janvier 13, 2015

RP#7 - Stratégie - Guerres et Paix ( sommaire: 5 thèmes actuels)

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



 Sommaire:

A) -  Les attentats à Paris : quel point de vue depuis les Etats-Unis ? - IRIS du 13 janvier 2015 par Nicolas Dungan

B) -  Salman, futur roi saoudien, un homme très lié au Maroc - médias 24 du 12 janvier 2015

C) - Le Kazakhstan et l’Union eurasiatique : quels sont les enjeux de l’adhésion ? - Diploweb du 13 janvier 2015 par Hélène Rousselot (*Documentaliste et traductrice de russe, Membre de l’association LRS (Littérature russe et d’expression russe). Responsable « Asie Centrale » au Comité de rédaction de la revue en ligne regard-est.com)

D) - La pauvreté au japon, un mal grandissant - L’Express du 13 janvier 2015 par Philippe Mesmer

E) - Facebook, Twitter : les leçons de « Charlie » - Le Point du 13 janvier 2015 par Guillaume Grallet




A) -  Les attentats à Paris : quel point de vue depuis les Etats-Unis ?



Les Etats-Unis, son président en tête, ont particulièrement montré leur soutien à la France lors des attaques de la semaine dernière, et loin semble le temps où l’on y rebaptisait les French fries en Freedom fries. Comment interpréter ce soutien et cette mobilisation étatsunienne à l’épreuve qu’a subie la France ? 

Tout d’abord, on ne peut pas manquer de remarquer l’absence de dirigeants américains lors de la marche républicaine ce dimanche. Cette absence a particulièrement été pointée du doigt aux Etats-Unis : les citoyens, la presse, les médias, la twittosphère, le « commentariat », l’ont ressenti comme un signe d’indifférence inacceptable. C’est peut-être un problème sécuritaire qui a empêché Eric Holder, le ministre de la Justice des Etats-Unis, de défiler alors qu’il était à Paris. Ou, quoique j’en doute, c’est peut-être aussi une maladresse de la part de Barack Obama qui aurait pu envoyer son vice-président, Joe Biden. George Bush père disait quand il était vice-président : « You die, I fly ». Biden ou John Kerry auraient pu être là, contrairement à Obama qui a un dispositif de sécurité tellement lourd qu’il valait mieux ne pas venir. En tout état de cause, cette absence américaine n’a, apparemment, en rien offusqué la France, peuple ou dirigeants. Concernant la mobilisation française, il faut se rappeler que les Américains se rendent compte qu’ils ont mal réagi aux évènements du 11 septembre 2001. Leur réponse de colère et de vengeance avait été quasiment l’inverse de celle des Français depuis la semaine dernière. Les Américains reconnaissent que le « either you are with us, or you are with the terrorists » (vous êtes soit de notre côté, soit avec les terroristes) de George W. Bush était fondamentalement erroné en tant que jugement et avait conduit à des comportements extrêmement destructeurs, telles l’invasion en Irak et la déstabilisation du Moyen-Orient qui en a résulté. Quant aux Français et Américains, il y a une solidarité qui existe dans les moments difficiles entre nos deux peuples et nos républiques fondées sur les principes des Lumières. Ce sont les deux seuls pays au monde qui se réclament — et qui essaient tant bien que mal d’incarner — des valeurs universelles. Cette fraternité est donc réelle. Du côté des États-Unis, on considère que la manière, digne et unie, dont la France a réagi aux attaques de la semaine dernière, c’est en quelque sorte ce que les Américains auraient voulu faire eux- mêmes après le 11 septembre. 

Certains évoquent aujourd’hui la nécessité d’un Patriot Act à la française, inspiré du modèle américain. Quel bilan y porte-t-on outre-Atlantique plus de 10 ans après son instauration ?
Il y a deux volets au Patriot Act et au Homeland Security Act, son analogue. Chacun de ces deux volets montre justement pourquoi il n’y en a pas besoin en tant que tel en France. Le premier volet a été la refonte complète, plutôt par le Homeland Security Act, de tout ce qui était renseignement, intelligence et maintien de l’ordre au niveau du gouvernement fédéral, dont les services dans ces domaines étaient très fortement dispersés. Aux Etats-Unis, à l’époque, le département de l’Immigration dépendait d’un ministère et la douane d’un autre, de même pour le renseignement et le FBI. Souvent, ils ne communiquaient pas entre eux. Il fallait réorganiser tout cela. La France est un pays beaucoup plus organisé que les Etats-Unis et d’ailleurs que de nombreux autres au niveau du fonctionnement de l’État. Si la France a besoin d’améliorer la coordination de ses services de renseignement, comme l’a évoqué le premier ministre, Manuel Valls, ce n’est pas à mon sens en passant par un Patriot Act ou un Homeland Security Act. Le Patriot Act américain en particulier a conduit — et c’est le deuxième volet — a beaucoup de pratiques considérées comme abusives et tendant à diminuer les libertés individuelles aux Etats-Unis. La France n’a pas besoin de quelque chose d’aussi défensif. Il ne faut pas une restriction des droits telle que ce que le Patriot Act a amené ; la France ne doit pas reproduire ces errements. Par ailleurs, l’élaboration de la politique interne aux États-Unis relève du Congrès, qui rédige les projets de loi en son sein, et il est plus normal qu’aux États-Unis de telles réformes passent par la législature au premier chef. En France, la Constitution confie au gouvernement l’élaboration de la politique interne, et celui- ci dispose de maints outils pour le faire, y compris de nouvelles lois, mais pas uniquement. 

Pensez-vous que ces événements tragiques sont à même de rapprocher encore davantage Français et Américains, notamment en matière de renseignement et de sécurité, alors que les informations sur les frères Kouachi notamment n’avaient semble-t-il pas été partagées entre les deux nations ? 

Je doute qu’il soit possible de rapprocher plus encore les directions de renseignements américains et français, tellement elles travaillent déjà comme s’il s’agissait d’un service unique. Cela étant, la France ne fait pas parti du groupe des Five Eyes — Etats-Unis, Grande- Bretagne, Australie, Nouvelle Zélande et Canada — et elle n’en a sans doute pas envie parce qu’elle veut garder sa propre marge de manœuvre. Le but de la politique internationale française, qu’elle soit diplomatique ou militaire, c’est « l’indépendance nationale ». Il est donc difficile pour la France et les Etats-Unis de se rapprocher davantage à ce niveau. Par ailleurs, il y a plusieurs analyses depuis les événements de la semaine dernière, faites par des professionnels du renseignement, qui soulignent que, contrairement à ce qu’on voit au cinéma et à ce que nous ferait croire Edward Snowden, les professionnels du renseignement sont en réalité sérieusement débordés. C’est le cas dans tous les grand pays, France, Etats-Unis, Grande-Bretagne et ailleurs. Les services peuvent donc peut-être travailler plus efficacement ensemble, et ils chercheront sans aucun doute à le faire, mais travailler plus étroitement sera difficile car c’est ce qui se pratique déjà aujourd’hui. 



B) -  Salman, futur roi saoudien, un homme très lié au Maroc
 
Fortes rumeurs au sujet d'une probable abdication du Roi Abdallah. Le futur successeur, le Prince Salman, a des liens forts avec le Maroc. Agé de 90 ans, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a été hospitalisé le 31 décembre dernier pour une pneumonie. Mais depuis plusieurs mois, c’était le prince héritier Salman qui assurait l’essentiel des activités officielles et des tâches de représentation. Le prince Salman a ainsi reçu ce dimanche 11 janvier à Riyad le président vénézuélien Nicolas Maduro. Il y a quelques jours, il présidait l’ouverture du majlis al choura (conseil consultatif, une sorte de parlement mais dont les membres sont désignés, tout en étant assez représentatifs de différents courants). En décembre, il a représenté son pays au sommet du G20 en Australie ainsi qu’au sommet du CCG à Doha. Tous les jours, le compte Twitter du prince héritier saoudien, 77 ans, rend compte de ses activités officielles. Désigné prince héritier en 2012 par le roi Abdallah, Salman exerce les fonctions de ministre de la Défense. Pendant plus de 40 ans, il a été gouverneur de la capitale Riyad où sa gestion a été très appréciée. 

Salman et le Maroc
Salman est bien connu au Maroc et surtout à Tanger où il passe le plus clair de son temps lorsqu’il n’est pas en Arabie saoudite. Salman dispose de résidences à Madrid et à Londres mais c’est à Tanger qu’il dispose d’une résidence voisine du palais royal et d’une seconde résidence en bord de mer sur la côte atlantique. Depuis deux ans, le prince Salman a entrepris de vastes travaux dans sa résidence de plage, un mini-palais entouré d’une dizaine de villas. L’ensemble est solidement fortifié. Lorsqu’il est à Tanger, la plage qui borde sa résidence est fermée au public et une unité des FAR est présente pour contribuer à assurer la sécurité de l’un des hommes les plus puissants du monde. L’armée saoudienne compte notamment parmi les 10 budgets militaires les plus importants de la planète, quelque 55 milliards de dollars en 2014. L’été dernier d’ailleurs, Salman est arrivé à Tanger à la veille de l’Aïd al Fitr accompagné d’un nombre important de collaborateurs politiques et de membres de sa famille. Il est resté plus de cinq semaines dans la région avant de s’envoler directement pour Paris le 1er septembre. Il devait y être reçu par le président français François Hollande et rencontrer son homologue Jean -Yves Le Drian. Le prince Salman aime séjourner à Tanger avec sa famille. Avec sa suite, à l’été 2014, il lui est arrivé de privatiser des restaurants en plein cœur de la saison d’été. A Tanger également, il a reçu et rencontré plusieurs politiques marocains et européens.





