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avril 07, 2015

LE JAPON est un pays vulnérable. (Réactualisé août 2016)

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


 


Quelles sont les menaces qui pèsent sur l’archipel nippon
Par quel réseau d’alliances cherche-t-il à se prémunir de ces dangers ? 
Comment adapte-t-il ses alliances et comment cherche-t-il à les faire évoluer ? 

De nombreuses interrogations qui révèlent des changements et des processus complexes et protéiformes dans la politique et la stratégie japonaises internationales. 

LE JAPON est un pays vulnérable. Manquant de l’essentiel de ses ressources énergétiques, il doit notamment importer quelque 100 % du pétrole vital pour son économie et sa population. Engoncé dans un territoire réduit de 377 944 km2 pour une population de 127 millions d’habitants, en 2014, soit une densité de 336 habitants au kilomètre carré, concentrée sur certains espaces notamment autour d’Osaka-Tokyo, il est fragile et peut être déstabilisé, voire détruit par des Etats étrangers ou des acteurs non-étatiques (terroristes, pirates...) d’autant plus qu’il doit protéger une Zone économique exclusive (ZEE) de plus de 4,4 millions de kilomètres carrés et s’étire sur 3 300 kilomètres de long, de la Russie au nord à Taïwan au sud, le long de la côte orientale de l’Asie (Chine et Corées). L’archipel nippon comporte 6 852 îles de plus de 100 m2, dont 430 sont habitées, rendant difficile le respect de leur souveraineté, alors que les menaces liées à l’environnement régional et international accroissent les défis auxquels il doit « naturellement » faire face. L’arrivée au pouvoir en décembre 2012 du Premier ministre conservateur Shinzo Abe issu du parti Libéral-démocrate (PLD) développant une politique étrangère dite de « pacifisme proactif » qui vise à affirmer la place du Japon sur la scène internationale quitte à réinterpréter la Constitution pacifiste de 1946 -, a conduit à vouloir mieux faire face à ces défis et répondre aux contraintes stratégiques, même si une telle volonté émergeait déjà avant la venue d’Abe aux commandes du pays. Comment le Japon aborde-t-il dans sa doctrine stratégique et sa politique de défense ces défis ? Quelles sont les menaces qui pèsent sur l’archipel nippon ? Par quel réseau d’alliances cherche-t-il à se prémunir de ces dangers ? Comment adapte-t-il ses alliances et comment cherche-t-il à les faire évoluer ? De nombreuses interrogations qui révèlent des changements et des processus complexes et protéiformes dans la politique et la stratégie japonaises internationales. Face aux défis multiples et aux rivaux régionaux aux comportements menaçants (1), le Japon a développé un système d’alliances et d’engagements d’intensité variable qu’il renforce avec constance (2). Il s’appuie aussi sur de nouveaux alliés et de nouvelles formes de coopération avec ceux-ci (3)


1. Défis, enjeux et rivalités régionales et internationales
Les objectifs stratégiques fondamentaux japonais sont au nombre de trois, comme l’explique une note de l’IFRI sur la question [1]. Il s’agit tout à la fois de « préserver la souveraineté japonaise et protéger son territoire et ses intérêts vitaux dans les régions entourant le Japon, ainsi que les lignes de communication maritimes », « parvenir à une croissance économique malgré de nombreuses pressions» (intérieures) – dans cette perspective l’intégration régionale est cruciale ; « maintenir l’ordre libéral international fondé sur une série de règles et de principes, incluant la liberté de navigation et le règlement pacifique des différends... ». A court et moyen termes, l’enjeu est de répondre à trois menaces distinctes : les deux principales portent d’une part sur la souveraineté sur les îles du sud-ouest de l’Archipel nippon îles Senkaku notamment. Elle est remise en cause par la Chine communiste qui les appelle Diaoyu. Son armée se développe à un rythme accéléré le budget de la défense chinois a crû de plus de 10 % en moyenne chaque année depuis 20 ans pour atteindre plus de 150 milliards de dollars, soit trois fois celui du Japon. D’autre part, pèse la menace des missiles balistiques nord-coréens, qui pourraient être dotés à un horizon qui semble se rapprocher d’ogives nucléaires. La troisième menace porte sur les lignes de communication maritimes si vitales pour l’Archipel nippon qui importe presque 100 % de ses besoins énergétiques notamment du Moyen-Orient. Or là encore, les revendications territoriales chinoises, quasi exclusives sur la mer de Chine méridionale, associées à l’expansion massive, notamment de la marine de guerre chinoise, s’appuyant aussi sur les différentes flottes de garde-côtes, quasi paramilitaires, ainsi que la volonté de s’appuyer sur un réseau de points d’appui (que certains qualifient de « collier de perles » des bases dans l’Océan Indien) auprès d’alliés, font peser une menace sur le commerce maritime du Japon mais aussi de nombreux pays de la région qui deviennent alliés ou partenaires potentiels de Tokyo. Dans ce contexte, protéger ces artères vitales en Asie du Sud-Est et dans l’Océan Indien, est impératif. Comme l’indique la East Asian Strategic Review 2013 (EASR) [2] « renforcer la posture de défense dans les îles du Sud-ouest de l’Archipel » et « répondre aux menaces de missiles balistiques » est essentiel et constitue l’un des grands objectifs des « Lignes directrices du Programme de défense nationale » de décembre 2010 (« National defense program guidelines » ou NDPG 2010) qui définissent les orientations de la défense japonaise et ont fait évoluer la politique de défense. Si face aux menaces régionales, le Japon modernise son armée, - comme le montre le commissionnement en mars 2015 du plus grand navire de guerre japonais depuis la Seconde guerre mondiale, le DDH138 Izumo, un porte-hélicoptères de 248 mètres de long -, et accroît le budget militaire - depuis l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe les dépenses de défense, en déclin depuis une décennie, ont été augmentées chaque année -, il pourrait aussi chercher à renouer les liens, notamment avec Pékin, mais aussi les améliorer avec Séoul avec lequel il a notamment un différend territorial portant sur l’îlot de Takeshima/Dokdo. Pour l’heure, les menaces ne pèsent pas que sur son environnement régional « immédiat ». Le terrorisme international, dont le Japon a été victime à plusieurs reprises avec l’élimination de ressortissants japonais (par exemple l’exécution de deux Japonais début 2015 par l’Etat islamique implanté en Syrie et en Irak et de trois touristes japonais tués dans l’attaque terroriste contre le musée du Bardo à Tunis en mars), et la piraterie, active notamment en Afrique de l’Ouest et de l’Est, et en Asie du Sud-Est, qui peut perturber le trafic maritime, pèsent sur les intérêts japonais, les mettant parfois en danger. Afin de se protéger, le Japon n’est pas en mesure de compter sur ses seules forces, compte tenu de ses vulnérabilités. Si l’alliance avec les Etats-Unis demeure l’épine dorsale de la défense de l’Archipel nippon, celui-ci cherche aussi à s’appuyer sur un réseau d’alliés ou de partenaires, complémentaires de la puissance militaire américaine. 


2. Le renforcement des alliances face aux défis
Entre le Japon et ses alliés et partenaires stratégiques, l’heure est à l’approfondissement des relations [3]. Le Japon est lié depuis 1960 par un traité de sécurité avec les Etats-Unis. Plus de 45 000 militaires américains sont présents dans l’Archipel nippon. Dans un contexte de tensions avec la Chine et sous la menace du programme balistique et nucléaire nord-coréen, l’administration de Shinzo Abe a autorisé mardi 1er juillet 2014 une réinterprétation de l’article 9 de la Constitution pacifiste japonaise – par lequel le Japon renonce à la guerre et à entretenir des forces armées permettant à l’Archipel, pour la première fois depuis la fin de la Seconde guerre mondiale en 1945, de venir en aide à un allié s’il est attaqué. Ce droit à l’autodéfense collective permettra à l’armée japonaise - créés en 1954 et comprenant quelque 240 000 hommes et appelées pour des raisons constitutionnelles forces d’autodéfense (FAD) - , d’intervenir pour la première fois sur des théâtres d’opérations extérieurs. C’est un changement majeur. Il reste à faire passer ces évolutions doctrinales en modifiant la législation sur les FAD. Ce sera chose faite en mai 2015 après l’accord qui est intervenu vendredi 20 mars 2015 entre le PLD de Shinzo Abe et son allié, le parti Komeito. Les deux partis se sont accordés pour étendre le champ des opérations menées par les FAD [4] : soutien aux forces militaires des pays qui sont engagés dans des activités qui contribuent à la paix et à la sécurité du Japon, soutien à la sécurité internationale et notamment aux opérations de maintien de la paix, mesures d’autodéfense permises par l’article 9 de la Constitution japonaise. Ainsi Tokyo pourra par exemple défendre un navire américain s’il est attaqué par un pays tiers dans les eaux proches du Japon, avec le risque d’une attaque imminente contre le Japon, ou pour intercepter un missile balistique nord-coréen quand il est détecté et se dirige vers un territoire américain, et vole au-dessus du Japon et que son interception est demandée par les Etats-Unis. Ces derniers, avec lesquels le Japon est lié par un traité de sécurité datant de 1960 et par la présence de plus de 45 000 militaires américains dans l’Archipel nippon, sont un allié clé. 


L’alliance vitale avec les Etats-Unis
La coopération bilatérale prend plusieurs formes, dont des exercices conjoints communs qui peuvent d’ailleurs impliquer d’autres alliés. Ils visent à accroître la capacité des deux armées à agir ensemble. [5] Ils couvrent tous les champs d’intervention, y compris le domaine amphibie où Tokyo souhaite acquérir des capacités pour défendre ses îles lointaines. Ils s’appuient sur le rapprochement physique qui a eu lieu il y a près de deux ans entre les commandements japonais et américains au Japon. La collaboration porte aussi sur les matériels militaires déployés par les deux pays: avions-hélicoptères MV-22 Osprey, chasseurs furtifs F-35, systèmes antimissiles balistiques, etc... Dans ce contexte, les Etats- Unis et le Japon ont formellement entériné, [6] le 3 octobre 2013, la révision de l’actuelle politique de coopération nippo-américaine en matière de défense. Les « lignes directrices de la coopération bilatérale en matière de défense » n’ont pas été révisées depuis 1997 ! Il est notamment prévu de réinstaller 9 000 US Marines de l’île d’Okinawa sur la grande base américaine de Guam et dans les îles Mariannes. Le Japon et les États-Unis ont publié mercredi 8 octobre 2014 un rapport intérimaire [7] sur la révision de leurs lignes directrices de la coopération bilatérale. Il indique que la coopération militaire ne sera pas limitée par la géographie, ce qui est un changement majeur par rapport à 1997, et qu’elle mettra l’accent sur la « nature globale » de l’alliance nippo-américaine. Il énumère 12 mesures visant à assurer de façon transparente et fluide la paix et la sécurité du Japon, dont « la défense aérienne et antimissile », « la sécurité maritime » et « les opérations d’évacuation de non- combattants [8]. ». Le rapport souligne par ailleurs la nécessité de promouvoir la coopération de défense multilatérale. 


