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L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste.
Sommaire:
A) Journalisme et étatisme - Wikibéral et http://droit-finances.commentcamarche.net
B) Étatisme de Wikiberal
C) Interventionnisme de Wikiberal
D) LES LIBÉRAUX ÉTATISTES - par Murray Rothbard (1926-1995) - QL
E) COMMENT
NOS APPARATCHIKS SE PROTÈGENT CONTRE L’ÉTATISME - par
Martin Masse
F) Statolâtrie de Wikiberal
G) Statocratie de Wikiberal
H) Qu’est-ce que le fascisme ? - par Llewellyn H. Rockwell, Jr. - Institut Coppet
I) Totalitarisme de Wikiberal
J) Démocratie totalitaire de Wikiberal
K) STATOLATRIE ou Le Communisme Légal (1848) - Antoine Martinet - http://www.panarchy.org
L) L'État totalitaire - (1938) - Luigi Sturzo - http://www.panarchy.org
M) L'ère des tyrannies (1936) - Elie Halévy - http://www.panarchy.org
N) L'État, Règne de la Magie Noire - Des sacrifices humains et autres superstitions modernes - François-René Rideau - http://fare.tunes.org
A) Journalisme et étatisme
Certains États faussent le marché en subventionnant la presse. Par exemple, le système des aides à la presse en France,
sous le prétexte du "pluralisme", maintient à flot des journaux qui
feraient faillite faute d'un nombre suffisant de lecteurs (de telles
aides représentent des montants estimés autour de 1,2 milliard d'euros
en France[1], soit environ 50000 € par journaliste, à comparer avec un chiffre d'affaires de 8,7 milliards selon l'INSEE).
Par exemple, le journal Le Monde est en 2010 le second
quotidien français qui reçoit le plus de subventions de l’État avec 17
millions d'euros d'aides directes. En 2013, les deux journaux les plus
aidés sont : Le Figaro (18,6 millions), Le Monde (18,2 millions)[2].
Ils sont suivis par Ouest France (11,9 millions), La Croix (10,7
millions), Télérama (10,3 millions) et Libération (10 millions).
En France, les journalistes bénéficient également d'une "niche
fiscale", qui les autorise à déduire un certain montant de leur revenu
imposable (7650 euros en 2012).
Un exemple typique de l'arbitraire étatique en matière de soutien
à la presse fut l'effacement par l’État français, en 2013, d'une dette
du journal l'Humanité à hauteur de plus de 4 millions d'euro[3].
Les subventions à la presse impactent directement la liberté de la presse :
les journalistes sont transformés en "bouffons du Roi", entretenus par
le pouvoir pour amuser la galerie, mais pas pour remettre en question ce
même pouvoir, sauf à la marge.
Il est inutile de s‘adonner à l'exercice puéril de la dénonciation : qui
est à gauche, qui est à droite ? À quoi bon puisqu'il suffit de les
lire ? On est même en droit de se demander quels seraient les critères
de différenciation idéologiques entre droite et gauche, puisque
visiblement tous sont dans le camp des thèses antilibérales de
l’État-protecteur, dans la connivence avec l’État et le Puissant, dans
une pensée unique issue d'un humanisme collectiviste d'après guerre.
Seuls 6 % des journalistes sont à droite, mais 100% sont conservateurs.
Qui connaît un journaliste capable de remettre en cause le système
social français, de dénoncer la vampirisation de l'économie par la
sphère publique, de préconiser l'éclatement de l'éducation nationale, le
démantèlement du ministère de la culture (d’État), la défense des
OGM... ? (Denis Hubert, 94 % des Journalistes de Gauche ?, Libres ! 100 idées, 100 auteurs)
Aussi la source: http://droit-finances.commentcamarche.net, vous indique les liens suivant:
- Presse subventionnée - Les 20 journaux les plus aidés par l'Etat
- Subventions le figaro
- Subvention attribué aux journaux
- Journalistes et carte de presse : abattement forfaitaire de 7 650 euros
- Journal de 20 h 00 ant. 2
- Journal officiel naturalisation (Résolu)
- Prime pour 20 ans d'anciennete
- N° 2072 S K CERFA 10338*20
B) Étatisme
L'étatisme désigne la doctrine et pratiques politiques par lesquelles l'État intervient (voir interventionnisme) et s’impose, en tant qu'appareil de coercition,
dans l'ensemble de la vie économique et sociale d'un territoire donné.
Même si l'interventionnisme est la pratique la plus courante de
l'étatisme, l'octroi de privilèges ou de faux droits relève également de l'étatisme, de même l'absence d'intervention là où la justice l'imposerait pour rétablir le droit.
« L'étatisme assigne à l'État le devoir de guider les citoyens et
de les tenir en tutelle », a écrit Ludwig von Mises en 1944 dans Omnipotent Government, où il explique la "nouvelle mentalité" qui inspire la subordination complète de l'individu à l'État.
On parle ainsi de « système » étatique pour les pays où ces
pratiques deviennent la dominante de l'organisation économique et
sociale.
L'anti-étatisme libéral
Les libertariens et les libéraux sont opposés à l'étatisme parce que :
- Le culte de l'État (statolâtrie) est le culte de la force, de la loi du plus fort, souvent source de désastre et déguisement perfide.
- La plupart des actions de l'État ont des effets négatifs (voir vitre cassée, loi de Savas, loi de Bitur-Camember, interventionnisme, protectionnisme,...) ;
- Les effets positifs, attribués au "service public", peuvent être obtenus sans l'action coercitive de l'État par des mécanismes volontaires, ceux de la société civile ;
- même si certains effets positifs ne peuvent être obtenus par des mécanismes volontaires, la fin ne peut justifier les moyens dans ces cas précis.
L'étatisme cherche son auto-justification dans des théories ad hoc, telle que la théorie des biens publics, ou dans des affirmations qui tiennent du sophisme par lesquelles il prétend représenter la société — sophismes dénoncés aussi bien par les libertariens que par les philosophes :
-
« Les défenseurs de l’État, y compris les philosophes aristotéliciens et thomistes classiques, sont tombés dans cet énorme non sequitur qui consiste à sauter de la nécessité de la société à la nécessité de l’État. Alors qu’en fait, comme nous l’avons montré, l’État est un facteur anti-social qui empêche l’échange volontaire entre les hommes, la créativité individuelle et la division du travail. La « société » est une étiquette commode pour décrire la libre interaction entre les personnes dans les échanges volontaires. Il convient ici de rappeler la distinction éclairante établie par Albert Jay Nock entre le « pouvoir social », fruit de l’échange volontaire qui caractérise l’économie et la civilisation, et le « pouvoir étatique », qui consiste dans l’interférence coercitive et l’exploitation de ces avantages. »
— Murray Rothbard, L'Éthique de la liberté, chap. 24
-
« L'État, c'est le plus froid de tous les monstres froids : il ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l'État, je suis le Peuple. » »
— Nietzsche
Liens avec des doctrines plus construites
- Le libéralisme est partiellement incompatible, il conteste l'efficacité d'une telle démarche et se décharge de nombreuses responsabilités inhérentes à l'État-providence » (charities, recherche privée, retraites, ...).
- Le libertarianisme est opposé à l'État (anarcho-capitalisme) ou se contente d'un État minimal (minarchisme).
- L'anarchisme est fondamentalement incompatible, rejetant toute autorité coercitive (État ou autre).
- Les constructivistes, qui proclament que les choix publics doivent être guidés par la volonté de construire un certain type de société définie préalablement.
- L'utilitarisme, qui proclame que le bien-être des individus est la raison d'être de la société, se sert lui aussi en général de l'État. Voir social-démocratie.
- Le mercantilisme pour lequel l'économie, et notamment le commerce extérieur, d'un pays aurait pour but essentiel d'accumuler des moyens financiers assurant sa puissance sur le plan international.
- Le pragmatisme, doctrine de l'instrumentalisation des doctrines aux services des buts poursuivis. Ces buts peuvent être très divers (gain d'une guerre, paix sociale, richesse collective, bien-être du plus mal loti, etc.) mais toujours utilitaires. Le pragmatisme ne rejette donc pas ni n'impose l'étatisme, mais comme celui-ci est un instrument puissant, il est rare qu'il ne soit pas étatiste.
- Le collectivisme, qui subordonne l'individu au groupe en matière de choix et de responsabilités, en prétendant que cela améliore aussi les conditions de vie de l'individu lui-même.
- Le totalitarisme, forme extrême de l'étatisme, contrôle totalement la vie des individus par la fusion de l'État, de la société, et des structures de pouvoir et de contrôle (voir Fascisme).
Citations
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« Le pouvoir, vaste corps organisé et vivant, tend naturellement à s'agrandir. Il se trouve à l'étroit dans sa mission de surveillance. Or, il n'y a pas pour lui d'agrandissements possibles en dehors d'empiètements successifs sur le domaine des facultés individuelles. Extension du pouvoir, cela signifie usurpation de quelque mode d'activité privée, transgression de la limite (...) entre ce qui est et ce qui n'est pas son attribution essentielle. Le pouvoir sort de sa mission quand, par exemple, il impose une forme de culte à nos consciences, une méthode d'enseignement à notre esprit, une direction à notre travail ou à nos capitaux, une impulsion envahissante à nos relations internationales, etc. Et veuillez remarquer, messieurs, que le pouvoir devient coûteux à mesure qu'il devient oppressif. Car il n'y a pas d'usurpations qu'il puisse réaliser autrement que par des agents salariés. Chacun de ses envahissements implique donc la création d'une administration nouvelle, l'établissement d'un nouvel impôt ; en sorte qu'il y a entre nos libertés et nos bourses une inévitable communauté de destinées. »
— Frédéric Bastiat
-
« On a maintenant tâté de toutes les variantes de l’étatisme et elles ont toutes échoué. Partout dans le monde occidental au début du 20è siècle les chefs d’entreprise, les politiciens et intellectuels s’étaient mis à appeler de leurs voeux un "nouveau" système d’économie mixte, de domination étatique, à la place du laissez-faire relatif du siècle précédent. De nouvelles panacées, attrayantes à première vue, comme le socialisme, l’État corporatiste, l’État-Providence-Gendarme du monde, etc. ont été essayées et toutes ont manifestement échoué. Les argumentaires en faveur du socialisme et de la planification étatique apparaissent maintenant comme des plaidoyers pour un système vieilli, épuisé et raté. Que reste-t-il à essayer sinon la liberté ? »
— Murray Rothbard
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« Croire que les hommes ne sont pas assez intelligents pour s'entendre en société sans l'intervention de l'État relève d'une conception archaïque de la condition humaine. »
— Alain Dumait
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« Je crois que notre Léviathan Tout Puissant est une infinie source de sagesse, qui apporte la Confiance là où elle serait inimaginable sans Lui, qui fournit des Services Publics qui seraient inimaginables sans Lui. Je crois que la solution ultime à chacun et à tous les problèmes de la vie est que l'État devrait débloquer les fonds nécessaires en insérant les lignes appropriées dans le livre sacré du budget. Alléluia ! »
— Faré, Le Credo Citoyen
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« Le socialisme triomphera sous la forme du socialisme d'État. La bourgeoisie, au lieu de s'opposer aux progrès de ce dernier, le favorise autant qu'il est en son pouvoir. Chacun tâche de happer un morceau du budget, les citoyens ne voient dans les administrations de l'État, des provinces et des communes que des instruments pour se dépouiller les uns les autres. Quelqu'un voudrait-il s'en abstenir qu'il ne pourrait pas. Toutes les fois que les citoyens se sont réunis dans le simple but de résister à une spoliation dont ils étaient les victimes, ils ont échoué. Quand, au contraire, ils se réunissent pour obtenir leur part du gâteau, le succès couronne assez généralement leurs efforts. C'est la fable du chien qui portait le dîner de son maître. […] Tant que subsistera le sentiment qui porte les hommes à s'entre dépouiller au moyen des administrations publiques, les budgets augmenteront, jusqu'à ce qu'enfin, ils produisent la ruine des peuples et qu'un gros dogue prenne la place de cette meute affamée. Il mangera pour quatre, mais il pourra encore y avoir économie, s'il empêche de dévorer ceux qui mangeaient pour huit. »
— Vilfredo Pareto
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« L’étatiste est un homme qui est en train de devenir socialiste, et s’il meurt sans le devenir, c’est qu’il n’a pas assez vécu pour le devenir. »
— Émile Faguet
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« Je crois bien qu’il n’y a pas de libéraux en France. On croit qu’il y a plusieurs partis en France ; c’est une erreur. Il n’y en a qu’un : c’est l’Étatisme. Tous les Français sont étatistes. À ce compte là, la fameuse unité morale devrait exister ; seulement, si tous les Français sont étatistes, chacun veut l’État pour lui et au service de ses intérêts et de ses passions ; et cela ne fait qu’un seul parti en théorie, mais en fait beaucoup en pratique. »
— Émile Faguet, Le libéralisme
-
« L’étatisme est la croyance en l'État (c'est-à-dire la coercition par un monopole) comme la solution magique à tous les problèmes ; la superstition selon laquelle il suffit que le gouvernement "débloque" des fonds, pour que n'importe quel problème soit résolu, comme si ces fonds tombaient du ciel, et que le gouvernement était un plombier appelé par Dieu pour réparer la tuyauterie défaillante par laquelle Il nous alimente de sa manne céleste. »
— Faré
-
« Votre système est une guerre civile légale, où les hommes se constituent en groupes antagonistes et se battent entre eux pour s’emparer de la machine à fabriquer les lois, laquelle leur sert à écraser leurs rivaux jusqu’à ce qu’un autre gang s’en empare à son tour pour les évincer, le tout dans une protestation perpétuelle d’attachement au bien non spécifié d’un public non précisé. »
— Ayn Rand, Atlas Shrugged, Discours de John Galt
-
« Le terme "étatisme" s'applique à un système de pouvoir caractérisé par le contrôle et la domination (absolue ou relative) de l'État par rapport à chaque réalité et activité, avec la suppression ou la soumission de chaque corps intermédiaire ou antagoniste. Clairement, il n'y a aucune entité physique appelée "État" mais des bureaucrates de tout genre dans les différents secteurs (politique, administratif, judiciaire, militaire, financier, etc.) qui travaillent en plein accord à l'alimentation des couches parasitaires dont eux-mêmes sont le noyau central. »
— Gian Piero de Bellis
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« Qui veut diaboliser le marché s'entend à angéliser l'État… »
— Jean-Louis Caccomo
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« L'étatisme n'est pas une philosophie, il n'est pas fondé sur des preuves historiques ni sur des principes rationnels. L'étatisme est une justification a posteriori de la détention de bétail humain. C'est une excuse pour la violence, c'est une idéologie, et toutes les idéologies sont des variantes sur la façon de gérer le bétail humain. »
— Stefan Molyneux
« L’État ne peut pas créer quoi que ce soit ; ses ordres ne peuvent même pas retirer quoi que ce soit du monde de la réalité, mais ils peuvent le retirer du monde des possibles. L’État ne peut pas rendre l’homme plus riche, mais il peut le rendre plus pauvre. »
— Ludwig von Mises, Critique of Interventionnism
C) Interventionnisme
L'interventionnisme désigne un type de politique par laquelle l'État s'ingère dans l'économie ou dans les structures sociales d'un pays à des fins diverses.
L'interventionnisme est intrinsèquement lié à la raison d'être de la politique et de l'État.
Il s'agit pour cette organisation d'accorder des faveurs à telle ou
telle corporation au détriment des droits des individus (notamment, au
travers de la taxation, de la règlementation, ou de la subvention).
Toutes les activités humaines sont susceptibles d'être perturbées par les interventions de l'État, depuis la production de la sécurité (monopole policier, judiciaire et militaire) jusqu'à l'industrie du divertissement (ex : les litanies sur l' « exception culturelle ») en passant par le secteur de l'alimentation (fixation du prix du pain) ou le marché immobilier (contrôle des loyers), etc. La liste pourrait s'allonger indéfiniment.
L'interventionnisme est le plus souvent d'ordre domestique, mais
il peut aussi se traduire par des actions dirigées vers des zones
extérieures à la juridiction habituelle de l'État ; pensons aux politiques bellicistes. Chaque fois, la liberté des administrés s'en voit réduite, tandis que ces politiques bénéficient à quelques privilégiés, amis du pouvoir.
L'interventionnisme social-démocrate s'exerce avec le plus de vigueur dans le domaine de l'économie, par la subvention, le protectionnisme, les réglementations en faveur de certains acteurs économiques, etc. Comme le disait Jean-Baptiste Say, dans son Traité d'économie politique :
"S'il y a quelque bénéfice à retirer d'une entreprise, alors elle n'a
pas besoin d'encouragement ; s'il n'y a point de bénéfice à en retirer,
alors elle ne mérite pas d'être encouragée."
On parle parfois d'"ingénierie sociale" pour désigner tous les
"efforts" que la technocratie (les "ingénieurs sociaux") déploie pour
"améliorer" la société, efforts qui n'aboutissent qu'à l'aggravation de
la situation :
- En apparence, il semble à beaucoup que le libre marché est un endroit chaotique et anarchique, alors que l'intervention du gouvernement impose des valeurs d'ordre et de communauté à cette anarchie. En fait, la praxéologie - l'économie - montre que la vérité est tout à fait l'inverse. (Murray Rothbard)
La théorie de Murray Rothbard : l’intervention binaire et triangulaire
Rothbard
invente des catégories d'analyse originales pour comprendre les effets
économiques de l'intervention de l'État. Il fait la distinction entre
l’intervention binaire dans laquelle l'envahisseur force un sujet à un
échange ou à un don unilatéral d'un bien ou d’un service, et
l’intervention triangulaire dans laquelle l'envahisseur force ou prohibe
un échange entre un couple de sujets.
Tous les types d'intervention sont des cas de relation hégémonique, où entrent en relation l'ordre et l'obéissance :
- le type binaire entre envahisseur et sujet,
- le type triangulaire entre envahisseur et au moins deux sujets. Les interventions binaire et triangulaire sont des types de relation qui comportent l'échange de biens ou de services, la première entre deux personnes incluant l'envahisseur (l'envahisseur et le sujet), la deuxième entre deux personnes n’incluant pas l'envahisseur (un couple de sujets qui échangent).
Dans le premier cas, il y a un échange qui, autrement, ne se serait
jamais produit sans intervention. Dans le second cas, s'insère un
échange qui se produirait autrement dans des conditions différentes. En
focalisant son attention sur l'intervention de l'État dans l'économie, Rothbard
considère comme cas d'intervention binaire le budget du gouvernement,
la taxation, les frais de fonctionnement du gouvernement, l'inflation ;
et comme cas d'intervention triangulaire le contrôle des prix et des
produits, dans lequel il fait même entrer les analyses du monopole.
Les raisons profondes de l'interventionnisme étatique
L'interventionnisme est inséparable de l'étatisme :
- contrairement à une entreprise, l’État n'a aucune exigence de rentabilité, le coût de ses actions n'est jamais évalué et les politiciens sont irresponsables, ne subissant jamais les conséquences de leurs actes : quelle que soit la décision politique, les décideurs ne sont pas les mêmes que les payeurs, qui ne sont pas les mêmes que les bénéficiaires ;
- n'importe quelle intervention trouve toujours une justification, les politiciens s'ingéniant à cacher les conséquences négatives de leurs actions pour ne se prévaloir que des conséquences positives (parabole de la vitre brisée) ; la justification la plus courante, outre le prétendu "intérêt général", est la prétendue défaillance du marché ; une autre justification (notamment pour entrer en guerre contre un pays étranger) est l'intérêt supérieur du pays, intérêt totalement fictif ou qui se ramène à quelques intérêts particuliers ;
- l'existence de l'État découlant de la loi du plus fort, rien ne peut entraver son action (si ce n'est une dette publique excessive, la désincitation causée par un impôt excessif ou une révolte politique des spoliés) : l'interventionnisme est donc extrêmement difficile à freiner ;
- comme l'explique la théorie du choix public, l'interventionnisme permet aux élus et fonctionnaires de justifier leur existence en favorisant certains groupes sociaux au détriment d'autres : il y a toujours une clientèle pour l'interventionnisme, l'illusion fiscale empêchant les spoliés de prendre conscience de leur statut.
Mécanisme général de l'interventionnisme étatique
Thomas Sowell décrit ainsi les 3 phases successives qu'emprunte tout interventionnisme étatique :
- invoquant une "défaillance du marché" (ou une question de société quelconque), les hommes de l’État ou leurs intellectuels idéologues identifient un "problème" causé par ce "dysfonctionnement" du marché (ou de la société) ;
- ils proposent une solution à ce problème, solution qui passe par un interventionnisme accru et le plus souvent un accroissement des impôts, ce qui leur permettra par la même occasion d'accroître leur pouvoir et leur richesse ;
- devant les nouveaux dégâts induits par l'intervention, les hommes de l’État expliquent que leurs idées n'ont pas été appliquées correctement ou trop timidement ; ils ont un nouveau plan pour faire face aux nouveaux dysfonctionnements (retour à la première étape).
Cette description rejoint le "principe des calamités" énoncé par Michel de Poncins : une calamité d'origine publique conduit toujours à une autre calamité publique pour soi-disant corriger la première.
Exemples
- contrôle des loyers, zoning
- discrimination positive
- discrimination par les prix, prix administrés
- guerre contre la drogue
- salaire minimum
- carte scolaire
- mutuelle d'entreprise
- banque centrale
- développement durable
- nationalisations
- protectionnisme
- monopoles de droit
- capitalisme de connivence
Un exemple en bande dessinée
Dans Obélix et Compagnie, bande dessinée parfois prise à tort pour une critique de la spéculation capitaliste[1],
les Romains décident de corrompre les irréductibles Gaulois en leur
achetant à prix fort des menhirs, dans l'espoir que la richesse les
transforme en "décadents" et qu'ils cessent ainsi d'être une menace[2].
Attiré par la perspective de devenir "l'homme le plus important du
village", Obélix se transforme en un riche entrepreneur fabricant de
menhirs. Le village change rapidement d'aspect et s'organise selon une
nouvelle division du travail
tirée par la "demande" romaine. Astérix et Panoramix décident de
prendre les Romains à leur propre piège en suscitant une concurrence
dans le village en matière de fabrication de menhirs. Jules César et
l'État romain se trouvent submergés de menhirs et s'emploient à les
revendre à Rome, en créant une demande chez les Romains par une
astucieuse campagne de marketing (d'autant plus remarquable que le
menhir n'a aucun usage pratique). La forte demande de menhirs qui
s'ensuit suscite une nouvelle concurrence à Rome même ("achetez le
menhir romain"), ce qui fait chuter les prix. Le résultat final est que
l’État romain s'est appauvri davantage sans être parvenu à réaliser
aucun des buts initiaux de son interventionnisme.
Cet album illustre brillamment plusieurs caractéristiques de l'interventionnisme étatique :
- l'action vise un but très douteux, voire irréalisable (s'il était réalisable et utile, il se produirait sans interventionnisme, étant pris en charge par la société civile et les entreprises) ;
- les coûts de cette action sont, soit ignorés, soit largement sous-estimés (la politique est conduite sans qu'on se préoccupe de son coût) ;
- l'interventionnisme a des effets indéniables à court terme (notamment des effets d'aubaine), qui s'estompent rapidement car l'interventionnisme, absurdité économique, devient insoutenable pour l’État (qui ne dispose pas de ressources infinies) ;
- l'échec inévitable ou les conséquences négatives de l'action étatique se heurtent à l'irresponsabilité institutionnelle des gouvernants (les décideurs ne sont pas les payeurs, les payeurs ne sont pas les bénéficiaires) ;
- quand on tire le bilan de l'intervention, on n'a abouti qu'à une destruction nette de richesse (voir aussi la loi de Bitur-camember).
Notes :
- ↑ Dans l'album, contrairement à ce qui se passe dans la spéculation ordinaire, c'est l'État romain (en fait son représentant, Caius Saugrenus) qui décide complètement des prix et de la demande (du fait qu'il ne peut ni canaliser l'offre ni empêcher la concurrence, sa stratégie échoue : revanche de l'économie sur la politique).
- ↑ L'idée de corrompre les Gaulois revient à un "néarque", Caius Saugrenus, sorti de la « Nouvelle École d'Affranchis », caricature de l'ENA. Uderzo a d'ailleurs donné à Saugrenus les traits de Jacques Chirac, premier ministre de l'époque (1976).
Citations
- L’essence du gouvernement est qu’il agit sur les citoyens par l’intermédiaire de la contrainte. En conséquence, il ne peut avoir d’autre fonction que la légitime défense des droits individuels. Il n’a pas d’autre autorité que celle de faire respecter la liberté et les propriétés de tous... Au-delà, je mets au défi quelqu’un d’imaginer une intervention de l’État qui ne soit pas une injustice. (Frédéric Bastiat)
- Imaginant que tout ordre est le résultat d'un dessein, les socialistes en concluent que l'ordre pourrait être amélioré par un meilleur dessein émanant de quelque esprit supérieur. Le socialisme mérite pour cette raison une place dans tout inventaire sérieux des diverses formes d'animismes. (Friedrich Hayek)
- Si on tire les conséquences du fait qu'on ne peut pas comparer les jugements de valeur entre personnes, il s'ensuit qu'on ne peut jamais dire que l'intervention de l'État accroisse l'utilité sociale, et donc accroisse la production. L'intervention de l'État ne peut pas être rationalisée, elle est nécessairement arbitraire et destructrice. Elle détruit les conditions dans lesquelles le raisonnement économique est possible. (François Guillaumat)
- Toute intervention de l’État, parce qu'elle viole la propriété naturelle, réduit la liberté de produire et d'échanger : elle détruit toujours la production. Entravant la liberté de certains alors qu'elle en épargne d'autres, elle est toujours une atteinte à la concurrence. En permettant à certains de prendre des décisions dont les autres seront forcés de subir les conséquences, elle fausse la production et l'utilisation des informations. (François Guillaumat, thèse de 2001)
- Piloter l’économie est une tâche en soi qui n’a pas de sens et qui condamne toute action publique à l’échec puisque les grandeurs économiques globales que l’on prétend réguler (comme la consommation des ménages, l’investissement des entreprises ou les prix, salaires et taux d’intérêts) résultent fondamentalement de décisions prises librement par des acteurs aux motivations variées et aux contraintes diverses. Et empêcher les acteurs de prendre leurs décisions et d’assumer leurs responsabilités, c’est franchir un pas supplémentaire dans l’étouffement progressif de la liberté individuelle, ce qui est le plus sûr moyen de condamner toute l’économie. (Jean-Louis Caccomo)
- Plus ils organisent, plus la désorganisation est générale : plus ils dirigent les affaires, moins elles se laissent diriger. Ils trouvent la société dirigée de plus en plus difficile à diriger. En essayant de réglementer la vie d’un peuple, on multiplie le nombre des appétits et des résistances égoïstes et isolées... Arrivés à ce point, les peuples doivent, s’ils veulent éviter des désastres plus grands encore, essayer de guérir en recouvrant plus de liberté. (Walter Lippmann)
- Il n'y a quasiment aucun acte de gouvernement interférant avec le processus du marché qui, considéré du point de vue des citoyens concernés, ne puisse être qualifié de confiscation ou de cadeau (...). Il n'existe pas de méthode juste et équitable pour exercer l'énorme pouvoir que l'interventionnisme met dans les mains des corps législatif et exécutif. (Ludwig von Mises)
- L'interventionnisme ne peut être considéré comme un système économique durable. C'est une méthode destinée à passer du capitalisme au socialisme par une série d'étapes successives. (Ludwig von Mises, Middle of the Road Policy Leads to Socialism)
- Le slogan selon lequel il faudrait absolument « faire quelque chose » perd beaucoup de sa séduction pour quiconque s’est aperçu que ceux qui veulent agir ainsi n’ont absolument aucune conscience de ce qu'ils font. (Ludwig von Mises)
- Presque tous les hommes, et surtout ceux qui remplissent des places, croient que rien ne va de soi-même et que tout est perdu si le gouvernement ne se mêle de tout. (Condorcet, Lettres sur le commerce des grains)
- Le commerce et les affaires, s'ils n'avaient pas de ressort propre, n'arriveraient jamais à rebondir par-dessus les embûches que les législateurs leur suscitent perpétuellement et, s'il fallait juger ces derniers en bloc sur les conséquences de leurs actes, et non sur leurs intentions, ils mériteraient d'être classés et punis au rang des malfaiteurs qui sèment des obstacles sur les voies ferrées. (Henry David Thoreau)
- Si l'on rejette le laissez-faire en raison de la faillibilité et de la faiblesse morale de l'être humain, alors on doit également rejeter, pour la même raison, toute espèce d'action gouvernementale. (Ludwig von Mises)
- L'État fort interviendra quand il le faudra, poussé par des motifs supérieurs, sans égard pour les intérêts particuliers. (Adolf Hitler)
- Si les marchés sont imparfaits, les politiques sont aussi imparfaites que les marchés. (Paul Krugman)
- Il ne sait rien et croit tout savoir. Cela présage indubitablement une carrière politique. (George Bernard Shaw)
- Christophe Colomb fut le premier socialiste : il ne savait pas où il allait, il ignorait où il se trouvait... et il faisait tout ça aux frais des contribuables. (citation fréquemment attribuée à Winston Churchill, mais probablement due à Willy Brandt)
- En économie, l’État peut brimer à coup de textes, écraser à coup d'impôts, massacrer à coup de démagogie, éventuellement retarder une catastrophe à coup d'aides, mais il ne peut pas inventer des produits, trouver des clients. (Thierry Desjardins)
- Avez-vous remarqué que les étatistes sont constamment en train de « réformer » leur propre ouvrage ? Réforme de l’éducation, réforme de la santé, réforme de la protection sociale, réforme des impôts. Le fait même qu’ils soient toujours occupés à « réformer » est un aveu implicite de leur échec toutes les fois précédentes. (Lawrence Reed)
- Il vaut mieux pomper même s'il ne se passe rien que risquer qu'il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas. (devise Shadok)
- Aujourd'hui comme hier, l'interventionnisme est comparable à ces remèdes qui soulagent momentanément le patient mais aggravent ensuite son état de santé par leurs redoutables effets secondaires. (Jean-Jacques Rosa)
- L'État n'a jamais mieux aidé une personne à entreprendre quelque chose qu'en étant hors de son chemin. (Henry David Thoreau)
- Moins l'action est efficace, et plus il faut agir. (anonyme, devise de l'interventionniste)
- Il suffit d'appliquer directement le critère de Pareto à l'intervention de l’État pour constater qu'elle ne peut jamais se conformer au critère parétien. En effet, ce critère indique qu'un changement améliore l'utilité sociale si une personne au moins s'en trouve mieux, les autres ne s'en trouvant pas plus mal. Or, l'intervention de l’État implique toujours une agression (fiscale ou réglementaire), dont la victime au moins se trouvera plus mal. L'intervention de l’État est donc en toutes circonstances contraire à l'optimum de Pareto. (François Guillaumat)
- Toutes les fois que vous donnez à un homme une vocation spéciale, il aime mieux faire plus que moins. Ceux qui sont chargés d’arrêter les vagabonds sur les grandes routes sont tentés de chercher querelle à tous les voyageurs. Quand les espions n’ont rien découvert, ils inventent. Il suffit de créer dans un pays un ministère qui surveille les conspirateurs, pour qu’on entende parler sans cesse de conspirations. (Benjamin Constant, "De l’esprit de conquête et de l’usurpation", 1814)
- Il n’est de fariboles si aberrantes qu’une vigoureuse intervention étatique ne sache les imposer à la majorité. (Bertrand Russell, De la fumisterie intellectuelle, 1943)
D) LES LIBÉRAUX ÉTATISTES
On ne connaît que trop bien, depuis quelques années, ce phénomène que constituent les « conservateurs étatistes », individus ayant trahi et apparemment oublié leurs principes et leur héritage dans une quête de puissance et de lucre, de respectabilité et d'accès aux coulisses du pouvoir; individus qui se sont désormais établis à Washington, à la fois physiquement et intellectuellement.
Tout le monde ne connaît cependant pas un autre développement, apparenté et bien plus contradictoire: la montée en puissance, au cours des dernières années, des « libéraux étatistes », qui dominent pratiquement totalement le mouvement libéral-libertarien dont ils ont pris le contrôle. Ce qui est bizarre avec eux, c'est qu'ils violent évidemment la nature et le sens du libéralisme, à savoir un attachement à l'idéal constitué soit de l'absence de tout État, soit d'un État très fortement réduit et strictement limité à la défense des personnes et de la propriété: ce que le philosophe ex-libéral Robert Nozick avait appelé l'État ultra-minimal ou ce que le grand écrivain paléolibéral H.L. Mencken appelait « un État à la limite de ne plus être un État du tout. » Jusqu'à quel point ce développement en est-il arrivé, et comment a-t-il pu se produire?
Confusion entre public et privé
Le libéralisme étatiste imprègne et domine ce que, par analogie avec les conservateurs, on pourrait appeler le « mouvement libéral officiel ». À partir de ce qui n'était il y a une vingtaine d'années qu'un courant, de ce que les marxistes appelaient un groupuscule, le libéralisme a mis en place un « mouvement officiel », bien qu'il n'ait jamais, Dieu merci, obtenu un quelconque pouvoir politique. Alors qu'il n'y a heureusement aucun équivalent libéral au National Review [magazine conservateur américain de William Buckley, NdT] pour régner sur le mouvement ou pour purger les hérétiques, il existe un réseau d'institutions et de revues qui constituent bel et bien un « mouvement officiel ».
Depuis plus de vingt ans, le Parti libertarien [le Libertarian Party] était une institution centrale, qui avait commencé tôt et de façon étrange, et qui d'une certaine manière créait plutôt qu'elle ne reflétait le mouvement dans son ensemble. Jusqu'à ces dernières années, les militants du Parti tiraient fierté de leur pureté et de la cohérence de leur dévouement au principe libéral. Le mouvement libéral-libertarien, toutefois, a toujours été bien plus large que le Parti lui-même. Il consiste en un réseau informel d'instituts (think tanks) défendant le libéralisme et l'économie de marché: instituts au niveau national, avec des groupes de pression, qui gravitent autour de Washington; instituts au niveau des régions ou des États américains, qui doivent forcément rester au coeur du pays, physiquement si ce n'est pas hélas en esprit. Il y a aujourd'hui des organisations juridiques qui paraît-il engagent des poursuites au nom de la liberté contre la tyrannie du gouvernement. Le mouvement comporte aussi deux mensuels, ainsi que d'autres qui ont disparu entre temps: un magazine relativement riche et horriblement ennuyeux, Reason, basé à Santa Monica (Californie); et un « fanzine » d'amateurs, Liberty, basé dans l'État de Washington.
Il existe aussi des réseaux apparentés d'institutions qui, comme beaucoup de lettres d'information traitant de placements et d'investissements, ne font pas exactement partie du mouvement mais sont des sympathisants de la cause. Le mouvement libéral est même suffisamment grand pour comprendre un incompréhensible journal universitaire « post-libéral », qui essaie d'intégrer libéralisme, marxisme et déconstructionnisme, périodique publié avec ténacité par un personnage digne de l'éternel étudiant chekhovien, sauf qu'il est bien moins inoffensif et financièrement bien mieux en point que le héros plutôt adorable de Chekov.
Ce qui est fascinant, c'est que presque toutes ces institutions, depuis les instituts jusqu'au Parti libertarien autrefois si pur, en passant par les magazines, ont abandonné particulièrement rapidement toute trace de leurs principes initiaux: la ferme résolution de réduire l'État et de défendre les droits de propriété.
Certaines raisons ne nécessitent bien entendu pas d'explications: la volonté d'imiter les conservateurs étatistes qui ont soif de respectabilité et de reconnaissance sociale, trouvée à l'occasion de cocktails à Washington, et qui, ce n'est pas un hasard, recherchent aussi le pouvoir, une bonne planque et des soutiens financiers. Mais il y a plus. À la base se trouve ce que beaucoup d'entre nous ont pu apprendre douloureusement au cours des ans: il ne peut y avoir de véritable séparation entre une idéologie politique formelle d'une part, les idées et les attitudes de l'autre.
Le libéralisme est logiquement compatible avec presque toutes les cultures, toutes les sociétés, toutes les religions et tous les principes moraux. Sur le plan purement logique, la doctrine politique libérale peut être séparée des autres considérations: on peut logiquement être – et, de fait, la plupart des libéraux-libertariens le sont – hédoniste, libertin, immoral, ennemi militant de la religion en général et du christianisme en particulier tout en demeurant un partisan cohérent de la politique libérale. En fait, en bonne logique, on peut être un défenseur cohérent des droits de propriété sur le plan politique tout en étant un fainéant, un bel escroc et un racketteur en pratique, comme bien trop de libéraux-libertariens tendent à l'être. On peut, sur le plan purement logique, faire ces choses. Mais sur le plan psychologique, sociologique, et en pratique, ça ne marche jamais ainsi.
C'est pourquoi, comme l'a souligné Justin Raimondo en étudiant ce qui avait mal tourné dans le mouvement libéral, ce dernier a commis une grave erreur à ses débuts, dans les années 1970, en se coupant de tout mouvement de droite ainsi que de tout type de tradition ou de culture américaine. En suivant l'exemple d'Ayn Rand, que la plupart des libertariens admiraient avec enthousiasme, les libéraux prétendaient être de véritables individualistes et d'authentiques révolutionnaires, n'ayant rien à voir avec la droite et apportant au monde une révélation politique totalement novatrice. De fait, le mouvement libéral a toujours été presque délibérément ignorant de l'Histoire et de tout ce qui touche aux affaires étrangères. Les syllogismes compliqués de la théorie libertarienne, la science-fiction, la musique rock et les mystères des ordinateurs ont constitué la totalité des connaissances et des intérêts de ses membres.
Une des raisons de cette séparation, que je n'avais pas bien saisie à l'époque, était issue d'une violente haine envers la droite, ainsi que de la crainte des libéraux de se retrouver associés avec un mouvement conservateur ou de droite, ou de se retrouver étiquetés comme tel. Une partie de cette haine provenait d'une haine plus générale et encore plus intense à l'encontre de la chrétienté, haine que certains avaient héritée d'Ayn Rand.
Pour être précis, l'un des aspects importants du récent virage vers l'étatisme vient de ce qu'un égalitarisme profondément enraciné a exercé son influence et infecté les idées politiques des libertariens. Grattez un peu, et sous l'égalitariste vous trouverez inévitablement un étatiste. Comment l'égalitarisme qui se développe et qui se répand au sein des libéraux peut-il être rendu compatible avec leur prétendue croyance à l'individualisme et au droit de chacun de s'élever suivant son propre mérite, sans être gêné par l'État? La solution à ce problème est à peu près la même que dans les autres versions courantes du « politiquement correct ».
Les libéraux-libertariens sont fermement convaincus que, si les individus ne sont pas « égaux » entre eux, tous les groupes imaginables: communauté ethnique, race, sexe et, dans certains cas, espèce, sont en réalité et doivent être rendu « égaux », que chacun possède des « droits » qui ne doivent pas être restreints par une forme quelconque de discrimination.
Et ainsi, s'opposant à son ancienne et supposée dévotion envers des droits de propriété absolus, le mouvement libéral a reconnu presque tous les faux « droits » de la gauche qui ont pu être fabriqués au cours des dernières décennies.
Peu avant que je ne quitte le mouvement libertarien et son Parti il a cinq ans (décision que je n'ai jamais regrettée, mais dont je me félicite au contraire chaque jour), je racontai à deux dirigeants bien connus du mouvement que j'estimais ce dernier désormais infecté et gangrené par l'égalitarisme. Quoi? me dirent-ils. C'est impossible. Il n'y a pas d'égalitarisme dans le mouvement. Puis je leur dis qu'un bon exemple de cette infection pouvait se voir dans la récente admiration envers le révérend et « Docteur » Martin Luther King. Absurde, me répondirent-ils. Eh bien, il est assez intéressant de constater que, six mois plus tard, ces deux gentilshommes publièrent un article saluant le « Docteur » King comme un « grand libéral ». Qualifier ce socialiste, cet égalitariste, ce chantre de l'intégration obligatoire, cet adversaire haineux des droits de propriété, ce personnage qui, par dessus le marché, fut longtemps sous la coupe du Parti communiste, qualifier cet homme de « grand libéral », voilà bien un signe évident de l'ampleur de la décadence du mouvement.
De fait, au milieu de toutes les discussions récentes sur les « tests révélateurs », il me semble qu'il y a un excellent test permettant de distinguer entre un conservateur authentique et un néoconservateur, entre un paléolibéral et ce que nous pouvons appeler un « libéral de gauche ». Ce test, c'est ce que l'on pense du « Docteur » King. Et ce ne devrait en fait être une surprise pour personne que, comme nous allons le voir, il y ait eu quasi-fusion entre les néoconservateurs et les libéraux de gauche. Il est même en pratique devenu difficile de les distinguer.
Dans le « mouvement libéral officiel », les « droits civiques » ont été acceptés sans problème, remplaçant totalement les véritables droits de propriété. Dans certains cas, cette acceptation d'un « droit à ne pas être l'objet d'une discrimination » a été explicite. Dans d'autres, lorsque les libéraux veulent accorder leurs nouvelles idées avec leurs anciens principes et n'ont pas peur des sophismes, voire de l'absurde, ils choisissent la voie sournoise tracée par l'American Civil Liberties Union (ACLU): si la moindre trace d'État intervient quelque part, alors le prétendu « droit » à un « accès égal » doit prendre le pas sur la propriété privée ou même sur toute mesure de bon sens.
C'est ainsi que lorsque le juge Sorokin, qui va bientôt être promu, suite à un consensus bipartite du Sénat américain, à la prestigieuse Cour d'appel fédérale, a décidé qu'un clochard malodorant devait avoir le droit d'empuantir une bibliothèque publique du New Jersey et de suivre les enfants aux toilettes, parce qu'il s'agit là d'un lieu public dont l'accès n'est donc pas susceptible de restrictions, la dirigeante nationale du Parti libertarien a publié un communiqué officiel le félicitant de sa décision. D'une façon analogue, les libertariens ont rejoint l'ACLU dans son combat pour la prétendue « liberté d'expression » des clochards et des mendiants dans les rues de nos villes, aussi agaçants et intimidants puissent-ils être, et ce parce que les rues sont, somme toute, des lieux publics et, que tant qu'elles le resteront, elles devront continuer à rester des cloaques, bien qu'il soit assez difficile de voir pourquoi la grande théorie libertarienne le nécessiterait. [Il est à noter que Walter Block, dans un article défendant la liberté totale d'immigration (« A Libertarian Case for Free Immigration », Journal of Libertarian Studies, 13, no 2, 1998), a repris à son compte l'argument sur la bibliothèque publique à laquelle on ne peut refuser l'accès. Son ami Hans-Hermann Hoppe a critiqué cette position dans son livre Democracy, the God that failed (Transaction Publishers, 2001, note de la page 159). Hoppe ajoute que la propriété publique devrait être considérée comme appartenant aux contribuables et que ni le clochard, ni l'étranger n'ayant payé d'impôts, ils ne peuvent revendiquer ces lieux. NdT]
Toujours dans la même veine, le principal juriste « libéral de gauche » de Washington affirme fièrement jusqu'à ce jour qu'il ne fit que suivre les principes libéraux quand, à son poste du ministère fédéral de la Justice – poste qui en soi n'est déjà pas facile à concilier avec de tels principes –, il apporta son concours au pouvoir judiciaire dans son abominable décision de menacer de prison le conseil municipal de Yonkers (New York) s'il refusait d'approuver un projet de HLM pour la raison que ces lieux deviendraient rapidement un dépotoir de drogués et de criminels. Son raisonnement était le suivant: cette opposition était une violation de la doctrine de non-discrimination car Yonkers avait d'autres projets de logements publics sur son territoire!
Ce ne sont pas seulement les opérations purement gouvernementales que vise cette doctrine « libérale ». Elle s'applique aussi à toutes les activités qui ont affaire à l'influence du secteur public, en utilisant par exemple les rues de l'État ou en acceptant des fonds publics. En fait, il n'est même pas toujours besoin d'une véritable action du gouvernement. Parfois, ces libéraux se rabattent sur l'argument qu'il est vraiment très difficile de toute façon, de nos jours, de faire la différence entre de qui est « privé » et ce qui est « public », que tout est à moitié public, et qu'essayer de conserver des droits de propriété dans une telle situation est irréaliste, naïf, ne tient pas compte de la réalité et ne constitue qu'un grain de sable « puriste » jeté dans la machine du « progrès » néoconservateur ou libéral de gauche.
« Droits » des homosexuels
Récemment, il y eut un débat fascinant entre un juriste paléolibéral de Californie et un employé d'une organisation juridique prétendument « libérale » nouvellement créée en Californie, le Center for Individual Rights, dirigé par le célèbre néoconservateur David Horowitz, qui aime se présenter comme « libéral ». Ce Centre est au passage une excellente illustration de fusion explicite entre néoconservateurs et libéraux de gauche, car son siège social comporte plusieurs membres éminents du mouvement libéral.
Le juriste « paléo » s'opposait au soutien du Centre à l'idée d'une interdiction légale faite aux universités d'édicter des règlements limitant ce que les membres du Centre appelaient « les droits constitutionnels de la liberté d'expression » des étudiants et de la faculté. Ce critique paléo était d'accord pour combattre le « politiquement correct » et les codes de bonnes conduite restreignant les prétendus « discours de haine », mais soulignait ce qu'on aurait, il y a peu de temps, considéré comme évident et banal, non seulement par les conservateurs et par les libéraux, mais aussi par tous les juges et par tous les Américains: le Premier Amendement, ou les droits à la liberté d'expression, ne s'appliquent qu'au gouvernement, seul le gouvernement peut empiéter sur de tels droits. Les personnes et les organisations privées peuvent exiger que tout individu qui utilise sa propriété respecte des règlements quant à la conduite ou les paroles à tenir, et tout individu qui utilise cette propriété accepte de ce fait de respecter ces règlements. Une loi limitant l'usage de tels règlements restreint par conséquent les droits de propriété tout autant que le droit de rédiger des contrats libres concernant son usage.
En réponse, le représentant du Centre méprisa cet argument considéré comme irréaliste et puriste: de nos jours, pour les libéraux officiels, tout ou presque est dans une certaine mesure public, de sorte qu'à l'inverse de tout ce que raconte l'enseignement libéral, « privé » et « public » sont mélangés. L'employé du Centre ne fut pas le moins du monde gêné quand le juriste paléo utilisa ce que toute personne sensée considérerait comme un raisonnement par l'absurde: à savoir que, en bonne logique, cette approche impliquerait que l'État devrait empêcher tout employeur privé de licencier un employé exerçant son droit à la « liberté d'expression » en dénonçant ou en insultant son patron, même dans les locaux de la compagnie.
Le problème, quand on utilise un raisonnement par l'absurde avec des libertariens, a toujours été que ceux-ci ne sont que trop heureux de choisir l'absurde. Et nos soi-disant « libéraux » sont ainsi en train d'aller plus loin que le Juge Hugo Black lui-même dans la séparation entre la liberté d'expression et les droits de propriété, et dans l'exaltation de la première au détriment des seconds. Même un « absolutiste du Premier Amendement » comme le Juge Black avait expliqué que la « liberté d'expression » ne donnait à personne le droit de venir chez vous pour vous importuner à longueur de journée.
Les « droits civiques » et la « liberté d'expression », ainsi que le mélange du « public » et du « privé » ne sont que le premier « Grand Bond en avant étatique » du mouvement libéral. L'une des caractéristiques culturelles de la plupart des membres de ce mouvement a toujours été un soutien passionnée aux moeurs et aux pratiques des « modes de vie alternatifs » et à « l'orientation sexuelle » en opposition avec les habitudes et les principes bourgeois ou traditionnels. La forte corrélation entre cette tendance « libertaire » et la haine endémique envers la chrétienté devrait sauter aux yeux de tous.
Alors que cette attitude culturelle a toujours imprégné les libertariens, la nouvelle caractéristique vient de leur soutien aux « droits des homosexuels » comme expression d'un « droit civique » à la non-discrimination. Les choses en sont venues au point où l'un des plus éminents instituts libéraux pratique sa propre forme de « discrimination positive » envers les homosexuels, embauchant ou ne soutenant que des homosexuels déclarés et, pour le moins, licenciant tout membre de l'équipe qui ne serait pas assez enthousiaste quant à cette procédure ou quant aux droits homosexuels en général.
Dans un autre institut libéral, qui ne s'occupe que de questions économiques, le numéro 2 a récemment tiré profit des vacances du numéro 1 pour organiser une réunion et dévoiler ouvertement son homosexualité à tout le monde. Puis il demanda les réactions de l'équipe à son ardente annonce pour ensuite demander au numéro 1 de mettre dehors ceux qui n'avaient pas montré un enthousiasme suffisant envers cette nouvelle.
Le Parti libertarien a pendant des années eu son comité « gay et lesbien ». Autrefois, le programme de ce comité se réduisait à demander l'abolition des lois contre la sodomie, position libérale bien banale. Aujourd'hui, au contraire, dans notre meilleure des époques, les théoriciens de ce comité exigent l'autorisation de la nudité publique et des actes sexuels en public, chose que leurs collègues d'Act Up ont réussi à faire cet été lors d'une parade homosexuelle à New York: acte techniquement illégal, bien que cette illégalité n'ait manifestement pas entraîné de représailles de la part du nouveau maire républicain. La justification, bien sûr, étant que les rues sont publiques (n'est-ce pas?) et que tout doit y être permis.
Jusqu'à récemment, l'attachement des institutions libérales de gauche aux « droits des homosexuels » était plus implicite qu'explicite, et se manifestait soit sous le couvert d'une action publique, soit par une discrimination « positive » de leur part. Le mois dernier, un nouveau pas a été franchi dans la revendication ouverte et officielle de droits spécifiques des homosexuels. David Boaz, dirigeant de l'institut le plus en vue de la gauche libérale, le Cato Institute [Rothbard fut à sa création un membre influent du Cato Institute. Voir à ce sujet et à propos des différents ultérieurs la biographie de Rothbard par Justin Raimondo: An Enemy of the State, Prometheus Books, 2000, chapitre 5. NdT], a en effet écrit un éditorial étonnant dans le New York Times, étonnant non pour le journal où il est paru bien entendu, mais quant à son contenu.
Le contenu de cet article était inhabituel à deux égards. Premièrement, pour la première fois peut-être de la part d'une institution se prétendant libérale, il traitait les initiatives « anti-homosexuelles » qui ont eu lieu dans le pays comme un « assaut » envers les « droits » des homosexuels, sans discuter du contenu de leurs propositions, qui n'étaient que des tentatives d'interdire les lois condamnant la discrimination anti-homosexuelle. Bref, les initiatives que dénonçait ce libéral étaient en fait des mesures destinées à protéger les droits de propriété contre un assaut de la part de cette partie de la législation qui confère des privilèges particuliers aux homosexuels. Ce qui est particulièrement étrange dans cette erreur, c'est que, si les libéraux sont compétents pour juger de quelque chose, ce devrait être pour ce qui concerne la distinction entre protection et agression des droits de propriété.
La deuxième étrangeté de cet éditorial est que cet éminent membre du Cato Institute y critique les conservateurs pour avoir, d'après lui, fait des homosexuels des « boucs émissaires » alors qu'ils ignoreraient, à ce qu'il paraît, ce qu'il considère comme le véritable problème social et moral de notre époque: les mères célibataires et... sonnez trompettes... le divorce!
Pourquoi les conservateurs écrivent-ils bien plus sur les homosexuels? En premier lieu, il me semble clair que le problème des mères célibataires a rencontré un large écho au sein des conservateurs. Quant au divorce, il est curieux qu'un libéral de gauche, voué au modernisme et au changement, chante la nostalgie du bon vieux temps où les femmes divorcées étaient obligées de quitter la ville. Mais le point remarquable dans son raisonnement est en fait cette incapacité stupéfiante et délibérée de garder contact avec la réalité.
Pourquoi les conservateurs passent-ils plus de temps à écrire sur les homosexuels que sur le divorce? Eh bien, tout simplement parce qu'il n'y a pas de parade bruyante des militants du « mouvement des divorcés » déambulant sur la 5e avenue de New York au cours d'une « Divorce Pride », marchant à poil et se livrant en public à des actes sexuels entre divorcés, réclamant des lois pour lutter contre la discrimination envers les divorcés, une discrimination positive en faveur de ces mêmes divorcés, des articles spécifiques aux divorcés dans la loi et une proclamation publique perpétuelle de la part des non-divorcés quant à l'égalité ou la supériorité du divorce sur la continuation du mariage.
Les choses ont évolué au point que le mot « libéral » [libertarian] a une nouvelle connotation lorsqu'il est utilisé par les médias. On avait l'habitude de l'utiliser pour désigner une opposition à toute forme d'intervention du gouvernement. Désormais, cependant, « libéral » est quasiment devenu dans l'esprit du public synonyme de partisan des « droits des homosexuels ». C'est pourquoi le candidat favori, pour l'élection présidentielle de 1996, de tous les libéraux qui ne veulent pas s'associer de trop près, en pensée et en acte, au Parti libertarien, est sans conteste William Weld, le gouverneur républicain du Massachusetts qui aime se présenter lui-même comme « libéral ».
La raison pour laquelle Weld utilise ce terme n'est pas son prétendu « conservatisme fiscal ». Lui et ses acolytes ont été décrits comme d'héroïques réducteurs d'impôts et du budget de l'État. Sa prétendue « baisse des impôts » a consisté à prendre le chiffre effroyablement gonflé du dernier budget de Michael Dukakis pour le réduire d'un petit 1,8%. Mais même cette baisse minuscule a été plus que compensée depuis par de fortes augmentations du budget. Ainsi, le conservatisme fiscal de Weld se manifesta l'année suivante par une hausse des dépenses de 11,4% au Massachusetts; et cette année il l'augmente à nouveau d'environ 5,1%. Pour le dire autrement, le geste de William Weld consistant à baisser de moins de 2% a été plus que compensé par une augmentation du budget de 17% au cours des deux dernières années. Vous avez dit « conservatisme fiscal »? L'histoire se répète sur le front des impôts: les baisses annoncées haut et fort par Weld ont été plus que compensées par de fortes augmentations.
Mais il ne s'agit que de maquillage destiné à tromper les conservateurs. Le « libéralisme » de Weld, dans son esprit et dans celui de ses admirateurs libéraux de gauche, réside presque exclusivement dans son attachement passionné aux « droits des homosexuels », ainsi qu'à la discrimination positive en faveur de ces derniers, discrimination qu'il a mise en place en nommant à des postes importants un grands nombre d'homosexuels notoires. Pour finir, je voudrais aussi mentionner que Weld est un partisan fanatique de l'écologie et de sa destruction despotique du niveau de vie de l'espèce humaine.
Récemment, les libéraux de gauche ne se sont pas contentés de soutenir des républicains de gauche: ils ont aussi fait une incursion dans le Parti démocrate. Plusieurs dirigeants du Cato Institute ont soutenu la campagne de Doug Wilder en Virginie, l'un d'eux étant même devenu membre de la commission des finances de Wilder. L'attirance exercée par Wilder au détriment du républicain de gauche Coleman est que Wilder incarne par sa personne et par sa vie à la fois la « diversité » sexuelle et raciale tellement aimée des libéraux de gauche. Il est toutefois typique que leur sens aigu de la politique les ait fait s'embarquer avec enthousiasme dans le bateau de Wilder juste avant qu'il ne coule sans laisser la moindre trace...
La nouvelle devise de presque tous les libéraux de gauche pour ce qui est de choisir des candidats du Parti libertarien est devenue: « fiscalement conservateur, mais socialement tolérant ». La signification de l'expression « fiscalement conservateur » peut se réduire, et se réduit dans les faits, à bien peu: elle signifie habituellement dépenser, ou proposer de dépenser, un peu moins que leurs adversaires politiques, ou encore ne pas trop augmenter les impôts.
« Socialement tolérant », tournure au mieux vaseuse, est une expression codée pour un ensemble de politiques et de caractéristiques éparses: attachement aux droits des homosexuels, aux droits civiques et généralement et par-dessus tout, ne pas être « rempli de haine » comme la droite chrétienne, Pat Buchanan et le Rothbard-Rockwell Report. Alors que nous ne sommes tous par définition que des brutes épaisses suant la « haine » par tous les pores, les libéraux de gauche, comme nous le savons tous si bien, ne sont que de braves gars, leurs êtres n'émettant que des ondes d'amour, de générosité et de chaleur d'esprit. Et, comme nous disons à New York, que leur vie soit la plus longue possible! De fait, je n'ai pas la même expérience personnelle des néoconservateurs que certains d'entre vous, mais je peux vous assurer que les libéraux de gauche valent les néoconservateurs en ce que vous ne voudriez pour rien au monde avoir affaire à eux. Faites-moi confiance pour ça.
Immigration libre
Pour être « socialement tolérant », il ne faut bien entendu pas émettre la moindre critique sur l'idée d'immigration libre. Au contraire, il convient de la soutenir sans réserves. Avec les libéraux de gauche et les néoconservateurs, toute proposition, quelle qu'en soit la raison, de limiter l'immigration ou même de réduire le flux d'illégaux est automatiquement et hystériquement dénoncée comme raciste, fasciste, sexiste, hétérosexiste, xénophobe, et toute la panoplie d'épithètes injurieux à portée de main. (Bien que les néoconservateurs semblent, curieusement, faire une exception flagrante envers ceux qu'ils appellent de manière assez vague les « terroristes arabes ».) Les choses en sont venues à un tel point que le Parti libertarien, qui s'était opposé avec force et de manière constante à tout impôt et à toute dépense de fonds publics, est maintenant en train de changer rapidement de politique et d'attitude, y compris sur ce sujet, pourtant depuis longtemps cher aux coeurs libéraux.
En Californie, il y aura en novembre de cette année un vote sur une proposition remarquablement simple et intitulée « Save Our State » [Sauvons notre État], qui pourrait être reprise par tout Américain des classes ouvrières ou moyennes. En fait, ceux qui la connaissent en sont des partisans enthousiastes. Cette proposition interdit tout usage de fonds publics en faveur d'étrangers en situation irrégulière. La plupart des gens, bien sûr, pensent que ces illégaux devraient plier bagage et retourner chez eux, mais certainement pas bénéficier, aux frais du contribuable, de l'aide médicale et des écoles publiques, ainsi que de tout l'appareil de l'État-providence.