Inconnues
Selon le site israélien Debka, l’abdication du Roi Abdallah est une option ouverte. Son ami l’ancien roi d’Espagne Juan Carlos a fait de même il y a quelques mois. Mais une succession n’est jamais un processus facile surtout lorsque ses règles ne sont pas immuables. Ces jours-ci du côté de Washington, -Américains et israéliens suivent les choses de près-, on s’inquiète ouvertement d’une succession qui serait conflictuelle. Selon Simon Henderson du Washinton Institute, «il est peu probable que la transition saoudienne se passe de manière fluide, quoiqu’il ne fasse aucun doute que c’est ainsi que la maison des Saoud souhaite qu’elle soit perçue». Si Abdallah a formellement désigné Salman comme son successeur, ce dernier a été bien malade en 2012 avec le diagnostic de troubles neurologiques. Et au-delà du prince héritier Salman, il y a également le prince Muqrin, prince héritier-adjoint également désigné en 2012. C’est Abdallah qui a inventé le titre. Avant de mourir en 1953, le roi Abdelaziz (ou Ibn Saoud) avait établi un système de succession entre ses fils, du plus âgé au plus jeune. A 65 ans, Muqrin fait partie, avec Abdallah et Salman, des trois derniers fils vivants du défunt roi Abdelaziz. Néanmoins, si Salman devient roi d’Arabie saoudite, il peut désigner son prince héritier. Muqrin ou pas ? Salman a des enfants qui sont dans la haute administration et dans l’armée. Et si Muqrin est désigné prince héritier, quel serait le nouveau mode de succession instauré pour la suite ? A l’heure où le royaume saoudien est confronté à d’importants défis sécuritaires au nord à la frontière irakienne, au sud aux frontières du Yémen et à l’est avec l’Iran, ainsi qu’à d’importantes transformations économiques et sociales, le futur de la maison Saoud ne laisse pas indifférent. 




C) - Le Kazakhstan et l’Union eurasiatique : quels sont les enjeux de l’adhésion ?
 
L’incessante promotion de l’idée eurasiatique, par leur président N. Nazarbaev ne convainc manifestement pas tous les Kazakhstanais. Certains se montrent défiants à l’égard de cette adhésion à une institution incluant la Russie, de peur de voir celle-ci exercer une forte une ingérence dans leur pays. L’UNION eurasiatique rassemblant la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie, se substituera à l’Union douanière et à l’Espace économique commun à partir de janvier 2015. L’accord scellant la constitution de cette Union sur la base de l’Union douanière (elle-même formée au sein de la Communauté économique eurasiatique) [1], a été signé par les présidents kazakh, russe et biélorusse, à Astana, le 29 mai 2014. La prochaine adhésion du Kazakhstan à cette nouvelle organisation régionale soulève des protestations au sein de ce pays centrasiatique dont le président Noursoultan Nazarbaev est pourtant à l’initiative de l’idée d’intégration depuis une vingtaine d’années. À en croire les discours du président kazakh, l’Union douanière a déjà apporté des bénéfices économiques substantiels à son pays. Or, si le Kazakhstan a bénéficié d’investissements étrangers et ce grâce à un plus grand marché que celui du seul Kazakhstan : l’Union douanière compte 169,8 millions de consommateurs, tandis que les Kazakhstanais ne sont que 17 millions, les principaux investisseurs ne sont ni biélorusses, ni russes. Mais des données officielles d’une part et les protestations d’activistes et de responsables kazakhstanais d’autre part incitent à examiner plus précisément la rationalité économique de ce processus. Le volet politique de l’Union eurasiatique est également source d’inquiétude pour certains Kazakhstanais, notamment depuis le début de la crise ukrainienne à l’automne 2013. 


Bilan de l’adhésion du Kazakhstan à l’Union douanière
Astana a déjà vu le déficit de sa balance commerciale vis-à-vis de Moscou s’aggraver. Le supposé renforcement de l’intégration entre les pays membres de l’Union douanière aurait entrainé un développement des échanges commerciaux entre Minsk, Astana et Moscou. Mais il semblerait que le Kazakhstan n’en ait pas pleinement profité. Astana a vu, en effet, le déficit de sa balance commerciale vis-à-vis de Moscou s’aggraver, en passant de 8,5 en 2011 à 11 milliards de dollars en 2012. Le Kazakhstan qui a dû revoir plus de 50% de ses tarifs douaniers, globalement plutôt à la hausse [2] , se trouve bel et bien exposé à une concurrence accrue de marchandises en provenance de Russie. Celles-ci, croissantes jusqu’en 2012, consistent en carburant (malgré ses richesses en hydrocarbures, le Kazakhstan ne produit pas suffisamment d’essence notamment pour sa propre consommation), en machines-outils et en métaux (respectivement 23,6%, 15,2% et 11,7%, en 2012) [3]. Puis, au cours des huit premiers mois de l’année 2014 par rapport à la même période de 2013, elles ont baissé de 21% (les importations de Biélorussie ne varient pas pendant cette période, après avoir augmenté en 2012). Pour les périodes janvier-août 2013 et 2014, le tableau ci-dessous montre que les exportations du Kazakhstan vers les deux autres pays de l’Union douanière diminuent fortement, voire très fortement avec la Biélorussie. Et si les échanges du Kazakhstan avec des pays hors CEI diminuent aussi, ils régressent moins fortement que ceux du Kazakhstan avec la Russie. 

Ces réductions des échanges du Kazakhstan se traduisent par un excédent de la balance commerciale en baisse. Il est de 46 810,4 en 2011, puis de 43 148,0 en 2012 et enfin de 33,84 milliards de dollars en 2013. Ses exportations totales ont diminué de 4,04% en 2013 par

rapport à 2012 (elles s’établissaient à 83,41 milliards de dollars en 2013), tandis que ses importations totales étaient de 49,58 milliards, soit 1,02% de plus qu’en 2012 [4]. La part des pays hors CEI (donc hors Union douanière) dans les importations du Kazakhstan s’accroit pendant cette période puisqu’elle est de 58,1% en janvier-août 2014 (contre 53,3% pour la même période de 2013) et celle de ses exportations est de 88,6% (contre 87% pour la même période de 2013). De plus, les principaux partenaires économiques du Kazakhstan sont la Chine et l’UE et leurs parts dans les échanges du Kazakhstan augmentent. Elles sont respectivement 14,6% et 45,7% de ses échanges commerciaux sur la période janvier-août 2014, contre 17,2% et 40,5% pour la même période de 2013. Ces chiffres peuvent par conséquent soulever la question du bien-fondé de la promotion d’une intégration douanière et économique du Kazakhstan avec la Biélorussie et la Russie, puisqu’il commerce davantage avec des pays tiers. Le Kazakhstan avec la Biélorussie ne comptent que pour 0,5% des IDE réalisés en Russie. Du reste, les données relatives aux investissements directs étrangers (IDE) renforcent la pertinence de cette question. Moscou et Minsk ne représentent que 5% des IDE réalisés au Kazakhstan. Les principaux investisseurs dans ce pays étaient en 2012 les Pays- Bas, la Chine, le Canada et le France. Réciproquement, le Kazakhstan avec la Biélorussie ne comptent que pour 0,5% des IDE réalisés en Russie. Ce qui abonde dans le sens du politicien et journaliste kazakh Amirjan Kosanov qui souhaite voir son pays coopérer plutôt avec des pays pouvant opérer des transferts de technologie vers son pays, par crainte de voir son pays touché par une économie russe en piteux état. 

Les bénéfices attendus de l’adhésion du Kazakhstan à l’Union eurasiatique
Comme le soulignent B. Slaski et E. Dreyfus dans leur article « Quelle Union eurasiatique ? », l’Union douanière devait accorder au Kazakhstan un « accès facilité et sans taxes aux oléoducs et aux gazoducs russes et biélorusses menant vers l’Europe occidentale » ainsi qu’une meilleure protection face aux produits chinois depuis 2010. Mais, sur ce dernier point, les données de l’Agence pour les statistiques du Kazakhstan n’indiquent pas une telle évolution, puisque les importations chinoises au Kazakhstan croissaient en valeurs absolues et en pourcentage des importations totales du Kazakhstan. Ces importations chinoises atteignaient 7,444 milliards de dollars en 2012 (soit 16,1% des importations totales du Kazakhstan), puis 8,364 milliards de dollars en 2013 (soit 17,1% des importations totales du Kazakhstan) et 5,441 milliards de dollars pour les neuf premiers mois de l’année 2014 (avec une part de 18% dans les importations totales du Kazakhstan). L’Union eurasiatique, quant à elle, devrait permettre aux produits kazakhstanais d’accéder plus facilement aux infrastructures russes et européennes et ce, peut-être, grâce à la facilitation des transports Asie-Europe par voies terrestres, alors qu’ils se font, pour l’heure, plutôt par voie maritime. Mais, la signature par les chemins de fer russes et chinois à la mi-octobre 2014 d’un mémorandum pour le projet de construction de lignes à grande vitesse entre Moscou et Pékin, pourrait modifier un peu la donne. Par ailleurs, ce rapprochement économique avec la Russie qui est le 156ème membre de l’Organisation Mondiale du Commerce depuis le 22 août 2012, pourrait simplifier l’entrée du Kazakhstan à l’OMC, de l’avis cette dernière et de celui de la Russie. De plus, les banques centrales des trois pays se sont mises d’accord pour échanger des informations et un travail d’harmonisation fiscale serait en cours entre les trois pays, où la TVA est de 18% en Russie et de 12% au Kazakhstan (de 20% en Biélorussie). Ce qui marque un premier point de dissymétrie entre les trois partenaires. Des acteurs économiques ainsi que la population kazakhstanaise avaient anticipé un renforcement des taxes douanières et donc une augmentation générale des prix, suite à l’entrée de leur pays dans l’Union douanière. En théorie, les consommateurs kazakhstanais pouvaient aussi compter sur une augmentation de la concurrence entre produits de consommation. Dans les faits, force est de constater que l’inflation est à la baisse depuis 2011. De l’ordre de 7% en 2011, elle atteint 6% en 2012, 4,8% en 2013, année où elle était la plus faible depuis 15 ans. En revanche, elle pourrait remonter pour atteindre les 6,9% fin 2014 [5]. D’autres bénéficiaires d’une intégration eurasiatique plus poussée pourraient être des Kazakhs de régions frontalières entre la Russie et le Kazakhstan. Des initiatives, apparemment locales, se font jour notamment dans la région de Saratov (en Russie) qui compte environ 3% de Kazakhs. Elle a vu naître le centre d’information « Evrazia-Povolje » (« Eurasie-région de la Volga »), dirigée par une historienne russe, en septembre pour promouvoir la coopération transfrontalière entre la Russie et le Kazakhstan. Au niveau national, cette intégration se manifeste par le forum annuel de coopération régionale, auquel participent les deux chefs d’État. Le dernier en date s’est tenu en septembre 2014, dans la ville pétrolière d’Atyrau, sur le bord de la mer Caspienne, au Kazakhstan. Ce forum annuel, qui est le onzième du nom (Moscou et Astana n’ont donc pas attendu la mise en place de l’Union douanière en 2007 pour l’instaurer) et consacré au domaine pétrolier, a présenté un projet de création d’un pôle d’innovation gazo-chimique sur la base du complexe d’Orenbourg (en Russie) ainsi qu’un projet de centre de formation d’ingénieurs pour le secteur des hydrocarbures. Ces exemples de développement de l’intégration et de la coopération eurasiatique ne doivent pas masquer de remarquables dissymétries structurelles et de diverses natures entre les deux voisins. Les plus immédiatement repérables sont celles qui ont trait à leurs superficies, démographies et produits intérieurs bruts, difficilement comparables. La superficie du Kazakhstan (2,7 millions km2) représente 13,5% de celle de l’Union douanière (soit environ 20 millions de km2), sa population compte pour 10,4% de celle de l’Union et son PIB - pour 9,3% de celui de l’Union en 2013. En raison de ces dissymétries relevées entre le Kazakhstan et la Russie, des consensus entre la Russie et le Kazakhstan paraissent difficilement réalisables, ce qui alimente encore la méfiance de Kazakhstanais vis-à-vis de la participation de leur pays à une telle organisation. Et les cercles économiques kazakhs n’ont, du reste, pas caché leur réticence envers le projet d’Union eurasiatique. Quant à l’ensemble de la population kazakhstanaise, au vu de son soutien à l’Union douanière (48% en faveur de l’Union douanière, contre 55% en Russie, en 2011 [5]), on peut supposer qu’elle n’est pas plus enthousiaste vis-à-vis de l’Union eurasiatique. Les besoins en matière d’intégration sont par conséquent divergents entre les deux pays, ce qui explique un décalage d’agendas des priorités entre les partenaires de la future Union eurasiatique. Pour la Russie, l’intérêt des processus d’intégration se mesure sur le long terme, tandis qu’au Kazakhstan, un plus court terme domine. 


