accords de maintien
dans l’emploi, accords de mobilité, etc.) sont moins assurés juridiquement et ont des
implications financières et fiscales moins avantageuses que les plans de sauvegarde de
l’emploi.
Les développements qui précèdent ne sont pas une mise en cause des grands groupes
et encore moins de leurs cadres tant la pression de la mondialisation et de la
concurrence atteint des sommets vertigineux, avec le risque de disparition rapide des
entreprises les mieux établies. Par ailleurs, ce sont plutôt ces groupes qui restent malgré
tout porteurs d’innovation et de progrès social.
Les nombreux contacts noués par l’auteur de ces lignes avec des responsables RH lui
ont d’ailleurs montré les trésors d’imagination, d’énergie et, il faut le souligner, de
courage personnel dont certains peuvent faire preuve pour bâtir des projets qui aient du
sens tant pour les salariés que pour l’entreprise.
Ces développements visent simplement à mieux comprendre les raisons pour lesquelles
ces groupes témoignent aujourd’hui d’une moindre implication et d’un moindre intérêt de
leurs dirigeants dans la négociation collective.
- S’agissant des entreprises moyennes, la situation de leurs dirigeants est en partie
différente. Aux contraintes de la mondialisation, auxquelles ces entreprises sont aussi
confrontées, s’ajoutent les contraintes que leur imposent les grands groupes dans leur
position de donneurs d’ordres. Plus proches de leurs salariés, leurs dirigeants voient
dans la négociation collective, qui pourrait améliorer le fonctionnement de l’entreprise, un
triple obstacle : d’une part, le temps beaucoup trop long et lent que la négociation impose
et qu’ils ne maîtrisent pas ; d’autre part, une complexité juridique qui leur masque les
véritables enjeux et conséquences pour l’entreprise ; enfin, une totale insécurité juridique
avec un très fort aléa contentieux quels que soient les accords signés, y compris ceux
réputés favorables aux salariés (cf. les effets déstabilisants des jurisprudences censurant
les accords sur le « forfait/jours » des cadres autonomes).
- S’agissant enfin des très petites entreprises (TPE), ces questions prennent encore
plus d’importance car il n’existe pas ici de véritable interlocuteur du côté des salariés.
Non sans argument, ces employeurs estiment que la relation directe et quotidienne qu’ils
ont avec leurs salariés dépasse en qualité tous les dispositifs de concertation et de
négociation que pourrait imaginer le code du travail.
8. Les acteurs syndicaux
De l’autre côté de la table et quel que soit le niveau de négociation, les syndicats de
salariés se heurtent à quatre difficultés principales.
- La première tient, pour reprendre l’expression d’André Bergeron, à l’absence de
« grain à moudre » comme au temps des Trente Glorieuses. Par nature, la négociation
est une forme de donnant/donnant entre des obligations et des avantages des deux
côtés. Comme l’indique un responsable confédéral, « il est pour le moins difficile pour
une organisation syndicale de convaincre son délégué des bienfaits de la négociation
dans une entreprise qui a connu depuis une dizaine d’années sept plans de sauvegarde
de l’emploi successifs...».
La question de fond est posée aux organisations syndicales : considèrent-elles que, par
nature, la négociation collective est un instrument distributif d’augmentation des salaires,
de réduction du temps de travail, d’amélioration des conditions de travail ? ou admettent-
elles qu’elle peut être aussi un instrument adapté dans un contexte de crise économique
et sociale ?
Il est ainsi remarquable de souligner le parallélisme, fondé sur des raisonnements
différents, des évolutions côté entreprises et côté syndicats. Alors que les entreprises ne
veulent pas associer la négociation aux questions stratégiques les concernant, les
syndicats répugnent à utiliser la négociation dans un contexte de crise économique et
sociale.
- La deuxième difficulté tient à une raison toute simple qui est souvent oubliée : la
négociation suppose des négociateurs. Est ainsi posée la question de l’attractivité des
syndicats, notamment vis-à-vis des jeunes générations. Une part de la réponse
n’incombe pas à l’État et au législateur mais aux syndicats eux-mêmes.
Beaucoup a été dit sur le vieillissement des cadres syndicaux et sur la nécessité
d’organiser, comme commence à le faire la loi du 17 août 2015 sur le dialogue social,
des parcours professionnels apparaissant comme attractifs pour les jeunes et non
comme un sacerdoce syndical à caractère sacrificiel pour sa carrière.
La négociation elle-même peut paraître peu attractive. Il existe un risque de divergence
de plus en plus grand entre le caractère collectif de l’accord et le besoin d’indivi-
dualisation des conditions de travail de la part des jeunes générations (Y, Z...). Pour
reprendre leur vocabulaire, la négociation peut apparaître en voie de « ringardisation »
tant par son mode collectif d’élaboration que par son contenu qui ne fait pas
suffisamment place à l’individuel. Cela implique une réflexion sur le contenu des accords
qui devraient ouvrir des dispositifs individualisés ou individualisables plutôt que de poser
systématiquement des règles uniformes.
- La troisième difficulté est, comme le souligne un syndicaliste, la complexité, qui
n’affecte pas seulement les entreprises, mais aussi les salariés et leurs représentants. La
particularité de notre droit du travail et de l’emploi est que les questions les plus proches
des gens deviennent de plus en plus techniques : ainsi des négociations sur les
qualifications, les salaires, le temps de travail et l’épargne salariale. La question de la
nécessaire professionnalisation des négociateurs, c’est-à-dire de leur formation est
posée.
La maîtrise de la complexité par les délégués syndicaux est essentielle au regard des
exigences de loyauté des négociateurs. Celles-ci supposent une égalité des moyens et
des informations mis à la disposition des négociateurs.
- La quatrième difficulté tient à l’absence de confiance. La crise a eu ses effets
délétères. Elle a parfois rompu les relations de confiance minimales entre les dirigeants
d’entreprise et les syndicats. Ces derniers sont de plus en plus déstabilisés dans leur
organisation, leurs pratiques et leurs revendications par d’autres syndicats ou
« coordinations » qui donnent la plus large place à la défiance de la base et au refus de
tout compromis ; compromis vécu et présenté comme une compromission, qu’ils refusent
ou qu’ils acceptent temporairement pour des raisons tactiques compte tenu d’un rapport
de forces défavorable.
De tout ceci, il résulte l’absence d’une dynamique de la négociation vécue de plus en
plus, des deux côtés de la table de la négociation, comme une obligation rituelle ou
formelle.
Chapitre 1
La place de la négociation collective dans la France fin 2015
Parmi les raisons de ce décalage entre le droit et la réalité de la négociation, il y a aussi
un aspect culturel propre à notre pays.
Notre pays n’a pas une culture de la négociation et du compromis. Celui qui renverse les
tables de la sous-préfecture devant les caméras opportunément invitées sera toujours
plus reconnu que le syndicaliste qui, des heures et des nuits durant, négocie pied à pied
dans une pièce obscure un accord de sortie de crise améliorant les conditions de travail
ou limitant les dégâts potentiels d’un plan de sauvegarde de l’emploi sur ses collègues
salariés.
Les acteurs eux-mêmes que sont les partenaires sociaux n’ont pas « bonne presse ». La
critique des syndicats, de leur faible nombre d’adhérents (que l’on oublie toujours de
comparer avec le nombre des adhérents des partis politiques), de leur financement, de
leur mode de fonctionnement, de leurs prétendus conservatisme ou archaïsme, est
devenue un « marronnier » des médias.
Oubliant le fait que, dans l’intérêt de tous, les syndicats sont des acteurs incontournables
dont on ne se souvient du nécessaire rôle de médiation qu’en cas de crise sociale grave,
ces commentaires traduisent le regard critique et l’absence de confiance de notre société
vis-à-vis de ceux qui sont en charge de négocier, qu’ils soient responsables
d’organisations d’employeurs ou de salariés.
Le salarié lui-même a le plus souvent une idée assez confuse du mode d’élaboration de
la norme qu’il se voit appliquer. Pour lui, c’est le code du travail en général, sans
distinction entre ce qui relève de la loi, des différents accords collectifs et du contrat de
travail.
Le fait qu’une part essentielle des conditions de travail, au sens le plus large du terme
incluant le temps de travail et les rémunérations, est définie par des accords de branche
et d’entreprise négociés en leur nom par des syndicats représentatifs est ignoré par la
plupart des salariés. Encore plus ignorée est l’évolution de ces dernières années qui tend
à donner davantage de place à la négociation collective par rapport à la loi.
Les évolutions de nos voisins sont connues et commentées en France, en revanche nos
propres évolutions sont purement et simplement ignorées.
S’il fallait prendre un seul exemple de cette absence de culture de la négociation
caractérisant notre pays c’est celui de la confrontation de la négociation avec un principe
qui va bien au-delà du droit et qui est profondément ancré dans notre société et notre
culture : le principe d’égalité.
Lorsque la loi renvoie à l’accord d’entreprise, par exemple pour la détermination de la
journée de solidarité ou pour le recours au travail dominical, c’est parce qu’elle estime,
avec raison, que le niveau le plus approprié de régulation est celui de l’entreprise et de
ses salariés.
À titre d’illustration, lorsque le gouvernement de l’époque avait songé instituer le lundi de
Pentecôte comme journée de solidarité, de multiples voix s’étaient élevées tant du côté
syndical que des employeurs pour dénoncer cette mesure bureaucratique décidée au
niveau national, qui méconnaissait les particularités locales ou celles de l’entreprise.
La loi a, en conséquence, renvoyé aux partenaires sociaux le soin de déterminer la date
et les modalités de la journée de solidarité.
La contrepartie nécessaire de cette solution est que, par nature, le choix est différent en
fonction de l’entreprise et du contenu de l’accord d’entreprise.
La négociation implique la différence et la diversité des situations et des solutions négociées.
Or collectivement, cette diversité de situations en fonction des entreprises, en l’absence
de règle étatique uniforme, est souvent perçue comme un désordre imputable à l’État et
comme une méconnaissance inacceptable du principe d’égalité.
On ne comprend pas et on n’accepte pas que la règle appliquée aux salariés de
l’entreprise X soit différente de celle applicable au sein de l’entreprise Y.
Si les règles diffèrent dans toutes les entreprises, cela ne peut être que le signe d’un
désordre général et d’un défaut de maîtrise de la situation par l’État.
Il suffit d’écouter et de lire les médias le jour du lundi de Pentecôte, et vraisemblablement
demain lors de la mise en œuvre de la loi du 6 août 2015 sur le travail dominical ou celle
du 17 août 2015 sur le regroupement par accord collectif des institutions représentatives
du personnel pour mesurer le degré d’acceptabilité réelle de la négociation d’entreprise
dans notre pays...
Notre société a, à l’évidence, des difficultés à instituer de véritables pratiques de
dialogue, de concertation et de négociation.
Il existe donc un besoin de pédagogie de la négociation qui suppose la confiance et le
respect de l’autre. C’est une des écoles de la démocratie.
Ce n’est pas l’objet du présent rapport que de s’immiscer par ce biais dans le délicat
débat sur les programmes scolaires mais une sensibilisation dès l’école à ces questions
serait opportune.
Cette spécificité culturelle française conduit à s’interroger sur la pratique des autres pays.
Chapitre 1
La place de la négociation collective dans la France fin 2015
« Comparaison n’est pas raison » : toute comparaison est difficile tant les systèmes
juridiques et sociaux, eux-mêmes issus de l’histoire, diffèrent d’un pays à un autre.
Si les systèmes nationaux de négociation collective sont habituellement différenciés
selon le degré de centralisation, c’est-à-dire en fonction de l’importance qu’occupe la
négociation de branche ou interprofessionnelle dans la régulation des conditions de
travail, par rapport aux entreprises, on tend à observer que les pays où la négociation
collective est dynamique sont d’abord ceux qui relèvent de plusieurs niveaux de
négociation articulés entre eux.
La plupart de ces pays dits « multiniveaux » habituellement cités comme référence, que
ce soit l’Allemagne, la Belgique, l’Italie ou les pays nordiques, cumulent une double
régulation de branche et d’entreprise, et ont en contrepartie un code du travail jouant un
rôle plus limité.
La France partage donc le caractère multiniveaux de ses négociations collectives avec
ces nombreux pays européens. Elle semble néanmoins s’en démarquer par le nombre
de niveaux de régulation qui interviennent conjointement, la difficulté à identifier un
niveau de négociation dominant et la place de la norme législative et règlementaire
La France se distingue aussi par la faible coordination par les partenaires sociaux des
différents niveaux de négociations collectives. À l’inverse, dans les pays à plus forte
coordination, les accords conclus dans des secteurs stratégiques ou leaders (industrie
exportatrice par exemple) s’imposent comme des référentiels pour les négociations
conclues dans d’autres secteurs, régions, ou dans les entreprises, grâce à la force et à la
structuration des organisations syndicales et patronales.
Dans le cas de la France, c’est finalement la législation (SMIC, durée légale du travail...)
qui contribue à « coordonner » ou harmoniser de fait le contenu des accords.
Au cours des dernières décennies et selon des rythmes et modalités variables, les pays
combinant plusieurs niveaux de négociation ont connu de façon tendancielle un
déplacement du centre de gravité de leur système vers l’entreprise. Depuis 2008, les
étapes successives de la crise ont participé à accentuer ou à accélérer cette tendance à
la décentralisation dans plusieurs pays.
En Allemagne, les syndicats ont ainsi été confrontés au lendemain de la réunification à
une vague de décentralisation non contrôlée, les entreprises s’affranchissant des
conventions collectives par des accords « sauvages » avec les conseils d’établissement
ou simplement en se désaffiliant des organisations patronales. Pour y faire face et
conserver un rôle régulateur au niveau de la branche, les syndicats ont opté pour une
stratégie d’accompagnement de cette décentralisation en l’encadrant par des clauses
d’ouverture dans les conventions collectives permettant de déroger sur les horaires et
revalorisations salariales, en contrepartie notamment de garanties sur l’emploi.
Ces accords d’entreprise dérogatoires, au départ limités à des contextes de difficultés
conjoncturelles avérées, n’ont vraiment décollé qu’à partir de 2004, quand notamment à
l’initiative des accords dits de « Pforzheim » dans la métallurgie, cette faculté a été
étendue à des objectifs d’amélioration ou de maintien de la compétitivité.
Dans d’autres pays, c’est la crise qui a été un accélérateur de cette tendance à la
décentralisation, notamment en matière de salaire. Les pays du Sud et certains pays de
l’Est (Roumanie, Bulgarie) les plus touchés par la crise de la dette ont vu ainsi leur
décentralisation accélérée par des transformations de leur système de négociation :
limitation de l’extension des accords (Portugal), limitation du renouvellement des accords
de branches ou territoriaux arrivés à échéance (Espagne), possibilité de dérogation,
voire primauté donnée à l’accord d’entreprise (Irlande). Par ailleurs, de nombreux pays
européens disposent d’un salaire minimum légal. Le gel, la modération ou même la
réduction appliquée à ce dernier sous l’effet de la crise ont pu contribuer à renforcer
l’autonomie des négociations salariales aux niveaux plus décentralisés, et notamment
dans les entreprises.
Cette dynamique de décentralisation appelle néanmoins trois remarques quant à ses
effets.
- En premier lieu, la négociation d’entreprise n’a pas forcément occupé le terrain
abandonné par les branches mais s’est accompagnée de la diminution tendancielle du
taux de couverture des salariés par des accords collectifs, excepté dans de rares pays
où des mécanismes généraux garantissent l’application généralisée (extension en
France, adhésion quasi obligatoire des entreprises aux chambres de commerce en
Autriche).
Au-delà de la diminution de la couverture globale, on assiste à une dualisation croissante
entre secteurs où la négociation collective joue encore un rôle structurant (industrie,
banque, etc.), et certains secteurs de services (service à la personne par exemple) où ce
rôle et la couverture conventionnelle tendent à s’affaiblir. Ainsi, en Allemagne, au-delà de
l’image d’une négociation collective dynamique dans le cœur industriel et hautement
qualifié du pays, la régulation conventionnelle joue faiblement au point de nécessiter
aujourd’hui la mise en place d’un salaire minimum.
De façon plus générale, cette décentralisation met sous pression les organisations
syndicales, s’accompagnant globalement d’une baisse de la syndicalisation.
En deuxième lieu, le «niveau de l’entreprise» n’est en réalité pas un espace
homogène. Au sein de ce niveau, on assiste notamment à une tendance à la
« recentralisation » de la négociation, (mais aussi de la représentation des salariés), au
niveau de groupes d’entreprises qui cherchent à rationaliser leur gestion, au niveau
national, voire international.
Enfin, la crise a pu donner lieu dans différents pays à une forme de recentralisation de
la régulation salariale sous l’influence des gouvernements recherchant des pactes
sociaux ou plus drastiquement devant imposer des politiques budgétaires et salariales
plus restrictives.
Au-delà de ces comparaisons globales, il est tentant de regarder plus spécifiquement les
pratiques développées dans des pays à la fois proches institutionnellement et ayant des
performances économiques et sociales plus satisfaisantes que les nôtres. Les systèmes
de relations sociales en Allemagne ou dans les pays nordiques sont bien souvent
invoqués comme modèles.
