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décembre 25, 2025

Le Club de Rome - Octobre 2025 - Histoire & avenir tous les 50 ans

“ Le Club de Rome a affirmé que le réchauffement climatique et les crises environnementales étaient des leviers pour instaurer un contrôle mondial. L’objectif n’est pas la préservation de la nature, mais le contrôle des populations sous prétexte de crise. ”
 
La fin de la croissance économique sera «intentionnelle ou catastrophique»
 
Il y a 50 ans, le Club de Rome publiait un rapport scientifique qui prévoyait que la croissance et la consommation effrénées entraîneraient éventuellement l’effondrement de la société. Cette semaine à Montréal, une chercheuse du même Club de Rome, a expliqué qu’à moins que les humains réussissent à redéfinir ce qui a de la valeur, cette prévision est sur le point de se produire.
 
 
 
En 1972, le best-seller «The Limits to Growth», connu sous le nom de Rapport Meadows, expliquait que, si l’humanité continuait sa croissance économique sans tenir compte des coûts environnementaux, les humains connaîtraient une pénurie de matières premières, un appauvrissement des écosystèmes, une forte baisse en nourriture disponible et une chute brusque et importante du niveau de vie.
 
Ce rapport avait été publié par le Massachusetts Institute of Technology et le Club de Rome, un groupe de réflexion composé d’industriels et de scientifiques.
 
«Le but de ce rapport était d’essayer de comprendre pourquoi, malgré toutes nos innovations et tous nos progrès, nous sommes confrontés à des problèmes récurrents de pauvreté, de pollution, de pénurie, de conflits et d’ instabilité financière», a résumé l’économiste et chercheuse Gaya Herrington, mercredi, au Sommet de la finance durable à Montréal.
 
Lors d’une présentation devant des centaines de participants, la chercheuse néerlandaise a expliqué que les auteurs du Rapport Meadows «avaient à l’époque constaté, avec surprise, que la cause principale de tous ces problèmes était la poursuite de la croissance économique».
 
Les conclusions du rapport mettaient en garde qu’une croissance continue mènerait à un effondrement de la société au cours du 21e siècle.
 
Revisiter le rapport 50 ans plus tard
 
Cinquante ans après la publication de ce document choc, Gaya Herrington, elle-même membre du Club de Rome, a comparé les différents scénarios du Rapport Meadows avec des données empiriques disponibles en 2019.
 
Ses recherches, publiées en 2021 dans le Yale Journal of Industrial Ecology, arrivent aux mêmes conclusions qu’en 1972 : si la croissance demeure la priorité de notre système économique, l’effondrement de la société est inévitable dans les prochaines décennies.
 
« Business as usual »
Les auteurs du Rapport Meadows avaient utilisé une modélisation mathématique appelée «World3», pour étudier les interactions entre plusieurs variables, telles que la population mondiale, la fécondité, la mortalité, la production industrielle de nourriture par habitant, la production de ressources non renouvelables et la pollution, notamment.
 
«À la lumière de mes recherches, je ne connais aucun autre modèle scientifique qui est demeuré aussi pertinent et aussi précis pendant des décennies», a expliqué Gaya Herrington.
 
Malheureusement, les scénarios catastrophes évoqués dans le rapport Meadows en 1972 sont sur le point de se réaliser, selon l’économiste, qui est aujourd’hui à l’emploi de Schneider Electric, une multinationale active dans la transition énergétique.
 
L’un des scénarios évoqués dans le rapport de 1972, nommé «business as usual», prédit que la quête perpétuelle de croissance économique aboutirait à une pénurie de ressources naturelles.
 
Selon ce scénario, la diminution de la disponibilité des ressources naturelles provoquerait la fin de la croissance économique, la production alimentaire chuterait et les crises économiques se succéderaient.
 
Dans un autre scénario, «business as usual 2», l’effondrement de la société serait provoqué par une crise environnementale.
 
«Le temps presse», a indiqué Gaya Herrington en rappelant aux participants du sommet que «nous avons transgressé 6 des 9 limites planétaires», que «nous n’avons jamais émis plus d’émissions de CO2 que dans la dernière année», que «la production de combustible fossile bat des records et que la demande pour le charbon n’a jamais été aussi élevée».
 
L’effondrement de la société ne signifie pas la fin de l’humanité, mais réfère plutôt à une «forte baisse» des conditions de vie par rapport à «un pic précédent», a précisé Gaya Herrington.
 
Scénario techno (CT)
Un troisième scénario évoqué dans le Rapport Meadows suggère que les technologies et la capacité des humains à innover pourraient permettre «d’éviter un effondrement total».
 
Ce scénario, appelé CT, pour «comprehensive technology», suppose une innovation technologique sans précédent dans un monde qui ne changerait pas ses priorités. Dans un tel scénario, le déclin de la société est retardé, mais les coûts des technologies sont si élevés que les ressources viennent à manquer pour la production agricole, les services de santé et l’éducation.
 
Dans un résumé de ses recherches publié sur le site web du Club de Rome, Gaya Herrington pose les questions suivantes concernant ce scénario:
 
«Pourquoi utiliser notre capacité d’innovation pour inventer des robots pollinisateurs afin de remplacer les abeilles, si nous avons également le choix d’inventer des pratiques agricoles qui n’ont pas l’effet secondaire des insecticides ? Pourquoi utiliser des drones pour planter de nouveaux arbres, alors que nous pourrions également restructurer notre économie afin que les forêts existantes ne soient pas abattues et brûlées ? Maintenant que l’humanité a atteint une dimension mondiale et un pouvoir sans précédent pour façonner son destin, les limites de la croissance nous imposent la question suivante : qui voulons-nous être et dans quel monde voulons-nous vivre ? »
 
Un «monde stabilisé»
La chercheuse Gaya Herrington a expliqué aux participants du Sommet de la finance durable, un quatrième scénario, appelé «monde stabilisé».
 
Dans ce cas de figure, l’humanité passe d’une société axée «sur la consommation matérielle et la croissance industrielle» à une société qui priorise «les services de santé et d’éducation, ainsi que les technologies de réduction de la pollution» et «l’utilisation efficace des ressources».
 
Ce scénario, qui implique de redéfinir ce qui a de la valeur, «permet d’éviter l’effondrement» et de maintenir l’humanité à un «haut niveau de bien-être», selon la chercheuse.
 
Dans ce système, «les humains ne sont pas contre la croissance, mais ils sont plus sélectifs. Si la croissance d’un secteur contribue au bien-être, alors on peut la stimuler. Mais si la croissance d’un secteur ne contribue pas au bien-être, pourquoi continuer ?»
 
S’adressant aux gens d’affaires réunis dans la salle d’un établissement du Vieux-Montréal, la chercheuse s’est dite consciente que «changer notre système économique demande des efforts».
 
Toutefois, a-t-elle ajouté, «gérer les conséquences de l’effondrement des écosystèmes demande également beaucoup d’efforts».
 
Le choix qui s’offre «n’est pas de poursuivre ou non la croissance»
Prioriser la croissance à tout prix nous a menés au bord de l’effondrement social et environnemental selon Gaya Herrington, et le choix qui s’offre aux humains «n’est pas de poursuivre ou non la croissance».
 
La question est plutôt «de savoir si la fin de la croissance sera intentionnelle ou catastrophique».
 
L’opportunité de «prendre une telle décision» ne sera pas toujours présente, alors soit nous définissons nos propres limites, ou alors, ces limites, selon elle, nous seront imposées.
 
 
 

Avec l’alerte lancée en 1972 dans « Halte à la croissance », le Club de Rome est présenté par les soutiens du GIEC comme un précurseur. Cette alerte est invoquée pour critiquer la défiance persistante des citoyens pourtant avertis depuis si longtemps, et la lenteur de mise en œuvre des mesures nécessaires. Et invoquée pour critiquer la défiance persistante des citoyens pourtant avertis depuis si longtemps, et la lenteur de mise en œuvre des mesures nécessaires. Mais en réalité, les hypothèses du Club de Rome sont exactement opposées à celles du GIEC : pour le Club de Rome le problème était la pénurie de ressources, pour le GIEC c’est l’excès de ressources.

Le club de Rome est lui-même un groupe de réflexion réunissant des scientifiques, des économistes, des fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de cinquante-deux pays, préoccupés des problèmes complexes auxquels doivent faire face toutes les sociétés, tant industrialisées qu’en développement. D’après le rapport du Club de Rome, dans son hypothèse la plus optimiste, la production d’or devait s’arrêter il y a 25 ans, en 2000, les mines devant être totalement épuisées. Plus grave, l’extraction de gaz naturel devait survenir en 2021. Et celle de pétrole en 2022. L’hypothèse des experts de 1972 était pourtant résolument optimiste, supposant une poursuite de l’augmentation de la consommation, mais un quintuplement des réserves connues. Sur les dix-neuf ressources étudiées, seules quatre (fer, charbon, chrome, cobalt) devaient rester disponibles sensiblement plus longtemps, de l’ordre de 150 ans.