L’opposition kazakhstanaise et l’adhésion à l’union eurasiatique
À l’approche de la signature de l’accord sur l’Union eurasiatique, en mai 2014, s’était tenu un forum anti eurasiatique, à Almaty. Des opposants à l’Union douanière dénonçaient l’influence de la Russie sur les autorités du Kazakhstan, ainsi que les ambitions politiques personnelles du président Nazarbaev, décidé à faire adhérer son pays à l’Union, aux dépens des intérêts de son pays. Il réunissait écrivains et opposants politiques tels que Tolegen Joukeev (né en 1949, ingénieur du pétrole, l’un des pères du projet d’exploitation du champ pétrolifère de Tengiz). S’y étaient exprimées des revendications, comme la demande d’un référendum sur l’entrée du Kazakhstan dans l’Union eurasiatique. Soulignons que ce projet n’avait pas fait l’objet de débat dans les médias et que l’entrée dans l’Union douanière n’avait pas été non plus sanctionnée par un référendum. Quelques jours plus tard, des opposants à l’Union dénonçaient l’influence de la Russie sur les autorités du Kazakhstan, ainsi que les ambitions politiques personnelles du président Nazarbaev, décidé à faire adhérer son pays à l’Union douanière, aux dépens des intérêts de son pays, selon l’économiste kazakh Toktar Esirkepov. L’incessante promotion de l’idée eurasiatique, par leur président N. 


Nazarbaev ne convainc manifestement pas tous les Kazakhstanais. Certains se montrent défiants à l’égard de cette adhésion à une institution incluant la Russie, de peur de voir celle- ci exercer une forte une ingérence dans leur pays. (Rappelons ici que plus de 29 Kazakhs ont été victimes d’actes racistes et 7 en sont morts en Russie, en 2014). Certains opposants kazakhs inquiets de voir la Russie mettre en œuvre des ambitions impérialistes, n’hésitent pas à aller jusqu’à évoquer la volonté russe de reconstituer une seconde URSS. Ce qui leur fait dire que la perte de souveraineté du Kazakhstan le ravalerait alors au rang de « province de la Russie ». Comme pour leur répondre, des experts russes dénoncent, eux, une rumeur orchestrée par des nationalistes kazakhs accusant la Russie de vouloir déstabiliser le Kazakhstan. Une telle perte de souveraineté signifierait plus certainement une encore moins grande latitude pour organiser des mouvements de protestation à l’égard du pouvoir, les autorités kazakhstanaises pouvant alors compter sur un soutien du Kremlin pour les contrer. Et la nouvelle crise ukrainienne advenue à l’automne 2013, alimente encore les réticences des nationaux-patriotes et anti-eurasiatiques kazakhstanais. Parmi ces derniers, outre Amirjan Kosanov déjà cité, les plus visibles dans les médias russophones sont Kazbek Beïsebaev (ancien membre du ministère des Affaires étrangères du Kazakhstan), Boulat Abilov (ingénieur des mines, ancien conseiller présidentiel et président du parti Azat), et Moukhtar Taïjan, économiste, qui se situe plutôt dans la mouvance des nationaux-patriotes. Selon le jeune opposant Janbolat Mamaï, les nationalistes kazakhstanais auraient réussi à faire pression sur N. Nazarbaev pour exclure la composante politique du projet d’Union eurasiatique, à savoir un parlement eurasiatique, une monnaie commune, la double nationalité, et une surveillance conjointe des frontières. Mais, les perspectives d’une intégration monétaire et politique, sont rejetées par la majorité de la classe politique, N. Nazarbaev en tête. De fait, à l’issue d’une rencontre avec ses homologues russe et biélorusse à Astana en mai 2013, le président kazakh avait réitéré qu’il n’était pas question de donner à la Commission Économique Eurasiatique [6] des compétences de nature politique. Il déclarait alors : « Je souhaite une fois de plus mettre l’accent sur le fait qu’il n’y a aucun plan qui, envisageant le transfert de compétences politiques à des instances supranationales, remettraient en cause l’indépendance des États. Il ne s’agit que d’intégration économique » [7]. Pour N. Nazarbaev, ce sont les domaines économiques qui doivent être les moteurs de cette intégration. Pourtant des Kazakhstanais à l’instar d’A.Kosanov craignent que le Kazakhstan ne soit entrainé par la Russie dans un plus isolement, en raison des tensions entre la Russie et l’Occident. Du reste, cette accentuation d’un relatif isolement pourrait compromettre le programme « La voie vers l’Europe » lancé par N. Nazarbaev en 2008 et dont l’objectif est de développer la coopération bilatérale du Kazakhstan avec des pays européens et l’Union européenne. En supposant que l’Union eurasiatique ne soit qu’économique, A. Kosanov pose aussi la question de savoir comment séparer l’économique du politique et du géopolitique dans un monde globalisé. 

[1] Pour de plus amples détails sur la formation de cette organisation, Cf. Bertrand SLASKI, Emmanuel DREYFUS, Quelle Union eurasiatique ? 30 janvier 2014 (http://www.diploweb.com/Quelle-Union-eurasiatique.html).
[2] « Regional Trade Integration and Eurasian Economic Union”, Banque européenne de Développement et de reconstruction, www.ebrd.com/downloads/research/transition/tr12d.pdf., p. 66.
[3] Proved провэд.рф/economics/customs-union.html, 22 juin 2013. [4] Kursiv, 5 mars 2014.


[5] Tengrinews.kz, 4 novembre 2014.



[6] La Commission économique eurasienne est l’organisme de réglementation supranationale permanente de l’Union douanière et de l’Espace économique unique ; elle fonctionne depuis le 2 février 2012.

[7] Kursiv, 29 mai 2013.



D) - La pauvreté au japon, un mal grandissant



Le gouvernement japonais ne parvient pas à juguler la pauvreté qui touche plus particulièrement les jeunes, les familles monoparentales et les personnes âgées. 


Les chiffres dévoilés le 1er août par le ministère japonais des Affaires sociales révèlent que, en 2012, 16,1% de la population vivaient sous le seuil de pauvreté. Celui-ci était alors estimé à 1,22 million de yens (8629 euros), soit la moitié du revenu annuel médian. Pour la première fois, la part des enfants touchés par la pauvreté (16,3%) dépassait celle des adultes. Ce niveau confirme la place occupée par l'archipel depuis plusieurs années parmi les mauvais élèves de l'OCDE. Le Japon se situe en quatrième position des nations affichant le taux de pauvreté le plus élevé, derrière le Mexique, la Turquie et les Etats-Unis. Parmi les foyers à parent unique, il est en tête, à 58,7%, devant les Etats-Unis (50%). En France, à titre de comparaison, 19% de ces ménages vivent sous le seuil de pauvreté. L'Institut pour la population et la sécurité sociale (IPSS), organisme public, souligne trois spécificités japonaises. L'importance des travailleurs pauvres, l'existence de catégories de population particulièrement touchées -jeunes, foyers à parent unique, personnes âgées- et, enfin, l'inefficacité des politiques publiques à lutter contre la pauvreté. 

Recrudescence des contrats précaires
De fait, le nombre de travailleurs pauvres croît depuis les années 80, époque où les entreprises ont commencé à recourir en masse aux contrats à durée déterminée et à l'intérim, profitant de politiques qui favorisaient le recours aux contrats précaires. Malgré une pause quand le Parti démocrate du Japon était au pouvoir, entre 2009 et 2012, les gouvernements successifs ont peu à peu allongé la liste des métiers ouverts à l'intérim et aux CDD. Aujourd'hui, près de quatre actifs sur dix sont en contrat précaire. Or les écarts de salaires entre contractuels ou intérimaires et salariés à temps plein peuvent aller du simple au double: "Cela crée une pression sur les rémunérations des salariés en CDI", regrette l'IPSS. Les experts de l'organisme s'inquiètent aussi du non-paiement des cotisations sociales, santé et retraite par 40% des travailleurs précaires: dans le système japonais, c'est à eux de cotiser et non à l'employeur. Pour aider les plus démunis, il existe un système équivalent au RMI: 1,6% seulement de la population en bénéficie, en raison des difficultés rencontrées pour y accéder. Dans le même temps, il n'y a pas de minimum vieillesse. Compte tenu de la modicité des retraites nippones, qui ont baissé de 1% en avril et baisseront de 0,5% en avril 2015, et de l'allongement de la durée de vie, la pauvreté des personnes âgées devient problématique. Le gouvernement a annoncé de nouvelles mesures pour lutter contre la pauvreté des enfants. Mais, déplore-t-on à l'IPSS, "les contraintes budgétaires sont telles que les fonds disponibles pour l'assistance aux plus démunis restent limités".





Quelle est la responsabilité des réseaux sociaux après les attentats ? Le créateur de Facebook prend position, Twitter est sur la sellette. 