Mais la question pour notre pays n’est pas de copier les réformes accomplies en
Allemagne ou dans d’autres pays. Sans cultiver une spécificité française qui permettrait
de faire échapper notre économie et notre système de relations sociales aux contraintes
de la mondialisation, il s’agit de répondre à ces contraintes en ayant recours, moyennant
adaptations, à une négociation collective conforme à une certaine idée de notre modèle
social.
11. Les leviers d’une réforme en France
Au regard du bilan ainsi dressé, toute réforme concernant la place de la négociation
collective ne peut se borner à une réforme du code du travail si elle veut avoir des effets
concrets sur l’emploi, le travail et les entreprises.
En 2015, la négociation collective n’a pas une force, une légitimité, un effet d’entraî-
nement suffisants dans notre pays pour occuper les espaces nouveaux ainsi créés.
Toute réforme en la matière doit, en conséquence, s’appuyer sur deux axes.
Le premier vise à créer les conditions chez l’ensemble des acteurs concernés et leur
environnement – tant du côté syndical que du côté des employeurs – d’un besoin, d’une
capacité, d’une volonté de négociation afin que les espaces ouverts aux accords
collectifs soient effectivement investis et sources d’innovation.
Le second vise à ouvrir de nouveaux champs de négociation avec une répartition plus
équilibrée entre ce qui relève du code du travail et ce qui relève de la « respiration du
dialogue social » et de l’accord collectif, avec une répartition interne à ce bloc de la
négociation entre ce qui relève des différents niveaux de négociation et notamment la
branche et l’entreprise.
CRÉER UNE DYNAMIQUE
DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
Il est fait le choix dans ce rapport d’aborder la question des acteurs et des moyens de la
négociation avant celle de l’architecture juridique des accords. Certains pourraient y voir
un choix de confort visant à évoquer des sujets réputés vagues et consensuels sur les
pratiques de la négociation pour retarder l’heure de traiter des questions réputées plus
délicates sur le droit de la négociation collective.
C’est bien au contraire une conviction de l’auteur, largement partagée au sein du groupe
de travail, qui a nourri une telle présentation.
L’une des difficultés principales réside dans la façon qu’ont les acteurs, pas seulement
les syndicats mais aussi les entreprises et leurs organisations, d’aborder la négociation
collective, de la considérer comme utile, équitable et efficace, et de s’emparer des
ressources que le droit leur offre.
C’est donc une façon de répondre à la lettre de mission du Premier ministre car donner
plus de place à la négociation, fût-elle d’entreprise ou de branche, est un enjeu de
dynamisation des comportements avant d’être celui d’une articulation légale en
différentes sources de normes.
Ce choix, c’est aussi celui du pragmatisme et, d’une certaine façon, de la difficulté,
contrairement aux apparences. D’une part, la responsabilité de chacun des acteurs
parties prenantes à la négociation ne fait pas nécessairement consensus. D’autre part,
les solutions en la matière ne peuvent se résumer à une succession de mesures à la
main des pouvoirs publics.
S’agissant de faire « bouger les lignes » du côté des acteurs, les propositions relèvent
plus d’invitations ou de recommandations à destination de ces derniers pour qu’ils
transforment eux-mêmes leurs pratiques.
De plus, à travers cette question de la dynamique de la négociation collective, il sera
proposé différentes mesures relatives aux règles du jeu de la négociation pour la faire
évoluer en profondeur, notamment sur la question des temps, du rôle de l’État et de la
sécurité juridique.
1. La rationalité
Ce n’est pas en multipliant les textes sur la négociation collective que l’on parviendra à
renforcer sa légitimité : cela contribuera même à l’affaiblir davantage.
La meilleure façon d’asseoir cette légitimité est de montrer, notamment aux responsables
mais plus globalement à l’ensemble de la société, que la démarche dans laquelle elle
s’inscrit est rationnelle. La négociation collective n’est pas simplement une obligation ou
une formalité mais un mode de régulation de notre société en soi efficace et qui, en
période de crise, est nécessaire.
Au-delà des justifications théoriques, constitutionnelles, politiques ou syndicales, il y a
d’abord une raison simple qui conduit à la négociation collective.
Elle tient à une constatation : notre économie et notre système de relations sociales ont
atteint un tel degré de diversité et donc de complexité que ni la loi ni le règlement ne
peuvent prétendre tout régir.
La règle posée par l’article 34 de la Constitution selon laquelle la loi, en matière de droit
du travail, doit se borner à l’énonciation des principes fondamentaux est non seulement
une norme juridique de valeur supérieure, mais elle repose aussi – il faut louer en la
matière la sagesse des constituants de 1958 – sur une exigence de bonne organisation
de la société qui devient de plus en plus prégnante au fur et à mesure que l’économie se
complexifie.
Pour autant, la négociation collective ne s’impose pas comme seul moyen de régulation
alternatif à la loi. D’autres pays ont mis en place des modes de régulation par le contrat
et le juge, tels les pays anglo-saxons, ou des formes de co-gestion ou de co-
détermination des entreprises, comme en Allemagne.
La France depuis de nombreuses années a fait le choix de la négociation collective.
Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins.
Soit nous considérons que la négociation collective n’est plus adaptée aux évolutions et
exigences d’une économie moderne et mondialisée, que les acteurs sont fatigués et
dépassés, que les résultats sont décevants, bref que la négociation collective ne permet
plus d’obtenir des résultats conformes à l’intérêt général. Il faut alors en tirer les
conséquences et passer à d’autres modes de régulation, pour retrouver la compétitivité
et l’emploi.
Soit nous considérons que la négociation est un outil irremplaçable de cohésion sociale
et d’adaptation réciproque de l’économique et du social, mais aussi de recherche
empirique et pragmatique de l’intérêt général. Il faut alors changer la donne et faire
évoluer la négociation collective par rapport à des schémas datant de presque un siècle
(1919).
Cette seconde option est moins évidente qu’il n’y paraît à première vue. Car la première
option repose sur des analyses de plus en plus répandues dans les secteurs les plus
dynamiques de notre économie, ce qui constitue une donnée à prendre en compte.
Mais comme en témoigne la lettre de mission du Premier ministre, le gouvernement fait
résolument le choix de la seconde option.
Elle implique néanmoins l’ensemble des acteurs et pas seulement les pouvoirs publics.
2. L’attractivité
2.1. Pour l’entreprise
La démonstration ne doit pas exclusivement porter sur le niveau macroéconomique, elle
doit aussi porter sur le niveau microéconomique et notamment celui de l’entreprise.
Recourir à la négociation collective doit apparaître comme une démarche positive pour le
chef d’entreprise.
Comme l’ont bien montré les économistes membres du groupe de travail, il existe des
études économiques en ce sens : mais il faut les développer.
Actuellement, l’essentiel des travaux portent sur l’effet de la présence syndicale, dans
des contextes anglo-saxons, avec des résultats ambivalents. Rares sont ceux qui
identifient à proprement parler l’effet de la négociation collective, qui plus est dans un
contexte français, sur les performances de l’entreprise.
Au sein de la recherche universitaire, le champ de la négociation collective devrait être
privilégié dans le cadre de l’étude économique du droit.
S’agissant des entreprises, il devrait aller de soi que réduire le droit législatif au profit de
la négociation offrant ainsi de nouveaux champs au sein de la négociation aux accords
d’entreprise est une réponse à leurs préoccupations : elles devraient immédiatement s’en
saisir.
On peut, pour les raisons précédemment indiquées, avoir quelque doute sur cette
évidence.
Il faut donc commencer par convaincre les chefs d’entreprise.
Engager un processus de négociation, ce n’est pas seulement « faire du social », c’est
aussi utiliser, dans l’intérêt de l’entreprise, un levier de performance et d’innovation.
La négociation permet d’anticiper l’avenir de l’entreprise et de ses emplois, elle contribue
à la façon dont les femmes et les hommes y travaillent, à la culture de l’entreprise, à la
confiance des salariés, à la valorisation de la communauté de travail, et à l’image de
l’entreprise dans notre monde de la réputation.
Pour reprendre une expression utilisée dans le monde de l’entreprise, il y a « un retour
sur investissement» pour le dirigeant qui engage résolument et loyalement son
entreprise dans la voie de la négociation avec les syndicats.
Des exemples en témoignent.
La démonstration n’est pas seulement économique, elle est aussi sociologique. Si
l’entreprise veut être compétitive et source d’innovation avec les nouvelles générations et
des personnes de plus en plus qualifiées, le management, qui a aujourd’hui tendance à
se technocratiser, à rebours des évolutions sociales, implique de fortes évolutions en
termes de dialogue social.
Il faut aussi en convaincre l’environnement immédiat des chefs d’entreprise qui varie en
fonction de la taille de la structure.
S’agissant des grandes entreprises, il faut notamment sensibiliser leurs dirigeants, leurs
actionnaires, et les cabinets de conseil en stratégie, qui sont au cœur des processus de
décision concernant l’évolution des entreprises et de leurs restructurations.
À cet égard, il serait particulièrement salutaire que les dirigeants des grandes entreprises
françaises, au niveau qui est le leur, prennent davantage position sur le social et
montrent qu’ils ne font pas leur l’axiome soutenu et appliqué par l’un de leurs
prédécesseurs il y a quelques années, de « l’entreprise sans usine » ni salarié.
S’agissant des petites et moyennes entreprises, la sensibilisation doit viser les avocats,
leurs barreaux, les experts-comptables et les consultants en matière d’emploi et de
travail.
S’agissant des très petites entreprises, elle doit viser les experts-comptables.
2.2. Pour les syndicats et les salariés
Peut-être plus paradoxal : il faut aussi convaincre les syndicats du bien-fondé et de la
nécessité de la négociation.
Cela ne va plus de soi.
Dans le contexte de faible croissance et de taux de chômage important, c’est, de tous les
acteurs concernés, pour les syndicats que l’exigence de négociation implique le plus de
courage et de volonté. Ceux-ci ont été constitués dans des périodes de croissance. Leur
raison d’être, le « logiciel » de leurs dirigeants et de chacun de leurs militants, qui
passent parfois des heures, des nuits et des week-ends à négocier, est d’obtenir de
meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.
C’est sur cette base que s’est construit pendant les Trente Glorieuses tout notre système
de relations sociales. Les organisations syndicales n’ont pas été constituées pour
négocier dans une société où il existe plus de 3,5 millions de personnes en situation de
chômage. Il faut, en conséquence, bien mesurer la révolution culturelle qu’implique pour
un syndicat sa contribution active à la négociation d’accords de maintien dans l’emploi,
de gestion de l’emploi, de mobilité ou de PSE.
Cette négociation est doublement difficile pour les syndicats. Elle n’est plus systéma-
tiquement une négociation de distribution mais une négociation d’accompagnement de la
crise et de gestion des conséquences sociales des mutations économiques.
Cette dernière conduit, par ailleurs, à essayer de sauvegarder les intérêts des salariés
compris dans le champ de la négociation, les « insiders », parfois au détriment des
exigences de l’emploi de ceux qui sont à l’extérieur.
Mais faire de la négociation un outil essentiellement tourné vers la distribution du surplus,
c’est prendre le risque pour les syndicats d’un découplage de plus en plus important
avec la stratégie des entreprises.
C’est aussi faire des salariés qu’ils représentent les témoins passifs de décisions qui leur
échappent dans leur élaboration mais qui ont des effets directs et concrets sur leur
situation.
PROPOSITION N° 1 – Élaborer une pédagogie de la négociation collective
démontrant le caractère rationnel et nécessaire de celle-ci dans un
contexte concurrentiel et de crise économique.
3. La confiance
Pour des raisons multiples qui ne sont pas le sujet du présent rapport mais au nombre
desquelles la crise tient une place particulière, la condition première de toute
négociation, le lien de confiance, s’est peu à peu délitée.
Du côté des syndicats, la confiance s’est, en partie, rompue car de plus en plus souvent,
les véritables enjeux de l’entreprise sont masqués, avec le sentiment que la négociation
est instrumentalisée à des fins ignorées par les négociateurs représentant les salariés.
PROPOSITION N° 2 – Mise en valeur des bonnes pratiques des entreprises et
des syndicats sur les moyens d’établir une confiance réciproque,
notamment dans la présentation, le partage et l’utilisation d’informations
stratégiques.
4. L’organisation
4.1. Au niveau des branches
La confiance ne suffit pas : il faut que des deux côtés de la table existe une organisation
à la hauteur des exigences d’une vraie négociation.
Or en dépit des efforts faits par la loi du 5 mars 2014, l’organisation des branches
apparaît très en deçà de ces exigences.
Il n’est pas acceptable, alors que les entreprises de façon récurrente dénoncent la
lourdeur du code du travail et des normes prises par l’État, qu’elles ne mettent pas au
plus vite en place, via leurs organisations professionnelles dont la responsabilité est
grande, une architecture des branches qui, sans même parler du caractère dérisoire au
regard des enjeux de certaines micro-branches, soit à la hauteur d’une régulation
moderne par la négociation.
La question de la place de l’accord de branche est, comme souvent en France,
présentée sous la forme d’une opposition de principes politiques, syndicaux et juridiques
entre les tenants de l’accord de branche et les tenants de l’accord d’entreprise.
Cette question de principe ne se pose pas.
Aucun responsable n’envisage sérieusement de supprimer dans notre droit du travail
l’accord de branche.
En revanche, la question se pose dans les faits.
Si, comme dans de nombreux pays étrangers (il existe une cinquantaine de branches en
Allemagne), les entreprises et leurs organisations ne prennent pas, au plus vite, à bras-
le-corps cette question de l’architecture, sans attendre les initiatives prises par les
pouvoirs publics dans le cadre de la loi du 5 mars 2014, les branches disparaîtront
inéluctablement et progressivement d’elles-mêmes sans intervention de la loi, ceci au
profit d’un système qui présenterait de graves inconvénients, dans lequel la norme serait
fixée soit par la loi soit par l’accord d’entreprise.
Cette prise de conscience concerne aussi les organisations syndicales : dès lors que l’on
sort des grands principes, elles peuvent, dans le détail de la mise en œuvre dont il ne
faut surtout pas sous-estimer l’importance en la matière, contribuer à retarder les
processus de fusion et d’élargissement des branches.
4.2. Au niveau des entreprises
Les entreprises doivent aussi réfléchir à leur organisation interne au regard des
exigences de la négociation.
Il doit d’abord y avoir une proximité géographique, personnelle et culturelle des dirigeants
et de leurs états-majors avec le déroulement des négociations les plus importantes.
Il faut ensuite constater qu’il existe au sein des entreprises de moins en moins de
véritables praticiens de la négociation. Souvent ces cadres sont des seniors en voie de
marginalisation ou de départ à la retraite au profit de cadres qui, dans le meilleur des
cas, sont des spécialistes du droit de la négociation.
À l’évidence, le flambeau n’a pas été passé.
Or la négociation, c’est la constitution d’un réseau de relations personnelles, une
approche et une pratique qui ne relèvent pas d’un enseignement théorique quelle que
soit la qualité de ce dernier.
Il faut d’ailleurs noter que dans les directions des ressources humaines, les postes de
responsables des relations sociales ne sont ni les postes les plus demandés par les
jeunes cadres, peu attirés par le caractère conflictuel de la fonction non exempte de
mises en cause personnelles par certains syndicats, ni les plus valorisés, loin s’en faut,
par les entreprises.
Il est donc essentiel et urgent que les entreprises, du moins celles qui ont une direction
des ressources humaines, réfléchissent au plus vite – il est encore temps – à
l’organisation de celle-ci, c’est-à-dire au positionnement de la direction, au choix des
femmes et des hommes en charge de la négociation et au passage de témoin avec les
anciennes générations qui ont cette pratique.
L’aptitude et la compétence pour mener des négociations doivent être des critères
essentiels lors de l’évaluation des cadres des directions des ressources humaines. Ces
critères doivent être pris en compte également, lors de l’évaluation de l’encadrement de
proximité.
Cela suppose aussi que les entreprises exigent de la part des grandes écoles
d’ingénieurs et de commerce mais aussi des universités qui forment leurs futurs
dirigeants qu’elles dispensent un enseignement du dialogue social et de la négociation
qui soit de qualité, avec des intervenants ayant une pratique effective de la matière. Le
propos concerne aussi très largement les grandes écoles de la fonction publique qui
forment, en droit, les dirigeants des structures publiques et, en fait, nombre de dirigeants
du secteur privé.
Ces questions doivent être davantage intégrées dans les réflexions en cours sur
l’évolution du rôle des DRH. Le débat ne doit pas exclusivement porter sur la relation
dirigeants/DRH mais sur les relations plus complexes dirigeants/DRH/syndicats.
Si, comme il sera proposé dans le présent rapport, on donne davantage de champ et de
responsabilités à la négociation au niveau des entreprises, cela suppose que, des deux
côtés de la table, on s’y prépare sans tarder.
S’agissant des PME et TPE, cela suppose, comme il a été dit, qu’un effort particulier soit
fait en direction des consultants, avocats et experts-comptables, y compris ceux qui
assistent les comités d’entreprise.
Sans pour autant créer une nouvelle instance, il serait opportun que sous l’égide des
ministres de l’économie et du travail soient rassemblés à intervalles réguliers des
représentants de l’ensemble de ces acteurs afin de créer une dynamique et une
pédagogie de la négociation.