Comme vous pouvez l'imaginer, tout l'establishment et tous les groupes bien-pensants se sont opposés avec hystérie à cette proposition. Dans cette coalition on pouvait évidemment retrouver le grand patronat, les syndicats, les associations d'enseignants, les médias, les experts, les professeurs, et toutes les élites faiseuses d'opinion, bref les suspects habituels [the usual suspects]. Ces groupes ont tous dénoncé « Save Our State » comme un encouragement à la diffusion de l'ignorance et du mal. Les partisans de la proposition furent dépeints comme pleins de haine, racistes, sexistes, hétérosexistes, xénophobes, etc. Les seuls à la défendre étaient un ensemble d'organisations inconnues, véritablement populaires, qui essaient d'éviter, plutôt qu'elles ne recherchent, la publicité parce qu'elles ont déjà reçu des menaces de mort et d'attentat à la bombe, probablement de la part des membres de la « communauté illégale » que l'on appellerait normalement « gangsters » s'il n'y avait le politiquement correct.
Notre collaborateur Justin Raimondo est, je suis fier de le dire, le coordinateur de « Save Our State » à San Francisco et il rapporte que le chef de la section de San Francisco du Parti libertarien (je dois préciser ici que l'État de Californie est peut-être le seul où le Parti a de nombreux membres et ne se résume pas à une organisation de papier) s'oppose à cette proposition – une première chez les libéraux: s'opposer à une réduction d'impôts!
Quel raisonnement a conduit le Parti libertarien à abandonner précipitamment le contribuable et les droits de propriété en faveur du politiquement correct? C'est que l'application de la proposition « Save Our State » pourrait représenter une menace pour les libertés civiles! Mais l'application de n'importe quelle mesure, bonne ou mauvaise, pourrait bien sûr menacer les libertés civiles et ce n'est pas une excuse pour refuser de voter un projet valable. Les frontières, apparemment, ne doivent pas seulement rester grandes ouvertes: il faut aussi encourager cette ouverture et la financer au frais du contribuable américain. La confusion entre public et privé, le changement de définition des « droits » sont visiblement allés si loin que tout immigré en situation irrégulière a maintenant le droit de lessiver le contribuable pour un montant que Dieu seul connaît. Bienvenue dans le libéralisme étatiste!
Impôt sur le revenu, ALÉNA, OMC...
L'opposition aux impôts s'est en fait systématiquement affadie. Le Cato Institute s'est récemment déclaré en faveur de la campagne richement dotée réclamant la suppression de l'impôt sur le revenu pour le remplacer par un impôt sur les ventes. La revendication de la vieille droite et des vieux paléos, telle que je me la rappelle depuis mes années de jeunesse, était de supprimer le Seizième amendement et l'impôt sur le revenu, point. La variante actuelle constitue une proposition bien différente. En premier lieu, elle repose sur le slogan que les conservateurs ont hérité des « théoriciens de l'offre » [supply-siders] et qui a été finalement adopté par presque tous les économistes et soi-disant hommes d'État: quoi qu'il arrive, et quelle que soit l'évolution de la législation des impôts, il faudrait que la modification de la loi soit « neutre » quant aux rentrées fiscales, c'est-à-dire que le montant total de la récolte ne doit jamais baisser.
On n'explique jamais comment cet axiome s'inscrit dans la doctrine conservatrice ou libérale, ni pourquoi diable les rentrées fiscales ne devraient pas diminuer. Hein, pourquoi donc? À la réponse habituelle, qui nous dit que nous devons nous soucier des déficits fédéraux, la réplique appropriée, que plus personne ne fait, est de diminuer fortement les dépenses de l'État. Ce qui exige bien sûr que l'on en revienne à la vieille définition démodée de la « diminution du budget », i.e. une véritable diminution du budget, et non que l'on accepte le sens actuel qui signifie diminution de son « taux de croissance » ou diminution se fondant sur une prédiction de croissance du Congrès ou de la présidence, basée sur des hypothèses inévitablement douteuses. Comme l'a souligné un numéro récent du Free Market, la lettre du Mises Institute, il y a de graves défauts dans cette idée de remplacer l'impôt sur le revenu par un impôt sur les ventes.
En premier lieu, et contrairement au caractère prétendument « réaliste » et « pragmatique » de cette proposition, elle ne conduirait pas en pratique à la suppression de l'impôt sur le revenu, mais plutôt à l'ajout d'une nouvelle taxe sur les ventes à notre sordide législation fiscale actuelle. En second lieu, si la part « personnelle » de l'impôt sur le revenu était éliminée, la part « patronale » demeurerait. De cette façon, l'abominable Gestapo fiscale resterait intacte et continuerait à examiner les livres de comptes et à s'immiscer dans nos vies. De plus, une taxe de 30% sur les ventes réclamerait également des mesures lourdes pour la faire respecter, de sorte qu'un nouveau service du ministère des Finances devrait rapidement mettre son nez dans les comptes de chaque commerçant du pays. Il ne me semble pas nécessaire d'avoir un doctorat ou un sens théorique très poussé pour prévoir ces conséquences. Ce qui conduit à mettre en doute la bonne foi des partisans de cette réforme.
En parlant de bonne foi: l'une des pires histoires de tous les instituts défendant l'économie de marché, ainsi que de tous les journaux et institution libéraux « officiels », fut de soutenir comme de nombreux autres moutons tout le tintouin fait autour de l'ALÉNA [Accords de Libre-Échange du Nord de l'Amérique, en anglais NAFTA], et désormais en faveur de l'Organisation Mondiale du Commerce. Le Fraser Institute canadien a réussi, sans rencontrer la moindre résistance, à conduire presque tous les instituts libéraux du pays vers ce qu'ils ont appelé le « Réseau de l'ALÉNA » [« Nafta Network »], qui a consacré des sommes sans précédent à une agitation, une propagande et de prétendues « recherches » sans fin, destinées à faire passer l'ALÉNA. Et pas seulement les instituts: les ont rejoints un grand nombre de libéraux et de sympathisants du libéralisme que l'on trouve parmi les chroniqueurs, écrivains et experts.
Le développement de ce processus nous a apporté quelques distractions macabres. La ligne suivie au départ par ces libéraux de gauche était la ligne Bush-Clinton: à savoir que l'ALÉNA favoriserait, et en serait même une condition indispensable, le beau concept de libre-échange, devenu article de foi des républicains conservateurs lors de la présidence de Reagan. L'unique opposition à l'ALÉNA proviendrait donc uniquement d'une alliance constituée de protectionnistes déconcertés ou plus probablement méchants: des responsables syndicaux socialistes, le détestable Ralph Nader, des fabricants nationaux inefficaces à la recherche de tarifs protecteurs et leurs larbins. Pire encore, on y trouve des alliés remplis de haine, protectionnistes, xénophobes, racistes, sexistes et hétérosexistes, tel Pat Buchanan.
C'est à ce moment que Pat Buchanan fit un coup de maître, déconcertant les forces pro-ALÉNA. Il attira l'attention sur le fait que des partisans du libre-échange, aussi ardents et puristes que Lew Rockwell, moi-même et le Mises Institute, ou encore les membres du Competitive Enterprise Institute, s'opposaient à l'ALÉNA parce qu'il s'agit de mesures faussement libérales, qui comprennent de nombreuses restrictions au libre-échange, notamment des contrôles socialistes en ce qui concerne l'emploi et le respect de l'environnement. Et parce que, de plus, ces mesures sont particulièrement dangereuses, ajoutant des restrictions intergouvernementales aux restrictions internationales, et qu'il faudra les faire respecter par de nouvelles organisations intergouvernementales ne devant rendre de compte à personne et certainement pas aux électeurs des nations concernées.
Il est amusant de voir que les propagandistes pro-ALÉNA durent changer leur fusil d'épaule dans la précipitation. Ils furent obligés de nous attaquer, soit nominalement soit sur le plan général. Comme ils ne pouvaient pas nous dépeindre comme des protectionnistes, ils eurent à se battre simultanément sur deux fronts, attaquant les méchants protectionnistes de droite et de gauche tout en dénonçant simultanément notre pureté excessive quant au libre-échange, reprenant ainsi l'expression de Voltaire, que je commence à détester presque autant que les mots « aliénation » et « tolérance »: le mieux est l'ennemi du bien. En fait, bien sûr, l'ALÉNA et l'OMC ne sont en aucun cas le « bien »: ils ne font qu'empirer la situation et sont considérés comme des « maux » par tout libéral au véritable sens du terme.
Quelques libéraux de gauche ont répondu à nos critiques du projet de gouvernement mondial que seuls des xénophobes et des étatistes pouvaient se soucier de « souveraineté nationale », parce que d'après les grandes théories libérales seul l'individu est souverain, pas la nation. Je ne souhaite pas discuter longuement de ce point. Mais, selon moi, il devrait être évident à tout libéral que l'ajout de nouveaux niveaux de gouvernement, plus élevés et plus étendus, ne peut qu'augmenter l'étendue et l'intensité du despotisme. Et que plus ces niveaux sont élevés, moins ils sont soumis au contrôle, à leur limitation ou à leur suppression de la part de la population.
Mais je constate de plus en plus qu'on ne peut jamais rien considérer comme évident avec les prétendus libéraux. De fait, Clint Bolick, éminent théoricien et activiste libéral sur le plan juridique, a écrit un livre pour le Cato Institute où il étudie de façon étrange l'Amérique d'aujourd'hui pour en conclure que la véritable tyrannie, la véritable menace pour nos libertés, ne serait ni le Léviathan fédéral, ni le Congrès, ni l'exécutif, ni encore le nombre sans cesse croissant des despotes à vie qui composent la magistrature fédérale. Non rien de tout cela: la véritable menace pour nos libertés serait au contraire les gouvernements populaires locaux.
Il me semble impossible de tenir un quelconque raisonnement ou d'avoir la moindre discussion avec des gens qui étudient la vie actuelle des Américains et en arrivent à de telles conclusions. Qualifier ces individus de « libéraux », comme dire des partisans l'ALÉNA qu'ils sont en faveur du « libre-échange », c'est déformer le sens des mots au-delà de tout entendement. Comme avec les décontructionnistes, nous entrons avec les libéraux de gauche dans un monde à la Humpty Dumpty, où les mots ne veulent dire que ce qu'on choisit de leur faire dire et où la véritable question est de savoir qui sera le maître.
En parlant de celui qui sera le maître, les partisans de l'ALÉNA ont eu le toupet d'accuser la « coalition » des protectionnistes et des authentiques partisans du libre-échange d'être payés par la méchante industrie textile. Cette accusation, tenez-vous bien, provient d'institutions largement subventionnées par les gouvernements mexicain et canadien, par des lobbyistes mexicains et canadiens, ainsi que par des entreprises et des donateurs issus des industries d'exportation. Car une des vérités bien tues de la politique étrangère américaine depuis la Seconde Guerre mondiale et même depuis 1930, y compris pour ce qui est des négociations commerciales, des traités et accords entre États, du prétendu « libre-échange » et des échanges commerciaux, tout comme pour tous les programmes d'aide internationale, cette vérité c'est que la motivation principale était de mettre en place des subventions publiques, payées par les contribuables, aux industries d'exportation et aux banquiers qui les soutiennent. On peut parler d'individus élevés en serre!
Histoire américaine
Je ne voudrais pas clore ce chapitre sur l'ALÉNA sans mentionner brièvement la réponse étonnante du Parti libertarien. Rappelons à nouveau que le Parti s'était autrefois toujours opposé à toute forme de restrictions ou de contrôles commerciaux entre États. Et pourtant, l'auguste Comité national qui dirige le parti entre deux conventions – qui sont de plus en plus rares d'ailleurs –, s'est senti obligé d'émettre un communiqué soutenant l'ALÉNA au point culminant de la controverse, jetant ainsi tout son poids dans la bataille.
Celui qui dirige en réalité le Comité national est lui-même un théoricien libéral reconnu. Seule la nostalgie de ses anciennes idées, ou un minimum d'intégrité, l'a empêché d'essayer de répondre à nos critiques. Malheureusement, il a dû pour ce faire avoir recours au type d'argument autrefois en vogue dans ces minuscules organisations (véritables sectes) au nom si grandiose, comme le Parti international révolutionnaire des travailleurs. À savoir: lui et le Comité national reconnaissent qu'il y a un problème avec l'ALÉNA, que son organisation bureaucratique internationale pourrait bien signifier des restrictions dépassant ses prétendus caractéristiques libérales. Mais, concluent-ils, il ne faut pas s'en soucier parce que, dans ce cas, le Parti libertarien mettrait tout son poids politique pour arrêter cette dérive. Quel soulagement de savoir que le Parti libertarien se mettra en travers de l'ALÉNA et de ses inévitables conséquences!
Lorsque l'alliance « paléo » commença à gagner en influence, nous fûmes pendant un moment la cible de violentes attaques de la part des néoconservateurs, rejoints désormais par les nouveaux « libéraux officiels ». Virginia Postrel, éditrice du mensuel Reason, s'est en un sens fait une spécialité des attaques contre la droite proche de Buchanan. Elle la dénonce habituellement pour sa prétendue opposition au « changement »; en fait elle fait un peu penser aux harpies médiatiques qui faisaient écho aux partisans de Clinton durant la campagne présidentielle, chantant la nécessité du « changement », apparemment changement pour le changement, sans autre but, et qu'elle confond avec une étrange Société des Possibles [Opportunity Society]. La véritable question est toutefois bien de savoir de quel changement il s'agit, pour quoi faire et dans quelle direction? Les paléos, après tout, sont de grands partisans du changement, d'un changement radical qui plus est. Sauf que mon petit doigt me dit que le changement que nous recherchons – réactionnaire et plein de haine – n'est pas exactement le type de « changement, changement, changement » dont parlent cette éditrice et autres néoconservateurs ou Clintoniens.
Ce mois-ci, elle a écrit un éditorial dénonçant la coalition anti-GATT, qu'elle considère très curieusement comme « des partisans de l'immobilisme... en appelant à la puissance de l'État pour bloquer le processus dynamique des marchés et du choix individuel. » Qu'elle puisse interpréter une mesure soutenue avec enthousiasme par le président Clinton et le reste de l'establishment étatique comme un exemple du marché et de choix individuel s'opposant à la puissance de l'État, voilà qui dépasse l'entendement.
Une autre anecdote a suscité la colère de notre éditrice, toujours dans ce même éditorial. Ici aussi elle trouve une coalition de l'immobilisme essayant de bloquer le processus bénéfique de la croissance économique dans un marché libre. Ici aussi nous avons une coalition de progressistes, de conservateurs, de résidents du coin, d'historiens et de toute sorte d'autres personnes essayant de conserver et d'honorer l'héritage américain et essayant d'empêcher la construction sur les lieux mêmes de la Bataille de Manassas d'un parc thématique Disney traitant de l'Histoire américaine. L'une des raisons principales pour empêcher cette « Eisnerisation » du Nord de la Virginie est la version politiquement correcte de l'Histoire que veut infliger à des visiteurs ne se doutant de rien l'historien en chef d'Eisner: Eric Foner, marxiste-léniniste notoire.
Foner, au passage, dans une illustration parfaite de cette alliance entre la gauche et les néoconservateurs, était, lors de la première année de présidence de Reagan, le principal « expert » à aider Irving Kristol et les néoconservateurs dans leur dénonciation de Mel Bradford comme « raciste » et « fasciste », pour avoir eu l'audace de critiquer l'un des principaux despotes de l'histoire américaine: Saint Abraham Lincoln, qui, par bien des côtés, est le prédécesseur du « Docteur » King en ce qu'il nous aide à séparer rapidement le bon grain de droite des diverses variétés d'ivraie de gauche.
Dans son article, Postrel décrit cette coalition contre le parc thématique comme une « coalition de la gauche opposée à la croissance et des conservateurs attachés au sang et à la terre. » En un certain sens, il n'est pas surprenant que l'éditrice, libérale de gauche, oublie de signaler que le projet se propose d'infliger une version politiquement correcte, marxiste-léniniste, de l'histoire américaine à des touristes innocents et que donc elle ne s'y intéresse pas. Mais Pat Buchanan, une fois encore, jeta une clé à molette dans la machine de propagande de la gauche libérale en signalant que votre serviteur, dans un article du Free Market, avait montré que ce parc thématique Disney n'était nullement le résultat du marché, mais bel et bien un projet dépendant explicitement d'une subvention de 160 millions de dollars, payés par les contribuables de l'État de Virginie.
Est-ce réellement une preuve d'immobilisme, de refus de la croissance et du libre-échange que de s'opposer à un projet exigeant une aide des contribuables à la hauteur de 160 millions de dollars? Comment cette éditrice prétend-elle défendre son soutien face à cette critique, émanant de la part de quelqu'un qui, pour le moins, peut être considéré comme un peu plus libéral et opposé à l'État qu'elle ne l'est? Sa ligne de défense est assez instructive et particulièrement peu convaincante. Son commentaire est le suivant, reproduit intégralement: « l'objection des partisans du libre-échange expliquant que ce parc touche des subventions ne constitue pas le coeur du débat. » Eh bien, c'est ce qui s'appelle répondre à cet argument.
Bons scolaires
L'une des raisons principales qui aurait à ce qu'il paraît conduit les libéraux à haïr la religion est qu'ils seraient eux, les libéraux, des défenseurs acharnés de la raison avant tout, alors que les croyants seraient inévitablement trompés par ce que les rationalistes aiment appeler une « superstition ». Il est instructif de réfléchir sur la qualité des capacités de raisonnement que ces libéraux ont montré lors de leur éloignement de la liberté et des droits de propriété.
Retournons maintenant à une dernière mesure qui illustre le « Grand Bond en avant étatiste » du mouvement libéral. Il s'agit de son soutien au programme de bons scolaires, proposition que les libéraux de gauche de Californie ont soumis sans succès au vote en novembre dernier. Les néoconservateurs et les libéraux de gauche entrèrent joyeusement dans la bataille californienne du bon scolaire, qu'ils ont largement financée, convaincus de n'avoir d'autres adversaires que les habituels et syndicats d'enseignants et de progressistes.
Les libéraux de gauche utilisèrent à cette occasion leur mot ronflant favori, « choix », qu'ils avaient d'abord appliqué au choix des femmes quant à l'avortement, et qu'ils voulaient désormais étendre au choix des parents et des enfants quant aux écoles à fréquenter, et au choix entre écoles privées et publiques. Ayant anticipé le déroulement du débat, les partisans du bon scolaire menaient tranquillement leur campagne quand ils furent à nouveau éclipsé par un article influent de Lew Rockwell dans le Los Angeles Times, article qui constitua, d'après ce qu'ils avouèrent tristement un peu plus tard, la plus grande force ayant conduit à l'échec de leur plan. Lew sortit du débat habituel pour souligner des points auxquels tenaient particulièrement les parents et les contribuables californiens mobilisés dans la critique du système d'école publique.
Lew souligna que (1) l'État-providence et le fardeau subi par les contribuables augmenteraient au lieu de diminuer avec la mise en place de ce programme de bons scolaires; et (2) que si les enseignants des écoles publiques peuvent certes s'opposer à ce programme, ce qui est bien plus important et plus dangereux, c'est que ce programme conduirait à un contrôle des écoles privées plus strict de la part de l'État, ces écoles étant pour l'instant encore en grande partie à l'abri des intrusions gouvernementales. Le gouvernement contrôle toujours ce qu'il subventionne et, dans le cas du bon scolaire, l'État serait obligé de définir de qui constitue une « école » afin qu'elle puisse toucher les aides.
Comme pour tout programme de redistribution, l'étendue des choix des bénéficiaires ne peut croître qu'aux dépens des perdants, en l'occurrence des parents d'enfants allant aujourd'hui dans une école privée. Cet argument se révéla non seulement être une véritable bombe, mais Lew utilisa, pour la première fois je crois, un autre argument puissant et sensible; (3) le programme de bon scolaire détruirait les écoles publiques de banlieues aujourd'hui relativement bien et soigneusement protégées, parce qu'elles seraient obligées d'accepter tous ceux qui viendraient d'autres quartiers.
En bref: ces écoles de quartiers, contrôlées dans une certaine mesure par les parents et les contribuables locaux, seraient forcées d'accepter les hordes de la jeunesse inéducable et même criminelle du centre-ville. Les choix de ces parents de banlieue diminueraient. Non seulement les enfants des banlieues seraient en danger, mais la valeur de leurs biens immobiliers, reposant pour une bonne part sur leur déménagement pour des quartiers comportant d'assez bonnes écoles, serait en grand péril.
Alors que ce dernier argument de Lew Rockwell, très politiquement incorrect, fut en butte à l'hystérie prévisible des libéraux de gauche, qui l'accusèrent comme d'habitude de racisme, sexisme, hétérosexisme, etc., etc., son argument fut particulièrement efficace là où il le fallait: chez les habitants de la classe moyenne des banlieues, qui étaient jusque-là prêts à voter en faveur du programme de bon scolaire. Il n'y a pas de meilleur témoignage de la puissance des idées, quels que puissent être l'ambiance politique préalable ou les soutiens financiers.
Triade en trois temps
Une remarque générale: il y a quatorze ans, le Parti libertarien mena sa campagne présidentielle la plus richement dotée, et donc la plus largement relayée par les médias. Lors de cette campagne, menée par ce qui déjà n'était certainement pas son aile la plus puriste, les médias, qui s'y intéressaient pour la première fois, demandèrent qu'on leur explique en quelques mots ce qu'était le « libertarianisme ». La réponse fut: un « progressisme combiné avec un faible niveau d'impôts » [Cf. la remarque qui suit. NdT]
Le chef absolu de cette campagne, Ed Crane, est désormais à la tête de l'un des instituts libéraux américains les plus en vue. Récemment, lui et ses collègues ont fourni une autre formule résumant l'essence du libéralisme. Un « progressisme de marché » [Ibid. NdT]. Il est à noter que si l'ancienne définition faisait encore référence à des impôts réduits, le nouveau credo peut être accepté par presque tout le monde. Après tout, la plupart des socialistes se présentent comme « progressistes » et tous les socialistes acceptent désormais un certain type de marché. Cette expression pourrait donc être, et a peut-être été, retenue par notre président, le bien peu libéral William Jefferson Blythe Clinton IV, tout comme par le dernier dirigeant de la défunte Union soviétique, Mikhaïl S. Gorbatchev. Vous avez dit respectable et au sein du courant dominant?
Ces dernières semaines, le même théoricien éminent du « progressisme de marché » a décidé de combattre ce qu'il considère comme le grand danger représenté par le mouvement populiste de droite. Il propose à la place de ce dernier une « Révolution de velours », terme qui semble bien plus étrange et bien plus exotique aux États-Unis qu'il ne l'était en République tchèque.
Cette Révolution de velours qui, selon notre éminent libéral de gauche, limitera le gouvernement fédéral « sans perturbations », est un simple ensemble de trois mesures légales. L'une consiste à remplacer l'impôt sur le revenu par une taxe sur les ventes, proposition dont j'ai déjà parlé. La deuxième consiste à limiter les mandats et la troisième consiste à faire passer un amendement obligeant à l'équilibre du budget. Le problème avec cet ensemble est de ne rien arranger, mais plutôt d'empirer les choses: au mieux, on peut tromper les masses en leur faisant croire que Washington a été dompté et les conduire à abandonner tout intérêt pour le sujet. C'est peut-être d'ailleurs l'objectif.
Très brièvement, l'amendement exigeant un budget équilibré est un bobard et une escroquerie intellectuelle. Hormis les clauses dérogatoires permettant au Congrès d'échapper facilement à cet amendement, le fait qu'il représenterait une excuse facile pour justifier la hausse des impôts, et le fait que le gouvernement fédéral peut aisément mettre ses dépenses dans la partie « activités hors budget » comme il le fait déjà, le prétendu « équilibre » ne concerne que les projets de dépenses futures et non le budget actuel. Or tout le monde peut bel et bien prévoir n'importe quelles dépenses futures.
Enfin, il n'y a aucune obligation associée: les membres du Congrès votant en faveur de budgets non équilibrés seront-ils tous virés et éliminés?
Ce qui m'amène à la troisième partie de cette triade: la limitation tellement vantée des mandats. Je n'ai pas d'opposition au concept en soi. Le problème, c'est que la limite des mandats ne peut restreindre que ceux des élus du Congrès ou des États, alors que le bras législatif est de loin celui qui a le plus grand pouvoir parmi les trois branches du gouvernement. De ces branches, les élus du Congrès et des États sont les seuls à devoir rendre des comptes au public et à être soumis aux représailles des électeurs. Ce sont les seuls dont nous pouvons nous débarrasser rapidement et pacifiquement. Comparez cette situation avec celles des autres branches néfastes, qui ne sont pas soumises à un mandat.
Il y a l'exécutif, au sein duquel seul le président est élu pour une durée limitée, malgré les ronchonnements de tous les partisans de la « démocratie ». Le reste de notre vaste bureaucratie fédérale ne peut pas être changé par le public. Véritables despotes, ils ont été congelés sur place par le système du « service public », imposé au public par les élites intellectuelles et médiatiques de la fin du dix-neuvième siècle Et il y a pour finir les véritables et abominables tyrans de notre époque, j'ai nommé la justice fédérale sans bornes et qui s'emballe: elle jouit d'un pouvoir virtuellement absolu sur chaque ville et village ainsi que sur la vie de tout un chacun. Et à son sommet, on trouve la Cour suprême et ses despotes inamovibles. Si les gens commençaient à proposer, par exemple, de supprimer l'administration fédérale et de limiter à deux ans les fonctions de juge fédéral, alors je commencerais à les considérer comme une solution au problème plutôt que comme une partie du problème.
En conclusion: contrairement aux libéraux de gauche qui tentent désespérément d'arracher ses dents à la révolution populaire, je crois que les jours du « réalisme » de Washington, répandu à la fois chez les conservateurs et chez les libéraux de gauche, sont comptés. Il existe désormais un puissant mouvement populaire, qui se lève partout au coeur de l'Amérique: mouvement radical et populiste de droite, conduit par une détestation profonde et un mépris envers, tout d'abord évidemment les Clinton et leur répugnante équipe, puis Washington en général, ses idéologues et sa culture, enfin tous les politiciens en général et ceux habitant Washington en particulier.
Cette droite populaire est très différente de ce que nous avons connu jusqu'ici. Elle déteste profondément les médias dominants et ne leur accorde aucune confiance. De plus, elle ne voit pas l'utilité des organisations de Washington et de leurs dirigeants traditionnels. Ce peuple ne se satisfait pas de devoir financer ces organisations et de devoir suivre docilement leurs ordres. Ses membres ne sont peut-être pas « socialement tolérants ». Mais ils sont mauvais coucheurs, en ont marre du gouvernement fédéral et sont de plus en plus en colère. Dans cette atmosphère naissante, la stratégie supposée être pragmatique de Washington, consistant à faire la lèche au pouvoir, n'est pas seulement immorale et sans principes: elle ne peut plus marcher, même à court terme. Les classes ouvrières et les classes moyennes opprimées sont enfin en marche, et ce nouveau mouvement de droite n'a pas de place pour les traîtres de l'élite qui les ont si longtemps menés par le bout du nez, ni de temps à perdre avec eux.
Tout le monde ne connaît cependant pas un autre développement, apparenté et bien plus contradictoire: la montée en puissance, au cours des dernières années, des « libéraux étatistes », qui dominent pratiquement totalement le mouvement libéral-libertarien dont ils ont pris le contrôle. Ce qui est bizarre avec eux, c'est qu'ils violent évidemment la nature et le sens du libéralisme, à savoir un attachement à l'idéal constitué soit de l'absence de tout État, soit d'un État très fortement réduit et strictement limité à la défense des personnes et de la propriété: ce que le philosophe ex-libéral Robert Nozick avait appelé l'État ultra-minimal ou ce que le grand écrivain paléolibéral H.L. Mencken appelait « un État à la limite de ne plus être un État du tout. » Jusqu'à quel point ce développement en est-il arrivé, et comment a-t-il pu se produire?
Confusion entre public et privé
Le libéralisme étatiste imprègne et domine ce que, par analogie avec les conservateurs, on pourrait appeler le « mouvement libéral officiel ». À partir de ce qui n'était il y a une vingtaine d'années qu'un courant, de ce que les marxistes appelaient un groupuscule, le libéralisme a mis en place un « mouvement officiel », bien qu'il n'ait jamais, Dieu merci, obtenu un quelconque pouvoir politique. Alors qu'il n'y a heureusement aucun équivalent libéral au National Review [magazine conservateur américain de William Buckley, NdT] pour régner sur le mouvement ou pour purger les hérétiques, il existe un réseau d'institutions et de revues qui constituent bel et bien un « mouvement officiel ».
Depuis plus de vingt ans, le Parti libertarien [le Libertarian Party] était une institution centrale, qui avait commencé tôt et de façon étrange, et qui d'une certaine manière créait plutôt qu'elle ne reflétait le mouvement dans son ensemble. Jusqu'à ces dernières années, les militants du Parti tiraient fierté de leur pureté et de la cohérence de leur dévouement au principe libéral. Le mouvement libéral-libertarien, toutefois, a toujours été bien plus large que le Parti lui-même. Il consiste en un réseau informel d'instituts (think tanks) défendant le libéralisme et l'économie de marché: instituts au niveau national, avec des groupes de pression, qui gravitent autour de Washington; instituts au niveau des régions ou des États américains, qui doivent forcément rester au coeur du pays, physiquement si ce n'est pas hélas en esprit. Il y a aujourd'hui des organisations juridiques qui paraît-il engagent des poursuites au nom de la liberté contre la tyrannie du gouvernement. Le mouvement comporte aussi deux mensuels, ainsi que d'autres qui ont disparu entre temps: un magazine relativement riche et horriblement ennuyeux, Reason, basé à Santa Monica (Californie); et un « fanzine » d'amateurs, Liberty, basé dans l'État de Washington.
Il existe aussi des réseaux apparentés d'institutions qui, comme beaucoup de lettres d'information traitant de placements et d'investissements, ne font pas exactement partie du mouvement mais sont des sympathisants de la cause. Le mouvement libéral est même suffisamment grand pour comprendre un incompréhensible journal universitaire « post-libéral », qui essaie d'intégrer libéralisme, marxisme et déconstructionnisme, périodique publié avec ténacité par un personnage digne de l'éternel étudiant chekhovien, sauf qu'il est bien moins inoffensif et financièrement bien mieux en point que le héros plutôt adorable de Chekov.
Ce qui est fascinant, c'est que presque toutes ces institutions, depuis les instituts jusqu'au Parti libertarien autrefois si pur, en passant par les magazines, ont abandonné particulièrement rapidement toute trace de leurs principes initiaux: la ferme résolution de réduire l'État et de défendre les droits de propriété.
Certaines raisons ne nécessitent bien entendu pas d'explications: la volonté d'imiter les conservateurs étatistes qui ont soif de respectabilité et de reconnaissance sociale, trouvée à l'occasion de cocktails à Washington, et qui, ce n'est pas un hasard, recherchent aussi le pouvoir, une bonne planque et des soutiens financiers. Mais il y a plus. À la base se trouve ce que beaucoup d'entre nous ont pu apprendre douloureusement au cours des ans: il ne peut y avoir de véritable séparation entre une idéologie politique formelle d'une part, les idées et les attitudes de l'autre.
Le libéralisme est logiquement compatible avec presque toutes les cultures, toutes les sociétés, toutes les religions et tous les principes moraux. Sur le plan purement logique, la doctrine politique libérale peut être séparée des autres considérations: on peut logiquement être – et, de fait, la plupart des libéraux-libertariens le sont – hédoniste, libertin, immoral, ennemi militant de la religion en général et du christianisme en particulier tout en demeurant un partisan cohérent de la politique libérale. En fait, en bonne logique, on peut être un défenseur cohérent des droits de propriété sur le plan politique tout en étant un fainéant, un bel escroc et un racketteur en pratique, comme bien trop de libéraux-libertariens tendent à l'être. On peut, sur le plan purement logique, faire ces choses. Mais sur le plan psychologique, sociologique, et en pratique, ça ne marche jamais ainsi.
C'est pourquoi, comme l'a souligné Justin Raimondo en étudiant ce qui avait mal tourné dans le mouvement libéral, ce dernier a commis une grave erreur à ses débuts, dans les années 1970, en se coupant de tout mouvement de droite ainsi que de tout type de tradition ou de culture américaine. En suivant l'exemple d'Ayn Rand, que la plupart des libertariens admiraient avec enthousiasme, les libéraux prétendaient être de véritables individualistes et d'authentiques révolutionnaires, n'ayant rien à voir avec la droite et apportant au monde une révélation politique totalement novatrice. De fait, le mouvement libéral a toujours été presque délibérément ignorant de l'Histoire et de tout ce qui touche aux affaires étrangères. Les syllogismes compliqués de la théorie libertarienne, la science-fiction, la musique rock et les mystères des ordinateurs ont constitué la totalité des connaissances et des intérêts de ses membres.
Une des raisons de cette séparation, que je n'avais pas bien saisie à l'époque, était issue d'une violente haine envers la droite, ainsi que de la crainte des libéraux de se retrouver associés avec un mouvement conservateur ou de droite, ou de se retrouver étiquetés comme tel. Une partie de cette haine provenait d'une haine plus générale et encore plus intense à l'encontre de la chrétienté, haine que certains avaient héritée d'Ayn Rand.
Pour être précis, l'un des aspects importants du récent virage vers l'étatisme vient de ce qu'un égalitarisme profondément enraciné a exercé son influence et infecté les idées politiques des libertariens. Grattez un peu, et sous l'égalitariste vous trouverez inévitablement un étatiste. Comment l'égalitarisme qui se développe et qui se répand au sein des libéraux peut-il être rendu compatible avec leur prétendue croyance à l'individualisme et au droit de chacun de s'élever suivant son propre mérite, sans être gêné par l'État? La solution à ce problème est à peu près la même que dans les autres versions courantes du « politiquement correct ».
Les libéraux-libertariens sont fermement convaincus que, si les individus ne sont pas « égaux » entre eux, tous les groupes imaginables: communauté ethnique, race, sexe et, dans certains cas, espèce, sont en réalité et doivent être rendu « égaux », que chacun possède des « droits » qui ne doivent pas être restreints par une forme quelconque de discrimination.
Et ainsi, s'opposant à son ancienne et supposée dévotion envers des droits de propriété absolus, le mouvement libéral a reconnu presque tous les faux « droits » de la gauche qui ont pu être fabriqués au cours des dernières décennies.
Peu avant que je ne quitte le mouvement libertarien et son Parti il a cinq ans (décision que je n'ai jamais regrettée, mais dont je me félicite au contraire chaque jour), je racontai à deux dirigeants bien connus du mouvement que j'estimais ce dernier désormais infecté et gangrené par l'égalitarisme. Quoi? me dirent-ils. C'est impossible. Il n'y a pas d'égalitarisme dans le mouvement. Puis je leur dis qu'un bon exemple de cette infection pouvait se voir dans la récente admiration envers le révérend et « Docteur » Martin Luther King. Absurde, me répondirent-ils. Eh bien, il est assez intéressant de constater que, six mois plus tard, ces deux gentilshommes publièrent un article saluant le « Docteur » King comme un « grand libéral ». Qualifier ce socialiste, cet égalitariste, ce chantre de l'intégration obligatoire, cet adversaire haineux des droits de propriété, ce personnage qui, par dessus le marché, fut longtemps sous la coupe du Parti communiste, qualifier cet homme de « grand libéral », voilà bien un signe évident de l'ampleur de la décadence du mouvement.
De fait, au milieu de toutes les discussions récentes sur les « tests révélateurs », il me semble qu'il y a un excellent test permettant de distinguer entre un conservateur authentique et un néoconservateur, entre un paléolibéral et ce que nous pouvons appeler un « libéral de gauche ». Ce test, c'est ce que l'on pense du « Docteur » King. Et ce ne devrait en fait être une surprise pour personne que, comme nous allons le voir, il y ait eu quasi-fusion entre les néoconservateurs et les libéraux de gauche. Il est même en pratique devenu difficile de les distinguer.
Dans le « mouvement libéral officiel », les « droits civiques » ont été acceptés sans problème, remplaçant totalement les véritables droits de propriété. Dans certains cas, cette acceptation d'un « droit à ne pas être l'objet d'une discrimination » a été explicite. Dans d'autres, lorsque les libéraux veulent accorder leurs nouvelles idées avec leurs anciens principes et n'ont pas peur des sophismes, voire de l'absurde, ils choisissent la voie sournoise tracée par l'American Civil Liberties Union (ACLU): si la moindre trace d'État intervient quelque part, alors le prétendu « droit » à un « accès égal » doit prendre le pas sur la propriété privée ou même sur toute mesure de bon sens.
C'est ainsi que lorsque le juge Sorokin, qui va bientôt être promu, suite à un consensus bipartite du Sénat américain, à la prestigieuse Cour d'appel fédérale, a décidé qu'un clochard malodorant devait avoir le droit d'empuantir une bibliothèque publique du New Jersey et de suivre les enfants aux toilettes, parce qu'il s'agit là d'un lieu public dont l'accès n'est donc pas susceptible de restrictions, la dirigeante nationale du Parti libertarien a publié un communiqué officiel le félicitant de sa décision. D'une façon analogue, les libertariens ont rejoint l'ACLU dans son combat pour la prétendue « liberté d'expression » des clochards et des mendiants dans les rues de nos villes, aussi agaçants et intimidants puissent-ils être, et ce parce que les rues sont, somme toute, des lieux publics et, que tant qu'elles le resteront, elles devront continuer à rester des cloaques, bien qu'il soit assez difficile de voir pourquoi la grande théorie libertarienne le nécessiterait. [Il est à noter que Walter Block, dans un article défendant la liberté totale d'immigration (« A Libertarian Case for Free Immigration », Journal of Libertarian Studies, 13, no 2, 1998), a repris à son compte l'argument sur la bibliothèque publique à laquelle on ne peut refuser l'accès. Son ami Hans-Hermann Hoppe a critiqué cette position dans son livre Democracy, the God that failed (Transaction Publishers, 2001, note de la page 159). Hoppe ajoute que la propriété publique devrait être considérée comme appartenant aux contribuables et que ni le clochard, ni l'étranger n'ayant payé d'impôts, ils ne peuvent revendiquer ces lieux. NdT]
Toujours dans la même veine, le principal juriste « libéral de gauche » de Washington affirme fièrement jusqu'à ce jour qu'il ne fit que suivre les principes libéraux quand, à son poste du ministère fédéral de la Justice – poste qui en soi n'est déjà pas facile à concilier avec de tels principes –, il apporta son concours au pouvoir judiciaire dans son abominable décision de menacer de prison le conseil municipal de Yonkers (New York) s'il refusait d'approuver un projet de HLM pour la raison que ces lieux deviendraient rapidement un dépotoir de drogués et de criminels. Son raisonnement était le suivant: cette opposition était une violation de la doctrine de non-discrimination car Yonkers avait d'autres projets de logements publics sur son territoire!
Ce ne sont pas seulement les opérations purement gouvernementales que vise cette doctrine « libérale ». Elle s'applique aussi à toutes les activités qui ont affaire à l'influence du secteur public, en utilisant par exemple les rues de l'État ou en acceptant des fonds publics. En fait, il n'est même pas toujours besoin d'une véritable action du gouvernement. Parfois, ces libéraux se rabattent sur l'argument qu'il est vraiment très difficile de toute façon, de nos jours, de faire la différence entre de qui est « privé » et ce qui est « public », que tout est à moitié public, et qu'essayer de conserver des droits de propriété dans une telle situation est irréaliste, naïf, ne tient pas compte de la réalité et ne constitue qu'un grain de sable « puriste » jeté dans la machine du « progrès » néoconservateur ou libéral de gauche.
« Droits » des homosexuels
Récemment, il y eut un débat fascinant entre un juriste paléolibéral de Californie et un employé d'une organisation juridique prétendument « libérale » nouvellement créée en Californie, le Center for Individual Rights, dirigé par le célèbre néoconservateur David Horowitz, qui aime se présenter comme « libéral ». Ce Centre est au passage une excellente illustration de fusion explicite entre néoconservateurs et libéraux de gauche, car son siège social comporte plusieurs membres éminents du mouvement libéral.
Le juriste « paléo » s'opposait au soutien du Centre à l'idée d'une interdiction légale faite aux universités d'édicter des règlements limitant ce que les membres du Centre appelaient « les droits constitutionnels de la liberté d'expression » des étudiants et de la faculté. Ce critique paléo était d'accord pour combattre le « politiquement correct » et les codes de bonnes conduite restreignant les prétendus « discours de haine », mais soulignait ce qu'on aurait, il y a peu de temps, considéré comme évident et banal, non seulement par les conservateurs et par les libéraux, mais aussi par tous les juges et par tous les Américains: le Premier Amendement, ou les droits à la liberté d'expression, ne s'appliquent qu'au gouvernement, seul le gouvernement peut empiéter sur de tels droits. Les personnes et les organisations privées peuvent exiger que tout individu qui utilise sa propriété respecte des règlements quant à la conduite ou les paroles à tenir, et tout individu qui utilise cette propriété accepte de ce fait de respecter ces règlements. Une loi limitant l'usage de tels règlements restreint par conséquent les droits de propriété tout autant que le droit de rédiger des contrats libres concernant son usage.
En réponse, le représentant du Centre méprisa cet argument considéré comme irréaliste et puriste: de nos jours, pour les libéraux officiels, tout ou presque est dans une certaine mesure public, de sorte qu'à l'inverse de tout ce que raconte l'enseignement libéral, « privé » et « public » sont mélangés. L'employé du Centre ne fut pas le moins du monde gêné quand le juriste paléo utilisa ce que toute personne sensée considérerait comme un raisonnement par l'absurde: à savoir que, en bonne logique, cette approche impliquerait que l'État devrait empêcher tout employeur privé de licencier un employé exerçant son droit à la « liberté d'expression » en dénonçant ou en insultant son patron, même dans les locaux de la compagnie.
Le problème, quand on utilise un raisonnement par l'absurde avec des libertariens, a toujours été que ceux-ci ne sont que trop heureux de choisir l'absurde. Et nos soi-disant « libéraux » sont ainsi en train d'aller plus loin que le Juge Hugo Black lui-même dans la séparation entre la liberté d'expression et les droits de propriété, et dans l'exaltation de la première au détriment des seconds. Même un « absolutiste du Premier Amendement » comme le Juge Black avait expliqué que la « liberté d'expression » ne donnait à personne le droit de venir chez vous pour vous importuner à longueur de journée.
Les « droits civiques » et la « liberté d'expression », ainsi que le mélange du « public » et du « privé » ne sont que le premier « Grand Bond en avant étatique » du mouvement libéral. L'une des caractéristiques culturelles de la plupart des membres de ce mouvement a toujours été un soutien passionnée aux moeurs et aux pratiques des « modes de vie alternatifs » et à « l'orientation sexuelle » en opposition avec les habitudes et les principes bourgeois ou traditionnels. La forte corrélation entre cette tendance « libertaire » et la haine endémique envers la chrétienté devrait sauter aux yeux de tous.
Alors que cette attitude culturelle a toujours imprégné les libertariens, la nouvelle caractéristique vient de leur soutien aux « droits des homosexuels » comme expression d'un « droit civique » à la non-discrimination. Les choses en sont venues au point où l'un des plus éminents instituts libéraux pratique sa propre forme de « discrimination positive » envers les homosexuels, embauchant ou ne soutenant que des homosexuels déclarés et, pour le moins, licenciant tout membre de l'équipe qui ne serait pas assez enthousiaste quant à cette procédure ou quant aux droits homosexuels en général.
Dans un autre institut libéral, qui ne s'occupe que de questions économiques, le numéro 2 a récemment tiré profit des vacances du numéro 1 pour organiser une réunion et dévoiler ouvertement son homosexualité à tout le monde. Puis il demanda les réactions de l'équipe à son ardente annonce pour ensuite demander au numéro 1 de mettre dehors ceux qui n'avaient pas montré un enthousiasme suffisant envers cette nouvelle.
Le Parti libertarien a pendant des années eu son comité « gay et lesbien ». Autrefois, le programme de ce comité se réduisait à demander l'abolition des lois contre la sodomie, position libérale bien banale. Aujourd'hui, au contraire, dans notre meilleure des époques, les théoriciens de ce comité exigent l'autorisation de la nudité publique et des actes sexuels en public, chose que leurs collègues d'Act Up ont réussi à faire cet été lors d'une parade homosexuelle à New York: acte techniquement illégal, bien que cette illégalité n'ait manifestement pas entraîné de représailles de la part du nouveau maire républicain. La justification, bien sûr, étant que les rues sont publiques (n'est-ce pas?) et que tout doit y être permis.
Jusqu'à récemment, l'attachement des institutions libérales de gauche aux « droits des homosexuels » était plus implicite qu'explicite, et se manifestait soit sous le couvert d'une action publique, soit par une discrimination « positive » de leur part. Le mois dernier, un nouveau pas a été franchi dans la revendication ouverte et officielle de droits spécifiques des homosexuels. David Boaz, dirigeant de l'institut le plus en vue de la gauche libérale, le Cato Institute [Rothbard fut à sa création un membre influent du Cato Institute. Voir à ce sujet et à propos des différents ultérieurs la biographie de Rothbard par Justin Raimondo: An Enemy of the State, Prometheus Books, 2000, chapitre 5. NdT], a en effet écrit un éditorial étonnant dans le New York Times, étonnant non pour le journal où il est paru bien entendu, mais quant à son contenu.
Le contenu de cet article était inhabituel à deux égards. Premièrement, pour la première fois peut-être de la part d'une institution se prétendant libérale, il traitait les initiatives « anti-homosexuelles » qui ont eu lieu dans le pays comme un « assaut » envers les « droits » des homosexuels, sans discuter du contenu de leurs propositions, qui n'étaient que des tentatives d'interdire les lois condamnant la discrimination anti-homosexuelle. Bref, les initiatives que dénonçait ce libéral étaient en fait des mesures destinées à protéger les droits de propriété contre un assaut de la part de cette partie de la législation qui confère des privilèges particuliers aux homosexuels. Ce qui est particulièrement étrange dans cette erreur, c'est que, si les libéraux sont compétents pour juger de quelque chose, ce devrait être pour ce qui concerne la distinction entre protection et agression des droits de propriété.
La deuxième étrangeté de cet éditorial est que cet éminent membre du Cato Institute y critique les conservateurs pour avoir, d'après lui, fait des homosexuels des « boucs émissaires » alors qu'ils ignoreraient, à ce qu'il paraît, ce qu'il considère comme le véritable problème social et moral de notre époque: les mères célibataires et... sonnez trompettes... le divorce!
Pourquoi les conservateurs écrivent-ils bien plus sur les homosexuels? En premier lieu, il me semble clair que le problème des mères célibataires a rencontré un large écho au sein des conservateurs. Quant au divorce, il est curieux qu'un libéral de gauche, voué au modernisme et au changement, chante la nostalgie du bon vieux temps où les femmes divorcées étaient obligées de quitter la ville. Mais le point remarquable dans son raisonnement est en fait cette incapacité stupéfiante et délibérée de garder contact avec la réalité.
Pourquoi les conservateurs passent-ils plus de temps à écrire sur les homosexuels que sur le divorce? Eh bien, tout simplement parce qu'il n'y a pas de parade bruyante des militants du « mouvement des divorcés » déambulant sur la 5e avenue de New York au cours d'une « Divorce Pride », marchant à poil et se livrant en public à des actes sexuels entre divorcés, réclamant des lois pour lutter contre la discrimination envers les divorcés, une discrimination positive en faveur de ces mêmes divorcés, des articles spécifiques aux divorcés dans la loi et une proclamation publique perpétuelle de la part des non-divorcés quant à l'égalité ou la supériorité du divorce sur la continuation du mariage.
Les choses ont évolué au point que le mot « libéral » [libertarian] a une nouvelle connotation lorsqu'il est utilisé par les médias. On avait l'habitude de l'utiliser pour désigner une opposition à toute forme d'intervention du gouvernement. Désormais, cependant, « libéral » est quasiment devenu dans l'esprit du public synonyme de partisan des « droits des homosexuels ». C'est pourquoi le candidat favori, pour l'élection présidentielle de 1996, de tous les libéraux qui ne veulent pas s'associer de trop près, en pensée et en acte, au Parti libertarien, est sans conteste William Weld, le gouverneur républicain du Massachusetts qui aime se présenter lui-même comme « libéral ».
La raison pour laquelle Weld utilise ce terme n'est pas son prétendu « conservatisme fiscal ». Lui et ses acolytes ont été décrits comme d'héroïques réducteurs d'impôts et du budget de l'État. Sa prétendue « baisse des impôts » a consisté à prendre le chiffre effroyablement gonflé du dernier budget de Michael Dukakis pour le réduire d'un petit 1,8%. Mais même cette baisse minuscule a été plus que compensée depuis par de fortes augmentations du budget. Ainsi, le conservatisme fiscal de Weld se manifesta l'année suivante par une hausse des dépenses de 11,4% au Massachusetts; et cette année il l'augmente à nouveau d'environ 5,1%. Pour le dire autrement, le geste de William Weld consistant à baisser de moins de 2% a été plus que compensé par une augmentation du budget de 17% au cours des deux dernières années. Vous avez dit « conservatisme fiscal »? L'histoire se répète sur le front des impôts: les baisses annoncées haut et fort par Weld ont été plus que compensées par de fortes augmentations.
Mais il ne s'agit que de maquillage destiné à tromper les conservateurs. Le « libéralisme » de Weld, dans son esprit et dans celui de ses admirateurs libéraux de gauche, réside presque exclusivement dans son attachement passionné aux « droits des homosexuels », ainsi qu'à la discrimination positive en faveur de ces derniers, discrimination qu'il a mise en place en nommant à des postes importants un grands nombre d'homosexuels notoires. Pour finir, je voudrais aussi mentionner que Weld est un partisan fanatique de l'écologie et de sa destruction despotique du niveau de vie de l'espèce humaine.
Récemment, les libéraux de gauche ne se sont pas contentés de soutenir des républicains de gauche: ils ont aussi fait une incursion dans le Parti démocrate. Plusieurs dirigeants du Cato Institute ont soutenu la campagne de Doug Wilder en Virginie, l'un d'eux étant même devenu membre de la commission des finances de Wilder. L'attirance exercée par Wilder au détriment du républicain de gauche Coleman est que Wilder incarne par sa personne et par sa vie à la fois la « diversité » sexuelle et raciale tellement aimée des libéraux de gauche. Il est toutefois typique que leur sens aigu de la politique les ait fait s'embarquer avec enthousiasme dans le bateau de Wilder juste avant qu'il ne coule sans laisser la moindre trace...
La nouvelle devise de presque tous les libéraux de gauche pour ce qui est de choisir des candidats du Parti libertarien est devenue: « fiscalement conservateur, mais socialement tolérant ». La signification de l'expression « fiscalement conservateur » peut se réduire, et se réduit dans les faits, à bien peu: elle signifie habituellement dépenser, ou proposer de dépenser, un peu moins que leurs adversaires politiques, ou encore ne pas trop augmenter les impôts.
« Socialement tolérant », tournure au mieux vaseuse, est une expression codée pour un ensemble de politiques et de caractéristiques éparses: attachement aux droits des homosexuels, aux droits civiques et généralement et par-dessus tout, ne pas être « rempli de haine » comme la droite chrétienne, Pat Buchanan et le Rothbard-Rockwell Report. Alors que nous ne sommes tous par définition que des brutes épaisses suant la « haine » par tous les pores, les libéraux de gauche, comme nous le savons tous si bien, ne sont que de braves gars, leurs êtres n'émettant que des ondes d'amour, de générosité et de chaleur d'esprit. Et, comme nous disons à New York, que leur vie soit la plus longue possible! De fait, je n'ai pas la même expérience personnelle des néoconservateurs que certains d'entre vous, mais je peux vous assurer que les libéraux de gauche valent les néoconservateurs en ce que vous ne voudriez pour rien au monde avoir affaire à eux. Faites-moi confiance pour ça.
Immigration libre
Pour être « socialement tolérant », il ne faut bien entendu pas émettre la moindre critique sur l'idée d'immigration libre. Au contraire, il convient de la soutenir sans réserves. Avec les libéraux de gauche et les néoconservateurs, toute proposition, quelle qu'en soit la raison, de limiter l'immigration ou même de réduire le flux d'illégaux est automatiquement et hystériquement dénoncée comme raciste, fasciste, sexiste, hétérosexiste, xénophobe, et toute la panoplie d'épithètes injurieux à portée de main. (Bien que les néoconservateurs semblent, curieusement, faire une exception flagrante envers ceux qu'ils appellent de manière assez vague les « terroristes arabes ».) Les choses en sont venues à un tel point que le Parti libertarien, qui s'était opposé avec force et de manière constante à tout impôt et à toute dépense de fonds publics, est maintenant en train de changer rapidement de politique et d'attitude, y compris sur ce sujet, pourtant depuis longtemps cher aux coeurs libéraux.
En Californie, il y aura en novembre de cette année un vote sur une proposition remarquablement simple et intitulée « Save Our State » [Sauvons notre État], qui pourrait être reprise par tout Américain des classes ouvrières ou moyennes. En fait, ceux qui la connaissent en sont des partisans enthousiastes. Cette proposition interdit tout usage de fonds publics en faveur d'étrangers en situation irrégulière. La plupart des gens, bien sûr, pensent que ces illégaux devraient plier bagage et retourner chez eux, mais certainement pas bénéficier, aux frais du contribuable, de l'aide médicale et des écoles publiques, ainsi que de tout l'appareil de l'État-providence.
Comme vous pouvez l'imaginer, tout l'establishment et tous les groupes bien-pensants se sont opposés avec hystérie à cette proposition. Dans cette coalition on pouvait évidemment retrouver le grand patronat, les syndicats, les associations d'enseignants, les médias, les experts, les professeurs, et toutes les élites faiseuses d'opinion, bref les suspects habituels [the usual suspects]. Ces groupes ont tous dénoncé « Save Our State » comme un encouragement à la diffusion de l'ignorance et du mal. Les partisans de la proposition furent dépeints comme pleins de haine, racistes, sexistes, hétérosexistes, xénophobes, etc. Les seuls à la défendre étaient un ensemble d'organisations inconnues, véritablement populaires, qui essaient d'éviter, plutôt qu'elles ne recherchent, la publicité parce qu'elles ont déjà reçu des menaces de mort et d'attentat à la bombe, probablement de la part des membres de la « communauté illégale » que l'on appellerait normalement « gangsters » s'il n'y avait le politiquement correct.
Notre collaborateur Justin Raimondo est, je suis fier de le dire, le coordinateur de « Save Our State » à San Francisco et il rapporte que le chef de la section de San Francisco du Parti libertarien (je dois préciser ici que l'État de Californie est peut-être le seul où le Parti a de nombreux membres et ne se résume pas à une organisation de papier) s'oppose à cette proposition – une première chez les libéraux: s'opposer à une réduction d'impôts!
Quel raisonnement a conduit le Parti libertarien à abandonner précipitamment le contribuable et les droits de propriété en faveur du politiquement correct? C'est que l'application de la proposition « Save Our State » pourrait représenter une menace pour les libertés civiles! Mais l'application de n'importe quelle mesure, bonne ou mauvaise, pourrait bien sûr menacer les libertés civiles et ce n'est pas une excuse pour refuser de voter un projet valable. Les frontières, apparemment, ne doivent pas seulement rester grandes ouvertes: il faut aussi encourager cette ouverture et la financer au frais du contribuable américain. La confusion entre public et privé, le changement de définition des « droits » sont visiblement allés si loin que tout immigré en situation irrégulière a maintenant le droit de lessiver le contribuable pour un montant que Dieu seul connaît. Bienvenue dans le libéralisme étatiste!
Impôt sur le revenu, ALÉNA, OMC...
L'opposition aux impôts s'est en fait systématiquement affadie. Le Cato Institute s'est récemment déclaré en faveur de la campagne richement dotée réclamant la suppression de l'impôt sur le revenu pour le remplacer par un impôt sur les ventes. La revendication de la vieille droite et des vieux paléos, telle que je me la rappelle depuis mes années de jeunesse, était de supprimer le Seizième amendement et l'impôt sur le revenu, point. La variante actuelle constitue une proposition bien différente. En premier lieu, elle repose sur le slogan que les conservateurs ont hérité des « théoriciens de l'offre » [supply-siders] et qui a été finalement adopté par presque tous les économistes et soi-disant hommes d'État: quoi qu'il arrive, et quelle que soit l'évolution de la législation des impôts, il faudrait que la modification de la loi soit « neutre » quant aux rentrées fiscales, c'est-à-dire que le montant total de la récolte ne doit jamais baisser.
« Comme avec les décontructionnistes, nous entrons avec les libéraux de gauche dans un monde à la Humpty Dumpty, où les mots ne veulent dire que ce qu'on choisit de leur faire dire et où la véritable question est de savoir qui sera le maître. »
On n'explique jamais comment cet axiome s'inscrit dans la doctrine conservatrice ou libérale, ni pourquoi diable les rentrées fiscales ne devraient pas diminuer. Hein, pourquoi donc? À la réponse habituelle, qui nous dit que nous devons nous soucier des déficits fédéraux, la réplique appropriée, que plus personne ne fait, est de diminuer fortement les dépenses de l'État. Ce qui exige bien sûr que l'on en revienne à la vieille définition démodée de la « diminution du budget », i.e. une véritable diminution du budget, et non que l'on accepte le sens actuel qui signifie diminution de son « taux de croissance » ou diminution se fondant sur une prédiction de croissance du Congrès ou de la présidence, basée sur des hypothèses inévitablement douteuses. Comme l'a souligné un numéro récent du Free Market, la lettre du Mises Institute, il y a de graves défauts dans cette idée de remplacer l'impôt sur le revenu par un impôt sur les ventes.
En premier lieu, et contrairement au caractère prétendument « réaliste » et « pragmatique » de cette proposition, elle ne conduirait pas en pratique à la suppression de l'impôt sur le revenu, mais plutôt à l'ajout d'une nouvelle taxe sur les ventes à notre sordide législation fiscale actuelle. En second lieu, si la part « personnelle » de l'impôt sur le revenu était éliminée, la part « patronale » demeurerait. De cette façon, l'abominable Gestapo fiscale resterait intacte et continuerait à examiner les livres de comptes et à s'immiscer dans nos vies. De plus, une taxe de 30% sur les ventes réclamerait également des mesures lourdes pour la faire respecter, de sorte qu'un nouveau service du ministère des Finances devrait rapidement mettre son nez dans les comptes de chaque commerçant du pays. Il ne me semble pas nécessaire d'avoir un doctorat ou un sens théorique très poussé pour prévoir ces conséquences. Ce qui conduit à mettre en doute la bonne foi des partisans de cette réforme.