Artisan de la liberté d'expression, Facebook ? Si le réseau social peut agacer par son interventionnisme, notamment lorsqu'il censure une paire de seins nus - Postez une reproduction de "L'Origine du monde" de Gustave Courbet sur votre profil, et elle sera immédiatement retirée - Mark Zuckerberg a été prompt à réagir après l'affaire Charlie Hebdo. "Il y a quelques années, un extrémiste au Pakistan voulait me condamner à mort parce que Facebook refusait d'interdire du contenu sur Mahomet qui l'offensait. On s'est battu pour que puissent s'exprimer des voix différentes, même si elles sont parfois "offensives", car cela peut rendre le monde meilleur et plus intéressant", explique le créateur du réseau social dans un post vendredi. Mark Zuckerberg précise à propos du réseau social créé il y a 11 ans, qu'il s'agit d'"un endroit dans le monde où les internautes du monde entier peuvent échanger des vues ou bien des idées. Nous respectons les lois dans chaque pays, mais nous ne laissons jamais un pays ou un groupe d'individus dicter ce que les gens peuvent partager à travers le monde. (...) Je me suis engagé à créer un service où vous pouvez parler librement sans avoir peur de la violence." Avant d'ajouter "Mes pensées vont vers les victimes, les familles, le peuple de France et le peuple du monde entier qui choisit de partage des opinions et des idées, même si cela demande beaucoup de courage." Avant de ponctuer son texte par un #JeSuisCharlie. Le 12 janvier, Zuckerberg ajoutait : "Vous ne pouvez pas tuer une idée. (...) Aussi longtemps que nous serons connectés, alors aucune attaque par des extrémistes - que ce soit au Nigeria, au Pakistan, au Moyen Orient, ou en France - ne pourront s'interposer envers la liberté et la tolérance dans le monde." 

Des médias à part entière ?
Le débat est brûlant, parce qu'il pose la question de savoir si les réseaux sociaux, au poids grandissant dans la formation des opinions en quasi-direct, sont de simples plateformes de partage ou bien des médias à part entière, et à ce titre responsables des contenus publiés. Récemment, le groupe d'hacktivistes Anonymous, très attaché à la liberté d'expression, a expliqué vouloir conduire en ligne la guerre au terrorisme, à la suite des attentats de Charlie Hebdo. Et a pour cela "outé", c'est-à-dire rendu publique, une liste de comptes Twitter attribués à des djihadistes. Est-ce possible pour le réseau social de les faire disparaître ? 

Interrogé par Le Point.fr, Twitter explique qu'il se conformera aux décisions de justice des pays en vigueur. Même question pour les tweets assortis de hashtag : #JeSuisCoulibaly
#JeSuisKouachi. Si comme l'explique l'entreprise spécialisée dans l'analyse du web social Linkfluence, les tweets offensants sont extrêmement minoritaires, ils peuvent apparaître en "trending topics", car entraînant une condamnation massive. Est-il alors normal de s'en prendre au messager, c'est-à-dire Twitter, comme est tenté de le faire l'Union européenne en ce moment, plutôt qu'à l'émetteur du message ? Cette question est un véritable casse-tête pour le site qui pourrait de plus en plus recourir à des robots pour détecter des tweets jugés offensants. Il y a deux ans, la même question s'était posée avec la multiplication du hashtag #unbonjuif. À l'époque, le site ne disposait pas de bureau en France, et avait été condamné par la justice française. En attendant, au siège de Twitter, à San Francisco, a été déployée une gigantesque banderole noire assortie du hashtag "#Je Suis Charlie".



janvier 12, 2015

RP#6 - Stratégie - Guerres et Paix ( sommaire: 10 thèmes actuels)

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

 Picasso

Sommaire:

A) - L’An 1 de la DGRIS - TTU Online du 12 janvier 2015
 
B) - Terrorisme : la justice désarmée face à l’ampleur du phénomène - le Figaro du 11 janvier 2015 par Paule Gonzalès

C) - Liban-France : même combat, même ennemi - L’Orient le Jour du 12 janvier 2015 par Nagib Aoun

D) - Réunion des ministres européens à Paris : surveillance accrue d’Internet et révision des accords de Schenghen - El Watan du 12 janvier 2015 par Nadjia Bouzeghrane

E) - La communauté internationale face au terrorisme : les pièges et les défis - El Watan du 12 janvier 2015 par Hacen Ouali
 
F) - La reprise de la zone euro sera lente et modérée - Le Monde du 12 janvier 2015 par Marie Charrel

G) - La révolution française du Big Data aura-t-elle lieu ? Le Portail de l’IE du 12 janvier 2015 par Maxime Fernandez

H) - Pourquoi l’UE n’est pas prête à faire tous les efforts contre le terrorisme - La Libre Belgique du 12 janvier 2015 sur un article de la commission européenne : « La lutte contre le terrorisme au niveau européen : présentation des actions, mesures et initiatives de la Commission européenne »
 
I) - Terrorisme, la guerre impossible - Le Point du 11 janvier 201 5 par Frédéric Thérin 

J) - Attaques de Paris : comment répondre à la menace ? - IRIS du 12 janvier 2015 par Pascal Boniface




A) - L’An 1 de la DGRIS 

Un décret adopté le 17 décembre en Conseil des ministres et publié le 2 janvier a validé la création de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère de la Défense. Trois directeurs ont été nommés : Philippe Errera, en qualité de directeur général, l’amiral Charles-Henri Du Ché, comme directeur général adjoint, et Guillaume Schlumberger, au poste de directeur général chargé de la Prospective, de la stratégie de défense et de la contre-prolifération. Succédant à la DAS, la DGRIS en conserve les grandes attributions (pilotage et coordination de l’action internationale du ministère, des travaux de prospective stratégique, de la lutte contre la prolifération et orientations en matière de contrôle des exportations de matériels de guerre), tout en se dotant de prérogatives nouvelles. Face au constat de la fragmentation des relations internationales (RI) au sein du ministère, de la dispersion et donc de doublons de ses acteurs et avec la volonté de préserver les unités opérationnelles, le ministre a souhaité mettre en place une organisation plus efficace, en appliquant ici aussi les principes de sa réforme du ministère : recentrage sur le cœur de métier et mise en cohérence de la fonction RI autour de la DGRIS. 

Si le CEMA conserve les RI liées aux opérations et la coopération internationale en matière de capacités, la sous-chefferie RI de l’EMA est, quant à elle, supprimée et ses missions transférées à la DGRIS. Le CEMA pourra toujours compter sur son officier général relations internationales et militaires, le général Hughes Delort-Laval, accompagné de deux généraux deux étoiles pour les coopérations bilatérales et multilatérales. La DGA conserve le soutien aux exportations (Soutex) ainsi que la coopération internationale en matière d’armement. Sa sous- direction coopération et développement européen est en revanche supprimée. Au total, une soixantaine de postes “RI” seront supprimés à la DAS, à l’EMA et à la DGA, permettant d’économiser chaque année 3,5 millions d’euros de masse salariale. Sur les 209 agents que comptera la DGRIS, la moitié seront des civils. La DGRIS devient chef de file et responsable de la mise en cohérence de la prospective et de la stratégie de défense au sein du ministère, notamment dans le cadre de la préparation et de l’actualisation des livres blancs. Sa structure est simplifiée, avec trois grands services : Europe, Amérique du Nord, action multilatérale (ONU, Otan, UE), qui récupère la Russie et sa périphérie ; puis les questions régionales (relations bilatérales avec les pays du sud) ; et enfin un service du pilotage des ressources et de l’influence internationale (RH, gestion quotidienne du programme 144...). 

Cette dernière aura aussi en charge la gestion du réseau des missions de défense, en récupérant les bureaux REPETRAN (dialogue avec les attachés de défense étrangers) et REPREMIL (pour les AD français à l’étranger) de l’EMA. Le choix des AD, dont la décision finale revient au ministre, fera l’objet d’un dialogue préalable entre la DGRIS et l’EMA. Au niveau de la politique des études, la DGRIS devrait renforcer le rôle des observatoires et groupes de recherches, afin de concentrer l’effort sur de plus gros contrats, permettant davantage d’effets de levier et minimisant la dispersion et les procédures administratives. 

Tout en cherchant à associer un maximum de laboratoires universitaires, afin de diversifier les sources et les points de vue. L’Asie devrait faire l’objet d’un effort renforcé, tant en effectifs dédiés qu’en ressources d’études. La DGRIS devra continuer à fournir des études de fond ou de prospective tout en proposant, au besoin, des notes plus politiques et opérationnelles permettant au ministre de se positionner sur des dossiers d’actualité.




 

B) - Terrorisme : la justice désarmée face à l’ampleur du phénomène

Avant de commettre leurs attentats, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly sont passés par la case prison, où leur radicalisation s'est accentuée. Les magistrats évoquent leur impuissance et réclament un renforcement de la réforme pénale. 

Un haut magistrat s'inquiète: «Les protagonistes des drames de ces derniers jours étaient tous déjà passés par la case justice et prison. Nous retrouvons aujourd'hui les acteurs des attentats de 1995 et ceux de la filière irakienne. Ils ont ou avaient purgé leur peine, ils étaient ou sont encore très jeunes, avec une longue carrière potentielle encore devant eux, et sont tous ressortis plus endurcis de prison quand certains n'étaient que des seconds ou des troisièmes couteaux. C'est un problème.» La réponse pénale paraît soudain inadaptée à la virulence de la menace terroriste et surtout au contrôle du parcours de ces jeunes qui passent par la pénitentiaire. «Depuis les lois Perben de 2004, nous avons progressivement criminalisé les délits d'association de malfaiteurs jusqu'à la loi de novembre dernier», rappelle le juge antiterroriste Marc Trévidic. «Ce qui ne cesse de poser problème, c'est ce qui se passe en maison d'arrêt. Et le fait qu'un détenu entrant pour ces faits n'en sorte pas mieux mais le plus souvent bien plus radicalisé qu'auparavant. Non seulement il n'y a pas de rupture dans leur parcours, mais au contraire il se poursuit comme si de rien n'était. Il n'est pas normal qu'un islamiste chevronné se retrouve en détention avec un petit apprenti. De ce point de vue, l'expérimentation de Fresnes, qui consiste à créer une unité isolée pour les islamistes quels qu'ils soient, n'est pas complètement pertinente.» De fait, c'est à Fleury-Mérogis queDjamel Beghal, Chérif Kouachi et Amedy Coulibalyont fait connaissance. Puis se sont retrouvés à Murat dans le Cantal, quand le premier était en résidence surveillée: «Quelles étaient les obligations concernant cette dernière?», s'interroge encore le juge antiterroriste. En ligne de mire, la question de la prise en charge durant la détention et de l'exécution des peines, «véritable passoire», selon l'ancien juge antiterroriste, Jean-Louis Bruguière. «Ces détenus entrent dans le pot commun de la détention, souligne un responsable d'une grande maison d'arrêt parisienne, qui a identifié une vingtaine d'activistes islamistes gérés avec les moyens du bord. Nous n'avons aucun outil pour les traiter, et il est vrai que d'emblée ils bénéficient d'un tiers de remise de peine comme les autres.»Amedy Coulibaly, condamné en décembre 2013 à cinq ans de prison, après trois ans et demi de détention provisoire, a ainsi été placé en surveillance électronique de fin de peine (sous bracelet) le 4 mars 2014 et jusqu'au 15 mai de la même année. Poursuivant son évocation de la situation dans son établissement, le patron de maison d'arrêt rappelle que «l'un des islamistes détenus, identifié comme très dangereux, va sortir en février. Ce sera à la DGSI de prendre le relais car la pénitentiaire n'est pas équipée pour cela». Spontanément, les dirigeants de cet établissement ont tenté de s'organiser. «Nous avons quatre vrais leaders dits “individus venin”. Ils fonctionnent toujours en binôme: le leader spirituel et celui qui a la légitimité de l'action parce qu'il est allé en Irak ou en Syrie. Après la mise à l'isolement du principal d'entre eux, il y a eu une vraie baisse de moral parmi ses fans», témoigne-t-il. 