En un mot, tous les plus beaux discours sur les vertus de la négociation collective dans
les PME/TPE seront vains si l’on n’a pas réussi à convaincre l’expert-comptable qui
conseille la PME.
L’idéal serait que cette pédagogie de la négociation soit d’abord portée par les
entreprises et leurs organisations professionnelles.
Mais l’expérience montre que les regards se tourneront rapidement vers l’État dont les
services, notamment ceux des ministères en charge du travail, de l’économie et de
l’enseignement supérieur, devront avoir une démarche « pro-active » en la matière.
S’agissant de l’État, au sens le plus large du terme incluant notamment le ministère en
charge de l’économie, les autorités administratives indépendantes et l’Agence des
participations de l’État, il serait opportun que, dans le cadre de cette question consacrée
au choix des dirigeants et dans le champ de nomination et d’intervention qui est le sien, il
montre l’exemple de l’attention qu’il porte à la capacité et à la volonté de conduire
concrètement le dialogue social dans l’entreprise.
Ce n’est pas seulement le climat social mais aussi, comme le montre hélas l’actualité des
années récentes, l’évolution économique, voire la survie de l’entreprise qui peuvent être
déstabilisées lorsque cette capacité de management et de dialogue fait défaut avec une
résonance particulière pour des entreprises situées dans la sphère publique.
PROPOSITION N° 3 – Organisation des DRH et positionnement des respon-
sables des relations sociales au sein de l’entreprise en fonction des
exigences de la négociation collective. Prise en compte de l’aptitude à la
négociation comme un critère déterminant lors de l’évaluation de ces
responsables.
PROPOSITION N° 4 – Formations de qualité au dialogue social dans les écoles
de commerce, les écoles d’ingénieurs, l’Université et les grandes écoles
de la fonction publique.
PROPOSITION N° 5 – Actions de sensibilisation sur la place de la négociation
collective auprès des conseils en stratégie des entreprises, des
consultants, des avocats et des experts-comptables, avec notamment une
réunion régulière sous l’égide des ministres en charge du travail et de
l’économie de l’ensemble des acteurs qui influent directement et
indirectement sur la stratégie des entreprises et sur le social.
PROPOSITION N° 6 – Pratique exemplaire de l’État dans les critères de choix
des dirigeants de la sphère publique, dans leur capacité et leur goût à
mener un dialogue social de qualité.
5. La méthode
La formalisation des conditions du dialogue social en entreprise est une des conditions
essentielles dont Jacques Barthélémy a eu, l’un des premiers, l’intuition, qu’il a reprise
dans l’ouvrage élaboré avec Gilbert Cette (Réformer le droit du travail, Odile Jacob-
Terra Nova, septembre 2015).
L’élaboration d’accords de méthode sur les moyens, sur l’objet et sur les délais de la
négociation serait vivement souhaitable et recommandée. La législation prévoit déjà que
l’objet et la périodicité des négociations ainsi que les informations à remettre sont fixés
par accord dans l’entreprise. Mais ces accords sont souvent inexistants et leur
importance devrait être mieux reconnue dans le code du travail. Le cas échéant, des
accords de méthode type pourraient être élaborés au niveau de la branche dans le cadre
de sa mission de prestation de services à l’égard des entreprises (cf. infra).
Les accords de méthode devraient également être généralisés pour organiser la
négociation dans les branches.
L’accord préalable de méthode est de nature à contribuer à la loyauté de la négociation
et à restaurer la confiance.
Les sept points sur lesquels il pourrait porter seraient les suivants :
-
− le calendrier de la négociation : la question du temps est essentielle. Sans terme
préalablement fixé, le caractère interminable de certaines négociations n’a pas sa
place dans une économie moderne. C’est à l’accord de méthode de fixer un
calendrier dynamique de la négociation avec des échéances. Dès l’ouverture, sa
durée doit être préalablement fixée. Tel pourrait être l’un des objets de l’accord de
méthode avec un maximum légal de trois mois renouvelable une fois ;
-
− les documents et données économiques et sociales qui constituent le contexte de la
négociation et les règles de confidentialité qui s’appliquent ;
-
− les conditions d’utilisation des technologies de l’information en matière d’information
financière, économique, juridique et sociale des négociateurs avec notamment les
conditions d’utilisation optimale de la récente base de données économiques et
sociales ;
-
− les conditions de définition de la procédure de conclusion de l’accord ;
-
− les conditions dans lesquelles les salariés sont informés sur le contenu des
négociations en cours, puis du contenu de l’accord ;
-
− les conditions dans lesquelles est suivie la mise en œuvre de l’accord avec des
indicateurs précis et des clauses de rendez-vous ;
-
− les modalités amiables de résolution des litiges liés à l’application et à l’interprétation
de l’accord.
En fonction de la taille des entreprises, il pourrait y avoir des accords-cadres de méthode
applicables à tous les accords pendant une période donnée (quatre ans) ou un accord de
méthode spécifique et préalable à un accord particulier.
Dans les groupes, l’accord-cadre de méthode aurait notamment pour objet de déterminer
le niveau pertinent de négociation à l’intérieur du groupe en fonction des matières de
manière à objectiver cette question.
Un point mérite attention car il est de plus en plus sensible pour les organisations
syndicales : celui du rôle de fait prépondérant des employeurs et de leurs syndicats dans
l’organisation matérielle de la négociation. Les locaux, les ordres du jour mais surtout les
textes discutés sont le plus souvent ceux des employeurs.
Cette situation résulte du fait que leurs moyens sont généralement plus importants que
ceux des syndicats de salariés. Et il est, pour ces derniers, bien commode que les
employeurs prennent en charge cet aspect matériel.
Mais la circonstance que les employeurs et/ou leurs organisations soient, pour reprendre
l’expression imagée d’un responsable syndical, « maîtres du temps et des horloges » n’est toutefois pas sans incidence sur le déroulé et sur « l’égalité des moyens »
nécessaire à toute bonne négociation.
Il ne peut être question de poser en la matière une règle impérative consistant à imposer
telle ou telle pratique. Tout est affaire de circonstance. Imposer, par exemple, un lieu de
négociation neutre pourrait aboutir à des coûts et à des contraintes qui seraient sans
objet et disproportionnés dès lors qu’il existe une salle de négociation particulièrement
adaptée au sein de l’entreprise.
En revanche, ces questions d’organisation (local, ordre du jour, texte présenté, rédaction
du texte par une « plume tournante », etc.) devraient être traitées par les accords de
méthode.
Ces accords pourraient également contribuer à faire évoluer des pratiques de la
négociation qui paraissent aujourd’hui dépassées et limitent son attractivité.
Négociations interminables, déclarations liminaires sans fin, convenues, connues et de
peu d’intérêt, séances de nuit pour montrer l’âpreté des négociations, multiplications des
suspensions de séance et des « bilatérales » ; tout ceci relève d’un « jeu », au surplus
essentiellement masculin, qui n’est plus en phase avec les jeunes générations. Le
modèle culturel de la négociation, on serait tenté de dire sa « liturgie », est dépassé.
Il serait illusoire de vouloir supprimer tout ce jeu relevant de traditions bien établies, et
qui dans certains cas restent des passages obligés pour faire aboutir la conclusion d’un
accord, mais tout doit être fait pour donner un rythme et un cadrage temporel à une
négociation.
Les pratiques de la négociation doivent, en conséquence, se moderniser dans leur
tempo et leur déroulement. Or cela ne relève ni de la loi, ni du code du travail, ni des
circulaires ministérielles. La balle est dans le seul camp des partenaires sociaux et
notamment des chefs de délégation.
Enfin deux précisions s’imposent.
- La première porte sur le risque que s’engage une négociation sur la négociation qui
pourrait être déstabilisante et stérilisante dans la pratique. Dans un premier temps,
l’accord de méthode, dont l’existence devrait être renforcée dans la loi, ne devrait être
qu’une obligation non sanctionnée par la nullité. Il pourrait, par ailleurs, faire l’objet de
conditions de validité moins contraignantes que celles qu’impose le droit commun et ne
pas exiger un accord de type majoritaire.
- Second risque : avec l’accord de méthode et son application pourrait s’engouffrer tout
un contentieux très formaliste de nature à mettre en péril la sécurité juridique des
accords. Toute contestation sur la méconnaissance de l’accord de méthode devrait être
enserrée dans des délais de recours très brefs avec une réponse judiciaire elle-même
contrainte dans le temps. Passé ces délais, les moyens tirés de la méconnaissance de
l’accord de méthode à l’appui d’une contestation contentieuse visant l’accord seraient
irrecevables.
Est donc recommandée une mise en œuvre progressive de l’accord de méthode de
façon à éviter que, dans un premier temps, il soit plus une contrainte supplémentaire
qu’un appui à la négociation.
PROPOSITION N° 7 – Reconnaissance renforcée dans le code du travail de la
place des accords de méthode préalables à une négociation avec des
règles souples concernant la négociation et le contentieux.
PROPOSITION N° 8 – Mise en place de nouvelles pratiques de négociations
insérant celles-ci dans un tempo plus économe en temps dans le cadre
des accords de méthode.
6. Les temps de la négociation
La négociation collective pose dans ses nombreux aspects des questions qui se
rapportent au temps.
6.1. La durée de la négociation
La première est que la négociation absorbe en règle générale beaucoup trop de temps et
d’énergie. Elle n’est plus adaptée à une économie moderne soumise, qu’on le veuille ou
non, aux exigences de vitesse et de rapidité d’adaptation. Par ailleurs, du côté des
entreprises, ce temps dissuade les meilleures volontés et empêche que la négociation
soit suivie au plus haut niveau (cf. supra).
6.2. La durée des accords
La deuxième question porte sur la limitation dans le temps de la durée des accords, alors
que la tradition française est celle d’accords à durée indéterminée.
Cette solution ne présente pas que des avantages dans la mesure où elle contraint les
acteurs à des renégociations sur des sujets parfois sensibles.
Mais elle permet une respiration à intervalles réguliers de la négociation.
Il n’est pas question de fixer une durée légale qui s’imposerait à l’ensemble des accords
de façon uniforme.
Il appartiendrait à la loi de prévoir que tout accord collectif est un accord à durée
déterminée et que, sauf mention explicite contraire de l’accord, cette durée ne peut
excéder quatre ans sans qu’il soit possible de contourner cette contrainte par une clause
de tacite reconduction.
Au niveau de la branche, les accords professionnels seraient aussi concernés par cette
limitation de durée sans que cela concerne en revanche, du moins à ce stade, les textes
constitutifs de la convention collective de la branche.
6.3. L’adaptation aux évolutions de l’entreprise et du groupe
Une des faiblesses de notre code du travail est de regarder la cellule de base du droit du
travail qu’est l’entreprise comme un ensemble stable et permanent.
Cela n’a jamais été vrai, y compris au temps où il y avait une adéquation entre la société
industrielle et le code.
Ce n’est plus du tout vrai en 2015 où nombre de grandes entreprises voient en
permanence, leur périmètre, leur activité, leur actionnariat de contrôle évoluer dans des
laps de temps de plus en plus courts.
Or notre droit de la négociation collective est tout empreint de cette idée de
permanence : il se montre mal à l’aise pour accompagner, même vu du côté de l’intérêt
des salariés, les opérations de transfert, de fusion/acquisition et de restructuration des
entreprises.
Une illustration peut en être donnée avec la mise en cause des accords collectifs de la
société absorbée, de l’ouverture de négociations sur le « statut » des salariés de la
société absorbée et, en cas d’échec de cette négociation, à l’issue d’un délai de quinze
mois, du maintien des « avantages individuels acquis » (articles L. 2261-13 et L. 2261-14
du code du travail). Ces « AIA » sont sans doute une des notions les plus mystérieuses
du droit du travail dont les contours ont été année après année définis par la
jurisprudence.
Le caractère incertain de la notion n’a d’égal que l’importance qu’elle revêt pour les
salariés et les entreprises concernées.
Sans revenir sur le principe même, la question posée est de savoir si on ne pourrait pas
mettre davantage de négociation dans un champ qui est monopolisé par la loi et la
jurisprudence en permettant notamment des négociations anticipant l’opération de
restructuration.
Cette question est à la fois très délicate techniquement et très sensible du point de vue
économique et social.
Vu la technicité du sujet, une courte mission pourrait être confiée à deux professeurs de
droit du travail. Il serait demandé à cette mission de consulter les organisations
syndicales et professionnelles ainsi que les juristes et les DRH pour trouver, au bénéfice
de tous, les moyens d’anticiper, en cas de restructuration probable, ces questions du
droit conventionnel applicable.
Il est en effet impératif que l’Université renoue, au plus vite, avec une vision prospective
du droit du travail au-delà d’un rôle a posteriori tourné vers le commentaire de la loi et de
la jurisprudence de la Cour de cassation.
6.4. Les règles de révision et de dénonciation
Les règles de révision et de dénonciation des accords collectifs ont été singulièrement
compliquées par les nouvelles dispositions de la loi du 20 août 2008 sur la
représentativité syndicale. Une adaptation est nécessaire dans le sens de la clarté et de
la simplicité.
Historiquement, et en cohérence avec le droit des contrats, la révision d’un accord
collectif et sa dénonciation relevaient des seules organisations syndicales signataires de
cet accord (ou y ayant adhéré par la suite).
À la suite de l’introduction par la loi du 20 août 2008 de règles relatives aux conditions de
majorité, un accord ne peut plus être révisé que si les organisations signataires
représentent 30 % des suffrages exprimés.
Or à l’issue des élections professionnelles dans l’entreprise ou du cycle de
représentativité dans une branche, les syndicats signataires peuvent être dans une
situation où ils n’atteignent plus ce seuil de 30 %.
L’exercice de révision d’un accord devient alors très difficile, voire impossible, tant au
niveau de la branche que de l’entreprise.
La mise en cohérence des règles de révision des accords avec les évolutions issues de
la loi du 20 août 2008 apparaît donc souhaitable pour favoriser la négociation et
permettre une évolution plus rapide des accords d’entreprise comme de branche.
Le principe serait de prendre en compte la représentativité des acteurs au moment de la
révision.
6.5. La prise en compte de l’évolution progressive dans le temps
des accords collectifs
Derrière cette expression un peu mystérieuse se cache une question très concrète à
laquelle sont confrontés de nombreux négociateurs notamment de branche.
Sont en cause les conditions d’application du principe d’égalité dans des champs
conventionnels caractérisés par l’absence de négociation pendant une longue durée :
ainsi récemment dans la production cinématographique.
Le respect du principe d’égalité veut que si l’on signe une convention collective, on passe
sans transition de la « situation zéro » à la situation B pour assurer une stricte égalité,
notamment eu égard aux salaires et rémunérations, entre salariés.
Le « saut » qu’implique cette mise à jour est parfois très/trop important pour les
entreprises comme pour les salariés, ce qui peut susciter des réticences ou difficultés. Il
faut parfois avoir recours à une solution intermédiaire qui est seule de nature à permettre
de « faire passer » l’accord qui va dans le sens des intérêts des salariés tout en
respectant les contraintes économiques des entreprises en cause.
Ce type de convention intermédiaire, qui s’inscrit dans le temps et dans le cadre d’une
évolution à moyen terme de la branche, est généralement censuré par le juge sur le
fondement de la violation du principe d’égalité, l’ensemble des salariés couverts par une
même convention ne se voyant pas appliquer les mêmes règles durant cette période de
transition (Conseil d’État, 7 mai 2015, Association des comédiens et intervenants
audiovisuels, décision n° 375882). La conséquence concrète de la censure contentieuse
est le retour à la « situation zéro ».
De même, l’impérative nécessité économique et sociale de restructurer les branches
professionnelles en les fusionnant va également supposer que les salariés issus des
champs fusionnés ne se trouvent pas nécessairement à égalité pendant une période de
transition au regard de certaines dispositions.
Il n’est bien évidemment pas question de remettre en cause le principe d’égalité de
valeur constitutionnelle et de niveau communautaire, mais de permettre une phase
transitoire qui serait organisée par la loi et qui serait admise dès lors qu’elle est de courte
durée et qu’elle s’inscrit dans une évolution de progrès social et, à moyen terme, dans le
respect du principe d’égalité.
Une réflexion devrait être engagée sur ce point avec des spécialistes de droit social, de
droit constitutionnel et de droit communautaire.
En droit, ce questionnement paraîtra incongru à beaucoup mais il faut savoir qu’en
l’absence d’évolution sur ce point, l’exigence d’une application immédiate du principe
d’égalité sans situation intermédiaire empêche dans certaines branches la signature de
tout accord assurant le progrès social dans la branche considérée.
PROPOSITION N° 9 – Limitation législative dans le temps de la durée des
accords d’entreprise et professionnels de branche.
PROPOSITION N° 10 – Réforme des règles de révision des accords collectifs
pour permettre des adaptations plus rapides.
PROPOSITION N° 11 – Mise en place de deux groupes de travail sur :
– les conditions dans lesquelles il pourrait être donné davantage de place
à la négociation collective pour anticiper le statut des salariés transférés
et mieux définir le contenu des « avantages individuels acquis » ;
– l’application du principe d’égalité aux accords collectifs pour permettre
leur évolution progressive dans le temps.