En parlant de bonne foi: l'une des pires histoires de tous les instituts défendant l'économie de marché, ainsi que de tous les journaux et institution libéraux « officiels », fut de soutenir comme de nombreux autres moutons tout le tintouin fait autour de l'ALÉNA [Accords de Libre-Échange du Nord de l'Amérique, en anglais NAFTA], et désormais en faveur de l'Organisation Mondiale du Commerce. Le Fraser Institute canadien a réussi, sans rencontrer la moindre résistance, à conduire presque tous les instituts libéraux du pays vers ce qu'ils ont appelé le « Réseau de l'ALÉNA » [« Nafta Network »], qui a consacré des sommes sans précédent à une agitation, une propagande et de prétendues « recherches » sans fin, destinées à faire passer l'ALÉNA. Et pas seulement les instituts: les ont rejoints un grand nombre de libéraux et de sympathisants du libéralisme que l'on trouve parmi les chroniqueurs, écrivains et experts.
Le développement de ce processus nous a apporté quelques distractions macabres. La ligne suivie au départ par ces libéraux de gauche était la ligne Bush-Clinton: à savoir que l'ALÉNA favoriserait, et en serait même une condition indispensable, le beau concept de libre-échange, devenu article de foi des républicains conservateurs lors de la présidence de Reagan. L'unique opposition à l'ALÉNA proviendrait donc uniquement d'une alliance constituée de protectionnistes déconcertés ou plus probablement méchants: des responsables syndicaux socialistes, le détestable Ralph Nader, des fabricants nationaux inefficaces à la recherche de tarifs protecteurs et leurs larbins. Pire encore, on y trouve des alliés remplis de haine, protectionnistes, xénophobes, racistes, sexistes et hétérosexistes, tel Pat Buchanan.
C'est à ce moment que Pat Buchanan fit un coup de maître, déconcertant les forces pro-ALÉNA. Il attira l'attention sur le fait que des partisans du libre-échange, aussi ardents et puristes que Lew Rockwell, moi-même et le Mises Institute, ou encore les membres du Competitive Enterprise Institute, s'opposaient à l'ALÉNA parce qu'il s'agit de mesures faussement libérales, qui comprennent de nombreuses restrictions au libre-échange, notamment des contrôles socialistes en ce qui concerne l'emploi et le respect de l'environnement. Et parce que, de plus, ces mesures sont particulièrement dangereuses, ajoutant des restrictions intergouvernementales aux restrictions internationales, et qu'il faudra les faire respecter par de nouvelles organisations intergouvernementales ne devant rendre de compte à personne et certainement pas aux électeurs des nations concernées.
Il est amusant de voir que les propagandistes pro-ALÉNA durent changer leur fusil d'épaule dans la précipitation. Ils furent obligés de nous attaquer, soit nominalement soit sur le plan général. Comme ils ne pouvaient pas nous dépeindre comme des protectionnistes, ils eurent à se battre simultanément sur deux fronts, attaquant les méchants protectionnistes de droite et de gauche tout en dénonçant simultanément notre pureté excessive quant au libre-échange, reprenant ainsi l'expression de Voltaire, que je commence à détester presque autant que les mots « aliénation » et « tolérance »: le mieux est l'ennemi du bien. En fait, bien sûr, l'ALÉNA et l'OMC ne sont en aucun cas le « bien »: ils ne font qu'empirer la situation et sont considérés comme des « maux » par tout libéral au véritable sens du terme.
Quelques libéraux de gauche ont répondu à nos critiques du projet de gouvernement mondial que seuls des xénophobes et des étatistes pouvaient se soucier de « souveraineté nationale », parce que d'après les grandes théories libérales seul l'individu est souverain, pas la nation. Je ne souhaite pas discuter longuement de ce point. Mais, selon moi, il devrait être évident à tout libéral que l'ajout de nouveaux niveaux de gouvernement, plus élevés et plus étendus, ne peut qu'augmenter l'étendue et l'intensité du despotisme. Et que plus ces niveaux sont élevés, moins ils sont soumis au contrôle, à leur limitation ou à leur suppression de la part de la population.
Mais je constate de plus en plus qu'on ne peut jamais rien considérer comme évident avec les prétendus libéraux. De fait, Clint Bolick, éminent théoricien et activiste libéral sur le plan juridique, a écrit un livre pour le Cato Institute où il étudie de façon étrange l'Amérique d'aujourd'hui pour en conclure que la véritable tyrannie, la véritable menace pour nos libertés, ne serait ni le Léviathan fédéral, ni le Congrès, ni l'exécutif, ni encore le nombre sans cesse croissant des despotes à vie qui composent la magistrature fédérale. Non rien de tout cela: la véritable menace pour nos libertés serait au contraire les gouvernements populaires locaux.
Il me semble impossible de tenir un quelconque raisonnement ou d'avoir la moindre discussion avec des gens qui étudient la vie actuelle des Américains et en arrivent à de telles conclusions. Qualifier ces individus de « libéraux », comme dire des partisans l'ALÉNA qu'ils sont en faveur du « libre-échange », c'est déformer le sens des mots au-delà de tout entendement. Comme avec les décontructionnistes, nous entrons avec les libéraux de gauche dans un monde à la Humpty Dumpty, où les mots ne veulent dire que ce qu'on choisit de leur faire dire et où la véritable question est de savoir qui sera le maître.
En parlant de celui qui sera le maître, les partisans de l'ALÉNA ont eu le toupet d'accuser la « coalition » des protectionnistes et des authentiques partisans du libre-échange d'être payés par la méchante industrie textile. Cette accusation, tenez-vous bien, provient d'institutions largement subventionnées par les gouvernements mexicain et canadien, par des lobbyistes mexicains et canadiens, ainsi que par des entreprises et des donateurs issus des industries d'exportation. Car une des vérités bien tues de la politique étrangère américaine depuis la Seconde Guerre mondiale et même depuis 1930, y compris pour ce qui est des négociations commerciales, des traités et accords entre États, du prétendu « libre-échange » et des échanges commerciaux, tout comme pour tous les programmes d'aide internationale, cette vérité c'est que la motivation principale était de mettre en place des subventions publiques, payées par les contribuables, aux industries d'exportation et aux banquiers qui les soutiennent. On peut parler d'individus élevés en serre!
Histoire américaine
Je ne voudrais pas clore ce chapitre sur l'ALÉNA sans mentionner brièvement la réponse étonnante du Parti libertarien. Rappelons à nouveau que le Parti s'était autrefois toujours opposé à toute forme de restrictions ou de contrôles commerciaux entre États. Et pourtant, l'auguste Comité national qui dirige le parti entre deux conventions – qui sont de plus en plus rares d'ailleurs –, s'est senti obligé d'émettre un communiqué soutenant l'ALÉNA au point culminant de la controverse, jetant ainsi tout son poids dans la bataille.
Celui qui dirige en réalité le Comité national est lui-même un théoricien libéral reconnu. Seule la nostalgie de ses anciennes idées, ou un minimum d'intégrité, l'a empêché d'essayer de répondre à nos critiques. Malheureusement, il a dû pour ce faire avoir recours au type d'argument autrefois en vogue dans ces minuscules organisations (véritables sectes) au nom si grandiose, comme le Parti international révolutionnaire des travailleurs. À savoir: lui et le Comité national reconnaissent qu'il y a un problème avec l'ALÉNA, que son organisation bureaucratique internationale pourrait bien signifier des restrictions dépassant ses prétendus caractéristiques libérales. Mais, concluent-ils, il ne faut pas s'en soucier parce que, dans ce cas, le Parti libertarien mettrait tout son poids politique pour arrêter cette dérive. Quel soulagement de savoir que le Parti libertarien se mettra en travers de l'ALÉNA et de ses inévitables conséquences!
Lorsque l'alliance « paléo » commença à gagner en influence, nous fûmes pendant un moment la cible de violentes attaques de la part des néoconservateurs, rejoints désormais par les nouveaux « libéraux officiels ». Virginia Postrel, éditrice du mensuel Reason, s'est en un sens fait une spécialité des attaques contre la droite proche de Buchanan. Elle la dénonce habituellement pour sa prétendue opposition au « changement »; en fait elle fait un peu penser aux harpies médiatiques qui faisaient écho aux partisans de Clinton durant la campagne présidentielle, chantant la nécessité du « changement », apparemment changement pour le changement, sans autre but, et qu'elle confond avec une étrange Société des Possibles [Opportunity Society]. La véritable question est toutefois bien de savoir de quel changement il s'agit, pour quoi faire et dans quelle direction? Les paléos, après tout, sont de grands partisans du changement, d'un changement radical qui plus est. Sauf que mon petit doigt me dit que le changement que nous recherchons – réactionnaire et plein de haine – n'est pas exactement le type de « changement, changement, changement » dont parlent cette éditrice et autres néoconservateurs ou Clintoniens.
Ce mois-ci, elle a écrit un éditorial dénonçant la coalition anti-GATT, qu'elle considère très curieusement comme « des partisans de l'immobilisme... en appelant à la puissance de l'État pour bloquer le processus dynamique des marchés et du choix individuel. » Qu'elle puisse interpréter une mesure soutenue avec enthousiasme par le président Clinton et le reste de l'establishment étatique comme un exemple du marché et de choix individuel s'opposant à la puissance de l'État, voilà qui dépasse l'entendement.
Une autre anecdote a suscité la colère de notre éditrice, toujours dans ce même éditorial. Ici aussi elle trouve une coalition de l'immobilisme essayant de bloquer le processus bénéfique de la croissance économique dans un marché libre. Ici aussi nous avons une coalition de progressistes, de conservateurs, de résidents du coin, d'historiens et de toute sorte d'autres personnes essayant de conserver et d'honorer l'héritage américain et essayant d'empêcher la construction sur les lieux mêmes de la Bataille de Manassas d'un parc thématique Disney traitant de l'Histoire américaine. L'une des raisons principales pour empêcher cette « Eisnerisation » du Nord de la Virginie est la version politiquement correcte de l'Histoire que veut infliger à des visiteurs ne se doutant de rien l'historien en chef d'Eisner: Eric Foner, marxiste-léniniste notoire.
Foner, au passage, dans une illustration parfaite de cette alliance entre la gauche et les néoconservateurs, était, lors de la première année de présidence de Reagan, le principal « expert » à aider Irving Kristol et les néoconservateurs dans leur dénonciation de Mel Bradford comme « raciste » et « fasciste », pour avoir eu l'audace de critiquer l'un des principaux despotes de l'histoire américaine: Saint Abraham Lincoln, qui, par bien des côtés, est le prédécesseur du « Docteur » King en ce qu'il nous aide à séparer rapidement le bon grain de droite des diverses variétés d'ivraie de gauche.
Dans son article, Postrel décrit cette coalition contre le parc thématique comme une « coalition de la gauche opposée à la croissance et des conservateurs attachés au sang et à la terre. » En un certain sens, il n'est pas surprenant que l'éditrice, libérale de gauche, oublie de signaler que le projet se propose d'infliger une version politiquement correcte, marxiste-léniniste, de l'histoire américaine à des touristes innocents et que donc elle ne s'y intéresse pas. Mais Pat Buchanan, une fois encore, jeta une clé à molette dans la machine de propagande de la gauche libérale en signalant que votre serviteur, dans un article du Free Market, avait montré que ce parc thématique Disney n'était nullement le résultat du marché, mais bel et bien un projet dépendant explicitement d'une subvention de 160 millions de dollars, payés par les contribuables de l'État de Virginie.
Est-ce réellement une preuve d'immobilisme, de refus de la croissance et du libre-échange que de s'opposer à un projet exigeant une aide des contribuables à la hauteur de 160 millions de dollars? Comment cette éditrice prétend-elle défendre son soutien face à cette critique, émanant de la part de quelqu'un qui, pour le moins, peut être considéré comme un peu plus libéral et opposé à l'État qu'elle ne l'est? Sa ligne de défense est assez instructive et particulièrement peu convaincante. Son commentaire est le suivant, reproduit intégralement: « l'objection des partisans du libre-échange expliquant que ce parc touche des subventions ne constitue pas le coeur du débat. » Eh bien, c'est ce qui s'appelle répondre à cet argument.
Bons scolaires
L'une des raisons principales qui aurait à ce qu'il paraît conduit les libéraux à haïr la religion est qu'ils seraient eux, les libéraux, des défenseurs acharnés de la raison avant tout, alors que les croyants seraient inévitablement trompés par ce que les rationalistes aiment appeler une « superstition ». Il est instructif de réfléchir sur la qualité des capacités de raisonnement que ces libéraux ont montré lors de leur éloignement de la liberté et des droits de propriété.
Retournons maintenant à une dernière mesure qui illustre le « Grand Bond en avant étatiste » du mouvement libéral. Il s'agit de son soutien au programme de bons scolaires, proposition que les libéraux de gauche de Californie ont soumis sans succès au vote en novembre dernier. Les néoconservateurs et les libéraux de gauche entrèrent joyeusement dans la bataille californienne du bon scolaire, qu'ils ont largement financée, convaincus de n'avoir d'autres adversaires que les habituels et syndicats d'enseignants et de progressistes.
Les libéraux de gauche utilisèrent à cette occasion leur mot ronflant favori, « choix », qu'ils avaient d'abord appliqué au choix des femmes quant à l'avortement, et qu'ils voulaient désormais étendre au choix des parents et des enfants quant aux écoles à fréquenter, et au choix entre écoles privées et publiques. Ayant anticipé le déroulement du débat, les partisans du bon scolaire menaient tranquillement leur campagne quand ils furent à nouveau éclipsé par un article influent de Lew Rockwell dans le Los Angeles Times, article qui constitua, d'après ce qu'ils avouèrent tristement un peu plus tard, la plus grande force ayant conduit à l'échec de leur plan. Lew sortit du débat habituel pour souligner des points auxquels tenaient particulièrement les parents et les contribuables californiens mobilisés dans la critique du système d'école publique.
Lew souligna que (1) l'État-providence et le fardeau subi par les contribuables augmenteraient au lieu de diminuer avec la mise en place de ce programme de bons scolaires; et (2) que si les enseignants des écoles publiques peuvent certes s'opposer à ce programme, ce qui est bien plus important et plus dangereux, c'est que ce programme conduirait à un contrôle des écoles privées plus strict de la part de l'État, ces écoles étant pour l'instant encore en grande partie à l'abri des intrusions gouvernementales. Le gouvernement contrôle toujours ce qu'il subventionne et, dans le cas du bon scolaire, l'État serait obligé de définir de qui constitue une « école » afin qu'elle puisse toucher les aides.
Comme pour tout programme de redistribution, l'étendue des choix des bénéficiaires ne peut croître qu'aux dépens des perdants, en l'occurrence des parents d'enfants allant aujourd'hui dans une école privée. Cet argument se révéla non seulement être une véritable bombe, mais Lew utilisa, pour la première fois je crois, un autre argument puissant et sensible; (3) le programme de bon scolaire détruirait les écoles publiques de banlieues aujourd'hui relativement bien et soigneusement protégées, parce qu'elles seraient obligées d'accepter tous ceux qui viendraient d'autres quartiers.
En bref: ces écoles de quartiers, contrôlées dans une certaine mesure par les parents et les contribuables locaux, seraient forcées d'accepter les hordes de la jeunesse inéducable et même criminelle du centre-ville. Les choix de ces parents de banlieue diminueraient. Non seulement les enfants des banlieues seraient en danger, mais la valeur de leurs biens immobiliers, reposant pour une bonne part sur leur déménagement pour des quartiers comportant d'assez bonnes écoles, serait en grand péril.
Alors que ce dernier argument de Lew Rockwell, très politiquement incorrect, fut en butte à l'hystérie prévisible des libéraux de gauche, qui l'accusèrent comme d'habitude de racisme, sexisme, hétérosexisme, etc., etc., son argument fut particulièrement efficace là où il le fallait: chez les habitants de la classe moyenne des banlieues, qui étaient jusque-là prêts à voter en faveur du programme de bon scolaire. Il n'y a pas de meilleur témoignage de la puissance des idées, quels que puissent être l'ambiance politique préalable ou les soutiens financiers.
Triade en trois temps
Une remarque générale: il y a quatorze ans, le Parti libertarien mena sa campagne présidentielle la plus richement dotée, et donc la plus largement relayée par les médias. Lors de cette campagne, menée par ce qui déjà n'était certainement pas son aile la plus puriste, les médias, qui s'y intéressaient pour la première fois, demandèrent qu'on leur explique en quelques mots ce qu'était le « libertarianisme ». La réponse fut: un « progressisme combiné avec un faible niveau d'impôts » [Cf. la remarque qui suit. NdT]
Le chef absolu de cette campagne, Ed Crane, est désormais à la tête de l'un des instituts libéraux américains les plus en vue. Récemment, lui et ses collègues ont fourni une autre formule résumant l'essence du libéralisme. Un « progressisme de marché » [Ibid. NdT]. Il est à noter que si l'ancienne définition faisait encore référence à des impôts réduits, le nouveau credo peut être accepté par presque tout le monde. Après tout, la plupart des socialistes se présentent comme « progressistes » et tous les socialistes acceptent désormais un certain type de marché. Cette expression pourrait donc être, et a peut-être été, retenue par notre président, le bien peu libéral William Jefferson Blythe Clinton IV, tout comme par le dernier dirigeant de la défunte Union soviétique, Mikhaïl S. Gorbatchev. Vous avez dit respectable et au sein du courant dominant?
Ces dernières semaines, le même théoricien éminent du « progressisme de marché » a décidé de combattre ce qu'il considère comme le grand danger représenté par le mouvement populiste de droite. Il propose à la place de ce dernier une « Révolution de velours », terme qui semble bien plus étrange et bien plus exotique aux États-Unis qu'il ne l'était en République tchèque.
Cette Révolution de velours qui, selon notre éminent libéral de gauche, limitera le gouvernement fédéral « sans perturbations », est un simple ensemble de trois mesures légales. L'une consiste à remplacer l'impôt sur le revenu par une taxe sur les ventes, proposition dont j'ai déjà parlé. La deuxième consiste à limiter les mandats et la troisième consiste à faire passer un amendement obligeant à l'équilibre du budget. Le problème avec cet ensemble est de ne rien arranger, mais plutôt d'empirer les choses: au mieux, on peut tromper les masses en leur faisant croire que Washington a été dompté et les conduire à abandonner tout intérêt pour le sujet. C'est peut-être d'ailleurs l'objectif.
Très brièvement, l'amendement exigeant un budget équilibré est un bobard et une escroquerie intellectuelle. Hormis les clauses dérogatoires permettant au Congrès d'échapper facilement à cet amendement, le fait qu'il représenterait une excuse facile pour justifier la hausse des impôts, et le fait que le gouvernement fédéral peut aisément mettre ses dépenses dans la partie « activités hors budget » comme il le fait déjà, le prétendu « équilibre » ne concerne que les projets de dépenses futures et non le budget actuel. Or tout le monde peut bel et bien prévoir n'importe quelles dépenses futures.
Enfin, il n'y a aucune obligation associée: les membres du Congrès votant en faveur de budgets non équilibrés seront-ils tous virés et éliminés?
Ce qui m'amène à la troisième partie de cette triade: la limitation tellement vantée des mandats. Je n'ai pas d'opposition au concept en soi. Le problème, c'est que la limite des mandats ne peut restreindre que ceux des élus du Congrès ou des États, alors que le bras législatif est de loin celui qui a le plus grand pouvoir parmi les trois branches du gouvernement. De ces branches, les élus du Congrès et des États sont les seuls à devoir rendre des comptes au public et à être soumis aux représailles des électeurs. Ce sont les seuls dont nous pouvons nous débarrasser rapidement et pacifiquement. Comparez cette situation avec celles des autres branches néfastes, qui ne sont pas soumises à un mandat.
Il y a l'exécutif, au sein duquel seul le président est élu pour une durée limitée, malgré les ronchonnements de tous les partisans de la « démocratie ». Le reste de notre vaste bureaucratie fédérale ne peut pas être changé par le public. Véritables despotes, ils ont été congelés sur place par le système du « service public », imposé au public par les élites intellectuelles et médiatiques de la fin du dix-neuvième siècle Et il y a pour finir les véritables et abominables tyrans de notre époque, j'ai nommé la justice fédérale sans bornes et qui s'emballe: elle jouit d'un pouvoir virtuellement absolu sur chaque ville et village ainsi que sur la vie de tout un chacun. Et à son sommet, on trouve la Cour suprême et ses despotes inamovibles. Si les gens commençaient à proposer, par exemple, de supprimer l'administration fédérale et de limiter à deux ans les fonctions de juge fédéral, alors je commencerais à les considérer comme une solution au problème plutôt que comme une partie du problème.
En conclusion: contrairement aux libéraux de gauche qui tentent désespérément d'arracher ses dents à la révolution populaire, je crois que les jours du « réalisme » de Washington, répandu à la fois chez les conservateurs et chez les libéraux de gauche, sont comptés. Il existe désormais un puissant mouvement populaire, qui se lève partout au coeur de l'Amérique: mouvement radical et populiste de droite, conduit par une détestation profonde et un mépris envers, tout d'abord évidemment les Clinton et leur répugnante équipe, puis Washington en général, ses idéologues et sa culture, enfin tous les politiciens en général et ceux habitant Washington en particulier.
Cette droite populaire est très différente de ce que nous avons connu jusqu'ici. Elle déteste profondément les médias dominants et ne leur accorde aucune confiance. De plus, elle ne voit pas l'utilité des organisations de Washington et de leurs dirigeants traditionnels. Ce peuple ne se satisfait pas de devoir financer ces organisations et de devoir suivre docilement leurs ordres. Ses membres ne sont peut-être pas « socialement tolérants ». Mais ils sont mauvais coucheurs, en ont marre du gouvernement fédéral et sont de plus en plus en colère. Dans cette atmosphère naissante, la stratégie supposée être pragmatique de Washington, consistant à faire la lèche au pouvoir, n'est pas seulement immorale et sans principes: elle ne peut plus marcher, même à court terme. Les classes ouvrières et les classes moyennes opprimées sont enfin en marche, et ce nouveau mouvement de droite n'a pas de place pour les traîtres de l'élite qui les ont si longtemps menés par le bout du nez, ni de temps à perdre avec eux.
par Murray Rothbard (1926-1995) via QL
* Remarques du traducteur: Dans ce texte, Rothbard emploie systématiquement le terme de « libertarian » que j'ai traduit par « libéral » et « libertarien » de manière quelque peu aléatoire. (Il emploie en particulier l'expression « left-libertarian », traduite par « libéral de gauche », pour désigner les membres du courant libertarien américain auxquels il s'oppose, alors que le terme « left-liberal », qu'il utilise aussi, signifie en gros « socialiste » sous sa plume, selon l'usage aux États-Unis.) Si le terme « libéral » devrait suffire en français, n'ayant pas (encore?) la connotation interventionniste américaine, certains aspects de la critique de Rothbard sont plus particuliers aux développements du courant « libertarien » américain (qui est par ailleurs souvent considéré comme plus intransigeant, alors que Rothbard nous montre certaines de ses dérives) et c'est pourquoi j'ai fait jouer l'alternance. Il ne faut donc pas chercher d'intention de distinguer les deux attitudes chez Rothbard.
J'ai par ailleurs, faute de mieux, utilisé le mot « progressisme » pour traduire « liberalism » dans les expressions « low-tax liberalism » (traduit par « progressisme combiné avec un faible niveau d'impôts ») et « market liberalism » (traduit par « progressisme de marché »). Si Rothbard entend clairement le terme dans son sens américain usuel et non dans le sens européen (que Mises continuait à utiliser), les auteurs de la formule et ceux qui la reprennent peuvent cependant répondre à bon droit qu'ils avaient pour but de se réapproprier le terme européen, ce que ne rend évidemment pas la traduction, qui élimine cette possibilité. Dans un autre contexte, l'expression, certes redondante, de« libéralisme de marché » aurait pu être utilisée, mais elle aurait conduit ici à la confusion.
J'ai par ailleurs, faute de mieux, utilisé le mot « progressisme » pour traduire « liberalism » dans les expressions « low-tax liberalism » (traduit par « progressisme combiné avec un faible niveau d'impôts ») et « market liberalism » (traduit par « progressisme de marché »). Si Rothbard entend clairement le terme dans son sens américain usuel et non dans le sens européen (que Mises continuait à utiliser), les auteurs de la formule et ceux qui la reprennent peuvent cependant répondre à bon droit qu'ils avaient pour but de se réapproprier le terme européen, ce que ne rend évidemment pas la traduction, qui élimine cette possibilité. Dans un autre contexte, l'expression, certes redondante, de« libéralisme de marché » aurait pu être utilisée, mais elle aurait conduit ici à la confusion.
E) COMMENT NOS APPARATCHIKS SE PROTÈGENT CONTRE L’ÉTATISME
On sait que dans l’ex-Union soviétique et ses satellites, les membres influents du parti et les proches du pouvoir n’avaient pas besoin de faire la file pour acheter un pain ou l’un des rares morceaux de viande qui se rendaient dans les magasins d’État. Ces apparatchiks avaient leurs propres magasins exclusifs, avec des comptoirs bien garnis où ils pouvaient se procurer tous les biens de consommation de luxe importés d’Occident, en plus des biens de première nécessité.
L’idéologie communiste prescrit, en théorie, l’égalité de tous. En réalité bien sûr, tout le monde est égal dans la misère et l’oppression, sauf la clique au pouvoir qui jouit de tous les privilèges. La planification socialiste menant invariablement au désastre économique, il faut bien que ces grandioses personnages qui ont l’honneur de faire progresser l’humanité vers sa libération se donnent les moyens de se protéger contre les effets pervers de leurs propres politiques. Il serait indigne de les forcer à consommer les souliers en carton ou les saucisses avec 0.5% de contenu de viande dont les masses prolétariennes doivent se contenter. Alors on permet l’existence d’un petit secteur commercial où les échanges de produits de qualité avec les exploiteurs capitalistes de l’Ouest sont permis. Rien qu’une petite entorse à la règle évidemment, la révolution n’est aucunement compromise.
Pour les apparatchiks, c’est la situation idéale: ils jouissent d’un immense pouvoir en tant que planificateurs et gestionnaires des secteurs étatisés de l’économie, en même temps que de privilèges qui leur donnent accès au luxe de l’économie capitaliste.
Pour les apparatchiks, c’est la situation idéale: ils jouissent d’un immense pouvoir en tant que planificateurs et gestionnaires des secteurs étatisés de l’économie, en même temps que de privilèges qui leur donnent accès au luxe de l’économie capitaliste.
La même chose ici
La situation n’est pas si différente dans les social-démocraties occidentales. Chez nous, les supermarchés sont évidemment bien garnis et on peut se procurer la plupart des produits de luxe très facilement. Mais il reste des pans entiers de l’économie contrôlés par l’État, en particulier la santé et l’éducation, où l’on observe le même phénomène que dans le cas de la nourriture et des vêtements dans les « démocraties populaires » de l’Est.
La propagande nationalo-étatiste décrit la santé et l’éducation comme des « biens sociaux », c’est-à-dire le contraire d’un simple bien de consommation ou, pour employer un terme encore plus dénigré, une « marchandise ». C’est ce qui justifierait la mainmise des bureaucrates sur ces secteurs, au profit de la collectivité tout entière. Comme lorsque les bureaucrates planifient les récoltes de patates, ce qui arrive en pratique est que les services de santé et d’éducation sont rationnés et qu’il faut se contenter de services moindres et de moins bonne qualité que ce que l’on souhaiterait obtenir. D’une réforme majeure à l’autre, ces secteurs sont presque constamment en crise.
Que font nos apparatchiks? Ils se protègent en ayant recours à des services parallèles qui sont à l’abri des catastrophes de la planification socialiste.
Au Québec, l’éducation « publique et gratuite » est une sorte de Tchernobyl permanent. On sait à quel point les élèves qui arrivent au cégep, et même à l’université, ne savent souvent pas écrire plus de trois mots sans faire de faute. Exprimer une pensée cohérente dans un texte de quelques pages est un exploit pratiquement surhumain. Au secondaire, 41% des garçons et 26% des filles quittent l’école avant d’avoir obtenu leur diplôme, résultat direct de la mauvaise gestion, des contraintes réglementaires, du manque d’incitatifs à la performance, de l’absence d’implication des parents (pourquoi perdre son temps lorsque ça ne change rien?), de méthodes pédagogiques inadaptées (parce que déterminées par des bureaucrates et imposées uniformément à toutes les écoles), etc.
Les apparatchiks défendent évidemment cette façon de faire, puisqu’ils en sont les bénéficiaires. Des milliers de fonctionnaires, de syndicalistes, de petits gestionnaires de commissions scolaires et de professeurs incompétents ont des emplois protégés dans ce système. Mais envoient-ils leurs enfants dans ces écoles publiques? Wô! Tout de même, ce qui est bon pour le peuple n’est pas nécessairement bon pour l’élite! Il serait intéressant d’avoir des statistiques là-dessus. Mais on sait qu’une forte proportion de ces personnages envoient plutôt leur progéniture à l’école privée qui, même si elle est loin d’être libérée tout à fait de l’emprise des bureaucrates, n’en réussit pas moins à offrir des services infiniment supérieurs grâce à l’autonomie partielle dont elle jouit. Même l’actuel ministre de l’Éducation préfère envoyer ses enfants au privé. Cette clique de parasites, dont les salaires sont directement volés dans les poches des individus productifs de notre société, a évidemment les moyens de payer les frais de quelques milliers de dollars par année que cela implique.
« D'une réforme majeure à l'autre, les secteurs de la santé et l'éducation sont presque constamment en crise. Que font nos apparatchiks? Ils se protègent en ayant recours à des services parallèles qui sont à l'abri des catastrophes de la planification socialiste. »
La même chose se produit pour les services de santé. Inutile de décrire l’état du réseau étatisé de santé, dont les déboires font les manchettes pratiquement toutes les semaines depuis des années (voir par exemple LA SANTÉ DANS TOUS SES ÉTATS, le QL, no 16 et LE CHAOS PLANIFIÉ DANS LES URGENCES, le QL, no 54). Nos apparatchiks ont bien sûr des options alternatives pour éviter de poireauter des heures dans une salle d’urgence, ou d’attendre des mois pour une chirurgie importante.
Il y a quelques années, le premier ministre Robert Bourassa avait fait traiter son cancer dans une clinique américaine, ce que font de nombreux Québécois et Canadiens qui en ont les moyens. Mais il existe aussi au Québec une zone grise où l’on retrouve des cliniques privées qui offrent des services rapides, efficaces et utilisant les dernières technologies. On a ainsi appris la semaine dernière que le chef du PSDLQ (Parti soi-disant libéral du Québec), Jean Charest, avait payé 900 $ par année jusqu’à récemment pour s’inscrire à une telle clinique offrant des examens et diagnostics rapides. Le même apparatchik dénonçait sur toutes les tribunes, il y a à peine quelques mois, la proposition de l’Action démocratique de faire plus de place au secteur privé en santé en affirmant de façon démagogique que l’ADQ voulait remplacer notre carte d’assurance-maladie par une carte de crédit.
Le gun du vieux Péladeau
Un autre petit fait intéressant sur la vie dangereuse de nos apparatchiks était dévoilé il y a quelques jours dans Le Devoir (28 janvier), qui rapportait certaines révélations contenues dans une nouvelle biographie de l’homme d’affaires richissime Pierre Péladeau, décédé il y a cinq ans. Écrite par Bernard Bujold, un ancien adjoint du fondateur de Quebecor, le livre sort cette semaine en librairie.
On y apprend que M. Péladeau gardait toujours une arme à feu (une arme chargée prête à être utilisée, présume-t-on) près de lui dans sa chambre à coucher. Et que cette arme avait été achetée sur les conseils de son bon ami, Jacques Duchesneau, chef à l'époque du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal, histoire de se protéger d'une société changeante où « les criminels étaient de plus en plus audacieux et voraces », écrit l’auteur. L’arme ayant été volée en 1996, M. Péladeau s’est très vite équipé d'un Backup DA de calibre 380, « assez petit pour tenir dans la poche d'un veston » avec l'aide de l'armurier de la police. Avec en prime le privilège de pouvoir l'essayer en compagnie du numéro un de la police montréalaise au centre de tir de la police.
Rappelons que contrairement à ce qui se passe dans plusieurs États américains, la loi canadienne proscrit le port d’armes de poing. Aucune arme ne peut même être gardée dans la maison sans être vidée et entreposée dans un endroit difficile d’accès. Il est interdit d’avoir une arme chargée à la portée de la main dans sa chambre à coucher. Une femme ne peut même pas garder sur elle une petite bonbonne de poivre de Cayenne pour faire fuir un agresseur (voir POIVRE: PAS SEULEMENT DANS MON ASSIETTE, le QL, no 22). Ici, les individus n’ont pas le droit de se défendre. Si vous êtes victime d’une agression, d’un vol ou d’un viol, les autorités suggèrent de ne pas provoquer inutilement le bandit et de faire ce qu’il demande. Ensuite, lorsqu’il est parti, et si vous êtes toujours vivant, appelez 9-1-1 et attendez que la police arrive.
Les apparatchiks sont évidemment des personnages trop importants pour l’avenir de notre société pour qu’on leur fasse courir de tels risques. Eux bénéficient de services de sécurité avec des gardiens armés, ou encore d’exemptions à la loi leur permettant de porter des armes de poing. Comme le rapporte le quotidien montréalais, être riche et influent a ses privilèges. Et Pierre Péladeau, même s’il a déjà été un véritable entrepreneur au début de sa carrière, est vite devenu un membre en règle de « Québec Inc. », c’est-à-dire de ce vaste réseau de copinage entre l’État et les grandes entreprises subventionnées et protégées qui sont les « fleurons » de notre économie. C’est par exemple grâce aux fonds publics engloutis par la Caisse de dépôt et placement dans l’aventure (qui a depuis mal tourné) que Quebecor a pu, il y a quelques années, se porter acquérir du cablôdistributeur Vidéotron, question d’éviter que la compagnie ne tombe dans les mains d’un acheteur ontarien.
Que doit-on penser de ce type d’arrangement? « C'est tout à fait normal, commente M. Bujold. Quebecor était une compagnie importante. Duchesneau se devait donc de rencontrer son président afin de le conseiller sur sa sécurité personnelle. Tout ça a été fait dans la plus grande légalité. Beaucoup de personnalités publiques ont pu jouir de ce privilège », ajoute-t-il.
Eh oui, c’est tout à fait normal que les apparatchiks veuillent se protéger contre les effets pervers de leurs politiques étatistes. Qu’ils jouissent de privilèges dont est exclus le commun des mortels. Qu’ils aient accès à des services de première classe fournis par le secteur privé, pendant que la masse doit se contenter de services délabrés dans le secteur public. C’est dans la nature des choses, dans une société en voie de soviétisation.
par
Martin Masse directeur du QL
F) Statolâtrie
La statolâtrie est le "culte de l'idée étatique". Ce mot combine les termes status (État en latin) et idolâtrie.
Le terme de statolâtrie apparaît au XIXe siècle dans la littérature religieuse. Ainsi, l'abbé Antoine Martinet, dans son livre Statolâtrie, ou le Communisme légal (1848), dénonce le collectivisme
comme une statolâtrie, un culte de l’État, « divinité abstraite, aussi
insaisissable dans son essence qu'insatiable dans ses appétits. »
Ce terme apparaît parfois dans la littérature relative aux dictatures, notamment celle relative à Mussolini, par exemple dans la Doctrine du Fascisme de Giovanni Gentile[1],[2].
Le mot apparaît également dans l'encyclique Non abbiamo bisogno de Pie XI, dans laquelle il dénonce le régime de Mussolini :
« Or, Nous voici en présence de tout un
ensemble d'authentiques affirmations et de faits non moins authentiques,
qui mettent hors de doute le propos, déjà exécuté en si grande partie,
de monopoliser entièrement la jeunesse, depuis la toute première enfance
jusqu'à l'âge adulte, pour le plein et exclusif avantage d'un parti, d'un régime, sur la base d'une idéologie qui, explicitement, se résout en une vraie et propre statolâtrie païenne, en plein conflit tout autant avec les droits naturels de la famille qu'avec les droits surnaturels de l'Église ».
Le terme sera utilisé également dans l'interprétation qui suivra
cette encyclique qui traite de la relation entre l'Église catholique
romaine et le régime fasciste de Mussolini[3].
La statolâtrie selon Ludwig von Mises
Le terme a été d'abord mentionné par Ludwig von Mises dans la préface de son premier livre en anglais Omnipotent Government, The Rise of the Total State and Total War (Le gouvernement omnipotent) publié en 1944 par la Yale University Press, puis popularisé et expliqué dans ses ouvrages suivants. La "statolâtrie" est littéralement un culte de l'État analogue à l'idolâtrie, un culte des idoles. Dans l'Unique et sa propriété, Max Stirner stigmatisait déjà l'étatisme comme une nouvelle religion ayant succédé aux religions théistes.
Mises affirme que la glorification et la grandeur de l'État ou la Nation
fait l'objet de toute aspiration humaine légitime au détriment de tout
le reste, y compris le bien-être personnel et la libre pensée.
L'expansion de la puissance et l'influence de son propre État doit être atteint, si nécessaire, par le biais agressif (guerre et colonialisme) (c.-à-d l'impérialisme). Il dépasse de loin le patriotisme de ceux qui reconnaissent les droits à l'autodétermination des personnes autres qu'eux-mêmes et pourrait mieux être décrit comme un super-patriotisme ou nationalisme-chauvinisme.
La statolâtrie selon les libéraux
La position supérieure, moralisatrice et paternaliste, prise par les politiciens et les hommes de l’État, en fait une sorte de hiérocratie, un "gouvernement des religieux" : Charles Gave (reprenant un terme dû à Thomas Sowell) parle ainsi des "oints du Seigneur", Michel de Poncins des "Hifis", Faré des "anges, hommes supérieurs et autres sauveurs suprêmes", Claude Reichman de "nos Maîtres", etc. Max Stirner fustigeait déjà cette "ecclésiastique des serviteurs et sujets de l'État".
Notes et références
- ↑ Origini e dottrina del fascismo (1929)
- ↑ Voir Benito Mussolini. En 1932, certainement avec Giovanni Gentile sinon sous son influence, Mussolini écrit l'article fascisme de l'encyclopédie Treccani, dans lequel il précise la doctrine de son parti.
- ↑ Incompatibilité du christianisme avec la statolâtrie païenne propre au fascisme mussolinien, Pie XI, encyclopédie Larousse
Article source : (en)Statolatry sur Wikipédia.
Citations
- Le Moloch, le dieu contemporain, c'est clairement l’État pour beaucoup de nos contemporains. (Serge Schweitzer, 2014)
- L'État, cette nouvelle divinité de l'ère naissante de la statolâtrie, cette institution éternelle et suprahumaine hors d'atteinte des fragilités humaines, offrait au citoyen une occasion de mettre sa richesse en sûreté et de jouir d'un revenu stable, garanti contre toute vicissitude. (Ludwig von Mises, L'Action humaine)
- L'économie ne s'occupe que des plans socialistes, et non des facteurs psychologiques qui conduisent des gens à épouser les dogmes de la statolâtrie. (Ludwig von Mises, L'Action humaine)
- La statolâtrie doit beaucoup aux doctrines de Hegel. (Ludwig von Mises, L'Action humaine)
- Un nouveau type de superstition a obtenu l'esprit des gens, le culte de l’État. Les gens demandent l'exercice des méthodes de coercition et de contrainte, de violence et de menace. Malheur à tous ceux qui ne plient pas le genou devant les idoles à la mode. (Ludwig von Mises, Omnipotent Government)
- En face de la sacro-sainteté de l'État, l'individu isolé n'est qu'un vase d'iniquité où foisonnent « l'orgueil, la malice, la soif de scandale, la frivolité, etc. », tant qu'il ne s'est pas prosterné devant l'arche sainte, l'État. La superbe ecclésiastique des serviteurs et sujets de l'État a des châtiments exquis pour l' « orgueil » séculier. (Max Stirner)
- Qu'est-ce donc que cet État dont les droits magiques et toujours indiscutés écrasent les contribuables sous le poids des charges et confisquent rapidement l'exercice de toutes les libertés publiques ou privées ? Sur quoi repose le culte de l’État, divinité abstraite, aussi insaisissable dans son essence qu'insatiable dans ses appétits ? Cette volonté nationale, qui se traduit en lois brutalement illibérales et rapaces pour pénétrer jusque dans le for inviolable de la conscience et ravir aux citoyens leurs droits les plus sacrés avec leurs derniers écus, qu'est-elle, en dernière analyse, sinon le bon plaisir d'un ministre ou d'un chef de bureau, dont tout le talent consiste à transformer en affaires d'argent et matières à emploi les questions les plus vitales, les éléments de la vie religieuse et morale d'un peuple ? (abbé Antoine Martinet, Statolâtrie, ou le Communisme légal, 1848)
- Le communisme, pour s'implanter dans les institutions, avait besoin de la statolâtrie, c'est-à-dire de l'absolutisme monarchico-constitutionnel, qui dit : l’État ne cesse pas d'être tout-puissant, mais ce n'est plus un homme, c'est la nation affranchie, se gouvernant elle-même de concert avec son chef, le roi. Et ceux qui parlèrent ainsi eurent l'art de confisquer l’État et d'exclure du gouvernement et le roi et la nation. (abbé Antoine Martinet, Statolâtrie, ou le Communisme légal, 1848)
- Je crois que notre Léviathan Tout Puissant est une infinie source de sagesse, qui apporte la Confiance là où elle serait inimaginable sans Lui, qui fournit des Services Publics qui seraient inimaginables sans Lui. Je crois que la solution ultime à chacun et à tous les problèmes de la vie est que l'État devrait débloquer les fonds nécessaires en insérant les lignes appropriées dans le livre sacré du budget. Alléluia ! (Faré, Le Credo Citoyen)
Liens externes
(en) [video]The State as Secular Religion (Stefan Molyneux)
G) Statocratie
La statocratie est un système politique dans lequel l'État domine la vie de la nation, ou dans lequel la vie nationale trouve son fondement et sa finalité exclusivement dans l'État. C'est le cas dans une démocratie totalitaire, dans le fascisme ou le socialisme, c'est aussi l'évolution logique de la social-démocratie.
On associe généralement le terme de statocratie avec le fascisme
italien, mais il semble bien plus ancien, puisqu'on trouve le terme de
statocracy dans le Webster's Dictionary de 1913, et celui de statocratia dans l’œuvre du diplomate hollandais Petrus Valckenier (1638-1712).
Bertrand de Jouvenel emploie fréquemment dans son ouvrage Du Pouvoir le terme de "statocratie" et de "statocrates" :
- J'oppose à l'aristocrate par quoi j'entends celui qui de soi-même est chef d'un groupe dans la Société, dont la puissance ne lui vient pas de l’État, le statocrate qui ne tient sa puissance que de la position qu'il occupe et de la fonction qu'il exerce dans l'État. (Chap. 9 : Le Pouvoir, agresseur de l'ordre social)
- Vainqueur de l'aristocratie qui s'était formée dans la Société, l'État sera démembré par la statocratie conçue dans son propre sein. (Chap. 9 : Le Pouvoir, agresseur de l'ordre social)
Citations
- Sans doute on voit s'élever à la place des dominations particulières une domination générale, au lieu des aristocraties une statocratie. Mais les plébéiens n'y peuvent d'abord qu'applaudir : les plus capables d'entre eux viennent sans cesse s'enrôler dans l'armée du Pouvoir, l'Administration, pour y devenir les maîtres de leurs anciens supérieurs sociaux. (Bertrand de Jouvenel, Du Pouvoir)
- Et les gouvernements des régimes qui ne sont pas démocratiques ? (...) A la démocratie des individus, ils substituent sans vergogne une statocratie, la démocratie des États. (Jacques Lesourne, Démocratie, marché, gouvernance: quels avenirs ?, 2004)
H) Qu’est-ce que le fascisme ?
Tout le monde sait que le fascisme est un terme péjoratif souvent
utilisé pour décrire toute position politique de quelqu’un que l’on
n’aime pas. Il n’y a personne autour de nous qui soit prête à se lever
et à dire : « Je suis un fasciste, je pense que le fascisme est un grand
système économique et social. »
Mais je soutiens que s’ils étaient honnêtes, la grande majorité des
hommes politiques, des intellectuels, et des activistes politiques
devraient justement dire cela.
Le fascisme est le système de gouvernement qui cartellise le secteur
privé, planifie l’économie en vue de subventionner les producteurs,
exalte l’État policier comme source de l’ordre, nie les droits et les
libertés fondamentales des individus, et fait de l’exécutif le maître
sans bornes de la société.
Cela décrit le courant dominant de la politique en Amérique
aujourd’hui. Et pas seulement en Amérique. C’est également vrai en
Europe. Cela fait tellement partie de la pensée dominante qu’on ne s’en
rend pratiquement plus compte.
Il est vrai que le fascisme n’a aucun appareil théorique global. Il
n’a pas de grand théoricien comme Marx. Cela ne le rend pas moins réel
et distinct comme système social, économique et politique. Le fascisme
se développe aussi comme un style distinct de gestion
économique et sociale. Et il est autant voire plus une menace à la
civilisation que le socialisme à part entière.
C’est parce que ses caractéristiques font tellement partie de la vie –
et l’ont été pendant si longtemps – qu’elles sont presque invisibles
pour nous.
Si le fascisme nous est invisible, c’est vraiment le tueur
silencieux. Il greffe sur le marché libre un État énorme, violent et
pesant qui draine son capital et sa productivité comme un parasite
mortel sur son hôte. C’est pourquoi l’État fasciste a été appelé
l’économie vampire. Il suce la vie d’une nation et conduit une économie
jadis prospère à une mort lente.
Laissez-moi vous donner un exemple récent.
Le déclin
Nous disposons des premières données du recensement américain de
2010. L’histoire qui a fait les grands titres concernait la plus forte
augmentation de la pauvreté depuis 20 ans, représentant maintenant 15%.
Mais la plupart des gens entendent cela et n’y croient pas, sans
doute pour une bonne raison. Les pauvres dans ce pays ne sont pauvres à
l’égard d’aucun critère historique. Ils ont des téléphones portables, la
télévision par câble, des voitures, beaucoup de nourriture, et beaucoup
de revenu disponible. Qui plus est, les pauvres sont tout sauf une
classe fixe. Les gens vont et viennent, en fonction de l’âge et des
circonstances de la vie. De plus, dans la politique américaine, quand
vous entendez pleurnicher à propos des pauvres, vous savez ce que cela
signifie : mettre la main à la poche pour l’État.
Enterré dans le compte rendu, il y a un autre fait qui a une
signification bien plus profonde pour la plupart des gens. Il concerne
le revenu médian des ménages en termes réels.
Ce que les données ont révélé est dévastateur. Depuis 1999, le revenu
médian des ménages a baissé de 7,1%. Depuis 1989, le revenu médian est
plat. Et depuis 1973 et la fin de l’étalon or, il a à peine progressé.
La grande machine à fabriquer de la richesse qu’était jadis l’Amérique
est un échec.
Aucune génération nouvelle ne peut plus espérer vivre mieux que la
précédente. Le modèle économique fasciste a tué ce qu’on appelait
autrefois le rêve américain. Et la vérité est évidemment même pire que
ne le révèlent les statistiques. On doit tenir compte du nombre de
revenus au sein d’un ménage pour connaître le revenu total. Après la
Seconde Guerre mondiale, la famille disposant d’un seul revenu devint la
norme. Puis la monnaie fut détruite, l’épargne américaine fut réduite à
néant et le capital formant la base de l’économie fut ravagé.
C’est à ce moment que les ménages commencèrent à se débattre pour
rester à flots. L’année 1985 fut l’année charnière. C’est l’année où il
devint courant pour un ménage d’avoir deux revenus plutôt qu’un seul.
Les mères rejoignirent le marché du travail pour maintenir les revenus à
niveau.
Les intellectuels acclamèrent cette évolution, comme si c’était une
libération, poussant des hosannas en annonçant que toutes les femmes,
partout, seraient dorénavant inscrites comme de valeureuses
contributrices aux coffres de l’État en matière d’impôts. La véritable
cause est le développement de la monnaie fiduciaire qui a déprécié la
monnaie, volé les économies et poussé les gens dans le marché du travail
pour en faire des contribuables.
Cette histoire n’est pas racontée uniquement dans les données. Vous devez regarder la démographie pour la découvrir.
Cet énorme déplacement démographique a permis aux ménages de gagner
20 années supplémentaires de prospérité apparente, encore qu’il soit
difficile de l’appeler ainsi, vu qu’il n’y avait plus de choix. Si vous
vouliez continuer à vivre le rêve, le ménage ne pouvait plus s’en sortir
avec un seul revenu.
Mais cet énorme décalage était simplement une échappatoire. Cela a
acheté 20 ans de légères augmentations avant que la tendance des revenus
ne s’aplatisse de nouveau. Au cours de la dernière décennie, nous
sommes de retour à la baisse. Aujourd’hui, le revenu médian familial
n’est que faiblement supérieur à ce qu’il était lorsque Nixon détruisit
le dollar, instaura le contrôle des prix et des salaires, créa l’Agence
de protection de l’environnement, et que tout l’appareil parasitaire de
l’État-providence-guerrier s’implanta et se généralisa.
Oui, c’est du fascisme, et nous en payons le prix. Le rêve est en train d’être détruit.
Les propos tenus à Washington au sujet des réformes, par les
Démocrates ou les Républicains, sonnent comme une mauvaise plaisanterie.
Ils parlent de petits changements, de petites coupes budgétaires, de
commissions qu’ils vont mettre en place, de freins qu’ils appliqueront
dans dix ans. Ce n’est que du bruit vain. Rien de tout ça ne résoudra le
problème. Pas même un peu.
Le problème est plus fondamental. C’est la qualité de la monnaie.
C’est l’existence même de 10 000 agences publiques. C’est toute l’idée
qu’il faut payer l’État pour avoir le privilège de travailler. C’est la
présomption que l’État doit gérer chaque aspect de l’ordre économique
capitaliste. Bref, c’est l’État total qui est le problème, et les
souffrances et le déclin continueront aussi longtemps qu’existera l’État
total.
Les origines du fascisme
À coup sûr, la dernière fois que les gens se sont préoccupés du
fascisme était pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous nous battions,
soi-disant, contre ce système diabolique étranger. Les États-Unis ont
vaincu les régimes fascistes mais la philosophie de la gouvernance
qu’ils représentaient n’a pas été vaincue. Très rapidement, après la
guerre, une autre a commencé. C’était la guerre froide qui opposait le
capitalisme au communisme. Le socialisme était considéré dans cette
affaire comme une forme douce, tolérable, et même louable de communisme,
pour autant qu’il fût lié à la démocratie, qui est le système qui
légalise et légitime un pillage continu de la population.
Dans le même temps, presque tout le monde avait oublié qu’il y avait
de nombreuses autres couleurs de socialisme, pas toutes évidemment de
gauche. Le fascisme est une de ces couleurs.
Il n’y a pas de doute sur ses origines. Elles sont liées à l’histoire
politique italienne postérieure à la Première Guerre mondiale. En 1922,
Benito Mussolini a gagné une élection démocratique et a fondé le
fascisme comme sa philosophie. Mussolini avait été un membre du Parti
socialiste italien.
Tous les acteurs les plus grands et plus importants du mouvement
fasciste venaient des mouvements socialistes. C’était une menace pour
les socialistes car le fascisme proposait le véhicule politique le plus
intéressant pour l’application du socialisme dans le monde réel. Les
socialistes ont changé de camp en masse [en français dans le texte, NdT] pour rejoindre les fascistes.
C’est aussi pourquoi Mussolini a lui-même bénéficié d’une si bonne
presse pendant plus de dix ans après le début de son règne. Il était
célébré dans de nombreux articles du New York Times. Il
était proclamé dans des revues savantes comme un exemple du type de
dirigeant dont nous avions besoin à l’ère des sociétés planifiées. Des
papiers boursouflés de ce genre étaient très fréquents dans le
journalisme américain de la fin des années 1920 jusqu’au milieu des
années 1930.
Rappelez-vous que dans cette même période, la gauche américaine avait
connu un énorme changement. Dans les années de l’adolescence et les
années 1920, la gauche américaine avait eu un élan anti-corporatiste
très louable. La gauche s’opposait généralement à la guerre, au système
pénal étatique, à la prohibition de l’alcool, et à toutes les violations
des libertés civiles. Ce n’était pas une amie du capitalisme, mais ce
n’était pas non plus une amie de l’État corporatiste que Franklin Delano
Roosevelt (FDR) avait forgé pendant la guerre.
En 1933 et en 1934, la gauche américaine avait dû faire un choix :
embrasser le corporatisme et l’embrigadement du New Deal, ou prendre une
position de principe en faveur des vieilles idées libérales. En
d’autres termes, accepterait-elle le fascisme comme une maison de
transition à son utopie socialiste ? Une gigantesque bataille s’ensuivit
dans cette période, et il y avait un gagnant évident. Le New Deal avait
fait une offre que la gauche ne pouvait pas refuser. Et c’était une
première étape pour aller de l’adoption d’une économie planifiée
fasciste à la célébration de l’État guerrier qui avait conclu la période
du New Deal.
Ce n’était qu’une répétition du même cours qu’avaient pris les
événements en Italie une décennie plus tôt. En effet, la gauche
italienne avait également réalisé que son programme anticapitaliste
avait plus de chances d’être mené à bien dans le cadre d’un État
autoritaire et planificateur. Bien entendu, notre ami Maynard Keynes a
joué un rôle clé en proposant une logique pseudo scientifique pour
justifier l’opposition au laissez-faire de l’ancien monde et l’adhésion à
la société planifiée. Rappelez-vous que Keynes n’était pas un
socialiste de l’ancienne école. Comme il l’a lui-même dit dans son
introduction à l’édition nazie de sa Théorie Générale, le national-socialisme était bien plus accueillant à ses idées qu’une économie de marché.
Flynn dit la vérité
L’étude la plus autorisée sur le fascisme écrite à cette époque fut As We Go Marching de
John T. Flynn. Flynn était un journaliste et un érudit d’esprit libéral
qui avait écrit plusieurs livres à succès dans les années 1920. Il
aurait pu probablement être classé dans le camp progressiste dans les
années 1920. C’est le New Deal qui l’a changé. Tous ses collègues
avaient suivi FDR dans le fascisme, alors que Flynn restait fidèle à
l’ancienne croyance. Cela voulait dire qu’il combattait FDR
continuellement et pas seulement dans ses projets de politique
intérieure. Flynn était un dirigeant du mouvement America First qui voyait la poussée à la guerre de FDR comme rien d’autre qu’une extension du New Deal, ce qui était certainement le cas.
Mais parce que Flynn faisait partie de ce que Murray Rothbard
a plus tard appelé la Vieille Droite – Flynn en est venu à s’opposer à
la fois à l’État-providence et à l’État-guerrier – son nom est tombé
dans un trou de mémoire orwellien après la guerre, à l’apogée du
conservatisme de la CIA.
As We Go Marching est sorti en 1944 dans la phase
ultime de la guerre, et au beau milieu des contrôles économiques de la
période de guerre dans le monde entier. C’est un miracle qu’il ait
échappé aux censeurs. C’est une étude à grande échelle de la théorie et
de la pratique du fascisme, et Flynn voyait clairement où cela menait :
dans le militarisme et la guerre comme accomplissement du programme de
relance par la dépense. Lorsque vous ne savez plus à quel objet affecter
les dépenses, vous pouvez toujours compter sur la ferveur nationaliste
pour approuver davantage de dépenses militaires.
En passant en revue l’histoire de la montée du fascisme, Flynn écrivait :
Un des phénomènes les plus déroutants de l’histoire du fascisme est la collaboration presque incroyable entre les hommes d’extrême droite et ceux de l’extrême gauche à sa création. L’explication réside dans ce point. Droite comme gauche se sont rejoints dans cette envie de réglementation. Les motifs, les arguments, et les formes d’expression étaient différents mais ont tous conduit dans la même direction. Et c’était que le système économique devait être contrôlé dans ses fonctions essentielles et ce contrôle devait être exercé par les groupes de producteurs.
Flynn disait que la droite et la gauche étaient en désaccord sur ce à
quoi correspondait précisément le groupe de producteurs. La gauche
avait tendance à célébrer les travailleurs en tant que producteurs. La
droite avait tendance à favoriser les propriétaires d’entreprise en tant
que producteurs. Le compromis politique – et il se poursuit encore
aujourd’hui – était de cartelliser les deux.
L’État sous le fascisme devient le dispositif de cartellisation pour
les travailleurs et les propriétaires privés de capital. La concurrence
entre les travailleurs et les entreprises est considérée comme inutile
et vaine. Les élites politiques décident que les membres de ces groupes
doivent se concerter et coopérer sous la supervision du gouvernement
pour construire une nation puissante.
Les fascistes ont toujours été obsédés par l’idée de grandeur
nationale. Pour eux, cela ne consiste pas en une nation de gens qui
deviennent plus prospères, vivant des vies toujours meilleures et plus
longues. Non, la grandeur nationale se produit lorsque l’État entreprend
la construction d’énormes monuments, lorsqu’il construit des systèmes
de transport dans tout le pays, lorsqu’il sculpte le Mont Rushmore, ou
qu’il creuse le canal de Panama.
En d’autres termes, la grandeur nationale n’est pas la même chose que
votre grandeur ou la grandeur de votre famille, de votre entreprise ou
de votre profession. Au contraire. Vous devez être taxés, la valeur de
votre argent doit être dépréciée, votre vie privée envahie, et votre
bien-être diminué afin d’y parvenir. Dans cette perspective, l’État doit
nous rendre grands.
Malheureusement, un tel programme a beaucoup plus de chances de
succès politique que le socialisme à l’ancienne. Le fascisme ne
nationalise pas la propriété privée comme le fait le socialisme. Cela
signifie que l’économie ne s’effondre pas tout de suite. Le fascisme ne
tente pas non plus d’égaliser les revenus. Il n’est pas question
d’abolition du mariage ou de nationalisation des enfants.
La religion n’est pas abolie mais utilisée comme un outil de
manipulation politique. L’État fasciste était beaucoup plus
politiquement habile à cet égard que le communisme. Il a tissé ensemble
la religion et l’étatisme dans une seule toile, encourageant le culte de
Dieu à condition que l’État fonctionne comme un intermédiaire.