Il est étrange que des hypothèses exactement contraires aboutissent à la même conclusion : « il faut faire décroitre l’économie »

Pour le rapport de 1972, il n’existait donc pas de risque de changement climatique dû au CO2 puisque la consommation de gaz et de pétrole allait rapidement disparaître faute de production de ces combustibles. La décroissance étant inévitable, les efforts devaient se concentrer sur la façon de s’y adapter.

Les grossières erreurs contenues dans le rapport du Club de Rome n’impliquent pas que les données du GIEC soient inexactes. Mais il est étrange que des hypothèses exactement contraires aboutissent à la même conclusion : « il faut faire décroitre l’économie ». Ces surprenants revirements peuvent expliquer les doutes qu’expriment une partie de la population : comment avoir confiance en des positions opposées soutenues avec le même enthousiasme par de nombreux scientifiques, et utilisées par de nombreux responsables politiques. D’autant plus qu’on imagine les conséquences dévastatrices qu’aurait eu la prise en compte effective des conclusions du Club de Rome au niveau mondial : investissements massivement improductifs, chute de 50% du niveau de vie dans tous les pays du monde, famines, guerres. De la part des citoyens, une certaine circonspection est donc compréhensible.

https://contrepoints.org/quand-le-club-de-rome-predisait-le-contraire-de-ce-que-predit-le-giec/

 
 
Regarder en arrière pour mieux se projeter dans l'avenir
 
Retour sur le passé, perspectives d'avenir 
 
Comment avez-vous été impliqué au sein du Club de Rome, et comment le rapport « Les Limites à la croissance » a-t-il vu le jour ? 
 
Mon implication dans le projet « Les Limites à la croissance » – et ma participation ultérieure en tant que l'un des quatre auteurs de ce premier rapport de vulgarisation destiné au Club de Rome – est due au hasard : j'étais au bon endroit au bon moment. Je suis arrivé au MIT en janvier 1970, à l'âge de 24 ans, pour préparer un doctorat en physique, mais j'ai rapidement constaté que ce domaine n'offrait aucun avenir, car il était saturé de physiciens bien plus compétents que moi. 
 
Par hasard, j'ai assisté à une conférence du professeur Jay W. Forrester de la Sloan School of Management du MIT sur l'application des modèles mathématiques aux problèmes urbains. J'ai immédiatement su que c'était ma voie. Quelques mois plus tard, je quittai le département de physique pour rejoindre le groupe de dynamique des systèmes de Forrester. C'est alors qu'un second miracle se produisit : Jay W. Forrester convainquit le comité exécutif du Club de Rome de venir une semaine à la Sloan School pour se former à la dynamique des systèmes et à son potentiel d'analyse de ce que leur dirigeant, Aurelio Peccei, appelait le monde « problématique ». Forrester avait besoin d'aide pour l'enseignement, et comme j'étais sur place – bénévolement, grâce à une subvention du gouvernement norvégien –, j'intégrai l'équipe dirigée par un autre jeune homme, Dennis L. Meadows, qui avait obtenu son doctorat l'année précédente. 
 
 Le cours fut un succès, notamment parce que Forrester avait déjà réalisé un prototype du modèle du monde basé sur la dynamique des systèmes, qui allait devenir le fondement scientifique et intellectuel de son ouvrage *Les Limites à la croissance*. Peu après, le comité exécutif obtint un financement d'une fondation allemande pour mener à bien le projet. Forrester, peu intéressé, ayant déjà réalisé le prototype WORLD2 et étant en pleine rédaction de *World Dynamics*, délégua la finalisation du projet du Club de Rome à Dennis Meadows. Dennis s'est attelé au projet avec une grande compétence, force et enthousiasme, amenant très rapidement sa femme, Donnella (Dana) Meadows, de l'Université Harvard pour rejoindre le petit groupe de modélisateurs de dynamique des systèmes au MIT.
 
Un an plus tard, nous avons présenté nos travaux à la réunion annuelle du Club de Rome au Canada en 1971. Les membres du Club de Rome, pour le moins, n'ont pas été convaincus. Ils estimaient que notre modèle et notre rapport n'abordaient pas les problèmes qui, selon eux, dominaient le développement mondial. Ce fut un échec total. 
 
De retour au MIT, Dana a proposé de rédiger une nouvelle version du rapport, dans un format qui permettrait de mieux comprendre la gravité de la situation mondiale, tandis que nous autres élaborions des modèles et réalisions des études de cas pour étayer le rapport. Dana a ensuite écrit seule « Les Limites à la croissance », que nous avons présenté à la Smithsonian Institution à Washington, D.C., en mars 1972. Un éditeur intéressé a décidé d'imprimer suffisamment d'exemplaires du rapport avant la réunion pour en offrir un à chaque membre du groupe de haut niveau réuni par le Club de Rome. C'est ainsi que le livre a été diffusé sur la scène internationale.
 
Conférence au Dartmouth College. De gauche à droite : Jorgen Randers, Jay W. Forrester, Donella Meadows, Dennis Meadows et William W. Behrens. Documentation du Club de Rome
 
 
Quelle fut la réaction à la parution de « The Limits to Growth » en 1972 ? 
 
À Washington, en mars 1972, l’accueil réservé au livre fut majoritairement négatif, voire extrêmement critique. Paradoxalement, cette hostilité contribua à sa notoriété. On se demandait : qu’avaient donc bien pu dire les scientifiques du MIT pour susciter une telle colère ? 
 
Bien que beaucoup l’aient rejeté, quelques voix influentes reconnurent le potentiel explosif de son contenu. Deux mois plus tard, il était publié aux Pays-Bas, où il s’écoula à des centaines de milliers d’exemplaires en quelques semaines seulement. Dès lors, le succès fut fulgurant. Les éditions américaine et britannique rencontrèrent un vif succès, et le livre fut finalement traduit en 36 langues. C’est le reste du monde qui adopta « The Limits to Growth ». Dennis et moi estimons que le livre fut finalement imprimé à trois ou quatre millions d’exemplaires, même si Wikipédia avance le chiffre de 30 millions. 
 
 L’effet secondaire fut une notoriété grandissante, malgré notre jeune âge. Et, plus important encore, « The Limits to Growth » fit connaître le Club de Rome au monde entier. Nous nous sommes soudainement retrouvés à parcourir le monde pour donner des conférences sur les enjeux planétaires, mais avec un message très impopulaire : 
 
La Terre est une planète minuscule où la population et l’activité économique ne cessent de croître, polluant l’atmosphère, abattant les arbres, décimant les animaux et détruisant les océans. Il est évident que la croissance démographique doit cesser avant que nous ne dépassions les limites physiques de la planète Terre. Cela signifie que ce doit être fait maintenant dans les pays riches, et plus tard dans les pays pauvres. L’humanité doit adapter son empreinte écologique aux limites physiques de la planète. Sinon, ce sera l’effondrement. 
 
Mais le message n’a pas été bien accueilli. Le combat était difficile, face à une résistance croissante. Après dix ans, en 1980, j’ai abandonné et décidé de me consacrer à autre chose pendant vingt ans – le temps que je jugeais nécessaire avant que les dégâts causés par la croissance démographique continue ne soient suffisamment visibles pour que l’opinion publique soutienne des mesures correctives.
 
L'équipe de recherche « Limits to Growth » (William Behrens III, Jorgen Randers, Dennis Meadows et Donella Meadows) avec Aurelio Peccei et William Dietel présentant leurs conclusions à la Smithsonian Institution à Washington, D.C., en 1972.
 
 
Après votre retour au sein du Club de Rome, l'une de vos contributions majeures a été le projet « La Terre pour tous », première initiative élaborée collectivement par de nombreux membres. Comment percevez-vous « La Terre pour tous » par rapport au rapport « Les Limites à la croissance » ? S'agit-il d'une continuation ou d'une réinterprétation ? 
 
 Le rapport « La Terre pour tous » est un ouvrage du même type que « Les Limites à la croissance ». C'est un modèle de dynamique des systèmes à grande échelle, composé de centaines d'équations, qui décrit l'évolution mondiale de 1980 à 2100. Les conclusions sont globalement les mêmes : si l'on continue sur la même voie, on s'expose à des problèmes ; si l'on fait les bons choix, l'humanité peut accéder à un avenir meilleur. 
 