Aucune étude statistique sur ces détenus
Les magistrats spécialisés dénoncent l'absence de statistique sur cette population carcérale si particulière. «Aujourd'hui, nous sommes sans aucune étude statistique. Nous n'avons aucun repère sur l'évolution de ces détenus, ni même sur le taux de récidive. Le chiffre de 16 % de personnes écrouées connues pour islamisme n'a donc aucun sens», affirme l'un d'entre eux, en réponse à ce chiffre donné par la Chancellerie, jeudi dernier. «Nous n'avons aucun ciblage criminologique. Avec la réforme pénale, on nous a parlé d'individualisation de la peine mais c'est exactement l'inverse qui se produit en matière d'islamisme», souligne cette ancienne juge antiterroriste du siège, qui déplore l'absence de formation obligatoire des juges assesseurs qui seront amenés à prendre position sur les questions de terrorisme. «Nous aurions pu espérer que l'individualisation fasse une différence dans l'aménagement entre la conduite en état alcoolique et l'islamiste de retour d'Irak ou de Syrie ou en voie de radicalisation», affirme ce dirigeant d'établissement pénitentiaire. 

Mise en place d'un quartier spécial en prison
Samedi soir, Christiane Taubira, la garde des Sceaux, montait en urgence une réunion à la direction de l'Administration pénitentiaire pour finaliser la mise en place d'un quartier spécial, sur laquelle elle se disait «très réservée» le 25 novembre dernier au micro de France Info. Un tel quartier devrait donc être créé dans l'un des dix grands établissements pénitentiaires parisiens, qui réunissent 90 % des islamistes durs. Il accueillerait les cinquante leaders du prosélytisme et du recrutement. Dans le même temps, la direction pénitentiaire aurait lancé un appel d'offres pour choisir une entreprise spécialisée dans les mouvements sectaires et capable de proposer des programmes de désendoctrinement. Le montant de l'enveloppe ne s'élèverait pas à plus de 200.000 euros. La magistrature, quant à elle, a pris un petit peu d'avance. Le président du TGI de Paris, Jean-Michel Hayat, a créé une nouvelle section spécialisée sur les questions terroristes au sein de la 14e chambre qui, aux côtés de la 16e, traite habituellement de criminalité organisée. Ces deux chambres, qui gèrent aussi les grandes affaires de stupéfiants ou d'association de malfaiteurs, tournent déjà à plein régime avec pas moins de six audiences chacune par semaine. À cette quarantaine de personnes se sont joints sept nouveaux magistrats qui siégeront à raison de trois audiences par semaine sur les questions de terrorisme. De quoi accélérer le cours d'une justice jugée une fois de plus trop lente dans ses délais.





C) - Liban-France : même combat, même ennemi
 
Ignorance, fanatisme, haine : une trilogie barbare à laquelle ont été confrontés, une fois de plus, la France et le Liban à trois jours d'intervalle, une même plaie purulente qui n'arrête pas de s'étendre, une même insulte à l'intelligence fertilisée par un islamisme galopant et une duplicité rampante. Des horribles et sanglants attentats survenus en France à celui perpétré à Tripoli, samedi soir, le dénominateur commun est la détermination suicidaire de leurs auteurs, la référence aux mêmes sources jihadistes, celles qui n'envisagent l'avenir qu'à travers un bain de sang « purificateur ». Tous unis face à la barbarie : la magnifique marche républicaine qui s'est déroulée hier à Paris, sans précédent dans l'histoire européenne, était la réponse naturelle à la menace qui pèse sur la paix civile en France, entretenue par les nouveaux robots de la pensée unique. Hier le nazisme, aujourd'hui le jihadisme et, au sommet de la hiérarchie, des cerveaux malades qui prétendent se référer aux textes religieux fondateurs pour accomplir la mission dont ils se croient investis. Islamisme galopant et duplicité rampante, disions-nous en introduction de cette chronique, et c'est là, précisément, où le bât blesse. Si le jihadisme s'est développé dans le monde musulman et a même réussi à se façonner un immense territoire s'étendant de la Syrie à l'Irak, c'est parce qu'on l'a longtemps laissé faire et que rien n'a été vraiment fait, dès le départ, pour en éradiquer les causes. Exactions et barbarie de régimes totalitaires, installés sur les décombres de leurs pays respectifs, une révolte civile syrienne lâchée, à mi-parcours, par ceux-là mêmes qui, en Occident, applaudissaient à son émergence, la conséquence ne pouvait en être, progressivement, que l'apparition des « fous de Dieu » rendus encore plus fous par la monstruosité de la machine de guerre de Bachar el-Assad déchaînée contre les populations civiles. Résultat : le tyran toujours en place à Damas nargue les nations occidentales, la France en tête, et semble leur dire « c'est bien fait, je vous avais prévenus », et les services de renseignements européens envisagent de nouveau de collaborer avec leurs pairs syriens, ceux-là mêmes qui étaient considérés comme des tortionnaires infréquentables. Et le pire dans cette situation ubuesque, dans cet impossible imbroglio, c'est de voir des États de la région, ceux-là mêmes qui ont financé et facilité l'introduction de l'internationale terroriste en Syrie et en Irak, participer ou proclamer leur soutien à la marche républicaine d'hier à Paris, celle qui entend faire barrage à l'intolérance et au terrorisme. Le pire aussi, c'est de voir des pays et des partis du Moyen-Orient s'apitoyer sur les « misères » d'une Europe menacée alors que par leur soutien à la barbarie étatique en Syrie, ils ont largement contribué à l'apparition du monstre jihadiste. Fondamentalisme galopant et duplicité rampante : pour la France et le Liban c'est un même combat qui est mené, c'est la même menace qui pèse sur les deux pays, ce sont les mêmes valeurs de tolérance, de liberté et d'acceptation de l'autre qui sont défendues. Mais ne l'oublions pas : pour se débarrasser de l'hydre terroriste, il faut, bien sûr, traquer, débusquer, arrêter ses divers éléments mais aussi, impérativement, éliminer les causes mêmes de son émergence. Le sommet international sur « l'extrémisme violent », prévu le 18 février à Washington, tiendra-t-il compte de ces évidences ?




D) - Réunion des ministres européens à Paris : surveillance accrue d’Internet et révision des accords de Schenghen

Réunis en urgence, hier à Paris, à l’invitation de leur homologue français, les ministres de l’Intérieur et/ou de la Justice européens ont adopté une déclaration en huit points pour lutter contre le terrorisme. 

Dans cette déclaration, les ministres ont d’abord exprimé leur détermination à «poursuivre (leur) coopération avec l’ensemble des acteurs de (leurs) sociétés civiles afin de prévenir et de détecter, à un stade précoce, la radicalisation». «Nous devons, à cet égard, renforcer le dialogue pour ne pas permettre aux terroristes d’instiller la haine, la peur et la division au sein de nos sociétés.» Ils ont relevé le besoin de renforcer encore davantage «la coopération opérationnelle entre (leurs) services», «ainsi qu’avec les services des partenaires pertinents». Ils ont réaffirmé leur «solidarité sans faille» et leur «détermination à lutter ensemble contre le terrorisme, forts notamment des résolutions 1377 et 2178 du Conseil de sécurité des Nations unies et des conclusions des Conseils Justice et Affaires intérieures (JAI) des 9 octobre et 5décembre 2014, endossées par le Conseil européen, et dans le cadre et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales». A cette fin, ils ont affirmé que leur action doit «continuer de s’inscrire dans une approche globale reposant à la fois sur la lutte contre la radicalisation, notamment sur internet, et sur le renforcement des moyens destinés à contrecarrer l’action des différentes formes de réseaux terroristes et notamment en entravant leurs déplacements». Ils ont également souligné «l’importance de l’engagement de tous les acteurs, à tous les niveaux, qui œuvrent à la lutte contre la radicalisation» et ils s’engagent à soutenir les activités du futur RAN (réseau de connaissance de la radicalisation), un centre d’excellence. Au titre des mesures préconisées, se montrant «préoccupés par l’utilisation d’internet à des fins de haine et de violence», les ministres se déclarent «déterminés à ce que cet espace ne soit pas perverti à ces fins, tout en garantissant qu’il reste, dans le strict respect des libertés fondamentales, un lieu de libre expression, respectant pleinement la loi». Et d’affirmer que dans cette perspective, «le partenariat avec les grands opérateurs de l’internet est indispensable pour créer les conditions d’un signalement rapide des contenus incitant à la haine et à la terreur, ainsi que de leur retrait, lorsque cela est approprié et/ou possible». En complément à ce travail, les ministres se disent «résolus, pour lutter contre la propagande terroriste, à développer, afin de toucher le public jeune, particulièrement exposé à l’endoctrinement, des messages positifs, ciblés et facilement accessibles aptes à contrer cette propagande». A cet égard, ils incitent «l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne à faire un usage maximal de l’équipe de conseil en communication stratégique sur la Syrie (SSCAT), qui doit être prochainement mise en place par la Belgique sur financement européen». 