Sous le fascisme, la société que nous connaissons est laissée
intacte, même si tout est sous la tyrannie d’un appareil d’État
puissant. Tandis que l’enseignement socialiste traditionnel a favorisé
une perspective mondialiste, le fascisme était explicitement
nationaliste. Il a embrassé et exalté l’idée de l’État-nation.
Quant à la bourgeoisie, le fascisme ne cherche pas leur
expropriation. Au lieu de cela, la classe moyenne obtient ce qu’elle
veut sous la forme de l’assurance sociale, des prestations médicales, et
de fortes doses de fierté nationale.
C’est pour toutes ces raisons que le fascisme prend un moule de
droite. Il n’attaque pas les valeurs bourgeoises fondamentales. Il
s’inspire d’eux pour obtenir l’appui d’un encadrement national tous
azimuts et démocratiquement soutenu du contrôle économique, de la
censure, de la cartellisation, de l’intolérance politique, de
l’expansion géographique, du contrôle de l’exécutif, de l’État policier,
et du militarisme.
Pour ma part, je n’ai aucun problème à considérer le programme
fasciste comme une théorie de droite, même s’il répond aux aspects du
rêve de gauche. La question cruciale ici concerne son appel au public et
aux groupes démographiques qui sont habituellement attirés par la
politique de droite.
Si vous pensez cela, l’étatisme de droite est d’une couleur, d’un
moulage, et d’un ton différents de l’étatisme de gauche. Chacun est
conçu pour plaire à un ensemble différent d’électeurs avec des intérêts
et des valeurs différents.
Ces divisions, cependant, ne sont pas strictes, et nous avons vu
comment un programme socialiste de gauche peut s’adapter et devenir un
programme fasciste de droite avec très peu de changements de fond,
autres que son programme de marketing.
Les huit caractéristiques de la politique fasciste
John T. Flynn, comme d’autres membres de la Vieille Droite, était
dégoûté de constater que ce qu’il voyait, presque tout le monde
choisissait de l’ignorer. Il remarquait que dans ce combat contre les
régimes autoritaires étrangers, les États-Unis avaient adopté ces formes
de gouvernement domestique total, avec contrôle des prix, rationnement,
censure, dictature de l’exécutif, et même des camps de concentration
pour des groupes entiers considérés comme peu fiables dans leur loyauté à
l’État.
Après avoir passé en revue cette longue histoire, Flynn s’emploie à
résumer les caractéristiques principales du fascisme en huit points.
En les présentant, je vais aussi faire des commentaires sur l’État central américain moderne.
Point 1. L’État est totalitaire parce qu’il n’admet aucune restriction à ses pouvoirs.
C’est une marque très révélatrice. Cela suggère que le système
politique américain peut être décrit comme totalitaire. C’est une
remarque choquante que la plupart des gens rejetteraient. Mais ils ne
peuvent rejeter cette qualification qu’à la condition de ne pas être
pris par la toile de l’État. Si cela leur arrivait, ils découvriraient
rapidement qu’il n’y a en effet pas de limite à ce qu’il peut faire.
Cela peut se produire en prenant un avion, en roulant en ville, ou si
une quelconque agence étatique prend en grippe leur entreprise. Au bout
du compte, ils doivent obéir ou être mis en cage comme un animal ou être
tué. De cette manière, peu importe la conviction d’être libre, nous ne
sommes tous aujourd’hui qu’à un pas de Guantanamo.
Aussi récemment que dans les années 1990, je me souviens qu’il y
avait des moments où Clinton semblait laisser entendre qu’il y avait
certaines choses que son administration ne pouvait pas faire.
Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que je peux me rappeler un seul
représentant du gouvernement plaidant la limitation de la loi ou de la
réalité de ce qui peut ou ne peut pas être fait. Aucun aspect de la vie
n’est vierge d’une intervention étatique, et souvent elle prend des
formes que nous ne voyons pas aisément. Tout le secteur de la santé est
réglementé, mais aussi chaque morceau de nourriture, le transport,
l’habillement, les produits de la maison et même les relations privées.
Mussolini lui-même énonçait son principe de la manière suivante : « Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État. » Il a également dit : « Le
principe essentiel de la doctrine fasciste est la conception de l’État,
de son essence, ses fonctions et ses objectifs. Pour le fascisme,
l’État est l’absolu devant lequel les individus et les groupes ne sont
que le relatif. »
Je vous soumets la proposition que ceci est l’idéologie dominante aux
États-Unis aujourd’hui. Cette nation, conçue dans la liberté, a été
kidnappée par l’État fasciste.
Point 2. L’État est une dictature de fait basée sur le principe de commandement.
Je ne dirais pas que nous avons réellement une dictature d’un homme
dans ce pays, mais nous avons bien une forme de dictature d’un secteur
de l’État sur l’ensemble du pays. Le pouvoir exécutif s’est étendu d’une
manière si spectaculaire au cours du dernier siècle que c’est devenu
une plaisanterie de parler d’équilibre des pouvoirs. Ce qu’apprennent
les enfants en classe d’éducation civique n’a rien à voir avec la
réalité.
L’État exécutif est celui que nous connaissons, tout émanant de la
Maison Blanche. Le rôle des tribunaux est d’appliquer la volonté de
l’exécutif. Le rôle du Parlement est de ratifier la politique de
l’exécutif.
Cet exécutif ne concerne pas réellement la personne qui semble être
aux commandes. Le président n’est que le masque, et les élections ne
sont que les rituels tribaux que nous subissons pour donner un semblant
de légitimité à l’institution. En réalité, l’État-nation vit et prospère
en dehors de tout « mandat démocratique ». Nous trouvons là le pouvoir
de réglementer tous les aspects de la vie et le pouvoir maléfique de
créer la monnaie nécessaire pour financer ce règne de l’exécutif.
En ce qui concerne le principe de leadership, il n’y a pas de plus
grand mensonge dans la vie publique américaine que la propagande que
nous entendons tous les quatre ans sur la façon dont le nouveau
Président-messie va inaugurer la grande dispensation de paix, d’égalité,
de liberté, et de bonheur humain global. L’idée ici est que l’ensemble
de la société est vraiment modelée et contrôlée par une volonté unique –
un point qui exige un acte de foi si vaste que l’on doit ignorer tout
ce qu’on sait de la réalité pour le croire.
Et pourtant, les gens le font. L’espoir d’un messie a atteint un
paroxysme avec l’élection d’Obama. La religion civique consistait en un
véritable culte à grande échelle – du plus grand homme qui ait jamais
vécu ou vivra jamais. C’était une abjecte exposition.
Un autre mensonge que le peuple américain croit est que les élections
présidentielles provoquent un changement de régime. C’est une pure
absurdité. L’État Obama est l’État Bush, l’État Bush était l’État
Clinton, l’État Clinton était l’État Bush, l’État Bush était l’État
Reagan. Nous pouvons remonter dans le temps et faire défiler le
chevauchement des nominations des bureaucrates, des techniciens, des
diplomates, des responsables de la Fed, des élites financières, et ainsi
de suite. La rotation dans les bureaux ne survient pas à cause des
élections mais en raison de la mortalité.
Point 3. L’État administre un système capitaliste au moyen d’une énorme bureaucratie.
La réalité de l’administration bureaucratique a été parmi nous au
moins depuis le New Deal, qui était calqué sur la planification
bureaucratique de la Première Guerre mondiale. L’économie planifiée – du
temps de Mussolini ou du nôtre – a besoin de la bureaucratie. La
bureaucratie représente le cœur, les poumons et les veines de l’État
planificateur. Et pourtant réglementer aussi minutieusement une économie
que celle d’aujourd’hui revient à tuer la prospérité avec un milliard
de petites incisions.
Cela ne signifie pas forcément la contraction de l’économie, du moins
pas tout de suite. Mais cela signifie certainement tuer la croissance
qui, autrement, aurait eu lieu dans un marché libre.
Alors où est notre croissance ? Où est le dividende de la paix qui
était censé accompagner la fin de la guerre froide ? Où sont les fruits
des incroyables gains de productivité que la technologie a permis ? Ils
ont été mangés par la bureaucratie qui gère notre moindre mouvement sur
cette terre. Ce monstre vorace et insatiable est le Code fédéral qui
s’appuie sur des milliers d’agences exerçant le pouvoir de police pour
nous empêcher de vivre des vies libres.
C’est comme le disait Bastiat :
le coût réel de l’État est la prospérité que nous ne voyons pas, les emplois qui n’existent pas, les technologies auxquelles nous n’avons pas accès, les affaires qui ne voient pas le jour, et le futur radieux qui nous est volé. L’État nous a pillés aussi sûrement qu’un voleur qui pénètre dans notre demeure la nuit et s’empare de tout ce que nous aimons.
Point 4. Les producteurs sont organisés en cartels à la manière du syndicalisme.
En général nous ne qualifions pas notre structure économique actuelle
de syndicale. Mais rappelez-vous que le syndicalisme signifie le
contrôle économique par les producteurs. Le capitalisme est différent.
Il place le contrôle dans les mains des consommateurs en vertu des
structures du marché. La seule question pour les syndicalistes est
alors : quels producteurs vont profiter de privilèges politiques ? Ce
peut être les travailleurs, mais ce peut être aussi les grandes
entreprises.
Dans les cas des États-Unis, au cours des trois dernières années,
nous avons vu des grandes banques, des entreprises pharmaceutiques, des
compagnies d’assurances, des constructeurs automobiles, des banques
d’affaires et des maisons de courtage, ainsi que des sociétés
hypothécaires quasi privées bénéficier d’énormes privilèges à nos
dépens. Ils se sont tous alliés à l’État pour vivre une existence
parasitaire sur notre dos.
C’est aussi l’expression de l’idée syndicaliste, et cela a coûté à
l’économie américaine des milliards incalculables et a prolongé la
récession économique en empêchant l’ajustement post-boom que les marchés
auraient autrement dicté. Le gouvernement a resserré son emprise
syndicaliste au nom du stimulus.
Point 5. La planification économique est basée sur le principe d’autarcie.
L’autarcie est le nom donné à l’idée d’autosuffisance économique. La
plupart du temps cela se réfère à l’auto-détermination économique de
l’État-nation. Ce dernier doit être géographiquement énorme pour
soutenir le développement économique rapide d’une population vaste et
croissante.
Cela a été et est la base de l’expansionnisme fasciste. Sans
expansion, l’État meurt. C’est aussi l’idée derrière la combinaison
étrange de pressions protectionnistes combinées avec le militarisme.
Elle s’explique en partie par la nécessité de contrôler les ressources.
Considérez les guerres en Irak, en Afghanistan et en Libye. Nous
serions très naïfs de croire que ces guerres n’ont pas été motivées en
partie par l’intérêt des producteurs de l’industrie pétrolière. C’est
vrai pour l’empire américain en général qui soutient l’hégémonie du
dollar. C’est la raison de l’Union Nord-Américaine.
L’objectif est l’autosuffisance nationale plutôt qu’un monde de
commerce pacifique. Considérez aussi les pulsions protectionnistes du
ticket républicain. Il n’y a pas un seul Républicain, à l’exception de
Ron Paul, qui soutient authentiquement le libre-échange dans sa
définition classique.
De la Rome antique à l’Amérique moderne, l’impérialisme est une forme
d’étatisme qu’adore la bourgeoisie. C’est pour cette raison que
l’initiative post-11 septembre de Bush pour l’empire mondial a été
vendue comme du patriotisme et de l’amour du pays plutôt que pour ce
qu’elle est vraiment : un pillage de la liberté et de la propriété au
profit des élites politiques.
Point 6. L’État entretient la vie économique en dépensant et en empruntant.
Ce point ne nécessite pas de développement car il n’est plus occulté.
Il y avait le stimulus 1 et le stimulus 2, qui sont tous deux si
discrédités que le stimulus 3 devra adopter un autre nom. Appelons cela
la loi des emplois américains.
Au cours d’un discours à une heure de grande écoute, Obama a plaidé
en faveur de ce programme avec l’analyse économique la plus stupide que
j’ai jamais entendue. Il se demandait comment il se faisait que des gens
étaient au chômage alors que des écoles, des ponts et des
infrastructures avaient besoin d’être réparés. Il ordonna que l’offre et
la demande se rejoignent pour mettre en phase du travail avec des
emplois.
Vous suivez ? Les écoles, les ponts et les infrastructures dont parle
Obama sont construits et entretenus par l’État. C’est pourquoi ils
s’effondrent. Et la raison pour laquelle les gens n’ont pas d’emplois
est que l’État a rendu l’embauche trop chère. Ce n’est pas compliqué.
Passer son temps à rêver à d’autres scénarios revient à vouloir que
l’eau coule en remontant ou que les rochers flottent dans l’air. Cela
revient à un déni de réalité.
Pourtant, Obama a poursuivi, en invoquant le vieux désir fasciste pour la grandeur nationale. « Construire un système de transport de calibre mondial », a-t-il dit, « fait partie de ce qui fait de nous une superpuissance économique. » Puis il a demandé : « Allons-nous
nous asseoir et regarder la Chine construire les aéroports les plus
modernes et les infrastructures ferroviaires les plus rapides ? »
Eh bien, la réponse à cette question est oui. Et vous savez quoi ?
Cela ne nuit pas à un seul Américain qu’une personne en Chine voyage sur
un train plus rapide que ce que nous faisons. Prétendre le contraire
est une incitation à l’hystérie nationaliste.
Concernant le reste de son discours, Obama a promis une nouvelle
longue liste de projets de dépense. Mentionnons seulement la réalité :
aucun État dans l’histoire du monde n’a dépensé autant, emprunté autant
et créé autant de fausse monnaie que les États-Unis. Si les États-Unis
ne répondent pas à ce critère d’un État fasciste, aucun autre ne l’a
jamais fait.
Rien de tout cela ne serait possible sans le rôle de la Réserve
fédérale, le plus grand prêteur du monde. Cette institution est
absolument essentielle à la politique budgétaire américaine. Il n’y a
aucun moyen que la dette nationale puisse augmenter à un niveau de 4
milliards de dollars par jour sans cette institution.
Sous l’étalon-or, toutes ces dépenses maniaques auraient pris fin. Et
si la dette américaine était évaluée sur le marché avec une prime de
défaut, nous envisagerions une note beaucoup moins élevée que A+.
Point 7. Le militarisme est un pilier de la dépense publique.
Avez-vous remarqué que le budget militaire n’était jamais discuté
sérieusement dans les débats de politique générale ? Les États-Unis
dépensent plus que la quasi-totalité du reste du monde.
Et pourtant, à écouter parler nos dirigeants, les États-Unis ne sont
qu’une petite république commerciale qui aspire à la paix mais qui est
en permanence menacée par le monde. Ils voudraient nous faire croire que
nous sommes tous nus et vulnérables. Tout cela est un mensonge
horrible. Les États-Unis sont un empire militaire mondial et la
principale menace pour la paix dans le monde d’aujourd’hui.
Comparer les dépenses militaires américaines avec celles des autres
pays est vraiment choquant. Un diagramme en bâtons facilement
compréhensible montre le budget militaire américain à plus de mille
milliards de dollars, comme un immense gratte-ciel entouré de petites
cabanes. Quant au second plus important dépensier, la Chine, il dépense
1/10ème du budget des États-Unis.
Où est le débat sur cette politique ? Où est la discussion ? Elle n’a
pas lieu. Les deux partis supposent simplement qu’il est essentiel pour
le style de vie américain que les États-Unis soient le pays le plus
meurtrier de la planète, menaçant tout le monde d’annihilation nucléaire
à moins qu’ils n’obéissent. Cela devrait être considéré comme un
outrage moral et financier par toute personne civilisée.
Ce n’est pas seulement les forces armées, les fournisseurs
militaires, les escadrons de la mort de la CIA. C’est aussi la façon
dont la police a pris à tous les niveaux des postures militaires
semblables. Cela vaut pour la police locale, la police d’État, comme les
brigadiers dans nos collectivités. La mentalité du commissaire, la
voyoucratie à la gâchette facile sont devenues la norme dans l’ensemble
de la société.
Si vous voulez assister aux atrocités, ce n’est pas difficile.
Essayez de venir dans ce pays à partir du Canada ou du Mexique. Voyez
les malfrats autoritaires, lourdement armés, portant le gilet
pare-balles, faisant courir leurs chiens le long des voitures, à la
recherche de personnes au hasard, harcelant des innocents, posant des
questions grossières et intrusives.
Vous obtenez la forte impression que vous entrez dans un État policier. Cette impression serait correcte.
Pourtant, pour l’homme de la rue, la réponse à tous les problèmes
sociaux semble être plus de prisons, des durées plus longues, plus
d’application des peines, plus de pouvoir arbitraire, plus de
répression, plus de peines capitales, plus d’autorité. Où est-ce que
tout cela conduit ? Et où cela terminera avant que nous réalisions ce
qui est arrivé à notre pays autrefois libre ?
Point 8. Les dépenses militaires ont un but impérialiste.
Ronald Reagan soutenait que le renforcement militaire était
indispensable au maintien de la paix. L’histoire de la politique
étrangère américaine seulement depuis les années 1980 a montré que cela
était faux. Nous avons eu une guerre après l’autre, menée par les
États-Unis contre des pays refusant de se soumettre, et la création de
toujours davantage d’États clients et de colonies.
La puissance américaine n’a pas produit la paix, bien au contraire.
Elle a conduit la plupart des gens dans le monde à considérer les
États-Unis comme une menace, et a provoqué des guerres déraisonnables
contre de nombreux pays. Les guerres d’agression ont été définies à
Nuremberg comme crimes contre l’humanité.
Obama était censé y mettre fin. Il ne l’a jamais promis mais ses
partisans croyaient tous qu’il le ferait. Au lieu de cela, il a fait le
contraire. Il a augmenté le volume des troupes, s’est enlisé dans des
guerres et en a déclenché de nouvelles. En réalité il a dirigé un État
militaire aussi violent que n’importe lequel dans l’histoire. La
différence, c’est que cette fois la gauche ne critique plus le rôle de
l’Amérique dans le monde. En ce sens Obama est ce qui est arrivé de
mieux aux bellicistes et au complexe militaro-industriel.
En ce qui concerne le droit dans ce pays, il s’opposait autrefois à
cette forme de fascisme militaire. Mais tout cela a changé après le
début de la guerre froide. Le droit entraîna un virage idéologique
terrible, bien documenté dans le chef d’œuvre négligé de Murray Rothbard
The Betrayal of the American Right. Au nom de l’arrêt du
communisme, le droit en est venu à suivre l’exemple du soutien de
l’ex-agent de la CIA Bill Buckley pour une bureaucratie totalitaire aux
États-Unis afin de faire la guerre partout dans le monde.
L’avenir
Je ne vois pas aujourd’hui de priorité plus grande qu’une alliance
anti-fasciste sérieuse et efficace. De bien des manières, il y en a déjà
une qui se forme. Ce n’est pas une alliance formelle. Elle est composée
de ceux qui contestent la Fed, ceux qui refusent d’accepter les
politiques du fascisme dominant, ceux qui veulent la décentralisation,
ceux qui réclament des impôts plus bas et la liberté du commerce, ceux
qui revendiquent le droit de s’associer avec qui ils veulent et
d’acheter et de vendre aux conditions qu’ils auront eux-mêmes fixées,
ceux qui prétendent pouvoir instruire leurs enfants eux-mêmes, les
investisseurs et les épargnants qui rendent la croissance économique
possible, ceux qui ne veulent pas être palpés dans les aéroports, et
ceux qui se sont expatriés.
Elle comprend aussi les millions d’entrepreneurs indépendants qui
découvrent que la première menace à leur capacité de servir les autres
via le marché est l’institution qui prétend être notre plus grand
bienfaiteur : l’État.
Combien de gens entrent dans cette catégorie ? Plus que nous ne
savons. Le mouvement est intellectuel. Il est politique. Il est
culturel. Il est technologique. Il vient de toutes les classes, les
races, les pays et les professions. Ce n’est plus un mouvement national.
C’est véritablement mondial.
Nous ne pouvons plus prédire si les membres se considèrent comme de
l’aile gauche, droite, indépendante, libérale, anarchiste, ou autre.
Cela comprend des choses aussi diverses que les parents qui enseignent à
la maison dans les banlieues, que les parents dans les zones urbaines
dont les enfants font partie des 2,3 millions de personnes qui
croupissent en prison sans raison valable, dans un pays avec la plus
grande population carcérale du monde.
Et que veut ce mouvement ? Ni plus ni moins que la liberté pure. Il
ne demande pas que la liberté soit octroyée ou donnée. Il réclame
simplement la liberté qui est promise par la vie elle-même et qui
existerait nonobstant l’État Léviathan qui nous vole, nous persécute,
nous emprisonne et nous tue.
Ce mouvement ne s’en va pas. Nous sommes entourés quotidiennement par
des preuves qu’il est juste et vrai. Chaque jour il est de plus en plus
évident que l’État ne contribue absolument en rien à notre bien-être ;
il ne fait que le diminuer massivement.
Dans les années 1930, et même encore pendant les années 1980, les
partisans de l’État débordaient d’idées. Ils avaient des théories et des
programmes qui avaient de nombreux partisans intellectuels. Ils étaient
ravis et excités par le monde qu’ils créeraient. Ils mettraient fin aux
cycles économiques, apporteraient le progrès social, construiraient la
classe moyenne, soigneraient les malades, apporteraient la sécurité
universelle, et bien plus encore. Le fascisme a cru en lui-même.
Ce n’est plus le cas. Le fascisme n’a pas d’idées neuves, pas de
grands projets – et même ses amis ne croient pas vraiment qu’il peut
réaliser ce qu’il met en route. Le monde créé par le secteur privé est
tellement plus utile et beau que tout ce que l’État a fait, que les
fascistes eux-mêmes se démoralisent et réalisent que leur programme ne
repose pas sur un fondement intellectuel réel.
Il est de plus en plus largement connu que l’étatisme ne fonctionne
pas et ne peut fonctionner. C’est un grand mensonge. Il nous donne
exactement l’inverse de ce qu’il promet. Il a promis la sécurité, la
prospérité et la paix ; il nous a donné la peur, la pauvreté, la guerre,
et la mort. Si nous voulons un avenir, nous devrons le construire
nous-mêmes. L’État fasciste ne nous le donnera pas. Au contraire, il
nous gêne dans sa réalisation.
Il me semble aussi que le vieil amour des libéraux classiques pour
l’idée d’un État limité n’est plus. Il est beaucoup plus probable
aujourd’hui que les jeunes adoptent une idée qui était conçue cinquante
ans plus tôt comme une pensée impensable : l’idée que la société est
bien mieux lotie sans État du tout.
Je voudrais souligner l’essor de la théorie anarcho-capitaliste comme
le changement intellectuel le plus spectaculaire de ma vie d’adulte.
Cette vision de l’État comme le veilleur de nuit qui ne ferait que
protéger les droits essentiels, régler les différends, et protéger la
liberté, est loin.
Cette vision est terriblement naïve. Le veilleur de nuit est le gars
avec les armes, le droit légal de recourir à l’agression, le gars qui
contrôle toutes les allées et venues, le gars qui est perché au sommet
et qui voit toutes les choses. Qui le regarde ? Qui limite le pouvoir ?
Personne, et c’est précisément pourquoi il est la source des plus grands
maux de la société. Aucune constitution, élection ou contrat ne
contrôlera le pouvoir.
En effet, le veilleur de nuit a acquis la puissance totale. C’est lui
qui serait l’État total, que Flynn décrit comme un gouvernement qui « possède le pouvoir de promulguer toute loi ou de prendre toute mesure qui lui semble appropriées. » Tant que le gouvernement, dit-il, « est
vêtu du pouvoir de faire ce qu’il veut sans aucune limitation de ses
pouvoirs, il est totalitaire. Il a le pouvoir total. »
Ce n’est plus un point de vue que nous pouvons ignorer. Le veilleur
de nuit doit être supprimé et ses pouvoirs distribués au sein et parmi
toute la population, qui devrait être gouvernée par les mêmes forces qui
nous apportent tous les bienfaits que le monde matériel nous offre.
In fine, voici l’alternative qui s’offre à nous : l’État total ou la
liberté totale. Que choisirons-nous ? Si nous optons pour l’État, nous
continuerons à nous enfoncer de plus en plus et finalement perdrons tout
ce à quoi nous tenons en tant que civilisation. Si nous optons pour la
liberté, nous pourrons exploiter cette force remarquable qu’est la
coopération humaine qui nous permettra de continuer à façonner un monde
meilleur.
Dans la lutte contre le fascisme, il n’y a pas de raison de
désespérer. Nous devons continuer le combat, pleinement confiants que
l’avenir est à nous, pas à eux.
Leur monde s’écroule. Le nôtre ne fait que se construire.
Leur monde repose sur des idéologies en ruine. Le nôtre plonge ses racines dans la vérité de la liberté et de la réalité.
Leur monde ne peut que contempler les jours glorieux du passé. Le
nôtre se projette dans le futur que nous construisons pour nous-mêmes.
Leur monde est rivé au cadavre de l’État-nation. Le nôtre s’appuie
sur les énergies et la créativité de tous les peuples du monde, unis
dans le grand et noble projet de création d’une civilisation prospère au
moyen de la coopération humaine pacifique.
C’est vrai que nous avons l’artillerie la plus lourde. Mais
l’artillerie lourde n’a pas assuré la victoire permanente en Irak ou en
Afghanistan, ou à tout autre endroit sur la planète.
Nous détenons la seule arme réellement immortelle : l’idée juste. C’est ce qui mènera à la victoire.
Comme disait Mises :
Sur le long terme, même les gouvernements les plus despotiques, avec toute leur brutalité et leur cruauté, ne sont pas de taille face aux idées. Finalement, l’idéologie qui a gagné le soutien de la majorité l’emportera et coupera l’herbe sous le pied du tyran. Ensuite, de nombreux opprimés se révolteront et renverseront leurs maîtres.
Par Llewellyn H. Rockwell, Jr.
Traduit par Jacques Peter, et revu et complété par Marc Lassort, Institut Coppet Llewellyn H. Rockwell, ancien rédacteur en chef des publications de Ludwig von Mises et chef du Congrès du personnel de Ron Paul, est le fondateur et président de l’Institut Ludwig von Mises à Auburn (Alabama), exécuteur testamentaire de la succession de Murray N. Rothbard, et rédacteur en chef de LewRockwell.com.
Traduit par Jacques Peter, et revu et complété par Marc Lassort, Institut Coppet Llewellyn H. Rockwell, ancien rédacteur en chef des publications de Ludwig von Mises et chef du Congrès du personnel de Ron Paul, est le fondateur et président de l’Institut Ludwig von Mises à Auburn (Alabama), exécuteur testamentaire de la succession de Murray N. Rothbard, et rédacteur en chef de LewRockwell.com.
I) Totalitarisme
Le totalitarisme désigne un système politique dans lesquel l'État et la société sont considérés comme un tout indissociable.
Le terme de totalitaire commence à être utilisé en 1933 pour qualifier l'Allemagne nazie, et Jacques Maritain parle de "totalitarisme fasciste ou raciste" dans son œuvre Humanisme intégral en 1936.
Le concept d'État totalitaire a été forgé par le théoricien du
fascisme italien, Giovanni Gentile, qui écrivait les textes de Mussolini
ayant un contenu théorique. L'État totalitaire doit prendre le contrôle
de la société toute entière et de tous ses secteurs, jusqu'à faire
disparaître celle-ci, englobée dans l'État, devenu « total ».
Le gouvernement a donc toute légitimité pour faire tout ce qui
concerne les relations sociales, c'est-à-dire en pratique contrôler la
vie des individus, ne leur laissant aucune liberté individuelle et surtout aucune liberté d'expression, ni par conséquent de pensée.
Les régimes totalitaires apparaissent muni d'un « parti unique »
qui contrôle l'État, qui lui-même contrôlerait la société et plus
généralement tous les individus. D'un point de vue totalitaire, cette
vision est erronée : il n'y a qu'un parti parce qu'il n'y a qu'un tout,
qu'un seul pays, vouloir un autre parti c'est déjà de la trahison ou de
la maladie mentale (schizophrénie : se croire plusieurs alors qu'on est
un). Le totalitarisme tel qu'il est ainsi décrit par Hannah Arendt
n'est pas tant un régime politique qu'une dynamique auto-destructive
reposant sur une dissolution des structures sociales et une terreur
permanente. Edgar H. Schein
montre comment le totalitarisme moderne utilise les techniques de
brainwashing [lavage de cerveau]. Ce phénomène a été analysé par Gustave
Le Bon, dans La psychologie des foules et par C.G Jung, dans l'analyse de la conception de la psychologie collective. Plus généralement, le film I comme Icare
montre aussi le degré d’assujettissement des individus à l'autorité ou
au pouvoir, qu'il soit totalitaire ou démocratique, au travers de la
célèbre expérience de Stanley Milgram,
dans le mécanisme de la dilution des responsabilités, lors de prises de
décisions et d'exécutions et dans les processus, la façon, dont les
ordres sont appliqués, avec, à chaque fois, une radicalisation de ces
ordres, devenant de plus en plus brutaux.
L'identité sociale des individus laisse place au sentiment
d'appartenance à une masse informe, sans valeur aux yeux du pouvoir, ni
même à ses propres yeux. La dévotion au chef et à la nation devient le
seul moyen d'exister d'une existence qui déborde au-delà de la forme
individuelle pour un résultat allant du fanatisme psychotique à la
neurasthénie.
Les sociétés totalitaires se distinguent par la promesse d'un « paradis »,
la « fin de l'histoire » ou la « pureté de la race », ou la « pureté de
la classe sociale » par exemple, et fédèrent la masse contre un
« ennemi objectif ». À un moment donné, ces totalitarismes s'allient
entre eux, montrant leur opposition commune aux notions de Liberté, de Démocratie parlementaire et de Propriété privée, comme ce fut le cas pour le Pacte Germano-Soviétique établi le 23 août 1939[1].
Celui-ci est autant extérieur qu'intérieur et sera susceptible de
changer. Les sociétés totalitaires créent un mouvement perpétuel et
paranoïaque de surveillance, de délation et de retournement. Les polices
et les unités spéciales se multiplient et se concurrencent dans la plus
grande confusion. Des purges régulières ordonnées par le chef de
l'État, seul point fixe, donnent le tempo d'une société qui élimine par
millions sa propre population, se nourrissant en quelque sorte de sa
propre chair. Ce programme est appliqué jusqu'à l'absurde, les trains de
déportés vers les camps de l'Allemagne nazie restèrent toujours
prioritaires sur les trains de ravitaillement du front alors même que
l'armée allemande perdait la guerre.
Le terme est souvent utilisé à tort pour désigner des régimes
autoritaires de droite ou de gauche, ce qui est en toute rigueur
impropre. Par exemple, on considère généralement que l'URSS déstalinisée ou les dictatures militaires d'Amérique du Sud
n'étaient pas totalitaires car, bien que généralement impitoyables, en
pratique elles ne cherchaient pas à contrôler toutes les facettes de
l'activité humaine et n'entretenait pas cette dynamique de pouvoir
autodestructive. Elles pouvaient s'accommoder d'une dissidence
intellectuelle tant que leur pouvoir restait solide. Le régime
totalitaire se caractérise par des moyens de terreur violents ou sophistiqués, un système de contrôle de la pensée et de flicage des citoyens, une société civile interdite et l'isolement de chaque individu.
Caractéristiques
Le totalitarisme repose essentiellement sur les cinq principes suivants :
- constructivisme : volonté de construire un certain type de société ; « les connaissances et les croyances des hommes doivent servir d'instrument pour la réalisation d'un but unique » (Hayek) ;
- collectivisme : le collectif (nation, peuple, prolétariat...) est une entité supérieure à l'individu ; le totalitarisme repose sur « une conception d'ensemble du tout » (Hayek) ;
- esprit monopoleur (protection contre l'étranger, l'ennemi interne ou externe désigné, etc.) ;
- une idéologie, soit sociale, soit politique, soit religieuse, soit pseudo-mystique (dans le cas du communisme, c'est la conception de la lutte des classes, dans le cas du nazisme, c'est la conception de la supériorité d'une race) ;
- l'utilisation de motvirus, afin de conditionner les esprits et de les sidérer.
Lorsqu'une société admet l'un ou les deux ou les trois ou les quatre
ou la totalité de ces principes, alors elle devient pré-totalitaire ou
totalitaire à part entière, irrévocablement. En revanche, lorsqu'une
société ne souhaite plus ces principes, elle peut devenir libérale.
Une des caractéristiques du totalitarisme est une volonté
politique de "régner en maître à l'intérieur des consciences" (comme
l'écrivait Jean-François Revel), ce qui se traduit par un éventail de procédés qui vont du terrorisme intellectuel, jusqu'à l'autocritique
obligatoire pour les adeptes de l'idéologie, la méfiance et la
surveillance mutuelle et la répression violente de la dissidence.
On peut remarquer que la social-démocratie présente tous les symptômes du totalitarisme, par exemple à partir d'un emploi outrancier du motvirus "solidarité" et l'utilisation du terrorisme intellectuel par les milieux dits "progressistes".
« Le libéralisme est une idéologie totalitaire tout comme le communisme »
Ce point de vue à l'emporte-pièce, asséné par certains antilibéraux, est aisément réfutable. Le libéralisme ne répond pas aux caractéristiques du totalitarisme énoncées plus haut :
- constructivisme : le libéralisme n'a pas la volonté de construire un certain type de société : il laisse chaque individu ou groupe d'individus décider de la façon dont il veut vivre dans la société, le seul impératif étant la non-agression et le consentement des personnes (ce refus libéral du constructivisme est fréquemment critiqué par les constructivistes comme "refus d'une vision commune", "atomisme social", etc.) ;
- collectivisme : il n'y a pas d'entité supérieure par sa nature à l'individu (nation, peuple, prolétariat, "générations futures", …) ; toute entité collective ne tire sa légitimité que du consentement des personnes qui la composent ;
- refus de tout monopole (l'exception souvent admise pouvant être le monopole des fonctions régaliennes de l'État) ;
- toute idéologie est tolérée dans le cadre d'une liberté d'expression absolue, ce qui n'est pas admis est la mise en pratique d'une idéologie donnée quand elle procède de la coercition et de la violence pour attaquer les personnes dans leur liberté et leur propriété (c'est en réalité ce que fait constamment la politique).
Une variante de cette affirmation est que ce n'est pas le libéralisme qui serait une idéologie totalitaire, mais l'ultralibéralisme. Or cet "ultralibéralisme" n'est qu'un fantasme antilibéral, à moins de désigner par là le capitalisme de connivence, qui est un produit de l'étatisme et non du libéralisme.
Une critique usuelle consiste également à voir le libéralisme
comme une « dictature des marchés », une religion dont les adeptes
croiraient au Dieu-marché :
- Les détracteurs du libéralisme prétendent que la sphère économique irait jusqu’à absorber l’intégralité de la société civile. Là encore, l’argument est paradoxal puisque le libéralisme, en tant qu’individualisme, signifie l’exact contraire du totalitarisme, en tant que holisme – lequel valorise la totalité sociale et méprise l’individu. Alors que le totalitarisme se définit comme le primat de la totalité sur l’individu, le libéralisme pose des limites au Pouvoir.[2]
Points de vue libéraux
Pour Hayek,
le totalitarisme n'est pas un accident historique qui proviendrait
uniquement de mauvais choix politiques. C'est la conséquence logique de
l’ordre institutionnel imposé par la planification socialiste.
Pour Philippe Nemo, la Première République française (proclamée par la Convention nationale en 1792) est le premier régime totalitaire connu[3].
Les libéraux soulignent souvent que la démocratie elle-même, minée par la démagogie et l'extension indéfinie des pouvoirs et de l'interventionnisme de l'État, devient une démocratie totalitaire :
- Qu'il se pare des vertus démocratiques ou qu'il apparaisse dans sa force brute, l’État poursuit inexorablement sa croissance, il devient nécessairement, logiquement, totalitaire. Il est bien, en ce sens, le Léviathan qui dévore les êtres ; et il y arrive même avec leur assentiment. (Pascal Salin, préface à L’État, la logique du pouvoir politique d'Anthony de Jasay)
Totalitarisme et maladie mentale
Dans Le fou et le prolétaire (1979), le sociologue Emmanuel
Todd avance la thèse selon laquelle la tentation totalitaire serait
l'expression d'une maladie mentale frappant une partie de la société.
L'adhésion au totalitarisme présente une parenté psychique très proche
de la psychose, et notamment de la schizophrénie. Cette folie se reflète
au plus haut niveau : "Les États deviennent fous parce que les hommes
qui les constituent, les dominent ou les construisent, sont largement
psychotiques."
Cette thèse pourrait être confirmée par le traitement des
dissidents dans les régimes totalitaires, que l'on interne précisément
pour maladie mentale, tant il est vrai qu'on projette aisément sur autrui ses propres turpitudes.
Certains historiens, comme Jacob Talmon, soulignent les tendances paranoïaques de Rousseau, "théoricien de la
démocratie totalitaire", ainsi que de Robespierre, Saint-Just ou Babeuf.
J) Démocratie totalitaire
La "démocratie totalitaire" est un type de démocratie par laquelle un pouvoir instaure une société totalitaire.
Ce type de démocratie peut résulter des conceptions absolutistes de Hobbes autant que de Rousseau, mises en œuvre au XXe siècle par les idéologies collectivistes (communisme, nazisme) et à un certain degré par la social-démocratie.
Le terme de "démocratie totalitaire" est utilisé pour la première fois par Bertrand de Jouvenel, c'est le titre du chapitre XIV de son livre Du Pouvoir (1945). Il rappelle que « le
Pouvoir est commandement, et tous ne peuvent commander. La souveraineté
du peuple n'est donc qu'une fiction et c'est une fiction qui ne peut
être à la longue que destructrice des libertés individuelles. »
Jouvenel indique que « la compétition des partis « machinisés » aboutit à la dictature d'un parti, c'est-à-dire d'une équipe »,
succédant à une équipe précédente qui, par sa propre vision totalitaire
de la démocratie, laisse à celle qui lui succède un État très étendu.
La dictature est bien pire que dans les monarchies d'autrefois, car le pouvoir « démocratique » y est bien plus absolu :
« Un homme, une équipe, disposent de ressources immenses accumulées dans l'arsenal du Pouvoir. Qui les entassa successivement, sinon ces autres qui ne trouvaient jamais l’État assez développé lorsqu'ils en étaient les occupants ? Il n'existe dans la Société aucune contre-force capable d'arrêter le Pouvoir. Qui donc les a détruits, ces corps puissants sur lesquels les monarques de jadis n'osaient point porter la main ? »
— Bertrand de Jouvenel, Du Pouvoir, XIV
L'historien Jacob Talmon (Les origines de la démocratie totalitaire, 1952) utilise également le terme de « démocratie totalitaire » (on lui en attribue parfois la paternité, par erreur). Il en voit les prémices dans la conception rousseauiste de la démocratie, puis les développements dans la Révolution française, le jacobinisme et la Terreur.
La nature de la "volonté générale" rousseauiste aboutit à un
assujettissement très étendu de la volonté de chacun. Selon Talmon, la
démocratie totalitaire considère que la liberté ne peut être réalisée
qu'à long terme, et seulement par un effort collectif, alors que pour le
libéralisme la liberté est individuelle et immédiatement possible.
Exemples historiques
L'Histoire du XXe siècle fournit plusieurs exemples de démocraties totalitaires :
- le nazisme a occupé le pouvoir à partir de 1933 en Allemagne en respectant strictement le processus démocratique (voir aussi : Erreur fréquente : le nazisme est antidémocratique) ;
- le Régime de Vichy a été instauré après le vote du 10 juillet 1940 qui attribue les pleins pouvoirs constituants au maréchal Philippe Pétain, président du Conseil ;
- les « démocraties populaires » exerçaient un pouvoir totalitaire tout en s'affirmant démocratiques, car la prise du pouvoir par la révolution violente était censée être l’œuvre du prolétariat, majorité de la population ; pour Marx, l’exercice du pouvoir politique par la classe ouvrière dans son ensemble (le prolétariat) — la majorité dans la société capitaliste — est le signe d'une « démocratie politique complète » ; pour Lénine, la dictature du prolétariat est « démocratie pour l'immense majorité du peuple et répression par la force, c'est-à-dire exclusion de la démocratie pour les exploiteurs, les oppresseurs du peuple » (L'État et la Révolution) ; le léninisme considère que les soviets représentent la volonté démocratique de la classe ouvrière et incarnent la dictature du prolétariat ; ainsi, il n'y a rien d'étonnant à ce que les différentes constitutions soviétiques ne contiennent aucune disposition garantissant les droits inaliénables du citoyen, puisque le prolétaire est censé avoir été libéré par la révolution ;
- en France, la sécurité sociale a été instaurée de façon autoritaire en octobre 1945 sous l’influence du Parti communiste et des syndicats, pour remplacer les assurances sociales privées qui existaient auparavant ; étendue progressivement à presque toute la population, elle n’a jamais été confirmée par le suffrage universel[1]. On pourrait donc la taxer d'être encore moins démocratique que le nazisme !
- pour les libertariens, les États-Unis sont emportés, depuis les débuts du XXe siècle, dans une dérive interventionniste et belliciste qui en fait une démocratie totalitaire bien éloignée du modèle des Pères fondateurs. Il en est de même pour la plupart des démocraties occidentales, où le pouvoir met en œuvre un fascisme contemporain.
Démocratie totalitaire et libéralisme
Le fait qu'il y ait des élections dans une démocratie ne change rien à
la nature liberticide que peut avoir le pouvoir. Les libéraux
considèrent généralement que presque toutes les démocraties actuelles
sont de nature totalitaire ; elles restent "démocratiques" en raison du
droit de vote qui existe toujours, mais le pouvoir s'attaque
continuellement aux libertés et à la propriété :
- fortes restrictions de la liberté d'expression
- propagande étatique qui tient lieu d'information
- collusion des médias et des grandes entreprises avec le pouvoir en place (capitalisme de connivence)
- faux droits accordés aux communautés ou aux groupes de pression les plus remuants
- fiscalité de plus en plus écrasante, corrélativement à une forte dette publique
- immixtion de plus en plus forte de l’État dans la sphère privée, etc.
Friedrich Hayek rappelle à ce propos la prééminence libérale du droit sur le pouvoir (et donc sur la démocratie) :
« Il semble que partout où les institutions démocratiques ont cessé d'être contenues par la tradition de suprématie du droit, elles aient conduit non seulement à la « démocratie totalitaire » mais, au bout d'un temps, à une « dictature plébiscitaire ». Cela devrait nous faire assurément comprendre que ce qui est précieux à posséder n'est pas un certain assemblage d'institutions certes faciles à imiter, mais quelques traditions moins tangibles ; et que la dégénérescence de ces institutions peut même être inévitable, partout où la logique intrinsèque de la machinerie n'est pas bloquée à temps par la prépondérance des conceptions que l'on se fait en général de la justice. Ne peut-on penser qu'en vérité, comme il a été bien dit, croire en la démocratie implique que l'on croie d'abord à des choses plus hautes que la démocratie. »
— Friedrich Hayek, Droit, législation et liberté
Alexis de Tocqueville parlait déjà de « despotisme démocratique », une « forme particulière de la tyrannie » :
« Plus de hiérarchie dans la société, plus de classes marquées, plus de rangs fixes ; un peuple composé d'individus presque semblables et entièrement égaux, cette masse confuse reconnue pour le seul souverain légitime, mais soigneusement privée de toutes les facultés qui pourraient lui permettre de diriger et même de surveiller elle-même son gouvernement. Au-dessus d'elle, un mandataire unique, chargé de tout faire en son nom sans la consulter. Pour contrôler celui-ci, une raison publique sans organes ; pour l'arrêter, des révolutions et non des lois : en droit, un agent subordonné ; en fait, un maître. »
— Alexis de Tocqueville, L'ancien Régime et la Révolution
De même, Benjamin Constant rappelle le principe libéral de pouvoir limité :
« L'erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l'histoire un petit nombre d'hommes, ou même un seul, en possession d'un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; mais leur courroux s'est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n'ont songé qu'à le déplacer. »
L'exemple des démocraties totalitaires montre que la démocratie ne peut être une fin en soi :
« À présenter la démocratie comme le rivage à atteindre, plutôt que la liberté elle-même, nos sociétés risquent de perdre l'une et l‘autre. Par suffrage universel et élections sans trucages, les bien-pensants sous-entendent un régime plus ou moins libéral, certes, mais à ne pas le revendiquer ouvertement, ils abandonnent le champ aux adversaires de la liberté, aux intégristes religieux, aux nostalgiques de la manière forte et des milices musclées, qu'une foucade de l'électorat peut mener demain au pouvoir. Comment ces démocrates honteux de leur libéralisme pourraient-ils alors protester ? »
— Christian Michel, La Démocratie ne Protège pas la Liberté, Libres ! 100 idées, 100 auteurs
Citations
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« Un sophisme fondamental de notre époque est que la démocratie serait le sésame universel vers la paix, la liberté et la prospérité. […] Mais la démocratie en elle-même ne définit ni ne garantit une société libre. »
— Richard Ebeling
-
« La France est bel et bien devenue ce qu'il convient d'appeler une démocratie totalitaire, c'est-à-dire un pays où l'on peut encore voter, mais où n'existe plus aucune liberté. »
— Claude Reichman
-
« Il convient de n'accepter la règle de la majorité comme principe fondateur d'un état démocratique que dans la mesure où elle est assortie d'un strict respect des droits naturels de l'homme, auxquels elle n'est pas autorisée à porter atteinte. »
— Claude Reichman
-
« Les gens oublient souvent que les nazis étaient des socialistes. En Union soviétique c’étaient des internationaux-socialistes, en Allemagne c’étaient des nationaux-socialistes. Ce sont deux branches du socialisme. C’est la même chose, avec seulement une légère différence d’interprétation. »
— Vladimir Boukovski
-
« La simple observation montre effectivement qu'il n'y a pas de relation « automatique » entre démocratie et liberté. Ainsi, la démocratie peut être tyrannique et une monarchie constitutionnelle peut respecter la liberté individuelle, ce qui signifie bien qu'il n'est pas suffisant de se préoccuper de la forme du gouvernement pour obtenir une organisation souhaitable de la société. »
— Pascal Salin, Libéralisme (2000)
-
« Qu'il se pare des vertus démocratiques ou qu'il apparaisse dans sa force brute, l’État poursuit inexorablement sa croissance, il devient nécessairement, logiquement, totalitaire. Il est bien, en ce sens, le Léviathan qui dévore les êtres ; et il y arrive même avec leur assentiment. »
— Pascal Salin, préface à L’État, la logique du pouvoir politique d'Anthony de Jasay
-
« Ce n'est pas parce que vous êtes nombreux à avoir tort que vous avez raison. »
— Bernard Werber
-
« Les signes ne manquent pas, toutefois, que la démocratie illimitée court à sa chute et qu’elle s’effondrera, non à grand bruit mais à bout de souffle... Tôt ou tard, les gens découvriront que non seulement ils sont à la merci de nouvelles castes privilégiées mais que la machinerie para gouvernementale, excroissance nécessaire de l’État tutélaire, est en train de créer une impasse en empêchant la société d’effectuer les adaptations qui, dans un monde mouvant, sont indispensables pour maintenir le niveau de vie atteint, sans parler d’en atteindre un plus élevé. »
— Friedrich Hayek
-
« J'apprends que le gouvernement estime que le peuple a « trahi la confiance du régime » et « devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités ». Dans ce cas, ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en élire un autre ? »
— Bertolt Brecht, La Solution
-
« La dictature parfaite aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader. Un système d'esclavage où grâce à la consommation et au divertissement les esclaves auraient l'amour de leur servitude. »
— Aldous Huxley
« La démocratie n'est qu'un processus, si on
l'érige en une fin en soi elle devient un instrument redoutable de
tyrannie des masses et de collectivisme populiste. »
— Murray Rothbard, Conservatism and Freedom: A Libertarian Comment[2]
— Murray Rothbard, Conservatism and Freedom: A Libertarian Comment[2]
K) STATOLATRIE ou Le Communisme Légal (1848)
CHAPITRE I
Où est le communisme et d’où il vient
Où est le communisme et d’où il vient
Aux armes! Le communisme est là ! voilà ce qu’on dit partout en frémissant,
et partout on a raison de le dire et de frémir. Le communisme, en effet,
c'est la déchéance totale de l'homme au moral et au physique. L'individu
humain, dans ce système, n'est même plus une machine, un automate complet
: c'est un imperceptible rouage du vaste mécanisme de l'Etat.
Le communisme est partout. Il est en France, encore plus ailleurs. Apres
avoir essayé de nous prendre en queue par Berne, ce qui ne pouvait le faire
triompher qu'à Fribourg et dans le Valais, il manoeuvre maintenant sur notre
front. S'il gagne la bataille, il montera à l'une des tours de Saint-Sulpice
pour dire à l'Europe : La capitale est prise, rends-toi!
- Mais il a été battu.
- Vous le croyez? Je pense, au contraire, que cette défaite a sauvé
le communisme. Il n'a perdu que ceux qui allaient le perdre par une application
violente et prématurée. Battu dans la rue, où il n'aurait triomphé que pour
sa perte, il rentre dans son fort, je veux dire dans les assemblées législatives,
où ses ennemis vont consolider son trône en croyant sceller son tombeau.
Ce qu'on lui refuserait sous la blouse de l’ouvrier en armes, il l'obtiendra
probablement sous le manteau de la légalité.
Que le communisme soit sage; que, tout en conservant et propageant ses principes,
il abjure son nom justement abhorré; qu'il se couvre du nom adoré d'Etat,
et que, exploitant les craintes qu'il inspire, il sollicite, au nom de l’Etat
menacé par le communisme, le sacrifice des restes de libertés que les vaincus
voulaient abolir à coups de baïonnettes, il y a beaucoup à parier qu'il réussira.
On se précipitera dans le communisme au cri: A bas le communisme!
Et croyez qu'il reste bien peu a faire. Que faut-il pour que l'Europe accomplisse
cette dernière évolution (ce ne serait pas une révolution)? Moins de
temps peut-être qu'il ne m'en faudra pour achever et publier cet opuscule,
que j'expose à périr, comme deux de ses aines, aux milieu des barricades.
- Mais ne voyez vous pas que le communisme est impossible? C'est le
rêve de quelques fous.
- Oui, je vois ce que vous voyez; personne ne veut du communisme, pas même
ceux qui le prêchent, sauf quelques dupes. Mais je vois ce que vous ne voyez
pas, faute d'attention; tout le monde, à peu d'exceptions près, a travaillé
jusqu'ici, travaille encore au triomphe du communisme.
On disait aussi, il y a quelques mois : En France, la République?
impossible! C'est le rêve d'une imperceptible minorité. Ce serait une
affreuse anarchie.
Cela n'était pas dit, que la République était saluée par des vivats unanimes;
l'anarchie avait beau souffler, le feu ne prenait pas. Pourquoi ? L'oeil
de la nation, éminemment juste quand il veut voir, vit que le soi-disant
impossible était seule possible, qu'elle n'était plus à faire, mais bel et
bien faite, adulte, capable de tuer la France si la France faisait mine de
la tuer. Le nom n'allait guère à la plupart, mai il allait si bien à la chose
qu'ils voulaient ou acceptaient tous, qu'il n'y eut qu'une voix : République!
Sauriez-vous me dire qui avait fait du mot République un épouvantail?
Le parti républicain. Et qui avait fait de la République une nécessité?
Son ennemie la plus ardente, la monarchie bourgeoise aidée de la bourgeoisie
monarchique.
Eh bien, je le dis avec conviction : si on ne vire de bord sur-le-champ,
l'Europe se brise au communisme, tant la manoeuvre générale y porte! Peut-être
y serions nous déjà, n'était l'impatience des communistes a vouloir saisir
le timon.
- Vous êtes un alarmiste. Un visionnaire.
- Nullement : un alarmiste prêche, crie, tonne, foudroie, s'irrite de ce
qu' on ne partage pas sa frayeur. Un visionnaire parle au nom du ciel, annonce
des événements surnaturels. Je ne fais rien de semblable.
Appuyé sur les données historiques les moins contestables, voici ce que
je dis aux amis de l'ordre et à ce qu'on est convenu d'appeler le parti conservateur:
Le communisme ou le socialisme (au fond, c'est tout un) n'est nullement
ce que vous croyez peut-être, le rêve de quelques clubistes forcenés. C'est
en réalité le fond de notre droit public; c'est l'application logique à l'ordre
social des principes religieux, philosophiques, politiques, a peu près généralement
acceptés, prônés et glorifiés par tous les gouvernements de l'Europe depuis
trois siècles. La politique du juste-milieu, dont la récente défaite excite
encore une si niaise surprise et tant de regrets irréfléchis, ne fut que
la persévérante réalisation, au profit de la coterie gouvernante, des principes
du socialisme.
Quel est, en effet, le symbole politique de nos hommes d'Etat modernes?
Il est tout dans ces deux mots: Omnipotence de l’État ! Et
voici le sens de cet article de la foi constitutionnelle :
L'État ou la nation étant la source première de toute souveraineté, de tout
pouvoir, if en résulte que la raison publique ou la volonté nationale est
la règle suprême des droits et des devoirs, du juste et de l'injuste.
Mais à qui appartient-il de formuler la volonté de la nation et de la transformer
en loi? A la majorité des citoyens admis par la loi fondamentale a
exercer par eux ou par leurs mandataires le pouvoir souverain. A cette majorité
et aux hommes de son choix, le privilège d'imposer leur 'volonté à la nation.
Aux citoyens amis de l'ordre, l'obligation de soumettre à l'action souveraine
et à la surveillance des gens de l'État leurs libertés religieuses et civiles,
l'éducation de leurs enfants, leurs droits et leurs intérêts les plus chers.
Par là, ils seront de bons citoyens, de dociles atomes se mouvant dans le
sens de l'État. Mais, s'ils s'écartent de ces principes, s'ils prétendent
être à eux-mêmes, faire leurs propres affaires, s'associer en quoi que ce
soit et pour quoi que ce soit, sans que l'État tienne la chaîne et se fasse
payer pour la plomber, oh ! alors ils constituent des sociétés dans
la société, des États dans l'État; ils attentent à l'unité politique, principe
de toute puissance, de toute vie nationale: il y a anarchie, chaos, danger
imminent de mort pour l'État; et l'État, ce grand tout de la politique moderne
une fois mort, qui ne voit pour la pauvre espèce humaine l'impuissance absolue
de vivre.
Tel est bien le résumé fidèle des doctrines soi-disant libérales des plus
chauds défenseurs de la politique conservatrice. Que ces doctrines fussent
nettement formulées dans leur esprit et qu'ils en pressentissent les désastreuses
conséquences, je ne le pense pas. Hommes d'action et de mouvement, et dénués
de ces convictions politiques dont ils faisaient parade à la tribune, ils
abandonnaient volontiers la direction des plus hautes affaires aux chances
du hasard, aux aveugles inspirations des coteries parlementaires, à l'entraînement
de la routine, à ce qu'ils appelaient la puissance irrésistible des faits
accomplis et des idées dominantes.
Ainsi, parmi tant de discoureurs infatigables, qui jamais songea à se poser
ces questions si naturelles:
- Qu'est-ce donc que cet État dont les droits magiques et toujours indiscutés
écrasent les contribuables sous le poids des charges et confisquent rapidement
l'exercice de toutes les libertés publiques et privées?
- Sur quoi repose le culte de l'État, divinité abstraite, aussi insaisissable
dans son essence qu'insatiable dans ses appétits?
- Cette volonté nationale,
qui se traduit en lois brutalement illibérales et rapaces pour pénétrer jusque
dans le for inviolable de la conscience et ravir aux citoyens leurs droits
les plus sacrés avec leur dernier écu, qu'est-elle, en dernière analyse,
sinon le bon plaisir d'un ministre ou d'un chef de bureau, dont tout le talent
consiste à transformer en affaires d'argent et matière à emplois les questions
les plus vitales, les éléments de la vie religieuse et morale d'un peuple?
Non; jamais questions si audacieuses ne s'offrirent à l'esprit des bénéficiers
de l'État: au nom sacré du maître, ils se découvraient, s'inclinaient et
votaient avec un imperturbable amour, sachant que l'État se montrait aussi
tendre à l'endroit de ses élus qu'impitoyable envers ses damnés. Mêmes procédés
de la part des membres de l'opposition, lesquels, en qualité d'héritiers
présomptifs du pouvoir, se gardaient d'en contester les merveilleuses prérogatives.
Aussi longtemps que les pontifes de l'État se bornèrent à faire main-basse
sur les libertés de la pensée, de la parole, de la religion, de l'instruction,
de la famille, des communes, des provinces, toutes choses qui importaient
peu en soi et qui rapportaient beaucoup aux feudataires de l'État, la majorité
et l'opposition conservatrices unirent leurs efforts pour défendre les plus
odieux monopoles et favoriser les effroyables envahissements de l'action
gouvernementale.
On se rappelle arec quelle expression de mépris elles accueillaient les
prétentions soi-disant gothiques des défenseurs de la liberté religieuse,
qui osaient invoquer un droit antérieur et supérieur aux droits de l'État.
Mais aujourd'hui que les organes du socialisme populaire, appuyé sur l'omnipotence
de l'État, dissent à la classe opulente: Vous avez enlevé à la circulation
publique des terres, des capitaux et certains êtres vivants trop séquestrés
pour être utiles. Au nom de l'État, qui en a besoin, remettez tout cela au
grand air fécondant de la rue, sinon! Il n'y a qu'un cri d'horreur
contre ces prétentions sauvages.
Que ces prétentions soient en effet sauvages et mènent droit à la barbarie,
nul doute. Mais, messieurs les conservateurs, ne serait-il pas temps de reconnaître
que ces prétentions, au lieu d'être des excentricités doctrinales, ne sont
en réalité qu'une déduction rigoureuse de vos principes et le digne couronnement
de vos œuvres ?
Et si vous vous flattiez encore d'échapper aux conséquences du droit socialiste,
sans lui opposer son unique antidote, les principes du droit social chrétien,
votre illusion serait aussi courte que fatale.
Ce droit chrétien, vous l'avez longtemps laissé conspuer à l'ignorance et
à la mauvaise foi, sous le nom de droit divin. Apprenez donc à le connaître,
car il n’y a de salut que par lui.
CHAPITRE V
Nécessité de disséminer le pouvoir. Inconvénients de sa concentration dans une classe.
Origine du régime constitutionnel.
Nécessité de disséminer le pouvoir. Inconvénients de sa concentration dans une classe.