7. Le professionnalisme
Les sujets de la négociation deviennent de plus en plus techniques. Négocier sur les
qualifications professionnelles, le temps de travail, les salaires, un plan d’intéressement,
la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la formation professionnelle
ou un PSE ne s’improvise pas.
Cela suppose des connaissances et une pratique.
Tant du côté des employeurs que des syndicats, les négociateurs doivent être
professionnels dans leur approche.
Être professionnels ne signifie pas être des professionnels de la négociation. Rien ne
serait pire que des négociateurs détachés du milieu professionnel faisant l’objet de
l’accord et qui multiplieraient les négociations dans tous les domaines. Dans toute la
mesure du possible, ces négociateurs « hors sol » et à vie doivent être évités.
Côté syndical, cela suppose d’abord que la négociation attire les jeunes salariés de
façon à ce qu’ils puissent être progressivement formés.
Or il y a à l’évidence un vieillissement des négociateurs qui s’inscrit dans un contexte
plus large d’une moindre attractivité des syndicats vis-à-vis des jeunes générations plus
tentées soit par une forme de militantisme au sein des associations, soit par
l’individualisme (cf. supra).
Si on met de côté ce contexte général de moindre attractivité du syndicalisme, le modèle
français de la négociation est lui-même bien peu attractif pour les jeunes et pour tout dire
trop daté, en particulier dans ses pratiques qu’il faut faire évoluer.
Attirer les jeunes générations mais aussi les former, telle est l’exigence.
La formation ne doit évidemment pas être exclusivement juridique. Elle doit porter sur les
aspects sociaux et économiques ainsi que sur la pratique de la négociation.
Côté syndical, cette formation est assurée par les organisations elles-mêmes grâce à
des crédits d’État (Formation économique sociale et syndicale-FESS) ou dans le cadre
des instituts régionaux du travail dont il serait opportun de repenser le fonctionnement au
regard des exigences de neutralité et d’égalité du service public.
Outre cette formation, il serait nécessaire de prévoir des lieux où serait enseignée une
pédagogie commune aux entreprises et aux syndicats de la négociation, à l’instar de ce
qui se fait au Québec où la négociation est enseignée comme une technique et une
méthode, chacun restant ensuite bien évidemment libre de ses options syndicales.
Il existe déjà de multiples instances en France qui travaillent dans cette direction. Le
principe serait d’ouvrir plus largement ces pratiques, y compris à l’Université, à la
condition que soit respecté un cahier des charges concernant la neutralité, le contenu et
la qualité de l’enseignement, le profil des enseignants et l’approche pratique et non
théorique.
Ce besoin de professionnalisation de la négociation existe aussi côté patronal.
Il y a quelques années, la partie patronale d’une négociation de branche était
représentée par les DRH des grandes entreprises du secteur dont il était collectivement
admis qu’ils puissent distraire une partie de leur temps pour travailler et négocier dans
l’intérêt du secteur.
Cette présence qui assurait la compétence et le professionnalisme de la représentation
patronale tend, on peut le regretter, à se réduire. Si les grandes branches, comme celle
de la métallurgie, assurent encore cette compétence, il n’en va pas de même pour les
petites branches. Pour ces dernières, le risque est que l’expert, extérieur à la branche,
tire la négociation essentiellement vers une approche trop juridique et technique oubliant
ainsi le cœur de la négociation que sont les questions économiques et sociales dont les
conséquences sont directes pour les entreprises et les salariés.
Comme illustration de cette évolution, on a pu voir des experts extérieurs conseiller à
une branche composée de très petits employeurs, peu au fait des questions sociales,
d’élaborer une grille de classification des emplois dite à « critères classants » dont la
complexité et la longueur n’avaient rien à envier aux grilles de classification les plus
sophistiquées de la grande industrie.
La formation prévue par les cahiers des charges précédemment décrite devrait donc
viser à la fois des responsables d’entreprises et de branches ainsi que des responsables
syndicaux.
L’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (INTEFP),
placé sous la tutelle du ministère du travail, organise déjà des sessions en ce sens.
Rares sont par exemple les salariés, y compris au plus haut niveau, qui savent ce qui sur
le montant de leur rémunération porté sur le bulletin de travail dépend directement de
stipulations conventionnelles contenues dans l’accord de branche (bien qu’il soit prévu
par décret que le bulletin mentionne la convention applicable) et/ou l’accord d’entreprise.
Or, sans même parler de son contenu, ce droit conventionnel est difficile d’accès. Les
difficultés des négociations font que l’on scinde les thèmes de négociation avec in fine de
multiples accords avec des avenants faisant de subtiles distinctions dans le temps.
Le principe doit être clairement posé : a fortiori au temps des TIC, tout salarié doit avoir
un accès simple et direct aux accords collectifs qui lui sont applicables.
Aujourd’hui, les dispositions règlementaires qui prévoient que l’employeur informe les
salariés, au moment de l’embauche, sur les accords applicables et tiennent à leur
disposition un exemplaire à jour ne suffisent pas en pratique.
C’est à la loi de fixer ce principe et d’exiger que chaque accord porte une stipulation
définissant ses propres modalités très concrètes d’accès.
Ces conditions d’accès seront naturellement différentes selon la nature de l’activité et la
taille de l’entreprise. Seul l’accord adapté à la spécificité de l’activité et des salariés et au
contenu des stipulations qu’il contient est le mieux à même de définir lui-même les
conditions de son accessibilité.
Par ailleurs, une communication pédagogique à destination des salariés devrait être
organisée lors de la signature des accords.
Enfin, l’accès aux accords collectifs suppose aussi la compréhension de leur contenu.
La complexité du droit conventionnel n’a rien à envier à celle du code du travail. C’est
une vue de l’esprit que de considérer que, en soi, le développement de la négociation
collective contribue à la simplification du droit du travail.
La négociation collective contribue à la proximité de ce droit, non à sa simplicité.
À titre d’exemple, certains accords ne sont compréhensibles que par référence à une
multitude d’accords antérieurs et au déroulement de la négociation, au point que seuls
les négociateurs patronaux et syndicaux comprennent les enjeux et la portée de tel ou tel
alinéa ajouté juste avant la signature...
Nous sommes donc très loin de l’exigence constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de
la norme.
On ne peut, en outre, reprocher au juge de méconnaître l’esprit d’un accord ou au
journaliste d’en faire une présentation inexacte si aucune précaution n’est prise par les
signataires eux-mêmes pour expliquer a minima le contenu de stipulations incompré-
hensibles pour un tiers.
Au surplus, cette exigence de clarté et d’explication serait bénéfique à la négociation et
au contenu de l’accord dont certaines stipulations révèlent leur obscurité et leurs risques
potentiels une fois l’accord signé (voir, comme exemple récent, les droits rechargeables
dans la convention d’assurance-chômage qui ont dû faire l’objet d’une révision en
urgence compte tenu des difficultés qui sont apparues lors de leur mise en œuvre).
Si l’on ne peut nier qu’une part d’ambiguïté dans la rédaction permet parfois d’aboutir à
des signatures d’accords, la compréhension du sens et de la portée de la norme
conventionnelle suppose, à l’instar des textes législatifs et règlementaires, qu’à tout le
moins un document indique quelle est l’économie générale du texte et précise le sens et
la portée de certaines stipulations essentielles dans cet accord.
Au-delà de cette exigence, la question de l’interprétation des accords, notamment par le
juge, est une grande source de difficulté et d’insécurité juridique. Dans des conditions
encadrées par la loi, dans la ligne du dernier rapport de la Cour de cassation, il pourrait
être demandé soit aux accords eux-mêmes soit aux accords de méthode de fixer les
modalités d’interprétation, par les signataires, des accords et de donner à cette
interprétation une valeur identique à celle de l’accord qui s’imposerait au juge sous
réserve de l’ordre public.
PROPOSITION N° 14 – Exigence d’un document établi par les signataires
expliquant aux tiers l’économie générale de l’accord et de ses principales
stipulations et d’une clause définissant les modalités d’interprétation de
l’accord par les signataires.
PROPOSITION N° 15 – Exigence d’une stipulation contenue dans l’accord
collectif, le cas échéant par référence à un accord de méthode, définissant
les conditions dans lesquelles son contenu sera porté à la connaissance
des salariés concernés.
8.2. Produire et partager la connaissance sur la négociation collective
La Direction de l’animation de la recherche et des études statistiques (Dares) du
ministère du travail et de l’emploi, pour les accords d’entreprise, et la DGT, pour les
accords de branche, font de leur mieux pour produire un suivi statistique de la
négociation, et de son contenu. Néanmoins l’analyse quantitative et qualitative de la
négociation collective, qu’il s’agisse des accords ou des processus y conduisant, reste
insuffisante en France et surtout fragmentée.
Il importe d’impulser de nouveaux travaux, notamment dans une démarche d’analyse
socio-économique du droit de la négociation collective. Des recherches pourraient être
lancées sous l’égide de France Stratégie et de la Dares en lien avec des laboratoires
universitaires.
Au-delà, il apparaît surtout nécessaire de rendre visibles et accessibles les multiples
travaux et ressources existant sur la négociation collective et plus généralement sur le
dialogue qui est produit de façon disséminée par une multitude d’acteurs, allant des
administrations aux organisations professionnelles, en passant par le milieu académique,
les « think tanks », les centres d’études et autres acteurs privés gravitant autour.
La création d’une plateforme nationale des travaux sur les pratiques existantes, avec
un versant numérique grand public, pourrait être envisagée. Cette plateforme pourrait
être conçue de façon collaborative avec l’ensemble des acteurs du champ, et
mobiliser l’ensemble des données mises à disposition par l’administration et les
entreprises.
Un groupe de travail piloté par France Stratégie pourrait être mis en place pour concevoir
ou préfigurer cette plateforme.
Rompant délibérément avec un usage qui veut que tout rapport administratif digne de ce
nom propose la création d’une instance supplémentaire, il n’est pas proposé la création,
à l’initiative de l’État, d’un institut ou d’un observatoire qui serait dédié au dialogue social
et à la négociation collective.
Cette plateforme serait créée sous la forme d’un portail dont les coûts de fonctionnement
seraient réduits, à charge pour les partenaires sociaux, s’ils le souhaitent et s’ils le jugent
utile et opportun, d’aller plus loin dans la démarche.
PROPOSITION N° 16 – Renforcer la recherche, sous l’égide de la Dares et de
France Stratégie, sur l’étude économique de la négociation collective et du
dialogue social et mettre en place des outils permettant à la Dares et à la
DGT d’assurer un meilleur suivi qualitatif de la négociation notamment au
niveau de l’entreprise.
PROPOSITION N°17 – Concevoir une plateforme nationale, notamment
numérique, permettant la mise en commun et la diffusion des données et
des connaissances sur la négociation collective.
9. Le rôle de l’État dans un nouveau contexte
Alors qu’il est question de relancer la dynamique de la négociation, l’État doit bien
évidemment garder ses missions régaliennes et son rôle d’accompagnement dans la
limite des moyens notamment humains dont disposent les services du ministère du
travail.
9.1. Les missions régaliennes
S’agissant des missions régaliennes de l’État, il faut distinguer la question des branches
de celle des accords d’entreprise.
- Le principe même d’un arrêté d’extension des accords de branche est parfois mis en
cause.
Certains dénoncent l’inefficacité de l’extension du fait que, par son caractère
systématique, elle revient à fixer une norme impérative pour toutes les entreprises alors
que celles-ci sont par définition hétérogènes dans leur situation et donc leurs besoins.
Cette norme est d’autant plus questionnée par les économistes que les négociateurs
patronaux de branche sont considérés comme recherchant non pas l’intérêt économique
du secteur dans son ensemble, mais l’intérêt économique des grandes entreprises qu’ils
représentent souvent ; tandis que du côté des organisations syndicales, c’est l’intérêt des
insiders qui serait privilégié au détriment des outsiders.
En outre, des économistes dénoncent le fait que l’extension revient du point de vue du
droit de la concurrence à conférer le sceau de l’État à un acte qui potentiellement peut
être une entente constitutive de distorsion de concurrence.
S’il ne s’agit pas de nier le caractère anti-concurrentiel de certaines conventions
collectives dont le but peut être d’évincer du marché certaines entreprises concurrentes,
pratiques qui ont été censurées par le Conseil d’État (Conseil d’État, 16 janvier 2002,
Syndicat national des entreprises d’esthétique et de coiffure à domicile ; 30 avril 2003,
Syndicat professionnel des exploitants des réseaux d’eau et d’assainissement, AJDA
2003, p. 1150), il faut en la matière s’en tenir à quelques constatations simples.
Outre ses justifications théoriques et juridiques, l’extension répond à une double utilité :
− en premier lieu, même si le juge administratif contrôle et censure les arrêtés
d’extension, l’acte lui-même, pris après avis des partenaires sociaux réunis au sein
de la Commission nationale de la négociation collective, permet d’éclairer les
syndicats et les entreprises sur la validité et sur l’interprétation de certaines clauses
de l’accord étendu ainsi que le juge lui-même sur des enjeux de fait et de droit, ce
que ne fait pas nécessairement apparaître le dossier contentieux ;
− en second lieu et surtout, à un moment où l’État est amené à jouer un rôle majeur en
matière de restructuration des branches, l’arrêté d’extension, comme le prévoit
d’ailleurs la loi du 5 mars 2014, est un outil très efficace pour revoir le paysage des
branches.
À ces deux considérations s’ajoute une troisième qui sera explicitée dans la suite du
présent rapport. Les missions de définition d’un ordre public conventionnel dévolu à la
branche peuvent justifier dans un premier temps la présence de l’État par la voie de
l’extension.
La question du principe de l’extension peut donc se poser du point de vue économique et
théorique : mais tant qu’il n’y aura pas eu une restructuration profonde des branches,
l’extension doit, à l’évidence, être maintenue.
Lorsque il n’y aura plus qu’une centaine de branches, disposant, tant côté syndical que
côté patronal, de la capacité de structurer les secteurs dont elles ont la charge, les
modes d’intervention de l’État pourront être revus et allégés en s’inspirant du dispositif
qui sera applicable aux accords d’entreprise.
Mais sur ce point, il doit être clair que la balle est d’abord dans le camp des partenaires
sociaux et non dans celui de l’État.
Dans cette attente, les travaux de la sous-commission de l’extension de la commission
nationale de la négociation collective montrent que l’extension par l’État répond à une
nécessité.
- S’agissant des accords d’entreprise, à part ceux concernant l’épargne salariale
compte tenu de leur impact sur les cotisations sociales, la validité des accords
d’entreprise ne fait pas l’objet d’un contrôle de l’État.
Le dépôt des accords d’entreprise place l’administration en situation de « compétence
liée » pour délivrer le récépissé sans contrôle du contenu de l’accord ; elle est en effet
obligée de délivrer le récépissé même si elle a le sentiment que, sur le fond, l’accord
d’entreprise est en tout ou partie contraire au code du travail.
Le contrôle de la validité est, en conséquence, exclusivement juridictionnel, il est opéré
par le juge si une personne intéressée en conteste la validité.
Aller au-delà, soit sous la forme d’un contrôle des accords d’entreprise inspiré de
l’extension actuelle des accords de branche soit sous la forme d’un « rescrit social1 » alourdirait considérablement les tâches des services déconcentrés sans qu’ils aient les
moyens d’assurer la sécurité juridique qu’exigent de telles fonctions.
(1) Le rescrit est une procédure tirée du droit fiscal dans laquelle l’usager peut demander à l’administration
de se prononcer sur la validité d’un acte, la réponse favorable de l’administration même inexacte est
opposable à cette même administration en cas, par exemple, de contrôle ultérieur.
En opportunité, il peut paraître aussi contradictoire, alors que l’effort commun doit tendre
à renforcer la confiance dans la négociation collective, de contrebalancer ce renvoi par
une intervention plus poussée de l’État pour contrôler son contenu.
Une solution pourrait être de s’inspirer des règles applicables aux collectivités locales
dans le cadre des lois de décentralisation de 1982.
L’autonomie dont elles ont bénéficié a conduit à supprimer la tutelle de l’État sur les
actes qu’elles prenaient. En revanche, lorsque l’État estime qu’une collectivité a pris un
acte illégal, il peut saisir le juge pour en contester la validité.
Cette solution serait appliquée aux accords d’entreprise entrant dans le champ de la
réforme proposée qui est définie dans le chapitre suivant.
Dans un délai de deux mois suivant le dépôt, auquel serait conférée date certaine, le
représentant de l’État, concrètement le Directe, aurait la faculté, en cas de violation
manifeste de la loi, de demander l’annulation de tout ou partie de l’accord devant le
tribunal de grande instance compétent.
Les règles spécifiques concernant les PSE, issues de la loi du 14 juin 2013, seraient
pour leur part maintenues tant en ce qui concerne le rôle de validation et d’homologation
de l’administration que la procédure contentieuse.
9.2. La négociation administrée
La « négociation administrée » apparaît comme un dispositif permettant de concilier la
liberté qu’offre le renvoi à la négociation collective et les exigences d’intérêt général
qu’impose l’État.