En ce sens, « La Terre pour tous » est à la fois une continuation et une réinterprétation de l'ouvrage initial. Il revisite les mêmes questions avec des données plus précises et des outils plus performants, mais le message de fond demeure inchangé. Il s'agit d'une nouvelle tentative, dans le cadre de l'effort de longue date du Club de Rome pour influencer le cours du monde – avec un certain impact, même si celui-ci reste insuffisant pour inverser les tendances dominantes.
 
L'équipe d'auteurs du rapport « La Terre pour tous » présente le rapport nouvellement publié lors de la conférence de presse.
 
 
Avec le recul, y a-t-il un point sur lequel vous avez changé d'avis au cours des cinq dernières décennies de ce travail ? 
 
 Lorsque nous avons écrit « Les Limites à la croissance » en 1972, je pensais que le principal problème était la rareté des ressources. En 2000, j'ai compris qu'il s'agissait du changement climatique. Nous ne manquerons ni de nourriture ni de minéraux ; le véritable danger provient de la combustion des énergies fossiles. 
 
 À l'époque, je croyais qu'il suffirait de présenter les faits. J'étais persuadé que les électeurs, les entreprises et les gouvernements agiraient une fois qu'ils auraient compris ! Mais ils ne l'ont pas fait. Après dix ans d'efforts, j'ai abandonné. J'ai appris que l'information seule ne modifie pas les comportements. 
 
 Je ne crois plus non plus que les marchés et les démocraties soient capables de résoudre les problèmes à long terme. L'intérêt personnel à court terme l'emporte. Jeune homme, je faisais confiance aux arguments rationnels ; aujourd'hui, je crois que seuls un leadership fort et une action collective peuvent apporter les solutions nécessaires. 
 
 À mes yeux, la Chine illustre parfaitement la voie à suivre. Grâce à des investissements publics délibérés, longs et coûteux dans le solaire, les véhicules électriques et les batteries, la Chine a développé les technologies dont nous avons besoin. C'est une opinion très impopulaire, mais je crois que la Chine finira par sauver le monde. 
 
 Quel devrait être, selon vous, le rôle du Club de Rome au cours des 50 prochaines années, notamment compte tenu de la crise actuelle ? 
 
 Le rôle du Club de Rome devrait rester le même : apporter une vision à long terme et novatrice au débat sur le développement mondial. En pratique, il fonctionne mieux comme un forum de discussion ouvert que comme une force politique, où peuvent se rencontrer des opinions politiques et religieuses diverses. 
 
 Son impact réel aurait pu être plus important s'il s'était davantage concentré sur les défis que l'humanité doit relever dans les limites d'une planète aux ressources finies. Mais l'expérience montre qu'il est difficile pour ses membres de s'entendre sur des recommandations précises. 
 
Le Club de Rome occupe une place importante : un point de rencontre entre les puissants intérêts à court terme et la contrainte du long terme – un forum qui met en lumière cette tension et promeut la tolérance entre les différentes civilisations dans un monde où tout est possible. 
 
 C’est, je crois, ce que le Club de Rome devrait continuer à faire dans les décennies à venir.

Jorgen Randers, membre du Club de Rome et co-auteur de « Les limites de la croissance », partage avec Alifiandi Rahman Yusuf, chercheur en communication, les leçons qu'il a tirées d'un demi-siècle de recherche, d'activisme, d'enseignement et d'engagement en faveur du développement durable mondial.
31 octobre 2025 - Comment avez-vous commencé à vous impliquer au sein du Club de Rome, et comment le rapport « Les limites à la croissance » a-t-il vu le jour ? Je me suis impliqué dans le projet « Les limites à la croissance » – et suis devenu par la suite l’un des quatre auteurs de ce premier rapport de vulgarisation destiné au Club de Rome – tout simplement…
Publications 
 


Transformation is Feasible<span> – 2018</span>

Transformation is Feasible – 2018
































novembre 15, 2025

Paul Graham: les inégalités de productivité et de salaire

Attention à "l'écart", aux différences, aux inégalités de productivité et de salaire! 

Quand on se passionne pour quelque chose et qu'on veut l'exceller, les meilleurs sont généralement bien supérieurs aux autres. L'écart est immense entre Léonard de Vinci et ses contemporains de second ordre comme Borgognone. On observe le même écart entre Raymond Chandler et l'auteur moyen de romans policiers. Un joueur d'échecs professionnel de haut niveau pourrait disputer dix mille parties contre un joueur amateur sans jamais perdre.

 


 

Comme les échecs, la peinture ou l'écriture de romans, gagner de l'argent est une compétence très spécialisée. Pourtant, pour une raison qui m'échappe, nous la traitons différemment. Personne ne s'offusque lorsque quelques personnes excellent aux échecs ou en écriture de romans, mais lorsque quelques-unes gagnent plus d'argent que les autres, on s'indigne.

 Pourquoi ?  

Le schéma de variation semble identique à celui de n'importe quelle autre compétence. Qu'est-ce qui provoque une réaction si vive lorsqu'il s'agit de gagner de l'argent ? 

Je pense que trois raisons expliquent ce traitement particulier : le modèle trompeur de la richesse inculqué dès l'enfance ; les méthodes douteuses employées jusqu'à récemment pour accumuler les fortunes ; et la crainte que de fortes disparités de revenus soient néfastes pour la société. À mon avis, la première est erronée, la seconde obsolète et la troisième empiriquement fausse. Se pourrait-il que, dans une démocratie moderne, la variation des revenus soit en réalité un signe de bonne santé sociale ? 

Le modèle paternel de la richesse

Quand j'avais cinq ans, je croyais que l'électricité était produite par les prises électriques. J'ignorais l'existence des centrales électriques. De même, la plupart des enfants n'imaginent pas que la richesse doive être créée. Elle leur semble transmise par leurs parents. 

Du fait de leur rapport à la richesse, les enfants ont tendance à mal la comprendre. Ils la confondent avec l'argent. Ils pensent qu'elle est fixe. Et ils la perçoivent comme quelque chose distribué par les autorités (et qui devrait donc être distribuée équitablement), plutôt que comme quelque chose à créer (et qui peut être créé de manière inégale). 

 En réalité, la richesse n'est pas l'argent. L'argent n'est qu'un moyen pratique d'échanger une forme de richesse contre une autre. La richesse, c'est ce qui la sous-tend : les biens et les services que nous achetons. Quand on voyage dans un pays riche ou pauvre, on n'a pas besoin de regarder les comptes bancaires des gens pour savoir dans quelle catégorie on se trouve. La richesse est visible : dans les bâtiments et les rues, dans les vêtements et la santé des gens. 

D'où vient la richesse ?  

Des êtres humains qui la créent. C’était plus facile à comprendre lorsque la plupart des gens vivaient à la ferme et fabriquaient eux-mêmes nombre d’objets. On pouvait alors constater, à travers les maisons, les troupeaux et les greniers, la richesse que chaque famille produisait. Il était évident, à cette époque également, que la richesse mondiale n’était pas une quantité fixe à partager, comme des parts de gâteau. Si l’on désirait plus de richesse, on pouvait la créer. 

Cela reste vrai aujourd’hui, même si rares sont ceux qui créent directement de la richesse pour eux-mêmes (à l’exception de quelques tâches domestiques marginales). Le plus souvent, nous créons de la richesse pour autrui en échange d’argent, que nous troquons ensuite contre les formes de richesse que nous désirons. [1]

Comme les enfants sont incapables de créer de la richesse, tout ce qu'ils possèdent leur est donné. Et quand la richesse est un don, il semble naturel qu'elle doive être distribuée équitablement. [2] C'est d'ailleurs le cas dans la plupart des familles. Les enfants y veillent. « C'est injuste ! » s'écrient-ils lorsqu'un frère ou une sœur reçoit plus qu'un autre. 
 
Dans la réalité, on ne peut pas vivre indéfiniment aux crochets de ses parents. Si l'on désire quelque chose, il faut soit le fabriquer soi-même, soit rendre service à quelqu'un d'autre pour obtenir l'argent nécessaire à son acquisition.
Dans la réalité, la richesse est (à l'exception de quelques spécialistes comme les voleurs et les spéculateurs) quelque chose que l'on doit créer, et non un cadeau de papa. Et comme la capacité et la volonté de la créer varient d'une personne à l'autre, elle n'est pas répartie équitablement. 
 
On est rémunéré en faisant ou en créant quelque chose que les gens désirent, et ceux qui gagnent le plus d'argent sont souvent tout simplement plus doués pour répondre à ces besoins. Les acteurs les plus en vue gagnent bien plus que les acteurs de second plan. Les acteurs de second plan ont beau être presque aussi charismatiques, quand les spectateurs vont au cinéma et consultent la programmation, ils recherchent ce petit plus que possèdent les grandes stars. 
 