Origine du régime constitutionnel.
Écoutez bien ceci, peuples qui entrez dans la voie des libertés politiques !
Quand, par ses abus, la monarchie pure vous oblige à diviser la trame du
pouvoir, laissez-en assez dans la main du monarque pour qu'il ne soit pas
un fantôme, et effilochez si bien le reste, qu'il en arrive un fil à chaque
citoyen sans distinction de rang; faute de quoi vous ne feriez que substituer
au despotisme héréditaire, le despotisme le plus inhumain, le plus dévorant,
celui qui voyage de main en main dans le cercle d'une classe.
La position élevée et indépendante d'un monarque, des antécédents de famille
féconds en leçons salutaires, la responsabilité inévitable de ses actes au
tribunal de l'opinion publique et de l'histoire; enfin, indépendamment des
motifs religieux, l'avenir et l'intérêt évident de sa famille, tout, s'il
a reçu du ciel une âme et qu'elle ne se soit pas éteinte dans la mollesse,
tout lui fait un devoir de se montrer juste, impartial, soigneux des intérêts
généraux et de l'honneur de la nation.
Mais le gouvernement aux mains d'une classe, c'est l'avènement successif
et rapide au pouvoir d'individus sans précédents ni avenir qui les dirigent
et qui les lient. Ils arrivent là, quelques-uns avec des théories ballonnées
qui crèvent au contact des affaires; la plupart avec les prétentions et les
idées étroites, exclusives, de la coterie qui les envoie; tous avec un fonds
d'égoïsme, qui ne sort du moi que pour aller au nous, qui
ne voit de nation que dans la classe gouvernante, et traite tout ce qui est
au-dessus et au-dessous en contribuables taillables à volonté. Comme ces
rois impromptu ne comptent pas sur le lendemain, et que leur responsabilité
n'est qu'une fiction, ils saccagent le présent avec une cupide et sauvage
imprévoyance.
Vous qui, par le nombre et par votre moralité, formez la majorité réelle
et la partie la plus saine de la nation, petits propriétaires et bourgeois
des villes et des campagnes, artisans et travailleurs honnêtes, vous seriez
sans doute les plus propres à donner au gouvernement ses conditions essentielles:
simplicité dans la forme, libertés larges, économie sévère. Mais il faudrait
pour cela ne prendre conseil que de votre bon sens, de votre droiture, et
vous tenir en garde contre les manoeuvres des fripons qui, après vous avoir
enivrés de mensonges et de flatteries, vous font faire d'étranges calculs.
Aux approches des élections, ces gens-là, trop décriés dans leur classe
pour y exercer quelque influence, s'abattent sur les bourgs et les campagnes.
Vous êtes la majorité, disent-ils, le gouvernement vous appartient de droit:
la noblesse et la bourgeoisie vous exploitent; nous sommes, nous, les amis
du petit peuple; donnez-nous votre suffrage! Si vous les écoutez, ils
se serviront de votre mandat pour démolir à leur profit royauté, noblesse,
bourgeoisie, et vous n'aurez fait qu'élever au-dessus de vous un peuple de
voleurs.
Ce n'est qu'en vous appuyant à ce qu'il y a de plus honnête dans la haute
et moyen bourgeoisie que vous échapperez aux exploitations de la vermine
bourgeoise. Mais il ne faut pas abdiquer et dire: Travailler est l'affaire
du people! gouverner, l'affaire des messieurs! Car le gouvernement
seul des messieurs, c’est le despotisme très-poli dans la forme, très-brutal
dans le fond.
Il y a sans doute de grandes lumières et des grandes vertus dans ce qu'on
appelle le juste-milieu; mais c’est au suffrage populaire à les chercher
et à les produire au grand jour. Abandonnez le pouvoir à cette classe, vous
verrez que les grandes lumières et les grandes vertus arriveront trop tard
à la curée. Elles sont naturellement casanières, amies du lieu où elles naissent
et grandissent, du cabinet et de la famille.
Le sceptre écherra donc à la tourbe des oisifs, des ambitieux, des déserteurs du foyer domestique, de quiconque se lève matin pour échapper aux sommations de la justice, aux visites des créanciers, et a besoin des affaires publiques pour relever ses propres affaires.
Le sceptre écherra donc à la tourbe des oisifs, des ambitieux, des déserteurs du foyer domestique, de quiconque se lève matin pour échapper aux sommations de la justice, aux visites des créanciers, et a besoin des affaires publiques pour relever ses propres affaires.
Une fois au timon, ces messieurs savent s'entourer d'une nombreuse clientèle
et conquérir tout ce qu’ils ont perdu et ce qu'ils n'ont peut-être jamais
possédé, crédit, fortune, confiance, même l’honneur. La vérité, entravant
aussi peu leur langue que la morale, arrête leur main, ils se rendront important
par leur intarissable faconde à la tribune et par leur rouerie dans les affaires.
Comparé à ces aigles, l'homme de vertu et de savoir ne sera qu'un niais,
un incapable.
Si vous leur confiez jamais la mission de bâtir une constitution, un plan
de gouvernement, soyez certains que vous aurez une oeuvre digne de leur esprit
théoriste, tortueux, formaliste, avocassier, grugeur, mercantile, tracassier,
souverainement faux et despotique.
Et n'allez pas croire qu'ils vous donnent cela gratis. Pas un article qui
ne vous arrache une liberté en compagnie de quelques millions. Aussi économes
que libéraux, ils résoudront admirablement le problème: Trouver le moyen
d’obliger un peuple à payer le plus cher possible la perte de toutes ses
libertés.
Bref, c'est à cette classe que l’on doit l'introduction et le succès momentané
du régime soi-disant représentatif, connu sous le nom de royauté constitutionnelle.
Je ne perdrai pas le temps à raisonner avec les béats qui répéteront jusqu'au
tombeau: Cette forme de gouvernement nous vient de l'Angleterre, terre classique
de toutes les libertés!
- Je crois connaître assez, leur dirai-je, les institutions politiques de
l'Angleterre et son histoire pour vous affirmer ceci: Nos génies constituants
n'ont fait que détacher de l'arbre des libertés anglaises trois ou quatre
rameaux qu'ils ont plantés dans du papier et arrosés avec de l'encre. Quant
à l'arbre, resté là où il avait ses racines, autant il promettait une abondante
moisson de libertés et de franchises à l'Angleterre, alors que monarque,
aristocratie, bourgeoisie et petit peuple le cultivaient en commun, au soleil
de la charité catholique, autant il a protégé de monopoles infâmes depuis
que, grâce aux orgies de la royauté antipape, il est devenu propriété d'une
oligarchie aristocratico-bourgeoise.
Beau spectacle de liberté, en effet, que celui de quelques milliers de grands
seigneurs, de gros propriétaires, industriels et commerçants, travaillés
du spleen au sein d'un luxe asiatique, et ne sachant que faire de leurs richesses,
tandis que les bras tombent à des milliers de fossoyeurs, ne sachant comment
couvrir de terre les cadavres que la faim leur jette par centaines de mille!
Que le catholicisme tarde trop à s'interposer entre ceux qui ont tout et ceux
qui n'ont rien, vous verrez le chartisme communiste boire le sang en l'honneur
de l'égalité là où le torysme boit l'or depuis des siècles en l'honneur d'une
impitoyable liberté.
Antoine Martinet qualifie le communisme imposé par la loi comme Statolatrie
(le culte de l'État).
En effet, déjà en 1848, il avait bien compris, que "on se précipitera dans le communisme au cri: A bas le communisme!"
En effet, déjà en 1848, il avait bien compris, que "on se précipitera dans le communisme au cri: A bas le communisme!"
Il suffira
que les hommes de tous les partis se battent, comme ils le faisaient, à
faveur de l'État et le résultat final sera "l'Omnipotence de l'État" c'est
à dire le communisme légal, mieux qualifié comme Statolatrie.
Bien sûr cela n'a rien à quoi voir avec le communisme comme égalité et
fraternité et tout avec l'étatisme comme domination et manque de liberté.
L) L'État totalitaire - (1938)
L'idée d'État appartient à l'histoire moderne. Au Moyen Âge on ne
parlait pas d'État, mais de royaumes et de rois, d'empires et
d'empereurs, de seigneurs et de vassaux, de villes et de républiques. Si
on voulait spécifier la nature du pouvoir, on disait pouvoir séculier,
pour le distinguer du pouvoir spirituel ou l'y opposer. Les peuples
étaient nommés nations; les classes, corporations ou guildes; le mode de
vie sociale était appelé communauté ou université. Chaque groupe social
avait sa vie, ses libertés, ses privilèges et ses immunités; l'ensemble
social avait son mouvement comme un monde vivant de monades, dans une
sorte d'harmonie préétablie à la Leibniz, ou, certes, l'harmonie était
préétablie, mais n'était pas toujours effectivement établie. La base
juridique de ce monde médiéval était contractuelle, de caractère privé
et personnel. Même les rapports entre le peuple ou la nation et le roi
ou l'empereur étaient connus comme un contrat ayant pour objet le lien
mutuel de fidélité et de loyauté; le roi était tenu de respecter les
lois communes et les privilèges des particuliers et des groupements; et
ceux-ci devaient fidélité et appui a la personne du roi.
L'idée de l'État considéré comme entité de droit public, placé
au-dessus de la communauté, n'existait pas à cette époque. Il faut
arriver à la Renaissance et passer par la Réforme et la Contre-Réforme
pour que l'idée d'État se dessine et s'impose aux habitudes mentales et
qu'on puisse en tenir compte comme d'une réalité effective.
En Angleterre, ou le sens du concret l'emporte sur les
habitudes de la pensée abstraite et ou, mieux qu' ailleurs, on
entretient les vestiges du passé, on parle beaucoup moins de l'État et
bien plus de la Couronne, du Parlement ou, plus couramment, de la
«Maison des Communes» ou de la «Maison des Seigneurs», de l'Empire et du
«Commonwealth », comme si subsistait encore là un peu de l'âme du Moyen
Age. C'est seulement lorsqu'on parle de «Church and State» que le mot
«État» revient couramment; mais l'expression de «Church and State» est
tout à fait moderne; au Moyen Age on parlait plutôt de royaume et
sacerdoce, ou de papauté et empire, de pouvoir séculier et pouvoir
spirituel.
Ainsi que tous les mots créés par la carence de ce qu'ils
expriment, le mot «État» prit naissance en Italie pour exprimer l'idée
de «stabilité», au moment précis de la Renaissance ou dans les petites
principautés, duchés et marquisats existants, ou même pseudo-républiques
(à l'exception de Venise), ce qui faisait défaut c'était justement la
stabilité du pouvoir, la certitude des frontières et la sécurité de
l'indépendance. Mais comme on parle de «lucus a non lucendo» [note: cela indique une contradiction étymologique], on parle alors d'«État» en Italie.
Tout était à faire, alors que les vieilles républiques
tombaient, les peuples s'agitaient, les Espagnols et les Français
faisaient la guerre en Lombardie, à Rome, à Naples et en Sicile. L'idée
de pouvoir-force, soit contre l'Église très puissante, soit contre les
voisins jaloux ou les étrangers envahisseurs, soit contre les sujets
rebelles, s'imposa comme le seul moyen susceptible d'assurer la
stabilité aussi bien à l'État qu'à son chef, particulièrement si
celui-ci était un usurpateur, ce qui était fréquent. La personnification
de l'État dans le prince représenta la première manifestation de l'idée
d'État et trouva son théoricien en Machiavel.
Celui-ci inventa, en politique, la « vérité effective» [verità
effettuale], appelée plus tard «raison d'État», de même que, au siècle
dernier, on inventa le mot «realpolitik» ou politique réaliste. La chose
signifiée est identique. La fin cherchée par le dominateur est la règle
à laquelle sont subordonnées les fins particulières des sujets. Les
moyens n'ont pas beaucoup d'importance; mieux s'ils sont honnêtes; s'ils
ne le sont pas, pourvu qu’ils soient utiles, ils ne sont pas à exclure.
La religion est utile pour imposer une contrainte aux peuples; la
morale aussi en vue du bien-être général; mais au-dessus de la morale et
de la religion il y a la politique, entendue au sens d'art de dominer,
de demeurer fort et d'étendre sa puissance. Machiavel ne prend pas
plaisir au crime, mais si le crime donne le succès, Machiavel en admire
les effets.
Hier comme aujourd'hui, beaucoup sont d'accord avec Machiavel,
mais ils se gardent de l'avouer; au contraire, ils prennent soin de
masquer leur attitude immorale sous les voiles, (souvent transparents)
de la fatalité historique, du moindre mal, de l'avantage national et
même de l'utilité religieuse. Machiavel ne déguisa pas sa pensée
derrière ces voiles hypocrites et il érigea en théorie le triomphe de
l’utile, conçu comme exigence prépondérante de l'État.
De Machiavel à Luther, le saut est a peine sensible. Luther
plaça tous les pouvoirs, même ecclésiastiques, dans les mains du prince,
qui demeura ainsi exempt de freins et de contrôles de la part de
l'Église comme de celle du peuple. Machiavel avait subordonné les fins
de la religion aux fins de l'État, personnifié par le prince. Luther fit
davantage: en vertu de la théorie du self arbitre, il détacha la morale
de la foi et il abandonna la morale tout entière et l'organisation
religieuse aux mains de l'autorité séculière. Les princes allemands
furent ravis de réunir tous les pouvoirs dans leurs mains, d'autant plus
que les pouvoirs ecclésiastiques étaient alors très étendus et très
profitables du point de vue fiscal. Tous les princes réformés en firent
autant. Les autres, les princes restés fidèles à Rome, tout en
respectant (jusqu'à un certain point) l'autorité du pape, s'attribuèrent
de telles libertés en matière de droit ecclésiastique et de régime
fiscal qu'en somme ils ne firent que rivaliser avec les princes
dissidents. C'était l'esprit du temps.
L'expérience de presque un siècle de machiavélisme, d’une part,
et de césaro-papisme reformé et même non reformé. d’autre part, fit
naître le besoin de donner à ces tendances un cadre théorique, auquel ne
pouvaient satisfaire ni l'empirisme de Machiavel ni le self arbitre de
Luther.
La théorie de la «souveraineté» fit son apparition systématique avec les Six Livres de La République
de Jean Bodin (1577). Pour lui la souveraineté est «la puissance
absolue et perpétuelle d'une république»; quelque chose qui a une
existence propre et qui donne sa base a l'État. C'est le pouvoir
d'imposer la loi sans en subir les obligations, contrairement a ce qu'on
croyait au Moyen Âge, à savoir que la loi était supérieure à la
puissance et que ses préceptes obligeaient aussi bien les souverains que
les peuples.
Il ne faut pas croire que la doctrine de la souveraineté (qu'on
la nomme ainsi ou autrement) n'ait pas tenté légistes et canonistes du
Moyen Âge et que rois et empereurs, avant Machiavel et Luther, ne se
soient crus au-dessus de la loi. Qu'une théorie se répande et s'adapte
aux conditions historiques et à l'atmosphère du temps, c'est une chose;
mais qu'elle devienne l'interprétation acceptée par la majorité et la
base de la vie sociale, c'en est une autre.
À l'époque moderne, la théorie de la souveraineté se
généralisa, bien que monarcomaques et calvinistes, dominicains et
jésuites, partant de différents points de vue, l'eussent combattue à son
apparition. Mais, dans la seconde moitié du XVII siècle, tout le monde
s'en rapprocha plus ou moins. Revêtue de caractère divin, la
souveraineté devint le droit divin des rois. Bossuet, comme théologien,
en exprime la théorie dans la forme gallicane: les théologiens
protestants et anglicans le soutiennent dans son double absolutisme,
civil et religieux ; Rome s'oppose aux uns et aux autres pour
sauvegarder les droits de l'Église, se faisant ainsi, implicitement,
gardienne des droits du peuple, alors que presque tous les avaient
oubliés.
C'est alors que survint le «jusnaturalisme». Il édifiait la
société sur la nature abstraite, plutôt que sur Dieu. D'ailleurs, une
certaine tendance vers le naturalisme panthéiste existait déjà.
L'absolutisme des rois se laïcisait, pour ainsi dire. Le droit divin,
répudié par la doctrine catholique, ne trouvait pas d'expressions
adéquates dans la culture naturaliste. Le «jusnaturalisme» arriva à
temps pour le transformer. Les hommes qui vivaient à l'Âge présocial,
presque animal, n'étaient pas capables de former une société et de se
donner une loi. Aussi déléguèrent-ils leur souveraineté à un chef (ou
bien celui-ci se la fit déléguer de vive force) d'une façon totale et
irrévocable. De cette manière la souveraineté absolue des monarques est
sauve, bien qu'elle émane de la souveraineté du peuple. C'est Hobbes qui
fait autorité.
Mais l'autre courant «jusnaturaliste», partant de l'idée de la
nature humaine présociale bonne et heureuse, ne découvrait dans cette
cession totale et irrévocable de la souveraineté populaire ni raisons
essentielles, ni avantages politiques. Au contraire il voyait là, de la
part des monarques, une usurpation des droits souverains du peuple qui,
d'après Rousseau, sont inaliénables et indivisibles. Entre les deux, un
courant moyen se forma, celui de la souveraineté absolue du peuple, qui
devait être déléguée à des représentants révocables ou rééligibles par
périodes déterminées.
Ce n'était pas le type de gouvernement qui constituait
l'originalite. Que le pouvoir puisse être dans les mains d'un seul
(monarchie) ou de quelques personnes (oligarchie) ou du peuple
(démocratie), on le savait bien dans l'Antiquité et au Moyen Âge. Ce qui
donnait l'idée exacte de la nouvelle conception politique, c'était
surtout l'«illimitation» du pouvoir: une souveraineté n'ayant d'autres
limites qu'elle-même.
La souveraineté monarchique de droit divin trouvait ses limites
dans le rapport personnel entre le monarque et Dieu; si le monarque, se
croyant presque un dieu, renversait ce rapport, personne ne pouvait
empêcher cette transposition, qui pour lui n'était guère difficile.
La souveraineté de droit naturel devait trouver ses limites
dans la loi naturelle; mais, étant donné que le roi était le seul
interprète de cette loi, le peuple (d'où l'on faisait descendre la
souveraineté en vertu d'un acte unique et irrévocable) ne disposait
d'aucun moyen pour rappeler le souverain à une interprétation moins
arbitraire.
La souveraineté populaire, telle qu'elle était conçue par
Rousseau, n'avait pas de limites en dehors de la volonté collective, qui
faisait loi par elle-même. Que celle-ci se résolût en loi de la
majorité ou en loi des représentants ou délégués, d'après les
différentes formes pratiques adoptées dans l'organisation de la
démocratie, cela n'enlevait rien au caractère absolu d'une souveraineté
sans autres limites que la volonté collective.
Comme dans toute conception de gouvernement fondé sur la souveraineté, «latebat anguis in herba»
[note: citation pris de Virgil : le serpent se cachait dans l’herbe]:
souveraineté de droit divin d'après la conception de Bossuet ou
souveraineté de droit naturel d'après Hobbes ou souveraineté populaire
d'après Rousseau, toutes dans leur «illimitation» supposaient,
favorisaient et consolidaient l'entité extrapersonnelle, objective et
dominatrice: l'État.
En disant cela, nous ne nous attaquons pas à l'idee d'État.
Pour concevoir et exprimer les choses collectives, nous avons besoin de
les transformer en idées formelles et abstraites, quitte à revenir aux
choses concrètes et à les reconnaître, au moyen de ces idées, dans leur
réalité et leur unité effective. Mais, tandis que les idées de
communauté, université, «res publica», royaume maintiennent la
prévalence de l'idée de «société», c'est-à-dire: association de
plusieurs personnes dans un dessein commun (de même, Église, Ecclesia:
assemblée, réunion, ayant à l'origine la signification de société),
l'idée d'État échappe à la conception de société et s'attache plutôt à
la conception, objective, de réalité stable, souveraine et puissante;
c'est pourquoi on parla de souveraineté et même de puissance.
Peu à peu, l'État devint un principe et une fin: l'origine
de tous les droits et la fin de toute l'activité publique. La
raison d'État eut la signification suivante: subordonner tout à la
grandeur de l'État. Les efforts de Botero pour «catholiciser» la
raison d'État ne servirent qu'à projeter de l'ombre sur
le catholicisme; comme si en acceptant la raison d'État catholique,
on avait voulu justifier pour des fins religieuses les moyens politiques,
mondains, utilitaires et, au fond, immoraux, que les souverains catholiques
avaient coutume d'employer.
Tout le monde s'appliqua à concevoir l'État comme une réalité
au-dessus des hommes et la souveraineté comme une volonté supérieure
atteignant les buts de l'État. Lorsque Louis XIV dit: «L'État, c'est moi
», il n'eut pas l'intention de se placer au-dessus de l'État, mais de
résumer en sa personne la somme des intérêts de l'État et de les faire
connaître par sa volonté. C'est pourquoi, avec raison, H. Laski écrivait
dans le Daily Herald, à l'occasion du 450 anniversaire de la naissance de Luther, que, sans Luther, Louis XIV n'aurait pas été possible.
L'idée d'État ne peut pas être la dernière en définitive, elle
évoque encore une autre réalité substantielle qui la complète. Au temps
du droit divin, l'idée de Dieu subsistait derrière l'État et cette idée
impliquait - au moins indirectement - celle de peuple. Le clergé
s'efforçait de mettre en évidence tantôt l'une, tantôt l'autre idée,
mais il n'y parvenait pas toujours, ainsi qu'il arriva au clergé
gallican et joséphiste.
L'Encyclopédie mit derrière l'État les idées de nature
et d'humanité: idées d'ailleurs généreuses, la nature et l'humanité
étant créatures de Dieu. Cependant, détachées de Dieu, ces idées
demeuraient abstraites et dépourvues de toute consistance réelle.
Dans la recherche d'un point de repère, trois idéologies se
développèrent et orientèrent la politique du XIX siècle jusqu'à nos
jours.
La première est celle de Hegel: l'État n'est que la
manifestation de l'Esprit, sa plus parfaite manifestation; l'État est en
lui-même éthique-droit-puissance. Une sorte d'incarnation divine, ou
l'idée de puissance s'identifie avec l'idée de Dieu.
Mais quel était alors, en Allemagne, l'État qui aurait
sérieusement pu se dire «créature de l'esprit absolu du monde et volonté
de puissance»? À l'exception de la Prusse, tous les autres États et
petites principautés pouvaient être tenus comme des manifestations de la
médiocrité de leurs tyranneaux et des intrigues et bavardages de leurs
cours. Il fallut que les guerres napoléoniennes survinssent pour dégager
en Allemagne l'esprit national dont Fichte se fit le philosophe et le
prophète. D'après lui, c'est dans la nation seulement que l'éternel se
manifeste; sa grandeur est une grandeur morale qui aspire au règne de
l'esprit. L'État-nation, en tant que développement de toute la culture
d'un peuple, est pour Fichte l'«autoreprésentation de Dieu».
Avec Fichte nous ne perdons pas la ligne de l'idéologie de
Hegel, mais nous la trouvons transférée de l'État a la nation. Lorsque
Bismarck effectua l'unité germanique, la Belgique avait recouvré sa
personnalité, l'Italie, peu après, avait accompli son unité, les peuples
balkaniques gagnaient peu a peu leur indépendance. Le principe de
nationalité, celui d'indépendance et celui d'unité venaient de donner
ainsi sa base politique a l'idée de nation-puissance-culture, dont
l'État était l'instrument juridico-militaire.
Plus encore que par la voie théorique, la France développa
pratiquement l'idée de nation, en opposition a l'«humanitarisme» de l'Encyclopédie,
par son tiers État ou bourgeoisie, par la conscription militaire et les
guerres napoléoniennes, par la démocratie et les secousses
réactionnaires bonapartistes et cléricales. Elle ne renonça jamais à
l'idée d'État, parce que État et nation coïncidaient; et derrière
l'État, suivant les circonstances, elle plaça tantôt le peuple, tantôt
la nation. Mais peuple et nation n'avaient pas besoin d'un mythe pour se
soutenir, l'idée de patrie était en eux très ancienne et un sentiment
stable la vivifiait. Il fallut le nationalisme maurrassien pour parvenir
à la limite d'un mysticisme positiviste.
L'Angleterre ne perdit jamais le bon sens pragmatique, même
lorsque ses philosophes lui apportaient le verbe de Hegel et les
exaltations de Fichte. Théoriquement et souvent pratiquement,
l'utilitarisme mêlé a un moralisme qui n'était pas seulement extérieur y
prévalait. Sur les mers le drapeau britannique et, dans les colonies,
la couronne suffisaient; chez soi chacun se sentait libre et maître,
sans s'appuyer sur l'État, sans qu'il fût nécessaire de se forger le
mythe de la nation-divinité. La nation était encore plus vivante dans
son histoire et dans son empire que dans sa théorie.
Cependant que s'accentuait l'affirmation de l'idée nationale,
un autre courant se développait partout, niant État et nation et mettant
a leur place la classe: le courant socialiste, élevé au rang d'une
théorie par Karl Marx. Cette théorie prônait l'avènement de la classe
prolétaire qui, par l'établissement d'une économie collectiviste,
détruirait l'État bourgeois et la nation militariste. Le matérialisme
historique remplaça le processus historique de l'idée hégélienne; la
lutte de classe remplaça le dynamisme national; l'économie-travail
organisée remplaça l'État-puissance. Le mouvement socialiste-marxiste
brisa l'unité des sentiments nationaux et prépara dans chaque nation le
terrain à l'internationalisme.
Voilà donc trois Allemands - Hegel, Fichte, Marx - qui
synthétisent l'effort européen du XIX siècle en vue de donner une
signification, un contenu, une finalité absolue et presque divine à
l'État, à la nation, à la classe.
Au cours du XIX siècle, deux systèmes se développèrent
concernant la conception de l'État national: le système libéral et le
système autoritaire. Le premier fut conservateur ou démocratique; le
second, absolutiste ou paternaliste. Évidemment, ces qualifications
indiquant les différentes nuances ne doivent pas être prises au pied de
la lettre: loin de fixer des types absolus, elles ne servent qu'a
designer des tendances prédominantes.
Ce qui nous intéresse pour notre enquête, c'est le fait que
derrière la devise de la démocratie a la française, aussi bien que
derrière l'autoritarisme de Bismarck ou de Guillaume, se trouve toujours
l'État national. L'Empire austro-hongrois était le seul qui, par
l'effet des nationalités dissemblables et divergentes qui le
composaient, ne pouvait être tenu pour un véritable État national et il
couvait dans son sein le germe de sa désagrégation.
Sous toutes les latitudes, les caractéristiques de l'État
national furent le centralisme toujours croissant, le militarisme fondé
sur la conscription et les armées permanentes, l'école d'État en tant
que moyen de créer un conformisme national (une unité morale nationale).
Pour la France, ces caractères furent un héritage de la Révolution, de
l'Empire napoléonien; pour l'Allemagne, un héritage de la Prusse et de
Frédéric; pour l'Italie, un moyen de défense de la récente unification
politique et l'imitation de la France; pour l'Espagne, une tentative
pour vaincre le particularisme dynastique et autonomiste et, d'autre
part, l'influence de l'Église; pour l' Autriche, une exigence de la
Maison de Habsbourg et de la prédominance dans l'État des élites
allemandes et magyares. Les autres pays européens vivaient dans la même
ambiance, même s'ils n'avaient pas de besoins semblables.
L'économie libérale et l'internationalisme ouvrier auraient dû
développer bien plus vigoureusement le sens cosmopolite, en opposition
au nationalisme. La facilité du commerce, la communauté scientifique, la
diffusion de la presse et l' organisation du travail ne manquèrent pas
de donner une impulsion a cette tendance. Le libre-échange marqua une
phase vite dépassée par les protections douanières, d'abord timides,
ensuite très larges, a l'avantage de ce que l'on appelle économie
nationale. La presse périodique perdit bientôt son caractère libre et
individuel, pour devenir une entreprise plus ou moins capitaliste, ou
bien pour se lier aux entreprises industrielles. L'Internationale
ouvrière fut toujours minée par le particularisme local, a l'exception
de la partie extrémiste et pseudo-anarchiste qui manqua d'hommes et de
moyens. Et si les différents socialismes niaient l'État, en tant que
bourgeois, ils n'auraient pourtant pas rejeté un État national, pourvu
qu'il fût prolétaire.
L'Église, bien qu'elle ne dissimulât alors pas ses préférences
pour les États autoritaires, du point de vue religieux ne manqua pas de
lutter contre la centralisation politique, qui apportait implicitement
des limitations a son autorité et a sa mission; contre la conscription
obligatoire et la course aux armements, qui créaient un danger de
guerre; surtout contre l'école d'État, qui se présentait comme un
monopole redoutable et comme un moyen de déchristianisation du peuple au
nom de l'État. L'Église redoubla l'intensité de sa lutte contre le
libéralisme, pour des raisons théoriques et en vue de positions
pratiques qu'elle devait défendre; mais la lutte essentielle fut surtout
la lutte contre l'État national, dans laquelle elle fut vaincue.
La Grande Guerre fut l'épreuve par le feu des conceptions
politiques et des systèmes du XIX siècle. Des empires tombèrent, des
formes de gouvernement furent changées, mais malgré tous les
bouleversements de la guerre et de l'après-guerre les facteurs
essentiels de l'État national ont survécu: centralisation, militarisme,
écoles d'État et tarifs douaniers. L'Allemagne de Weimar avait réduit
son armée au minimum consenti par les traites, mais le militarisme resta
intact et se développa même clandestinement, jusqu'au moment où il
apparut en pleine lumière. De la Baltique aux Balkans, la folie
militariste s'est emparée de tout le monde et même là où il n'existe pas
d'armées régulières on ne voit que remuement d'escouades armées,
évolutions de jeunesses militarisées, turbulence de milices politiques
noires et rouges et bleues et jaunes et vertes.
Les États de récente création, pour vaincre leur faiblesse
constitutive, imitèrent la centralisation des grands États, lesquels
d'ailleurs a leur tour n'ont cessé de créer de nouveaux ministères, de
multiplier leurs départements administratifs et d'augmenter leurs
bureaucraties centrales, ainsi que les frais de leurs budgets. Plus
encore que dans l'avant-guerre, l'école est devenue un objet de conquête
politique. Les tarifs douaniers ont été élevés à des niveaux insensés;
jusqu’à l'Angleterre qui, bonne dernière, a fait sombrer, à son tour, le
libre-échange.
En somme, quelles qu'en aient été les circonstances
particulières, en seize années, de 1917 à 1933, l'Europe a connu, parmi
tant d'autres pénibles expériences, une Russie bolcheviste, une Italie
fasciste et une Allemagne nazie: trois grands États totalitaires de
caractère différent, mais tous les trois à type national et fondés sur
la centralisation administrative et politique, sur le militarisme, sur
la monopolisation de l'enseignement et sur l'économie fermée.
Quelles différences et quelles ressemblances substantielles y
a-t-il entre ces États totalitaires et les États nationaux encore
existants? Si nous nous référons aux quatre facteurs essentiels communs,
il nous est possible d'en déterminer les différences:
a) La centralisation administrative dans l'État totalitaire est
poussée à l'extrême: suppression de toute autonomie municipale et
provinciale et de n'importe quel autre organisme public ou semi-public,
oeuvres de bienfaisance, associations de culture, universités.
La centralisation, dans l'État totalitaire, envahit le terrain
politique qu'on se dispute dans les États nationalistes encore existants
sous le signe de la démocratie. Le pouvoir exécutif est devenu, en
droit et en fait, la suprême synthèse de tous les pouvoirs, même de ceux
qui appartiennent au chef de l'État (en Russie et en Allemagne, le chef
de l'État et le chef du gouvernement sont la même personne).
L'indépendance des corps législatifs et judiciaires a complètement
disparu; et finalement le gouvernement lui-même se trouve rapetissé à un
organisme subordonné au chef, devenu dictateur sous les dénominations
brillantes de Duce, maréchal ou Führer. Ils détiennent les
ressorts d'une police politique fonctionnant en liaison avec une
organisation très puissante d'espionnage, allant bien plus loin que tout
ce que Napoléon lui-même avait inventé. Le Guépéou russe et la Ovra italienne sont d'ailleurs assez connus par leur terrible réputation; dernièrement est née la Gestapo
allemande. Pour mettre en action le mécanisme du pouvoir central
absolu, illimité et personnel, il fallait nécessairement supprimer toute
liberté politique, civile et organisatrice, individuelle et collective,
de groupements et de partis. Moyen adapté: le parti unique (le
rapprochement de ces deux mots a quelque chose d'illogique), une faction
armée dominante, communiste, fasciste ou nationale-socialiste. Tous les
autres partis supprimés, tous les mouvements indépendants réprimés,
tous les adversaires exilés. On supprime: les classes aristocratiques et
bourgeoises en Russie; les partis d'opposition en Italie; jusqu'aux
races différentes en Allemagne, où le mariage avec un juif devient un
crime politique et où une souche entachée par un seul ancêtre juif est
cause d'incapacité civile pour le descendant. Toute une catégorie de
citoyens sans droits, une classe d'ilotes, est en train de se
constituer. La violence de la lutte pousse à l'institution de tribunaux
d'exception, de camps de concentration, de zones d'internement; les
prisons regorgent, il y a des centaines de milliers d'exilés; les
déportés ne se comptent plus; innombrables sont ceux qu'on a tués
arbitrairement, ceux dont on ignore ce qu'ils sont devenus. Et il ne
s'agit pas là de mesures exceptionnelles prises pendant la crise
révolutionnaire. L'État totalitaire n'admet pas qu'il puisse avoir des
opposants. Depuis vingt ans, les Soviets ne font que fusiller ou
condamner aux travaux forcés ou encore déporter en Sibérie; de même,
l'Italie continue encore aujourd'hui à faire fonctionner le tribunal
suprême pour là défense de l'État et l'institution du bannissement.
L'Allemagne est arrivée bonne dernière et son nettoyage du 30 juin 1934
fut un épisode typique des méthodes terroristes des dictatures modernes
pour se maintenir à tout prix au pouvoir contre les amis et les ennemis.
En résumé, la centralisation administrative et politique dans
les États totalitaires, par une exigence vitale inéluctable, se trouve
nécessairement liée à la suppression de toutes les autonomies, des
libertés civiles et politiques et de l'habeas corpus, aux systèmes les
plus perfectionnés de police et d'espionnage, aux répressions violentes
et sanglantes, à l'élimination de l'adversaire et du dissident, à
l'intolérance de tout désaccord et à l'imposition extérieure et
intérieure du conformisme politique.
b) Tout cela sera possible, si le pouvoir dictatorial a la
haute main sur l'armée et sur la flotte et s'il parvient à militariser
le pays. Même les États qu'on dit démocratiques sont militarisés, dans
ce sens qu'ils ont la conscription militaire, de fortes armées et des
flottes puissantes. Mais ils l'ont d'une façon normale, puisqu'il s'agit
uniquement de corps techniques n'ayant aucun rapport avec la politique,
demeurant étrangers aux partis et collaborant avec n'importe quel
cabinet en ce qui concerne les intérêts de la défense nationale. Le
passé offre bien des cas où des chefs d'armée manifestèrent des
tendances politiques; le mouvement boulangiste et l'affaire Dreyfus en
France et les pronunciamientos en Espagne sont bien connus. Mais cela demeurait dans le cadre du libre jeu de forces politico-sociales en opposition.
Dans les États totalitaires, la position est différente. Le
parti est militarisé; il se place au-dessus de l'armée, ou bien l'armée
s'allie au pouvoir et les deux forces s'associent ou fusionnent. La
jeunesse est militarisée au double point de vue moral et disciplinaire;
la vie collective est conçue comme une vie militaire; des ambitions de
«revanche» ou de domination, des luttes intérieures et extérieures, des
guerres civiles agitent tout l'ensemble social. En Italie, à l'âge de 6
ans on est inscrit parmi les «fils de la Louve» et ensuite
successivement parmi les «Balilla », les «Jeunes Italiens», les
«Miliciens» et ainsi de suite jusqu'à l'âge de 54 ans. Le parti est une
milice; les instituteurs et les professeurs ont leurs grades militaires
et leurs uniformes militaires. L'enseignement des armes se poursuit
pendant toute la vie; l'arme homicide est pour l'homme une compagne
habituelle; les parades militaires, les exercices militaires prennent
une bonne partie de l'activité des jeunes et des adultes. L'Allemagne
aujourd'hui est armée jusqu'aux dents; non seulement pour proclamer sa
parité en droit et en fait avec les autres nations, mais par l'effet
d'une exaltation mystique et morbide de la force et du destin de la race
nordique teutonique. Tout Allemand est un soldat.
La Russie assimile la tâche de défendre l'État à celle de
défendre la révolution et l'idéologie bolcheviste et de la propager dans
le monde. Le communisme est parole de salut pour les Russes, de même
que le fascisme pour les Italiens et le national-socialisme pour les
Allemands; parole de salut à donner au monde par la propagande et par la
force, de même que Mahomet, par la parole et le cimeterre, soumit les
peuples à son nouvel Évangile. .
c) Pour y arriver, il faut un enseignement d'État
rigoureusement monopolisé. Le monopole de l'enseignement a été pendant
plus d'un siècle et il est toujours la besogne la plus importante pour
un État national. Napoléon fut le premier à organiser - de l'université à
l'enseignement primaire - l'école pour l'État, c'est-à-dire l'école
ayant l'État comme but immédiat. Toutefois on a presque toujours essayé
de concilier le monopole de l'enseignement avec la liberté de pensée,
même en matière politique. D'une façon générale, la lutte (soit ouverte,
soit voilée) fut menée particulièrement contre l'Église; et l'Église
lutta pour la liberté scolaire la plus grande possible.
L'État totalitaire par sa nature même, on le conçoit, est amené
à dépasser les limites observées jusqu'à lui. Tout le monde doit avoir
foi en l'État nouveau et apprendre à l'aimer. Pas une idée opposée, pas
une voix dissidente. De l'école primaire à l'université, il ne suffit
pas de pratiquer un conformisme sentimental; il faut la soumission
intellectuelle et morale complète, l' enthousiasme confiant, l'ardeur
mystique d'une religion. Le communisme, ou le fascisme, ou le nazisme,
est et doit être une religion. Pour créer cet état d'âme, l'école seule
ne suffit pas. Il faut lui adjoindre des moyens complémentaires: le
livre officiel, le journal étatisé et standardisé, le cinéma, la radio,
le sport, les associations scolaires, les prix, le tout étant non
seulement contrôlé, mais orienté vers une fin: le culte de l'État
totalitaire, sous le signe soit de la nation, soit de la race, soit de
la classe. Afin de gagner le consentement unanime, de stimuler cet
esprit collectif d'exaltation, toute la vie sociale est continuellement
mobilisée pour des parades, des fêtes, des cortèges, des plébiscites,
des exercices sportifs, qui frappent l'imagination, l'esprit, le
sentiment de la population.
Le culte de l'État ou de la classe ou de la race serait trop
générique; il faut l'homme, le héros, le demi-dieu. Lénine a aujourd'hui
un imposant mausolée et, pour les Russes, il est devenu un Mahomet
laïque. Mussolini et Hitler, encore vivants, sont protégés par une nuée
de policiers et de gardes du corps. Ils agissent et parlent de manière à
frapper les sens et l'imagination des foules; leurs personnes sont
sacrées; leurs paroles sont comme des paroles de prophètes. Hitler passe
entre deux haies compactes de gardes qui marchent à une assez grande
distance de lui, de sorte que lui seul émerge au milieu d'eux; et il
prend un visage rêveur avec les yeux levés vers le ciel, il a les mains
ouvertes et tendues en avant, tel un rédempteur. Mussolini a inventé un
rite presque magique; invoqué par la foule pendant un temps plus ou
moins long: «Duce! Duce! Duce!», puis par des voix de plus en
plus pressantes, puissantes, jusqu'au paroxysme, et devenant ensuite de
nouveau murmurantes, pour s'élever encore progressivement jusqu'à de
frémissants appels: «Duce! Duce! Duce !...», il se montre finalement à
la foule, dans une salve d'applaudissements.
d) Tout cela exige, d'une part, une dépense énorme, une finance
de luxe et, d'autre part, contraint à un régime économique de plus en
plus rigoureusement contrôlé. De même que toutes les énergies morales
doivent converger à l'édification de la puissance de l'État, de même
aussi toutes les forces économiques. Les États démocratiques ont adopté
un système moyen: aider les industries nationales grâce à la protection
de tarifs douaniers, d'une part ; donner toute liberté à l'initiative
privée, d'autre part.
L'État totalitaire asservit à ses fins le capital privé (comme
en Allemagne) ou bien l'associe solidairement pour arriver à maintenir
un certain équilibre politique entre les classes (comme en Italie) ou
encore l'État devient lui-même capitaliste (comme en Russie). L'État
totalitaire ne laisse jamais la liberté économique ni aux capitalistes,
ni aux travailleurs. Les syndicats libres des uns ou des autres ne sont
pas admis. Il n'y a que des syndicats et corporations d'État, dépourvus
de toute liberté de mouvements, contrôlés et organisés, sur tout le
territoire, par l'État et pour l'État. D'où découle une ébauche
d'économie dirigée, constituant la première phase vers l'autarcie d'une
transformation radicale dans le système économique.
La question de savoir lequel de ces deux systèmes, l'économie
dirigée ou le système fermé, est le plus avantageux se présente comme un
problème intimement lié à chaque régime d'État en particulier, et ne
peut donc être résolu abstraitement. Le bolchevisme s'est présenté en
même temps comme régime communiste, au point de vue économique, et
totalitaire, au point de vue politique. Le fascisme a procédé par degrés
et par la voie des expériences, aussi bien en politique qu'en économie
dirigée par l'État, affublée d'un corporatisme jusqu'ici apparent et
verbal. L'Allemagne en pleine crise financière et criblée de dettes a
instauré, en même temps, le régime totalitaire et le socialisme d'État. .
Ces aspects de l'État totalitaire nous amènent à toucher deux problèmes d'un intérêt primordial pour notre civilisation:
- le premier est celui de la liberté, considérée non seulement
comme un ensemble de droits politiques et comme une participation du
citoyen à la vie de son pays, mais surtout comme autonomie de la
personne, comme sécurité de son propre droit, comme garantie de
l'activité de chaque personne, soit temporelle, soit spirituelle. Les
États totalitaires suppriment la liberté politique et diminuent la
liberté personnelle, par l'ingérence de l'État dans les attitudes de la
pensée, dans le domaine de la morale et de la religion;
- ce fait implique le problème très grave de la suprématie du
spirituel sur le temporel, des fins éthiques sur les buts politiques et,
pour nous, chrétiens, celui des fins de la religion, du surnaturel, sur
les buts naturels de l'État. La solution de ce problème fut donnée en
1926 par Pie XI, développée ensuite dans l'Encyclique Non abbiamo bisogno du 29 juin 1931 et enfin dans l'Encyclique Mit brennender Sorge
(contre les persécutions en Allemagne, 14 mars 1937), enfin à propos de
l'État totalitaire fasciste, lorsque dans un consistoire public, il dit
que «la fin de l'homme ce n'est pas l'État, mais que l'homme est la fin
de l'État*». (*Parmi les propositions erronées, que la «Congrégation
des séminaires et universités » a signalées, dans la lettre du 13 avril
1938, la VIII est la suivante: chaque homme n'existe que par l'État et
pour l'État. Tout ce qu'il possède de droit dérive uniquement d'une
concession de l'État.)
Que les rapports entre l'Église et l'État soient légalement
réglés, ainsi qu'il en va en Italie depuis le 11 février 1929 jusqu'à ce
jour; ou bien qu'ils soient pleins de trouble et de lutte, comme en
Allemagne malgré le concordat de 1933; ou encore tout à fait abolis,
comme en Russie; tout cela appartient à la phénoménologie
historico-politique commencée il y a dix-neuf siècles avec l'arrivée de
Jésus-Christ et le massacre des Innocents. À part cela,
l'incompatibilité entre le christianisme et l'État totalitaire est déjà
manifeste, si l'on se réfère aux postulats historiques de la conception
de l'État, qui a toujours penché vers un monisme social-politique au
détriment de la personne humaine et des raisons de l'esprit; mais cette
incompatibilité est encore plus évidente dans les prémisses logiques du
«totalitarisme», qui se traduisent pratiquement par l'exaltation
mystique d'un principe surhumain: le caractère d'absolu donné à la classe, à la nation ou à la race.
Un tel état de choses nous conduit au bouleversement de la
civilisation chrétienne, parce qu'il enlève aux rapports de justice
(selon une saine conception du droit privé et public, intérieur et
international) le fondement de la morale naturelle et pose, à sa place,
le principe de la morale intrinsèque de l'État ou «éthicité» de l'État.
Les individus, d'après cette idéologie, ne sont plus considérés ni comme
citoyens, ni comme sujets, mais seulement comme membres du troupeau,
comme unités d'une collectivité de fer, dont les actes moraux
s'intègrent dans les fins de l'État. La personne se perd, absorbée dans
la pancollectivité, désignée par les noms symboliques de nation, de
classe ou de race.
Toute morale comporte l'exigence d'une religion; la morale
subjective nous donne la divinisation de l'individu; la morale naturiste
peut arriver jusqu'à la divinisation du «totem» et au culte magique; la
morale d'État engendre la divinisation de l'État et des idées qui, dans
l'État, se sont presque «hypostasiées», telles que la race, la nation
ou la classe; seule la morale chrétienne nous fait participants de la
divinité du Christ.
Depuis Machiavel et Luther, l'État n'a cessé de s'acheminer
vers la divinisation. Aujourd'hui l'État totalitaire est la forme la
plus claire et la plus explicite de l'État panthéiste.
Luigi Sturzo (1871-1959) fut un prêtre catholique et un des fondateurs du Parti Populaire (1919) en Italie. L’essai qu’on présente ici fut publié d’abord en espagnol en 1935 et en anglais en 1936. L’analyse de l’état totalitaire est impressionnante pour sa clarté et lucidité. Plus en général cet écrit fait beaucoup réfléchir sur la nature anti-humaine de la forme d’organisation dénommé « état national ».
M) L'ère des tyrannies (1936)
Le socialisme, depuis sa naissance, au début du XIXe siècle, souffre
d'une contradiction interne. D'une part, il est souvent présenté, par
ceux qui sont les adeptes de cette doctrine, comme l'aboutissement et
l'achèvement de la Révolution de 1789, qui fut une révolution de la
liberté, comme une libération du dernier asservissement qui subsiste
après que tous les autres ont été détruits: l'asservissement du travail
par le capital. Mais il est aussi, d'autre part, réaction contre
l'individualisme et le libéralisme; il nous propose une nouvelle
organisation par contrainte à la place des organisations périmées que la
Révolution a détruites:
a) Le socialisme, sous sa forme primitive, n'est ni libéral, ni démocratique, il est organisateur et hiérarchique. Voir en particulier le socialisme saint-simonien;
b) La révolution socialiste de 1848 aboutit, par un double mouvement de réaction contre l'anarchie socialiste et de développement du principe organisateur que recèle le socialisme, au césarisme de 1851 (très influencé par le saint-simonisme);
c) A l'origine du socialisme démocratique allemand, il y a Karl Marx, internationaliste, fondateur de l'Internationale, et qui aspire à un état définitif du genre humain qui sera d'anarchie en même temps que de communisme. Mais il y a aussi Ferdinand Lassalle, nationaliste en même temps que socialiste, inspirateur direct de la «monarchie sociale» de Bismarck.
Ces remarques nous semblent trouver une confirmation
sensationnelle dans l'évolution générale de la société européenne,
depuis le début de la Grande Guerre et l'ouverture de ce que nous
proposons d'appeler l'ère des tyrannies.
[Je me bornerai à dire deux mots sur les raisons qui m'ont amené à préférer le vocable « tyrannie» au vocable «dictature». C'est que le mot latin de dictature implique l'idée d'un régime provisoire, qui laisse intact, à la longue, un régime de liberté, considéré, malgré tout, comme normal. Tandis que le mot grec de tyrannie exprime l'idée d'une forme normale de gouvernement, que l'observateur scientifique des sociétés doit ranger à côté des autres formes normales: royauté, aristocratie, et démocratie. On ne saurait donc parler d'une «ère des dictatures». Il m'est apparu d'ailleurs - sans connaître suffisamment, je l'avoue, l'histoire du monde antique, mais je suis heureux d'avoir reçu, sur ce point, l'approbation sans réserve de Marcel Mauss - que les analyses complémentaires de Platon et d'Aristote sur la manière dont s'opéra dans le monde antique le passage de la démocratie à la tyrannie trouvent une application profonde aux phénomènes historiques dont nous sommes aujourd'hui les spectateurs.]
L'ère des tyrannies date du mois d'août 1914, en d'autres termes du
moment où les nations belligérantes adoptèrent un régime qu'on peut
définir de la façon suivante:
a) Au point de vue économique, étatisation extrêmement étendue de tous les moyens de production, de distribution et d'échange; - et, d'autre part, appel des gouvernements aux chefs des organisations ouvrières pour les aider dans ce travail d'étatisation - donc syndicalisme, corporatisme, en même temps qu'étatisme;
b) Au point de vue intellectuel, étatisation de la pensée, cette étatisation prenant elle-même deux formes: l'une négative, par la suppression de toutes les expressions d'une opinion jugée défavorable à l'intérêt national; l'autre positive, par ce que nous appellerons l'organisation de l'enthousiasme.
C'est de ce régime de guerre, beaucoup plus que de la doctrine
marxiste, que dérive tout le socialisme d'après-guerre. Le paradoxe du
socialisme d'après-guerre c'est qu'il recrute des adeptes qui viennent à
lui par haine et dégoût de la guerre, et qu'il leur propose un
programme qui consiste dans la prolongation du régime de guerre en temps
de paix. Le bolchevisme russe a présenté, pour commencer, les
caractères que nous disons. La Révolution russe, née d'un mouvement de
révolte contre la guerre, s'est consolidée, organisée, sous la forme du
«communisme de guerre» pendant les deux années de guerre avec les armées
alliées qui vont de la paix de Brest-Litowsk à la victoire définitive
des armées communistes en 1920. Un trait nouveau s'ajoute ici à ceux que
nous avons définis plus haut. En raison de l'effondrement anarchique,
de la disparition totale de l'État, un groupe d'hommes armés, animés par
une foi commune, a décrété qu'il était l'État: le soviétisme, sous
cette forme, est, à la lettre, un «fascisme».
Dans l'Europe centrale, c'est précisément le «fascisme»,
imitation directe des méthodes russes de gouvernement, qui a réagi
contre l' «anarchie» socialiste. Mais il s est trouvé amené à
constituer, sous le nom de «corporatisme», une sorte de
contre-socialisme, que nous sommes disposé à prendre plus au sérieux
qu'on ne fait généralement dans les milieux antifascistes, et qui
consiste dans une étatisation croissante, avec collaboration de certains
éléments ouvriers, de la société économique. Nous définirons de la
manière suivante la contradiction interne dont souffre la société
européenne. Les partis conservateurs demandent le renforcement presque
indéfini de l'État avec la réduction presque indéfinie de ses fonctions
économiques. Les partis socialistes demandent l'extension indéfinie des
fonctions de l'État et, en même temps, l'affaiblissement indéfini de son
autorité. La solution par conciliation, c'est le «socialisme national».
Quelles sont, pour les nouveaux régimes, les chances de
propagation ultérieures? Quelles sont les possibilités de décomposition
interne? Mais surtout, l'explication que nous avons tenté de donner à
leur genèse, par la nature contradictoire de l'essence du socialisme,
est-elle valable? Voilà les questions que nous soumettons à l'examen de
la Société de Philosophie.
COMPTE RENDU DE LA SÉANCE
M. L. BRUNSCHVICG. - Messieurs, la séance d'aujourd'hui fait
suite à un entretien que Xavier Léon avait organisé le 29 mars 1902. Le
sujet en était: Le Matérialisme historique; l'interlocuteur
principal, Elie Halévy; le protagoniste, Georges Sorel. Depuis lors,
bien des événements se sont passés, auxquels n'a pas été étranger
l'auteur des Illusions du Progrès et des Réflexions sur la violence.
M. Élie HALÉVY. - Nous reprenons, si on veut, l'entretien de
1902. Le sujet que je soumets à votre examen est cependant bien distinct
de celui qui était soumis, en 1902, à l'examen de la Société de
Philosophie. Il sera souvent question, aujourd'hui comme alors, de Marx
et du marxisme. Mais ce sera sous un angle très différent. Il s'agissait
alors, comme vous disait Brunschvicg, du « matérialisme historique »,
en d'autres termes d'une certaine interprétation philosophique de
l'histoire qui n'est pas indissolublement liée à l'interprétation
socialiste de l'histoire. Il s'agit aujourd'hui du socialisme pris en
soi (et non pas exclusivement du socialisme marxiste), de sa destinée,
et de la forme que prend son influence sur la destinée du genre humain.
J'ai l'intention d'être court, afin de laisser à autant de
personnes que possible le loisir de parler après moi; et j'oserai,
usurpant, si Brunschvicg le permet, sur ses fonctions présidentielles,
demander à ceux qui me répondront de suivre sur ce point mon exemple,
afin de laisser le débat se dérouler dans toute son ampleur. Je n'ai pas
l'intention de répéter, encore moins de développer, le texte imprimé
qui a été adressé à tous les membres de la Société. Je me bornerai, pour
ouvrir le débat, à présenter quelques observations personnelles. Non
que j'attache une importance spéciale à ma personnalité; mais pour
encourager ceux qui parleront après moi à suivre mon exemple. De la
confrontation de nos «expériences», il jaillira peut-être quelque
lumière sur le gros problème qui ne peut manquer de passionner, ou tout
au moins de troubler, les consciences de tous ceux qui sont ici.
Je vous rappellerai donc qu'en mars 1902, lorsqu'eut lieu la
séance à laquelle Brunschvicg faisait allusion, il y avait quelques mois
que j'avais commencé d'enseigner, à l'École des Sciences Politiques,
l'histoire du Socialisme européen au XIXe siècle. Depuis le mois de
novembre 1901, tous les deux ans, j'ai enseigné cette histoire. J'ai
donc, pour parler de socialisme, non pas en partisan, mais en historien,
une certaine compétence. Max Lazard, que je vois ici, et qui n'est plus
un très jeune homme, a suivi ce cours voilà bien une trentaine
d'années. Or, quelle était, en ce qui concerne le socialisme, mon
attitude intellectuelle, lorsque j'acceptai d'entreprendre ce cours?
Autant qu'il me souvient, voici:
Je n'étais pas socialiste. J'étais «libéral» en
ce sens que j'étais anticlérical, démocrate, républicain,
disons d'un seul mot qui était alors lourd de sens: un «dreyfusard».
Mais je n'étais pas socialiste. Et pourquoi? C'est, j'en suis persuadé,
pour un motif dont je n'ai aucune raison d'être fier. C'est que
je suis né cinq ou six ans trop tôt. Mes années d'École
Normale vont de l'automne 1889, juste après l'effondrement du boulangisme, à l'été de
1892, juste avant le début de la crise du Panama. Années
de calme plat: au cours de ces trois années, je n'ai pas connu à l'École
Normale un seul socialiste. Si j'avais eu cinq ans de moins, si j'avais été à l'École
Normale au cours des années qui vont des environs de 1895 aux environs
de 1900; si j'avais été le camarade de Mathiez, de Péguy,
d'Albert Thomas, il est extrêmement probable qu'à vingt-et-un
ans j'aurais été socialiste, quitte à évoluer
ensuite, il m'est impossible de deviner en quel sens. Lorsque, appliquant à nous-mêmes
les méthodes de la recherche historique, nous sommes amenés à découvrir
les raisons de nos convictions, nous constatons souvent qu'elles sont
accidentelles, qu'elles tiennent à des circonstances dont nous
n'avons pas été les maîtres. Et peut-être y
a-t-il là une leçon de tolérance. Si on a bien compris
cela, on est conduit à se demander s'il vaut la peine de se massacrer
les uns les autres pour des convictions dont l'origine est si fragile.
Je n'étais pas socialiste, et cependant j'avais déjà une
connaissance assez approfondie du socialisme, tant par ce que je pouvais
déjà observer en France que par ce que j'apprenais par mon expérience
des choses anglaises. Il y avait déjà, à cette époque, trois ou quatre
ans que je faisais en Angleterre des séjours prolongés et fréquents: et
déjà je m'étais lié avec les deux personnalités éminentes que sont M. et
Mme Sidney Webb, inspirateurs de la Société Fabienne. Je suis resté
leur ami; et aujourd'hui, j'ai l'impression d'être leur contemporain;
mais, dans ce temps-là, les dix années qui nous séparent comptaient
beaucoup. J'étais un jeune homme de vingt-cinq, de trente ans, qui
s'entretenait avec deux aînés âgés de trente-cinq, de quarante ans,
ayant déjà écrit des ouvrages qui sont restés classiques. Je les
écoutais donc avec respect; et ils m'expliquaient les principes de leur
socialisme, qui était essentiellement antilibéral. Ils poursuivaient de
leur haine non pas le conservatisme, le torysme, pour lequel leur
indulgence était extrême, mais le libéralisme gladstonien. On était au
temps de la guerre des Boers; et les libéraux avances, les
travaillistes, qui commençaient à s'organiser en parti, prenaient tous,
par générosité, par amour de la liberté et du genre humain, la défense
des Boers contre l'impérialisme britannique. Mais les deux Webb, ainsi
que leur ami Bernard Shaw, faisaient bande à part. Ils étaient
impérialistes avec ostentation. L'indépendance des petites nations
pouvait bien avoir du prix pour les tenants de l'individualisme libéral,
mais non pour eux, précisément parce qu'ils étaient collectivistes.
J'entends encore Sidney Webb m'expliquant que l'avenir était aux grandes
nations administratives, gouvernées par des bureaux, et où l’ordre
était maintenu par des gendarmes.
C’est peut-être leur faute si j’ai toujours été frappé par ce
qu’il y avait d’illibéral dans l'idée socialiste. Deuxième accident dans
l'histoire de la formation de mon esprit: tenez-en-compte si vous
voulez comprendre, par leur origine, la nature de mes préjugés. Je fus
donc amené, dans mon cours de l'École des Sciences Politiques, à
insister sur certains aspects conservateurs qu'a présentés le socialisme
européen au cours du dernier siècle; sur le socialisme autoritaire,
monarchique ou chrétien; sur Napoléon III, subissant l'influence des
saint-simoniens; sur Bismarck, subissant celle de Lassalle. Je n'insiste
pas: je vous renvoie au texte qui est sous vos yeux.