De fait, si elle assure, par les sanctions financières qu’elle prévoit, le respect de
l’obligation de négocier, il n’en va pas toujours de même de la qualité du contenu des
accords.
Elle est souvent perçue comme une obligation formelle par les acteurs qui n’est pas de
nature à modifier le fond des choses.
Il est donc opportun d’en limiter l’utilisation dans quelques domaines où, d’une part, il
existe de très fortes contraintes d’intérêt général et, d’autre part, il est établi que des
mécanismes moins contraignants sont restés de peu d’effet (par exemple, en matière
d’égalité femmes/hommes).
Dans les autres domaines, plutôt que la sanction, l’État devrait essayer de promouvoir
les bonnes pratiques de négociation dans le cadre de dispositifs de droit souple
(label, etc.) contribuant à la bonne image des entreprises qui sont volontaires en la
matière.
Comme il a été dit, le précédent des accords sur le stress mériterait quelque attention et
réflexion tant l’image des entreprises est un levier essentiel par ses répercussions sur les
salariés et les consommateurs.
PROPOSITION N° 18 – Maintien de l’extension des accords de branche par le
ministère du travail.
PROPOSITION N° 19 – Faculté reconnue aux services déconcentrés de l’État
de contester les clauses des accords collectifs d’entreprise (à l’exception
des accords portant sur les PSE) devant le tribunal de grande instance.
PROPOSITION N° 20 – Encadrement de l’utilisation par l’État des dispositifs
de «négociation administrée» à quelques domaines caractérisés par
d’impératives exigences d’intérêt général et par l’insuffisance de la
négociation de droit commun.
10. La sécurité
10.1. La contestation des accords
En matière de négociation collective, le recours au juge devrait rester exceptionnel. On
ne peut que regretter une forme de juridictionnalisation dont les organisations syndicales
et professionnelles portent la responsabilité principale puisque que le juge ne peut se
saisir lui-même d’une affaire.
Les jurisprudences les plus polémiques de ces dernières années ont été initiées par des
organisations syndicales.
Pour autant, l’accord collectif n’est pas une zone de non-droit et il va de soi que le droit
au recours contentieux est ouvert à toute personne ou organisation intéressée.
Ce recours doit, en revanche, être organisé de façon à ce que cette source de droit
réponde à l’exigence de sécurité juridique.
Or il existe un certain flou en la matière.
Dès lors que l’accord collectif est un acte créateur de normes juridiques, à l’instar d’un
acte règlementaire pris par les pouvoirs publics, les règles qui lui sont applicables
doivent s’inspirer du régime des actes règlementaires notamment en ce qui concerne les
règles contentieuses.
Le dépôt des accords de branches à la DGT et la déclaration des accords d’entreprise
aux Direccte seraient accompagnés d’une procédure de publicité vis-à-vis des tiers.
Ces formalités seraient de nature à faire courir un délai de deux mois opposable à
l’action directe visant à contester devant le tribunal de grande instance la validité de
l’accord.
Au-delà, l’invalidité de telle ou telle clause de l’accord ne pourrait être invoquée devant le
juge que par la voie de l’exception d’illégalité, à l’occasion d’un litige particulier, et à la
condition que les moyens ne portent que sur le fond du droit et non sur la forme et la
procédure de négociation et de signature.
On pourrait envisager également que le juge puisse laisser un délai de régularisation
pour une clause d’un accord, au regard des effets d’une annulation qui aurait des
conséquences manifestement excessives.
10.2. La jurisprudence
S’agissant de la jurisprudence, il faut saluer le revirement de la chambre sociale de la
Cour de cassation, notamment dans le cadre d’une application du principe d’égalité
prenant en compte la spécificité de la négociation collective (arrêt du 27 janvier 2015).
Comme il a été déjà indiqué, il serait nécessaire que les accords fassent l’objet de
davantage d’efforts de la part des négociateurs pour permettre notamment au juge de
comprendre le sens et la portée de certaines stipulations complexes.
Enfin, sous une forme à définir, il serait opportun que les actions générales de formation
en matière de négociation collective soient ouvertes tant aux membres des juridictions
judiciaires qu’aux membres des juridictions administratives, ceci quel que soit le niveau
de la juridiction.
PROPOSITION N° 21 – Encadrement dans le temps des conditions de recours
judiciaire contre les accords collectifs avec application de règles inspirées
du contentieux des actes règlementaires.
PROPOSITION N° 22 – Ouverture des formations à la négociation collective
aux magistrats judiciaires et administratifs.
LES NOUVEAUX CHAMPS
DE LA NÉGOCIATION COLLECTIVE
Ce chapitre consacré aux champs de la négociation collective recouvre plusieurs
problématiques.
Son principe général est de donner davantage d’espace à la négociation collective. Cela
ne passe pas systématiquement par une extension explicite d’un domaine à la
négociation collective au détriment de la loi.
Le code du travail, dans sa rédaction actuelle, se caractérise par une grande complexité
de la loi où il est bien difficile de déterminer, sur un sujet donné, la marge de manœuvre
qui est laissée aux négociateurs d’un accord de branche ou d’entreprise.
La clarification et la rationalisation des textes passant par une séparation entre ce qui
relève de l’ordre public, du renvoi à la négociation et du supplétif seront parfois
suffisantes pour donner une respiration bienvenue au dialogue social et à la négociation.
Il y a là une rupture par rapport au mode d’élaboration du code du travail qui a
caractérisé ces dernières décennies.
Dès lors, comme on le verra, tout ne peut être fait d’un seul coup, il faut prioriser.
Le partage entre ce qui relève du court terme et ce qui relève du moyen terme sera aussi
l’une des problématiques de ce chapitre ainsi que du suivant consacré aux conditions de
mise en œuvre.
1. La refonte du code du travail
Il est impératif et urgent de sortir d’une logique, devenue de plus en plus prégnante, où
on oppose le droit et l’efficacité économique. Dans tous les pays, les différents droits,
dont le droit du travail, sont un outil d’efficacité et de compétitivité économique, ceci pour
une raison simple : l’économie même la plus libérale a besoin de règles.
Plus une société est complexe, plus la norme est complexe, qu’elle concerne le contrat
commercial, la propriété intellectuelle, le droit fiscal, le droit de l’urbanisme et donc aussi
le droit du travail.
La question n’est donc pas de fixer une taille idéale du code du travail mais de réfléchir à
une nouvelle architecture assurant la complémentarité et les équilibres entre les
différents modes de régulation au nombre desquels une place nouvelle donnée à la
négociation et surtout à ses acteurs.
1.1. La régulation du flux normatif
La première mesure peut se prévaloir de l’évidence et du bon sens : avant d’envisager
de réduire l’importance quantitative du code du travail, il faut d’abord stabiliser le flux
normatif qui atteint des proportions déraisonnables au point que même les directions des
ressources humaines des plus grands groupes peinent à suivre.
Il existe, de ce point de vue, un découplage croissant entre les entreprises, y compris les
plus grandes, et les flux législatifs et jurisprudentiels, dont les responsables politiques,
administratifs et les juges ont trop peu conscience,
Les entreprises peinent à s’approprier les réformes et les jurisprudences nouvelles qui,
de plus en plus, ne concernent plus que la seule sphère étroite des consultants, conseils
et avocats et des professeurs de droit.
Insensiblement le code du travail et la jurisprudence à laquelle il donne lieu passent du
champ de compétence du DRH, qui conçoit et applique une action en matière de
ressources humaines, à celui du directeur financier qui calcule le montant des provisions
en prévision de contentieux sociaux qu’en tout état de cause on ne peut maîtriser (cette
évolution est extrêmement préoccupante dans le champ de la santé et de la sécurité au
travail).
Quant aux TPE/PME, les évolutions sont soit ignorées, soit perçues et comprises par le
chef d’entreprise sous une forme simpliste et contestable, même lorsque la réforme est
favorable à l’entreprise.
Cette difficulté d’appropriation ne concerne pas seulement les entreprises mais aussi les
syndicats, ce qui implique de la part des confédérations syndicales un gros effort
d’information et de formation à destination de leurs unions locales.
La stabilisation du flux normatif n’impose aucune modification des textes mais, ce qui est
plus difficile, une modification des pratiques.
Chaque année notre pays connaît, en moyenne, deux ou trois textes législatifs
substantiels de « modernisation » qui portent sur le droit du travail.
Aucun pays ne connaît un tel rythme.
Bien au-delà du ministère du travail, des ministères techniques (transports, agriculture,
culture, etc.) présentent, par ailleurs, des textes spécifiques qui viennent s’agréger aux
dispositions du code du travail.
Ne serait-ce que du point de vue de la seule négociation collective, qui exige un
minimum de stabilité juridique afin que les acteurs aient la volonté de s’engager dans
une telle démarche, il faut ralentir ce mouvement et en tout cas l’organiser.
La prévisibilité et une bonne appropriation de la norme sont les premières conditions de
la sécurité juridique, qui elle-même est l’une des premières conditions de la négociation.
À titre d’exemple, les ajustements en matière de pénibilité qui ont rendu sans objet de
longues négociations, qui avaient été menées par certaines entreprises et syndicats
particulièrement volontaristes en la matière, sont très dissuasifs pour les négociations
futures.
Reprenant l’esprit et la lettre de la loi du 31 janvier 2007 ainsi que les précédents
constitués par les « grandes conférences sociales », il faut que chaque année un
calendrier soit établi, présenté aux partenaires sociaux et surtout respecté.
À l’instar de ce qui est fait dans le champ de la sécurité sociale avec les lois de
financement de la sécurité sociale, et sachant qu’il faut laisser un temps réel de
négociation aux partenaires sociaux qui s’insère dans un calendrier prévisible et stable
pour donner toute sa portée à l’article L. 1 du code du travail, la possibilité de limiter à un
seul texte annuel du gouvernement les modifications à apporter au droit du travail devrait
être expertisée.
En outre, pour stabiliser l’importance quantitative de notre code du travail, il faudrait faire
en sorte, conformément aux circulaires du Premier ministre, que tout texte nouveau soit
gagé par la suppression d’un texte obsolète afin d’empêcher la constitution de strates
successives qui sont dévastatrices pour la bonne compréhension du code.
Les Britanniques utilisent l’expression imagée du « one in, one out » pour décrire une
telle démarche, qu’ils appliquent avec un certain succès.
Sur ce dernier aspect, il faudrait bien évidemment prendre en compte la spécificité du
code du travail. La démarche, pour être efficace, ne devrait pas être dans les seules
mains des professionnels de la simplification et devrait faire l’objet d’une application
politique ferme mais raisonnable.
PROPOSITION N° 24 – Limitation du nombre de réformes législatives en fixant
un agenda social annuel et en le respectant.
PROPOSITION N° 25 – Application du principe selon lequel toute disposition
nouvelle du code du travail doit être gagée par l’abrogation d’une
disposition devenue obsolète du même code.
1.2. Une nouvelle architecture du code du travail
Le nombre des pages du code du travail est devenu un objet médiatique symbolisant aux
yeux de certains à lui seul tous les travers de la société française. Or ce code ne mérite
ni tant d’honneur ni tant d’infamie : il est moins la cause que le reflet de certains de ces
travers.
Mais ses réformes successives qui s’accumulent par strates et qui ont tendance à
s’accélérer posent à l’évidence une question d’adaptation et d’effectivité. Au surplus, et
comme il a été indiqué, la norme sature quantitativement et qualitativement le dialogue
social et la négociation collective.
Il est donc nécessaire de réfléchir à une nouvelle architecture du code du travail ainsi
qu’aux scénarios permettant d’y parvenir.
La première solution, qui a eu un certain succès et retentissement dans les années 2000,
consisterait en une réforme constitutionnelle organisant une répartition des compétences
entre la loi, d’une part, et la négociation collective, d’autre part.
Des organisations professionnelles semblent encore défendre cette solution mais celle-ci
pose à l’évidence une question de démocratie politique. On voit mal sur le fondement de
quel principe le pouvoir constituant déléguerait des pans entiers des relations sociales
aux partenaires sociaux sans intervention de la loi.
Par ailleurs, les matières couvertes par le travail et l’emploi sont aujourd’hui à ce point
imbriquées les unes dans les autres qu’il est illusoire de croire que l’on pourrait dessiner
une frontière qui fasse le partage entre ce qui relèverait de la loi et ce qui relèverait des
partenaires sociaux.
La solution n’est donc pas dans une répartition horizontale entre la loi et les accords
collectifs qui, dans une démocratie, ne peuvent avoir la même force, mais dans une
organisation adéquate et équilibrée, comme dans la plupart des autres pays, entre les
grands principes posés par la loi et les accords collectifs.
Nous ne sommes pas dans une logique de répartition de territoires entre la loi et les
accords collectifs mais dans une logique de complémentarité.
Nous ne nous attarderons pas sur la deuxième solution : une réduction drastique du
code du travail. Elle plongerait notre économie et notre système de relations sociales
dans une situation chaotique et donnerait au juge un pouvoir sans précédent. Selon toute
Cette approche a toutefois ses limites. On s’aperçoit rapidement que ces catalogues
– très différents – posent une question de lisibilité et de logique. Chaque contribution
repose sur des fondements différents. Le risque serait que la démarche, au mieux soit de
peu de portée, et au pire soit de nature à engendrer des difficultés supplémentaires et
nouvelles dans l’application et l’interprétation du code du travail.
Le scénario global a le mérite de la simplicité apparente, mais il se heurte à la question
du temps.
Autant un effort de clarification peut être fait pour les lois à venir, autant la refonte
complète du code du travail imposerait, à la lumière notamment du temps qu’a imposé la
recodification à droit constant du code, une durée qui n’est pas conciliable avec les
exigences d’adaptation rapide de notre économie et de notre modèle social.
À l’instar des travaux menés en son temps par Robert Badinter pour la refonte du code
pénal, il ne faut pas enfermer cette opération dans des délais trop courts. L’élaboration
d’une nouvelle architecture du code suppose d’abord un travail technique préalable,
ensuite des arbitrages politiques au niveau du gouvernement, avec une concertation
avec les partenaires sociaux dans le cadre des instances prévues à cet effet et, enfin, un
travail parlementaire dont on doit mesurer l’ampleur.
Au-delà même de ces exigences, est-il besoin de rappeler que ce code est particulier à
notre pays ? Il est chargé d’histoire, de conflits, parfois de drames et l’on ne peut
raisonnablement envisager une refonte/réduction d’ensemble de ce code en quelques
mois. Cela d’autant que si l’opinion majoritaire du moment est d’admettre que ce code va
trop loin dans le détail, il en ira autrement dès la première minute où l’on abordera le fond
des droits et des obligations, y compris pour les professions les plus médiatiquement
désireuses de changement.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille abandonner le projet d’une réécriture/
simplification du code du travail sur la base des principes ci-dessus exposés.
Mais il faut laisser du temps à cette démarche et ne pas l’enfermer dans des délais à ce
point courts et contraignants qu’ils conduiraient inéluctablement à son échec.
Un délai maximal de quatre ans, vote de la loi inclus, serait raisonnable pour mener à
bien cette opération, ce qui supposerait que le ministère du travail ait les moyens de
constituer rapidement des équipes d’experts de haut niveau en capacité de faire le
premier travail technique et la concertation nécessaire avec les partenaires sociaux.
Reste le scénario qui vise à faire naître, dans un premier temps, une dynamique nouvelle
de la négociation.
Cette démarche viserait, à très court terme, c’est-à-dire dans le courant de l’année 2016,
à cibler les domaines sur lesquels, du point de vue social et économique, il y a une
urgence à développer la négociation collective et à adapter, en conséquence, les
dispositions du code du travail.
La logique serait de s’appuyer sur les quatre piliers de la négociation que sont le temps
de travail, les salaires, l’emploi et les conditions de travail. Ces piliers seront précisés
dans la suite du rapport. L’objet serait d’ouvrir dans ces domaines de nouveaux espaces
afin que s’opère dans notre pays une relance de la négociation qui soit porteuse
d’innovation et d’emplois.
PROPOSITION N° 26 – Projet, à moyen terme c’est-à-dire dans un délai
maximal de quatre ans, d’une nouvelle architecture du code du travail
faisant le partage entre les dispositions impératives, le renvoi à la
négociation collective et les dispositions supplétives en l’absence
d’accord.
PROPOSITION N° 27 – Projet, à court terme c’est-à-dire dans le courant de
l’année 2016, d’une modification des dispositions du code du travail
concernant les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi et les
salaires.
1.3. Le code du travail et la négociation nationale et interprofessionnelle
La mission ne porte pas principalement sur la question de l’article L. 1 du code du travail
et des accords nationaux interprofessionnels.
Néanmoins, le sujet ayant été maintes fois évoqué par les membres du groupe et par les
personnes auditionnées, il a paru nécessaire de dire quelques mots d’une éventuelle
réforme.
Cet article a profondément et positivement modifié les rapports entre les pouvoirs publics
et les partenaires sociaux. En aucun cas il ne doit être interprété comme empiétant sur
les pouvoirs du gouvernement et du Parlement tels qu’ils leur sont reconnus notamment
par la Constitution. Légiférer est possible, qu’il y ait ou non négociation.
Une conséquence peu perçue de ce dispositif est qu’il constitue un frein à l’instabilité et à
l’inflation législative, qui sinon seraient encore plus importantes.