Bien sûr, répondre aux attentes du public n'est pas le seul moyen de gagner de l'argent. On peut aussi braquer des banques, solliciter des pots-de-vin ou instaurer un monopole. Ces stratagèmes expliquent une partie des variations de richesse, et même certaines des plus grandes fortunes individuelles, mais ils n'en sont pas la cause première. La cause première des variations de revenus, comme le suggère le rasoir d'Occam, est la même que celle des variations de toutes les autres compétences humaines. 
 
Aux États-Unis, le PDG d'une grande entreprise cotée en bourse gagne environ 100 fois plus que le citoyen moyen. [3] Les joueurs de basket-ball gagnent environ 128 fois plus, et les joueurs de baseball 72 fois plus. Les éditoriaux citent ce genre de statistiques avec effroi. Pourtant, je n'ai aucun mal à imaginer qu'une personne puisse être 100 fois plus productive qu'une autre. Dans la Rome antique, le prix des esclaves variait d'un facteur 50 selon leurs compétences. [4] Et ce, sans tenir compte de la motivation ni des gains de productivité supplémentaires qu'offrent les technologies modernes.
 
Les éditoriaux sur les salaires des athlètes ou des PDG me rappellent les premiers auteurs chrétiens qui, se basant sur des principes fondamentaux, débattaient de la rotondité de la Terre, alors qu'il leur suffisait de sortir et de le vérifier. [5] La valeur du travail d'une personne n'est pas une question politique. C'est le marché qui la détermine. 
 
« Valent-ils vraiment 100 d'entre nous ? » demandent les éditorialistes. Tout dépend de ce que l'on entend par valeur. Si l'on entend par valeur ce que les gens sont prêts à payer pour leurs compétences, la réponse est apparemment oui. 
 
Les revenus de certains PDG sont entachés d'irrégularités. Mais n'y en a-t-il pas d'autres dont les revenus reflètent réellement la richesse qu'ils créent ? Steve Jobs a sauvé une entreprise au bord du gouffre. Et pas seulement en réduisant les coûts, comme le ferait un spécialiste du redressement d'entreprises ; il a dû décider des prochains produits d'Apple. Peu d'autres en auraient été capables. Et, indépendamment du cas des PDG, il est difficile de nier que les salaires des joueurs de basket-ball professionnels soient dictés par l'offre et la demande. 
 
 Il peut sembler improbable, en principe, qu'un individu puisse réellement générer beaucoup plus de richesse qu'un autre. La clé de ce mystère est de se poser à nouveau la question : vaut-il vraiment 100 d'entre nous ? Une équipe de basket-ball échangerait-elle l'un de ses joueurs contre 100 personnes choisies au hasard ? À quoi ressemblerait le prochain produit d'Apple si l'on remplaçait Steve Jobs par un comité de 100 personnes choisies au hasard ? [6] Ces choses ne sont pas proportionnelles. Le PDG ou l'athlète professionnel possède peut-être seulement dix fois plus de compétences et de détermination (quoi que cela signifie) qu'une personne ordinaire. Mais le fait que ces compétences soient concentrées en un seul individu change tout. 
 
Quand on dit qu'un type de travail est surpayé et un autre sous-payé, qu'entend-on vraiment par là ? Sur un marché libre, les prix sont déterminés par la demande. Le public préfère le baseball à la poésie, donc les joueurs de baseball gagnent plus que les poètes. Dire qu'un certain type de travail est sous-payé revient donc à dire que les gens veulent les mauvaises choses.
 
Bien sûr, les gens désirent parfois les mauvaises choses. Il est étrange de s'en étonner. Et il paraît encore plus étrange de dire qu'il est injuste que certains types de travail soient sous-payés. [7] Vous affirmez alors qu'il est injuste que les gens désirent les mauvaises choses. Il est regrettable que certains préfèrent la téléréalité et les corn dogs à Shakespeare et aux légumes vapeur, mais injuste ? C'est comme dire que le bleu est lourd ou que le haut est circulaire. 
 
 L'apparition du mot « injuste » ici est la signature spectrale indéniable du Modèle Paternel. Comment expliquer autrement la présence de cette idée dans ce contexte étrange ? Si l'orateur fonctionnait encore selon le Modèle Paternel et considérait la richesse comme un héritage d'une source commune à partager, plutôt que comme le fruit de la satisfaction des désirs d'autrui, c'est précisément ce qui se produirait en constatant que certains gagnent bien plus que d'autres. 
 
 Lorsque nous parlons de « répartition inégale des revenus », nous devrions également nous demander : d'où proviennent ces revenus ? [8] Qui a créé la richesse qu'ils représentent ? Car, dans la mesure où le revenu varie simplement en fonction de la richesse créée par les individus, sa répartition peut être inégale, mais elle est loin d'être injuste. 
 
Le vol 
 
 La seconde raison pour laquelle les fortes disparités de richesse nous alarment est que, pendant la majeure partie de l'histoire humaine, le moyen habituel d'accumuler une fortune consistait à la voler : dans les sociétés pastorales, par le vol de bétail ; dans les sociétés agricoles, par l'appropriation des biens d'autrui en temps de guerre et leur taxation en temps de paix.

Lors des conflits, les vainqueurs recevaient les domaines confisqués aux vaincus. En Angleterre, dans les années 1060, lorsque Guillaume le Conquérant distribua les biens des nobles anglo-saxons vaincus à ses partisans, le conflit était militaire. Dans les années 1530, lorsque Henri VIII distribua les biens des monastères à ses fidèles, il était surtout politique. [9] Mais le principe restait le même. D'ailleurs, ce même principe est encore à l'œuvre aujourd'hui au Zimbabwe. 
 
Dans les sociétés plus organisées, comme la Chine, le souverain et ses fonctionnaires recouraient à l'impôt plutôt qu'à la confiscation. Mais là aussi, on retrouve le même principe : s'enrichir ne consistait pas à créer de la richesse, mais à servir un souverain suffisamment puissant pour se l'approprier. 
 
 Cette situation commença à évoluer en Europe avec l'essor de la classe moyenne. Aujourd'hui, nous considérons la classe moyenne comme un groupe de personnes ni riches ni pauvres, mais à l'origine, elle constituait une catégorie distincte. Dans une société féodale, il n'y avait que deux classes : une aristocratie guerrière et les serfs qui travaillaient sur leurs terres. La classe moyenne constituait un troisième groupe, nouveau et urbain, qui subvenait à ses besoins grâce à la production et au commerce. 
 
À partir des Xᵉ et XIᵉ siècles, de petits nobles et d'anciens serfs s'unirent dans des villes qui devinrent progressivement suffisamment puissantes pour s'affranchir des seigneurs féodaux locaux. [10] À l'instar des serfs, la classe moyenne tirait ses revenus principalement de la création de richesses. (Dans les villes portuaires comme Gênes et Pise, elle pratiquait également la piraterie.) Mais contrairement aux serfs, elle avait tout intérêt à en créer en abondance. Toute richesse créée par un serf appartenait à son maître. Il n'y avait guère d'intérêt à amasser plus que ce que l'on pouvait dissimuler. En revanche, l'indépendance des citadins leur permettait de conserver toute la richesse qu'ils créaient.

Dès lors qu'il est devenu possible de s'enrichir en créant de la richesse, la société dans son ensemble a connu une croissance fulgurante. Presque tout ce que nous possédons a été créé par la classe moyenne. De fait, les deux autres classes ont quasiment disparu dans les sociétés industrielles, et leurs noms ont été attribués aux extrémités de la classe moyenne. (Au sens premier du terme, Bill Gates appartient à la classe moyenne.) 
 
Mais ce n'est qu'avec la révolution industrielle que la création de richesse a définitivement supplanté la corruption comme principal moyen de s'enrichir. En Angleterre, du moins, la corruption n'est devenue ringarde (et n'a d'ailleurs commencé à être qualifiée de « corruption ») qu'avec l'apparition d'autres voies, plus rapides, pour s'enrichir. 
 
 L'Angleterre du XVIIe siècle ressemblait beaucoup au tiers-monde d'aujourd'hui, en ce sens que les fonctions publiques constituaient une voie reconnue vers la richesse. Les grandes fortunes de cette époque provenaient encore davantage de ce que nous appellerions aujourd'hui la corruption que du commerce. [11] Au XIXe siècle, la situation avait évolué. Les pots-de-vin persistaient, comme partout encore, mais la politique était alors entre les mains d'hommes davantage guidés par la vanité que par l'avidité. La technologie avait rendu possible la création de richesses plus rapide que leur vol. L'homme riche par excellence du XIXe siècle n'était pas un courtisan, mais un industriel. 
 