Je reconnais, d'ailleurs, qu'aux environs de 1910 je fus troublé
par le fait qu'en Angleterre les Webb semblaient s'être trompés, et se
trompant, m'avaient trompé. Il s'était produit une violente révulsion
libérale, qu'ils n'avaient point prévue; le nouveau libéralisme était
fortement teinté de socialisme: et l'expérience Lloyd George, comme on
dirait aujourd’hui, prouvait qu'on pourrait concevoir un radicalisme
socialisant doué d'une vitalité très grande; - bref, cette conciliation
entre socialisme et libéralisme, que les Webb tenaient pour impossible,
devenait une réalité.
Mais la guerre est venue. A sa suite s'est ouvert ce que
j'appelle l'ère des tyrannies. Les Webb et Bernard Shaw n’ont pas trahi
les convictions de leur jeunesse; ils les trouvent vérifiées par les
faits, et partagent leurs sympathies entre le soviétisme russe et le
fascisme italien.
Voilà ce que je voulais vous dire, non pour justifier ma
position, mais pour l'expliquer. J'ai procédé, pour vous la faire
comprendre, non pas en doctrinaire, mais en historien. C'est de même en
historien, - en historien philosophe, si vous voulez, et en me tenant
autant que possible, et j'espère que vous suivrez mon exemple, au-dessus
du niveau de la politique - que j'ai procédé pour définir cette «ère
des tyrannies». Etes-vous d'accord, premièrement, après avoir lu le
texte de ma communication, sur la réalité du phénomène historique qui en
est l'objet? Et, deuxièmement, croyez vous que mon explication de ce
phénomène soit plausible? Je vous laisse la parole.
M. Max Lazard reproche au conférencier d'observer les faits
sociaux concrets «non pas directement, mais dans le miroir de certaines
doctrines les concernant». Élie Halévy reprend la parole en ces termes:
Max Lazard vient de présenter de très intéressantes
observations, qui portent sur une question de méthode, et auxquelles il
m'est difficile d'improviser une réponse. Voici cependant les réflexions
qui, tout de suite, me sont venues à l'esprit pendant que je
l'écoutais.
En premier lieu, je ne me sens pas disposé à nier, aussi
catégoriquement qu'il a paru le faire, l'influence des doctrines sur
l'histoire, et, plus directement, sur les hommes qui ont joué un grand
rôle historique.
Deux exemples, que j'avais donnés dans ma communication, et que
Max Lazard a relevés, me permettront, je crois, de faire comprendre ma
pensée. Ce sera d'abord le cas de Napoléon III. Que, dans la tête de
Morny, véritable auteur du coup d'État, celui-ci n'ait été inspiré que
par les nécessités politiques de l'heure, hors de toute préoccupation de
doctrine, j'en conviens. Mais il a fait ce coup d'état au bénéfice du
prince-président, qui avait publié en 1838, sous le titre d'Idées Napoléoniennes,
une brochure d'inspiration saint-simonienne. L'influence exercée sur
son esprit par la doctrine de Bazard et d'Enfantin est un fait
historique; c'est un fait historique qu'il s'est entouré de conseillers
qui étaient d'anciens saint-simoniens. Il a constamment été hanté par
l'idée d'être un saint-simonien sur le trône.
Le cas de Bismarck est pareil et différent.
On ne saurait trop insister sur l'importance du rôle joué à côté
de lui, de 1862 à 1864, par un personnage qui joua un rôle ambigu dans
l'histoire du socialisme européen, je veux parler de Ferdinand Lassalle.
Dans tous les congrès social-démocrates d'avant-guerre, deux bustes
présidaient aux débats: celui de Marx et celui de Lassalle. Et c'était
justice. Car si Marx avait donné au parti sa doctrine, c'est Lassalle
qui, le premier en Allemagne, le premier en Europe, avait réussi à
organiser un parti d'action socialiste. Oui; mais, d'autre part, il est
certain que si, par malheur, Lassalle n'était pas né juif, on serait
bien en droit de saluer aussi en lui un précurseur dans les grandes
halles où s'exalte aujourd'hui l'enthousiasme national-socialiste.
Car, au cours de ces années critiques qui suivent immédiatement
l'arrivée de Bismarck au pouvoir, et où nous assistons à la fondation du
Verein ouvrier de Lassalle, quel étrange langage tient celui-ci!
Ce ne sont pas les bismarckiens, ce sont les progressistes en guerre
avec Bismarck qu'il poursuit de sa haine. Il lui arrive d'appeler la
police à son secours contre tel bourgmestre qui veut l'empêcher de
parler: traduit en justice pour délit d'opinion, il fait un appel
éloquent aux juges, se présentant comme leur allié pour la défense de
l'État contre la barbarie moderne: entendez contre le libéralisme. Et
nous savons qu'il a échangé une correspondance active avec Bismarck,
qu'il a eu des entretiens secrets avec lui. Quand Bismarck, en 1866, a
fondé la Confédération de l'Allemagne du Nord sur la base du suffrage
universel, il suivait directement le conseil que Lassalle lui avait
donné. Quand, plus tard, après 1878, il a fait du «socialisme d'État»,
du «socialisme chrétien», du «socialisme monarchique», le souvenir des
leçons de Lassalle était, l'en suis certain, présent à son esprit. Non
qu'il y eut rien en lui du doctrinaire. Mais homme d'État strictement
opportuniste, et n'ayant d'autre obsession que de créer, de fortifier,
de resserrer l'unité de l'Empire, il était prêt à utiliser,
successivement, tous les partis, toutes les doctrines; et la doctrine de
Lassalle fut une de celles qu'il sut utiliser.
Voilà deux cas, où, visiblement, les doctrines s'insèrent
dans les faits, et où l'historien qui négligerait l'histoire
des doctrines commettrait une erreur grave. Cela dit, et d'une façon
générale, je ne serais pas disposé à contredire
tout ce que vient de nous exposer Max Lazard. Loin de moi la pensée
de réduire l'histoire à l'histoire des doctrines. Qu'on
me permette une fois de plus, pour m'expliquer, de recourir à des
souvenirs personnels. Au temps lointain où Max Lazard était
mon élève, j'étais un novice dans le métier
de professeur; il est probable que l'étude des doctrines fut pour
moi la méthode la plus accessible pour aborder l'histoire du socialisme;
il est probable que les leçons suivies par Max Lazard furent exclusivement
des cours de doctrine. Mais une trentaine d'années plus tard, c'est
le fils de Max Lazard qui était mon élève: qu'il
regarde les cahiers de notes de son fils, il verra que mon cours, à mesure
que je gagnais en expérience, était de moins en moins un
cours d'histoire des doctrines, pour devenir un cours d'histoire tout
court. Ce qui ne veut pas dire que je n'aie pas été heureux,
que je ne sois pas heureux encore, d'avoir abordé l'histoire du
socialisme par le biais de l'histoire des doctrines. Car, comme le disait
fort judicieusement Max Lazard, les doctrines stylisent, schématisent
les faits. Et rien ne me paraît plus utile, pour la connaissance
des faits, que cette schématisation. Quand nous voyons qu'une doctrine
telle que la doctrine marxiste obtient le succès qu'elle a obtenu,
c'est qu'elle exprime, mieux que toute autre, certains traits frappants
de l'évolution économique, qu'elle répond à certains
besoins profonds des masses ouvrières. Comment nier l'utilité qu'elle
présente, dans la mesure où elle nous aide à comprendre
ces traits frappants et ces besoins profonds?
Il est donc, je crois, extrêmement facile de traduire mon
langage idéologique en langage sociologique, sans le moindre
inconvénient logique, sans la moindre modification de ma thèse.
Prenez-le premier alinéa de ma communication, et traduisez-le comme
suit: « Le mouvement ouvrier, depuis sa naissance, souffre d'une
contradiction interne. D'une part, on peut le concevoir comme un
mouvement de libération, comme un mouvement de révolte contre le système
de la fabrique, contre l'asservissement du travail par le capital
industriel. Mais, d'autre part, les ouvriers en révolte contre cette
oppression sont obligés, pour se protéger contre elle, de se mettre à la
recherche d'une nouvelle organisation par contrainte, à la place des
organisations périmées que le libéralisme révolutionnaire a détruites. »
Max Lazard a, de la sorte, pleine satisfaction: et ma thèse reste
entière.
N'y a-t-il pas, d'ailleurs, un point essentiel de ma
communication - Max Lazard, aussi bien, l'a admis - qui consiste à
attirer l'attention sur le rôle important joué, dans l'évolution récente
du monde civilisé, par un fait historique qui n'a rien à voir avec les
doctrines: je veux parler de la Grande Guerre de 1914 ? Je me reproche
même, en me relisant, de n'avoir pas suffisamment marqué le lien entre
les suites sociales de ce grand événement et l'évolution antérieure du
socialisme. Permettez-moi, pour me faire mieux comprendre, de mettre un
point de suture entre les deux premiers titres de cette communication.
Voici comment je les rédigerais si je les récrivais aujourd'hui.
Au point de vue économique, dirais-je, les socialistes
d'avant-guerre demandaient l'étatisation de tous les moyens de
production, de distribution et d'échange. Or cette étatisation, sous une
forme tout au moins extrêmement étendue, il s'est trouvé que l'état de
guerre l'a réalisée, pour des raisons que les socialistes n'avaient
point prévues. Si, d'autre part, on remonte, avant la guerre, à un quart
de siècle environ en arrière, le programme socialiste - mettons, si
vous voulez, le programme guesdiste - réclamait, purement et simplement,
et comme si cela suffisait à résoudre la question sociale, la
nationalisation, l'étatisation des principales branches de l'industrie,
des chemins de fer pour commencer. Mais il y avait, en 1914, déjà bien
des années que le syndicalisme avait surgi, trop plein de méfiance à
l'égard de l'État pour s'accommoder de cette solution. Il demandait la
syndicalisation générale de l'industrie, sans aucune intervention de
l'État, la résorption de toute bureaucratie dans l'organisation
syndicale. En d'autres termes, la suppression radicale de l'État. Chez
les Anglais, cependant - gens modérés même dans l'utopie - une doctrine
mixte s'élaborait qui visait à établir une certaine conciliation entre
le syndicalisme radical des Français, des Italiens, des Espagnols, et un
certain Étatisme. Quelles étaient les fonctions légitimes de l'État
démocratique? Quelles étaient celles des corporations syndicales? Telles
étaient les questions que discutaient entre eux ceux qu'on appelait les
«socialistes de guilde»; Or, à peine la guerre commencée, et par le
fait de la guerre, nous observons (je cite ici mon texte primitif) un «
appel des gouvernements aux chefs des organisations ouvrières pour les
aider dans leur travail d'étatisation. Donc syndicalisme, corporatisme,
en même temps qu'Étatisme ». Et une fois la guerre finie, dans tous les
pays qui venaient d'être en guerre, nous voyons une foule de gens qui,
sauf en Angleterre, ne connaissaient probablement pas même de nom le «
socialisme de guilde », élaborer des programmes d'«industrialisation
nationalisée», qui, tirant profit pour le socialisme des expériences de
la guerre, semblaient à bien des égards appliquer le programme des
socialistes de guilde.
Je passe maintenant à un autre point qui a été soulevé, pour
finir, par Max Lazard. Il s'agit des pronostics à faire sur les chances
de durée des régimes tyranniques d'aujourd'hui. A cette question j'avais
consacré tout un paragraphe, dont les lignes finales de ma
communication sont le résidu. J'ai supprimé ce paragraphe sur le conseil
de notre Président, qui m'a donné, en faveur de cette suppression, deux
raisons successives et contradictoires. La première, qu'il fallait me
réserver quelque chose à dire en séance. La deuxième, que le débat,
porté sur ce terrain, pourrait dégénérer en discussion politique. Je me
suis rendu à cette seconde raison.
Je ne demande pas mieux, cependant, que de répondre en quelques
mots aux observations faites sur ce point par Max Lazard. Ce sera pour
lui dire que je suis d'accord avec lui.
Je serais presque plus pessimiste que lui, me plaçant au point
de vue de ceux qui aiment la paix et la liberté. Car l'idée d'un
fédéralisme européen semble bien peu vivante; et l'espérance confuse que
Max Lazard semble s'être abandonné un instant à exprimer, d'un
impérialisme qui, couvrant l'Europe entière, lui donnerait la paix à
défaut de la liberté, semble complètement chimérique à l'heure actuelle.
Je ne vois qu'une seule tyrannie où soit présent cet esprit
d'universalité et sur laquelle Max Lazard pourrait compter (y
compte-t-il?) pour donner à l'Europe cette sorte de paix. Mais les
tyrannies qui nous touchent de plus près - celle de Berlin, celle de
Rome - sont étroitement nationalistes. Elles ne nous promettent que la
guerre. Si elle éclate, la situation des démocraties sera tragique.
Pourront-elles rester des démocraties parlementaires et libérales si
elles veulent faire la guerre avec efficacité? Ma thèse, que je vous
dispense de m'entendre répéter, c'est qu'elles ne le pourront pas. Et le
recommencement de la guerre consolidera l'idée «tyrannique» en Europe.
M. C. Bouglé évoque l'échec de 1848, l'attribue moins que ne
le fait l'orateur, à l'anarchie socialiste et à la terreur qu'elle
inspirait et montre, dans le socialisme démocratique de Louis Blanc, ce
premier effort pour assurer l'essor du libéralisme politique et
intellectuel, fût-ce par le sacrifice du libéralisme économique.
M. Élie HALÉVY. - Ce n'est pas un après-midi, une fin
d'après-midi, c'est une décade, comme on dit à Pontigny, qu'il faudrait
pour traiter avec l'attention convenable un pareil sujet. Je vais
essayer cependant de répondre, le plus brièvement que je pourrai, aux
divers points soulevés par Bouglé.
Il me reproche d'avoir employé, pour définir le coup d'État de
décembre, les mots de «réaction contre l'anarchie socialiste». Il a
raison, et mon expression a peut-être trahi ma pensée. J'aurais dû
écrire: «réaction contre la peur de l'anarchie». Mais,
psychologiquement, cela ne revient-il pas au même?
Fait bizarre. Les choses se sont passées de même en Italie,
avant la marche sur Rome. Il y avait anarchie, en 1920, l'année de
l'occupation des usines. C'est alors que Giolitti donna des armes à
Mussolini et à ses fascistes pour faire la police du pays, puisqu'on ne
pouvait pas compter sur l'armée. Mais il y avait deux ans, quand il prit
le pouvoir, que le désordre, en partie grâce à lui, avait cessé. Ce qui
le portait en avant, c'était le souvenir de la peur qu'on avait eue en
1920, et le sentiment persistant que l'on avait conservé de l'incapacité
où étaient les partis d'ordre de maintenir celui-ci par les moyens
parlementaires.
Cela nous aide à mieux comprendre ce qui se passa en 1851. Il
n'y avait plus à cette date d'anarchie, sinon parlementaire: la majorité
réactionnaire était incapable, à l'Assemblée législative, de se mettre
d'accord sur la forme du gouvernement qu'il convenait d'opposer à une
Montagne toujours bruyante, et qui faisait toujours peur, en raison des
souvenirs de 1848, et aussi de 1793. Les masses se sont jetées dans les
bras d'un homme qui représentait l'ordre, sans représenter la réaction
au sens où on taxait de réaction les légitimistes et les orléanistes de
l'Assemblée. N'oublions pas que, le jour même où il supprimait la
Constitution de 1848 il rétablissait le suffrage universel, gravement
mutilé par l'Assemblée. Et n'oublions pas le cri poussé par Guizot quand
il apprit la nouvelle du coup d'État: «C'est le socialisme qui
triomphe». La phrase est comique en un sens; elle n'en exprime pas
moins, d'une manière adéquate, le sentiment de la bourgeoisie en face
d'un régime qui n'était pas son oeuvre, et qui poursuivait d'autres fins
que les siennes.
Pour ce qui est de ma définition du soviétisme comme d'un
«fascisme », je suis d'accord avec ce que dit Bouglé. Mais je ne crois
pas que, sur ce point, mon expression ait trahi ma pensée. J'ai écrit: «
En raison de l'effondrement anarchique de l'État, un groupe d'hommes
armés, animés d'une foi commune, a décrété qu'il était l'État: le
soviétisme, sous cette forme, est, à la lettre, un
fascisme ». Il ne s'agit donc, je le dis expressément, que de la forme
de gouvernement. C'est le soviétisme, avec la dictature, ou la tyrannie,
du parti communiste, qui a été ici l'inventeur. Mais, si le fascisme
italien n'a fait ici qu'imiter, je considère que le mot de « fascisme »
est le mieux fait pour désigner le caractère commun aux deux régimes.
C'est un vieux mot italien pour désigner des groupes, des groupes armés
de partisans. Il y avait en Italie après 1870, au moment de la première
Internationale, des fasci operai, inspirés par l'idéal anarchiste
de Bakounine: ils se sont perpétués en Espagne, où nous les voyons à
l'oeuvre aujourd'hui. Ce sont d'autres fasci, les fasci di combattimento, que Mussolini a employés pour faire la conquête du pouvoir, au service d'un autre idéal.
Pour ce qui est de la possibilité d'un socialisme démocratique
qui, autoritaire dans l'ordre économique, resterait libéral dans l'ordre
politique et dans l'ordre intellectuel, je ne veux pas contester que la
chose puisse être envisagée dans l'abstrait. Je crains seulement qu'en
évoquant le nom de Louis Blanc à l'appui de sa thèse Bouglé n'ait fait
ce qu'il fallait pour l'affaiblir. Qu'il se rappelle (il connaît
Proudhon mieux que moi) la violente polémique conduite, après 1848, en
étroite harmonie, par Proudhon (qui se disait socialiste: mais
l'était-il?) et Michelet (républicain, sans être socialiste) contre le
socialisme de Louis Blanc. Ils reprochaient à Louis Blanc sa
glorification du Terrorisme, du Comité de Salut public, de Robespierre,
qu'il oppose, comme un disciple de Rousseau et un pur, aux républicains
sans moralité qui, se réclamant du libéralisme voltairien, conduisaient
la France à la domination du clergé et au césarisme. L'événement a-t-il
prouvé qu'ils eussent tort?
Puis-je ne pas tenir compte du fait que les origines de la
démocratie sont équivoques, puisqu'elle remonte aux Jacobins, qui ont
gouverné par la dictature? La doctrine marxiste de la dictature du
prolétariat ne vient-elle pas en droite ligne de la théorie de Babeuf,
dernier survivant de Robespierre? Karl Marx n' a-t-il pas subi très
nettement, à Paris, avant 1848, l'influence de Blanqui, restaurateur du
babouvisme?
On proteste. On me rappelle la formule marxiste - dont en
réalité, Engels, non Marx, est l'auteur - suivant laquelle le but est de
substituer l'administration des choses au gouvernement des personnes.
Transformation d'une vieille formule saint-simonienne suivant laquelle,
quand le régime industriel aura pris la place du régime militaire, il
n'y aura plus gouvernement, mais seulement administration. Soit; mais la
doctrine de Karl Marx, c'est aussi la doctrine de Lénine. J'ai sous les
yeux une lettre de M. Salzi, dans laquelle il me reproche d'avoir parlé
de Karl Marx comme «aspirant à un état du genre humain qui serait
d'anarchie en même temps que de communisme». - « Rien n'est plus
inexact, m'écrit-il. Le système marxiste exige une discipline rigoureuse
et totale. Je ne vois rien en lui qui implique une anarchie quelconque.
Voyez les Russes, qui l'ont appliqué avec une conscience féroce. » Et
il me renvoie à André Gide. Hélas!
Voilà la tragédie. Rien n'est plus exact, je le maintiens, que
mon assertion. Mais tout gouvernement socialiste qui arrive au pouvoir
est condamné à employer une scolastique compliquée pour expliquer
comment il doit procéder quand, professant une doctrine de socialisme
intégral, il prend le pouvoir dans une société non socialiste. Ici
interviennent les formules marxistes. Tout État est, par définition, un
instrument d'oppression d'une classe par une autre. Jusqu'à présent, et
depuis l'avènement du capitalisme, l'État a été l'instrument dont la
bourgeoisie s'est servie pour opprimer le prolétariat. Pour préparer,
pour avancer l'heure où nous aurons une société sans classes, et, par
suite, sans gouvernement, il faut traverser une période intermédiaire au
cours de laquelle l'État sera l'instrument dont la classe ouvrière se
servira pour opprimer la bourgeoisie, en attendant de la supprimer.
Simples vacances de la légalité? Le mot peut avoir bien des sens; Karl
Marx ne prévoyait certainement rien d'aussi impitoyable que le régime
soviétique; et s'il s'agissait seulement de pleins pouvoirs accordés au
gouvernement pendant six mois, comme ce fut le cas pour Poincaré en
matière financière, il s'agirait de bien anodines vacances. Mais si les
vacances doivent durer plusieurs décades - pourquoi pas un siècle ou
deux? - l'état d'anarchie dont on nous dit qu'il suivra cesse de
m'intéresser. Ce qui m'intéresse, c'est le présent et le prochain
avenir: au delà il y a ce que Jules Romains appelle l'ultra-futur. Aussi
bien les fanatiques du socialisme national allemand ne considèrent-ils
pas le régime institué par eux comme ayant une valeur définitive, comme
ouvrant une ère nouvelle qui durera toujours?
Divers orateurs prennent la parole, en particulier M.
Berthelot., M. Maublanc, qui proteste contre l'accusation de tyrannie
portée contre le marxisme, contre l'assimilation de la dictature
soviétique aux dictatures fasciste et hitlérienne. Élie Halévy répond en
ces termes:
Il faut maintenant que je prenne la parole pour clore ce débat.
En vérité je le regrette; car je me trouve dans une situation
impossible. Je devrais, si je voulais donner satisfaction à tous,
discuter toute la doctrine marxiste pour répondre à Maublanc, toute
l'histoire du genre humain depuis l'empire de Tamerlan pour répondre à
René Berthelot. Il me faudrait dépasser les limites de l'Europe, et dire
quelques mots du Rooseveltisme; car je regrette en vérité, qu'on n'ait
pas plus parlé de l'expérience qui a été tentée par Roosevelt,
expérience qui ressemble par certains côtés au corporatisme italien ou
fasciste, mais exclut la suppression de la liberté.
Soulèverai-je, en réponse à Drouin, la question des pronostics?
En fait, tout à l'heure, Max Lazard et moi-même ne l'avons pas éludée.
En désaccord complet, soit dit en parenthèse, avec René Berthelot: nous
considérions, comme notre seul motif d'espoir une longue période de
paix, les dictatures se relâchant du fait de l'impossibilité pour les
gouvernements tyranniques de maintenir perpétuellement les populations
sur le pied de guerre sans faire la guerre; mais ces régimes tyranniques
sont-ils eux-mêmes favorables à la prolongation de l'état de paix? Et
si la guerre recommence, et si les démocraties sont condamnées à
adopter, pour se sauver de la destruction, un régime totalitaire, n'y
aura-t-il pas généralisation de la tyrannie, renforcement et propagation
de cette forme de gouvernement?
Ajouterai-je que, souvent, on a cru me critiquer alors que la
critique portait seulement sur quelque forme d'expression peut-être
défectueuse? Je songe en ce moment à Maublanc et à son apologie pour le
marxisme. Il me reproche d'avoir présenté le marxisme « comme une
libération du dernier asservissement qui subsiste après que tous les
autres ont été détruits, l'asservissement du travail par le capital ».
Mais quand il présente cette libération comme étant « la vraie
libération, celle sans laquelle les autres ne sont que des illusions »,
son assertion ressemble de singulièrement près à la mienne. Il est
certain que, d'après Marx, après cette libération accomplie, nous
entrons définitivement (et c'est en ce sens seulement que j'ai parlé
d'un «état définitif» du genre humain) dans un état de société sans
classes, où l'évolution du genre humain se poursuivra certainement (je
l'accorde à Maublanc) mais selon des formes (Maublanc me l'accordera)
que nous ne pouvons même point prévoir, puisqu'il ne sera plus possible
de dire, comme il a été vrai jusqu'à ce jour, que «l'histoire du genre
humain est l'histoire de luttes de classes».
Mais, plutôt que de m'attarder à de pareils débats, je cherche
s'il n'y a pas un point fondamental, soulevé par plusieurs de mes
interlocuteurs à la fois, et qui pourrait servir utilement de thème à
mes considérations finales. Ce point, je crois l'avoir trouvé. N'est-ce
point la question de savoir si la tyrannie moscovite, d'une part, les
tyrannies italienne et allemande, de l'autre, doivent être considérées
comme des phénomènes identiques quant à leurs traits fondamentaux, ou,
au contraire, comme des phénomènes qui sont antithétiques les uns par
rapport aux autres?
Je suis loin de contester que, sous bien des aspects, et qui
sautent aux yeux de tout le monde, les phénomènes sont antithétiques.
J'ai fait le voyage de Léningrad et je connais l'Italie fasciste. Or,
quand on passe la frontière russe, on a le sentiment immédiat de sortir d
un monde pour entrer dans un autre; et une pareille subversion de
toutes les valeurs peut être, si l'on veut, considérée comme légitimant
une extrême tyrannie. Mais, en Italie, rien de pareil; et le voyageur en
vient à se demander s'il était besoin d'un si gigantesque appareil
policier sans autre résultat obtenu que des routes mieux entretenues et
des trains plus ponctuels.
Cependant, quant à la forme (et tout le monde semble m'avoir
concédé ce point), les régimes sont identiques. Il s'agit du
gouvernement d'un pays par une secte armée, qui s'impose au nom de
l'intérêt présumé du pays tout entier, et qui a la force de s'imposer
parce qu'elle se sent animée par une foi commune. Mais il y a autre
chose encore.
Les communistes russes invoquent un système de croyances qui
vaut pour le genre humain tout entier, qui implique la suppression des
nations comme la suppression des classes. Cependant, ayant conquis le
pouvoir dans un pays seulement, et de plus en plus résignés à ne point
provoquer, par la propagande ou l'exemple, la révolution mondiale, ils
sont condamnés, par les nécessités de leur existence, à se faire une
carapace militaire pour résister à la menace des armées étrangères. Ils
reviennent, par la force des choses, à une sorte de patriotisme à la
fois territorial et idéologique; et leur tyrannie, pour qui se place
même au point de vue idéologique, finit par ressembler par beaucoup de
ses caractères à la tyrannie allemande ou italienne. Au commencement on
dit que l'État n'est qu'un mal provisoire, qui doit être supporté parce
qu'il n'a plus pour but que de préparer la suppression de l'État et
d'assurer le plus grand bonheur du plus grand nombre. Peu à peu on en
arrive à pratiquer une morale héroïque dont je ne méconnais pas la
noblesse: on demande à l'individu de savoir souffrir pour faire de
grandes choses au service de l'État. C'est un état d'esprit qui n'a plus
rien à voir avec un hédonisme relégué dans l'ultra-futur. Je ne puis
l'appeler que guerrier.
Du côté des fascistes, au sens courant du mot, en Italie, en
Allemagne, il est bien clair qu'il ne s'agit pas de la suppression des
classes. La défense d'une société fondée sur une distinction de classes
est le programme même des partis au pouvoir. Je crois cependant avoir eu
raison d'affirmer qu'il se constitue, dans ces deux pays, «sous le nom
de corporatisme, une sorte de contre-socialisme, que je suis disposé à
prendre plus au sérieux qu'on ne fait généralement dans les milieux
contre-fascistes».
On nous dit que, dans ces pays, les salaires sont très bas, plus
bas que dans bien des pays démocratiques. Et je suis disposé à admettre
que c'est vrai. Mais ne convient-il pas de tenir compte, dans
l'évaluation du salaire total de l'ouvrier, des bénéfices qu'il retire,
sous une forme indirecte, de toutes les oeuvres dont l’ensemble
constitue ce qu'on appelle le Dopolavoro, voyages gratuits en
chemins de fer, maisons de repos, récréations de bien des espèces? Je
sais que toutes ces oeuvres sont inspirées par une arrière-pensée de
gouvernement: il s'agit d'occuper les heures de loisir des ouvriers afin
de les soustraire à l'action possible d'agitateurs révolutionnaires: il
s'agit, selon la formule que je proposais au début, de canaliser,
d'«organiser leur enthousiasme». Mais, enfin tout cela constitue un
relèvement de salaire et qui coûte cher à l'État.
Et, du moment qu'il coûte cher à l'État, je me tourne de l'autre
côté pour demander: «Où l'État trouve-t-il l'argent nécessaire? » Et je
réponds, reprenant une formule qui scandalisa, voici une dizaine
d'années, la presse conservatrice: il ne peut le trouver et le prendre
que là où il est. Un fiscalisme écrasant pèse sur les classes riches;
que la grande industrie bénéficie de tels régimes, je n'en disconviens
pas. Mais il ne s'agit pas du vieux capitalisme, du libre capitalisme
manchestérien. Les capitaines d'industrie préfèrent encore un tel régime
au communisme. On les laisse à la tête des affaires. Mais ils ne sont
plus des maîtres, ils sont de hauts fonctionnaires. Et les grosses
sommes qu'ils peuvent toucher annuellement offrent les caractères d'un
traitement, non d'un profit.
Bref, d'un côté, en partant du socialisme intégral, on tend vers
une sorte de nationalisme. De l'autre côté, en partant du nationalisme
intégral, on tend vers une sorte de socialisme. Voilà tout ce que je
voulais dire.
Elie Halévy
Mémoire présentée à Paris à la séance de la Société française de Philosophie du 28 novembre 1936.
Dans cette mémoire Élie Halévy introduit des idées plutôt
anti-conventionnelles, même aujourd’hui, sur la contradiction interne de
la pensée et de l’action des socialistes, qui parlent de libération des
individus et d’internationalisme au même temps qu’ils veulent
homogénéiser tous sous le contrôle de l’état national. Le résultat c’est
le socialisme national (ou national-socialisme) qui est encore
l’idéologie préféré des intellectuelles de tous partis et de toute
orientation (soi-disant gauche ou droite).
M. ÉLIE HALÉVY, professeur à l'Ecole des Sciences politiques, a soumis sous ce titre à la Société française de Philosophie les considérationsci-dessus.
N) L'État, Règne de la Magie Noire - Des sacrifices humains et autres superstitions modernes
À moins que vous n'ayez visité mon site ouèbe récemment,
et voyiez par conséquent où je veux en venir
[2]
vous êtes probablement interloqués par le titre de mon essai:
« L'État, Règne de la Magie Noire,
Des sacrifices humains et autres superstitions modernes ».
Vous vous demandez:
« est-ce que ce mec est une sorte d'allumé?
Va-t-il nous raconter que l'État n'est pas notre véritable ennemi,
mais qu'il n'est que la manifestation visible de forces du Mal
cachées dans l'ombre qui dominent notre monde à travers la magie noire ? »
Eh bien, oui, je suis un allumé et oui ce sera plus ou moins ma conclusion.
Mais je parie qu'avant d'avoir terminé la lecture de cet article,
vous aussi serez allumé et brûlerez du même feu que moi.
En fait, si vous êtes en train de lire cette page,
c'est sans doute déjà le cas,
quand bien même vous ne vous en êtes pas encore rendu compte.
Pour vous convaincre, il me suffira
de faire jaillir une lumière nouvelle sur ce Mal
dont les manifestations ne vous sont que par trop familières
[3].
Mais commençons par le commencement.
Si je dois vous raconter le périple intellectuel
qui m'a conduit à cette lugubre conclusion,
autant commencer par mon point de départ.
La question qui m'avait interpellée
doit à un moment ou un autre interpeller
tout libéral passionné par la raison.
Et la plupart des activistes libéraux sont probablement
le même genre de libéraux cérébraux et rationnels que moi
(c'est-à-dire NT dans la Typologie de Myers-Briggs
[4]).
Cette question est:
Y a-t-il des justifications rationnelles à l'existence de l'État?
Que pouvons-nous dire des explications existantes
qui servent de justifications officielles?
Autrement dit: l'État est-il la solution aux problèmes qu'il prétend résoudre?
Bien sûr, la réponse à laquelle nous libéraux sommes parvenus
est que non, il n'existe pas de justifications rationnelles à l'État
[5],
que ses explications officielles sont absurdes,
et que non seulement l'État ne résout pas les problèmes qu'il prétend résoudre,
mais c'est lui qui les crée, pour commencer.
Cette réponse nous définit même justement comme libéraux.
Mais cette réponse ne suffit pas.
Ce serait une erreur que de clore le débat avec elle
et de penser que nous avons résolu le problème
— notre prise de conscience de ce que l'État est une erreur
ne fera pas à elle seule disparaître celui-ci.
Nous devons nous demander:
Si ces explications sont fausses
alors quelle est la véritable raison
pour laquelle les gens croient en l'État?
Quelle est l'explication rationnelle de ces explications irrationnelles
[6]?
Autrement dit:
Si l'État est la réponse, alors quelle était la question?
C'est ainsi que je dévoilerai le sombre secret de l'État.
Puis, je développerai le thème de la magie noire:
ses principes;
les principes de la magie blanche, son contraire;
comment la magie noire se manifeste, etc.
Je conclurai brièvement en exposant la tâche qui nous incombe à l'avenir.
2 L'État: les justifications officielles |
La tentative la plus répandue de justification de l'État
en des termes rationnels est la théorie des biens publics et ses variantes
[7],
qu'elle soit présentée d'un point de vue utilitariste
(souvent accompagné de sa boîte à outils économétrique),
ou d'un point de vue moral:
certaines activités seraient d'une nature particulière
ou revêtiraient une importance stratégique
et devraient par conséquent être gérées par une agence centrale
« dans l'intérêt général ».
Sans analyser les détails pour l'instant,
qu'il suffise de dire que toutes les autres justifications de l'État
se résument d'une façon ou d'une autre
à un cas plus ou moins particulier ou plus ou moins général
de l'argument des Biens Publics.
Le « bien public » considéré peut être
une certaine forme de services en rapport avec
la sécurité (police, justice, armée),
les infrastructures (transport, télécommunications, éducation, santé),
l'« harmonisation » dans différents domaines
(information, éducation, langue, normes industriels),
la certification (identité, cadastre,
vérification de la conformité aux normes), etc.
Malheureusement,
certains libéraux concèdent aux étatistes quelques « biens publics »,
mais ils se trouvent alors sur une pente glissante,
car il n'existe aucune raison particulière
de limiter l'argument des biens publics
à quelque service particulier que ce soit.
Pour citer Émile Faguet:
« Un libéral systématique
est un anarchiste qui n'a pas tout le courage de son opinion;
un anarchiste est un libéral intransigeant.
[8] »
En effet, en utilisant des arguments du type « biens publics »,
l'État peut prétendre justifier une intervention dans n'importe quel domaine
— et une fois qu'il intervient,
il s'assurera que ce domaine est tellement désorganisé
que, grâce au même argument, il devra étendre son joug sur ledit domaine
jusqu'à ce que ce dernier soit à la fois
complètement sous son contrôle et complètement désorganisé
— et que les domaines connexes souffrent à leur tour.
Mais bien sûr, une telle intervention est fondée sur la prémisse implicite
que l'intervention étatique a un effet positif
— ce qui est précisément le point que les étatistes
posent en pétition de principe;
et ce qui est précisément le point qui mérite d'être contesté.
Les arguments en faveur de la collectivisation de tel ou tel service
en un « bien public » géré par l'État
contiennent intrinsèquement un sophisme ad hoc:
pourquoi choisir telle forme particulière de collectivisation
plutôt que telle autre?
En effet, pourquoi collectiviser ou pourquoi ne pas collectiviser
par exemple, « le papier toilette »?
N'y a-t-il pas un besoin plus spécifique de collectiviser
« les rouleaux papier toilette doux et vert larges de 13cm,
vendus sous une marque dont le nom se termine par un S »?
(Après tout, il se pourrait fort bien qu'une société
détienne un dangereux monopole sur un tel produit!)
Ou pourquoi ne serait-il pas plutôt nécessaire
de collectiviser toutes les sortes de papier?
Et pourquoi collectiviser à l'échelle de la France?
Pourquoi ne pas collectiviser à une plus petite échelle,
celle du 5ème arrondissement de Paris, par exemple,
ou celle du pâté de maisons d'à côté?
Ou à plus grande échelle, disons l'Eurasie du Nord,
ou notre quadrant galactique?
Et pourquoi même collectiviser sur un plan géographique?
Pourquoi ne pas collectiviser pour les personnes
dont le patronyme commence par un « R »
ou pour les personnes portant des chaussettes noires?
Quitte à choisir l'échelle de manière arbitraire,
nous pourrions tout aussi bien arguer que les services considérés
sont d'une nature ou d'une importance telles pour chaque « individu »
qu'il ne devrait pas être soumis à la coercition et
privé de sa capacité individuelle de choisir librement
comment ces services devraient lui être fournis.
Ou, si nous devons considérer le point de vue contraire,
pourquoi s'arrêter?
Si la collectivisation du service considéré
revêt une telle importance qu'il est d'une priorité absolue
que tous obéissent aux mêmes ordres,
et que cela justifie la coercition et la violence
jusqu'à ce que tout le monde s'incline devant une même unique autorité,
alors nous devrions arrêter toute autre activité,
suspendre tous les droits de l'homme,
et mener une guerre mondiale jusqu'à ce qu'un État mondial soit créé
et que finalement, tous vivent sous la même règle.
Et pourquoi même s'arrêter là?
Avant que de montrer le moindre respect envers les droits individuels,
il est urgent d'envoyer des vaisseaux spatiaux conquérir l'univers
afin d'obliger les extraterrestres
à accepter les mêmes lois sociales que sur Terre.
Les collectivistes acceptent de manière implicite
que leur argument n'est pas universel:
leur affirmation suppose l'existence
d'importants effets contraires
qui deviennent prépondérants
et limitent le champ d'application de leur argument.
Quels sont ces effets contraires,
quelle est leur pertinence,
quelles sont leurs limites?
Ce n'est qu'en identifiant et étudiant ces effets contraires
que l'applicabilité éventuelle de leur propre argument pourra être établi.
En d'autres termes, leur affirmation contient sa propre contradiction,
qu'ils refusent d'examiner par ignorance volontaire.
Leur appel à la coercition étatique
se fonde sur une vue à sens unique de l'État.
C'est le cas de toutes les justifications invoquées par les étatistes
[9].
Voici un bref passage en revue
des justifications données par les étatistes
pour établir la nécessité ou l'utilité de l'État.
Les autres arguments en faveur des « biens publics »
peuvent également être démontés comme fallacieux
[10].
Pour plus de détails, veuillez vous référer aux notes de bas de pages.
- La justification des « biens publics » par la Théorie des Externalités affirme que certaines activités impliquent de manière intrinsèque des externalités [11], et que l'État est une solution magique pour gérer ces externalités — alors qu'en fait son action est de concentrer ces externalités par la coercition; à partir de nombreuses petites externalités chacune gérable, il crée une externalité gigantesque et écrasante, celle de s'assurer que le gouvernement en place sera bon, externalité qui se révèle être totalement ingérable [12].
- La justification des « biens publics » par la Théorie des Jeux considère également l'État comme un Dieu externe bienveillant et omniscient, qui aide les gens à choisir en moyenne le meilleur scénario parmi des interactions modelées d'après des « jeux » mathématiques simples — alors qu'en réalité, l'État est constitué de personnes ayant un intérêt propre, de sorte que si nous devions employer correctement la théorie des jeux, nous devrions considérer les fonctionnaires gouvernementaux comme des joueurs intéressés parmi d'autres; l'unique caractéristique particulière de l'action politique est que les agents de l'État détiennent un pouvoir légal de coercition, qui se traduit en Théorie des Jeux par leur capacité à imposer à leur profit des jeux à somme négative de leur choix [13].
- Les Théories de l'Impossibilité d'Exclure ou de l'Impossibilité de Diviser, sont avancées par de nombreux économistes pour justifier les « biens publics » comme biens desquels il est prétendument impossible d'exclure les tierces parties, ou qu'il est impossible de subdiviser en parts individuelles. Ils introduisent alors l'idée que l'État est une solution magique pour gérer ces biens et détient un « monopole naturel » sur ces biens. Ce « monopole naturel » n'est bien sûr rien d'autre que l'exclusion bien réelle quoi que prétendument impossible de certaines personnes, à savoir celles ne respectant pas les règles établies par l'État, et l'allocation exclusive de parts du bien commun censé pourtant être « indivisible », selon les critères établis par l'État [14].
- La justification des « biens publics » par la théorie de la Prévention des Catastrophes agite l'épouvantail d'une défaillance simultanée de tous les fournisseurs d'un service en soutien de l'intervention de l'État sur le marché dudit service. Or, la seule façon de laquelle la catastrophe d'une telle défaillance simultanée peut avoir lieu est qu'il y ait une gestion centralisée simultanée de tout l'approvisionnement en un tel service par un monopole de droit — ce qui est précisément ce que l'État introduit [15].
- Les justifications des « biens publics » par les théories de « volonté collective », dans leur version démocratique de la « Volonté du Peuple », ou nationaliste de « l'Identité de la Nation », ou encore socialiste du « Bien de la Société », cherchent à faire croire que les individus doivent être contraints d'adhérer à une utopie particulière. On suppose que l'utopie est bonne en théorie, parce que de manière abstraite les gens y adhéreraient volontairement; mais en même temps, on admet qu'en pratique les gens n'y adhèrent pas volontairement, puisqu'il faut les contraindre à adhérer à l'utopie [16].
- Le sophisme de la Vitre Cassée suppose qu'il y a certains biens, les « biens publics », que l'État peut faire sortir de son chapeau, par son pouvoir magique de coercition. Bien sûr, quand des individus qui ne sont pas oints de ce pouvoir sacré osent commettre les mêmes destructions et atteintes aux libertés que l'État commet pour « créer » ces biens, ils sont immédiatement reconnus comme des criminels et traités comme tels, — et à juste titre [17].
- Le Sophisme Moral suppose que l'homme est trop mauvais (ou trop « quelque chose ») pour se gouverner lui-même quant à certains « bien publics » qui doivent par conséquent être confiés à l'État — mais l'État lui-même est fait d'hommes qui ne sont pas moins mauvais (ou moins « quelque chose ») que le reste de l'humanité. L'État n'est pas déterminé par quelque force extérieure supérieure, mais par des hommes parmi d'autres. En fait, son pouvoir de contrainte a une nature corruptrice qui rendra les personnes à la tête de l'État mauvaises plutôt que bonnes, en corrompant ceux qui l'emploient et en sélectionnant ceux qui le recherchent [18].
- Le Sophisme Altruiste est cette erreur conceptuelle particulière souvent utilisée conjointement avec le Sophisme Moral, pour justifier le caractère nécessaire de l'État: il affirme que les gens sont naturellement égoïstes, et qu'il faut une force extérieure pour les forcer à agir malgré eux de façon altruiste, pour qu'ils puissent survivre. Ce sophisme suppose une fois de plus l'État comme mu par une force extérieure au public, les hommes de l'État et leurs séides étant plus altruistes et moins égoïstes que les citoyens. Mais il suppose aussi l'altruisme en opposition avec l'égoïsme — ce qui est faux. Et ce qui est si évidemment faux, que c'est par un appel à l'intérêt égoïste des gens que ces altruistes auto-proclamés essaient de convaincre lesdites gens de les suivre dans leurs plans étatistes [19].
- Le Sophisme de « l'Intérêt à Long Terme » combine le Sophisme Moral et le Sophisme de la Prévention des Catastrophes: il suppose que seul l'État peut prendre en compte les intérêts à long terme des personnes. Cependant, seules des personnes réellement assurées de la continuité de leurs droits de propriétés sur le long terme peuvent s'engager et s'engageront dans des investissements à long terme. Or les gouvernements ne sont jamais assurés de rester au pouvoir, à moins qu'ils n'usent d'oppression extrême, ce qui rend parfaitement évident leur absence de bienveillance tout en dépensant les ressources nécessaires à l'investissement à long terme [20].
- Le Sophisme de l'Uniformité suppose que l'uniformité en certaines matières est un bien en soi, et que c'est un « bien public », de façon que des réglementations étatiques sur un territoire aussi large que possible sont le seul et meilleur moyen d'accomplir l'uniformité désiré en la matière. Cependant, l'uniformité n'est jamais un bien en soi; la coercition étatique n'est ni le seul ni le meilleur moyen de faire respecter des normes; de plus, les domaines que les normes réglementent au mieux sont rarement larges ni territoriaux; et ce qui est le plus important, un système coercitif empêche la découverte même de celles parmi les normes possibles qui valent d'être adoptées et respectées, parce qu'il détruit les points de comparaison, néglige la plupart des opinions sauf celles des autorités et des groupes de pression qui la courtisent, et empêche tout ajustement dynamique aux évolutions et variations individuelles des circonstances [21].
3 Expliquer l'irrationalité rationnellement |
C'est une chose de savoir que les arguments étatistes
sont fondés sur des sophismes antilogiques,
mais c'en est une plus ardue de comprendre
pourquoi et comment ces sophismes apparaissent.
Quels sont les mécanismes de pensée
qui amènent à développer ces sortes de croyances et leurs justifications?
Comment se fait-il que tant de gens croient dur comme fer
que l'État peut résoudre comme par magie
n'importe lequel de tous les problèmes
qu'ils redoutent ou auxquels ils se trouvent confrontés?
Une manière courante de répondre à ces questions
est d'analyser la popularité de ces opinions fausses
à la lumière de l'intérêt personnel
de ceux qui les véhiculent et qui les acceptent
[22].
Dans cette perspective,
ces personnes prospéreront mieux qui auront véhiculé ou accepté des opinions
quand respectivement
la popularité de ces opinions ou l'apparence de leur acceptation
confèrent auxdites personnes un gain marginal ou une réduction des coûts
[23].
Cette méthode a été employée avec succès
pour développer la théorie des choix public,
qui explique les mécanismes fondamentaux
de la décision politique dans les démocraties.
C'est un outil très important pour déceler et évaluer les forces
qui sont à la source de l'oppression et la spoliation politiques
à travers le monde.
Ces forces sont telles qu'à chaque fois
qu'il existe un potentiel pour une exploitation,
quelqu'un viendra et utilisera ce potentiel à son profit.
Et le potentiel en ce cas
est le fait qu'une population soit prête à accepter d'être exploitée
[24]:
à chaque fois qu'une population aura des croyances
qui la fera accepter volontairement une exploitation,
alors des entrepreneurs politiques se précipiteront
pour transformer cette opportunité en exploitation effective.
Notez que c'est une raison de plus pour laquelle
les subventions étatiques ne sont jamais utiles
et peuvent toujours être comptées presque entièrement comme consommation:
parce que toute promesse d'exploitation potentielle
suscite du lobbying pour récolter (et conserver) ces subventions,
jusqu'à ce que le gain marginal (subventions moins coûts de lobbying)
égale le retour sur investissement marginal dans les autres domaines
[25].
Les personnes se spécialisant dans « l'entreprise politique »
découvriront ou créeront de nouvelles ressources vierges
qu'ils exploiteront,
tout en préservant et intensifiant
l'exploitation existante
[26].
La conclusion de cette analyse est que
la bataille pour la liberté n'est pas une bataille entre personnes,
mais une bataille entre idées.
Tant que les idées qui favorisent l'exploitation seront largement acceptées,
le véritable potentiel d'oppression restera tout aussi fort,
et combattre les oppresseurs actuels
et abolir les formes d'oppression présentes
ne conduira qu'à l'apparition d'oppresseurs différents
qui prendront le contrôle et institueront de nouvelles formes d'oppression.
C'est la servitude volontaire, comme la Boétie l'appelait,
l'acceptation du pouvoir, qui doit être combattue.
Pour ce qui est de suggérer des façons de combattre les sophismes,
cette approche n'offre pas de réponses très encourageantes;
certes elle offre des recettes générales
quant à la manière de conduire ou de ne pas conduire
une action de lobbying,
mais un tel conseil a une portée identique,
que l'on s'engage pour ou contre la liberté,
et il semble que les ennemis de la liberté bénéficient déjà
d'une longueur d'avance dans l'utilisation de telles techniques
[27].
Si nous devons aller plus loin et combattre effectivement ces sophismes,
si nous devons choisir des actions qui surpasseront la propagande étatiste,
alors nous devons prendre une approche qui soit qualitative
et non pas seulement quantitative.
Pourquoi ces sophismes survivent-ils,
et non pas d'autres sophismes?
Si ces sophismes étaient dissipés avec succès,
est-ce que l'exploitation serait vaincue,
ou est-ce que les intérêts en jeu
susciteraient juste de nouveaux sophismes pour les remplacer,
l'exploitation demeurant aussi intensive que jamais?
Y a-t-il quelque chose dans ces sophismes
qui peut nous amener au Mal à abattre,
plutôt qu'au formes superficielles
qu'Il peut remplacer à chaque fois qu'elles seront démasquées?
Pour le découvrir, nous devons analyser les motifs récurrents de pensée
sous-jacents aux sophismes employés pour justifier l'État.
Un premier point commun évident dans toutes ces justifications de l'État:
elles supposent toutes que l'État
fournit d'une façon ou d'une autre des biens gratuitement,
sans aucune contrepartie coûteuse.
L'existence d'un tel motif récurrent chez les étatistes
n'est pas une nouveauté;
nous libéraux avons même une mantra pour chasser ce motif:
URGYARDT
[28].
Ce qui est toutefois remarquable est
que toutes les justifications étatistes
incluent ce motif, même si c'est parfois d'une manière peu évidente.
Le motif est très visible dans les cas triviaux,
où les biens censés être gratuits sont les subventions
qui ne sont pas mises en rapport avec les taxes correspondantes.
Dans les cas plus subtils, le motif est d'autant mieux camouflé
que la situation est plus complexe,
mais il est toujours présent:
par exemple, l'État est censé apporter gratuitement
la coordination entre les actes des personnes en vue du bien commun.
Au final, ce que l'État est censé apporter
est une sorte de garantie que le mal ne se produira pas,
un sentiment très particulier de sécurité.
Mais dans tous les cas, on suppose que l'État
fait surgir quelque chose de nulle part
[29]:
l'unique condition qui semble requise
pour que l'État nous accorde ses bénédictions
est que nous les exigions en le pétitionnant avec une foi suffisante.
Un second motif récurrent qui peut être trouvé accompagner le premier
est la perception de l'État comme une entité extérieure,
quelque chose se trouvant en dehors de la société et au dessus d'elle.
Et cette nature divine est précisément ce qui lui permet
de créer et de distribuer des biens, des services, de la confiance
ou quoi que ce soit d'autre, sans qu'il en coûte rien.
Cette nature divine est clairement révélée
par le respect craintif des gens face au pouvoir visible de l'État:
« comment de simples individus pourraient-ils accomplir ceci? »
demandent-ils donc,
quand on leur suggère que le monopole public
sur telle ou telle autre activité devrait être aboli.
Or, qu'il s'agisse de monopole public ou d'absence de monopole public,
ce sont toujours de « simples » individus qui accomplissent toutes choses!
Bien évidemment qu'il en est ainsi,
et il ne peut pas en être autrement.
Les politiciens et hauts fonctionnaires
ne sont pas plus que les autres individus;
en fait, l'expérience aussi bien que la théorie
montre qu'ils sont d'habitude moins que les autres individus
— parce qu'ils sont irresponsables.
L'État ne saupoudre pas ses maîtres et servants avec de la poudre féérique
et ne leur confère aucun pouvoir magique.
En fait, l'État leur confère effectivement un pouvoir spécial
dont nous autres individus normaux ne disposons pas
— et ce pouvoir est en effet ce qui caractérise l'État:
c'est le pouvoir d'user légalement de la coercition
à l'encontre de ceux qui refusent d'obéir.
Ce Dieu que les étatistes adorent n'est autre que la Force Brute.
Ainsi, traduit en termes réels, en arrachant le voile de magie,
la question que se posent toutes ces personnes impressionnées
est vraiment:
« comment tout cela pourrait-il être effectué sans coercition? »
Et la réponse évidente est alors « avec moins de souffrance »
[30].
Comme nous progressons vers le sombre secret de l'étatisme,
nous trouvons un troisième motif récurrent
commun à toutes les justifications de l'État:
toutes introduisent un faux compromis
entre la liberté et un bien quelconque,
où l'État est censé être l'entité divine avec laquelle on commerce
pour acheter ledit bien au prix de notre liberté.
Divine, car il ne fait aucun doute pour personne, y compris les étatistes,
qu'aucune force humaine ne pourrait proposer une telle transaction
[31].
Mais les étatistes soit sont ignorants du comportement humain,
soit classifient l'État comme en-dehors de l'humanité
— pour eux, l'État est un Dieu (d'où la lettre capitale),
un entité collectiviste supérieure avec laquelle commercer.
(Où est ma facture
[32]?)
La façon dont ils esquivent la question cruciale:
« Qui garantira le garant
[33]? »
est de la repousser derrière un voile d'ignorance et de foi aveugle.
Encore une fois, une force surnaturelle
est censée faire apparaître de la confiance de nulle part, gratuitement.
Les mantras magiques, les textes sacrés au pouvoir magique,
tels que les constitutions
[34],
les rituels complexes et l'appareil formel de l'État et de son administration,
tout cela contribue à tromper le peuple
pour qu'il attribue à l'État une Aura divine.
Un dernier point commun à tous ces sophismes
est qu'ils contiennent leur propre réfutation dynamique.
Autrement dit, elles impliquent dans le temps
des conséquences contraires aux axiomes sur lesquelles elles reposent.
Elles supposent des hypothèses dont les effets mènent
à la disparition de ces hypothèses.
Ce type très particulier de contradiction
montre qu'à l'origine de ces sophismes
il y a une tournure de penser
qui ignore la dynamique de l'action humaine et sa causation
et qui se concentre sur des considérations statiques
sur la société à base de corrélations.
De telles contradictions sont fondées sur
un type de raisonnement statique
qui fait fi des principes fondamentaux du comportement humain dynamique
— qui ignore la nature même de l'homme.
C'est pourquoi il est paradoxal que les étatistes
accusent souvent les libéraux d'utopisme, d'irréalisme
et de méconnaissance de la nature humaine,
alors que ce sont précisément les étatistes qui méritent de tels commentaires!
Mais de tels paradoxes ne sont pas chose rare chez les étatistes.
À vrai dire, les justifications de l'étatisme
ne constituent pas un recueil d'erreurs isolées;
elles proviennent d'une ligne systématique de raisonnement défaillant,
fondée sur un paradigme fort, sur une certaine vision du monde.
Il ressort de notre étude que toutes les justifications de l'État
se résument en fin de compte à cela:
l'adoration religieuse de l'État
comme une autorité surnaturelle toute puissante.
L'État est l'idole d'un culte païen qui s'ignore.
La croyance en un tel non-sens
serait considérée comme une maladie mentale
s'il ne s'agissait pas d'une croyance aussi répandue.
Et nous pouvons espérer que dans un futur pas trop éloigné,
elle sera effectivement considérée comme une pandémie mentale,
une maladie infantile ayant infecté le monde
à une époque où l'humanité était encore très jeune.
Néanmoins, pour le moment,
c'est à nous qu'il incombe de concevoir un remède
— et pour être capable de le faire,
nous devons tout d'abord comprendre cette maladie,
ses moyens de survie, ses modes de propagation.
Nous devons examiner consciencieusement
les mécanismes psychologiques sous-jacents à un tel système de croyance,
identifier les failles par lesquelles
cette croyance parasite pénètre l'esprit des gens.
Les gouvernements s'arrogent une autorité usurpée.
Aussi, dans la mesure où la structure des sentiments humains
constitue un héritage génétique commun,
toute tendance forte et cohérente des gens de croire en l'État
trouve son explication dans l'usurpation
d'un certain sentiment naturel de soumission à l'autorité.
Les sources naturelles de l'autorité ne sont pas très nombreuses:
les parents ont une certaine autorité sur leurs enfants
dans la mesure où ils subviennent à leurs besoins;
les amis donnent des avis dont la prise en compte
peu jouer sur la préservation de leur alliance;
des chefs mènent leur peuple dans des courtes situations d'urgence
(guerre, incendie, catastrophe naturelle, etc.);
les aînés ou les personnes ayant réalisées de grands exploits
disposent d'une autorité sur le commun des mortels
à mesure que leur sagesse est reconnue.
À l'échelle de l'évolution, la structure innée de l'esprit humain
n'a sans doute pas pu intégrer des motifs bien plus complexes que cela
[35].
La première sorte d'autorité naturelle dans la vie de l'homme
est celle des parents.
Les sophismes utilisés pour justifier l'État
sont effectivement des sophismes parentaux
— ils s'appuient sur les mécanismes mentaux primitifs
par lesquels les nourrissons établissent une relation avec leurs parents.
Pour un jeune enfant, les parents apparaissent comme des entités supérieures
qui offrent des biens gratuitement,
si seulement on gémit et l'on pleure,
sans avoir à penser aux tenants et aboutissant
menant à la production des biens ainsi accordés.
Les parents sont vus comme bienveillants,
entretenant avec leurs enfants une relation d'amour mutuel;
les enfants en bas âge ont une confiance absolue dans leurs parents
[36].
Enfin, il est presque universellement accepté
que les parents ont une autorité de décider pour leurs enfants,
qui peut aller jusqu'à la punition en certains cas
— bien que les limites précises de l'autorité parentale
soient discutables
[37].
Il ne fait aucun doute que les États feignent d'assumer le rôle de parents.
Dans les autocraties, tout au long de l'Histoire,
le tyran s'est toujours présenté personnellement
comme le Père de la Nation [38],
Big Brother, ou quelque chose dans le genre
[39].
Dans les pays où le pouvoir est plus dilué,
aucun homme d'État n'oserait se targuer d'un titre aussi pompeux
— bien qu'il ne soit pas rare que des politiciens puissants
ou longtemps demeurés au pouvoir
soient gratifiés par des journalistes
de surnoms à la fois flatteurs et moqueurs de la même veine
[40];
mais même dans ces pays,
l'État dans son ensemble ne se réclame pas moins
du rôle et des pouvoirs qui incombent aux parents:
la mythologie de l'État comme parent,
ou de la Nation incarnant un parent dont l'État est le porte-parole
reste très présente dans le discours public sur l'État.
Est révélateur de cela la facilité avec laquelle
sont produits et acceptés des symboles aussi communs
que l'Oncle Sam ou la personnification maternelle de diverses nations.
De même qu'il n'est pas rare, lors de discussions avec des étatistes,
que ceux-ci fassent explicitement référence à l'idée que l'État
remplit le rôle du parent pour les citoyens,
qui sont maintenus pour leur part dans celui d'enfants irresponsables.