Opérations conjointes à «amplifier»
Ils affirment qu’ils œuvrent à «la lutte contre la circulation illégale d’armes à feu au sein de l’Union européenne. C’est l’une des priorités de la Plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles (Empact)». «Dans ce cadre, nous améliorons l’échange d’informations relatives à cette problématique entre les services des Etats membres et augmentons le nombre d’opérations conjointes contre ce phénomène en Europe», ont-ils souligné. Et d’ajouter que cette coopération sera «amplifiée». Toutes les mesures utiles visant au partage du renseignement sur les différentes formes de la menace, et notamment les combattants étrangers terroristes, à la connaissance de leurs déplacements et des soutiens dont ils bénéficient où qu’ils se situent et, ainsi, être en mesure d’améliorer l’efficacité de notre combat contre ces phénomènes seront mises en œuvre. Pour ce faire, les ressources d’Europol et d’Eurojust, mais aussi d’Interpol seront pleinement utilisées. Les ministres annoncent que seront mis en place des «contrôles approfondis sur certains passagers, sur la base de critères objectifs, concrets, dans le respect de la fluidité des passages frontaliers, des libertés fondamentales et des exigences de sécurité». Ils estiment, en outre, qu’une «modification» des règles du code frontières Schengen «devrait rapidement être entreprise afin de permettre de façon plus étendue, lors du passage des frontières extérieures par les personnes jouissant du droit à la libre circulation, la consultation du système d’information Schengen». Faisant référence à la dimension internationale de ce phénomène, les ministres en appellent à la promotion de toutes les initiatives visant à «renforcer la coopération avec leurs partenaires, Etats d’origine et de transit et, si possible, avec les Etats de destination des combattants étrangers terroristes, dans la continuité de notre politique intérieure». Cette réunion a regroupé le président du Conseil des ministres de l’Union européenne, les ministres de l’Intérieur et de la Justice de Lettonie, d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique, du Danemark, d’Espagne, d’Italie, des Pays-Bas, de Pologne, du Royaume-Uni, de Suède, le commissaire européen à la migration et aux Affaires intérieures, le ministre de la Justice des Etats-Unis, le vice-ministre de l’Intérieur des Etats-Unis, le ministre de la Sécurité publique du Canada et le coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme. Dans une déclaration préliminaire, Bernard Cazeneuve a rappelé que «sur les plans européen et international, nous disposons déjà d’un certain nombre de textes importants pour mener ce combat, notamment de résolutions des Nations unies et de conclusions prises par le Conseil Justice Affaires Intérieures et par le Conseil européen qui est l’enceinte de décision européenne du niveau le plus élevé». «Ces textes constituent les cadres européen et international dans lesquels notre action doit s’inscrire, mais ils ne suffisent pas bien évidemment, car notre action doit se projeter dans une approche globale et opérationnelle.» Et d’ajouter : «Nous avons, à cet égard, identifié deux champs sur lesquels nous souhaitons plus particulièrement affirmer et renforcer notre coopération : les moyens destinés à contrecarrer les déplacements de combattants étrangers et de toutes les filières ; la lutte contre les facteurs et les vecteurs de radicalisation notamment sur internet.»



E) - La communauté internationale face au terrorisme : les pièges et les défis

Un tournant. Un front mondial contre le terrorisme aurait-il pris naissance hier à Paris ? La forte présence de dirigeants étrangers le suggère à tout le moins. 

Les ministres de l’Intérieur de onze pays européens et le ministre américain de la Justice, Eric Holder, ont déjà donné le ton de ce que sera le renforcement des mesures de sécurité. Après le choc du 7, le sursaut mondial du 11 janvier pourrait sonner une date fondatrice, celle de l’émergence d’une coalition internationale inédite pour contrer un terrorisme qui ne cesse de se globaliser, avec des capacités de nuisance énormes et en mesure de frapper partout. Les onze ministres européens de l’Intérieur réfléchissent déjà au durcissement des mesures de circulation des ressortissants européens, alors que le ministre américain de la Justice, Eric Holder, a annoncé la tenue, le mois prochain à Washington, d’un sommet international pour «réfléchir aux moyens de lutter contre l’extrémisme». Il est nécessaire de souligner que les réactions politiques après le «11 septembre français» sont pour le moment moins guerrières que celle du 11 septembre 2001. Au-delà du moment historique, il appartient à toute la communauté internationale réunie à Paris de faire, dans la sérénité nécessaire, cause commune non seulement contre le terrorisme, mais aussi et surtout pour arracher les racines du mal de l’hydre djihadiste qui sème le chaos. La marche républicaine de Paris ne devrait pas être un permis de déclarer des guerres inutiles et absurdes, même si la lutte contre les groupes terroristes doit être implacable. Le monde entier garde à l’esprit comment l’Administration Bush a fabriqué de fausses preuves pour «justifier» une guerre contre l’Irak. Les néo- conservateurs américains ont conduit une guerre qui a brisé un pays, laissant place à la multiplication de foyers de terrorisme. La guerre du «bien contre le mal» chère à George Bush ne cesse de produire du mal partout et pour toute l’humanité. L’agression contre l’Irak a été une désastreuse réponse. 

Une solution définitive pour la Palestine
Au-delà des mesures administratives et policières durcissant le contrôle de la circulation des personnes, le carnage commis sur le sol parisien va probablement redéfinir les relations internationales et revoir en profondeur la stratégie globale de lutte contre le terrorisme. Des pays en proie à de graves crises de violence, comme la Libye, la Syrie, l’Irak, doivent rapidement trouver une solution au double plan politique et sécuritaire. La communauté internationale est plus que jamais interpellée pour se mettre d’accord et élaborer des sorties de crise justes et durables. En mettant le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, au premier rang des chefs d’Etat, François Hollande semble envoyer un message à ses partenaires pour prendre à bras-le-corps la crise malienne. La persistance de l’instabilité politique dans ces pays ne peut que servir de terreau à toutes les formes de terrorisme. Le conflit au Proche- Orient doit également trouver son chemin vers une solution définitive. Il n’est plus possible de continuer à priver les Palestiniens de leur droit à un Etat. La présence de Mahmoud Abbas et de Benyamin Netanyahu à Paris rappelle cette nécessité historique. 

L’Etat hébreu, avec sa politique agressive et expansionniste, ne renforce pas le camp de la paix. Bien au contraire. Les groupes djihadistes, qui confisquent la religion pour en faire un étendard pour terroriser toute la planète, se servent également de la question palestinienne pour «légitimer» leur barbarie. Les centaines de milliers de manifestants de Paris n’ignorent sans doute pas que des pays dont les représentants étaient présents à la «marche républicaine» servent de base arrière idéologique et logistique au terrorisme. Des pays comme l’Arabie Saoudite et le Qatar ne se cachent presque pas d’avoir armé et financé des groupes terroristes. Des pays pourvoyeurs de la matrice idéologique qui justifie l’extrémisme. L’islamisme, dans sa version salafiste la plus obscurantiste et la plus menaçante, trouve ses racines dans ce wahhabisme exporté à coups de milliards de dollars non seulement dans le monde arabe et en Afrique, mais aussi en Europe. Ce sont des pays où les populations subissent un terrorisme officiel. Les dictateurs africains présents à Paris sont mal placés pour prendre la tête d’une marche pour la liberté d’expression. Par leurs systèmes despotiques, ils produisent d’autres formes de terrorisme. Si la violence obscurantiste appelle une réaction implacable, elle nécessite par dessus tout une réponse globale et multiforme: rupture radicale avec une idéologie fondamentaliste dogmatique, soutien des démocraties et cesser la complaisance avec les dictatures et, enfin, repenser un ordre international inégalitaire.


 
F) - La reprise de la zone euro sera lente et modérée

Doucement, mais sûrement. D’après les nouvelles prévisions publiées, lundi 12 janvier, par l’Insee et ses équivalents allemand et italien, l’Ifo et l’Istat, la croissance de la zone euro se ressaisira très progressivement en 2015. Mais elle restera fébrile, et soumise à de nombreux risques. Voici pourquoi.

1. La baisse de l’euro et celle du prix du pétrole auront des effets positifs
D’après les économistes des trois instituts, le produit intérieur brut (PIB) de l’union monétaire devrait croître de 0,2 % au quatrième trimestre 2014. Début 2015, il devrait progresser de 0,3 % sur chacun des deux premiers trimestres. « Sur la première moitié de l’année, la chute des cours du pétrole devrait soutenir la consommation privée tandis que l’appréciation du dollar face à l’euro devrait porter le commerce extérieur », indique la note de conjoncture, qui se base sur l’hypothèse d’un baril se stabilisant à 56 dollars, et d’un euro restant autour de 1,21 dollar. Dans ces conditions, l’investissement devrait enfin repartir, mais modérément : + 0,2 % au premier trimestre et + 0,3 % au second. Il profitera notamment de la fin de la crise de l’immobilier se profilant en Espagne et en France. 

2. Le prix du pétrole contribuera à maintenir l’inflation très basse
La baisse des cours du pétrole et de l’euro aura une autre conséquence : elle continuera de tirer l’inflation vers le bas. « Depuis fin 2011, l’inflation suit une tendance baissière et a atteint un point bas de cinq ans en décembre 2014, à -0,2 % en rythme annuel », expliquent les économistes. Selon eux, les prix devraient progresser de 0,1 % seulement au premier trimestre et de 0,3 % au deuxième, également plombés par les perspectives négatives dans la production de biens. « L’accélération de l’activité prévue aura un effet limité sur les prix », précise la note. 

3. La croissance ne fera pas vraiment baisser le chômage
« La légère reprise prévue sur la première moitié de 2015 aura un impact limité sur la croissance de l’emploi et les salaires devrait également croître lentement, en dépit de l’introduction d’un salaire minimum en Allemagne », prévoient les conjoncturistes des trois instituts. Voilà qui confirme que la courbe du chômage ne devrait pas s’inverser avant la seconde partie de l’année en France, où le taux de demandeurs d’emploi culmine toujours à 10,4 % de la population active. Une consolation, tout de même : la faible inflation et les politiques budgétaires moins restrictives devraient profiter un peu au pouvoir d’achat des ménages. 

