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J’ai, dans un article récent consacré à Ron Paul, parlé de pathologie libertarienne.
Ce
terme m’a valu de nombreuses réactions. Certains ont poussé la
cuistrerie jusqu’à vouloir me donner des
leçons de libéralisme. Cela fait plus de trente ans que je me situe
et que je travaille dans la mouvance libérale en France. J’ai une
profonde estime pour l’ensemble de ceux qui ont travaillé
dans la même mouvance. Je n’ai, pour ce qui me concerne, parmi eux
aucun ennemi. J’y compte beaucoup de gens qui sont des amis très chers.
Je ne dresserai pas une liste pour être certain de
n’oublier personne. Le seul homme politique auprès de qui je me suis
impliqué en France s’appelle Alain Madelin, et je le tiens toujours en
très haute considération. J’ai traduit ou fait publier
en France quelques uns des livres majeurs de la pensée libérale, et
je n’ai aucune leçon à recevoir de gens qui étaient à l’école maternelle
quand je lisais déjà les œuvres complètes de Friedrich
Hayek, de Ludwig von Mises ou de Frédéric Bastiat.
Tout
en considérant les libertariens comme des gens appartenant à la
mouvance libérale, je n’ai, pour autant,
jamais pu m’empêcher de discerner dans leur pensée une dimension
utopique qui a toujours suscité chez moi des réserves : une utopie est
la description d’une société idéale, sans défaut, qui, dans
la réalité, n’existe pas et ne peut pas exister. Elle est une
construction intellectuelle logique, cohérente, qui peut dès lors
exister en soi, dans l’esprit de ses adeptes ou qui, pour les
utopies totalitaires, peut être imprimée de force sur un groupe
humain, mais elle ne peut prendre consistance. Les sociétés humaines
sont plus complexes que les utopies. On ne peut prétendre
construire une utopie, qui plus est, dans un monde complexe et
dangereux : on doit prendre en compte la complexité et la dangerosité du
monde.
Ce
qui me mène à parler de mouvance libérale et non d’idéologie, comme
cela se fait ici ou là, tient
précisément à ce que le libéralisme, à mes yeux, n’est pas une
idéologie, c’est à dire un ensemble d’idées censées avoir réponse à
tout, et constituant un système clos, mais un ensemble ouvert
d’idées, de principes : en tant qu’ensemble ouvert, il ne peut à mes
yeux se limiter à une approche économique, et a, indissociablement,
fondamentalement, une dimension juridique.
Le libéralisme, dès lors, est pour moi l’ensemble des discours défendant le droit des êtres humains et la
société fondée sur le droit qui a été définie pour la première fois par John Locke dans Two Treatises on Government.
La
société de droit (rule of Law ou règle du droit) repose sur l’idée d’un
contrat passé entre ceux qui en
deviennent membres, et qui découle du « double contrat défini
antécédemment par Grotius dans De republica emendanda et De iure belli
ac pacis : le gouvernement est le gardien du droit. Tant qu’il
est gardien du droit, il est légitime, lorsqu’il cesse d’être
gardien du droit et excède la définition de son rôle, il perd sa
légitimité, et devient tyrannique.
Dans
le cadre du droit, s’insèrent et vivent la liberté d’entreprendre,
l’économie de marché, la liberté de
passer contrat, la liberté de parole, de pensée, de croyance, de
connaissance. Adam Smith était juriste de formation, philosophe de
l’éthique et a formulé le contenu de l’ouvrage fondateur qu’est
An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations
(1776), dix sept ans après avoir publié The Theory of Moral Sentiments
(1759).
Le
droit des êtres humains, dans la philosophie de Locke, s’inscrit dans
la tradition du droit naturel, qui
va de Thomas d’Aquin à Hugo Grotius, Samuel von Pufendorf, en
passant par Gabriel Vázquez de Belmonte. Le principal penseur du droit
naturel au vingtième siècle a été Leo Strauss.
Une société de droit ne peut rester une société de droit que si elle se donne les moyens de se défendre, et
la défense fait partie intégrante du rôle de gardien du droit, car, sans défense, le droit peut se trouver vite écrasé.
Dans
un monde où l’économie est planétarisée, et où les menaces le sont
aussi (je parlais plus haut de
complexité), la défense implique de veiller à la liberté des
échanges internationaux, qu’ils soient immatériels ou matériels, et cela
concerne dès lors les voies de circulation aériennes et
maritimes.
Dans
un monde où il existe des régimes totalitaires, des fanatiques, des
terroristes (je parlais plus haut de
dangerosité), la défense implique d’endiguer ces régimes, ces
fanatiques et ces terroristes, voire de les mettre hors d’état de nuire
s’il est avéré qu’ils s’apprêtent à nuire. La notion de
guerre juste est formulée par Thomas d’Aquin, dont l’importance pour
la pensée du droit naturel est cruciale, et développée ensuite dans
l’école de Salamanque, chez Francisco de Vitoria
particulièrement (cf. De Jure belli Hispanorum in barbaros).
Prétendre
se situer dans le cadre du libéralisme classique, en en excluant la
défense, les implications de
l’économie planétarisée, l’existence du totalitarisme, du fanatisme,
du terrorisme, est recourir au mensonge ou faire preuve de
méconnaissance grave. C’est procéder à un glissement vers l’utopie
libertarienne. Cela doit être dit et assumé par ceux qui procèdent à
ce glissement.
Parce qu’il est fondamentalement utopique, le libertarianisme est condamné à rester
marginal.
Le
conservatisme, au sens anglais et américain du terme, est le complément
logique du libéralisme classique.
Il part de l’idée que le droit, une fois découvert, doit être
respecté (cette idée est au cœur de la théorie du grand contrat exposée
par Edmund Burke dans Reflections on the Revolution in
France). Il ajoute l’idée qu’il existe des valeurs transcendantes
qui reposent sur le droit naturel des êtres humains, et ancrent en lui
la pérennité de cette transcendance. Le bien et le mal
peuvent être définis depuis et par le droit naturel, et le
conservatisme au sens anglais et américain du terme parle,
fondamentalement, du bien et du mal, et définit des règles éthiques sur
cette
base.
Le courant néo-conservateur, si souvent caricaturé par des gens qui n’ont, visiblement, aucune connaissance
sur le sujet, se situe dans la continuité du conservatisme au sens anglais et américain du terme.
Il
énonce (voir les écrits d’Irving Kristol, particulièrement
Neoconservatism: The Autobiography of an Idea,
de Norman Podhoretz – The present and future danger- et de Michael
Novak – Universal Hunger for Liberty- sur le sujet) que les règles
éthiques définies par le conservatisme doivent servir de base
à la politique intérieure d’un gouvernement et à sa politique
étrangère, ce qui peut impliquer des guerres justes. Une guerre juste
peut impliquer un changement de régime. Selon la philosophie du
droit naturel, un régime totalitaire, ou un régime autoritaire, n’a
aucune légitimité.
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© Guy Millière pour www.Dreuz.info