Avec l'essor de la classe moyenne, la richesse cessa d'être un jeu à somme nulle. Jobs et Wozniak n'eurent plus besoin de nous appauvrir pour s'enrichir. Bien au contraire : ils créèrent des choses qui améliorèrent matériellement nos vies. Ils n'avaient pas le choix, sinon nous ne les aurions pas achetées. 
 
Mais comme, pendant la majeure partie de l'histoire, le principal moyen d'accéder à la richesse était de la voler, nous avons tendance à nous méfier des riches. Les étudiants idéalistes voient leur conception enfantine et inconsciente de la richesse confirmée par d'éminents auteurs du passé. C'est le cas d'une vision erronée qui rencontre une conception dépassée.

« Derrière chaque grande fortune se cache un crime », écrivait Balzac. Sauf qu'il ne l'a pas dit. En réalité, il affirmait qu'une grande fortune sans cause apparente était probablement due à un crime si bien exécuté qu'il avait été oublié. Si l'on parlait de l'Europe de l'an 1000, ou de la plupart des pays du tiers monde aujourd'hui, cette citation erronée serait tout à fait juste. Mais Balzac vivait dans la France du XIXe siècle, où la révolution industrielle était déjà bien avancée. Il savait qu'on pouvait faire fortune sans voler. Après tout, il l'avait fait lui-même, en tant que romancier populaire. [12] 
 
Seuls quelques pays (et ce n'est pas un hasard, les plus riches) ont atteint ce stade. Dans la plupart, la corruption règne encore en maître. Dans la plupart, le moyen le plus rapide de s'enrichir est de voler. Aussi, lorsque l'on constate des inégalités de revenus croissantes dans un pays riche, on a tendance à craindre qu'il ne retombe dans le schéma du Venezuela. Je pense, au contraire, que c'est l'inverse qui se produit. Je pense que nous assistons à l'émergence d'un pays bien plus avancé que le Venezuela. 
 
 Le levier de la technologie 
 
La technologie va-t-elle creuser l'écart entre riches et pauvres ? 
Elle creusera assurément l'écart entre les personnes productives et improductives. C'est là tout l'enjeu de la technologie. Avec un tracteur, un agriculteur énergique pourrait labourer six fois plus de terre en une journée qu'avec une équipe de chevaux. Mais seulement s'il maîtrisait une nouvelle forme d'agriculture. 
 
 J'ai vu de mon vivant le levier de la technologie se déployer de manière tangible. Au lycée, je gagnais ma vie en tondant des pelouses et en servant des glaces chez Baskin-Robbins. C'était le seul travail disponible à l'époque. Aujourd'hui, les lycéens peuvent programmer ou concevoir des sites web. Mais seuls quelques-uns le feront ; les autres continueront à servir des glaces.
 
Je me souviens très bien qu'en 1985, grâce aux progrès technologiques, j'ai pu m'acheter mon propre ordinateur. Quelques mois plus tard, je gagnais ma vie comme programmeur indépendant. Quelques années auparavant, cela aurait été impossible. Le métier de programmeur indépendant n'existait pas. Mais Apple a créé de la richesse grâce à des ordinateurs puissants et abordables, et les programmeurs se sont immédiatement mis à l'œuvre pour en créer davantage. 
 
Comme le suggère cet exemple, le rythme auquel la technologie accroît notre capacité de productivité est probablement exponentiel, et non linéaire. On peut donc s'attendre à une variation toujours plus grande de la productivité individuelle au fil du temps. Cela creusera-t-il l'écart entre riches et pauvres ? Cela dépend de quel écart on parle. 
 
 La technologie devrait accroître les inégalités de revenus, mais elle semble réduire d'autres inégalités. Il y a un siècle, les riches menaient une vie bien différente de celle des gens ordinaires. Ils vivaient dans des maisons pleines de domestiques, portaient des vêtements somptueux et inconfortables, et se déplaçaient en calèches tirées par des attelages de chevaux qui nécessitaient eux-mêmes leurs propres maisons et domestiques. Aujourd'hui, grâce à la technologie, les riches vivent comme tout le monde. 
 
Les voitures en sont un bon exemple. On peut s'offrir des voitures de luxe, fabriquées à la main, qui coûtent des centaines de milliers de dollars. Mais quel intérêt ? Les constructeurs gagnent davantage en produisant un grand nombre de voitures ordinaires qu'un petit nombre de modèles haut de gamme. Un constructeur produisant des voitures en série peut donc se permettre d'investir beaucoup plus dans leur conception. Si vous achetez une voiture sur mesure, il y aura toujours quelque chose qui tombera en panne. Le seul intérêt d'en acheter une aujourd'hui, c'est d'afficher sa richesse.
 
Prenons l'exemple des montres. Il y a cinquante ans, investir une somme importante dans une montre permettait d'obtenir de meilleures performances. À l'époque des mouvements mécaniques, les montres de luxe étaient plus précises. Ce n'est plus le cas. Depuis l'invention du mouvement à quartz, une simple Timex est plus précise qu'une Patek Philippe coûtant des centaines de milliers de dollars. [13] En effet, comme pour les voitures de luxe, si l'on tient absolument à dépenser une fortune en montre, il faut accepter certains inconvénients : outre une précision moindre, les montres mécaniques doivent être remontées. 
 
La seule chose que la technologie ne peut dévaloriser, c'est la marque. C'est précisément pourquoi on en parle de plus en plus. La marque est le vestige qui subsiste lorsque les différences substantielles entre riches et pauvres s'estompent. Mais l'étiquette apposée sur un objet importe bien moins que le fait de le posséder ou non. En 1900, si vous possédiez une calèche, personne ne s'enquérait de son année ou de sa marque. En posséder une était signe de richesse. Dans le cas contraire, on prenait l'omnibus ou on marchait. Aujourd'hui, même les Américains les plus modestes conduisent des voitures, et c'est uniquement grâce à la publicité omniprésente que nous sommes capables de reconnaître les modèles particulièrement chers. [14] 
 
Ce même schéma se répète dans de nombreux secteurs. Si la demande est suffisante, la technologie permettra de produire un bien à un prix abordable, ce qui autorisera sa vente en grande quantité. Les versions produites en masse seront, sinon meilleures, du moins plus pratiques. [15] Or, rien ne plaît plus aux riches que le confort. Les personnes aisées que je connais conduisent les mêmes voitures, portent les mêmes vêtements, possèdent le même type de meubles et mangent la même chose que mes autres amis. Leurs maisons se trouvent dans des quartiers différents, ou, si elles sont dans le même quartier, elles sont de tailles différentes, mais leur mode de vie est similaire. Les maisons sont construites selon les mêmes techniques et contiennent sensiblement les mêmes objets. Il est peu pratique de faire appel à un professionnel pour quelque chose de cher et de sur mesure.
 
Les riches passent leur temps comme tout le monde. Bertie Wooster semble bien loin. Aujourd'hui, la plupart des gens assez riches pour ne pas travailler ne travaillent pas pour autant. Ce n'est pas seulement la pression sociale qui les y pousse ; l'oisiveté est source de solitude et de démotivation. 
 
 Les distinctions sociales d'il y a un siècle ont également disparu. Les romans et les manuels de savoir-vivre de cette époque ressemblent désormais à la description d'une étrange société tribale. « En ce qui concerne la pérennité des amitiés… », suggère le Manuel de gestion du foyer de Mme Beeton (1880), « il peut s'avérer nécessaire, dans certains cas, pour une maîtresse de maison de rompre, en prenant en charge un foyer, nombre d'amitiés nouées au début de sa vie.» On attendait d'une femme qui épousait un homme riche qu'elle se détache des amies moins fortunées. Agir ainsi aujourd'hui passerait pour un barbare. La vie serait d'ailleurs bien ennuyeuse. Les gens ont encore tendance à se séparer quelque peu, mais bien plus en fonction de leur niveau d'éducation que de leur richesse. [16] 
 
Matériellement et socialement, la technologie semble réduire les inégalités entre riches et pauvres, au lieu de les creuser. Si Lénine avait visité les bureaux d'une entreprise comme Yahoo, Intel ou Cisco, il aurait cru que le communisme avait triomphé. Tout le monde porterait les mêmes vêtements, aurait le même type de bureau (ou plutôt de box) avec le même mobilier, et s'appellerait par son prénom plutôt que par un titre honorifique. Tout semblerait conforme à ses prédictions, jusqu'à ce qu'il jette un œil à leurs comptes bancaires. Oups ! 
 
Est-ce problématique si la technologie creuse ces inégalités ? Pour l'instant, cela ne semble pas être le cas. En creusant l'écart de revenus, elle semble réduire la plupart des autres inégalités. 
 