4. Les risques restent nombreux
Cette relative éclaircie ne doit pas faire oublier que la reprise est très inégale : alors que la croissance sera relativement robuste en Allemagne et en Espagne, elle restera décevante en France et en Italie. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a, de son côté, indiqué, lundi, que plusieurs économies européennes, comme l'Allemagne, l'Italie ou la Grande-Bretagne, devraient perdre de l'élan. L’indicateur avancé de l'OCDE pour la zone euro reste stable (à 100,6) depuis le mois d'août. Il enregistre un recul de 0,1 point pour l'Allemagne et pour l'Italie, à 99,5 et 101,0 respectivement, tandis qu'il se redresse de 0,1 point pour la France à 100,3. La Banque de France a pour sa part souligné, lundi, qu'un « rebond de la production est attendu en janvier » par les chefs d'entreprises interrogés. De plus, les risques sont nombreux. Selon les auteurs de la note, ils sont à la fois haussiers et baissiers. D’un côté, la chute des cours du pétrole et de l’euro pourrait soutenir plus encore que prévu la demande interne et externe. De l’autre, les élections à venir en Grèce comme les tensions qui l’entourent pourraient nuire au reste de la zone euro.



G) - La révolution française du Big Data aura-t-elle lieu ?

Considéré par beaucoup comme un nouvel Eldorado, le Big Data a saisi l’attention des pouvoirs publics qui en ont fait un des fers de lance de la nouvelle France industrielle. Mais la majorité des acteurs économiques français peine à intégrer cette innovation qui constitue pourtant une véritable révolution technologique aux applications potentiellement infinies. Le terme Big Data signifie littéralement « grosses données », il se réfère à l’apparition de masses de données exploitables d’un volume sans précédent et en augmentation exponentielle. Á titre d’exemple, Facebook possède des données sur 26 millions d’utilisateurs actifs en France, soit près de 40 % de la population. La première mention du terme Big Data apparait en 1997 dans un article produit par des scientifiques de la NASA pour désigner le problème de la visualisation de données devenues trop volumineuses. Au-delà des données, le Big Data désigne l’analyse qui en est faite et les effets révolutionnaires qui en découlent, que ce soit pour la rentabilité des entreprises ou les actions de la vie quotidienne. En France, dès 2009, le Crédit Mutuel Arkea a versé l’ensemble de ses données dans un système Hadoop, obtenant ainsi des analyses en temps record sur l’ensemble de ses opérations. Ce potentiel commence à être connu du grand public en 2011, notamment grâce à une étude du McKinsey Global Institute “Big data: The next frontier for innovation, competition, and productivity.” Aujourd’hui, aucune activité n’échappe aux applications du Big Data. L’agriculture voit se multiplier les capteurs dont l’analyse des données permet d’améliorer la productivité des sols, et dans le domaine des assurances, l’analyse de masses de données est utilisée pour calculer les primes d’assurance individuelle. La ville de Santa Clara estime à 20 % la baisse de la criminalité induite par l’utilisation du logiciel Predpol qui prédit les futures infractions sur la base de l’analyse de 13 millions de crimes réalisés. Toutefois, produire des analyses pertinentes à partir de masses de données reste une tâche extrêmement délicate. Ainsi le logiciel Google Flu Trends, conçu pour prédire la propagation de la grippe aux États-Unis, a connu un échec, en raison d’erreurs commises dans la construction de l’algorithme. Le Big Data constitue une formidable opportunité de création de valeur dont les entreprises françaises prennent rapidement conscience. L’Association française des éditeurs de logiciels estime la création de richesses liée au Big Data en France à 2,8 milliards d’euro et 10 000 emplois directs d’ici à 2019. En outre, l’édition 2014 du Big Data Index révèle qu’en France 43 % des directions informatiques ont étudié les opportunités induites par le Big Data, contre seulement 7 % en 2012. 

Une révolution technologique
L’histoire de l’utilisation massive de données est déjà longue et se confond avec l’évolution de la statistique, mais le Big Data constitue aujourd’hui une rupture grâce à l‘interaction entre deux évolutions majeurs. 

1. L’explosion du volume et de la variété des données disponibles.
  • Les réseaux sociaux : 68 % des internautes sont présents sur au moins un réseau social.
  • Les objets connectés à internet : comme les caméras, alarmes, compteurs électriques notamment, sont passés de 4 à 15 milliards entre 2010 et 2012.
  • Les technologies mobiles : un Smartphone génère environ 60 gigabits de données chaque année. En 2018, les prévisions de l’entreprise Ericsson estiment qu’il y aura 3,3 milliards de Smartphones dans le monde contre un milliard aujourd’hui.
  • La libéralisation des données publique (open data) : Elle offre des gisements de données très fiables bien que beaucoup plus faibles en volume que les sources précédentes. 

    2. L’apparition de la technologie nécessaire au traitement de ces données à une vitesse s’approchant de l’instantané.
  • Le « cloud computing » : constituant une dématérialisation des entrepôts de données, cette innovation permet de « louer » de la capacité de calcul et de l’espace de stockage, rendant l’infrastructure nécessaire à la réalisation de projets de Big Data accessible à tous.
  • L’écosystème Hadoop : il permet de stocker et manipuler de très gros volumes de données en utilisant de nombreuses machines équipées de disques durs banalisés. Créé en 2004, il est aujourd’hui utilisé par 98 % des entreprises conduisant des projets de Big Data.
  • Le NoSQL : Constitue une structuration spécifique des bases de données adaptée aux grands volumes. 

    Des atouts français
    La France dispose d’un système académique particulièrement performant dans les disciplines sur lesquelles s’adosse le Big Data. La demande de compétences autour du Big Data pourrait atteindre 4,4 millions d’emplois dans le monde en 2015 et seuls 40 % devraient être satisfaits. En France, les créations de diplômes se multiplient pour répondre à ce besoin. L’ENSAE, référence dans le domaine de la statistique, propose une spécialisation en « Data Science », de même que Télécom ParisTech, Télécom Nancy ou Grenoble INP. Les écoles spécialisées dans l’informatique, comme l’Epita, Ionis-STM ou l’Ensimag ont aussi rapidement adapté leur offre de formation pour y inclure le Big Data. En outre, un tissu de start-ups françaises couvrant toutes les activités du Big Data est rapidement apparu :
  • Création de données : que ce soit par fabrication d'objets connectés comme le t-shirt de City-zenSciences ou en rendant accessibles des données publiques comme vroomvroom.fr qui a obtenu auprès des pouvoirs publics les taux de réussite des auto- écoles afin de les diffuser.
  • Outils d’analyse de la donnée: à titre d’exemple, Fifty-five et 1000mercis-numberly sont les champions d’un marché au taux de croissance extrêmement élevé.
  • Exploitation de la donnée : notamment le logiciel Tranquilien permet de connaître à l’avance le taux de remplissage d’un train, il est produit par a la société Snips.
    (source : Livre blanc sur le
    Big Data )
    Aujourd’hui, il existe une volonté politique claire de soutenir ces atouts avec l’ambition affichée de faire de la France l’une des références mondiales de la gestion de masses de données. Ainsi le Big Data a été inclus dans les 34 plans de la nouvelle France industrielle présentés par le gouvernement en octobre 2013. Le plan Big Data vise à soutenir l’offre de formation et les start-ups françaises, mais aussi à adapter la réglementation jugée trop contraignante par plusieurs acteurs économiques.
D’importants blocages
Malgré des atouts certains et une volonté des pouvoirs publics, les entreprises françaises peinent à intégrer le Big Data. Sur une échelle de 0 à 5, le Boston Consulting Group évalue ainsi la maturité des entreprises françaises en matière de Big Data entre 1 et 2, contre 3 à 4 pour leurs homologues Outre-Atlantique. Selon une étude publiée par le cabinet Ernst & Young, seules 18 % des entreprises françaises sont en phase de déploiement de projets et les deux tiers des firmes considèrent que le Big Data est un concept intéressant mais encore trop vague pour constituer un levier de croissance. Dans ce cadre, le coût du développement d’un projet de Big Data est encore dissuasif. Selon l’institut IDC, 45 % des entreprises interrogées ont dû dépenser entre 100 000 $ et 500 000 $ pour réaliser la migration de leurs bases de données vers Hadoop et 30 % d’entre elles, plus de 500 000 $. Mais le principal blocage réside certainement dans la réticence des entreprises françaises à confier leurs données à de professionnels afin d’en permettre l’analyse. Selon l’International Data Corporation 70 % des données détenues par les entreprises ne sont toujours pas exploitées à des fins de création de connaissance.  

En conclusion, le Big Data n’a pas réellement décollé en France et les champions du secteur restent américains. Cette situation est inquiétante dans la mesure où la maîtrise des données et leur analyse permet aujourd’hui d’obtenir une connaissance presque parfaite des actions d’un individu, d’une entreprise ou d’un gouvernement. Le Big Data est un important facteur d’accroissement de puissance dont il est indispensable que la France devienne un champion sous peine de voir nos données analysées par des acteurs étrangers. Selon Charles Huot, président du GFII et de l’Alliance Big Data, la maîtrise et la collecte de ces données seront certainement l’enjeu majeur du XXIème siècle.



 H) - Pourquoi l’UE n’est pas prête à faire tous les efforts contre le terrorisme

Les attentats de Paris poussent les Européens à renforcer leur coopération afin de prévenir de nouveaux attentats, mais l'arsenal de mesures envisagées se heurte aux réticences des Etats à partager leurs informations, et du Parlement européen inquiet des atteintes à la liberté de circulation. Modification des règles de l'espace Schengen, contrôles approfondis de certains passagers, établissement d'un registre européen des données personnelles des voyageurs aériens (PNR), partage des informations des services de renseignement, lutte contre la circulation des armes, contrôle de l'internet pour lutter contre la radicalisation: le ministre français de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a dressé dimanche la liste des mesures à mettre en oeuvre. Ces idées ne sont pas nouvelles. Le coordinateur européen pour l'antiterrorisme, Gilles de Kerchove, prône depuis 2008 une stratégie de lutte contre la radicalisation. Mais les Etats ne sont pas parvenus à s'entendre. "L'Union européenne n'est pas le lieu d'une coopération opérationnelle, mais seulement un cadre pour établir des règles communes, au besoin", a expliqué Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, au quotidien français les Echos. Les Européens ne sont toujours pas d'accord sur une définition du "combattant étranger", déplore la Commission européenne. 

Près de 3.000 jeunes Européens ont rallié les mouvements islamistes radicaux en Syrie et en Irak. Les Français sont plus de 1.000. Les règles en matière de fichage diffèrent entre les pays, tout comme les pratiques pour gérer le retour des jeunes radicalisés et la collecte des preuves de leur engagement dans les mouvements islamistes radicaux. Cette réalité bloque la création d'un fichier européen des combattants étrangers, réclamée dimanche par la Belgique. Les Affaires intérieures et la Justice sont des compétences souveraines des Etats, et ils refusent de les perdre. Il en va de même pour le renseignement. "Les services de lutte antiterroristes préfèrent travailler en bilatéral ou en petit groupe", souligne Camille Grand. 