Ce dispositif peut cependant, à la lumière des expériences passées, être amélioré.
La première difficulté tient à la circonstance, qui n’est d’ailleurs pas formulée de façon
explicite dans le corps même de l’article L. 1, qu’est plutôt utilisée la technique de l’accord national interprofessionnel avec ses règles de négociation, ses acteurs et son
contenu.
Or le gouvernement, lorsqu’il envisage une réforme, n’attend pas nécessairement des
partenaires sociaux qu’ils lui fournissent un accord national interprofessionnel (ANI)
« clefs en main » que le législateur devrait traduire au mot près, mais plutôt une
négociation lui permettant d’apprécier si du côté des partenaires sociaux il existe une
volonté majoritaire d’aller dans cette voie et si oui par quel moyen.
La plupart des difficultés sont nées de l’utilisation de l’ANI comme outil. La technique de
l’ANI a pour effet d’écarter les organisations multi-professionnelles comme l’agriculture,
l’économie sociale et les professions libérales, qui sont d’autant plus concernées par le
contenu de l’accord qu’il est destiné à être transposé dans une loi et donc appliqué à
l’ensemble des entreprises et salariés.
Par ailleurs, les signataires d’un ANI n’ont ni compris ni accepté que le gouvernement et
le législateur s’écartent, même de manière exceptionnelle, d’un accord en bonne et due
forme.
Quant aux parlementaires, certains ont clairement affirmé qu’ils ne se sentaient pas liés
par la démarche de l’article L. 1 et notamment par des ANI signés par les principaux
acteurs syndicaux et patronaux.
Sans remettre en cause le principe même de la concertation préalable posé par
l’article L. 1, il pourrait être envisagé que cette concertation prenne deux formes : soit la
forme traditionnelle de l’ANI, soit la forme plus souple dans son contenu et son adoption
d’une « position commune » de nature à éclairer les pouvoirs publics sur les principes
essentiels auxquels sont attachés les partenaires sociaux eu égard à la réforme
envisagée.
En tout état de cause, les accords nationaux interprofessionnels seraient bien évidemment maintenus en dehors du cadre de l’article L. 1, c’est-à-dire en l’absence de toute
intervention préalable des pouvoirs publics.
La seconde question est de savoir s’il faut inscrire l’article L. 1 dans la Constitution.
Une part du succès de cet article réside dans sa souplesse d’utilisation notamment dans
des cas où il y a consensus partagé entre le gouvernement et les partenaires sociaux
pour dire, notamment pour des considérations d’opportunité, que ce dispositif ne
s’applique pas.
La constitutionnalisation pourrait être de nature à mettre fin à cette souplesse. On verrait
alors des lois censurées par le Conseil constitutionnel au motif qu’elles n’ont pas été
précédées de la concertation.
Plutôt qu’une inscription de l’article L. 1 dans la Constitution, il pourrait être envisagé, en
s’inspirant des propositions de Robert Badinter et d’Antoine Lyon-Caen, d’inscrire dans le
Préambule de la Constitution quelques grands principes du dialogue social et de la
négociation collective qui seraient énoncés de façon plus précise que les alinéas actuels
du Préambule de la Constitution de 1946.
PROPOSITION N° 28 – Maintien du principe de la concertation préalable prévu
par l’article L. 1 du code du travail en l’assortissant de la faculté pour les
partenaires sociaux de recourir soit à la forme de l’accord national
interprofessionnel soit à la forme de la « position commune » qui se borne
à la définition des principes essentiels.
PROPOSITION N° 29 – Inscription dans le Préambule de la Constitution des
grands principes de la négociation collective.
2. Les priorités en matière de champs de la négociation
collective
Cette section se situe dans le cadre du « scénario dynamique » de modification à court
terme du code du travail, en le précisant.
2.1. Les nouveaux champs du travail et de l’emploi
Avant de parler d’extension du champ de la négociation par rapport aux dispositions
existantes du code du travail, il pourrait déjà être posé que les problématiques nouvelles
des relations du travail, non encore traitées par le code du travail, soient en priorité
traitées par la négociation.
Nous en donnerons deux exemples.
Le premier tient à la responsabilité sociale des entreprises (RSE) qui est, au départ, une
initiative volontaire des entreprises. À la condition qu’elle soit entre les mains de
responsables ouverts et innovants, elle peut être un puissant levier de changement
social, économique et environnemental.
Les pouvoirs publics, tant au niveau national que communautaire, n’ont pourtant eu de
cesse de vouloir s’approprier et « publiciser » via directive (directive n° 2014/95/UE), lois
(lois des 15 mai 2001 et 12 juillet 2010) et règlements (notamment décret du 24 avril
2012) cette modalité de droit souple au risque d’en affecter l’économie générale,
l’efficacité et l’utilité.
En revanche, à l’exception de quelques pratiques rares ou de discussions au sein de
cercles restreints, la question du lien entre RSE et négociation n’est pas posée. Ce serait
pourtant un champ potentiel d’innovation important notamment dans les entreprises
appelées à se développer à l’international (partage d’informations sur des chiffres clefs,
suivi de certains indicateurs « niveau monde » choisis conjointement dans le cadre de la
négociation collective, partage d’informations allant au-delà du seul secteur social).
Le second exemple tient à l’économie digitale dont les responsables soulignent, de façon
récurrente, l’inadaptation, voire l’archaïsme, de notre droit du travail au regard des
spécificités de ce secteur en pleine révolution. L’utilisation des outils numériques et leurs
conséquences sur le travail (mobilité, articulation des temps et outils personnels et
professionnels, droit à la déconnexion, etc.) est un domaine encore peu régulé par le
code du travail, où la négociation collective peut trouver un champ privilégié
d’application.
Il pourrait être donné aux chefs d’entreprise en pointe dans l’économie digitale la
responsabilité, avec leurs salariés et syndicats, d’innover en la matière et d’inventer, à
titre expérimental et dérogatoire, de nouveaux modes de relations sociales.
Une loi pourrait prévoir, en l’encadrant, cette expérimentation en donnant la faculté à un
ou deux secteurs volontaires, bien définis économiquement et socialement et
directement concernés par le digital d’ouvrir des négociations.
Les innovations, qui concerneraient tant la méthode que le fond, pourraient ensuite
infuser dans de nombreux autres secteurs où l’utilisation du numérique se généralise
également.
Il ne s’agirait pas de créer une zone de « non-droit du travail » dans ces secteurs mais
de donner la faculté aux acteurs concernés de sortir des incantations habituelles et de
démontrer, avec le soutien et le suivi des services du ministère du travail, leur réelle
capacité de régulation conciliant, d’une part, les évolutions économiques et techno-
logiques et, d’autre part, le progrès social et la négociation collective.
2.2. L’extension des champs de la négociation dans les Accords sur
les Conditions et Temps de travail, l’Emploi et les Salaires (ACTES)
Pour le reste, le scénario dynamique repose sur la constatation que, mises à part les
questions purement régaliennes (juridiction prud’homale, inspection du travail, Pôle
Emploi, etc.), les relations du travail reposent essentiellement sur ces quatre piliers que
sont le temps de travail, les salaires, l’emploi et les conditions de travail.
On pourrait, pour dénommer les accords qui entrent dans ces champs, utiliser
l’acronyme « ACTES » : Accords sur les conditions et temps de travail, l’emploi et les
salaires.
Dans chacun de ces piliers, le droit positif se caractérise par une très forte imbrication de
la norme unilatérale (loi et règlement) et du renvoi à la négociation.
Le travail de clarification consiste à établir, à l’intérieur de chacun de ces piliers, ce qui
relève de l’ordre public et ce qui relève, à titre principal, de la négociation.
- Temps de travail: les normes concernant le temps de travail obéissent à trois
logiques distinctes.
La première, la principale mais que l’on oublie trop souvent en France, est la protection
de la santé, avec un principe simple selon lequel les salariés ne doivent pas s’épuiser au
travail. Cette exigence se traduit notamment dans la législation communautaire sur le
temps de travail, toute entière articulée autour de la santé des salariés. Ces normes (par
exemple une durée maximale de 48 heures par semaine sur une période de référence)
relèvent en droit et en fait de l’ordre public et elles ont leur traduction en droit français. Il
n’est pas question de les modifier, d’autant plus que leur révision se heurterait à
d’insurmontables obstacles au sein de l’Union européenne.
La deuxième logique est que le temps de travail et son organisation sont au centre de la
vie des entreprises et des salariés. C’est sans doute le cœur de la relation de travail et il
n’est pas de ce point de vue étonnant que la question du temps de travail soit récurrente
dans tous les débats concernant le droit du travail. Or dans un système économique et
social qui nécessite des adaptations rapides et la prise en compte de la diversité des
situations, l’organisation du temps de travail, en dehors des questions de l’ordre public,
ne peut raisonnablement relever de la loi. Cela doit être le champ privilégié de la
négociation collective et plus particulièrement encore celui de la négociation au niveau
de l’entreprise.
Tel avait été précisément l’esprit et l’objet de la seconde partie de la loi du 20 août 2008
qui dans certains domaines (contingent des heures supplémentaires) avait procédé à un
renvoi à l’accord d’entreprise, à défaut à l’accord de branche et à défaut, enfin, aux
dispositions supplétives du code du travail. La loi du 20 août 2008 était trop complexe et
n’avait pas été jusqu’au bout de cette logique qu’il faut maintenant poursuivre sous le
respect de garanties nouvelles.
La troisième logique est que la norme en matière de temps de travail est déterminante
quant à la capacité des entreprises à être compétitives, notamment dans le cadre d’une
concurrence internationale, ceci tout en préservant les équilibres sociaux essentiels. On
retrouve ici la question de la durée légale qui n’est pas, comme il a été précédemment
indiqué, un plafond mais un seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Il
convient, à cet égard, de souligner que toutes les potentialités de la loi n’ont pas été
utilisées puisque si le seuil de 35 heures est posé par le code du travail, ce même code
renvoie à la négociation pour la définition du taux de majoration des heures supplémentaires. Ce renvoi est très large puisqu’il vise la négociation de branche et
d’entreprise. La seule contrainte (article L. 3121-22 du code du travail) est un taux
minimal de 10 % que doit respecter l’accord collectif (pour les huit premières heures). Le
taux de 25 % est un taux qui ne s’applique qu’en l’absence d’accord. Ce dernier taux
s’applique, en règle générale, faute pour les entreprises d’avoir voulu engager des
négociations sur ces points.
La question posée serait de savoir s’il ne conviendrait pas d’aller au-delà et d’ouvrir la
négociation, dans un cadre défini par la loi, sur le seuil de déclenchement lui-même.
Cette occasion pourrait, par ailleurs, être utilisée pour sécuriser les accords de branche
sur le forfait/jours des cadres autonomes au regard de la jurisprudence de la Cour de
cassation.
- Salaires : les salaires sont dans le code du travail l’un des domaines où le champ de
la négociation est le plus ouvert. Les accords de branche déterminent les qualifications et
les niveaux de salaires correspondant, ainsi que les salaires minima du secteur. Par
ailleurs, les salaires réels sont négociés dans le cadre de la négociation annuelle
obligatoire (NAO) au sein des entreprises.
Le seul élément d’ordre public est le SMIC. S’il est établi que le niveau du SMIC prive
souvent de base et de portée les salaires minima de branches en écrasant les
hiérarchies salariales et en rendant difficiles les adaptations spécifiques à certains
secteurs, il n’est pas néanmoins opportun de revenir sur cette architecture générale.
Mais la question des rémunérations ne se réduit pas au SMIC.
L’évolution des politiques de rémunérations, de plus en plus individualisées, oblige,
notamment pour les cadres, à repenser le niveau et les conditions d’intervention des
syndicats sur les politiques salariales et sur les rémunérations variables.
De même, la négociation sur le partage de la valeur ajoutée est un champ qui reste très
largement virtuel par rapport aux mécanismes plus classiques de l’intéressement et de la
participation aux bénéfices.
Ce point ne nécessite pas d’ajout explicite du code du travail puisque, à l’exception du
SMIC, le champ est très ouvert à la négociation. Mais un effort de clarification des
dispositions serait opportun.
- Conditions de travail : comme pour le temps de travail, il existe en matière de santé et
de sécurité au travail un corpus communautaire imposant qui relève de l’ordre public. La
question de la protection de la santé des salariés est centrale dans notre modèle social
et le juge a accentué la responsabilité juridique des employeurs en la matière.
L’application de ces normes, certes nécessaire, est très contraignante pour les entreprises et notamment les PME/TPE. Or il s’agit là d’un noyau dur de notre code du
travail qui, par nature, échappe pour l’essentiel au champ de la négociation collective.
Au-delà de ce noyau dur restent toutes les questions liées à l’organisation du travail et
aux conditions de travail. Elles sont loin d’être négligeables au regard, par exemple, de
l’émergence des TMS (troubles musculo-squelettiques) qui sont la principale maladie
professionnelle et des RPS (risques psychosociaux) liés à des méthodes de
management parfois contestables.
Beaucoup de ces questions relèvent de micro-décisions comme l’aménagement adéquat
d’un poste de travail (pour les TMS) ou la relation avec un supérieur hiérarchique (pour
les RPS). Pour autant, ces micro-décisions s’inscrivent dans un cadre général de
management de l’entreprise qui peut être plus ou moins attentif aux conditions de travail.
Or, non sans paradoxe, le code du travail est très précis et exigeant sur certains
dispositifs concernant les conditions de travail au sens classique du terme (vestiaires des
salariés) mais reste muet sur les nouvelles méthodes de management (lean
management, etc.) qui ont une incidence sur la vie quotidienne de millions de salariés.
Il conviendrait en conséquence d’être plus précis sur la place de la négociation collective
dans les modes d’organisation du travail.
- Emploi: l’emploi porte sur l’embauche, les mécanismes de gestion de l’emploi,
notamment la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), et enfin
les PSE qui ont été renvoyés à la négociation collective d’entreprise par la loi du 14 juin
2013.
S’agissant des conditions relatives aux embauches, qui se font souvent dans le cadre de
la précarité qui caractérise les contrats à durée déterminée, la négociation collective,
qu’elle soit de branche ou d’entreprise, pourrait être porteuse d’innovation sociale. À titre
d’exemple, il pourrait être proposé à cette négociation d’avoir recours à de nouvelles
formes de contrats de travail ou d’instituer des dispositifs nouveaux de transition
professionnelle conciliant les exigences de sécurité des salariés et d’adaptation des
entreprises, ceci dans un cadre prédéfini par la loi.
PROPOSITION N° 30 – Extension de la négociation collective dans les champs
prioritaires que sont les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi
et les salaires (ACTES, Accords sur les conditions et temps de travail,
l’emploi et les salaires).
PROPOSITION N° 31 – Ouverture à la négociation collective des nouveaux
champs des relations du travail : responsabilité sociale des entreprises
(RSE) et, avec un mandat de la loi, économie digitale.
3. Les missions de la branche (dans le champ
des accords ACTES)
3.1. La définition et la rationalisation des missions
La branche joue un rôle régulateur dont l’importance au niveau du secteur d’activité
concerné a été rappelée par de nombreux acteurs lors des auditions menées.
Alors que le champ des sujets que doit traiter une branche dans sa convention collective
pour pouvoir bénéficier de l’extension est aujourd’hui très large – comme le montre la
lecture de l’article L. 2261-27 du code du travail –, il faut recentrer les branches sur
quatre missions principales.
Mais avant tout, la branche doit avoir une vision prospective de l’évolution économique et
sociale du secteur. Cette vision manque trop souvent.
Il ne faut certes pas méconnaître la difficulté de l’exercice dans un contexte de crise qui
rend délicate toute projection à un horizon de plusieurs années. Mais on doit constater
que, dans la pratique, les branches sont plutôt en retard par rapport aux entreprises du
secteur. Celles-ci tentent en dépit des aléas d’avoir une vision prospective qui permet de
faire le lien entre l’économique et le social et qui est le gage de toute bonne négociation
collective.
Dans cette même ligne, la branche doit assurer le suivi statistique des métiers, des
emplois, des besoins en compétences et formation, comme le prévoit déjà le code du
travail avec l’obligation (non effective aujourd’hui) d’avoir des observatoires de branche.
- La première mission de la branche concerne l’ordre public.
C’est à la branche de définir « l’ordre public conventionnel » qui s’applique à l’ensemble
des entreprises du secteur et qui est opposable, sous réserve de l’application du principe
de faveur, à l’ensemble des accords d’entreprise.
Certaines stipulations des accords de branche relèvent, par nature, de l’ordre public
conventionnel en ce qu’elles visent des règles ou des dispositifs qui s’inscrivent dans une
régulation au niveau national.
Il s’agit traditionnellement des qualifications, des salaires minima, de la prévoyance et de
la formation professionnelle. Il faudrait y ajouter la question de la pénibilité.
Certaines stipulations des accords de branche peuvent, de par la volonté des
négociateurs, relever de l’ordre public conventionnel. Il devrait alors être indiqué
explicitement que ces stipulations revêtent un caractère impératif s’imposant aux accords
d’entreprise.
les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), des formations en vue
d’embauches futures en adéquation avec les besoins de la branche.