Alternative à un axiome

On entend souvent critiquer une politique au motif qu'elle creuserait les inégalités de revenus entre riches et pauvres. Comme si c'était une évidence que ce serait néfaste. Il est possible qu'une plus grande disparité des revenus soit préjudiciable, mais je ne vois pas comment on pourrait l'affirmer comme une vérité absolue. 
 
En réalité, cela pourrait même être faux, dans les démocraties industrielles. Dans une société de serfs et de seigneurs de guerre, il est certain que la disparité des revenus est le signe d'un problème sous-jacent. Mais le servage n'est pas la seule cause de cette disparité. Un pilote de 747 ne gagne pas 40 fois plus qu'une caissière parce qu'il est un seigneur de guerre qui la tient sous son emprise. Ses compétences sont tout simplement bien plus précieuses. 
 
 J'aimerais proposer une autre idée : dans une société moderne, une plus grande disparité des revenus est un signe de bonne santé. Le progrès technologique semble accroître la variation de la productivité à un rythme supérieur à la moyenne. Si l'on n'observe pas de variation correspondante des revenus, trois explications sont possibles : (a) l'innovation technique s'est arrêtée, (b) les personnes les plus à même de créer de la richesse ne le font pas, ou (c) elles ne sont pas rémunérées pour cela. 
 
On peut affirmer sans risque que les options (a) et (b) sont défavorables. Si vous n'êtes pas d'accord, essayez de vivre un an avec les seules ressources dont disposait un noble franc moyen en l'an 800, et faites-nous part de vos observations. (Je serai généreux et ne vous renverrai pas à l'âge de pierre.) 
 
La seule possibilité, si l'on veut une société de plus en plus prospère sans augmentation des disparités de revenus, semble être (c) : que les gens créent beaucoup de richesse sans être rémunérés. Que Jobs et Wozniak, par exemple, travaillent volontiers 20 heures par jour pour produire l'ordinateur Apple pour une société qui leur permet, après impôts, de conserver juste assez de leurs revenus pour égaler ce qu'ils auraient gagné en travaillant de 9 h à 17 h dans une grande entreprise.
 
Les gens créeront-ils de la richesse s'ils ne sont pas rémunérés pour cela ? Seulement si c'est amusant. On écrira des systèmes d'exploitation gratuitement. Mais personne ne les installera, n'assurera le support technique ni ne formera les utilisateurs. Et au moins 90 % du travail, même dans les entreprises technologiques les plus performantes, relève de cette seconde catégorie, peu gratifiante. 
 
Toutes les formes de création de richesse peu attrayantes ralentissent considérablement dans une société qui confisque les fortunes privées. On peut le vérifier empiriquement. Imaginez que vous entendiez un bruit étrange, probablement dû à un ventilateur. Vous l'éteignez : le bruit cesse. Vous le rallumez : le bruit recommence. Éteint : silence. Allumé : bruit. En l'absence d'autres informations, il semblerait que le bruit provienne du ventilateur. 
 
À différentes époques et en différents lieux, la possibilité d'accumuler une fortune en créant de la richesse a connu des hauts et des bas. En Italie du Nord, au 800, c'était impossible (les seigneurs de guerre s'en emparaient). En Italie du Nord, au 1100, c'était possible. France centrale en 1100 : création de richesse interrompue (système féodal en vigueur). Angleterre en 1800 : création de richesse activée. Angleterre en 1974 : création de richesse interrompue (taux d’imposition de 98 % sur les revenus du capital). États-Unis en 1974 : création de richesse activée. Nous avons même mené une étude comparative : Allemagne de l’Ouest : création de richesse activée ; Allemagne de l’Est : création de richesse interrompue. Dans tous les cas, la création de richesse semble apparaître et disparaître comme le bruit d’un ventilateur, selon que l’on active ou désactive la perspective de la conserver. 
 
Il y a un certain effet d’inertie. Il faut probablement au moins une génération pour transformer une population en Allemands de l’Est (heureusement pour l’Angleterre). Mais si nous n’étudiions qu’un simple ventilateur, sans toutes les connotations négatives liées à la question controversée de la richesse, personne ne douterait que le ventilateur soit à l’origine du bruit. 
 
Si l’on supprime les disparités de revenus, que ce soit en s’appropriant les fortunes privées, comme le faisaient les seigneurs féodaux, ou en les taxant excessivement, comme l’ont fait certains gouvernements modernes, le résultat semble toujours être le même : la société dans son ensemble finit par s’appauvrir.

Si j'avais le choix entre vivre dans une société où je serais matériellement bien plus aisé qu'aujourd'hui, mais parmi les plus pauvres, ou dans une société où je serais le plus riche, mais bien plus pauvre qu'aujourd'hui, je choisirais la première option. Si j'avais des enfants, il serait sans doute immoral de ne pas en avoir. C'est la pauvreté absolue qu'il faut éviter, pas la pauvreté relative. Si, comme les éléments présentés jusqu'ici le suggèrent, il faut choisir entre l'une ou l'autre dans sa société, il faut opter pour la pauvreté relative. 
 
On a besoin de riches dans sa société, non pas tant parce que leurs dépenses créent des emplois, mais à cause des sacrifices qu'ils consentent pour s'enrichir. Je ne parle pas ici de la théorie du ruissellement. Je ne dis pas que si l'on laisse Henry Ford s'enrichir, il vous embauchera comme serveur à sa prochaine réception. Je dis qu'il vous fabriquera un tracteur pour remplacer votre cheval. 
 
Paul Graham
 
Remarques 
 
 [1] Si ce sujet est si controversé, c'est en partie parce que certains de ceux qui s'expriment le plus ouvertement sur la question de la richesse — étudiants, héritiers, professeurs, politiciens et journalistes — sont ceux qui ont le moins d'expérience en la matière. (Ce phénomène est familier à quiconque a déjà entendu des conversations sur le sport dans un bar.)
Les étudiants dépendent encore largement de l'aide financière de leurs parents et ne se sont jamais interrogés sur la provenance de cet argent. Les héritiers, quant à eux, en dépendront toute leur vie. Les professeurs et les politiciens évoluent dans les méandres d'une économie socialiste, à distance de la création de richesse, et perçoivent un salaire fixe, indépendamment de leurs efforts. Les journalistes, par déontologie, se tiennent à l'écart du service commercial des entreprises pour lesquelles ils travaillent, chargé de collecter les revenus. Nombre d'entre eux ignorent que l'argent qu'ils reçoivent représente une richesse – une richesse créée, sauf pour les journalistes, par d'autres. Ils vivent dans un monde où les revenus sont distribués par une autorité centrale selon une notion abstraite d'équité (ou de manière aléatoire, dans le cas des héritiers), plutôt que d'être versés par autrui en contrepartie d'un effort consenti. Il peut donc leur paraître injuste que le reste de l'économie fonctionne différemment. (Certains professeurs contribuent effectivement à la richesse de la société. Mais leur rémunération n'est pas un échange de bons procédés. Il s'agit plutôt d'un investissement.) 
 
 [2] À la lecture des origines de la Fabian Society, on croirait entendre une invention des enfants idéalistes de l'époque édouardienne, tels que décrits dans « The Wouldbegoods » d'Edith Nesbit. 
 
 [3] Selon une étude de la Corporate Library, la rémunération totale médiane des PDG des entreprises du S&P 500 en 2002, incluant salaire, bonus, attributions d'actions et exercice d'options d'achat d'actions, s'élevait à 3,65 millions de dollars. D'après Sports Illustrated, le salaire moyen d'un joueur de NBA lors de la saison 2002-2003 était de 4,54 millions de dollars, et celui d'un joueur de baseball de la Ligue majeure au début de la saison 2003 était de 2,56 millions de dollars. Selon le Bureau des statistiques du travail, le salaire annuel moyen aux États-Unis en 2002 était de 35 560 $.
 
[4] Au début de l'Empire, le prix d'un esclave adulte ordinaire semble avoir été d'environ 2 000 sesterces (par exemple, Horace, Sat. ii.7.43). Une servante coûtait 600 sesterces (Martial vi.66), tandis que Columelle (iii.3.8) indique qu'un vigneron qualifié valait 8 000 sesterces. Un médecin, P. Decimus Eros Merula, paya 50 000 sesterces pour sa liberté (Dessau, Inscriptiones 7812). Sénèque (Ep. xxvii.7) rapporte qu'un certain Calvisius Sabinus paya 100 000 sesterces par esclave versé dans les classiques grecs. Pline l'Ancien (Histoire naturelle, VII, 39) rapporte que le prix le plus élevé payé pour un esclave à son époque s'élevait à 700 000 sesterces, pour le linguiste (et probablement enseignant) Daphnis, mais que ce montant avait depuis été dépassé par des acteurs rachetant leur liberté. À Athènes, dans l'Antiquité, les prix variaient de façon similaire. Un simple ouvrier valait environ 125 à 150 drachmes. Xénophon (Mémoires, II, 5) mentionne des prix allant de 50 à 6 000 drachmes (pour le directeur d'une mine d'argent). Pour en savoir plus sur l'économie de l'esclavage dans l'Antiquité, voir : Jones, A. H. M., « Slavery in the Ancient World », Economic History Review, 2:9 (1956), 185-199, réimprimé dans Finley, M. I. (éd.), Slavery in Classical Antiquity, Heffer, 1964. 
 