Relations renforcées avec d’autres alliés majeurs
La coopération avec les autres pays de la région Asie-Pacifique a aussi une grande importance notamment dans le cadre des NDPG 2010, réactualisées en 2013 (NDPG 2013 [9]). Géographiquement le plus proche du Japon, Séoul est aussi en première ligne face à Pyongyang. Malgré des tensions récurrentes, notamment en raison des exactions commises par l’armée japonaise en Corée pendant la Seconde guerre mondiale, le Japon et la Corée du Sud, connaissent un rapprochement sécuritaire et militaire. Les deux pays disposent d’une marine assez similaire par la taille et le type de navires en service. Des exercices entre leurs marines, et aussi avec celle des Etats-Unis, ont lieu périodiquement. Plus éloignés géographiquement, l’Australie et le Japon se disent concernés par la montée en puissance chinoise, par la nécessité de garantir la liberté de navigation et la sécurité de la région Pacifique. Des exercices tripartites entre les Etats-Unis, le Japon et l’Australie sont organisés comme du 27 janvier au 12 mars 2015 l’exercice Cope North Guam [10], sur l’île stratégique de Guam. Tokyo souhaite accroître ses capacités à interopérer et à projeter ses forces terrestres. La collaboration pourrait devenir encore plus évidente en cas de transfert de technologie sous-marine japonaise des sous-marins de la classe Soryu pour remplacer douze de la classe Collins, un contrat de 35 milliards d’euros. Pour les Australiens, le choix japonais fournirait l’assurance de bénéficier d’une technologie de pointe, notamment furtive Plus au nord, l’Inde et le Japon développent, depuis l’an 2000, un partenariat stratégique global [11]. En effet, les deux pays partagent des valeurs fondamentales et ont des intérêts communs pour la paix, la sécurité et la prospérité en Asie et dans le Monde. Pour le Japon, dont l’économie est étroitement dépendante du trafic maritime, l’Inde occupe une place particulièrement stratégique car ce sous-continent est situé au centre des lignes de communication reliant l’Archipel nippon au Moyen-Orient et à l’Afrique. Le Japon et l’Inde ont en conséquence renforcé leur coopération sécuritaire. En 2007, le Japon participe à l’exercice Malabar qui est « délocalisé » au large d’Okinawa et réunit les marines américaine, australienne, indienne, singapourienne, et japonaise. En 2012, un premier exercice réunit conjointement les deux marines japonaise et indienne dans la baie de Sagami au large du Japon. Le Japon a proposé de vendre à son partenaire indien du matériel militaire, notamment des hydravions US-2 dotés d’une très grande autonomie et capables de mener des opérations de recherche et de sauvetage. La vente pourrait être conclue prochainement. L’Inde a aussi marqué son intention de coopérer avec le Japon pour la construction de sous-marins [12]. Hors d’Asie-Pacifique, le principal partenaire stratégique sur le plan sécuritaire est l’Union européenne et en son sein la France et le Royaume-Uni. 



L’UE partenaire stratégique
Du 29 avril au 7 mai 2014, le premier ministre japonais Shinzo Abe, a effectué un tour d’Europe de se rendant successivement en Allemagne, en Angleterre, au Portugal, en Espagne, en France, et en Belgique.

L’objectif de cette visite était double : il s’agissait d’approfondir les liens économiques et sécuritaires avec l’Union européenne, en particulier avec certains Etats dont la France. L’UE et les grands pays européens ont développé des positions communes sur des sujets comme la lutte antiterroriste, ou le dossier du conflit russo- ukrainien, appelant à son règlement pacifique. La visite du président de la République François Hollande au Japon en juin 2013 a donné un nouvel élan à ce « partenariat d’exception » entre le Japon et la France. Elle a par ailleurs développé des partenariats spécifiques avec certains Etats. Tokyo a déjà signé un accord avec Londres sur des tenues NBC (nucléaire, bactériologique, chimique) dans le cadre d’un partenariat stratégique avec le Royaume-Uni. Lors de sa venue à Londres, le 1er mai 2014, Abe et le premier ministre britannique David Cameron ont convenu de « stimuler la coopération anglo-japonaise en matière de sécurité ». Un tel partenariat stratégique existe aussi avec la France et la relation bilatérale ne cesse de s’accroître. « Depuis le 150ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et le Japon en 2008, le dialogue stratégique franco- japonais a été rehaussé au niveau ministériel en janvier 2012 », souligne le Quai d’Orsay. La visite du président de la République François Hollande au Japon en juin 2013 a donné un nouvel élan à ce «partenariat d’exception». Une réunion des ministres des affaires étrangères et de la défense des deux pays s’est tenue le 9 janvier 2014 à Paris a souligné l’importance de la coopération entre la France et le Japon notamment au regard des nouvelles NDPG. Les quatre ministres avaient exprimé leurs points de convergence sur de nombreux dossiers comme « sur la situation dans la Corne de l’Afrique, la lutte contre la piraterie maritime, ainsi que, sur un plan plus général, la lutte contre le terrorisme ». Lors de cette même rencontre, le ministre de la défense français Jean-Yves Le Drian avait annoncé la création de deux instances (forums) de dialogue France-Japon, l’une sur la coopération dans le domaine de la recherche sur les nanotechnologies, la robotique et la cyber-défense, l’autre sur la coopération industrielle (hélicoptères de nouvelle génération, drones sous-marins, propulsion sous-marine). L’objectif étant de parvenir d’ici à un an à un accord, ce qui fut fait (voir supra). Hormis avec ces alliés privilégiés, le Japon établit des relations sécuritaires de moindre importance avec l’Asie du Sud-Est. 


L’Asie du Sud-Est : des liens protéiformes
Les pays de l’ASEAN partagent les craintes japonaises vis-à-vis de la Chine. L’intérêt est ici moins militaire que sécuritaire, les pays de l’ASEAN ne disposent pas de forces armées puissantes mais sont confrontés à une piraterie active qui peut aussi représenter une menace pour l’économie japonaise. De plus, le Japon ambitionne d’accroître ses liens économiques et son influence dans la région, notamment face au poids croissant de Pékin. Le Japon participe ainsi aux sommets élargis ASEAN Defence Ministers Meeting Plus ou ADMM + depuis sa création en 2010. Outre ces rencontres multilatérales, Tokyo entend favoriser l’établissement de relations bilatérales. Le Vietnam est particulièrement préoccupé par la politique jugée agressive de la Chine notamment à l’encontre des îles Spratleys et Paracels. Le Japon a transféré six navires au Vietnam pour « stimuler sa capacité de sécurité maritime » et mis en place en mars 2014 « un partenariat stratégique étendu [13] », insistant sur la nécessite d’ « assurer la paix, la stabilité et le développement dans la région, incluant la sécurité et la sûreté et la liberté de navigation et de vol fondée sur la loi internationale ». Sur le plan sécuritaire, les secteurs du déminage, la formation du personnel et les techniques militaires devraient faire l’objet d’une coopération bilatérale. Tokyo a pu s’engager à transférer 10 patrouilleurs maritimes des garde-côtes à la marine des Philippines au titre de la lutte anti- piraterie[14]. Les Philippines, notamment du fait des différends territoriaux (récif de Scarborough) avec la Chine, sont un partenaire à l’importance croissante pour Tokyo. Le typhon Haiyan, qui a dévasté en novembre 2013 l’archipel philippin, a été l’occasion pour le Japon de démontrer à la fois le caractère pacifique de l’accroissement de sa marine et d’afficher une image positive sur la scène internationale tout en s’affirmant comme un acteur régional majeur en appuyant sa diplomatie [15]. Les FAD ont déployé 1 200 soldats environ [16], trois navires de guerre, dix avions et six hélicoptères lors de ce qui a été la plus grande opération de l’armée japonaise à l’étranger depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Le Japon renforce également sa coopération avec le Laos avec lequel les relations ont été élevées en mars 2015 au niveau de partenariat stratégique, de même qu’avec l’Indonésie. La coopération sécuritaire se renforce aussi avec le Cambodge. Les partenariats stratégiques du Japon reposent également sur les exercices bilatéraux ou multilatéraux permettant d’accroître la capacité à interopérer des armées mais également à développer des liens et une confiance réciproque. En 2012 L’exercice Kakadu a permis d’accroître la capacité à interopérer entre les différentes marines de la région et les Forces d’autodéfense (FAD) maritimes japonaises. Les escales de bâtiments japonais dans ces pays se multiplient. Le 20 septembre 2013 à Yokosuka, les marines de cinq pays (Australie, Corée du Sud, Etats-Unis, Japon et Singapour) ont participé à la 6e édition de l’exercice de sauvetage sous-marin Paficic Reach 2013. L’Inde, la Thaïlande et le Vietnam étaient également présents à titre d’observateurs [17]. Le Japon participe aussi aux exercices navals RIMPAC RIM of the Pacific ») qui sont également le meilleur exemple d’entraînement mettant en commun des marines de très nombreux pays d’Asie-Pacifique sous l’égide des Etats-Unis. Ainsi, la politique de développement de partenariats stratégiques que mène le Japon semble passer, non par un système d’alliances classiques, mais par un ensemble complexe à engagements variables et multiples face à ses rivaux. 



3. Nouvelles aires et nouvelles formes de relations
Le Japon investit aussi de nouvelles régions du monde. L’Afrique est une priorité récente. Shinzo Abe a effectué du 9 au 13 janvier une tournée africaine qui l’a amené en Côte d’Ivoire, Mozambique et en Ethiopie, au moment même où le ministre des Affaires étrangères chinois se rendait sur le continent noir. Il s’agissait de la première tournée africaine d’un chef de gouvernement japonais depuis huit ans. Tokyo a mis l’accent officiellement sur l’économie pour expliquer l’objectif de cette visite « historique ». Une des principales raisons est la découverte d’un des plus grands gisements de gaz au monde dans ce pays d’Afrique du sud- est. 