Ils se méfient des organisations comme Europol ou Interpol, car les informations sont mises à la disposition de trop de pays, a expliqué à l'AFP un responsable européen. Or le renseignement est la clef de la lutte contre les jeunes radicalisés partis rejoindre les mouvements jihadistes, insistent les experts. 

- "Modifier Schengen" -
"Avant même de mutualiser le renseignement, il faut l'acquérir, et ce travail opérationnel se fait sur le terrain, pas dans des structures bureaucratiques", souligne l'eurodéputé français Arnaud Danjean. Cela impose des moyens financiers considérables que les gouvernements de l'UE n'ont plus. "Pour suivre un suspect 24 heures sur 24, il faut 20 à 30 personnes", souligne Gille de Kerchove. Les "failles" déplorées par le Premier ministre français, Manuel Valls, imposent une réforme des pratiques. "Il faut fixer des objectifs précis pour le partage d'informations entre les Etats afin d'alimenter les bases de données", insiste M. de Kerchove. Un autre volet de la lutte contre les combattants étrangers est le contrôle et le suivi de leurs mouvements. L'espace de libre-circulation Schengen s'est doté d'un système d'information et impose des contrôles aux frontières extérieures. Mais le code des frontières interdit les contrôles systématiques des ressortissants des 26 pays membres de la zone (22 des 28 Européens, plus la Suisse, l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein). Mais le ministre espagnol, Jorge Fernandez Diaz, a plaidé dimanche pour l'instauration de contrôles aux frontières au sein même de l'espace, ce qui obligerait à "modifier le traité de Schengen". Les gouvernements européens insistent aussi sur la création d'un PNR sur le modèle de ceux conclus avec les Etats-Unis, le Canada et l'Australie. Une quinzaine de pays se sont déjà dotés de systèmes nationaux. Mais le Parlement européen exige au préalable l'adoption d'une législation européenne sur la protection des données. Les débats sont bloqués depuis 2011. Toutes ces mesures seront discutées par les ministre de l'Intérieur et de la Justice de l'UE lors de leur réunion informelle les 29 et 30 janvier à Riga, en Lettonie. L'urgence leur impose toutefois de se réunir plus tôt et une rencontre extraordinaire pourrait avoir lieu dès vendredi à Bruxelles, a indiqué à l'AFP une source proche du dossier.


 

I) - Terrorisme, la guerre impossible

L'ennemi est parmi nous. Le combattre implique de mettre en place une société de
surveillance qu'à coup sûr Cabu, Charb ou Bernard Maris auraient rejetée.


Et maintenant ? Depuis l'effroyable massacre dans la rédaction de Charlie Hebdo et la prise d'otage de Vincennes, on entend beaucoup de politiciens mais aussi de simples citoyens déclarer que la France est désormais en guerre. Mais la guerre est presque "simple" comparée à la période que nous traversons. La guerre, ce sont des pays qui s'affrontent avec leurs armées respectives sur un champ de bataille connu. La guerre, c'est un rapport de force brutal entre des nations qui se battent avec des troupes, des canons, des navires et des avions, c'est une chaîne de commande pyramidale où les ordres "du haut" sont suivis par les soldats "du bas". Aujourd'hui, nos "ennemis" sont des Français le plus souvent nés dans notre pays et qui agissent de leur propre chef. Leur parcours est généralement d'une banalité affligeante. Issus de familles recomposées ou décomposées, ils sont fréquemment tombés dans la petite ou la moyenne délinquance avant d'être séduits par l'intégrisme religieux. Petite frappe un jour, ils sont devenus fanatiques le lendemain. Certains sont allés défendre leur "cause" en Irak ou en Syrie. D'autres préféreront rester en France pour se transformer en terroristes. Souvent jeunes, ils peuvent redevenir après quelques années de "combat" des citoyens "modèles". Mais ce retour à la vie "normale" peut aussi cacher une volonté de fomenter des attentats dans un futur plus ou moins proche.

Patriot Act
En évitant certaines mosquées, en formant une famille, en travaillant, les extrémistes savent qu'ils finiront, à terme, par ne plus être surveillés aussi étroitement par les services de renseignement comme ce fut le cas pour les frères Kouachi. Car le seul et unique moyen de prévenir des attentats est de surveiller ces individus suspects mais aussi leurs proches et leurs amis. Pour connaître leurs projets, il est nécessaire de les suivre, de lire leurs courriels et d'écouter leurs conversations téléphoniques. Toutes ces mesures vont à l'encontre des nombreuses lois en France qui protègent les libertés individuelles. À droite, de nombreux politiciens ont déjà demandé une réforme de l'arsenal législatif. L'ancien ministre Thierry Mariani voudrait même copier l'exemple... américain. "Les États-Unis ont su réagir après le 11 Septembre, juge le membre de la Droite populaire. On a dénoncé le Patriot Act mais,
depuis, ils n'ont pas eu d'attentat à part Boston." Souhaite-t-on vraiment vivre dans un pays qui peut détenir sans limite de temps et sans inculpation toute personne soupçonnée de fomenter un acte terroriste ? Les dirigeants historiques de Charlie Hebdo se seraient, sans l'ombre d'un doute, opposés à une telle réforme liberticide. Mais comment lutter autrement contre ces terroristes jusqu'au-boutistes qui ne reculent devant rien pour attiser la haine et provoquer des déchirements profonds et durables au sein de la société française. La guerre semble décidément plus "simple" que la période actuelle.




J) - Attaques de Paris : comment répondre à la menace ?

La présence de très nombreux chefs d’Etats étrangers hier à Paris, aux côtés de François Hollande, est inédite. Que représente ce soutien international à la France ? 

Effectivement, il est inédit et jamais dans l’histoire nous n’avons vu un tel rassemblement, non pas pour un sommet diplomatique mais pour une manifestation de rue, même si cela n’a pas empêché les contacts diplomatiques. Jamais autant de chefs d’Etats et de gouvernements n’avaient participé ensemble en s’associant à une manifestation citoyenne dans les rues d’une ville. C’est donc une première historique et c’est un soutien très fort qui a été manifesté à l’égard de la République française, du peuple français, de son mode de vie et de ses institutions. C’est un évènement encore jamais vu puisque, même après le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, il n’y avait pas eu l’équivalent, pas plus qu’après les attentats de Madrid en 2004 ou de Londres en 2005. Nous savons très bien qu’il y a peut-être des arrière-pensées chez les uns ou les autres. On a signalé que certains de ceux qui venaient manifester pour la liberté de la presse en faisait assez peu cas chez eux. Pourtant le problème n’est pas là. Lorsque les gens se sont manifestés pour venir, il était difficile, notamment dans la mesure où nous avons des relations diplomatiques avec tous ces pays, de dire qui méritait de venir et qui ne le méritait pas. Par ailleurs, il était important qu’il n’y ait pas que des chefs d’Etats Occidentaux mais également d’autres continents. Soyons donc conscients des ambigüités mais tout cela est fait dans l’émotion. Le critère de sélection entre les véritables défenseurs de la liberté, ceux qui ne le sont qu’à moitié et ceux qui ne le sont pas du tout aurait été difficile à tracer. Si on est réaliste, il est bien qu’il y ait eu le plus grand nombre possible. 

Après ces attaques sur notre sol, la réponse se trouve-t-elle dans un Patriot Act à la française, sur le modèle des lois anti-terroristes prises par l’administration Bush après le 11 septembre ? 

Je crois qu’il ne faut pas céder à l’émotion. On a déjà eu, depuis 1986, plus d’une dizaine de lois anti-terroristes en France. Nous venons de voter en novembre dernier une nouvelle loi anti-terroriste qui prévoit notamment l’interdiction de partir à l’étranger ou d’entrer sur le territoire en cas de soupçons avérés. Qu’il faille adapter la législation à l’état de la menace,
c’est certain. Mais nous savions auparavant qu’il y avait une menace, que cette menace terroriste est à la fois diffuse et permanente. Que l’on adapte la législation aux nouvelles technologies, évidemment. En 1986, il n’y avait pas les mêmes problématiques autour d’internet et nous devons nous adapter à cela. Mais ceux qui demandent un Patriot Act à la française devraient réfléchir au fait que celui-ci, entre autre, définissait la catégorie des combattant étrangers, des combattants illégaux et que cela a été l’antichambre de Guantanamo, dont on peut penser que cela a autant nourri le terrorisme que cela l’a combattu. Je crois donc qu’il ne faut surtout pas tomber dans la précipitation, faire des lois de circonstances, ni surtout tomber dans la surenchère démagogique. Si bien sûr il faut être patriote, ce n’est pas avec des Patriot Acts à la française que l’on résoudra le problème. Il faut peut-être réfléchir sur le long terme plutôt que de faire des coups de communication qui seront populaires car la population va être naturellement d’accord avec un durcissement de la législation, sans en connaitre l’état et l’impact actuel. Il ne faut pas recourir à un remède qui soit pire que le mal. Il faut être vigilant et plus encore que sur la législation, c’est sur le renseignement et la coordination dans ce domaine qu’il faut porter l’effort. Ce doit être la priorité des priorités. 

Peut-on parler ici d’un choc des civilisations ?
Il est très surprenant que certains utilisent cette formule, alors que pendant des années, même ceux qui n’avaient pas réellement lu le livre de Samuel Huntington s’élevaient contre cette théorie sans avoir vraiment compris ce que disait l’auteur lui-même. Si c’est une guerre de civilisation, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela voudrait dire que nous sommes en guerre contre l’Islam et que nous sommes en guerre contre les musulmans. Est-ce vraiment cela que l’on veut exprimer ? Les mots ont leur importance. Nous sommes en guerre contre des terroristes qui se révèlent être musulmans, nous ne sommes pas en guerre contre l’Islam. De même que comme ceux qui luttent contre le Ku Klux Klan ne sont pas en guerre contre la chrétienté, alors que le Ku Klux Klan se réclame de cette religion. De fait, le Ku Klux Klan n’est pas plus représentatif de la civilisation occidentale que ces terroristes ne le sont de la civilisation musulmane. Il faut faire attention aux mots, parce que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Cette phrase de Camus n’a jamais été aussi exacte qu’aujourd’hui.




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