[5] Ératosthène (276-195 av. J.-C.) a utilisé la longueur des ombres dans différentes villes pour estimer la circonférence de la Terre. Son erreur n'était que d'environ 2 %. 
 
 [6] Non, et Windows, respectivement. 
 
 [7] L'une des plus grandes divergences entre le modèle paternel et la réalité réside dans la valorisation du travail acharné. Dans le modèle paternel, le travail acharné est en soi une vertu. En réalité, la richesse se mesure à ce que l'on apporte, et non à l'effort fourni. Si je peins la maison de quelqu'un, le propriétaire ne devrait pas me payer plus cher pour le faire avec une brosse à dents.
Pour quelqu'un qui adhère encore implicitement au modèle paternel, il semblera injuste qu'une personne travaille dur et soit mal payée. Pour clarifier la situation, imaginons que nous nous séparions de tous les autres et que nous placions notre travailleur sur une île déserte, où il devra chasser et cueillir des fruits. S'il est mauvais dans ce domaine, il travaillera dur sans obtenir grand-chose à manger. Est-ce injuste ? Qui est injuste envers lui ? 
 
[8] La persistance du modèle paternel s'explique peut-être en partie par la double signification du terme « distribution ». Lorsque les économistes parlent de « distribution des revenus », ils font référence à la distribution statistique. Mais à force d'utiliser cette expression, on l'associe inévitablement à l'autre sens du mot (comme dans « distribution de l'aumône »), et l'on perçoit ainsi inconsciemment la richesse comme une ressource provenant d'une source unique. Le terme « régressif », appliqué aux taux d'imposition, a un effet similaire, du moins sur moi : comment quelque chose de régressif pourrait-il être bénéfique ? 
 
 [9] « Dès le début du règne, Thomas Lord Roos fut un courtisan assidu du jeune Henri VIII et ne tarda pas à en récolter les fruits. En 1525, il fut fait chevalier de l'Ordre de la Jarretière et reçut le titre de comte de Rutland. Dans les années 1530, son soutien à la rupture avec Rome, son zèle à réprimer le Pèlerinage de Grâce et sa propension à voter la peine de mort lors des procès pour trahison qui marquèrent la succession de procès spectaculaires qui émaillèrent le parcours matrimonial tumultueux d'Henri VIII firent de lui un candidat idéal pour recevoir des biens monastiques. » Stone, Lawrence, <i>Family and Fortune: Studies in Aristocratic Finance in the Sixteenth and Seventeenth Centuries</i>, Oxford University Press, 1973, p. 166.
 
[10] Des vestiges archéologiques témoignent de l'existence d'importantes agglomérations plus anciennes, mais il est difficile de déterminer leur fonctionnement. Hodges, Richard et David Whitehouse, Mohammed, Charlemagne and the Origins of Europe, Cornell University Press, 1983. 
 
[11] William Cecil et son fils Robert furent tour à tour les ministres les plus influents de la Couronne et tous deux profitèrent de leur position pour amasser des fortunes parmi les plus considérables de leur époque. Robert, en particulier, poussa la corruption jusqu'à la trahison. « En tant que secrétaire d'État et principal conseiller du roi Jacques en matière de politique étrangère, [il] bénéficiait d'un traitement de faveur particulier : les Hollandais lui offraient d'importants pots-de-vin pour qu'il ne fasse pas la paix avec l'Espagne, et l'Espagne lui en offrait d'importants pour qu'il la fasse. » (Stone, op. cit., p. 17.) 
 
 [12] Bien que Balzac ait amassé une fortune grâce à ses écrits, il était notoirement imprévoyant et fut toute sa vie accablé par les dettes. 
 
 [13] Une montre Timex avance ou retarde d'environ 0,5 seconde par jour. La montre mécanique la plus précise, la Patek Philippe Tourbillon 10 Jours, affiche une précision de -1,5 à +2 secondes. Son prix de vente est d'environ 220 000 $. 
 
 [14] Si l'on demandait à un habitant moyen de l'époque édouardienne de choisir entre une limousine Lincoln Town Car dix places de 1989 en excellent état (5 000 $) et une berline Mercedes S600 de 2004 (122 000 $), il y a fort à parier qu'il se tromperait. 
 
[15] Pour analyser de manière pertinente les tendances des revenus, il faut parler de revenu réel, c'est-à-dire de revenu mesuré en fonction du pouvoir d'achat. Or, la méthode habituelle de calcul du revenu réel ignore une grande partie de la croissance du patrimoine au fil du temps, car elle repose sur un indice des prix à la consommation, obtenu en juxtaposant une série de chiffres dont la précision est limitée à une zone géographique précise et qui n'intègre pas le prix des nouvelles inventions tant qu'elles ne sont pas suffisamment répandues pour que leur prix se stabilise.
Ainsi, même si l'on pourrait penser qu'il est bien préférable de vivre dans un monde doté d'antibiotiques, de voyages en avion ou d'un réseau électrique, les statistiques de revenus réels, calculées de manière classique, démontrent que nous ne sommes que légèrement plus riches grâce à ces technologies. Une autre approche consisterait à se demander : si l'on pouvait remonter le temps jusqu'à l'année x, combien faudrait-il dépenser en biens de consommation pour faire fortune ? Par exemple, en 1970, ce serait certainement moins de 500 dollars, car la puissance de calcul que l'on peut acquérir aujourd'hui pour 500 dollars aurait valu au moins 150 millions de dollars en 1970. La fonction tend vers une valeur asymptotique assez rapidement, car sur des périodes supérieures à un siècle environ, on peut trouver tout le nécessaire dans les déchets actuels. En 1800, une simple bouteille en plastique vide avec un bouchon à vis aurait semblé un véritable chef-d'œuvre d'ingénierie. 
 
[16] Certains diront que cela revient au même, car les riches ont un meilleur accès à l'éducation. C'est un argument valable. Il est encore possible, dans une certaine mesure, d'influencer l'admission de ses enfants dans les meilleures universités en les inscrivant dans des écoles privées qui, de fait, contournent le processus d'admission. Selon un rapport de 2002 du Centre national des statistiques de l'éducation, environ 1,7 % des enfants américains fréquentent des écoles privées non confessionnelles. À Princeton, 36 % des étudiants de la promotion 2007 provenaient de ce type d'établissement. (Curieusement, ce pourcentage est nettement inférieur à Harvard, environ 28 %.) Il s'agit là, de toute évidence, d'une faille importante. Celle-ci semble toutefois se réduire, au lieu de s'aggraver. Les concepteurs des processus d'admission devraient peut-être s'inspirer de l'exemple de la sécurité informatique et, au lieu de simplement supposer que leur système est inviolable, évaluer son degré de vulnérabilité.
 

 


 

 

 

 

Inégalité

Une inégalité est, au sens strict, une absence d'égalité. Le terme et son emploi sont critiqués par les libéraux pour qui la liberté qui doit être défendue est l'égalité en droit, alors que ceux qui parlent d'inégalité entendent généralement égalité de résultats.

Les libéraux distinguent les inégalités justes et les inégalités injustes : les inégalités découlant de l'échange libre entre les individus, du travail, de l'épargne, etc., sont justes. À l'inverse, les inégalités découlant du vol, de la contrainte, de l'agression (étatique ou non), de privilèges accordés par l'État ou de monopoles garantis par la puissance publique, sont injustes. Xavier Prégentil écrit ainsi : « L'inégalité [véritable] consiste à s'enrichir par ses relations, à gagner sans rendre service, à extorquer sous la menace, à créer une classe privilégiée de décideurs non responsables sur leurs biens mais sur celui des autres. »

Plusieurs facteurs structurels permettent d'expliquer l'évolution des inégalités. Dans le cas américain, l'économiste Christian Broda de l'université de Chicago souligne le rôle du différentiel d'inflation et du libre-échange. Les produits consommés par les personnes aux revenus les plus élevés ont généralement une inflation plus forte que les produits consommés par les personnes aux revenus inférieurs. Cette différence explique un tiers de la hausse des inégalités aux États-Unis entre 1994 et 2005 selon les études de Broda. Il souligne en particulier le rôle du commerce international pour garder bas le prix des produits consommés par les plus pauvres, avec le rôle de la Chine[1]. Autrement formulé, le libre-échange bénéficie surtout aux plus pauvres et les inégalités sont moindres que selon les mesures actuelles, biaisées.