Toutefois, la maladie étatique ne substitue pas simplement l'État aux parents:
elle essaye de conférer de l'autorité à l'État
à partir de toutes les sources disponibles.
La Démocratie, la Nation, ou le « Contrat Social »,
sont autant d'astuces qui permettent à l'État d'usurper l'autorité
d'une alliance volontaire entre amis,
bien qu'il manque précisément à une telle alliance
les fondements nécessaires à sa validité, à savoir son caractère volontaire,
— autrement dit, la liberté d'entrer dans cette alliance
ou de préférer ne pas y entrer, et même celle d'en sortir.
Les États usurpent aussi le rôle du chef en temps de crise.
Ils s'attellent dans un premier temps à exclure toute concurrence à cet égard;
puis ils renforcent leur puissance en créant un climat permanent de crise.
Les échecs d'un État deviennent ainsi
des instruments clefs de sa propre conservation,
en prolongeant et étendant la crise que l'État est censé résoudre.
Enfin, les États subventionnent grassement ceux parmi les prétendus
« scientifiques », « artistes » et « experts »
qui soutiennent leur autorité,
se réclamant ainsi de l'approbation de la sagesse humaine
pour leurs édits.
Même si tous ces rôles étaient légitimement assumés,
ils ne doteraient les gouvernements
d'aucun des pouvoirs politiques que ces derniers revendiquent:
asservir à temps partiel les citoyens et les non-citoyens,
dépouiller et emprisonner ceux qui ne coopèrent pas,
tuer et torturer ceux qui résistent
— et plus important encore, faire des lois.
Le pouvoir de légiférer est le pouvoir divin
de définir et redéfinir de manière unilatérale
les règles qui lient les États aux personnes vivant sous leur joug,
et qui définissent les rapports de ces personnes entre elles.
Parents, amis, sages hommes, et même chefs,
ne disposent d'aucune de ces prérogatives
sur ceux qui acceptent volontairement leur autorité, sans parler des autres.
Avec toutes leurs tromperies et leur fraude émotive,
les États essayent rien moins que d'usurper le rôle de Dieu
— l'autorité suprême
[41].
Afin d'accomplir son imposture émotionnelle et intellectuelle,
le mème étatique [42]
ne se contente pas de détourner
les émotions existantes de leurs cibles légitimes:
il va surtout dénaturer gravement
la manière dont les personnes infectées perçoivent le monde.
Il doit contourner le système de défense naturel de l'esprit humain,
son système immunitaire:
la raison, ce filtre à conneries.
Et il doit prendre des mesures constamment renouvelées
pour maintenir ce système de défense
dans un état où il sera inefficace à son égard
[43].
Pourtant, dans le même temps,
il ne peut pas détruire purement et simplement
toute l'intelligence humaine, car alors,
les humains infectés ne survivraient pas assez longtemps
pour propager le mème
[44].
Le parasite gagnant doit détruire l'entendement de manière sélective;
il doit conditionner l'application de son contenu fallacieux
de sorte qu'il n'empêche pas les qualités de survie innées;
il doit laisser suffisamment d'esprit vivant et en bonne santé
afin de nourrir et transmettre la maladie
[45].
Ce contournement et cette destruction sélective du système immunitaire
constituent l'essence de la maladie étatiste, comme de toutes les maladies.
C'est le point fondamental qui résume cette maladie,
c'est la source qui permet toutes les erreurs.
C'est la faille par laquelle la maladie
peut envahir notre système de compréhension de la société et de l'univers.
C'est la cause qui mène fatalement à des conséquences terribles.
C'est la pierre angulaire de toutes les impostures intellectuelles et émotives;
c'est la clef qui justifie tout comportement criminel massif.
Ce n'est qu'en identifiant cette faille
que nous pouvons établir de nouvelles défenses et trouver un remède.
Par conséquent, nous devons étudier plus profondément
les mécanismes par lesquels cette maladie mentale
altère notre système immunitaire;
nous devons analyser complètement le Mal originel
dans ce mème étatiste qui infecte les esprits humains.
Et pour commencer, nous devons donner son nom à ce Mal:
la Magie Noire.
4 Magie Noire contre Magie Blanche |
Comme toutes les maladies, la Magie Noire peut être caractérisée
par ses symptômes.
Nous trouvons un bon résumé, précis et concis de ces symptômes
dans une entrée du
Dictionnaire du Diable d'Ambrose Bierce:
Prier, v.: demander que les lois de l'univers soient annulées en faveur d'un unique pétitionnaire qui confesse en être indigne.
La meilleure façon de mettre en évidence la Magie Noire
est de la contraster avec l'attitude opposée de la Magie Blanche,
qui est adoptée par les esprits sains
[46].
Tout un chacun cherche le bonheur, le succès ou la rédemption;
mais nous pouvons distinguer deux chemins radicalement opposés
à suivre dans cette recherche.
Un servant de la Magie Noire
mendie des dons,
il s'humilie,
se soumet à des forces supérieures.
Un pratiquant de la Magie Blanche
mérite des récompenses,
il développe la fierté de soi et la maîtrise de la nature
(dans un sens non-hiérarchique).
Un servant de la Magie Noire
tente d'obtenir des faveurs de forces supérieures
en faisant des sacrifices,
en détruisant des objets et des personnes,
en affichant bruyamment ses intentions amicales,
voire en s'humiliant dans des actes de soumission abjecte.
Un pratiquant de la Magie Blanche
tente d'extraire des satisfactions des personnes et des choses terrestres
(dans une relation non-hiérarchique
[47]),
en s'améliorant lui-même et en améliorant sa propriété,
en créant des biens et des services,
en faisant un travail effectif,
en développant fièrement ses propres compétences.
Les servants de la Magie Noire sont ignorants
de la nature et de la façon dont elle fonctionne,
et se rebellent contre elle quand elle ne satisfait pas leurs désirs.
Les pratiquants de la Magie Blanche
tentent de comprendre la nature et ses mécanismes,
ils l'acceptent comme elle est,
et utilisent leur connaissance de la nature pour obtenir des satisfactions.
Pour un servant de la Magie Noire,
les Dieux sont des êtres surnaturels au-dessus de nous;
leur nature est Sacrée et ne souffre aucune mise en doute.
Pour les pratiquants de la Magie Blanche,
en tant que les choses peuvent être expliquées en terme de Dieux,
les Dieux ne sont pas autre chose que des aspects de la Nature elle-même.
Pour les servants de la Magie Noire, le but ultime
est l'accomplissement des désirs les plus débridés,
l'impossibilité en étant vaincue dans un paradis surréel
qui sera accordé aux adorateurs dans un futur lointain ou après la mort.
Pour les pratiquants de la Magie Blanche, le but ultime
est d'obtenir des satisfactions appréciées avant la mort,
avec la sagesse de réévaluer ses propres désirs
pour qu'ils entrent dans le domaine du possible.
Voilà ce que j'appelle la Magie Noire —
la croyance et la pratique de la recherche de bonnes choses
comme autant de miracles accordés
par un certain type de Dieux jaloux et vénaux:
des Dieux qui exigent que vous vous humiliiez devant eux;
des Dieux qui récompensent les sacrifices qui prouvent votre servilité;
des Dieux qui jouissent de l'abjection de leurs croyants
et de l'assujettissement des incroyants;
des Dieux qui se complaisent de la destruction ou de la dégradation
de soi-même et des autres;
des Dieux aux pouvoirs illimités et aux désirs arbitraires,
qui ne sont tenus par aucune loi connaissable par la raison,
mais sont censés être influencés
par l'affichage d'une obéissance servile
de la part de leurs adorateurs.
Bien sûr, des dieux abjects qui peuvent être achetés par une telle attitude
ne méritent absolument pas d'être adorés.
Ils sont des monstruosités contre lesquelles
tout humain qui se respecte ne peut que se révolter.
Ceux qui se prosternent aux pieds de tels dieux
sont des esclaves, des pourceaux;
ce sont des créatures indignes de leur libre arbitre,
et qui d'ailleurs s'empressent de l'abandonner.
À l'opposé, la Magie Blanche est un ensemble de croyances
complètement différent,
qui implique un type complètement différent
de Dieux incorruptibles mais bienveillants:
des Dieux qui demandent qu'une personne s'améliore elle-même;
des Dieux qui récompensent la création qui prouve la maîtrise d'une personne
par les fruits mêmes de la création;
des Dieux qui font leurs délices de l'estime de soi des croyants,
et de l'élévation des non-croyants au rang de partenaires;
des Dieux qui se réjouissent de l'autonomie et de la fierté des pratiquants;
des Dieux aux pouvoirs limités,
dont le comportement est circonscrit
par les lois connaissables de la nature,
qui ne sont émus que par l'ingénierie adaptée
de leurs fiers contemplateurs.
Ces Dieux n'ont pas à être adorés, mais compris.
Ils sont des faits de la nature
que les humains doivent apprendre à connaître et à accepter.
Ceux qui maîtrisent ces Dieux deviennent de meilleurs humains;
ce sont des êtres moraux exerçant leur moralité en faisant des choix,
et qui recherchent effectivement la liberté
et sa face duale, la responsabilité,
comme la mère de toutes les vertus.
La Magie Noire et la Magie Blanche sont deux pôles opposés
dans l'univers des attitudes que les humains peuvent avoir vis-à-vis de la Vie.
Dans le comportement humain réel,
dans les croyances, les religions et les discours réels des humains,
dans la complexité de l'esprit de chaque personne,
ces deux attitudes opposées peuvent être simultanément présentes,
et leur nombreuses instances imbriquées, combinées, mélangées.
La réalité du comportement humain oscille entre ces deux extrêmes,
et le plus souvent donne des teintes de gris.
Mais ce gris ne veut pas dire que le noir et le blanc n'existent pas:
la notion même de teintes de gris présuppose
que le noir et le blanc existent,
qu'ils peuvent être séparé
et que l'on peut être plus près de l'un que de l'autre.
Séparer le blanc du noir n'est pas facile.
Effectivement, ces deux aspects sont simultanément présents
dans les cultures et religions traditionnelles;
des mots identiques auront plusieurs sens de couleurs radicalement différentes;
et la plupart des gens confondront ces sens
dans un concept vague et mou
qui les empêchera de distinguer l'opposition entre ces sens.
Ainsi, des personnes confuses ou trompeuses
feront souvent appel à des motifs récurrents de pensée
qui sauteront d'un sens à l'autre
sans que la plupart des auditeurs ne s'aperçoivent
de l'erreur ou de l'imposture.
Et cette confusion permanente n'est pas un simple jeu de malchance:
la Magie Noire développe systématiquement des apparences trompeuses:
elle se fera passer pour de la magie blanche
pour revendiquer les créations de cette dernière,
et pour usurper ainsi pouvoir et légitimité.
Les magiciens noirs, ces grands destructeurs qui dominent la société,
se grimeront de blanc, et prétendront être les grands créateurs,
tandis qu'ils habilleront en noir
les magiciens blancs asservis qui sont les véritables créateurs.
Ainsi, ceux qui croient ce qu'ils ont appris
à l'école et dans les médias de masse
auront une idée inversée
de ce que sont la magie blanche et la magie noire,
de qui sont les exploités et les exploiteurs,
de ce que sont les principes de création et de destruction.
Les personnes les plus crédules
inverseront effectivement le noir et le blanc
sur un grand nombre de sujets,
partout où la propagande officielle est efficace.
Les personnes moins crédules seront troublées
au point de voir du gris partout.
Bien sûr, les personnes n'ont généralement aucun mal
à distinguer ce qui est constructif et ce qui est destructif
en ce qui les concerne directement,
de façon que la propagande de la magie noire
peut rarement tromper les gens concernant leur intérêt personnel immédiat;
mais elle peut les tromper concernant leur intérêt personnel à long terme, et
concernant l'intérêt personnel de personnes qu'elles ne connaissent pas bien.
Elle inverse la vision morale à longue portée des personnes crédules,
et induit une myopie morale sur les personnes moins crédules.
Cette inversion occasionne de nombreuses confusions;
elle crée pour chaque croyant une zone intermédiaire
où tout est flou ou auto-contradictoire,
entre leur entendement correct à courte portée
et leur entendement inversé à longue portée;
cela à son tour induit un sentiment d'absurdité quant à la vie.
En fin de compte, ce phénomène mène à une forme de schizophrénie
parmi ceux qui acceptent des théories
aussi éloignées de la pratique quotidienne
[48],
à une auto-destruction de ceux
qui refusent d'adopter des pratiques opposées à leurs théories,
et à une atrophie des esprits de ceux qui cherchent à éviter un conflit mental
en rejetant indifféremment toute théorie.
Pour comprendre le monde,
nous devons donc apprendre à démêler l'arbre de la magie blanche
des lianes parasites de la magie noire qui l'enserrent.
Pour pouvoir estimer les effets des différentes attitudes et actions,
nous devons étudier les influences respectives
de la Magie Noire et de la Magie Blanche sur le comportement humain.
La Magie Noire gagne toujours dans l'apparence;
vous la verrez toujours dominer les institutions établies,
glorifiée par des rites formels et des spectacles bouleversants.
Mais c'est la magie blanche qui fait vraiment tourner le monde,
même s'il faut du discernement pour s'en apercevoir.
Les magiciens noirs sont experts en voeux pieux,
imprécations oisives, et tromperie d'eux-mêmes et des autres;
mais seul le travail assidu des magiciens blancs
fait effectivement progresser le monde.
Toute la création découle des principes de la Magie Blanche.
La Magie Blanche sert de fondement à la civilisation même.
Et la Magie Noire elle-même ne peut survivre
que comme parasite de la Magie Blanche,
— car s'il n'y a pas de création,
il ne restera bientôt plus rien à détruire.
Murray Rothbard, dans la conclusion de son livre
Power and Market,
a dressé un petit tableau comparatif entre les conséquences
de ce qu'il a appelé « le principe du marché »
(The Market Principle) et « le principe hégémonique »
(The Hegemonic Principle).
Nous pourrions très bien étendre ce tableau pour résumer l'opposition
entre ces principes plus larges que sont la Magie Blanche et la Magie Noire.
En fait, en considérant ce tableau,
nous pourrions également appeler ces principes respectivement
le principe libertaire et le principe autoritaire,
ou encore le principe libéral et le principe étatiste,
le principe de liberté et le principe de contrainte,
le principe marchand et le principe guerrier,
le principe économique et le principe politique,
le principe volontariste et le principe coercitif,
etc.
Quelques conséquences de ces deux principes opposés | |
---|---|
Le principe du marché | Le principe hégémonique |
liberté individuelle | coercition |
bénéfice mutuel général (utilité sociale maximisée) | exploitation — bénéfice d'un groupe aux dépens d'un autre |
harmonie mutuelle | conflit de caste: guerre de tous contre tous |
paix | guerre |
pouvoir de l'homme sur la nature | pouvoir de l'homme sur l'homme |
satisfaction la plus efficace des désirs des consommateurs | satisfaction des désirs des dirigeants au détriment de ceux des citoyens |
calcul économique | chaos calculationnel |
incitations à la production et à l'avancement des standards de vie | destruction des incitations: consommation du capital et régression dans les standards de vie |
La magie blanche | La magie noire |
Praxéologie — pensée rationnelle sur les choix dynamiques | Pensée magique — pensée votive sur des paramètres statiques |
Science comme processus de libre questionnement | Superstition sous l'autorité des dogmes officiels |
Règles universelles simples | Affirmations ad hoc complexes |
Démonstrations logiques | Paradoxes |
Cohérence interne — la raison comme filtre incontournable des croyances | Double pensée — suspendre la raison pour préserver les croyances |
Comprendre la nature | Élever un culte à l'ignorance |
Accepter les faits | Se révolter contre la nature |
Réaliser des potentiels effectifs | Poursuivre des fantaisies irréelles |
L'économie comme un point de vue sur l'action humaine | L'économie comme traitant de paiement monétaires, en vue de taxation par l'État |
Ceux qui peuvent effectivement faire des prédictions utiles récoltent leur récompense sur le marché | Ceux qui font des statistiques inutiles sont payés par l'État pour justifier sa spoliation |
Gagner sa vie, par son travail productif | Devoir sa vie au bon vouloir d'autrui |
Production: exploitation mutuelle pour bénéfice mutuel | Prédation: exploitation unilatérale au bénéfice de l'un et pour la perte de l'autre |
Intérêts harmoniques, jeux gagnant-gagnant à somme positive | Intérêts antagoniques, jeux gagnant-perdant à somme négative |
Convaincre par la persuasion | Contraindre par la force |
Création | Destruction |
Vie | Mort |
Discipline interne d'autonomie personnelle et d'exercices | Rituels externes de mendicité plaintive et démunie |
Arguments rationnels | Arguments émotionnels |
Causalité | Corrélation |
Cybernétique | Statistique |
Droit de dissidence | Obligation d'obéissance |
Consentement | Compulsion |
Liberté, Mère de l'Ordre | Ordre, Prétexte pour l'Oppression |
Ordre émergent | Chaos imposé |
Moralité fondée sur les bonnes actions, non pertinence des intentions derrière les actions | Moralité fondée sur les bonnes intentions, non pertinence des résultats des actions |
Justice fondée sur le respect et la restauration des droits de propriété de chaque individu | Justice fondée sur la coercition des individus pour qu'ils entrent dans le moule de l'utopie collective |
Choix dynamiques | Vœux statiques |
La Magie Blanche et la Magie Noire sont des attitudes
qui colorient tout ce qu'elles touchent.
En effet, c'est en structurant la façon dont les gens pensent
qu'elles influencent la façon dont les gens agissent.
Comme tous les mèmes auto-reproducteurs,
elles se répandent et survivent si et seulement si
les actes qui en découlent contribuent à leur tour au succès du mème.
Une cible majeure pour ces mèmes est donc
le centre du langage,
le mécanisme par lequel les individus
associent un sens aux mots
et relient les mots les uns aux autres et aux émotions,
la façon dont les gens comprennent le monde.
George Orwell,
dans son fameux roman
1984,
décrit comment les régimes totalitaires
tentent de limiter la façon dont les gens peuvent penser, s'exprimer
et échanger des idées potentiellement subversives pour le pouvoir en place,
en remodelant le langage pour en faire ce qu'il appelle le novlang:
le vocabulaire est réduit;
les termes sont redéfinis pour ne vouloir dire que ce que le parti veut bien;
et pour avoir les connotations en accord avec la ligne de l'idéologie du parti;
les mots et sens subversifs sont éliminés, etc.
[49]
Quand les ennemis de la liberté ne disposent pas d'un pouvoir totalitaire,
ils ne peuvent pas manipuler le langage à volonté;
toutefois, ils peuvent toujours répandre leurs connotations dans les mots,
ajouter juste assez de sens secondaires à des mots existants
pour les rendre inutiles (ou tout du moins bien moins utiles)
pour exprimer des idées opposées aux leurs, ou quelqu'idée précise que ce soit.
En effet, Friedrich Hayek a bien observé comme l'adjectif « social »,
employé comme suffixe de termes comme
« justice », « contrat », « responsabilité », etc.,
leur faisait dire le contraire diamétral
de ce pour quoi les libéraux auraient employé ces mots.
Des philosophes comme Henry Hazlitt ou Ayn Rand ont aussi observé
comment les mots « égoïsme » et « altruisme » étaient utilisés
par les ennemis de la liberté avec des sens grossièrement incohérents,
et promus comme incompatibles et opposés l'un à l'autre,
l'égoïsme étant présenté comme mal et l'altruisme comme bien,
justifiant ainsi le sacrifice de l'individu à la collectivité,
incarnée dans son État
[50].
Nous pouvons relever un cas où les magiciens noirs
ont fortement biaisé un mot dans notre tableau comparatif précédent:
le mot « exploitation ».
L'exploitation signifie la réalisation d'un potentiel d'utilité;
extraire un bien de quelque chose ou de quelqu'un.
Ainsi, l'exploitation mutuelle est quelque chose de profondément bien,
qui permet à chacun de s'en sortir mieux,
avec comme résultat net la création de richesse pour tous
— l'exploitation mutuelle est la source
de tout ce qu'il y a de bien dans la société
[51].
Mais les magiciens noirs ont chargé le mot « exploitation »
pour vouloir dire spécifiquement une exploitation unilatérale
de l'un au bénéfice de l'autre,
avec pour résultat net la destruction de richesses.
Encore une fois, ils veulent que chacun admette implicitement
que la société est fondée non pas sur des relations de production,
mais sur des relations de prédation.
Les magiciens noirs pensent en termes de prédation;
ils reprochent alors à l'exploitation
d'être un mal quand d'autres qu'eux s'y livrent,
et prétendent que c'est un bien quand eux s'y livrent
(quoiqu'ils ne prononceront pas
le mot maudit d'« exploitation » dans ce cas).
En fait, puisqu'une société fondée exclusivement sur la prédation
est impossible, en fin de compte, la Magie Noire
sera fondée sur une imposture par laquelle
la plupart des servants de la Magie Noire
seront eux-mêmes des producteurs asservis,
victimes de la prédation,
mais complètement trompés
au sujet de ce que sont la production et la prédation.
La croyance en la Magie Noire est donc un parasite
infestant des gens qui vivent vraiment
grâce aux règles créatrices de la Magie Blanche;
elle permet à quelques véritables magiciens noirs
de vivre aux dépens de ces gens;
mais elle peut même survivre sans bénéficier vraiment à quiconque.
Parfois, la Magie Blanche gagne la bataille du vocabulaire.
Mon témoin préféré en est le mot « to earn »,
— un mot typiquement anglais et américain,
qui n'a pas d'équivalent véritable en français.
Il implique une relation dynamique
entre un résultat et les moyens de l'obtenir:
à travers un dur labeur,
vous obtenez une chose de valeur que vous méritez.
Toute une morale de création, de productivité, d'honnêteté,
de propriété individuelle, de responsabilité personnelle, et de liberté
se trouve derrière ce mot.
Cependant, même en tentant de décrire le sens de ce mot libéral,
je dois utiliser des mots qui peuvent prêter à confusion,
et que les autoritaristes prendront allègrement d'assaut:
dur labeur, productivité.
Les magiciens noirs, qui n'entendent rien aux relations de causation,
déconnecteront le travail de son résultat,
et ou bien rejetteront le travail comme mauvais en soi
[52],
ou autrement feront l'éloge des vertus du travail comme bon en soi
[53].
Les magicien blancs ont de l'estime pour le « dur labeur »,
non pas en rapport avec l'intensité des efforts,
mais en rapport avec l'intensité des résultats
[54].
Il est compris comme une loi de la nature
que les gains faciles seront vite récoltés et considérés comme acquis
sans effort particulier
(tout effort requis impliquant que le gain n'était pas si facile après tout).
Ainsi, tout travail productif qui porte des fruits valables de façon prévisible
demandera probablement quelqu'effort intense ou quelque pénétration rare.
Et c'est précisément la propension
à sacrifier des plaisirs immédiats
pour un résultat éloigné a priori peu évident
qui mérite éloge
— en tant que ce résultat éloigné est effectivement un gain.
Toutefois, ce qui est apprécié est la capacité à voir et agir
au-delà des gains immédiats
— le bien ultimement supérieur rendu possible par le sacrifice immédiat;
ce n'est pas le mal du sacrifice immédiat lui-même
[55]!
L'éloge ou l'absence d'éloge que mérite le dur labeur
peut être mis en relation avec
l'éloge ou l'absence d'éloge que mérite
la réflexion intense:
ce qui compte n'est pas l'effort dépensé à penser en soi,
c'est le résultat en terme de profondeur de la pensée atteinte.
Et cette profondeur même ne doit être évaluée
qu'à travers les améliorations qu'elle apporte aux comportements;
lesquels comportements à leur tour doivent être évalués
par les satisfactions personnelles qu'elles suscitent
(y compris les satisfactions indirectes obtenues
par la coopération avec d'autres personnes
qui peuvent être plus directement satisfaites
grâce à cette pensée).
Le but est « moins de pensée, plus de résultats »,
et non pas le contraire
[56];
une pensée profonde n'est bonne que si l'un dans l'autre
elle ouvre la voie à de nouvelles stratégies de comportement
qui économisent le besoin de penser dans le futur
tout en permettant d'obtenir un résultat équivalent ou meilleur
— c'est un investissement en capital.
La Magie Noire, Principe d'Autorité,
est un mème qui déforme profondément
la façon dont ses victimes voient le monde,
par opposition à la vue correcte qu'offre
la Magie Blanche, Principe de Liberté.
Si nous autres libéraux voulons guérir les malades du mème de la Magie Noire,
nous devons pleinement saisir
les conséquences de la façon dont la Magie Noire
déforme l'entendement de ses victimes.
Car nous ne pouvons les soigner qu'en les convainquant,
et en communicant avec eux,
nous devrons franchir le fossé sémantique
entre les mots tels que nous les comprenons,
et les mêmes mots tels que ces victimes les comprennent
— chaque victime ayant
son ensemble subtilement différent de distorsions dans le sens des mots
[57].
5 La magie de l'action humaine |
Dans la section précédente,
nous avons identifiées les attitudes fondamentales
que sont la Magie Blanche et la Magie Noire
comme deux mèmes concurrents
(ou comme une famille de paires de mèmes concurrents).
Nous les avons étudiés du point de vue mémotypique
[58],
nous procéderons avec le point de vue phénotypique:
comment ces attitudes se traduisent
en termes de comportement individuel dynamique.
Une étape cruciale de rétroaction
entre la compréhension qu'une personne a du monde
et l'action de cette personne a sur le monde
réside dans la façon dont cette personne décide
ce qui est bon et de ce qui est mal,
quelles actions préférer et quelles actions éviter,
quels buts poursuivre activement et quels buts éviter activement.
Ces questions définissent
non seulement la moralité d'une personne,
non seulement ses goûts,
mais sa vie.
Ainsi la première question de l'éthique est:
y a-t-il en ce monde quoique ce soit de supérieur, de sacré, de bien
ou quelqu'en soit le nom?
La seconde question de l'éthique est:
comment pouvons-nous identifier
cette supériorité, ce sacré, ce bien, cette qualité dont le nom importe peu,
avec assez de précision pour la distinguer de ce qui est
inférieur, blasphématoire, mauvais, ou peu qualifié selon-ce-nom-peu-important?
Et la troisième question de l'éthique est:
une fois identifié ces buts valables,
comment pouvons nous au mieux les promouvoir
[59]?
La première question de l'éthique trouve facilement sa réponse:
le fait même de poser la question, de respirer de l'air,
suppose que la vie vaut pour celui qui le fait;
nous savons que certaines choses valent mieux que d'autres,
nous le ressentons, et c'est bien pourquoi nous agissons
[60].
Voilà qui exorcise le nihilisme moral.
Avec la seconde et la troisième questions,
la Magie Noire et la Magie Blanche
impliquent des approches opposées, des épistémologies opposées.
Les magiciens noirs ont une vision statique du monde;
ils voient l'information s'écoulant à sens unique,
de l'Autorité vers vous,
et de vous vers ceux qui sont plus éloignés encore de l'autorité.
Les magiciens blancs par contre ont une vision dynamique du monde;
l'information n'est pas totalement connaissable à l'avance,
et la façon dont nous interagissons avec le monde
est déterminante non seulement pour la façon de faire progresser le bien
mais aussi pour la découverte même de ce en quoi consiste ce bien.
D'où des structures très différentes de l'organisation sociale:
la structure type après laquelle les magiciens noirs
modélisent les interactions sociales est la hiérarchie;
la structure type après laquelle les magiciens blancs
modélisent les interactions sociales est l'entreprise.
Avec la Magie Noire, chaque homme est une « fin en soi »,
distincte de chaque autre homme et opposée à toutes les autres.
La lutte interne est la condition naturelle mutuelle des hommes,
et seul un ordre imposé de l'extérieur peut les faire coopérer;
et cette coopération même ne peut avoir lieu
que pour une seule fin commune possible:
combattre des ennemis extérieurs communs,
que ce soient des ennemis effectifs
(animaux sauvages qui peuvent être prédateurs ou proies,
étrangers qui peuvent soit « nous » envahir et « nous » asservir
soit être envahis et asservis par « nous »),
ou des ennemis symboliques
(qui peuvent être des envahisseurs comme
le chômage, la pauvreté, la maladie,
ou des esclaves potentiels comme
les processus commerciaux, l'électricité, l'espace).
Cet ordre imposé de l'extérieur prend la forme
d'une structure de commandement au-dessus des hommes;
cette structure de commandement est maintenue en place
par des hommes qui doivent eux-mêmes être coordonnés
par un commandement au-dessus d'eux, et ainsi de suite, dans une hiérarchie,
jusqu'à ce qu'un seul homme détienne le commandement ultime,
et obtienne son Autorité directement
du principe d'autorité officiel ultime de la Magie Noire:
le Droit de Conquête, la Classe Dirigeante, la Race Supérieure,
l'Ordre Naturel des Choses, Dieu, la Religion, le Peuple, la Nation,
la République Une et Indivisible, la Démocratie, etc.
La nature est vue comme une lutte à plusieurs niveaux,
depuis le Cosmique jusqu'au trivial,
et l'organisation sociale correspond à la structure de la nature,
en étant divisée selon une hiérarchie imbriquée
de groupes avec des ennemis extérieurs communs
et sinon des conflits internes qui sont résolus de force
par une autorité qui empêche les sous-groupes d'interagir librement.
La figure prototypique de la Magie Noire
est un administrateur gestionnaire d'hommes,
qui commande à ceux en-dessous de lui et reçoit ses ordres d'au-dessus.
Avec la Magie Blanche, chaque homme a ses propres fins,
mais les fins des hommes ne sont pas intrinsèquement incompatibles ou opposées:
les hommes peuvent tirer bénéfice de la coopération,
et leurs fins peuvent ainsi être vues comme harmoniques.
Chaque homme est donc un moyen légitime pour les fins de chaque autre homme,
la coopération étant obtenue par l'aide mutuelle
en vue des fins de chacun, chacun étant à la fois utilisé et utilisateur
dans une exploitation mutuelle mutuellement bénéfique
[61].
La condition naturelle de la société est donc
un ordre émergent de coopération;
et cette coopération a lieu parce que chaque homme poursuit ses propres buts,
et utilise comme moyens d'autres hommes coopérant volontairement.
Ensemble, les gens peuvent construire, améliorer, remplacer et abandonner
des structures rationnelles, aussi bien mécaniques que sociales,
pour maîtriser la nature, la mettre en mouvement, réagir à ses événements,
s'adapter à ses changements, etc.
Nous produisons les satisfactions des buts que nous nous fixons pour nos vies
par l'ingénierie des processus naturels en vue de servir nos fins;
nous réalisons les structures qui nous satisfont
avec les ressources disponibles
[62].
L'organisation de la défense contre les agresseurs
n'est qu'un cas particulier
de l'effort de préservation des structures que nous créons
contre la destruction par des forces extérieures;
et la prise en compte
des forces adverses qui dégradent et détruisent les structures que nous créons
fait elle-même partie de notre ingénierie de ces structures dynamiques.
Comme pour tous les autres problèmes de la vie,
le danger d'une agression doit être résolu par la libre coopération
pour maximiser son résultat et minimiser ses coûts.
L'organisation de la société est une structure adaptative dynamique
d'invididus coopérant et se coordonnant à travers des contrats volontaires
tissés sur le marché libre.
Pour les magiciens blancs, la Vie est une Entreprise Créatrice.
La figure prototypique de la Magie Blanche est l'ingénieur entrepreneur,
qui maîtrise une technique et recherche la coopération d'autres hommes
pour l'utiliser à la construction de structures
qui apporteront les plus grandes satisfactions
à partir des moindres ressources
[63].
Pour les magiciens noirs, certaines connaissances s'écoulent
de l'Autorité vers les simples mortels.
La société idéale de la Magie Noire
est donc organisée hiérarchiquement autour de l'Autorité,
dans une division en castes:
au sommet, il y a les prêtres, les sages hommes, les brahmanes,
les membres du parti intérieur, les intellectuels officiels,
les politiciens, ou quelque soit leur nom,
desquels s'écoule l'ordre de la société.
Après viennent les militaires, les guerriers, les policiers,
les employés de l'administration, les fonctionnaires,
les enseignants et autres commissaires politiques,
qui disséminent et font respecter l'ordre supérieur auprès de la société.
En dessous vient la masse des producteurs, travailleurs, paysans,
artisans, techniciens, ingénieurs et autres esclaves,
qui effectuent le travail physique;
bien qu'une minorité d'entre eux puisse avoir des compétences avancées
concernant la maîtrise de la nature,
ils sont eux-mêmes considérés socialement
comme des outils dans les mains de l'élite;
et bien que ces travailleurs qualifiés dussent être payés davantage
(ou sinon, ils abandonneraient leurs qualifications
et se contenteraient des corvées communes),
l'idéologie officielle les déclare inférieurs aux travailleurs physiques.
Tout en bas de l'échelle sociale,
à peine tolérés si tant est qu'on leur permet d'exister,
il y a les commerçants, les marchands, les prêteurs, les spéculateurs,
qui font un travail méprisable,
qui est au mieux compris comme la récupération des déchets
laissés par une administration ordonnée,
comme le fait de profiter de la misère humaine d'une façon mystérieuse,
de faire les sales besognes qui sont en dessous des soucis de la Hiérarchie.
Aussi caricatural qu'il paraisse, ce modèle est repris à l'identique
par toutes les utopies totalitaires:
c'est l'idéal suivi par les antiques empires d'Égypte, de Chine
[64] ou des Andes;
c'est le modèle proposé par Platon
dans sa République,
et dans les théories des brahmanes indiens ou des légistes européens;
c'est la vision du communisme et de ses versions social-démocrates adoucies.
Le fait qu'il y ait à peine la moindre variation
parmi tous les idéaux totalitaires
de tant d'époques différentes et de lieux différents,
même en absence de communication intellectuelle entre ces lieux et époques,
est un indice fort de l'existence d'un même Mal derrière eux:
le Principe d'Autorité, la Magie Noire.
De plus, nous voyons pourquoi un magicien noir
vénérera le Pouvoir en lui-même,
tout en détestant quiconque détient le Pouvoir,
si ce détenteur du Pouvoir ne suit pas l'Unique Vraie Autorité
telle que comprise par ledit magicien noir:
le monde dans son état actuel est une sacrée dystopie
pour le magicien noir qui ne s'identifie pas pleinement avec l'État;
en même temps, au rythme où le monde change en général
et où les États changent en particulier,
et avec le grand nombre de variantes de la Magie Noire,
une identification complète de personnes avec leur État est forcément rare.
Les magiciens noirs qui s'identifient assez avec leur État
chercheront à s'en emparer,
et à le réformer pour qu'il corresponde mieux à leurs idéaux.
Les magiciens noirs horrifiés par une trop grande divergence
entre leur conception du Bien
et l'autorité actuellement régnante qu'ils rejettent,
chercheront à faire une révolution,
ou, s'ils sont trop faibles, à s'échapper,
ou sinon, ils vivront comme des parasites antisociaux
vandalisant une société qu'ils abhorrent.
Un mythe essentiel sur lequel repose le Principe d'Autorité
est le mythe de la connaissance objective,
qu'elle soit justifiée comme découlant de la « religion vraie »,
ou, de nos jours, de la « science établie »:
autant de croyances qui doivent être acceptées
sans possibilité de dissidence
par les gens qui les reçoivent de la bouche des grands prêtres;
des connaissances dont l'investigation n'est bonne
que si elle est effectuée par l'élite officielle,
et mauvaise si elle est effectuée par d'autres.
Cette connaissance objective doit être mis en contraste avec le relativisme
proclamé des magiciens noirs récents à propos de la réalité
quand ils justifient la variété des choix arbitraires
des nombreuses tyrannies qu'ils défendent:
si la réalité contredit leurs théories,
alors c'est la réalité qui a tort,
ou encore elle est « plurielle »,
de telle sorte qu'ils sont exempts du besoin rationnel de cohérence logique.
La Magie Blanche, au contraire, rejette la prémisse
d'une connaissance objective à propos d'une réalité relative,
mais se fonde en lieu et place sur
une connaissance relative d'une réalité objective.
Toute connaissance est conjecture,
mais la réalité fournit un cadre solide contre lequel
tester et améliorer notre connaissance;
quoiqu'il soit plus correct de renverser la direction de la phrase précédente:
la réalité n'existe pas pour tester notre connaissance
et discriminer la vérité divinement donnée de l'erreur inspirée par le diable;
bien au contraire,
nous développons des connaissances
pour organiser notre comportement au sein de la réalité,
pour ajuster ce comportement
dans le but de réaliser les buts intérieurs qui sont nôtres.
Remarquez qu'en considérant le fait que toute connaissance est conjecture
depuis le point de vue statique de la Magie Noire,
on en arrive précisément au sophisme du relativisme,
à la négation de la raison, et à la prééminence de la force brutale
comme critère ultime de « vérité ».
Au contraire, en considérant ce fait
du point de vue dynamique de la Magie Blanche
nous arrivons à voir toute connaissance comme un pari
et à réaliser que chaque acte de notre vie
est un choix d'entrepreneur
[65].
Dans le paradigme de la Magie Noire,
la Vie est un Combat,
chaque homme combattant pour sa propre personne dans un monde absurde.
Dans le paradigme de la Magie Blanche,
la Vie est une Entreprise,
chaque homme construisant sa propre vie dans un monde de sens.
Effectivement, toute connaissance que nous avons à propos du futur
ne peut être obtenue que de l'expérience passée par induction.
David Hume a montré que l'induction
ne pouvait jamais mener à une connaissance certaine,
mais seulement à des conjectures,
car toute règle générale que nous pourrions induire de l'expérience passée
peut toujours être invalidée par une expérience future
[66].
Il y a une infinité de façons de digérer des données en un ensemble de règles.
Cependant, parmi ces façons, certaines sont plus simples,
étant donné les connaissances déjà acquises
qui varient avec les individus et au cours du temps;
et c'est dans un sens fort une stratégie optimale
d'accorder exponentiellement plus de crédit aux explications plus simples
qu'aux explications plus complexes:
une telle stratégie minimise la quantité de temps et d'énergie employés
tout en laissant le moins d'ouvertures pour une manipulation
par des mèmes qui voudraient nous parasiter en s'insérant dans les explications
[67].
Maintenant, bien que la même stratégie,
indépendamment des connaissances initiales,
mènera ultimement au même comportement asymptotique
confrontée à la même séquence d'événements
(et cela constitue son critère faible de cohérence)
en pratique, nous partons tous de connaissances initiales différentes,
nous avons tous des intellects différents,
nous sommes tous confrontés à des séquences d'événements différentes,
et notre vie est trop courte pour jamais s'approcher de l'asymptote.
C'est pourquoi, en fin de compte,
la connaissance est quelque chose de subjectif et de personnel:
elle est basée sur une expérience
qui ne peut jamais être complètement partagée;
elle est adaptée à chacune de nos vies;
elle n'est jamais adaptée à la vie de quiconque d'autre;
elle s'améliore avec la rétroaction des décisions prises basées sur elle;
elle part dans tous les sens sans rétroaction appropriée.
Le modèle social proposé par la Magie Blanche n'est donc
pas une hiérarchie, mais une interaction,
où chaque individu prend des décisions intrinsèquement personnelles,
dans un paradigme qui mène simultanément
à l'amélioration de soi et au respect des autres:
liberté, responsabilité, propriété.
Pour les magiciens noirs, la connaissance est sacrée;
elle est objectivement acquise en suivant l'Autorité.
Pour les magiciens blancs, le processus de vie-apprentissage est sacré;
la connaissance subjective naît du respect de la Liberté.
Pour les magiciens noirs, la connaissance préexiste et doit être suivie.
Pour les magiciens blancs, la connaissance
est un type de bien parmi tant d'autres,
que nous pouvons obtenir, en en payant le prix,
quand nous faisons le pari qu'elle sera pertinente
pour améliorer nos décisions futures et que cette amélioration vaudra son prix
[68];
la connaissance n'est jamais parfaite,
mais elle n'a jamais besoin d'être parfaite,
elle a juste besoin d'être suffisamment bonne — ou plutôt,
elle ne constitue qu'une des nombreuses parties
de notre capital entrepreneurial individuel.
La Magie Noire et la Magie Blanche
ont des approches opposées de la connaissance.
Nous avons vu comme cela les menait
à des approches complètement différentes
pour l'organisation de la société.
Mais cela implique aussi des approches opposées
sur la façon d'obtenir la connaissance sociale.
En effet, en Magie Noire, les personnes qui détiennent le pouvoir social
ont quand même besoin de fonder leurs décisions sur quelque information;
tandis que dans une société rigide simple
une hiérarchie fixe peut être suffisante
pour que les ordres soient transmis sans discussion du sommet à la base,
lorsque la société victime du parasitisme de la Magie Noire
grandit en complexité,
une telle hiérarchie rigide ne peut plus convenir;
aussi, les institutions de la Magie Noire développent des outils propres,
pour produire l'information sur laquelle les magiciens noirs
pourront s'accorder en vue de prendre des décisions
sur la façon de se nourrir de la société parasitée.
À l'opposé, en Magie Blanche,
la liberté d'acquérir et d'utiliser la connaissance
et de fournir à autrui des services autour de la connaissance
implique que différentes gens se spécialiseront
dans différentes formes de connaissance,
de façon que ceux qui n'ont pas ces connaissances puissent
quand même en profiter;
aucun des spécialistes n'aura aucune autorité a priori,
au lieu de quoi chacun pourra vendre ses services sur un marché libre;
cependant, des méthodes seront développées
par les spécialistes pour acquérir des connaissances
et par les béotiens pour détecter les bons spécialistes,
dans un environnement de coopération concurrentielle.
L'approche de la Magie Noire pour comprendre le monde est statique.
Elle tente de décrire le monde en termes de paramètres,
dont la pertinence est mesurée
par la résonance émotionnelle de sa valeur,
plutôt que par aucune théorie rationnelle en terme de chaînes de causation
parmi les événements qui affectent ces paramètres
(quoique comme nous l'avons vu
dans le cas des justifications des biens publics,
un semblant d'explication rationnelle peut être donné
pour satisfaire les surgissements contenus de la magie blanche
dans la population parasitée).
Ces paramètres sont à leur tour mesurés,
et ces mesures et leur science, la statistique,
sont au cœur l'approche de la connaissance par la Magie Noire;
elles servent à justifier les politiques étatistes,
où l'État, considéré comme un entité extérieure à la société,
prend des mesures pour modifier magiquement les paramètres
en direction d'une valeur plus désirable
(proclamée telle par les statisticiens).
Toutefois, puisqu'il existe une infinité de paramètres
qui pourraient être affectés par une infinité d'événements,
le point de vue statistique donne toujours
une image partielle, fausse, et en fin de compte trompeuse du monde.
Étant donné un ensemble statique de mesures statistiques,
on peut toujours inventer une intervention étatique
qui leur fera produire des chiffres meilleurs en apparence,
en « cachant la poussière sous le tapis »:
c'est-à-dire qu'on améliorera les aspects mesurés
au prix d'une évolution défavorable des aspects non mesurés;
et ces aspects non mesurés comprennent d'ailleurs
les préconditions indispensables à ce que les mesures effectuées
conservent d'une fois à l'autre un même sens;
de sorte que même une éventuelle variation positive des mesures
consécutives à l'intervention ne signifie aucune amélioration même partielle.
Ainsi, quand les mesures statistiques sont utilisées comme buts
(comme dans le cas ces « critères de convergence »,
ou celui des rodomontades de tel gouvernement
à propos de la réduction ou de l'augmentation de tel chiffre)
le résultat est que les États interviendront de telle façon
que les choses non mesurées empireront continuellement
et que les mesures elles-mêmes se videront de leur sens
[69]
[70].
Les justifications statistiques de l'État
consistent donc toujours
en (1) se concentrer sur un « problème » qui soit
un ensemble particulier de paramètres mesurés,
en déconnectant ces paramètres d'autres paramètres
nécessaires à ce que la mesure ait un sens.
(2) appliquer une instance du Sophisme de
ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas
pour montrer comment tel plan permettrait d'améliorer les mesures,
sans considérations pour le fait que cette intervention en fait
empire les paramètres non mesurés au point d'être nocive
(3) poser la coercition étatique comme la solution magique
au problème d'imposer le plan conçu,
puisque ce plan ne fonctionne pas tant que règne la liberté.
L'attitude statistique n'a pas besoin de chiffres pour se tromper:
le fait de porter son attention sur un ensemble de paramètres statiques,
de déconnecter les modifications apportées à ces paramètres
des conséquences dynamiques des moyens employés pour les modifier,
l'invocation de l'État comme un dieu magique capable d'intervenir gratuitement
— tout cela définit le point de vue statistique,
et explique en quoi il s'agit d'une imposture intellectuelle.
Les chiffres ne sont qu'un moyen de donner une façade pseudo-scientifique
à l'attitude statistique.
Ils ne sont qu'un ornement rituel destiné à inspirer l'humilité,
une mise en scène religieuse de la religion étatiste de Magie Noire
[71].
Bien sûr, plus élaborée est la couverture de mesures statistiques,
plus complexe est l'appareil technocratique nécessaire
pour intervenir d'une manière qui améliore les chiffres mesurés
(au détriment du public en général).
Quand les buts statistiques sont employés comme guides
pour développer les administrations publiques,
le poids, le coût, et l'inefficacité des ces agences gouvernementales
augmentera, produisant de nouvelles statistiques
et des interventions plus complexes,
jusqu'au point où même de telles nouvelles mesures
ne peuvent plus améliorer les chiffres;
au-delà de ce point, l'État est dans une atmosphère de crise permanente,
où il travaille dur sans résultat positif,
même selon ses propres normes falsifiées
[72].
Les statistiques sont l'outil par excellence
par lequel les États jouent
au sophisme de ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas.
Certains essaient d'utiliser les outils mêmes de l'État
pour repousser l'intervention étatique loin d'eux:
ils produisent des contre-statistiques, etc.
Mais il leur coûte fort cher de tenir à jour ces statistiques,
qui seront disputées par l'État, et en fin de compte,
le mieux qu'ils puissent accomplir
est que l'État inclura de nouveaux paramètres dans ses statistiques,
ce qui mènera à davantage d'interventions
avec davantage de complexité et de subtilité.
Les contre-statistiques peuvent être un moyen efficace
de faire pression sur l'État en faveur d'une intervention à votre avantage,
si vous arrivez à faire adopter votre arsenal statistique par l'État,
ou si vous arrivez à vendre à l'État
votre ralliement aux thèses officielles.
Mais les contre-statistiques ne peuvent pas être employées
comme moyen de réduire l'intervention globale de l'État.
En fait, les statistiques sont nées comme un outil de comptabilité fiscale;
effectivement, ils sont une manière pour l'État
de garder une trace de ses avoirs.
Le calcul « économique » de la Magie Noire
est bien basé sur la comptabilité et les statistiques,
se focalisant sur la question de savoir qui possède quelles richesses,
et qui les échange quoi avec qui,
de façon à taxer tout ce beau monde
[73].
Les citoyens sont forcés de déclarer
tout ce qu'ils possèdent et tout ce qu'ils gagnent,
pour que l'État puisse leur en prélever une partie;
l'État de son côté promet représailles et confiscation
à tout citoyen qui ne déclarerait pas tout proprement à l'administration.
L'emploi des statistiques comme paradigme pour l'imposture intellectuelle
est un développement secondaire de ce but comptable originel;
c'est une adaptation évolutionnaire de l'État,
confronté à une société technique où il est indispensable
de diffuser une certaine rationalité dans la population,
de telle sorte que la force brute ne peut plus être employée
sans arborer une apparence trompeuse lui donnant un semblant de raison.
La Magie Blanche est fondée sur une épistémologie complètement différente.
Elle a une approche dynamique de la compréhension du monde
en termes de causation, de décisions prises sur la foi d'informations,
sur le flux dynamique d'information et d'énergie, etc.
C'est une approche cybernétique.
Les notions fondamentales qu'elle considère sont
les décisions, les événements, les choix,
chacun avec ses implications dynamiques,
plutôt que des agrégats qui donneraient des chiffres statiques
indépendamment de toute chaîne causale.
Autrement dit, la vision du monde de la Magie Blanche
n'est pas moins partielle, mais elle s'intéresse
aux moyens compréhensibles plutôt qu'aux fins incompréhensibles.
Elle nous permet de prendre des décisions qui ne sont pas flouées
par le biais systématique (qu'il soit volontaire ou involontaire)
du processus de fabrication des statistiques.
Et en effet, les informations que nous traitons
ne peuvent en fin de compte influencer le monde
qu'à travers les décisions que nous prenons.
Ces décisions sont donc l'élément de base
à partir duquel la vie humaine est construite.
Elles sont le tissu même de la vie:
non pas des joies et peines statiques,
mais des décisions responsables et leurs effets en retour.
Les sophismes comptables de la Magie Noire
comparent le présent au passé
(dans le cadre de quelques paramètres, tandis que d'autres sont cachés);
ils créditent les uns et débitent les autres
(en pratique, les privilégiés sont créditeurs, et les exploités paient);
la comptabilité enregistre les transferts de propriété;
elle donne de l'information sur ce qui s'est passé,
mais ne peut d'aucune façon prédire ce qui arrivera
pour l'adaptation aux changements inévitables de la vie.
Cependant, quand une personne fait un choix,
cette personne n'a jamais, ô grand jamais
à choisir entre le futur et le passé;
le temps s'écoule, qu'on le veuille ou non.
Une personne a toujours, et à jamais
à choisir entre de multiples futurs.
C'est pourquoi la morale et l'économie
(et en fait, l'économie est la même chose que la moralité)
n'est jamais concernée par les coûts comptables;
bien plutôt, elle est est toujours concernée
par les coûts d'opportunité,
c'est-à-dire, la différence attendue de résultat
entre les diverses opportunités.
Les coûts comptables sont non pertinents;
les seules personnes qui se soucient jamais des coûts comptables
sont les fonctionnaires du fisc — autrement dit, les voleurs
[74].
Le calcul économique dans le paradigme de Magie Blanche
est donc le raisonnement praxéologique:
il considère les coûts d'opportunité des diverses décisions,
plutôt que les coûts comptables dénués de pertinence.
Il compare le présent aux multiples futurs possibles,
tels qu'indexés par les divers choix
auxquels une personne est effectivement confrontée,
plutôt que par quelques changements miraculeux dans des paramètres externes.
Il tente d'évaluer quelle sera la différence
entre les divers résultats qu'apportent chacune des alternatives disponibles
(cette différence est le coût économique de l'alternative considéré,
aussi connu sous le nom de coût d'opportunité).
Il donne de l'information sur ce qui pourrait arriver,
il est un outil pour la prise de décision.
Il sert de guide dans l'allocation de chacune des ressources
à un projet plutôt qu'à un autre.
Étant donné la connaissance des divers coûts d'opportunité,
et les préférences des individus,
le praxéologue peut déterminer
quelles décisions seront préférées et prises.
Bien sûr, la connaissance de divers coûts d'opportunité
ne peut être que partielle, et ces coûts seront évalués différemment
par divers individus selon leurs connaissances et leurs préférences.
Mais cela en soi constitue une opportunité:
cela signifie qu'un échange d'information entre personnes
peut les aider à prendre de meilleures décisions,
en leur donnant de meilleurs modèles l'un de l'autre
quant à leurs préférences et opportunités,
de façon à s'adapter non seulement à ce que la nature peut faire
mais aussi à ce que l'un et l'autre fera.
Ainsi, bien que cette information sur les opportunités et préférences
[75]
peut dépendre d'un grand nombre de facteurs inconnus ou non maîtrisés,
il est possible de faire des prédictions utiles;
de plus, la coopération entre personnes permet
en fait de diminuer les risques et de réduire les effets des facteurs
non maîtrisés en partageant l'information,
en construisant des stratégies élaborées basées sur l'action coordonnée,
en distribuant les responsabilités sur chaque sujet
à ceux qui connaissent le mieux le domaine, etc.
La prédiction précise du résultat d'une combinaison de tous les choix humains,
étant considérées toutes les conditions particulières dans lesquelles
ces choix sont faits, est hors de portée de quiconque, ou d'une quelconque
combinaison de personnes
— ne fût-ce que parce que la connaissance sur laquelle fonder
une telle prédiction n'est elle-même pas disponible.
Nous ne pouvons jamais savoir à coup sûr
lequel de deux choix une autre personne préférera,
à moins de lui proposer effectivement ce choix
et de voir ce qu'elle choisira,
à quel moment il est trop tard pour faire une prédiction.
Et cela ne concerne qu'un seul choix,
tandis que la combinaison de toutes les actions humaines
est bien plus complexe.
Ainsi, la compréhension complète de la société humaine
est au-delà de la porté de quiconque.
Mais cela ne veut pas dire qu'il est impossible d'obtenir
des formes d'entendement partiel,
ni qu'aucune prescription utile ne soit possible.
En effet, il est possible de discerner des lois générales immuables
du comportement humain,
qui ne sont pas moins des lois de la nature
que les lois de l'électromagnétisme;
et par la connaissance de ces lois,
il est possible de déduire des principes généraux du comportement,
et une ingénierie du comportement,
de même qu'il y a des règles générales de sûreté
pour l'utilisation d'appareils électromagnétiques
et un art du génie électrique.
À partir des règles que les gens reconnaissent explicitement
ou suivent implicitement,
un ordre émerge dans la société.
Cette ordre est rarement voire jamais utilisé
comme une explication pour justifier les règles à suivre
— ce qui compte, cependant,
est que l'ordre en question
est en fait une conséquence inévitable de l'acceptation de ces règles.
Les cybernéticiens s'intéressent à ces règles,
ce qu'elles sont, ce qu'elles peuvent être,
comment elles affectent l'ordre émergent,
comment les modifier, dans quelles limites elles peuvent être modifiées,
quelles recettes peuvent être suivies pour construire un meilleur comportement,
etc.
En étudiant les règles de comportement,
les cybernéticiens feront particulièrement attention
aux variants et aux invariants:
quels potentiels et quelle information sont conservés
par quels événements, et lesquels sont consommés de façon irréversible;
quels phénomènes sont le lieu d'une rétroaction positive,
et conduisent à des forces évolutionnaires;
quels phénomènes sont le lieu d'une rétroaction négative,
et conduisent à des équilibres partiels;
quels événements modifient les opportunités disponibles, etc.
Avec une telle analyse, il devient possible
de détecter systématiquement les sophismes tels que
ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas
qui défient les lois naturelles fondamentales de conservation,
et de concentrer son énergie et son attention
sur des plans qui marchent réellement.
La Magie Blanche et la Magie Noire diffèrent
non seulement dans la façon dont elles nous encouragent
à collecter de l'information et à déterminer ce qui est bien,
mais aussi dans la façon qu'elles nous font agir
en vue de ce que nous croyons être le bien.
Alors que la pensée statique de la Magie Noire implique
une théorie de l'action morale orientée vers les buts poursuivis,
la pensée dynamique de la Magie Blanche implique
une théorie de la justice orientée vers les moyens employés.
Selon le Principe d'Autorité, certaines personnes savent ce qui est bien,
certaines personnes ont l'autorité de déterminer ce qui est bien.
En conséquence, pour les autoritaristes,
les personnes qui vont à l'encontre des opinions exprimées par cette autorité
agissent de façon mauvaise, et devraient être empêchées de le faire;
la coercition est donc considérée comme un moyen légitime
d'imposer aux dissidents les opinions de l'autorité
dans le domaine qui est reconnu comme sien.
Au contraire, selon le Principe de Liberté,
le bien en général et la connaissance utile en particulier
émergent du fait que chaque personne est libre de ses choix
et responsable vis-à-vis de ses choix,
dans la limite de la propriété que ladite personne crée et acquiert.
Pour paraphraser Hayek,
nous libéraux ne nions pas qu'il existe des personnes supérieures,
des choix meilleurs, des actions morales et immorales, etc.
Ce que nous nions c'est que quiconque ait l'autorité
de décider qui sont ces personnes supérieures,
quels sont ces choix meilleurs, quelles actions sont morales ou immorales, etc.
[76]
En effet, en supposant que certaines personnes sachent mieux que d'autres,
comment établirons-nous qui sont ces personnes?
L'autorité ne résout pas le problème de la connaissance de ce qui est bien;
elle ne fait que repousser ce problème,
pour le cacher sous le tapis de l'irrationalité.
En fin de compte, chaque individu,
pour déterminer à quelle autorité se confier,
devra toujours utiliser sa propre raison, sa propre expérience,
ses propres traditions
(qui ne sont que l'expérience accumulée à travers les siècles).
Le propre esprit d'une personne est irréductiblement
le critère ultime pour les choix que fera cette personne,
même si elle choisit de les déléguer;
une certaine liberté et responsabilité personnelle
ne peut être annulée, même dans le cadre le plus autoritariste.
Car même si vous acceptez quelqu'autorité,
même si Dieu vous parle directement et que vous le savez,
il se peut que les autres personnes ne le sachent pas.
Elles n'ont aucun moyen de s'assurer de vos prétentions,
et n'ont donc aucune raison a priori de vous croire,
de suivre à l'identique la même autorité, etc.
Elles ne peuvent d'aucune façon raisonnable prendre votre mot pour dit.
Et même si elles sont d'accord avec vous d'une façon formelle,
acquiesçant à votre opinion,
utilisant à l'identique les mêmes mots que vous
en provenance de la même autorité,
elles peuvent en fait faire une interprétation différente de ces mots,
elles peuvent les comprendre avec un sens différent,
avec des différences subtiles mais essentielles.
Ainsi même avec un accord formel sur une autorité commune,
il reste la question de communiquer les idées que l'on a de ce qu'est le Bien,
pour qu'elles l'emportent contre les idées opposées.
En supposant qu'une personne sache ce qu'est le bien,
comment peut-elle faire en sorte
que d'autres personnes le sache aussi?
En supposant que l'idée de bien d'une personne
a potentiellement un sens pour d'autres personnes
à qui elle veut la transmettre,
quelles sont les manières légitimes ou efficaces
d'accomplir cette transmission?
Voilà une autre façon de laquelle le Principe d'Autorité
ne peut pas esquiver la nécessité pratique
de convaincre des gens de façon pacifique:
chaque candidat à l'autorité n'a de ressources individuelles directes
pour ne contraindre au plus que quelques autres personnes
pour exécuter les ordres de ce candidat;
ce n'est qu'en acquérant la coopération
de séides, d'hommes de mains, de suivants et de complices
qu'une personne peut étendre sa prise sur des individus non consentants.