Le principe serait, au-delà de ce que les grandes branches ont déjà réalisé, d’organiser
et de rendre systématique une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences au niveau de la branche. Ce dispositif n’aurait bien évidemment pas
vocation à se substituer aux mécanismes de gestion de l’emploi en vigueur au niveau
des entreprises. Mais il les compléterait utilement par l’approche macroéconomique et
prospective sur lequel il reposerait.
Ces missions supposent, pour être effectives, des moyens que la plupart des branches
n’ont pas, d’où, une nouvelle fois posée, la question de la restructuration des branches.
3.2. Les implications sur la structuration des branches
Comme cela a été maintes fois souligné dans différents rapports, le paysage
conventionnel avec de multiples branches sans moyens et sans stratégie sociale et
économique n’est pas à la hauteur de ces défis. Même si l’État a longtemps avalisé ce
morcellement, la responsabilité en incombe principalement aux organisations profession-
nelles, si promptes par ailleurs à dénoncer chez les autres acteurs l’absence de
dynamisme et la méconnaissance des réalités économiques.
Or s’il est un domaine où ces organisations devraient mettre en application le dynamisme
des entreprises qu’elles représentent, c’est bien celui de la structuration des branches.
La loi du 5 mars 2014 a donné à l’État et notamment au ministère du travail de nouveaux
outils contraignants. La réaction ou plutôt l’absence de réaction des organisations
professionnelles concernées ainsi que les réticences de certaines organisations
syndicales peuvent légitimement nourrir une grande inquiétude.
Il y a urgence en la matière. La question posée est de savoir s’il ne faudrait pas aller plus
loin et plus vite que ce que prévoit la loi du 5 mars 2014. Le gouvernement, de façon
volontariste, a confié, pour la mise en œuvre de cette loi, une mission au conseiller d’État
Patrick Quinqueton dédiée à cette question. Par ailleurs, la loi du 17 août 2015 sur le
dialogue social a renforcé ces dispositions.
Toutefois, en dépit de ces efforts louables, dont l’initiative relève de l’État, le mouvement
apparaît beaucoup trop lent au regard des échéances, l’objectif étant une centaine de
branches au début des années 2020.
Il faut donc accélérer le mouvement de manière résolue et s’en donner les moyens.
Une solution pourrait être, à l’instar de ce qui a été fait pour les OPCA en matière de
formation professionnelle, un mécanisme de rattachement à une convention collective
d’accueil, dans un délai de trois ans, de toutes les branches qui représentent moins de
5 000 salariés et dont la taille ne permet pas de véritable négociation.
Il est vrai que certaines branches de moins de 5 000 salariés sont dynamiques mais cela
reste l’exception. D’autres critères auraient été envisageables comme ceux tenant à
l’absence de négociation pendant une durée déterminée. Mais l’efficacité du nouveau
dispositif passe par l’utilisation d’un critère simple et opérationnel qui ne peut être que
celui du nombre de salariés.
Ce chiffre, avec l’exigence qu’il représente, pourrait être substantiellement augmenté
dans les deux années suivant ce délai, en fonction des résultats et des mouvements de
fusion amorcés ou non.
Proposition n° 32 – Définition des quatre missions de la branche, dans un
premier temps, dans les champs prioritaires des accords ACTES.
Proposition n° 33 – Définition, dans un premier temps pour un délai de
trois ans, d’un mécanisme de fusion des branches qui représentent moins
de 5 000 salariés, avec une convention collective d’accueil.
4. La « régulation de proximité » par les accords d’entreprise
(dans le champ des accords ACTES)
Le droit du travail est un droit du milieu de travail et donc, dans une économie moderne,
un droit de la proximité.
À la loi de fixer les grands principes du travail et de l’emploi, aux accords de branche de
fixer l’ordre public conventionnel et aux accords d’entreprise de définir en priorité le droit
conventionnel du travail sur tous les sujets qui ne relèvent pas de l’ordre public.
Tant les entreprises que les salariés ont besoin d’une régulation « sur mesure », eu
égard à la diversité de plus en plus grande des milieux de travail en fonction de la nature
de l’activité, de la taille et de l’organisation.
Les salariés eux-mêmes et plus particulièrement encore les jeunes générations sont en
demande d’individualisation de leurs conditions de travail, de leur temps de travail et d’un
meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
Il y a donc un besoin de proximité, de réalité, de rapidité d’adaptation qui ne peut que
relever d’une régulation au niveau de l’entreprise.
Même si quantitativement les chiffres du bilan annuel de la négociation collective établi
par la DGT et la Dares montrent que les accords d’entreprise restent à un niveau élevé, il faut bien admettre que la négociation de ces accords est enserrée dans un dispositif
complexe d’obligations et de contraintes.
La réforme concernant les accords d’entreprise porterait à la fois sur son contenu et sur
son rythme, ceci dans un premier temps dans le champ des accords ACTES.
S’agissant du contenu, il faudrait tirer toutes les conséquences des exigences du
principe de proximité et poser le principe général selon lequel, en dehors du champ de
l’ordre public législatif et de l’ordre public conventionnel, l’accord d’entreprise s’applique
en priorité.
C’est le point essentiel.
S’agissant du rythme et de la temporalité de la négociation d’entreprise, la loi du 17 août
2015 sur le dialogue social prévoit désormais trois temps et types de négociation
obligatoire :
-
− un temps annuel portant sur la rémunération, le temps du travail et le partage de la
valeur ajoutée ;
-
− un temps annuel portant sur la qualité de vie au travail, le cas échéant la pénibilité, et
l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ce qui englobe notamment
les sujets « discriminations », « insertion professionnelle et maintien dans l’emploi
des travailleurs handicapés », « régime de prévoyance et complémentaire santé » ;
-
− un temps triennal portant sur la GPEC et notamment le contrat de génération.
Toujours selon la nouvelle loi, par accord majoritaire, il sera possible de modifier ce
découpage (à la condition de traiter l’ensemble des thèmes définis par la loi) et de
modifier la périodicité de ces négociations (dans la limite de trois ans au maximum pour
les sujets dont la négociation doit être annuelle et de cinq ans pour la négociation relative
à la GPEC).
Il pourrait être proposé, en concertation avec les partenaires sociaux, d’aller plus loin
encore, par accord majoritaire, dans la redéfinition des champs de négociation en
distinguant uniquement deux temps et types de négociation.
Le premier est d’ordre stratégique à la fois pour l’entreprise et les salariés. La
négociation porte sur les perspectives d’évolution de l’entreprise, les conséquences sur
l’emploi, le temps de travail et les salaires, ces quatre sujets étant interdépendants. Elle
peut s’appuyer sur la récente base de données économiques et sociales prévue par la loi
du 14 juin 2013.
Le second porterait sur les divers aspects de la qualité de vie au travail qui vont des
conditions de travail à la santé et aux questions de discrimination et d’égalité
hommes/femmes. La négociation pourrait s’appuyer sur les données du bilan social.
La raison en est que, comme cela a été précédemment indiqué, dans les pays qui se
sont résolument tournés vers l’accord d’entreprise, cette réforme a pu parfois se traduire
par un recul sensible du dialogue social.
Sans parler d’expérimentation en la matière qui peut être une source d’insécurité
juridique peu incitative pour les acteurs concernés, il serait opportun de fixer un cadre
temporel à cette mesure.
Ce cadre temporel pourrait correspondre aux cycles de quatre ans de la représentativité
patronale et syndicale.
À la fin de chaque cycle de quatre ans, un bilan serait dressé par le ministère du travail
de l’ensemble des conséquences de la nouvelle articulation. La question de fond posée
serait de savoir si les entreprises et leurs organisations professionnelles ont été en
capacité et volontaires pour faire vivre pleinement les nouveaux dispositifs en
concertation étroite avec les syndicats de salariés représentatifs qui devront eux aussi
assumer leur part de responsabilité en la matière.
Ce bilan serait présenté à la Commission nationale de la négociation collective. Il serait
ensuite présenté par le gouvernement au Parlement.
PROPOSITION N° 35 – Sous réserve de l’ordre public défini par le code du
travail et l’accord de branche, priorité donnée à l’accord collectif
d’entreprise dans les champs prioritaires des accords ACTES. Un bilan de
la mesure, pour apprécier l’opportunité de son maintien, serait dressé tous
les quatre ans à l’occasion de chaque nouveau cycle de la représentativité
patronale et syndicale.
6. L’adaptation à la diversité des entreprises
6.1. Les groupes
Les groupes ont parfois une image négative alors que c’est plutôt en leur sein que se
trouve l’innovation en matière sociale et que sont imaginés les nouveaux dispositifs
notamment en matière d’emploi, d’égalité hommes/femmes ou de responsabilité sociale
des entreprises.
Par ailleurs, les groupes constituent aujourd’hui des espaces majeurs de travail. En
2011, selon l’Insee, environ 10 millions de salariés travaillaient dans des entreprises
rattachées à des groupes, de toutes tailles, français ou sous contrôle étranger. La moitié
de ces salariés sont dans des groupes de plus de 5 000 salariés, mais près de 20 % sont
dans des groupes de la taille d’une PME de moins de 250 salariés.
Jusqu’en 2004, seule la notion d’unité économique et sociale (UES) permettait de
reconnaître, par décision du juge ou par accord, un ensemble de sociétés juridiquement
distinctes comme un espace de représentation collective et de fait de négociation
équivalent à l’entreprise. De nombreux grands groupes sont ainsi socialement structurés
en UES distinctes, et y organisent tout ou partie de leurs relations sociales.
La reconnaissance des groupes a commencé par les dispositions législatives sur
l’épargne salariale puis de manière plus globale dans la loi du 4 mai 2004.
L’assimilation des accords de groupe aux accords d’entreprise a été, de l’avis général,
très imparfaite et source d’innombrables questions juridiques. Ces difficultés avaient pour
origine le fait que le législateur avait voulu faire de l’accord signé au niveau du groupe un
dispositif hybride empruntant à la fois à l’accord de branche et à l’accord d’entreprise.
Le dispositif proposé permettrait d’y mettre fin en posant une règle simple selon laquelle
l’accord de groupe pourrait être purement et simplement assimilé à un accord
d’entreprise.
La contrepartie de cette avancée est que l’accord de groupe règle préalablement de
façon claire et précise les rapports qui existent au sein du groupe avec les accords des
entreprises et établissements du groupe.
Comme il a été précédemment indiqué, un accord de méthode signé au niveau du
groupe devrait, dans la mesure du possible, fixer à l’avance et de façon objective les
différents niveaux de négociation (groupe, entreprise, établissement) en fonction des
sujets traités.
Il faut, en effet, éviter que le choix du niveau à l’intérieur du groupe résulte de la seule
décision discrétionnaire de l’employeur et veiller à ce qu’il soit exempt de toute suspicion
de manœuvre sur ce point.
PROPOSITION N° 36 – Assimilation législative de l’accord de groupe aux
accords d’entreprise.
PROPOSITION N°37 – Prévoir que les accords de groupe organisent
l’articulation accords de groupe/entreprises/établissements.
6.2. Les très petites entreprises (TPE)
La question des très petites entreprises (TPE) fait l’objet d’une mention explicite dans la
lettre de mission du Premier ministre. Parler de négociation collective, c’est presque
toujours envisager la situation des grandes entreprises en oubliant que la très grande
majorité des entreprises françaises sont des TPE dénuées de délégué syndical et de
toute capacité de négociation.
Si les TPE ne constituent pas un espace propice à la négociation collective dans sa
conception traditionnelle, elles ne sont pas pour autant dénuées de toute forme
d’échanges collectifs. Selon l’enquête REPONSE de la Dares, dans 90% des
établissements de 11 salariés et plus les représentants de la direction déclarent avoir
« négocié ou discuté » entre 2008 et 2010 au moins une fois avec des représentants du
personnel ou d’autres salariés sur au moins un thème (salaire, temps de travail,
conditions de travail, formation, etc.).
Traditionnellement, les TPE constituent l’angle mort de toute réforme menée en matière
de négociation collective et plus largement des réformes du droit du travail.
Non que la spécificité des TPE soit ignorée puisque le code du travail fourmille de
dérogations les concernant, point sur lequel le Conseil constitutionnel exerce une stricte
vigilance sur le fondement du principe d’égalité (voir, en dernier lieu, la décision n° 2015-
715 DC du 5 août 2015 sur la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances
économiques).
Mais le processus qui conduit à l’élaboration de la norme prend le plus souvent en
compte la situation des grandes et moyennes entreprises pour constater ensuite que
cette norme n’est pas, par nature, transposable à la petite entreprise artisanale, et
demain à la start-up.
Les multiples seuils qui caractérisent le code du travail et qui sans conteste contribuent à
sa complexité ont pour origine ce mode d’élaboration de la norme.
Il existe une prégnance intellectuelle des problématiques des grandes entreprises qui est
d’autant plus regrettable que le monde de la petite entreprise et des organisations
professionnelles qui le représentent est, outre son importance économique, d’une très
grande pertinence dans ses analyses et ses propositions en matière sociale.
S’agissant de la négociation collective, les solutions ont été recherchées, comme encore
dans la loi du 17 août 2015 sur le dialogue social, dans l’aménagement de mode de
négociation dérogatoire prenant en compte l’absence de délégué syndical.
Plutôt que de s’intéresser en permanence au mode opératoire de la négociation et de la
signature au sein des TPE, en cherchant difficilement des processus dérogatoires qui
pallient l’absence de représentation syndicale, la question posée est de savoir s’il ne
faudrait pas aussi s’attacher au contenu des accords.
Ni le chef d’entreprise, ni ses salariés n’ont le temps et, sauf exception, la formation pour
négocier des accords d’entreprise qui, par exemple en matière de temps de travail, de
contrat de travail ou de conditions de travail amènent au tréfonds de la complexité du
code du travail.
Les besoins de la TPE, du chef d’entreprise et des salariés sont d’avoir des accords
d’entreprise sécurisés juridiquement dans lesquels sont clairement indiqués les choix
possibles.
Au surplus, il peut être intéressant pour la TPE d’avoir une organisation du travail qui
résulte d’un accord au plus proche du milieu du travail.
Comme il a été indiqué, ce pourrait être le rôle de la branche que de proposer ces
accords d’entreprise clefs en main dans le cadre de sa mission renforcée de prestation
de services à l’égard des TPE.
Ces accords type devraient mentionner les zones de choix possible. Ils devraient être
nombreux et correspondre à la diversité des entreprises en fonction de leur taille et de
leur activité. Pour être très concret, il y aurait un accord type, par exemple, pour le
garage de réparation automobile, la blanchisserie, la boulangerie, la petite entreprise de
maçonnerie, le café-restaurant, le cabinet médical, etc.
Dès lors que la structure et l’essentiel des équilibres de ces accords auraient été
préalablement négociés entre syndicats et organisations patronales au niveau de la
branche, il pourrait être laissé à l’employeur la liberté d’en définir certains paramètres
avec les salariés.
On pourrait, en conséquence, admettre que l’adoption de l’accord type au niveau de
l’entreprise ainsi que les choix opérés à l’intérieur des marges laissées libres puissent se
faire par la voie d’un référendum des salariés sur la proposition du chef d’entreprise.
Ce serait à l’accord de branche de prévoir dans cette hypothèse les conditions dans
lesquelles, le cas échéant, l’entreprise et ses salariés pourraient être aidés et conseillés.
L’illustration serait ainsi donnée non de l’opposition entre les différents niveaux de
négociation mais de leur complémentarité.
Cette approche pragmatique ne devrait pas constituer une voie de dérivation pour les
formes normales de négociation.
Elle devrait, en conséquence, être réservée aux seules TPE qui, en droit, ne disposent
pas d’instance de négociation.
PROPOSITION N° 38 – Édiction d’accords type d’entreprise par les branches
dans leur rôle de prestation de services à l’égard des TPE.
7. Les nouveaux espaces de la négociation de l’emploi
7.1. Les territoires
Historiquement construite autour des trois espaces que sont le niveau interprofessionnel,
la branche et l’entreprise, la négociation collective peut aujourd’hui s’envisager au sein
de nouveaux espaces réunissant plusieurs entreprises, et autour desquels se structurent
les problématiques d’emploi : le territoire, le bassin, le site d’entreprises (voire le
« chantier »).
L’émergence de ces nouveaux espaces potentiels impliquent de concilier deux
impératifs, en apparence contradictoires.
Le premier est celui de la simplification et de la clarification du paysage conventionnel.
De ce point de vue, l’institution d’un nouveau niveau de norme, celui du territoire,
s’intercalant entre la branche et l’entreprise, ne peut que conduire à la confusion. Elle
favoriserait les conflits de normes en s’en remettant à des arbitrages prétoriens qui ne
sont pas toujours opportuns.
Le second est celui de l’emploi, qui conduit à constater que c’est au niveau du territoire
et des sites que se créent des initiatives particulièrement intéressantes et innovantes en
matière de gestion de l’emploi et de conditions de travail. Le site et le territoire sont un
niveau très pertinent où la négociation collective doit trouver une place.
C’est ainsi que des sites regroupant de multiples entreprises peuvent porter par la voie
de la négociation des initiatives sur les mobilités professionnelles, la Gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ou sur des questions très
concrètes pour la vie quotidienne des salariés du site comme, par exemple, les crèches
collectives, l’organisation des transports et des horaires, la formation ou la restauration
collective.