Par rapport à la Chine, le Japon accuse en Afrique un retard économique sérieux.
En mettant davantage l’accent sur l’Afrique, estime le New York Times, « M. Abe lance le Japon dans une lutte pour les ressources là-bas (...). Le Japon est particulièrement désireux de trouver de nouvelles sources de métaux dits de « terres rares », matières premières utilisées dans l’électronique et les téléphones portables qu’il importe actuellement principalement de la Chine [18] ». L’intérêt est donc stratégique : réduire la dépendance envers un voisin chinois qui apparaît comme de plus en plus menaçant... Par rapport à la Chine, le Japon accuse en Afrique un retard économique sérieux. Malgré des relations anciennes avec l’Afrique, le Japon ne représente que 2,7% des échanges commerciaux de ce continent, contre 13,5% pour la Chine, selon l’OCDE. Plusieurs éléments suggèrent également une ambition stratégique derrière le discours économique. Le Japon peut aussi chercher à courtiser les votes des pays africains afin qu’ils appuient sa volonté de devenir membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Par ailleurs, la présence japonaise stratégique est ancienne, notamment celle des FAD avec les opérations de maintien de la paix. Ainsi, les FAD terrestres ont déployé des hommes dans le cadre d’une mission de l’ONU au Mozambique en 1993 après la fin de la guerre civile. Des personnels militaires et civils japonais sont également déployés au Sud-Soudan [19], afin de soutenir la construction du jeune Etat en grave crise. La présence militaire japonaise s’est renforcée avec la création d’une base militaire à Djibouti. La base a été ouverte officiellement en juillet 2011 et abrite 600 hommes. Elle a pour mission de participer à la lutte contre la piraterie internationale au large du golfe d’Aden. C’est la première base japonaise à l’étranger depuis 1945. C’est aussi un moyen de tester les déploiements de forces d’autodéfense et d’entraîner sa marine puisque des destroyers japonais patrouillent dans les eaux troublées de la région, en coopération avec d’autres forces internationales, notamment françaises avec lesquelles elles effectuent des exercices. Tokyo a donc clairement fait de l’Afrique une priorité stratégique qui va au-delà de la seule défense et promotion de ses intérêts économiques. 

L’Amérique latine, nouvel enjeu ?
Shinzo Abe a effectué fin juillet 2014 une tournée de onze jours, à travers cinq pays sur le continent sud-américain. Le Japon cherche à mieux s’implanter sur ce marché où la Chine a déjà beaucoup investi. Les échanges avec l’Amérique latine ne pèsent que 5 % de ses exportations et moins de 4 % de ses importations, l’essentiel étant des matières premières et des produits agroalimentaires. Des enjeux diplomatiques ont motivé également cette tournée. Tokyo vise ainsi un siège non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU pour 2016, et veut s’appuyer sur des grand pays émergents comme le Brésil pour parvenir à ses fins. "L’Amérique Latine a une grande présence sur la scène internationale et est un partenaire indispensable dans ma vision diplomatique", a affirmé M. Abe. Hormis ces nouveaux partenaires du Japon, ce sont aussi de nouvelles formes de coopération qui se développent. 

Elargissement des formes de sa coopération internationale
Une plus grande coopération en matière de défense est facilitée par l’assouplissement le 1er avril 2014 par l’administration japonaise des règles d’exportation d’armements japonais à l’étranger. A l’origine, un embargo, en place depuis 1967, empêchait le Japon de vendre des armes aux pays communistes, aux pays impliqués dans des conflits internationaux, et aux pays soumis à un embargo par une résolution des Nations Unies. Ces trois principes ont été transformés en une interdiction générale en 1976. L’embargo a été assoupli en 2011 pour permettre au Japon de s’engager dans le développement et la production d’armes avec les États-Unis, notamment dans le cadre de la défense antimissile. En avril 2014, les principes ont donc été entièrement supprimés et remplacés par un embargo sur les exportations d’armes vers les pays en conflit et des exportations qui seraient en violation des résolutions de l’ONU. Ces nouvelles règles autorisent le développement et la production d’armes en partenariat avec les Etats-Unis et d’autres pays, et l’exportation d’équipements militaires à des fins pacifiques et humanitaires, comme dans le cas de missions de maintien de la paix de l’ONU. A la suite de cela, début juillet 2014, deux accords de coopération industrielle militaire ont été annoncés. Dans le cadre de la coopération avec la Grande-Bretagne, il s’agit de co- développement dans le cadre du programme de missile Meteor développé par le fabricant de missiles Matra BAe Dynamics Alenia (MBDA) ainsi que d’autres entreprises européennes, et qui pourrait être utilisé sur le F-35. Dans le second cas, avec les Etats-Unis, il s’agit de l’exportation par Mitsubishi Heavy Industries (MHI) de capteurs destinés à être utilisés dans le système de missiles de défense PAC-2 (Patriot Advanced Capability-2) qui doit être vendu ultérieurement au Qatar. Par ailleurs, lors de la visite, le 13 mars 2015 à Tokyo, du ministre de la défense français, Jean-Yves Le Drian et du ministre des affaires étrangères français Laurent Fabius, le Japon et la France ont signé [20] un accord intergouvernemental sur la recherche et le développement d’équipements de défense communs pour renforcer la coopération technologique entre les deux pays dans quatre domaines : sonar, submersibles inhabités, robots et cyberdéfense. Les partenariats industriels sont donc protéiformes et leur champ s’étend à mesure que le Japon se libère des carcans du passé. 


Conclusion
L’affirmation du Japon sur la scène régionale et internationale dans le cadre de sa politique de « pacifisme proactif » dans un contexte de vives tensions régionales et mondiales passe par la mise en place d’un ensemble d’alliances et l’ouverture et le développement de liens vers de nouvelles aires géographiques correspondant aux intérêts géopolitiques du Japon. Elle se traduit aussi par des évolutions de la législation japonaise pour favoriser le soutien aux alliés et la coopération stratégique et technologique avec eux faisant sortir le Japon de son pacifisme traditionnel. Ceci n’exclut pas les tentatives de règlement pacifique des différends. Ainsi, jeudi 19 mars 2015, des discussions en matière de sécurité ont eu lieu avec Pékin, les premières depuis quatre ans. Et samedi 21 mars 2015, les ministres des Affaires étrangères de la Corée du Sud, de la Chine et du Japon se réunissaient à Séoul pour la première fois en près de trois ans dans le but de rétablir la coopération entre les trois puissances. Cette première trilatérale depuis avril 2012 visait à réparer les liens pour le moins tendus entre le Japon d’une part et les deux autres pays d’autre part. Mais la position chinoise, et notamment celle du président Xi Jinping, dépendra aussi beaucoup de la façon dont Shinzo Abe s’exprimera sur l’anniversaire des 70 ans de la fin de la Seconde guerre mondiale, sujet particulièrement sensible, alors que Xi Jinping a récemment renommé l’anniversaire de la guerre journée de « la victoire contre le Japon ». Or, d’une part, Shinzo Abe s’abstiendra probablement d’assister au défilé militaire organisé par la Chine pour le 70e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale, a rapporté mercredi 25 mars 2015 le Yomiuri Shimbun. D’autre part, selon le quotidien, il devrait s’en tenir aux excuses présentées par ses prédécesseurs. Les tensions ne sont pas réglées... 




Le Japon dans son environnement géostratégique
Source, journal ou site Internet : Diploweb
Date : 6 avril 2015
Auteur : Edouard Pflimlin* Louis-Arthur Borer ** 

*Journaliste au Monde. Il est aussi chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
**Junior Fellow à Asia Centre, chercheur associé à l’institut prospective sécurité en Europe (IPSE).


[1] Ryo Sahashi, “Security partnerships in Japan’s Asia Strategy. Creating order, building capacity and sharing burden », Institut français des relations internationales, février 2013
[2] « Japan : examining the dynamic defense force (Chapter 3)” in East Asian strategic Review 2013, The National Institute for Defense Studies, 2013, Tokyo
[3] Lire notamment : Edouard Pflimlin et Yann Rozec, « Le Japon tisse un réseau de partenariats stratégiques et renforce son alliance avec les Etats-Unis », p. 99 et s., Monde Chinois. Nouvelle Asie, n°36, 2013
[4] "Coalition reaches deal on security laws / LDP, Komeito aim to submit bills in May", The Yomiuri Shimbun, 19 mars 2011, the-japan-news.com/news/article/0002017748
[5] Wyatt Olson, “US, Japan forces train together at Lewis-McChord”, Stars and stripes, 18 septembre 2013
[6] Jennifer Steinhauer, “Japan and US agree to broaden military alliance”, The New York Times, 3 octobre 2013
[7] Lire le rapport (en anglais) « The Interim Report on the Revision of the Guidelines for Japan-U.S. Defense Cooperation », mofa.go.jp/files/000055169.pdf
[8] "Guidelines to boost seamless Japan, U.S. ties", The Yomiuri Shimbun, 8 octobre 2014, the-japan-news.com/news/article/0001627769
[9] mod.go.jp/j/approach/agenda/guideline/2014/pdf/20131217_e2.pdf
[10] mod.go.jp/e/jdf/no62/activities.html
[11] Lire par exemple : Edouard Pflimlin, "Face à la Chine, le partenariat stratégique Inde- Japon ne cesse de se renforcer", Affaires stratégiques, IRIS, 10 février 2012 iris- france.org/face-a-la-chine-le-partenariat-strategique-inde-japon-ne-cesse-de-se-renforcer/
[12] Mina Pollmann, "Japan and India’s Warming Defense Ties", The Diplomat, 4 mars 2015, thediplomat.com/2015/03/japan-and-indias-warming-defense-ties/
[13] thediplomat.com/2014/10/vietnams-extensive-strategic-partnership-with-japan/
[14] japandailypress.com/japan-to-fast-track-coast-guard-vessels-donation-to-the-philippines- 2129252/
[15] Hideshi Futori, « Japan’s disaster relief diplomacy : fostering military cooperation in Asia », Asia Pacific Bulletin, number 213, 13 mai 2013, East-West Center, Washington,
[16] The Asahi Shimbum, 14 novembre /ajw.asahi.com/article/behind_news/politics/AJ201311140073
[17] Asagumo, 19 septembre 2013.
[18] http://www.nytimes.com/2014/01/14/w...
[19] Lire dans le Livre Blanc de la Défense Japonais mod.go.jp/e/publ/w_paper/pdf/2013/40_Part3_Chapter2_Sec4.pdf
[20] the-japan-news.com/news/article/0001999297 





Géopolitique du Japon : un collapsus démographique programmé


Voici la démonstration que la démographie doit être prise en compte dans une analyse géopolitique, avec le cas du Japon. En effet, le vieillissement de sa population pèse déjà sur sa situation économique et obère ses perspectives de puissance.
Dans le cadre du partenariat entre le Diploweb.com et la collection Major série Géopolitique des Presses Universitaires de France, nous sommes heureux de vous présenter un extrait d’un ouvrage de Jean-Marie Bouissou, "Géopolitique du Japon. Une île face au monde", Presses Universitaires de France, pp. 138-143.
LES HOMMES ont fait la force du Japon pendant plus d’un siècle après sa réouverture [voir chapitre 1, II, 2]. Aujourd’hui, selon les prévisions officielles dites « intermédiaires » (fondées sur un taux de fécondité moyen de 1,35), sa population, qui a culminé à 128 millions d’habitants en 2010, sera réduite à 87 millions en 2060. On peut s’étonner que le World Economic Forum, quand il estime la compétitivité du Japon, ne semble nullement prendre en compte ce collapsus démographique annoncé.