Le vieillissement de la population peut également augmenter mécaniquement les inégalités de revenu.

Dans un contexte de répression financière, les inégalités injustes s'accroissent par l'action de la banque centrale, les politiques de planche à billets ou de taux négatifs ou très bas profitant d'abord à une oligarchie financière. 

Mesure des inégalités

Malgré les innombrables limites de la notion d'inégalité, les écarts de salaires, de patrimoine ou autres sont largement mesurées et utilisées, souvent à des fins politiques. L'indicateur le plus utilisé pour cette mesure, mais aussi le plus biaisé, est celui du taux de pauvreté, calculé de manière relative, comme le pourcentage de ménages gagnant moins que 50 % de la médiane des ménages. Autrement dit, même si tout le monde était dix fois plus riche d'un coup de baguette magique, le taux de pauvreté n'aurait pas changé avec ce mode de calcul. Par cette insistance permanente sur des indicateurs relatifs, on masque ainsi l'effondrement massif et réel de la pauvreté dans le monde, mesurée par la chute du nombre de personnes ne mangeant pas à leur faim, par la mortalité infantile, etc.

Au final, les modes de calcul des « inégalités » sont jugés comme largement sujets à caution par les économistes. L'économiste Xavier Sala-i-Martin a ainsi montré que les chiffres du PNUD (Programme des Nations unies pour le Développement) ne prenaient qu'imparfaitement le moindre coût de la vie dans les pays en développement et donc majoraient largement les différences de revenus entre les pays. En intégrant ce facteur, on voit que les différences de revenus entre les pays se sont atténuées depuis l'expansion de la mondialisation dans les années 1980[2].

Voir aussi

Citations

  • « Quand l’inégalité est la loi commune d’une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l’œil ; quand tout est à peu près de ce niveau, les moindres le blessent. C’est pour cela que le désir d’égalité devient toujours insatiable à mesure que l’égalité est plus grande. » (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique)
  • « Nous ne devrions pas parler d'inégalités mais de différences ; différence est un terme neutre et inégalité un terme connoté. Les inégalités sont généralement confondues avec les injustices. Cela conduit à l'idée que les pauvres sont pauvres car les riches sont riches, c'est-à-dire que les riches ont tiré leur fortune des pauvres, ce qui est faux. » (Peter Thomas Bauer[3])
  • « De fil en aiguille, on en est finalement venu à l'égalité des conditions, à l'égalité des résultats, quelles que soient les actions individuelles, quels que soient les mérites ou les vices de chacun. La chance porte un nom nouveau : l'État-providence. L'égalité des chances, c'est l'égalité devant les bienfaits de la société. Dans cette logique, l'échec n'est pas admissible, l'inégalité est scandaleuse. Aujourd'hui l'égalité des chances est une forme d'envie (avoir tout ce qu'ont les autres), une forme d'incurie (avoir tout sans rien devoir à personne, faire n'importe quoi), une forme de folie vengeresse (« les ratés ne vous rateront pas », disait Céline). » (Jacques Garello)
  • « Il y a toutes les différences du monde entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une condition pour une société libre alors que la seconde n'est qu'une nouvelle forme de servitude. » (Friedrich Hayek, Vrai et faux individualisme[4])
  • « Du fait que les gens sont très différents, il s'ensuit que, si nous les traitons également, le résultat doit être l'inégalité dans leur position actuelle et que la seule façon de les placer dans une position égale serait de les traiter différemment. L'égalité devant la loi et l'égalité matérielle sont donc non seulement différentes mais en conflit les unes avec les autres ; et nous pouvons atteindre l'un ou l'autre, mais pas les deux en même temps. L'égalité devant la loi que requiert la liberté conduit à l'inégalité matérielle. » (Friedrich Hayek, La Constitution de la liberté, 1960)
  • « Le libéral combat les inégalités vraiment injustes, c'est-à-dire [...] celles qui résultent du vol ou de la coercition, qui sont souvent le fait de l'État lui même ou bien du fait que l'État ne fait pas son travail. » (Jacques de Guenin, Le libéralisme est social[5])
  • « Les inégalités libérales des sociétés de production sont agitées d’un brassage permanent et elles sont modifiables à tout instant. Dans les sociétés de redistribution étatique, les inégalités sont au contraire figées et structurelles : quels que soient les efforts et les talents déployés par un actif du secteur privé français, il n’aura jamais les avantages « acquis » (c’est-à-dire octroyés et intouchables) d’un agent d’Électricité de France » (Jean-François Revel, La Grande parade[6])
  • « L'inégalité des revenus et des fortunes est un caractère inhérent de l'économie de marché. Son élimination détruirait complètement l'économie de marché. Les gens qui réclament l'égalité ont toujours à l'esprit un accroissement de leur propre pouvoir de consommation. Personne, en adoptant le principe d'égalité comme postulat politique, ne souhaite partager son propre revenu avec ceux qui en ont moins. Lorsque le salarié américain parle d'égalité, il veut dire que les dividendes des actionnaires devraient lui être attribués. Il ne suggère pas une réduction de son propre revenu au profit des 95 % de la population mondiale qui gagnent moins que lui. » (Ludwig von Mises, L'Action humaine)
  • « Les hommes sont inégaux, physiquement et intellectuellement, tous ont des talents différents. Il y a égalité de chance mais pas égalité de résultat. Les inégalités économiques n’ont rien à voir avec l’injustice et l’inégalité est un puissant moteur d’amélioration sociale. L’inégalité injuste est celle où la justice impersonnelle du marché est remplacée par l’arbitraire du décideur politique. » (Patrick de Casanove)
  • « Michel Rocard reproche au capitalisme de créer des inégalités. Pourtant, comme ses camarades socialistes, il n’a aucun mal à accepter les inégalités créées par l’État et l’argent public. Les retraites cumulées (député, sénateur, ministre, Premier ministre, secrétaire du PS) de ce moralisateur dépassent les 12 000 euros par mois, les missions qu’on lui confie lui rapportent 5000 euros mensuels en échange d’un temps de travail réduit, même en prenant en compte les croisières que le Rapport sur le réchauffement climatique l’a « obligé » à faire. » (Jean-Philippe Delsol, À quoi servent les riches, JC Lattès)
  • « Lorsque nos politiciens parlent de « réduire les inégalités », ce ne sont pas du tout les inégalités de valeur entre les hommes qui les préoccupent - on se demande d'ailleurs comment ils réduiraient celles-ci, la valeur de chacun ne dépendant que de soi -, mais seulement leurs inégalités économiques, dont la plupart sont pourtant justifiées. » (Pierre Lance, Au delà de Nietzsche, 1976)
  • « Ce qui a créé l’explosion des différences de richesse, ce n’est pas le capitalisme, mais une politique monétaire suivie par des banques centrales dont les instances dirigeantes ont été capturées par les « rentiers » et qui donc suivent des politiques favorables aux rentiers c’est-à-dire aux riches et aux fonctionnaires. » (Charles Gave, 9/9/2014)
  • « On crée, au nom de l'égalitarisme, de nouvelles inégalités, par exemple celles qui existent entre ceux qui vivent de leurs propres efforts et ceux qui profitent de la contrainte organisée ; ou encore entre ceux qui ont accès au pouvoir politique, instrument supposé de l'égalitarisme, et ceux qui en sont écartés. » (Pascal Salin, Libéralisme, 2000)
  • « Supprimez l'inégalité des conditions, et la société, frappée d'une soudaine léthargie, consommera dans l'inaction les produits de son activité antérieure, et la civilisation, ce brillant résultat du travail humain combiné avec l'accumulation de richesses, ne tardera guère à disparaître... » (Antoine Cherbuliez)

Notes et références


  • "Inequality and Prices: Does China Benefit the Poor in America?", Christian Broda et John Romalis, mars 2008, [lire en ligne]

  • Xavier Sala-i-Martin, "The Disturbing "Rise" of Global Income Inequality", NBER, 2002

  • Entretien avec Peter Thomas Bauer, John Blundell

  • Friedrich Hayek, Vrai et faux individualisme, [lire en ligne]

  • Jacques de Guenin, Le libéralisme est social, conférence à Alternative Libérale fin 2005, [lire en ligne]

    1. Jean-François Revel, La grande parade, chapitre 12, p. 257.

    Bibliographie

    Liens externes

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