La conciliation de ces deux impératifs s’impose en conséquence.
Ces négociations territoriales et de sites créant des dispositifs innovants, leur existence
devrait être explicitement reconnue dans la loi, à charge pour le législateur non pas
d’organiser une représentativité territoriale des acteurs, trop complexe à mettre en
œuvre, mais des règles simples et adaptées de négociation ouvertes notamment aux
syndicats de salariés représentatifs au niveau national.
Pour bien montrer que l’on est dans un cadre dérogatoire qui n’est pas assimilable aux
formes classiques de négociation, les termes de « dispositifs territoriaux négociés »
pourraient être utilisés.
Le principe devrait être posé que ces dispositifs s’appliqueraient au territoire concerné
sans s’immiscer dans les relations entre entreprise et salariés.
Les dispositions de nature normative que, le cas échéant, ces « dispositifs territoriaux
négociés » contiendraient n’auraient d’effet juridique que dans la mesure où elles
seraient explicitement reprises dans les accords d’entreprise conclus à l’intérieur du
territoire concerné ou dans une décision unilatérale de l’employeur pour les TPE.
Les cas dans lesquels il pourrait être reconnu une portée normative directe aux accords
territoriaux ne pourraient être que très exceptionnels (voir pour le travail dominical, la loi
du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques).
PROPOSITION N° 39 – Reconnaissance législative mais avec un encadrement
très souple des « dispositifs territoriaux négociés ».
7.2. Les filières
Lors des travaux du groupe de travail, la question d’accord collectif intégrant les logiques
de filières et donc des rapports entre entreprises donneuses d’ordres et sous-traitants a
été évoquée. De tels accords répondraient à une logique sociale et économique.
Dans un contexte général où la « chaîne de valeur » (notion qui désigne l’ensemble des
fonctions assumées pour produire et mettre sur le marché un bien ou un service) est de
plus en plus éclatée le long de filières internationalisées, aucune entreprise n’intègre plus
l’ensemble des étapes de la chaîne de production et de distribution. Il existe donc
aujourd’hui un enjeu majeur pour les négociateurs, qui doivent pouvoir accéder à une
information pertinente, comprendre l’ensemble du processus et dépasser le cadre
strictement juridique de l’entreprise.
Se pose également la question du bon niveau de la négociation pour qu’il soit en
adéquation avec le niveau effectif de la décision.
En revanche, plaquer ces accords dans un paysage dont les piliers essentiels sont
l’accord de branche et l’accord d’entreprise peut être source de grande insécurité en
l’absence de toute articulation entre les différents accords.
Si la restructuration des branches aboutissait à une meilleure adéquation avec les
logiques de filières, une partie de la difficulté pourrait à terme disparaître.
En tout état de cause, c’est un domaine qui devrait pouvoir être ouvert à
l’expérimentation et à l’initiative de branches et d’entreprises volontaires, ceci sous le
contrôle des pouvoirs publics et notamment des ministères en charge de l’économie et
du travail.
Le législateur pourrait prévoir le cadre juridique de ces expérimentations, dans le cadre
de ce que les spécialistes dénomment parfois « l’entreprise étendue ».
PROPOSITION N° 40 – Lancement d’une expérimentation relative aux accords
collectifs concernant les filières et les sous-traitants dans le cadre de la
notion de l’« entreprise étendue ».
7.3. Les accords au niveau européen et mondial
Comme précédemment indiqué, il existe une importante activité conventionnelle menée
au sein de l’Union européenne sous l’égide des pouvoirs publics communautaires.
Traditionnellement on distingue les négociations à caractère sectoriel des négociations à
caractère général (télétravail, risques psycho-sociaux, etc.).
Ces accords qui peuvent être comparés aux accords nationaux interprofessionnels et
aux accords de branche signés au niveau national doivent être soigneusement
distingués des accords dits transnationaux qui sont signés aux niveaux mondial et
européen par certains grands groupes.
Même si la Commission de l’Union européenne a commencé à s’intéresser à eux, leurs
conditions de négociation et de signature sont caractérisées par un certain flou juridique.
Pour autant et comme le montrent les études de certaines organisations syndicales au
niveau européen (par exemple IndustriAll Trade Unions), les accords sont généralement
de qualité.
Comme pour les accords territoriaux, il ne faut pas enfermer ces accords dans un carcan
juridique qui serait inadapté au regard de la diversité des groupes.
En revanche, leur négociation est un champ sans pareil d’enrichissement pour les DRH
et les syndicats des différents pays.
Il serait de ce point de vue opportun de mieux faire le lien entre ces accords et les
accords négociés au niveau national.
Un champ d’innovation serait que ces accords accompagnent davantage la mobilité ou
l’emploi au sein de l’Union européenne.
PROPOSITION N° 41 – Mise en valeur des bonnes pratiques des accords
transnationaux et meilleure articulation entre accords transnationaux et
accords nationaux.
8. L’accord collectif et le contrat de travail
Il existe un grand paradoxe sur la question, à la fois complexe et délicate, des rapports
existant entre l’accord collectif et le contrat de travail.
Cette question n’est pas propre à la France : elle est au centre de la révision de la
directive sur le temps de travail (2002/15/CE du 11 mars 2002) sur les conditions dans
lesquelles certaines durées maximales pourraient être dépassées. Une minorité de pays,
dont la France, prône un cadre collectif, et notamment la négociation collective, pour
définir les conditions de dépassement. Mais une majorité prône une logique d’« opt out »
dans laquelle le dépassement pourrait se faire grâce au seul accord individuel entre
l’employeur et le salarié, c’est-à-dire par le contrat de travail ou un avenant.
Ceci pour dire que la question des rapports entre l’accord collectif et le contrat de travail
est d’abord politique et repose sur une certaine idée des relations sociales avant d’être
juridique.
Sans remonter au XIXe siècle et aux années de naissance d’un droit du travail industriel,
il y a de nos jours deux conceptions de l’évolution du droit du travail.
L’une consiste à soutenir que le droit du travail, né au XIXe siècle dans une Europe en
pleine révolution industrielle alors que les employeurs étaient maîtres du jeu, est devenu
inadapté, voire obsolète. Dans la société de services dans laquelle nous évoluons, les
rapports entre employeur et salariés se rééquilibrent : de plus en plus la régulation
sociale peut/doit se faire par le biais du contrat de travail quand ce n’est pas sous la
forme d’un contrat de prestation de service tant la frontière entre le salariat et la para-
subordination est ténue.
L’autre, sans bien évidemment nier les profonds changements économiques et sociaux
qui rendent nécessaire l’évolution d’un droit du travail, qui par maints côtés reste
exclusivement industriel dans sa conception, souligne la nécessité de poser certaines
frontières à une évolution qui irait vers l’individualisation des relations du travail. La
conciliation entre la nécessaire adaptation d’une économie en pleine mutation avec les
droits et les intérêts des salariés pas toujours aptes à négocier le contenu de leur contrat
de travail, à l’exception de certains cadres supérieurs et dirigeants aux marges du droit
du travail, est précisément la négociation collective.
Il est notable que, quels que soient les gouvernements et les ministres successifs du
travail, la France a toujours défendu, à Bruxelles ou ailleurs, le primat de la négociation
collective sur le contrat de travail, cela afin d’éviter toute forme de dérapage vers une
individualisation non maîtrisée des relations du travail.
Le paradoxe français est que, tant dans la jurisprudence que dans la doctrine, voire dans
certaines positions syndicales, se retrouve l’idée plus ou moins explicite selon laquelle le contrat de travail négocié dans le secret d’une relation souvent déséquilibrée entre
l’employeur et le salarié est, par rapport à l’accord collectif négocié avec des syndicats
représentatifs, un meilleur outil de protection des droits des salariés. D’où la règle
contenue dans l’article L. 2254-1 du code du travail selon laquelle le contrat de travail
prime sur l’accord et les péripéties des échanges sur ce point entre la loi (article 45 de la
loi du 22 mars 2012 dite loi Warsmann) qui tente pour les raisons précédemment
indiquées de faire prévaloir l’accord collectif et la jurisprudence qui maintient la
prééminence du contrat de travail sur le fondement de l’article précité du code du travail.
À rebours toutefois de cette présentation, il faut constater que tant les nouvelles activités
tertiaires que les attentes des jeunes générations de salariés vont dans le sens d’une
individualisation des conditions de travail, notamment sur une donnée fondamentale qui
est celle du temps de travail.
Il faut donc prendre en compte ces logiques et en déduire qu’il n’y pas lieu de fixer un
principe trop général faisant prévaloir l’un par rapport à l’autre.
Il faut, en la matière, éviter une « guerre de religion » dont notre pays a le secret et dont
les principaux intéressés, à savoir les salariés, seraient soigneusement écartés du débat
par la technicité juridique que la plupart des experts s’attacheraient à invoquer entre les
tenants de l’accord collectif et ceux du contrat de travail.
Il faut résolument s’en tenir à une démarche pragmatique. Tout dépend de la matière en
cause.
Lorsque l’emploi est en cause et que l’accord vise à le protéger, le maintenir, le préserver
et le développer, l’accord et l’intérêt collectif qu’il incarne priment sur l’intérêt individuel
concrétisé par le contrat de travail.
Seraient ainsi visés les accords de mobilité, de GPEC, de maintien dans l’emploi.
En revanche, dans les autres cas serait maintenue la règle posée par l’article L. 2254-1
du code du travail.
Cette solution peut s’inscrire dans la ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel
qui, dans sa décision du 15 mars 2012, a admis que la loi prévoit la prévalence de
l’accord collectif sur le contrat de travail dès lors qu’il s’agit de répondre à un motif
d’intérêt général.
À l’évidence, le maintien dans l’emploi doit impérativement être regardé par l’ensemble
des juges comme un motif d’intérêt général et peut, en conséquence, justifier une règle
dérogatoire à l’article L. 2254-1 pour les seuls accords collectifs qui se rattachent à
l’emploi et à la préservation de l’emploi dans l’entreprise (voir, en ce sens, la récente décision du Conseil constitutionnel n° 2015-715 DC du 5 août 2015 qui fait explicitement
référence à l’emploi).
Pour éviter toute ambiguïté en la matière, une disposition législative explicite sur ce point
serait nécessaire.
La question qui reste en suspens est celle des règles qui s’appliquent au salarié qui voit
son contrat de travail non appliqué du fait de la prévalence d’un accord collectif sur
l’emploi.
S’il refuse cette situation, ce salarié doit pouvoir être licencié pour un motif économique
tenant à la situation de l’entreprise, la cause réelle et sérieuse étant présumée.
Le régime indemnitaire serait spécifique à cette situation et devrait être moins attractif
que celui prévu par le droit commun en cas de licenciement pour motif économique.
Le refus volontaire du salarié de se plier à la règle négociée commune qui a pour seul
objet de préserver l’emploi de la communauté de travail devrait avoir, pour ce salarié, un
coût par rapport à l’indemnisation de droit commun dont bénéficie le salarié qui fait l’objet
d’un licenciement pour motif économique.
La négociation collective n’est pas seulement une contrainte pour les employeurs, elle
l’est aussi pour les salariés pour qui s’impose le respect de la chose négociée.
PROPOSITION N° 42 – Institution d’une règle faisant prévaloir, dans l’intérêt
général et l’intérêt collectif des salariés pour l’emploi, les accords
collectifs préservant l’emploi sur les contrats de travail.
9. L’accord majoritaire
La question de la généralisation de l’accord d’entreprise majoritaire est posée.
Dans la pratique actuelle, on assiste à une montée en puissance de l’accord majoritaire
qui est exigé pour les accords collectifs les plus sensibles (PSE, accords de maintien
dans l’emploi, organisation du dialogue social...).
On pourrait s’en tenir à cette ligne de conduite qui consiste à réserver l’accord majoritaire
aux accords collectifs que l’on considère comme plus sensibles que d’autres.
Cette solution n’est toutefois pas sans inconvénient. Eu égard, à la forte imbrication des
matières, il va devenir de plus en plus délicat de faire le partage entre ce qui relève ou
non de l’accord majoritaire.
LES CONDITIONS DE LA MISE EN ŒUVRE
CONCRÈTE DES RÉFORMES
Ce chapitre ne contient pas de proposition nouvelle sur le fond par rapport aux
développements qui précèdent. Il se borne à la méthode, mais sur ces questions la
méthode est aussi importante que le fond.
Il vise à récapituler et à clarifier les chemins, pour l’un court et l’autre plus long, qui
permettent d’aboutir de façon effective aux réformes proposées.
1. La concertation préalable
L’objet du présent rapport est d’éclairer la concertation et non de s’y substituer. C’est la
raison pour laquelle le groupe de travail ne comprenait pas de représentants des
organisations syndicales et professionnelles.
Les propositions qu’il contient ont, en conséquence, vocation à être discutées dans le
cadre d’une concertation avec les pouvoirs publics.
Cette concertation devrait revêtir une portée particulière. Elle ne devrait pas se traduire
par la seule présentation par les pouvoirs publics d’un projet de réforme.
Ce qui est en cause, c’est la capacité de sursaut de l’ensemble des partenaires sociaux
pour une dynamique de négociation au service de l’emploi et de la compétitivité de notre
économie.
Comme il a été précédemment indiqué, ce n’est pas la modification du code du travail
qui, à elle seule, est de nature à créer cette dynamique.
Rien ne pourra être fait sans la réunion, dans une forme à définir, de l’ensemble des
acteurs sur un certain nombre d’objectifs communs, sur la volonté partagée de les
atteindre et une confiance réciproque minimale.
Une réforme telle que celle présentée ne peut avoir de sens que dans ce cadre.
− prévoir dans le même texte des dispositions générales sur la négociation
collective (place des accords de méthode, limitation législative dans le temps
de la durée des accords d’entreprise et professionnels de branche, accords de
groupe, etc.) ;
− prévoir dans le même texte des mécanismes permettant l’accélération de la
restructuration des branches.
3. Les mesures à moyen terme
Un travail à plus long terme porterait sur une réécriture du code du travail permettant sur
l’ensemble des dispositions de faire un meilleur partage entre ce qui relève de l’ordre
public, du renvoi encadré à la négociation collective et ce qui relève du supplétif en
l’absence de négociation.
Sortant d’une logique institutionnelle classique – mais l’existence de quelque 3,5 millions
de personnes au chômage autorise/nécessite peut-être une certaine audace – un travail
commun préparatoire pourrait être mené entre le Conseil constitutionnel, le Conseil
d’État, la Cour de cassation, les Assemblées parlementaires et le ministère du travail et
de l’emploi pour définir les modalités pratiques d’application de l’article 34 de la
Constitution et la portée de celui-ci dans la définition des « principes fondamentaux du
droit du travail ».
Ce document permettrait d’éclairer les pouvoirs publics dans l’élaboration des nouveaux
textes se rattachant au code du travail afin de produire des textes plus courts s’en tenant
aux principes fondamentaux sans courir les risques de censure pour incompétence
négative.
La rédaction du code avec la nouvelle architecture pourrait ensuite être confiée à une
commission d’experts.
Le terme de cette opération serait l’expiration d’un délai de quatre ans à compter de la loi
qui en organise le principe.
Il pourrait en outre être prévu une révision de notre Constitution, dont l’essentiel des
principes de valeur constitutionnelle en la matière datent du Préambule de la Constitution
de 1946.
Rompant avec une tradition fortement ancrée dans notre pays, il ne s’agirait pas de faire
croire que la question de la place de l’accord collectif et du dialogue social est réglée par
la seule grâce d’un texte, fût-il de valeur constitutionnelle.
Cette question implique d’abord l’ensemble des acteurs, dont la culture, les références et
les pratiques doivent se modifier dans un délai relativement court. Le texte
COMPOSITION DU GROUPE DE TRAVAIL
Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d’État.
Membres
Paul-Henri Antonmattei, professeur de droit à l’université Montpellier 1 et avocat,
Barthélémy Avocats.
Yves Barou, président de l’AFPA.
Sylvie Brunet, professeure associée, Kedge Business School, membre du CESE.
Pierre Cahuc, économiste, professeur à l’Ensae-CREST et à l’École polytechnique.
Michel Didier, président de COE - REXECODE.
Françoise Favennec-Héry, professeure de droit à l’université Paris II – Panthéon-Assas.
Pierre Ferracci, président du groupe ALPHA.
Annette Jobert, directrice de recherche au CNRS, membre de l’IDHE (Institutions et
dynamiques historiques de l’économie et de la société).
Henri-José Legrand, avocat, LBBA.
Antoine Lyon-Caen, professeur de droit à l’université Paris-Ouest – Nanterre La Défense.
Sylvie Peretti, directrice de l’Organisation et des ressources humaines, Lafarge France.
Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à l’École de droit de Paris I – Sorbonne.
Henri Rouilleault, consultant.
Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l’Association Dialogues.
Tiziano Treu, ancien ministre, professeur émérite en droit du travail à l’université de Milan.
Avec l’appui de
Annelore Coury, inspectrice des affaires sociales, IGAS.
Antoine Naboulet, chargé de mission, France Stratégie.
Emmanuelle Prouet, chargée de mission, France Stratégie.