La prospérité, Confucius et la crise expliquent l’effondrement de la natalité

Comme partout, la natalité a décliné au Japon avec l’accroissement du niveau de vie et de la mobilité sociale, le changement des valeurs et le retard de l’âge du mariage par les jeunes désireux d’en profiter. L’Archipel y ajoutait l’exiguïté et la cherté des logements, le coût très élevé de l’éducation et la faiblesse des aides aux familles. La liberté complète de l’avortement, bon marché et nullement stigmatisé, permet de bien contrôler les naissances. Le taux de fécondité est ainsi tombé sous le seuil de remplacement (2,1 enfants par femme) en 1975. Il a fait de même en France la même année, mais il est toujours resté supérieur à 1,6, puis est remonté autour du seuil de remplacement depuis 2006. Dans l’Archipel, il est tombé sous 1,5 en 1991, puis sous 1,3 en 2005 (1,4 en 2013).
La crise aggrave la situation. Au Japon, traditionnellement, un homme ne se marie pas avant d’avoir un emploi stable. De ce fait, plus de la moitié des moins de 30 ans ne sauraient l’envisager aujourd’hui. Or seulement 2 % des enfants naissent hors mariage (France : 52 %). En outre, les couples mariés hésitent, car ils ont de plus en plus souvent besoin de deux salaires. Or, comme la société tend encore à considérer que la fonction de la femme est celle définie par Confucius – « bonne épouse et mère avisée » (ryôsai kenbo) –, nombre d’entreprises continuent à pousser les nouvelles mamans vers la porte. Par la suite, l’éducation de l’enfant, outre son coût, exige de la mère une implication souvent peu compatible avec un emploi régulier. Dans ces conditions, nombre de couples attendent d’hypothétiques jours meilleurs, et les jeunes Japonais sont les moins décidés du monde à fonder un foyer (26 % contre 47 % en France) et à procréer (37 % contre 58 %).

L’entretien des seniors écrasera peu à peu une force de travail grisonnante

Alors que la natalité s’effondrait, la longévité n’a cessé de croître. Elle atteint désormais 84,2 ans pour les deux sexes confondus (France : 81,5) ; seul Monaco fait mieux ! Le Japon vieillit plus rapidement que n’importe quel pays dans l’histoire : il n’a fallu que 36 ans pour que la part des plus de 65 ans dans sa population passe de 7 à 20 % (1970-2006), contre plus d’un siècle et demi pour la France, qui n’y est pas encore (1864-2020). Au beau temps du « miracle » d’après-guerre, 30 % des Japonais avaient moins de 15 ans, 64 % étaient dans ce que les statistiques considèrent comme « l’âge actif » (15-64 ans), et seulement 6 % avaient plus de 60 ans. Quand la population a culminé en 2010, les proportions étaient de 13-64-23. En 2035, elles seront de 10-56,5-33,5. En 2060, elles pourraient être de 9-51-40 !
Cette année-là, compte tenu de l’âge réel du début de la vie professionnelle, seulement 45 % des Japonais devraient être au travail pour pourvoir à l’entretien des autres. En outre, cette population active ne cessera elle-même de vieillir : en 2000, les 50-64 ans en représentaient 36 %, et ils seront 45 % dès 2035. Ces actifs seront donc moins productifs, moins créatifs, moins adaptables aux progrès de la technologie, et probablement moins motivés car écrasés d’impôts et de prélèvements sociaux pour entretenir chacun plus d’un actif. Cette perspective paraît si sombre pour la compétitivité du Japon que le Keidanren, qui y est intéressé au premier chef, préconise ouvertement que « l’aide à la fin de vie choisie » (suspension des soins et assistance au suicide) soit rendue aussi légale et facile d’accès qu’aujourd’hui l’avortement, qui devrait inversement être rendu moins simple.


Carte. Le Monde du Japon aujourd’hui
Carte extraite de Jean-Marie Bouissou, "Géopolitique du Japon. Une île face au monde", Presses Universitaires de France, 2014.

Quels sont les effets prévisibles du collapsus démographique ?

Cet effondrement semble augurer le pire pour l’économie et la compétitivité du Japon : baisse automatique de la croissance potentielle en même temps que celle de la population active, qui est l’un des éléments pris en compte pour la calculer ; diminution de l’épargne et de la consommation, donc de l’investissement ; pénurie et renchérissement d’une main-d’œuvre dont la qualité diminuera avec l’âge. Les dépenses de santé et de retraite, qui absorbaient 42 % des dépenses de l’État hors service de la dette en 2014, iront en augmentant sans cesse, réduisant d’autant les moyens de l’action publique dans les autres domaines.
Ces dépenses seront sanctuarisées par le poids politique des plus de 65 ans. Ceux-ci représentent déjà près de 30 % du corps électoral ; ils seront presque 40 % en 2035, et 46 % en 2060 – alors qu’au Japon, la participation électorale est minimale chez les jeunes et augmente avec l’âge. On peut attendre de ce corps électoral chenu une résistance croissante aux changements de toute nature, ainsi qu’un repli frileux sur soi accompagné d’un sentiment de déclin. Ce repli nourrira le nationalisme mais diminuera l’envie de risquer des affrontements – pour lesquels les forces armées pourraient d’ailleurs manquer de ressources financières et humaines. La frustration croîtra en conséquence.
Les fractures générationnelles pourraient se creuser. Les jeunes seraient démoralisés ou enragés de vivre dans un hospice géant dont les pensionnaires accapareront les ressources communes. La population au travail s’échinerait à entretenir les uns et les autres, avec pour seule perspective de vieillir en ayant toujours ses parents à charge, dont un ou deux millions seront centenaires, tout en doutant que ses propres enfants puissent (ou veuillent) en faire autant pour elle. Les plus décidés des jeunes et des actifs pourraient préférer l’expatriation, aggravant encore le collapsus démographique.
Le pire n’étant jamais sûr, certains envisagent des évolutions plus positives. Au plan économique et technologique, le développement de nouveaux secteurs dans lequel le Japon se retrouvera en pointe : medtronique, biotechnologies et génétique curatives et réparatrices ; domotique centrée sur l’adaptation de la maison et de la ville aux personnes âgées ; technologies permettant le maintien des seniors au travail ; etc. Le Japon acquerra ainsi une spécialisation dont beaucoup de grands pays, vieillissant à leur tour, auront besoin après lui. Les actifs, plus rares, jouiront de meilleures rémunérations et de perspectives professionnelles plus larges. La jeunesse sera choyée ; elle profitera d’une éducation meilleure et plus ouverte sur le monde, grâce à la concurrence entre universités pour attirer une clientèle devenue plus rare, et qui devront s’ouvrir plus au monde pour pallier le manque d’étudiants et d’enseignants. Enfin, les seniors, qui détiennent l’essentiel du patrimoine, devraient avoir à cœur d’en transférer une partie vers leurs enfants et petits-enfants, ce qui renforcerait la solidarité intergénérationnelle.

La relance de la natalité n’est pas vraiment à l’ordre du jour et produirait peu d’effet

Le premier remède semblerait devoir être une politique nataliste. Toutefois, les Japonais paraissent considérer la fertilité comme un phénomène naturel, auquel des mesures artificielles ne peuvent donc pas grand-chose. Les autorités multiplient celles qui ne coûtent rien. Elles encouragent les pères à prendre leur part du labeur que donnent les enfants ; mais moins de 5 % prennent les congés de paternité créés à cet effet. Elles invitent les entreprises à aménager le travail des jeunes mamans au lieu de les pousser dehors, mais sans prévoir aucune sanction. La promesse de crèches en nombre suffisant est rituellement réitérée d’année en année. Mais de moyens financiers, guère. Les allocations familiales ne dépassent pas 15 000 yens par mois et par enfant jusqu’à 15 ans. Aucun abattement fiscal pour enfant à charge n’est accordé tant qu’elles sont versées ; il est ensuite de 710 000 yen par an quel que soit le revenu, mais pour un parent à charge c’est plus d’un million. La sécurité sociale ne consacre que 7 % de son budget à la petite enfance. Elle ne prend pas en charge la grossesse et l’accouchement, au motif qu’il ne s’agit pas d’une pathologie, alors qu’accoucher à Tôkyô coûte un bon million de yens100, soit quatre mois de salaire moyen. Avec la crise, l’obstacle financier est insurmontable pour les couples mal installés dans la vie.
Au demeurant, que l’État agisse ou pas, les jeux sont déjà faits pour longtemps, car le nombre de femmes en âge d’enfanter diminue d’année en année, à mesure qu’y arrivent des cohortes de plus en plus creuses. Même si la natalité commence à remonter – ce qui ne semble être ni pour demain, ni pour après-demain – il en sera inéluctablement ainsi pendant encore 30 ans (âge moyen du premier accouchement au Japon). En outre, le célibat progresse très rapidement : jusqu’aux années 1990, la quasi-totalité des Japonais se mariaient, mais un quart ou plus de ceux qui sont nés depuis pourraient ne pas le faire faute d’emploi stable, et donc ne feront pas d’enfants, ou très peu. Car au Japon, pas de mariage, pas d’enfant.

Le rêve d’une immigration totalement choisie et contrôlée

L’immigration semble donc être la seule solution, d’autant plus que les populations immigrées sont traditionnellement prolifiques. La Corée, où le taux de fécondité a dégringolé jusqu’à 1,1, s’y est résolue : la population étrangère y est passée de 400 000 à 1,5 million depuis le tournant du siècle. Au Japon, l’ONU a estimé en 2009 que pour maintenir la population active à son niveau actuel d’ici 2050, il faudrait intégrer 600 000 nouveaux immigrants par an, ce qui porterait le pourcentage de la population étrangère à plus de 25 % – une perspective impensable. Les autorités japonaises entendent plutôt augmenter le nombre de femmes qui travaillent, laisser les seniors au labeur jusqu’après 65 ans et multiplier les robots. Elles ne chiffrent donc les besoins qu’à 90 000 immigrés par an. Mais même ce chiffre implique une rupture avec le principe d’immigration zéro qui a jusqu’ici tenu lieu de politique en la matière.
Nous avons vu que le Japon a été une terre d’immigration jusqu’aux vies siècle de notre ère, et comment le mythe de la pureté ethnique s’y est ensuite imposé. Ce mythe n’a pourtant pas empêché les zaibatsu nippons d’importer dans l’Archipel un grand nombre de travailleurs coréens bon marché tout au long des années 1920-1930, avant même que le Japon instaure l’équivalent du service du travail obligatoire imposé en Europe par Hitler. La fermeture à l’immigration date de 1951, quand la guerre en Corée a fait craindre un afflux de réfugiés qui rejoindraient leurs compatriotes déjà sur place, auxquels les autorités d’occupation avaient accordé le droit de résidence permanent pour eux et leurs descendants. Mais cette fermeture a bientôt eu aussi pour objectif inavoué de maintenir une tension du marché du travail qui servait la stratégie politique du PLD. Les plaintes répétées du patronat se sont vu opposer le dogme de la « nation qui tire sa force de sa pureté ethnique », faisant de l’immigration un véritable tabou politique. Jusqu’aux années 1990, outre les cadres expatriés, les étrangers n’étaient autorisés à travailler dans l’archipel qu’à des emplois que des Japonais étaient censés ne pas pouvoir occuper (essentiellement enseignants, cuisiniers, boulangers et prêtres, pour les Français, ou femmes de ménage et « artistes » pour les Philippines). La seule communauté de quelque importance était celle que formaient environ un million de Coréens, dont le Japon ne pouvait pas se débarrasser comme il l’aurait souhaité.
La porte s’est pourtant entrouverte à partir des années 1980, parce que « l’internationalisation » était un mot d’ordre officiel [voir chapitre 6, II, 2] et que les jeunes Japonais n’acceptaient plus les emplois dits « 3K » (kitanai, kitsui, kiken  : sales, pénibles et dangereux). Depuis 1990, tous les descendants de Japonais (nikkeijin) dans le monde ont le droit de venir résider en permanence pour travailler dans l’Archipel, ce qui a permis aux usines et aux chantiers nippons d’embaucher quelque 300 000 Brésiliens sans porter atteinte au mythe national de la pureté ethnique. Depuis 1993, au nom de l’aide au développement, les entreprises japonaises d’une soixantaine de secteurs d’activité peuvent aussi « former » des « stagiaires » venus d’Asie (surtout Chine, Indonésie, Vietnam, Philippines et Thaïlande) pour trois années au plus. Nombre d’entre eux se retrouvent aux travaux 3K ou aux caisses des supérettes, et ceux qui n’y donnent pas toute satisfaction sont renvoyés chez eux au bout de la première année. Cette main-d’œuvre sous contrôle et bon marché est très prisée des entreprises, qui se disputent le contingent annuel réparti entre elles par le ministère du Travail. Les effectifs de ces « stagiaires » (environ 90 000 par an) correspondent aux besoins globaux estimés plus haut par les autorités. L’organisation des Jeux olympiques de 2020 sera l’occasion – sinon le prétexte – d’ouvrir plus largement la porte tout en conservant l’alibi de l’aide au développement : la durée des « stages de formation » devrait être portée à six ans, et les quotas revus à la hausse pour le secteur de la construction, qui serait demandeur de 100 000 à 200 000 travailleurs.
Certains flux d’immigration sont entièrement féminins. Celui des « artistes » philippines, importées par les yakuzas pour les bars à hôtesses, s’est réduit depuis que la crise frappe ces établissements. Il a été relayé par un flux massif dans le secteur des soins aux seniors, et par celui d’épouses recrutées par des agences spécialisées à destination des campagnes où les hommes n’en trouvent plus. La population philippine dans l’Archipel a ainsi quadruplé depuis 1990. En 2011, elle atteignait 209 000 personnes soit 10 % des résidents étrangers, à égalité avec les Brésiliens, après les Chinois (32 %, 674 000) et les Coréens (26 %, 545 000). Le nombre de ces derniers se réduit régulièrement, car la naturalisation est de droit pour eux s’ils la demandent – autre disposition imposée sous l’occupation.
Malgré ces évolutions, l’ouverture reste timide. Depuis le tournant du siècle, le nombre de résidents étrangers dans l’Archipel n’est passé que de 1,7 à 2,09 millions (+ 22 %), alors qu’il a triplé en Corée. En outre, il diminue depuis 2008, avec le retour de nombreux Brésiliens chez eux pour cause de crise, et la catastrophe de Fukushima a accéléré le mouvement. Les étrangers ne représentent que 1,6 % de la population (deux fois moins qu’en Corée) et seulement 6 % des mariages sont mixtes (10 % en Corée). Il faut y ajouter les clandestins, estimés dans les belles années 1980 à 400 000 personnes, mais dont la crise aurait réduit le nombre de plus de moitié. Un grand nombre sont des Chinois venus « étudier » dans un réseau d’écoles de langue très peu regardantes sur leur assiduité. En l’absence de toute possibilité de régularisation, ils se laissent très volontiers rapatrier aux frais du contribuable nippon une fois amassé un pécule, au rythme de quelque 25 000 par an – qui sont aussitôt remplacés.
Les autorités ont beau invoquer la trilogie « femmes, seniors, robots », elles sont néanmoins conscientes que l’Archipel a besoin de davantage de travailleurs étrangers, notamment des ingénieurs, des informaticiens et autres travailleurs qualifiés. Ni les nikkeijin, ni les « stagiaires en formation » ne peuvent répondre à ces besoins. Depuis 2000, la politique officielle est de recenser ces besoins spécifiques et d’y répondre au coup par coup « sans affecter la vie sociale des citoyens japonais ». L’idée est de n’admettre que les travailleurs dont l’Archipel a besoin en nombre et en qualité, en les sélectionnant au départ, en limitant strictement la durée de leur séjour et sans qu’ils puissent être accompagnés d’une éventuelle famille. La solution parfaite semble celle de contrats bilatéraux passés avec certains pays fournisseurs, dont le prototype a été la négociation pour recruter 6 000 infirmières, commencée avec les Philippines et finalement conclue avec l’Indonésie (2007). Mais ce rêve d’une immigration entièrement sélectionnée, contractuelle et temporaire, se heurte cependant à la faiblesse des rémunérations et des perspectives professionnelles offertes à ces travailleurs qualifiés que l’on prétend attirer, ainsi qu’à l’impossibilité d’empêcher que certains n’acquièrent droit de cité en épousant un(e) Japonais(e).


Par Jean-Marie BOUISSOU

Ancien élève de l’ENS et agrégé d’histoire, Jean-Marie Bouissou est directeur de recherche à Sciences Po. Il a publié ou dirigé de nombreux ouvrages, dont Le Japon contemporain (Fayard), Quand les sumos apprennent à danser. Le nouveau modèle japonais (Fayard) et Japan. The Burden of Success (Hurst & C°).

janvier 13, 2015

RP#7 - Stratégie - Guerres et Paix ( sommaire: 5 thèmes actuels)

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



 Sommaire:

A) -  Les attentats à Paris : quel point de vue depuis les Etats-Unis ? - IRIS du 13 janvier 2015 par Nicolas Dungan

B) -  Salman, futur roi saoudien, un homme très lié au Maroc - médias 24 du 12 janvier 2015

C) - Le Kazakhstan et l’Union eurasiatique : quels sont les enjeux de l’adhésion ? - Diploweb du 13 janvier 2015 par Hélène Rousselot (*Documentaliste et traductrice de russe, Membre de l’association LRS (Littérature russe et d’expression russe). Responsable « Asie Centrale » au Comité de rédaction de la revue en ligne regard-est.com)

D) - La pauvreté au japon, un mal grandissant - L’Express du 13 janvier 2015 par Philippe Mesmer

E) - Facebook, Twitter : les leçons de « Charlie » - Le Point du 13 janvier 2015 par Guillaume Grallet




A) -  Les attentats à Paris : quel point de vue depuis les Etats-Unis ?



Les Etats-Unis, son président en tête, ont particulièrement montré leur soutien à la France lors des attaques de la semaine dernière, et loin semble le temps où l’on y rebaptisait les French fries en Freedom fries. Comment interpréter ce soutien et cette mobilisation étatsunienne à l’épreuve qu’a subie la France ? 

Tout d’abord, on ne peut pas manquer de remarquer l’absence de dirigeants américains lors de la marche républicaine ce dimanche. Cette absence a particulièrement été pointée du doigt aux Etats-Unis : les citoyens, la presse, les médias, la twittosphère, le « commentariat », l’ont ressenti comme un signe d’indifférence inacceptable. C’est peut-être un problème sécuritaire qui a empêché Eric Holder, le ministre de la Justice des Etats-Unis, de défiler alors qu’il était à Paris. Ou, quoique j’en doute, c’est peut-être aussi une maladresse de la part de Barack Obama qui aurait pu envoyer son vice-président, Joe Biden. George Bush père disait quand il était vice-président : « You die, I fly ». Biden ou John Kerry auraient pu être là, contrairement à Obama qui a un dispositif de sécurité tellement lourd qu’il valait mieux ne pas venir. En tout état de cause, cette absence américaine n’a, apparemment, en rien offusqué la France, peuple ou dirigeants. Concernant la mobilisation française, il faut se rappeler que les Américains se rendent compte qu’ils ont mal réagi aux évènements du 11 septembre 2001. Leur réponse de colère et de vengeance avait été quasiment l’inverse de celle des Français depuis la semaine dernière. Les Américains reconnaissent que le « either you are with us, or you are with the terrorists » (vous êtes soit de notre côté, soit avec les terroristes) de George W. Bush était fondamentalement erroné en tant que jugement et avait conduit à des comportements extrêmement destructeurs, telles l’invasion en Irak et la déstabilisation du Moyen-Orient qui en a résulté. Quant aux Français et Américains, il y a une solidarité qui existe dans les moments difficiles entre nos deux peuples et nos républiques fondées sur les principes des Lumières. Ce sont les deux seuls pays au monde qui se réclament — et qui essaient tant bien que mal d’incarner — des valeurs universelles. Cette fraternité est donc réelle. Du côté des États-Unis, on considère que la manière, digne et unie, dont la France a réagi aux attaques de la semaine dernière, c’est en quelque sorte ce que les Américains auraient voulu faire eux- mêmes après le 11 septembre. 

Certains évoquent aujourd’hui la nécessité d’un Patriot Act à la française, inspiré du modèle américain. Quel bilan y porte-t-on outre-Atlantique plus de 10 ans après son instauration ?
Il y a deux volets au Patriot Act et au Homeland Security Act, son analogue. Chacun de ces deux volets montre justement pourquoi il n’y en a pas besoin en tant que tel en France. Le premier volet a été la refonte complète, plutôt par le Homeland Security Act, de tout ce qui était renseignement, intelligence et maintien de l’ordre au niveau du gouvernement fédéral, dont les services dans ces domaines étaient très fortement dispersés. Aux Etats-Unis, à l’époque, le département de l’Immigration dépendait d’un ministère et la douane d’un autre, de même pour le renseignement et le FBI. Souvent, ils ne communiquaient pas entre eux. Il fallait réorganiser tout cela. La France est un pays beaucoup plus organisé que les Etats-Unis et d’ailleurs que de nombreux autres au niveau du fonctionnement de l’État. Si la France a besoin d’améliorer la coordination de ses services de renseignement, comme l’a évoqué le premier ministre, Manuel Valls, ce n’est pas à mon sens en passant par un Patriot Act ou un Homeland Security Act. Le Patriot Act américain en particulier a conduit — et c’est le deuxième volet — a beaucoup de pratiques considérées comme abusives et tendant à diminuer les libertés individuelles aux Etats-Unis. La France n’a pas besoin de quelque chose d’aussi défensif. Il ne faut pas une restriction des droits telle que ce que le Patriot Act a amené ; la France ne doit pas reproduire ces errements. Par ailleurs, l’élaboration de la politique interne aux États-Unis relève du Congrès, qui rédige les projets de loi en son sein, et il est plus normal qu’aux États-Unis de telles réformes passent par la législature au premier chef. En France, la Constitution confie au gouvernement l’élaboration de la politique interne, et celui- ci dispose de maints outils pour le faire, y compris de nouvelles lois, mais pas uniquement. 

Pensez-vous que ces événements tragiques sont à même de rapprocher encore davantage Français et Américains, notamment en matière de renseignement et de sécurité, alors que les informations sur les frères Kouachi notamment n’avaient semble-t-il pas été partagées entre les deux nations ? 

Je doute qu’il soit possible de rapprocher plus encore les directions de renseignements américains et français, tellement elles travaillent déjà comme s’il s’agissait d’un service unique. Cela étant, la France ne fait pas parti du groupe des Five Eyes — Etats-Unis, Grande- Bretagne, Australie, Nouvelle Zélande et Canada — et elle n’en a sans doute pas envie parce qu’elle veut garder sa propre marge de manœuvre. Le but de la politique internationale française, qu’elle soit diplomatique ou militaire, c’est « l’indépendance nationale ». Il est donc difficile pour la France et les Etats-Unis de se rapprocher davantage à ce niveau. Par ailleurs, il y a plusieurs analyses depuis les événements de la semaine dernière, faites par des professionnels du renseignement, qui soulignent que, contrairement à ce qu’on voit au cinéma et à ce que nous ferait croire Edward Snowden, les professionnels du renseignement sont en réalité sérieusement débordés. C’est le cas dans tous les grand pays, France, Etats-Unis, Grande-Bretagne et ailleurs. Les services peuvent donc peut-être travailler plus efficacement ensemble, et ils chercheront sans aucun doute à le faire, mais travailler plus étroitement sera difficile car c’est ce qui se pratique déjà aujourd’hui. 



B) -  Salman, futur roi saoudien, un homme très lié au Maroc
 
Fortes rumeurs au sujet d'une probable abdication du Roi Abdallah. Le futur successeur, le Prince Salman, a des liens forts avec le Maroc. Agé de 90 ans, le roi Abdallah d’Arabie saoudite a été hospitalisé le 31 décembre dernier pour une pneumonie. Mais depuis plusieurs mois, c’était le prince héritier Salman qui assurait l’essentiel des activités officielles et des tâches de représentation. Le prince Salman a ainsi reçu ce dimanche 11 janvier à Riyad le président vénézuélien Nicolas Maduro. Il y a quelques jours, il présidait l’ouverture du majlis al choura (conseil consultatif, une sorte de parlement mais dont les membres sont désignés, tout en étant assez représentatifs de différents courants). En décembre, il a représenté son pays au sommet du G20 en Australie ainsi qu’au sommet du CCG à Doha. Tous les jours, le compte Twitter du prince héritier saoudien, 77 ans, rend compte de ses activités officielles. Désigné prince héritier en 2012 par le roi Abdallah, Salman exerce les fonctions de ministre de la Défense. Pendant plus de 40 ans, il a été gouverneur de la capitale Riyad où sa gestion a été très appréciée. 

Salman et le Maroc
Salman est bien connu au Maroc et surtout à Tanger où il passe le plus clair de son temps lorsqu’il n’est pas en Arabie saoudite. Salman dispose de résidences à Madrid et à Londres mais c’est à Tanger qu’il dispose d’une résidence voisine du palais royal et d’une seconde résidence en bord de mer sur la côte atlantique. Depuis deux ans, le prince Salman a entrepris de vastes travaux dans sa résidence de plage, un mini-palais entouré d’une dizaine de villas. L’ensemble est solidement fortifié. Lorsqu’il est à Tanger, la plage qui borde sa résidence est fermée au public et une unité des FAR est présente pour contribuer à assurer la sécurité de l’un des hommes les plus puissants du monde. L’armée saoudienne compte notamment parmi les 10 budgets militaires les plus importants de la planète, quelque 55 milliards de dollars en 2014. L’été dernier d’ailleurs, Salman est arrivé à Tanger à la veille de l’Aïd al Fitr accompagné d’un nombre important de collaborateurs politiques et de membres de sa famille. Il est resté plus de cinq semaines dans la région avant de s’envoler directement pour Paris le 1er septembre. Il devait y être reçu par le président français François Hollande et rencontrer son homologue Jean -Yves Le Drian. Le prince Salman aime séjourner à Tanger avec sa famille. Avec sa suite, à l’été 2014, il lui est arrivé de privatiser des restaurants en plein cœur de la saison d’été. A Tanger également, il a reçu et rencontré plusieurs politiques marocains et européens.





Inconnues
Selon le site israélien Debka, l’abdication du Roi Abdallah est une option ouverte. Son ami l’ancien roi d’Espagne Juan Carlos a fait de même il y a quelques mois. Mais une succession n’est jamais un processus facile surtout lorsque ses règles ne sont pas immuables. Ces jours-ci du côté de Washington, -Américains et israéliens suivent les choses de près-, on s’inquiète ouvertement d’une succession qui serait conflictuelle. Selon Simon Henderson du Washinton Institute, «il est peu probable que la transition saoudienne se passe de manière fluide, quoiqu’il ne fasse aucun doute que c’est ainsi que la maison des Saoud souhaite qu’elle soit perçue». Si Abdallah a formellement désigné Salman comme son successeur, ce dernier a été bien malade en 2012 avec le diagnostic de troubles neurologiques. Et au-delà du prince héritier Salman, il y a également le prince Muqrin, prince héritier-adjoint également désigné en 2012. C’est Abdallah qui a inventé le titre. Avant de mourir en 1953, le roi Abdelaziz (ou Ibn Saoud) avait établi un système de succession entre ses fils, du plus âgé au plus jeune. A 65 ans, Muqrin fait partie, avec Abdallah et Salman, des trois derniers fils vivants du défunt roi Abdelaziz. Néanmoins, si Salman devient roi d’Arabie saoudite, il peut désigner son prince héritier. Muqrin ou pas ? Salman a des enfants qui sont dans la haute administration et dans l’armée. Et si Muqrin est désigné prince héritier, quel serait le nouveau mode de succession instauré pour la suite ? A l’heure où le royaume saoudien est confronté à d’importants défis sécuritaires au nord à la frontière irakienne, au sud aux frontières du Yémen et à l’est avec l’Iran, ainsi qu’à d’importantes transformations économiques et sociales, le futur de la maison Saoud ne laisse pas indifférent. 




C) - Le Kazakhstan et l’Union eurasiatique : quels sont les enjeux de l’adhésion ?
 
L’incessante promotion de l’idée eurasiatique, par leur président N. Nazarbaev ne convainc manifestement pas tous les Kazakhstanais. Certains se montrent défiants à l’égard de cette adhésion à une institution incluant la Russie, de peur de voir celle-ci exercer une forte une ingérence dans leur pays. L’UNION eurasiatique rassemblant la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie, se substituera à l’Union douanière et à l’Espace économique commun à partir de janvier 2015. L’accord scellant la constitution de cette Union sur la base de l’Union douanière (elle-même formée au sein de la Communauté économique eurasiatique) [1], a été signé par les présidents kazakh, russe et biélorusse, à Astana, le 29 mai 2014. La prochaine adhésion du Kazakhstan à cette nouvelle organisation régionale soulève des protestations au sein de ce pays centrasiatique dont le président Noursoultan Nazarbaev est pourtant à l’initiative de l’idée d’intégration depuis une vingtaine d’années. À en croire les discours du président kazakh, l’Union douanière a déjà apporté des bénéfices économiques substantiels à son pays. Or, si le Kazakhstan a bénéficié d’investissements étrangers et ce grâce à un plus grand marché que celui du seul Kazakhstan : l’Union douanière compte 169,8 millions de consommateurs, tandis que les Kazakhstanais ne sont que 17 millions, les principaux investisseurs ne sont ni biélorusses, ni russes. Mais des données officielles d’une part et les protestations d’activistes et de responsables kazakhstanais d’autre part incitent à examiner plus précisément la rationalité économique de ce processus. Le volet politique de l’Union eurasiatique est également source d’inquiétude pour certains Kazakhstanais, notamment depuis le début de la crise ukrainienne à l’automne 2013. 


Bilan de l’adhésion du Kazakhstan à l’Union douanière
Astana a déjà vu le déficit de sa balance commerciale vis-à-vis de Moscou s’aggraver. Le supposé renforcement de l’intégration entre les pays membres de l’Union douanière aurait entrainé un développement des échanges commerciaux entre Minsk, Astana et Moscou. Mais il semblerait que le Kazakhstan n’en ait pas pleinement profité. Astana a vu, en effet, le déficit de sa balance commerciale vis-à-vis de Moscou s’aggraver, en passant de 8,5 en 2011 à 11 milliards de dollars en 2012. Le Kazakhstan qui a dû revoir plus de 50% de ses tarifs douaniers, globalement plutôt à la hausse [2] , se trouve bel et bien exposé à une concurrence accrue de marchandises en provenance de Russie. Celles-ci, croissantes jusqu’en 2012, consistent en carburant (malgré ses richesses en hydrocarbures, le Kazakhstan ne produit pas suffisamment d’essence notamment pour sa propre consommation), en machines-outils et en métaux (respectivement 23,6%, 15,2% et 11,7%, en 2012) [3]. Puis, au cours des huit premiers mois de l’année 2014 par rapport à la même période de 2013, elles ont baissé de 21% (les importations de Biélorussie ne varient pas pendant cette période, après avoir augmenté en 2012). Pour les périodes janvier-août 2013 et 2014, le tableau ci-dessous montre que les exportations du Kazakhstan vers les deux autres pays de l’Union douanière diminuent fortement, voire très fortement avec la Biélorussie. Et si les échanges du Kazakhstan avec des pays hors CEI diminuent aussi, ils régressent moins fortement que ceux du Kazakhstan avec la Russie. 

Ces réductions des échanges du Kazakhstan se traduisent par un excédent de la balance commerciale en baisse. Il est de 46 810,4 en 2011, puis de 43 148,0 en 2012 et enfin de 33,84 milliards de dollars en 2013. Ses exportations totales ont diminué de 4,04% en 2013 par

rapport à 2012 (elles s’établissaient à 83,41 milliards de dollars en 2013), tandis que ses importations totales étaient de 49,58 milliards, soit 1,02% de plus qu’en 2012 [4]. La part des pays hors CEI (donc hors Union douanière) dans les importations du Kazakhstan s’accroit pendant cette période puisqu’elle est de 58,1% en janvier-août 2014 (contre 53,3% pour la même période de 2013) et celle de ses exportations est de 88,6% (contre 87% pour la même période de 2013). De plus, les principaux partenaires économiques du Kazakhstan sont la Chine et l’UE et leurs parts dans les échanges du Kazakhstan augmentent. Elles sont respectivement 14,6% et 45,7% de ses échanges commerciaux sur la période janvier-août 2014, contre 17,2% et 40,5% pour la même période de 2013. Ces chiffres peuvent par conséquent soulever la question du bien-fondé de la promotion d’une intégration douanière et économique du Kazakhstan avec la Biélorussie et la Russie, puisqu’il commerce davantage avec des pays tiers. Le Kazakhstan avec la Biélorussie ne comptent que pour 0,5% des IDE réalisés en Russie. Du reste, les données relatives aux investissements directs étrangers (IDE) renforcent la pertinence de cette question. Moscou et Minsk ne représentent que 5% des IDE réalisés au Kazakhstan. Les principaux investisseurs dans ce pays étaient en 2012 les Pays- Bas, la Chine, le Canada et le France. Réciproquement, le Kazakhstan avec la Biélorussie ne comptent que pour 0,5% des IDE réalisés en Russie. Ce qui abonde dans le sens du politicien et journaliste kazakh Amirjan Kosanov qui souhaite voir son pays coopérer plutôt avec des pays pouvant opérer des transferts de technologie vers son pays, par crainte de voir son pays touché par une économie russe en piteux état. 

Les bénéfices attendus de l’adhésion du Kazakhstan à l’Union eurasiatique
Comme le soulignent B. Slaski et E. Dreyfus dans leur article « Quelle Union eurasiatique ? », l’Union douanière devait accorder au Kazakhstan un « accès facilité et sans taxes aux oléoducs et aux gazoducs russes et biélorusses menant vers l’Europe occidentale » ainsi qu’une meilleure protection face aux produits chinois depuis 2010. Mais, sur ce dernier point, les données de l’Agence pour les statistiques du Kazakhstan n’indiquent pas une telle évolution, puisque les importations chinoises au Kazakhstan croissaient en valeurs absolues et en pourcentage des importations totales du Kazakhstan. Ces importations chinoises atteignaient 7,444 milliards de dollars en 2012 (soit 16,1% des importations totales du Kazakhstan), puis 8,364 milliards de dollars en 2013 (soit 17,1% des importations totales du Kazakhstan) et 5,441 milliards de dollars pour les neuf premiers mois de l’année 2014 (avec une part de 18% dans les importations totales du Kazakhstan). L’Union eurasiatique, quant à elle, devrait permettre aux produits kazakhstanais d’accéder plus facilement aux infrastructures russes et européennes et ce, peut-être, grâce à la facilitation des transports Asie-Europe par voies terrestres, alors qu’ils se font, pour l’heure, plutôt par voie maritime. Mais, la signature par les chemins de fer russes et chinois à la mi-octobre 2014 d’un mémorandum pour le projet de construction de lignes à grande vitesse entre Moscou et Pékin, pourrait modifier un peu la donne. Par ailleurs, ce rapprochement économique avec la Russie qui est le 156ème membre de l’Organisation Mondiale du Commerce depuis le 22 août 2012, pourrait simplifier l’entrée du Kazakhstan à l’OMC, de l’avis cette dernière et de celui de la Russie. De plus, les banques centrales des trois pays se sont mises d’accord pour échanger des informations et un travail d’harmonisation fiscale serait en cours entre les trois pays, où la TVA est de 18% en Russie et de 12% au Kazakhstan (de 20% en Biélorussie). Ce qui marque un premier point de dissymétrie entre les trois partenaires. Des acteurs économiques ainsi que la population kazakhstanaise avaient anticipé un renforcement des taxes douanières et donc une augmentation générale des prix, suite à l’entrée de leur pays dans l’Union douanière. En théorie, les consommateurs kazakhstanais pouvaient aussi compter sur une augmentation de la concurrence entre produits de consommation. Dans les faits, force est de constater que l’inflation est à la baisse depuis 2011. De l’ordre de 7% en 2011, elle atteint 6% en 2012, 4,8% en 2013, année où elle était la plus faible depuis 15 ans. En revanche, elle pourrait remonter pour atteindre les 6,9% fin 2014 [5]. D’autres bénéficiaires d’une intégration eurasiatique plus poussée pourraient être des Kazakhs de régions frontalières entre la Russie et le Kazakhstan. Des initiatives, apparemment locales, se font jour notamment dans la région de Saratov (en Russie) qui compte environ 3% de Kazakhs. Elle a vu naître le centre d’information « Evrazia-Povolje » (« Eurasie-région de la Volga »), dirigée par une historienne russe, en septembre pour promouvoir la coopération transfrontalière entre la Russie et le Kazakhstan. Au niveau national, cette intégration se manifeste par le forum annuel de coopération régionale, auquel participent les deux chefs d’État. Le dernier en date s’est tenu en septembre 2014, dans la ville pétrolière d’Atyrau, sur le bord de la mer Caspienne, au Kazakhstan. Ce forum annuel, qui est le onzième du nom (Moscou et Astana n’ont donc pas attendu la mise en place de l’Union douanière en 2007 pour l’instaurer) et consacré au domaine pétrolier, a présenté un projet de création d’un pôle d’innovation gazo-chimique sur la base du complexe d’Orenbourg (en Russie) ainsi qu’un projet de centre de formation d’ingénieurs pour le secteur des hydrocarbures. Ces exemples de développement de l’intégration et de la coopération eurasiatique ne doivent pas masquer de remarquables dissymétries structurelles et de diverses natures entre les deux voisins. Les plus immédiatement repérables sont celles qui ont trait à leurs superficies, démographies et produits intérieurs bruts, difficilement comparables. La superficie du Kazakhstan (2,7 millions km2) représente 13,5% de celle de l’Union douanière (soit environ 20 millions de km2), sa population compte pour 10,4% de celle de l’Union et son PIB - pour 9,3% de celui de l’Union en 2013. En raison de ces dissymétries relevées entre le Kazakhstan et la Russie, des consensus entre la Russie et le Kazakhstan paraissent difficilement réalisables, ce qui alimente encore la méfiance de Kazakhstanais vis-à-vis de la participation de leur pays à une telle organisation. Et les cercles économiques kazakhs n’ont, du reste, pas caché leur réticence envers le projet d’Union eurasiatique. Quant à l’ensemble de la population kazakhstanaise, au vu de son soutien à l’Union douanière (48% en faveur de l’Union douanière, contre 55% en Russie, en 2011 [5]), on peut supposer qu’elle n’est pas plus enthousiaste vis-à-vis de l’Union eurasiatique. Les besoins en matière d’intégration sont par conséquent divergents entre les deux pays, ce qui explique un décalage d’agendas des priorités entre les partenaires de la future Union eurasiatique. Pour la Russie, l’intérêt des processus d’intégration se mesure sur le long terme, tandis qu’au Kazakhstan, un plus court terme domine. 


L’opposition kazakhstanaise et l’adhésion à l’union eurasiatique
À l’approche de la signature de l’accord sur l’Union eurasiatique, en mai 2014, s’était tenu un forum anti eurasiatique, à Almaty. Des opposants à l’Union douanière dénonçaient l’influence de la Russie sur les autorités du Kazakhstan, ainsi que les ambitions politiques personnelles du président Nazarbaev, décidé à faire adhérer son pays à l’Union, aux dépens des intérêts de son pays. Il réunissait écrivains et opposants politiques tels que Tolegen Joukeev (né en 1949, ingénieur du pétrole, l’un des pères du projet d’exploitation du champ pétrolifère de Tengiz). S’y étaient exprimées des revendications, comme la demande d’un référendum sur l’entrée du Kazakhstan dans l’Union eurasiatique. Soulignons que ce projet n’avait pas fait l’objet de débat dans les médias et que l’entrée dans l’Union douanière n’avait pas été non plus sanctionnée par un référendum. Quelques jours plus tard, des opposants à l’Union dénonçaient l’influence de la Russie sur les autorités du Kazakhstan, ainsi que les ambitions politiques personnelles du président Nazarbaev, décidé à faire adhérer son pays à l’Union douanière, aux dépens des intérêts de son pays, selon l’économiste kazakh Toktar Esirkepov. L’incessante promotion de l’idée eurasiatique, par leur président N. 


Nazarbaev ne convainc manifestement pas tous les Kazakhstanais. Certains se montrent défiants à l’égard de cette adhésion à une institution incluant la Russie, de peur de voir celle- ci exercer une forte une ingérence dans leur pays. (Rappelons ici que plus de 29 Kazakhs ont été victimes d’actes racistes et 7 en sont morts en Russie, en 2014). Certains opposants kazakhs inquiets de voir la Russie mettre en œuvre des ambitions impérialistes, n’hésitent pas à aller jusqu’à évoquer la volonté russe de reconstituer une seconde URSS. Ce qui leur fait dire que la perte de souveraineté du Kazakhstan le ravalerait alors au rang de « province de la Russie ». Comme pour leur répondre, des experts russes dénoncent, eux, une rumeur orchestrée par des nationalistes kazakhs accusant la Russie de vouloir déstabiliser le Kazakhstan. Une telle perte de souveraineté signifierait plus certainement une encore moins grande latitude pour organiser des mouvements de protestation à l’égard du pouvoir, les autorités kazakhstanaises pouvant alors compter sur un soutien du Kremlin pour les contrer. Et la nouvelle crise ukrainienne advenue à l’automne 2013, alimente encore les réticences des nationaux-patriotes et anti-eurasiatiques kazakhstanais. Parmi ces derniers, outre Amirjan Kosanov déjà cité, les plus visibles dans les médias russophones sont Kazbek Beïsebaev (ancien membre du ministère des Affaires étrangères du Kazakhstan), Boulat Abilov (ingénieur des mines, ancien conseiller présidentiel et président du parti Azat), et Moukhtar Taïjan, économiste, qui se situe plutôt dans la mouvance des nationaux-patriotes. Selon le jeune opposant Janbolat Mamaï, les nationalistes kazakhstanais auraient réussi à faire pression sur N. Nazarbaev pour exclure la composante politique du projet d’Union eurasiatique, à savoir un parlement eurasiatique, une monnaie commune, la double nationalité, et une surveillance conjointe des frontières. Mais, les perspectives d’une intégration monétaire et politique, sont rejetées par la majorité de la classe politique, N. Nazarbaev en tête. De fait, à l’issue d’une rencontre avec ses homologues russe et biélorusse à Astana en mai 2013, le président kazakh avait réitéré qu’il n’était pas question de donner à la Commission Économique Eurasiatique [6] des compétences de nature politique. Il déclarait alors : « Je souhaite une fois de plus mettre l’accent sur le fait qu’il n’y a aucun plan qui, envisageant le transfert de compétences politiques à des instances supranationales, remettraient en cause l’indépendance des États. Il ne s’agit que d’intégration économique » [7]. Pour N. Nazarbaev, ce sont les domaines économiques qui doivent être les moteurs de cette intégration. Pourtant des Kazakhstanais à l’instar d’A.Kosanov craignent que le Kazakhstan ne soit entrainé par la Russie dans un plus isolement, en raison des tensions entre la Russie et l’Occident. Du reste, cette accentuation d’un relatif isolement pourrait compromettre le programme « La voie vers l’Europe » lancé par N. Nazarbaev en 2008 et dont l’objectif est de développer la coopération bilatérale du Kazakhstan avec des pays européens et l’Union européenne. En supposant que l’Union eurasiatique ne soit qu’économique, A. Kosanov pose aussi la question de savoir comment séparer l’économique du politique et du géopolitique dans un monde globalisé. 

[1] Pour de plus amples détails sur la formation de cette organisation, Cf. Bertrand SLASKI, Emmanuel DREYFUS, Quelle Union eurasiatique ? 30 janvier 2014 (http://www.diploweb.com/Quelle-Union-eurasiatique.html).
[2] « Regional Trade Integration and Eurasian Economic Union”, Banque européenne de Développement et de reconstruction, www.ebrd.com/downloads/research/transition/tr12d.pdf., p. 66.
[3] Proved провэд.рф/economics/customs-union.html, 22 juin 2013. [4] Kursiv, 5 mars 2014.


[5] Tengrinews.kz, 4 novembre 2014.



[6] La Commission économique eurasienne est l’organisme de réglementation supranationale permanente de l’Union douanière et de l’Espace économique unique ; elle fonctionne depuis le 2 février 2012.

[7] Kursiv, 29 mai 2013.



D) - La pauvreté au japon, un mal grandissant



Le gouvernement japonais ne parvient pas à juguler la pauvreté qui touche plus particulièrement les jeunes, les familles monoparentales et les personnes âgées. 


Les chiffres dévoilés le 1er août par le ministère japonais des Affaires sociales révèlent que, en 2012, 16,1% de la population vivaient sous le seuil de pauvreté. Celui-ci était alors estimé à 1,22 million de yens (8629 euros), soit la moitié du revenu annuel médian. Pour la première fois, la part des enfants touchés par la pauvreté (16,3%) dépassait celle des adultes. Ce niveau confirme la place occupée par l'archipel depuis plusieurs années parmi les mauvais élèves de l'OCDE. Le Japon se situe en quatrième position des nations affichant le taux de pauvreté le plus élevé, derrière le Mexique, la Turquie et les Etats-Unis. Parmi les foyers à parent unique, il est en tête, à 58,7%, devant les Etats-Unis (50%). En France, à titre de comparaison, 19% de ces ménages vivent sous le seuil de pauvreté. L'Institut pour la population et la sécurité sociale (IPSS), organisme public, souligne trois spécificités japonaises. L'importance des travailleurs pauvres, l'existence de catégories de population particulièrement touchées -jeunes, foyers à parent unique, personnes âgées- et, enfin, l'inefficacité des politiques publiques à lutter contre la pauvreté. 

Recrudescence des contrats précaires
De fait, le nombre de travailleurs pauvres croît depuis les années 80, époque où les entreprises ont commencé à recourir en masse aux contrats à durée déterminée et à l'intérim, profitant de politiques qui favorisaient le recours aux contrats précaires. Malgré une pause quand le Parti démocrate du Japon était au pouvoir, entre 2009 et 2012, les gouvernements successifs ont peu à peu allongé la liste des métiers ouverts à l'intérim et aux CDD. Aujourd'hui, près de quatre actifs sur dix sont en contrat précaire. Or les écarts de salaires entre contractuels ou intérimaires et salariés à temps plein peuvent aller du simple au double: "Cela crée une pression sur les rémunérations des salariés en CDI", regrette l'IPSS. Les experts de l'organisme s'inquiètent aussi du non-paiement des cotisations sociales, santé et retraite par 40% des travailleurs précaires: dans le système japonais, c'est à eux de cotiser et non à l'employeur. Pour aider les plus démunis, il existe un système équivalent au RMI: 1,6% seulement de la population en bénéficie, en raison des difficultés rencontrées pour y accéder. Dans le même temps, il n'y a pas de minimum vieillesse. Compte tenu de la modicité des retraites nippones, qui ont baissé de 1% en avril et baisseront de 0,5% en avril 2015, et de l'allongement de la durée de vie, la pauvreté des personnes âgées devient problématique. Le gouvernement a annoncé de nouvelles mesures pour lutter contre la pauvreté des enfants. Mais, déplore-t-on à l'IPSS, "les contraintes budgétaires sont telles que les fonds disponibles pour l'assistance aux plus démunis restent limités".





Quelle est la responsabilité des réseaux sociaux après les attentats ? Le créateur de Facebook prend position, Twitter est sur la sellette. 

Artisan de la liberté d'expression, Facebook ? Si le réseau social peut agacer par son interventionnisme, notamment lorsqu'il censure une paire de seins nus - Postez une reproduction de "L'Origine du monde" de Gustave Courbet sur votre profil, et elle sera immédiatement retirée - Mark Zuckerberg a été prompt à réagir après l'affaire Charlie Hebdo. "Il y a quelques années, un extrémiste au Pakistan voulait me condamner à mort parce que Facebook refusait d'interdire du contenu sur Mahomet qui l'offensait. On s'est battu pour que puissent s'exprimer des voix différentes, même si elles sont parfois "offensives", car cela peut rendre le monde meilleur et plus intéressant", explique le créateur du réseau social dans un post vendredi. Mark Zuckerberg précise à propos du réseau social créé il y a 11 ans, qu'il s'agit d'"un endroit dans le monde où les internautes du monde entier peuvent échanger des vues ou bien des idées. Nous respectons les lois dans chaque pays, mais nous ne laissons jamais un pays ou un groupe d'individus dicter ce que les gens peuvent partager à travers le monde. (...) Je me suis engagé à créer un service où vous pouvez parler librement sans avoir peur de la violence." Avant d'ajouter "Mes pensées vont vers les victimes, les familles, le peuple de France et le peuple du monde entier qui choisit de partage des opinions et des idées, même si cela demande beaucoup de courage." Avant de ponctuer son texte par un #JeSuisCharlie. Le 12 janvier, Zuckerberg ajoutait : "Vous ne pouvez pas tuer une idée. (...) Aussi longtemps que nous serons connectés, alors aucune attaque par des extrémistes - que ce soit au Nigeria, au Pakistan, au Moyen Orient, ou en France - ne pourront s'interposer envers la liberté et la tolérance dans le monde." 

Des médias à part entière ?
Le débat est brûlant, parce qu'il pose la question de savoir si les réseaux sociaux, au poids grandissant dans la formation des opinions en quasi-direct, sont de simples plateformes de partage ou bien des médias à part entière, et à ce titre responsables des contenus publiés. Récemment, le groupe d'hacktivistes Anonymous, très attaché à la liberté d'expression, a expliqué vouloir conduire en ligne la guerre au terrorisme, à la suite des attentats de Charlie Hebdo. Et a pour cela "outé", c'est-à-dire rendu publique, une liste de comptes Twitter attribués à des djihadistes. Est-ce possible pour le réseau social de les faire disparaître ? 

Interrogé par Le Point.fr, Twitter explique qu'il se conformera aux décisions de justice des pays en vigueur. Même question pour les tweets assortis de hashtag : #JeSuisCoulibaly
#JeSuisKouachi. Si comme l'explique l'entreprise spécialisée dans l'analyse du web social Linkfluence, les tweets offensants sont extrêmement minoritaires, ils peuvent apparaître en "trending topics", car entraînant une condamnation massive. Est-il alors normal de s'en prendre au messager, c'est-à-dire Twitter, comme est tenté de le faire l'Union européenne en ce moment, plutôt qu'à l'émetteur du message ? Cette question est un véritable casse-tête pour le site qui pourrait de plus en plus recourir à des robots pour détecter des tweets jugés offensants. Il y a deux ans, la même question s'était posée avec la multiplication du hashtag #unbonjuif. À l'époque, le site ne disposait pas de bureau en France, et avait été condamné par la justice française. En attendant, au siège de Twitter, à San Francisco, a été déployée une gigantesque banderole noire assortie du hashtag "#Je Suis Charlie".



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