Et tous ces servants et complices doivent être
convaincus, séduits ou autrement persuadés,
non pas par une autorité préexistante,
mais par des moyens non autoritaires.
Or, dans la cas de la Magie Noire,
ces façons non-autoritaires comprennent l'imposture et la tromperie,
la culture de la superstition et de l'irrationalité,
autant que les gangs de brigands consentants
s'en prenant à des tierces parties non consentantes.
À l'opposé, le Principe de Liberté,
puisqu'il rejette l'autorité, la coercition, l'imposture, la tromperie,
et quelque sorte d'agression que ce soit,
induit le développement de moyens très particuliers
d'acquérir la coopération d'autrui:
la discussion rationnelle, ou du moins
la séduction d'une façon compatible avec la critique rationnelle.
On peut même dire que le raisonnement rationnel ou sinon logique en général
est né de la liberté de négocier les termes sous lesquels coopérer,
et en fin de compte de choisir s'il faut ou non coopérer.
Et c'est pourquoi ce n'est pas une surprise que les mathématiques axiomatiques
soient nées dans les plus libres des cités de Grèce.
En effet, quand des personnes libres doivent gagner l'acceptation volontaire
d'autres personnes libres,
y compris des étrangers d'autres cités,
pour coopérer,
elles doivent convaincre d'autres personnes
qu'il est de leur intérêt à coopérer,
et en même temps ne pas se laisser imprudemment convaincre
contre leur propre intérêt.
Ainsi, dans une société d'individus mutuellement libres,
chacun développe à un certain degré
des compétences aussi bien en communication (rhétorique, dialectique)
qu'en analyse des communications (logique, politique).
Et ces compétences ne se sont développées que dans de telles sociétés
de personnes libres et responsables:
car il n'y a aucun intérêt pour une personne à investir dans la raison
quand cette personne ne va pas prendre de décision
ou quand elle ne va pas souffrir des conséquences de ses décisions,
cependant qu'une personne doit bien décider
quand elle est libre et tenue comptable de ses actes.
Ainsi la coercition rend les gens plus irresponsables et irrationnels,
tandis que la liberté rend les gens plus responsables et rationnels.
Que la séduction irrationnelle se développe et prospère
est le signe sûr que les principes de liberté et de responsabilité
ne sont pas respectés.
Examinons maintenant la quintessence du Principe d'Autorité:
la coercition comme moyen légitime d'action.
La coercition ne convainc pas — elle ne le peut pas.
Le principe même en est de se passer de convaincre
les parties soumises à la contrainte.
Elle peut obtenir que des personnes fassent ce que vous désirez
— mais seulement si vous êtes le plus fort
— et seulement pour un moment,
après quoi les choses sont pires qu'avant.
Car non seulement les personnes seront demeurées non convaincues,
mais elles auront abandonné les outils mentaux maintenant superflus
de la rationalité et la responsabilité nécessaires au développement
d'une conviction profonde.
C'est pourquoi la coercition ne peut jamais être employée
pour rendre des personnes morales,
selon quelqu'idée de morale que ce soit:
ces personnes resteront aussi immorales qu'avant,
et davantage encore pour accepter les ordres de leurs maîtres,
cependant que ces maîtres eux-mêmes seront devenus des monstres.
Elle rend les sujets hypocrites et les maîtres hautains.
Dans un cas, ceux-ci sont sous la coupe de la volonté d'autrui,
et perdent leur sens de la responsabilité.
Dans l'autre cas, ceux-là ne sont plus comptables de leurs décisions
tant qu'ils restent au pouvoir,
et deviennent prisonniers des moyens violents qu'ils emploient pour vivre.
Dans les deux cas, les deux parties finissent
par n'être plus ni libres ni responsables.
La vanité inéluctable de la coercition comme principe d'action
a été joliment résumé par les
discordiens.
Le discordisme est une religion du genre
« ha ha, c'était juste sérieux »
fabriquée par un genre particulier de libéraux: le genre marrant.
Dans un site ouèbe discordien remarquable,
Hyperdiscordia,
on peut trouver la divine « Loi d'escalade éristique »
(Law of Eristic Escalation),
originellement tirée des
Principia Discordia,
et commentée comme suit (les caractères gras sont miens, la traduction aussi):
Cette Loi (originellement trouvée dans le Livre Sincère de la Vérité, l'Évangile selon Fred, 1:6) s'applique à toute imposition arbitraire ou coercitive d'ordre. Elle dit:
Imposition d'Ordre = Escalade du Chaos
L'Amendement de Fenderson ajoute que le plus strictement l'ordre en question est maintenu, le plus longtemps le chaos met à escalader, MAIS le plus il escalade quand il escalade! [L'Addendum de Thudthwacker à l'Amendement de Fenderson tend à prouver que la présence d'un terme non-linéaire qui apparaît dans les calculs de Fenderson contribue à faire en sorte que l'escalade du chaos soit complètement imprévisible à partir de l'imposition d'ordre originelle — Ed.]
Armé de la Loi d'escalade éristique et de l'Amendement de Fenderson [et de l'Addendum de Thudthwacker — Ed.] n'importe quel imbécile — et pas seulement un sociologue — peut comprendre la politique.[77]
6 La Magie Noire à l'œuvre |
Maintenant que nous avons vu
les principes statiques et dynamiques de la Magie Noire,
nous pouvons examiner ses effets dans la vie réelle,
et mettre en relation son expression moderne avec ses archétypes traditionnels.
Sacrifices humains:
les magiciens noirs invoquent les sacrifices comme bons en soi,
quelque chose qui plaît aux dieux,
le sacrifice ultime étant le sacrifice humain.
Ils justifieront ainsi le meurtre pour le bien du peuple:
par exemple, les prêtres aztèques avaient pour habitude
des faire chaque jour des sacrifices humains
pour que le soleil puisse se lever à nouveau le lendemain.
De nos jours, cette forme primitive de sacrifice humain
n'est plus si fréquente,
mais de tels sacrifices existent toujours sous des déguisements:
les guerres, les embargos, et autres opérations étatiques
causent de nombreuses morts directes, dégâts collatéraux
et autres « victimes inévitables »
qui servent à satisfaire la soif de pouvoir des dirigeants politiques,
sous prétexte de sécurité nationale,
de défense de la démocratie, d'intérêt public,
d'indivisibilité de la république, etc.
Les dirigeants d'agences de renseignement peuvent même laisser
des gens qu'ils sont censés protéger se faire tuer
pour promouvoir auprès de l'opinion publique
leur agenda de « mesures de sécurité » plus strictes.
Pour les magiciens noirs,
les vies humaines individuelles sont « consommables »
face aux raisons supérieures des entités collectivistes
qu'ils prétendent diriger.
Zombies:
les magiciens noirs créent des être plus morts que vifs.
Pour cela, ils hypnotisent et droguent typiquement leurs victimes,
qu'ils peuvent ainsi utiliser comme esclave jusqu'à leur mort;
de telles personnes ne sont sans doute pas très productives,
mais les magiciens n'en ont cure
puisqu'eux sont bénéficiaires,
même si l'opération occasionne une perte plus grande pour les victimes,
et une perte nette de bien-être général.
Les victimes désignées sont souvent droguées pour simuler la mort,
pour que le magicien noire puisse passer
pour les avoir sauvées et ressuscitées.
De nos jours, des travailleurs sont forcés
de livrer les quatre cinquièmes de leurs vies;
des citoyens sont privés des choix responsables
qui sont la matière même dont la vie est faite.
Ils ne sont plus tout à fait des êtres vivants
bien qu'ils ne soient pas complètement morts non plus.
Cependant, les magiciens noirs de l'État prétendent
en être leurs sauveurs et être créditeurs du peu de vie qui leur reste
après intervention de l'État.
Et effectivement, puisque les statistiques officielles
ne font pas de différence entre un homme vivant et un zombie,
elles serviront de justification pour toute politique
qui « améliorera » les statistiques officielles visibles
au coût invisible de transformer les humains en zombies.
Sacrifices matériels:
les magiciens noirs exigeront des destructions supposées apaiser les dieux:
des biens de valeur sont détruits
dans l'espoir d'une réaction magique des dieux,
hors de tout mécanisme rationnel de causation naturelle,
qui reliera ces sacrifices à quelqu'effet positif.
Bien sûr, les magiciens noirs insisteront sur l'importance
de ce qu'un prêtre proprement ordonné contrôle le sacrifice
(et soit payé pour son office, évidemment).
Les sacrifices non-rituels seront reconnus pour
le meurtre, le vandalisme, le vol et l'imposture qu'ils sont;
cependant que les sacrifices rituels sous contrôle
de la hiérarchie religieuse de la Magie Noire
seront présentés comme des invocations valides et effectives.
Par exemple, l'impression de faux billets de banque
sera décrié comme un vol diminuant la richesse totale
tandis que l'inflation effectuée par l'État,
qui revient au même que de faire de la fausse monnaie,
sera vantée comme augmentant la richesse.
Les États construiront à grands frais des grands monuments publics;
ils feront des routes,
planifieront des interventions économiques massives, etc.;
pour cela, ils exigeront du public
qu'il consente à de nouvelles taxes comme un sacrifice nécessaire
pour que Dieu-l'État leur accord ses divins cadeaux.
Confrontés à la pénurie et aux défaillances
des biens et services fournis par l'État,
ils invoqueront le devoir civique de réduire
ses dépenses et ses attentes.
Ils invoqueront la réduction du temps de travail
pour diminuer le chômage [78].
Bien que les sacrifices matériels ne terminent pas de vies humaines,
ils dépensent la vie humaine nécessaire à la création des matériaux sacrifiés.
De même que la zombification des personnes était un asservissement
— le meurtre partiel du futur d'une personne, —
les sacrifices matériels sont un vol —
le meurtre partiel du passé de quelqu'un
[79].
Les sacrifices ont de nombreux effets
qui renforcent le pouvoir de la Magie Noire:
ils bénéficient aux prêtres de la Magie Noire
qui prélèvent leur part du butin;
ils créent donc une classe de citoyens puissants
intéressés à maintenir la croyance.
Proprement dirigés, les sacrifices détruiront les ennemis de la Magie Noire,
et les priveront des ressources à travers lesquelles ils pourraient croître.
Les sacrifices engagent tous ceux qui participent à de telles abominations;
ces personnes, pour préserver leur respect pour elles-mêmes,
refuseront de reconnaître
leur propre bêtise, leurs propres péchés, leurs propres crimes;
pour soulager leur propre sentiment de culpabilité,
ils rejetteront avec joie la faute sur un bouc émissaire,
les victimes des sacrifices rituels ou tous autres ennemis symboliques.
Les sacrifices détournent l'attention du public
loin des causes réelles de ses malheurs,
des griefs effectifs, des vrais coupables,
la dirigeant vers l'accomplissement du rituel.
Les sacrifices donnent de l'espoir aux croyants
que puisque le sacrifice a été fait, leur vie va maintenant s'arranger;
avec cet espoir, les croyants continueront de faire marcher le système.
Les sacrifices emplissent de peur les croyants,
de ce que si les sacrifices n'étaient pas fait, leurs vies empireraient;
avec cette peur, les croyants empêcheront
tout changement qui pourrait renverser le système.
En Magie Noire, les prêtres lancent des sorts:
ils récitent des formules, conduisent des rituels,
fabriquent des objets magiques.
L'objet de ces sortilèges est multiple:
ils détournent l'attention des croyants
des sujets où le raisonnement montrerait l'absurdité de la Magie Noire;
ils focalisent cette attention sur certaines activités
que les magiciens noirs contrôlent;
ils donnent une opportunité aux magiciens noirs
de se faire payer pour ces activités;
ils cultivent des habitudes de dépendance parmi les croyants;
ils transforment l'intensité de l'adoration du culte
en un moyen de se signaler socialement parmi les croyants,
par lequel les croyants se font concurrence
à qui sera un adorateur le plus proéminent,
et excluent les adorateurs les moins actifs
(ou pire, les non-adorateurs)
des activités sociales importantes
(ou de la société tout court,
quand le pouvoir des magiciens noirs est suffisamment grand).
Les magiciens noirs concoctent des potions magiques
et récitent des formules
dont ils promettent qu'elles auront divers effets bénéfiques
envers les croyants qui boiront ces potions et suivront ces rituels.
La forme moderne de ces potions et formules de Magie Noire
sont les
émanations législatives,
les programmes politiques,
les exigences de manifestants,
les revendications de grévistes.
Si vous soutenez les projets des politiciens,
alors les choses s'amélioreront pour vous, — prétendent-ils en tout cas.
Les lois qui sont votées, les réglementations qui sont émises
sont autant de formules magiques censées exorciser le mal.
Les gens, ceux qui imposent autant que ceux qui subissent,
n'ont pas à comprendre les mécanismes de ces lois,
les raisons pour lesquelles elles sont censées apporter la prosperité;
ils doivent être frappés par la magie de ces lois,
par leur apparence superficielle de bonté,
par leur but officiel plein de bonnes intentions,
par la congruence de leurs rituels avec d'autres rituels acceptés.
Souvent, les personnes qui participent à ces rituels
reconnaîtront à quel point ils sont absurdes et destructeurs,
mais les respecteront néanmoins comme des prescriptions de la Magie Noire,
et accepteront la croyance selon laquelle ces défaillances évidentes
ne sont qu'une partie d'une grande œuvre bénéfique,
et peut-être même la conséquence d'un manque de respect
pour les principes de la Magie Noire,
manque qu'il faudra corriger par des appels à davantage de Magie Noire.
Les magiciens noirs utilisent des poupées vaudoues
comme symboles des ennemis et phénomènes qu'ils prétendent maîtriser
via une intervention symbolique.
Ils utilisent ces interventions symboliques
pour proclamer comme leurs succès
tout progrès visible contre ces ennemis ou dans ces phénomènes
tandis que tout recul sera la faute
de gens qui n'auront pas suivi les préceptes
ou autrement d'un pouvoir et d'une intervention insuffisants de la Magie Noire.
Les magiciens noirs modernes utilisent des modèles statistiques
exactement pour le même but.
Les experts statisticiens construiront des modèles taillés sur mesure
pour justifier toute intervention désirée par l'État,
et pour expliquer comme c'est grâce à l'intervention de l'État
que l'économie se porte mieux.
Les magiciens noirs appellent régulièrement
à des rassemblements religieux massifs,
pour concentrer les forces cosmiques
et invoquer les bons esprits.
Ces grand'messes n'ont aucun
des effets magiques proclamés sur le monde extérieur;
leur véritable objet est leur effet sur les membres du culte eux-mêmes:
ils sont l'opportunité de démontrer la force du mouvement
face à des circonstances contraires;
ils servent à établir la loyauté des membres envers le mouvement,
et à forcer les gens à s'engager en faveur du mouvement;
ils excitent leurs sentiments tribaux d'appartenance à un groupe,
et autres réactions de foule;
ils renforcent la vision du monde des membres comme « nous contre eux »;
ils confirment les magiciens noirs comme chefs de la foule.
Les élections, consultations, référendums, manifestations en masse, etc.,
sont d'une large façon des messes de la Magie Noire:
ils n'ont pas un effet important sur le résultat des événements,
mais ils servent à revêtir d'un manteau de légitimité
ceux qui dirigent au nom de la Cause Commune.
La Magie Noire est un outil pour donner le pouvoir
à une classe de prêtres, haut et bas clergé.
La forme moderne de la Magie Noire sert
sa propre classe de politiciens, grands et petits.
Ils interprètent la « volonté du peuple »
ou quelque soit le principe dirigeant officiel.
La classe ecclésiastique est organisée
selon une hiérarchie de dirigeants effectifs.
En dehors de cette hiérarchie il y a aussi un large classe de théologiens
qui inventeront les justifications intellectuelles
pour le régime et ses interventions,
et serviront tout autant de réserve de dirigeants potentiels.
Cette forme moderne de classe d'hommes est l'intelligentsia,
faite d'« experts », statisticiens, « économistes » étatistes, etc.
La plupart d'entre eux seront payés par l'État ou recevront sinon
divers privilèges en tant que professeurs d'université,
directeurs de diverses administrations, journalistes,
consultants politiques, etc.
Ces cerveaux supposés fourniront des alibis à la Magie Noire;
et ils lui donneront l'autorité apparente de la raison.
L'appareil des activités intellectuelles contrôlées par l'État
offrira aux intellectuels le choix entre deux opportunités:
il pourront bien vivre comme servants du Minotaure
[80],
gagnant en statut social tandis qu'ils répandront
les façons officielles de penser;
ou ils pourraient être officiellement discrédités
et être exclus du contrôle de moyens de communication
s'ils préfèrent être des dissidents.
La Magie Noire, fondée sur des vœux pieux plutôt que sur la raison,
insiste toujours sur les intentions plutôt que les connections causales.
Dans la littérature populaire,
un cœur pur, — selon la morale des magiciens noirs, —
plutôt que des talents patiemment développés,
— ainsi qu'adaptés à la maîtrise de la nature, —
est la clef de toutes les bénédictions.
Dans la Magie Noire moderne,
cette focalisation sur les intentions est toujours au premier plan.
Les mesures politiques ne sont pas soutenues
par explication logique de leurs effets,
mais par la juste cause du peuple, des travailleurs, etc.,
qu'elles prétendent servir.
Les dirigeants afficheront à quel point ils sont sensibles,
ils cultiveront les émotions et les sentiments;
quiconque essaiera d'analyser rationnellement et de démonter
leurs justifications sera rejeté comme ayant de sombres intentions,
comme étant un « ennemi de classe »,
un serviteur du Mal ou d'une force ennemie étrangère.
Comme les marxistes le disaient souvent de manière explicite,
pour les magiciens noirs, peu importe ce que vous dites,
importe seulement « d'où vous parlez ».
La Magie Noire se fonde sur une vision manichéenne du monde,
où les magiciens noirs assument le rôle du Bien, du Blanc, etc.,
tandis que tout se qui se tient sur leur passage
est considéré comme le Mal, le Noir, etc.
Dans cette lutte cosmique manichéenne,
chacun est forcé de prendre l'un des deux partis.
C'est la quintessence de la polarisation politique.
Bien sûr, parmi les magiciens noirs eux-mêmes,
des factions sont en concurrence pour le pouvoir
et chacune prétendra être Blanche,
tandis que la faction opposée sera Noire,
ou du moins manipulée par les forces du mal, ou alliée à ces forces,
ou au mieux « alliée objectivement » à ces forces.
Dans les démocraties,
cette concurrence dans la prétention d'être le bien contre le mal
prend des formes paradoxales,
la vie politique étant polarisée autour de pôles (droite et gauche),
chaque pôle étant identifié avec ses radicaux,
mais en même temps, chacun se faisant concurrence
pour attirer l'électeur marginal autour de l'opinion médiane,
loin des idéaux radicaux professés
en tant que justification intellectuelle des partis.
Le peuple dans les démocraties, devra donc constamment choisir
le « moindre parmi deux maux »,
loin d'aucune des deux branches principales des idéaux de la Magie Noire.
Les démocrates sont tous conscients de cette limitation de la démocratie
comme moyen d'avancer leurs idéaux de Magie Noire
[81],
et en même temps, fanatiquement attachés à la démocratie
comme élément du consensus doctrinaire accepté
par les deux branches principales de la Magie Noire démocratique.
Un autre paradoxe des magiciens noirs est leur relation à l'argent.
Ils institueront une comptabilité précise des activités privées et publiques
en termes d'argent, pour pouvoir taxer les unes et financer les autres;
ils exprimeront donc tout en termes d'argent;
ils verront l'argent partout.
L'argent est pour eux quelque chose de magique;
en cas d'urgence,
tout ce que l'État a à faire est de « débloquer l'argent »
pour abonder un budget en faveur
de mesures devant être prises en urgence.
Les magiciens noirs adorent, admirent, envient, désirent
le pouvoir conféré par l'argent.
Ils aiment à dépenser généreusement l'argent des autres,
par des lois, des subventions, des fêtes, des institutions, des constructions,
etc.
Ce faisant, cependant, ils ne dépensent pas que l'argent des contribuables,
mais aussi leurs vies:
car l'utilité de l'argent provient de son utilisation
comme intermédiaire pour la coopération adaptative des individus
qui sont libres de choisir comment coopérer ou ne pas coopérer.
Le pouvoir de l'argent est en fin de compte lié
à la liberté et à la création de la Magie Blanche;
les gens n'acceptent l'argent contrôlé par l'État comme monnaie légale
que parce qu'ils pensent que malgré cet inconvénient,
ils pourront quand même l'utiliser comme un intermédiaire universel pratique
dans le marché libre.
Ainsi, les magiciens noirs sont ambivalents à ce propos.
Ils haïssent le Marché Libre et tout ce qu'il représente,
parce qu'il est la négation de tous les fondements de leurs croyances.
En même temps, ils reconnaissent qu'une économie de marché libre
est inévitable, et indispensable,
s'ils veulent avoir quoique ce soit à parasiter.
Les magiciens noirs apprendront donc à avoir
une double attitude hypocrite concernant l'argent:
ils proclameront ouvertement que c'est un bien
quand il est confisqué et dépensé par Dieu-l'État,
et un instrument du vice devant être méprisé
quand il est dans des mains privées;
en même temps, ils feront tout ce qu'ils pourront
pour que l'argent coule à flot,
sacrifiant leurs idéaux à l'autel de la prospérité promise
par les groupes de pression qui les courtisent;
enfin, ils se vautreront à titre personnel
dans le pouvoir de ce grand « corrupteur » qu'est l'argent,
quoiqu'en s'identifiant avec la Grande Cause,
ils se pardonneront facilement ce vice à eux-mêmes
eu égard aux services qu'ils rendent à la Nation
(ou à la Grande Cause quelle qu'elle soit).
La Magie Noire mène à de nombreux tels paradoxes,
et les magiciens noirs doivent donc s'entraîner eux et leurs suivants
à des techniques de double-pensée,
par lesquelles ils pourront manipuler des concepts
de deux points de vue logiquement contradictoires voire plus,
selon le contexte,
tout en évitant activement toute situation
où ces contradictions deviendraient trop évidentes.
Le sortilège ultime de la Magie Noire est donc
de conférer à ses croyants une sorte de schizophrénie
leur permettant de survivre malgré les contradictions
sur lesquelles leurs croyances sont fondées
[82].
La Magie Noire est un culte qui doit être maintenu en vie
en occupant constamment l'esprit des gens.
Et le meilleur moyen d'occuper leur esprit est d'occuper aussi leur corps.
Dieu-l'État cherchera donc à intervenir
dans absolument tous les aspects de la vie sociale.
Il interviendra même dans des choses aussi personnelles
que les relations intimes entre personnes amoureuses,
en réglementant le mariage,
en lui donnant une place importante
dans les réglementations fiscale et civile, etc.
Tout domaine qui n'est pas l'objet de réglementations épaisses
est dénigré comme étant
une anarchie sauvage, une zone de non-droit, un vide juridique,
auquel il faut remédier le plus vite possible par une nouvelle législation.
En même temps, toute cette intervention doit s'accompagner
d'une rhétorique constante, pour en appeler à l'esprit citoyen,
et en fin de compte pour répondre aux soucis réels
que se font les citoyens anxieux
de façon que Dieu-l'État apparaisse toujours positivement
plutôt que négativement.
C'est pourquoi les magiciens noirs ressortiront toute une série d'astuces
pour mettre en scène l'adoration publique de la Magie Noire.
La Guerre est la façon la plus grandiose par laquelle Dieu-l'État
est présenté comme le sauveur du Peuple.
La Guerre peut être effectivement une guerre contre un pays étranger,
si possible mené par un tyran évident.
Elle peut aussi être une guerre contre des gouvernements officieux
régnant sur des zones abandonnées par les gouvernements légaux officiels:
la mafia, les organisations de trafic de drogues,
les terroristes, les guérillas, etc.
De façon plus rhétorique,
ce peut être une guerre contre quelque vice officiel:
la consommation de drogues, de cigarettes ou d'alcool,
la prostitution, une religion non-reconnue officiellement, etc.
Les politiciens feront vibrer le vocabulaire de la guerre
tandis qu'ils proclameront qu'ils combattent
la pauvreté, le chômage, ou quelque « maladie sociale » ou misère.
Toutes ces guerres servent de justification à l'État
qui se donne le rôle du Bien dans une lutte cosmique entre le Bien et le Mal.
Ainsi, leur but ultime n'est pas externe, mais interne:
l'effet important qui incite fortement les magiciens noirs à faire la guerre
n'est pas de combattre l'ennemi proclamé,
mais de maintenir le plus serré possible
l'assujettissement des citoyens soi-disant protégés
[83].
La situation « exceptionnelle » de la guerre
servira d'excuse pour tous crimes ou atteintes à l'état de droit
que les forces de Dieu-l'État pourraient commettre,
aussi bien que de diversion loin de tout échec lamentable
qu'elles pourraient subir sur des fronts « secondaires ».
Cette situation d'exception bénéficie tant aux magiciens noirs
qu'ils en feront une situation permanente:
en effet, une fois répandue l'idée
qu'ils sont la solution plutôt que le problème,
ils utiliseront les propres échecs de leurs politiques
comme prétexte à intervenir toujours davantage.
Une intervention initialement petite et temporaire
se transformera ainsi en une guerre contre un fiasco permanent
causé par l'intervention même de l'État.
À travers toute leur mise en scène de la vie comme lutte cosmique,
les magiciens noirs cultiveront chez leurs croyants
un sentiment de rectitude morale, chacun étant sûr de son bon droit.
Pour les magiciens noirs, le monde c'est « nous » contre « eux »,
c'est les amis contre les ennemis —
et vous avez tout intérêt à être parmi les amis.
Les amis doivent être identifiés par leurs intentions,
leur communauté d'intérêts, leur appartenance
à une nation ou une race ou une classe sociale
ou toute autre catégorie proposée par l'idéologie des magiciens noirs.
Les magiciens noirs proposent donc une façon
simple, peu exigeante, relaxante,
de comprendre l'univers à travers une fausse grille de lecture
[84]. Cette grille de lecture facile
offre aux croyants la gratification immédiate
de ne plus avoir à faire d'effort approfondi d'enquête,
de se vautrer dans la paresse intellectuelle
[85].
Selon cette grille,
les méchants sont identifiés avec les personnes aux mauvaises intentions,
et réciproquement,
cependant que les gentils sont de façon similaire identifiés
avec les personnes professant les intentions officiellement bonnes
[86].
Des ennemis qui affirment partager les bonnes intentions
seront classifiés comme des hypocrites,
ou comme les pions profondément trompés manipulés par un Mal plus grand.
Les amis qui ont de mauvaises intentions
seront justifiés, pardonnés, ou excommuniés.
Cette polarisation de la vie, dans les cas extrêmes,
peut mener à la Théorie du Complot,
par laquelle certaines personnes veulent voir
une intention commune, une volonté commune, des intérêts concertés,
une organisation centrale,
derrière tous les Grands Maux de la Terre.
Tout ce qui peut exister de mal doit avoir été voulu
[87].
La forme duale de la Théorie du Complot est bien plus effrayante:
le totalitarisme.
C'est la croyance que, à une certaine échelle,
il ne peut rien se faire de bien dans le monde
à moins qu'il n'y ait derrière une intention commune,
une volonté commune, des intérêts concertés, une organisation centrale.
Finalement, cette polarisation par la Magie Noire
de la vision que les gens ont du monde est de l'Animisme:
le désir de voir partout une intention volontaire.
Notre thèse tout au long de cet article est que
la Magie Noire, le Principe d'Autorité, est une imposture intellectuelle;
une maladie mentale;
un mème parasite qui rend les gens fous;
une vision profondément erronée de la réalité.
Il y a une inadéquation fondamentale entre le discours de la Magie Noire
et les actions mêmes des magiciens noirs,
qui en fin de compte prennent place dans le monde réel,
dont la réalité ne correspond pas aux attentes fournies par la Magie Noire.
Les magiciens noirs peuvent choisir de rester ignorants de la nature
et se révolter contre elle,
mais par définition même, ni leurs désirs ni leurs actions
ne changeront jamais quoi que ce soit aux lois de la nature
[88].
De plus, nous affirmons que la Magie Blanche, le Principe de Liberté,
est un paradigme correct pour appréhender la Vie;
il est la santé mentale,
une façon valide de comprendre l'univers tel que nous y vivons.
En même temps, nous reconnaissons que la Magie Noire,
bien qu'elle apporte peines, détresse, échecs, souffrance et mort
à ceux qui la suivent et à leurs victimes,
elle-même survit et prospère:
mémétiquement, elle est un succès.
Voilà un cas de plus qui prouve que
l'adéquation mémétique à la survie pour un mème
n'est pas la même chose que l'adéquation à la survie de ceux qui l'adoptent,
ou que la propension dudit mème à passer le crible de la critique rationnelle.
D'une certaine manière, la Magie Noire « marche »,
mais elle ne marche pas comme convenu.
C'est pourquoi nous devons étudier les vraies raisons de son succès.
Nous devons nous demander,
pourquoi la Magie Noire marche-t-elle si bien?
Quelles sont les forces mémétiques qui mènent à la Magie Noire?
Quelles sont les forces mémétiques qui pourraient nous aider
à lui résister et à la repousser?
Sur le long terme, la Magie Noire va-t-elle s'étendre ou s'éteindre?
Et que pouvons-nous y faire?
La Magie Noire se répand en s'appuyant sur
la foi et la peur et d'autres émotions primitives,
sur des réflexes animaux, sur la paresse intellectuelle,
sur une façon de penser primitive
à travers des associations émotionnelles, des relations binaires symétriques.
Elle fait appel à cette partie primitive de l'esprit humain
et développe la fierté de conserver son esprit dans un état primitif.
Effectivement, la Magie Noire consiste très exactement
à refuser d'utiliser la pensée rationnelle
et à laisser autrui — l'Autorité — décider à sa place.
Cette Autorité peut être une tradition passée, un dirigeant présent,
ou un pouvoir futur accepté par avance comme dirigeant
(comme dans les élections politiques).
La Magie Noire est essentiellement la promesse
qu'une force supérieure amicale résoudra vos problèmes
si vous abandonnez avec foi votre destin entre ses mains.
Elle est l'abandon de votre responsabilité à cette Autorité.
Elle est la joie imbécile de celui qui préfère rester ignorant.
L'ignorance qu'elle répand est elle-même une protection
contre la dure prise de conscience des malheurs que cette même ignorance cause.
Les magiciens noirs vouent un culte à la garantie sacrée
que Dieu-l'État leur promet d'offrir quant aux difficultés de leurs vies;
l'État comme plan de secours ultime;
la Sécurité surgie du néant, si seulement vous voulez bien y croire.
Comme avec toutes les questions de foi, les gens croient parce que
« ce serait si beau si c'était vrai. »
Ceux qui nient que cette promesse aient la moindre valeur
sont vus comme des ennemis qui veulent détruire cette valeur,
qui est présumée exister.
Les magicien noirs haïssent le Libre Échange,
parce que ce n'est pas un dieu personnel qu'ils peuvent acheter.
Mais en même temps, ils trouvent facile
de rejeter toutes les fautes sur le Libre Échange,
parce qu'il n'a pas de porte-parole officiel qui puisse le défendre:
l'intérêt commun incarné par le Libre Échange
n'est pas l'intérêt d'aucun groupe de pression particulier,
et on trouvera fort peu de gens qui le défendront vraiment
(par opposition au fait de prétendre le défendre
tout en exigeant des mesures protectionnistes
en faveur d'un groupe d'intérêts particuliers).
Ainsi la Magie Noire peut survivre grâce à la distortion de réalité
par laquelle elle promeut les intérêts particuliers
d'un groupe restreint de prédateurs organisés
qui exploite unilatéralement un large groupe de proies désorganisées,
en leur faisant croire qu'elle promeut l'intérêt général.
Les gens naissent ignorants, et les magiciens noirs
cultiveront et étendront tant qu'ils peuvent
cette ignorance parmi ces gens,
pour les spolier.
Cependant, l'ignorance n'est pas un état stable
[89].
Une fois qu'une personne a appris les principes de la Magie Blanche,
et qu'on lui a montré la nocivité de la Magie Noire,
il devient bien plus difficile d'attirer son soutien actif
dans la participation au culte de la Magie Noire,
pour continuer à la spolier elle et les autres personnes.
Et le savoir est irréversible:
une fois qu'une personne sait un chose aussi simple
que le Principe de la Magie Blanche,
elle le connaît jusqu'à ce qu'elle meure.
C'est pourquoi les magiciens noirs doivent dépenser autant d'efforts
pour tenter d'empêcher les gens de penser,
et de jamais être mis en contact étroit avec le paradigme de la Magie Blanche.
Mais ces efforts augmenteront au fur et à mesure que des méthodes
seront développées pour diffuser la connaissance
de la réalité derrière la Magie Noire.
À la fin, nous l'espérons, il deviendra
tellement plus difficile de rester ignorant,
et si coûteux de maintenir les autres dans l'état d'ignorance,
que l'investissement dans la Magie Noire ne sera plus marginalement rentable.
7 Conclusion: le Véritable Ennemi |
L'État vit de la Magie Noire.
L'État produit la Magie Noire.
Mais l'État n'est pas la Magie Noire.
Plus précisément, le Principe de l'État
est la principale incarnation de la Magie Noire;
cependant le corps de personnes et d'activités
connu sous le nom d'« État » ne l'est pas.
Bien qu'historiquement, émotionnellement et sémantiquement liés,
ces deux sens du mot « État » doivent être distingués,
si nous devons appliquer la pensée rationnelle de Magie Blanche
aux concepts sous-jacents
plutôt que seulement des émotions sentimentales de Magie Noire.
D'un côté l'État — le Principe d'Autorité —
veut monopoliser, absorber et corrompre
la production ou la distribution de biens et de services
effectivement produits par la Magie Blanche,
et alors incorporés dans l'État — le Corps Administratif.
L'État — le Principe adopté par les dirigeants de l'Administration —
utilisera plus tard ces monopoles comme justifications de son existence:
des « biens publics » que seul Lui (le Corps) fournit,
parce qu'Il prohibe toute concurrence,
ou la fait disparaître par la réglementation.
Cependant, les biens et services monopolisés par l'État,
les parties productives de l'Administration,
sont en fait des créations de la Magie Blanche.
Aussi, ces parties de l'État — le Corps Administratif —
nous ne cherchons pas à les détruire,
mais véritablement à les libérer et les régénérer:
nous désirons ôter les chaînes qui assujettissent
ces services, leurs producteurs et leurs consommateurs
au Principe d'Autorité de l'État.
Maintenant non seulement l'État (le Corps)
n'est pas fait de pure Magie Noire
(puisqu'il absorbe des composants de Magie Blanche),
mais la Magie Noire est aussi très présente hors de l'État (le Corps)
et même à un certain degré en dehors
de l'État (le principe ouvertement professé).
Il y a de nombreux complices aux activités de l'État en tant que tel,
qui bien qu'ils aient le statut de personnes et d'organisations « privées »,
finissent par bénéficier de privilèges publics;
ces complices servent à « privatiser » la rente capturée
par ceux qui détiennent le pouvoir.
Il y a aussi de très nombreux candidats
au remplacement des États actuels
par de nouveaux États qu'ils contrôleraient,
basés sur des formes encore plus rétrogrades de la Magie Noire
que celle qui règne actuellement:
cela inclut tous les mouvements religieux fondamentalistes,
parmi lesquels les pires sont les socialistes révolutionnaires, etc.
Ensuite il y a de très nombreux bandits et escrocs
qui se nourrissent de la faiblesse, de la crédulité et de la superstition
des autres personnes, quoiqu'à une échelle minable
en comparaison avec les États institués.
Enfin, la Magie Noire existe
comme une partie de l'activité de nombreuses personnes
qui vivent sinon par la Magie Blanche:
des activistes politiques qui font de leur mieux pour faire élire tel parti,
des syndicalistes qui manifestent dans la rue pour leurs intérêts corporatifs,
des hommes d'affaires qui paient des lobbyistes
pour faire la cour aux hommes politiques,
toutes personnes qui ont à la fois cette activité de Magie Noire
qu'est la manipulation politique,
et (en général) une activité principale de Magie Blanche
qu'est la production de richesses.
Cette dernière catégorie de personnes constitue
le corps principal des magiciens noirs;
bien que la plupart d'entre eux soient des victimes de la Magie Noire,
ils servent à propager la maladie mentale.
Ainsi, l'État, en tant que corps institué, n'est pas notre Ennemi véritable,
mais n'est que l'émanation de cet Ennemi.
Si nous arrivions à abattre l'État actuel, aussi mauvais soit-il,
mais que nous n'eussions pas exorcisé la croyance en la Magie Noire,
alors la Magie Noire ferait surgir un nouvel État,
tout aussi mauvais que le précédent;
et tous moyens violents que nous aurions employés
pour abattre l'État précédent
ne résulteraient finalement qu'en souffrance et destruction.
Notre véritable Ennemi est plus élusif,
il se cache dans l'esprit des gens;
il est la croyance même en la Magie Noire,
il est la maladie dont nous voulons guérir les gens.
Il n'est pas l'État comme institution, mais l'État comme idée;
il n'est pas l'État, il est l'Étatisme;
il n'est pas les militants politiques, il est la politique.
Notre Ennemi est une maladie mentale, et non pas les victimes qu'elle infecte.
Notre Ennemi est une vision du monde où les intérêts des gens
sont antagoniques plutôt qu'harmoniques.
Notre Ennemi est le principe derrière l'Inimitié elle-même
[90].
Ne surestimons pas l'Ennemi:
ce n'est pas un diable doté d'une volonté individuelle;
il n'est capable d'aucun plan d'action cohérent global synchronisé;
il ne peut pas concevoir de plan d'action concerté.
Les magiciens noirs peuvent être animistes, nous ne le sommes pas;
nous savons que des phénomènes émergent sans intention dédiée
ni action concertée.
D'un autre côté, ne sous-estimons pas cet ennemi:
il n'est pas susceptible d'être détruit
par une action focalisée aux limites étroites,
par laquelle nous neutraliserions quelques personnes clé.
Bien sûr, des actions chirurgicales peuvent être nécessaires
comme une partie importante d'un traitement global,
pour désactiver les catalyseurs de la Magie Noire;
mais le traitement ne peut pas être étroitement limité,
car le mème de la Magie Noire
est répandu dans toute la population humaine,
et est actif même à l'intérieur de nous-même
qui sommes conscient de sa nature effroyable.
Le traitement comportera donc quelque forme d'éducation,
pour établir une certaine prise de conscience du Mal
chez ceux qui pensent actuellement en termes politiques
et pour développer des réflexes d'hygiènes chez tous.
Parmi les plus puissants obstacles auxquels nous seront confrontés,
les personnes les plus dangereuses et les plus malignes
ne seront pas les victimes complètement infectées par la Magie Noire,
cette masse d'imbéciles superstitieux qui ont abandonné leur vie
aux mains de l'Autorité;
de telles personnes sont incapables
d'entreprendre une action rationnelle et efficace;
bien qu'elles puissent commettre le Mal,
leur mécanisme de pensée peut être bien compris;
leurs actions peuvent être prévues;
des remèdes peuvent être trouvés pour elles.
Nos plus dangereux ennemis seront ceux qui se servent de la Magie Blanche
pour cultiver efficacement la Magie Noire chez d'autres personnes,
pour les exploiter unilatéralement.
Nos plus dangereux obstacles seront les Magiciens Gris,
qui maîtrisent assez des deux formes de Magie
pour régner sur d'autres personnes qui les serviront.
Ces Magiciens Gris comprennent les enjeux;
ils peuvent employer la Magie Blanche des techniques
de conception rationnelle pour diriger et faire se mouvoir les masses
infectées par la Magie Noire;
et leur intérêt est de préserver quelque forme de Magie Noire chez les autres.
Nous devons apprendre comment ces Magiciens Gris pensent,
comment nous pouvons contrer leur œuvre maléfique,
comment nous pouvons en retourner à nos côtés,
comment nous pouvons les employer les uns contre les autres,
comment nous pouvons subvertir leur activité
à l'encontre de la Magie Noire elle-même.
Cependant, ces Magiciens Gris s'adapteront à nos actions;
ils concevront de nouveaux plans;
et eux aussi tenteront de nous neutraliser,
et de subvertir nos actions à leur profit.
Si nous voulons que nos actions soient efficaces,
nous devons éradiquer la source du Mal qui détruit notre liberté.
Il peut être pratique de combattre les manifestations visibles du Mal,
et parfois il est effectivement nécessaire de le faire.
Mais le seul combat utile à long terme
est le combat contre le Mal lui-même.
Et c'est le combat auquel le moins de monde participe vraiment.
Comme Henry D. Thoreau l'a dit:
Il y a une multitude qui coupe les branches du mal, pour chaque personne qui s'en prend à la racine [91].
Faire des compromis sur les résultats est une nécessité de la vie;
le choix moral de la meilleur opportunité disponible
est contraint par l'ensemble des opportunités disponibles.
Combattre les manifestations du Mal est un effort de tous les jours,
qui existera toujours, et ne verra jamais de succès définitif.
Cela fait partie de la vie.
Mais ce n'est pas la cause que nous défendons spécifiquement.
Tout résultat obtenu lors du combat contre les manifestations du Mal
sont éphémères quand le Mal originel est indemne
et continue à engendrer des manifestations toujours plus subtiles.
La cause que nous défendons, celle de la Liberté,
demande que nous dissipions le Mal à sa source même.
C'est pourquoi nous ne pouvons pas faire de compromis
sur nos buts, sur notre discours.
Accepter la compromission quant aux principes,
accepter la compromission quant aux moyens d'action,
c'est céder au Mal de la Magie Noire;
c'est abandonner la cause même de la liberté que nous devrions défendre
[92].
Nous devons apprendre à combattre la Magie Noire elle-même,
et non pas ses manifestations.
Pour éradiquer ce parasite,
pour ouvrir les yeux à ses victimes ignorantes,
nous devons concevoir un traitement pour cette maladie;
et pour concevoir un tel traitement,
nous devons comprendre suffisamment cette maladie et ses mécanismes.
Nous devons comprendre comment elle fonctionne,
et quelles sont les contre-mesures qui existent.
Nous devons comprendre comment elle se répand,
et comment nous pouvons au mieux prévenir la contamination.
Autrement dit, nous devons approcher ce problème
avec une attitude de Magie Blanche: par l'ingénierie de solutions,
ce qui suppose que nous développions d'abord
une science des mécanismes mentaux concernés,
qu'on l'appelle « psychologie politique »,
« chromothaumaturgie » ou « mémétique du pouvoir ».
La charge que nous avons endossé est le Génie Mémétique pour la Liberté.
Elle ne consiste pas tant à
« Lutter pour la Liberté »
(contre l'oppression)
qu'à « Construire la Liberté »
(pour l'établir où elle s'épanouira).
Nous devons mettre au point des mèmes de Magie Blanche
qui concurrenceront avec succès les mèmes de Magie Noire;
cette mise au point comprend le succès du marketing des mèmes mis au point.
Nous devons identifier les ressources psychologiques
sur lesquelles se nourrit la Magie Noire,
et entrer en concurrence pour ces ressources,
pour en priver la Magie Noire.
Nous devons attaquer les défenses les plus faibles de la Magie Noire:
les mèmes à la rétroaction négative la moindre en faveur de la Magie Noire,
et avec la rétroaction positive la plus grande en faveur de la Magie Blanche.
Nous devons découvrir par quelles chaînes de contrôle les Magiciens Gris
maintiennent la croyance en la Magie Noire auprès de la population,
et désorganiser, couper et subvertir la plus longue de ces chaînes.
Mon discours peut sembler mélodramatique. C'est voulu.
Je plaide coupable d'avoir tenté de susciter l'émotion
quant au principe Malin qui se cache derrière l'État.
En fait, j'aurais échoué dans ma tentative,
si mon discours ne semblait pas assez mélodramatique.
Toutefois, il y a de l'espoir.
Et l'espoir est aussi très important
pour susciter l'émotion.
Sans espoir, il n'y a pas lieu de se démener;
tandis qu'avec un grand espoir,
on fait hardiment face aux plus grandes difficultés.
Dans son article de 1860,
Panarchie,
P. E. de Puydt suggérait qu'un jour,
les gens cesseraient de considérer la violence
comme un moyen légitime d'imposer des opinions politiques,
de même qu'ils ne considèrent plus cette violence
comme légitime pour imposer des opinions religieuses.
Tel est notre espoir:
un jour, dans les pays civilisés,
l'oppression étatique sera remémorée
comme un cauchemar des antiques époques barbares,
comme une chose impensable pour des gens civilisés,
de même que les Guerres de Religion semblent maintenant
une chose barbare du passé
aux habitants de la plupart des pays civilisés.
Et en effet, cette délégitimation complète de la violence d'agression
ne sera que le point final
d'un long processus d'individualisation de la société.
C'est le même processus par lequel les religions ont été individualisées
[93],
avec la reconnaissance que chaque individu doit chercher son salut
indépendamment de la collectivité,
et longtemps après avec la séparation officielle de l'Église et de l'État.
Ce processus sera complet quand les gens accepteront couramment
la séparation de la Morale et de la Justice [94].
Et il y a de bonnes raisons d'être optimiste sur le long terme.
D'abord, souvenons-nous que la Magie Noire
ne peut exister qu'en parasitant la Magie Blanche.
La Magie Noire peut sembler constamment en train de gagner, de dominer, etc.
Mais au fond des choses, c'est la Magie Blanche qui est toujours la plus forte.
Il ne tient qu'à nous de faire triompher cette force au grand jour.
Une façon de voir la Magie Noire est comme un mème parasite;
on pourrait dire, en paraphrasant Einstein, que comme la rougeole,
c'est une maladie infantile de l'humanité.
Nous pouvons espérer qu'un jour nous trouverons
des médicaments efficaces pour soigner ce mal polymorphe.
Encore une fois, en prenant du recul par rapport aux choses,
nous nous rendons compte que la Magie Noire est une relique du passé,
une gangue de boue hors de laquelle l'Humanité émerge rapidement
— rapidement à l'échelle de l'évolution.
En effet, aux échelles évolutionnaires,
l'interaction sociale a longtemps été limitée
à la coordination d'intérêts communs contre proies et prédateurs,
et sinon à la gestion des conflits d'intérêts intrinsèques
aux membres d'un groupe tribal.
Ce à quoi les mécanismes conscients de pensée servaient
c'était à reconnaître les amis et les ennemis, les proies et les prédateurs.
La nature a pris soin de toute l'ingénierie,
à travers des réflexes mécaniques innés,
les processus biochimiques internes, etc.
La Magie Noire était le seul type de pensée quand pensée il y avait.
La conception de stratégies dynamiques d'interaction sociale
pour la chasse, pour l'évasion vis-à-vis de prédateurs,
pour la reproduction, pour la guerre,
est une innovation récente sur l'échelle évolutionnaire.
Et l'homme moderne est unique dans son usage de la conception consciente
de stratégies dynamiques pour domestiquer la nature,
construire de nouvelles structures, inventer des outils.
Cette capacité de pensée dynamique, d'ingénierie consciente
[95],
est le trait distinctif de l'Humanité:
c'est le critère pour distinguer l'être humain de ses animaux d'ancêtres.
C'est le critère par lequel nous leurs sommes supérieurs,
et par lequel nos descendants nous serons espérons-le supérieurs eux-mêmes.
C'est aussi le principe même de la Magie Blanche.
La Magie Blanche est donc une chose fantastique mais relativement récente.
La Magie Noire est un reliquat d'animalité primitive,
de brutalité sauvage, de barbarie ignorante dans l'homme.
La Magie Blanche est le principe de l'Humanité,
un principe qui a été couronné d'un extraordinaire succès
dans son accélération de l'évolution de la vie
vers de nouvelles limites précédemment inconcevables et inconçues
[96].
Faré Rideau
Notes
[1]:
Un peu plus de 21000 mots dans le corps du texte,
complétés par un peu plus de 14000 mots dans des notes de bas de page,
pour un total d'à peu près 36000 mots.
[2]:
Ce discours est basé sur des articles précédemment publiés:
L'étatisme, forme moderne de la magie noire
(in the Québécois Libre #103),
et Magie blanche contre magie noire.
[3]:
En fait, je me suis rendu compte après avoir rédigé cet article
que cette lumière n'est pas nouvelle.
En effet, Karl Hess mentionne brièvement la pensée magique
en tant que force cachée derrière la politique
dans la conclusion de son article
The Death of Politics de 1969:
... la politique est juste une autre forme de magie résiduelle dans notre culture — une croyance selon laquelle on obtient quelque chose à partir de rien; que quelque chose peut être donnée aux uns sans avoir été prise à autrui; que les outils de la survie de l'homme sont siens par accident ou par droit divin et non par purs et simples labeur et invention.Bastiat lui-même dans le premier chapitre des Harmonies économiques, reconnaît que l'organisation artificielle se fonde sur des tromperies qui font faussement appel à l'instinct religieux de l'homme. Ludwig von Mises traite également de la statolâtrie — adoration de l'État — dans ses œuvres sur le Socialisme. Un très bon article traitant de la pensée magique en général est Magic, de Bill Whittle. Un excellent article sur la nature superstitieuse de l'État est The Nature Of Government de Frederick Mann.
[4]:
Concernant le libéralisme et les caractères psychologiques,
lire le discours que j'ai tenu lors de la précédente
conférence de Libertarian International en avril 2002:
Reason And Passion:
How To Be A Convincing Libertarian.
[5]:
Une confusion fréquente à ce point
est de ne pas réussir à faire la distinction
entre « État » comme signifiant monopole de force
et « État » comme signifiant organisation de la force.
Dans cet essai, nous utilisons le terme « État »
dans le premier sens, celui du monopole de la force.
L'« État » entendu de l'autre manière,
autrement dit organisation de la force, existe toujours
de même que le marché existe toujours;
il peut être simple ou complexe, structuré de manières diverses,
mais il n'est pas question d'être « pour » ou « contre » lui;
la question qui se pose est de savoir si sur ce point
les individus sont libres ou soumis,
si on y trouve monopoles et privilèges ou un marché libre.
Les libéraux sont en faveur de la liberté,
quant à la façon d'organiser la force
comme dans les autres sujets.
S'agissant de ce sujet particulier,
lire par exemple
Revisiting Anarchism and Government
de Tibor R. Machan.
[6]:
Comme Claude Bernard l'a écrit,
« Il ne suffit pas de dire: « je me suis trompé »;
il faut dire comment on s'est trompé. »
[7]:
Le contenu de cette section a été publié en anglais
sous une forme réorganisée dans un article à part,
Public Goods Fallacies
— False Justifications For Government.
Pour une bibliographie libérale (en anglais) sur ce sujet, voir la section
Public Goods Theory de la
bibliographie compilée par par Roy Halliday pour la
LNF.
[8]:
La citation provient de
sa biographie intellectuelle de Benjamin Constant.
La dénomination technique moderne pour ce que Faguet
appelle un « libéral systématique » est « minarchiste »:
un libéral qui est néanmoins partisan d'un « État minimal »,
un monopole étatique de la violence étendu
sur un certain nombre restreint de services
considérés comme spéciaux,
constituant ce que Faguet appelle alors un « système ».
[9]:
À leur tour, les collectivistes peuvent loyalement défier les individualistes
de justifier la raison pour laquelle ils acceptent l'individu
comme la limite de leur théorie des droits.
Remarquablement
la réponse est donnée dans l'étymologie même du mot « individu »:
une entité qui ne peut pas être divisée.
Les individus sont par définition l'unité élémentaire
à laquelle s'applique la liberté et la responsabilité.
Pour ce qui est des interrelations sociales,
il n'est pas possible de traiter indépendamment
des parties d'un même être humain
ou de traiter de manière indivise plusieurs individus
— cela n'a aucun sens, ne mène qu'à des affirmations fausses.
Si vous essayez, alors l'expérience vous donnera tort,
car (par exemple) enseigner un comportemenet à un humain dans un groupe
n'enseignera pas mécaniquement ledit comportement aux autres membres du groupe,
cependant que vous ne pourrez pas influencer le comportement
d'une partie vivante d'un corps humain sans affecter
le reste de ce corps (ne fût-ce que parceque ledit corps
doit être au même endroit que la partie que vous manipulez,
ou sinon doit être conduit d'urgence
dans la cellule de soin intensif d'un hôpital).
Maintenant, si par quelque miracle actuellement mystérieux
de la technologie ou de la psychology,
vous arrivez à séparer en plusiers parties indépendantes
l'individualité d'un humain,
ou à trouver un lien qui fusionne les individualités de plusieurs humains,
alors vous aurez déplacé les frontières de l'individualité
sans en avoir invalidé le concept.
Mais pour réaliser un tel exploit, il ne vous suffira pas d'un vœu pieu;
Ce ne sera pas assez que de décréter par une incantation magique
les parties gauche et droite d'un humain comme étant deux individus,
ou une nation entière comme n'en étant qu'un:
vous devrez établir de manière effective
comment ces deux moitiés apprennent indépendamment
à partir d'expériences indépendantes;
comment cette nation a une volonté cohérente
par laquelle toutes ses parties se comportent naturellement
d'une façon coordonnée congruente vers une fin commune.
[10]:
Lire aussi
Fallacies in the Theories of the Emergence of the State
de Bertrand Lemennicier.
[11]:
En économie, on appelle externalité l'effet secondaire d'une action
sur des tiers non impliqués dans cette action.
L'externalité est dite négative si elle porte préjudice à la tierce partie,
et elle est dite positive quand ses effets sont bénéfiques à la tierce partie.
[12]:
C'est dans le
Anarchism Theory FAQ
de Bryan Caplan
que j'ai pour la première fois trouvé explicitée
l'idée que l'État ne résout pas les externalités mais les concentre.
En fait, les États créent de nouvelles externalités.
En effet, une externalité correspond toujours
soit à l'absence de définition d'un droit de propriété formel,
soit au fait qu'on ne fasse pas respecter un droit de propriété existant,
soit à l'application contradictoire de droits de propriété qui se chevauchent.
En tant que les États imposent par la coercition
leur monopole sur la définition et la mise en application
des nouveaux et anciens droits de propriété,
ils sont la cause de toutes les externalités qui perdurent.
Les gouvernements empêchent le déroulement de tous les mécanismes naturels
par lesquels les droits de propriété émergent
et les externalités disparaissent:
l'acquisition par première utilisation,
et le droit coutumier (common law).
À chaque fois que l'État définit
une politique de protection des droits
ou l'absence d'une telle politique,
il éloigne les services de protection
de ce vers quoi les forces du marché les auraient menés,
surprotégeant certaines propriétés et sous-protégeant d'autres.
Il crée ainsi des monopoles et des subventions protectionnistes cachées
aux propriétés les plus protégées,
tout en créant simultanément la « tragédie des parties communes »
et une taxation secrète des victimes sous-protégées de ses politiques
— dans les deux cas, il engendre une dynamique de spoliation,
qui incite à l'organisation de groupes de pression
en faveur d'une protection sans cesse croissante,
tout en décourageant le respect des propriétés sous-protégées,
de sorte que ces dernières seront de plus en plus surexploitées.
Quant à la manière dont les externalités sont gérées par les gouvernements,
il faut noter que dans les démocraties,
les lois protectionnistes
contre la concurrence politique de la part de partis émergents
sont accueillies favorablement comme une manière
d'assurer que la volonté du peuple prévaudra
et de garantir le « pouvoir du peuple »
contre le « pouvoir de l'argent » et les groupes de pressions occultes.
En fait, le protectionnisme politique
accroît le pouvoir dont jouissent les partis établis au détriment du peuple,
et remplace les campagnes politiques publiques
fondées sur l'intérêt du peuple
par des pressions occultes en privé
fondées sur l'intérêt des politiciens établis
et de ceux qui peuvent faire voter
des lois protectionnistes en leur faveur par ces derniers
(ou qui doivent payer le racket de protection des politiciens
pour que les politiciens ne votent pas de lois à l'encontre de leur intérêt).
Ce que les collectivistes proposent et obtiennent vraiment
c'est qu'au lieu que des personnes privées lancent de façon responsable
des campagnes de sensibilisation publiques,
des groupes occultes font pression sur les détenteurs du pouvoir politique,
et des partis politiques irresponsables assènent leur propagande au public.
Notez que des annonceurs privés
peuvent être poursuivis pour tromperie
s'ils manquent à leur promesse;
ils doivent financer leur campagne
sur l'accroissement marginal attendu de leurs gains
au cours de leur activité légitime.
Au contraire, les annonceurs politiques mentent constamment;
ils financent leur campagne avec les taxes levées sur la population
et avec la vente de faveurs protectionnistes à différents lobbies politiques.
Ainsi, une fois de plus, la politique ne résout pas
les « problèmes » d'une société libre,
mais en fait les concentre et les amplifie.
[13]:
En Théorie des Jeux, des « jeux » mathématiques simples,
comme le dilemme du prisonnier ou la course à la poule mouillée,
modélisent des situations
où il y a un bénéfice potentiel pour des joueurs
si seulement ils trouvent un moyen de coordonner leurs actions.
Tous les « théorèmes » valides à propos d'un tel jeu
ne font que redire en des termes formels
les hypothèses informelles qui ont été mises dans le modèle considéré.
Il ne s'ensuit certainement pas que l'État
soit la bonne façon d'accomplir cette coordination
— bien que là soit précisément le sophisme non sequitur
sur lequel repose la position étatiste.
En fait, il est possible d'appliquer la théorie des jeux
pour comparer la coordination par un État coercitif
avec la coordination par la libre concurrence;
et cet exercice en théorie des jeux montrera aisément
à quel point les effets de l'intervention étatique sont désastreux.
La coordination n'est pas quelque chose qui se passe magiquement,
sans coût, par intervention divine,
seulement parce que les parties intéressées
s'accordent sur le fait que cette coordination serait une bonne chose.
Si c'était le cas,
il n'y aurait pas le moindre besoin d'un coordinateur, pour commencer.
La coordination est donc un service, et ce service vaut
à hauteur des gains escomptés par les joueurs coordonnées,
comparés à leur situation s'ils avaient été laissés sans coordination.
Il reste à déterminer la façon la plus rentable d'obtenir cette coordination
— à supposer même qu'il existe une telle façon rentable de l'obtenir.
Dans un régime de libre concurrence,
les parties intéressées sont libres de choisir un coordinateur.
Leur intérêt sera donc de trouver un coordinateur
qui fournira le meilleur retour sur investissement pour le prix qu'il coûte.
S'il se trouve un fournisseur de service effectivement à même
de réaliser cette coordination
à un coût moindre que ce que ne vaut ladite coordination,
alors les intérêts de toutes les parties en présence convergeront
avec pour résultat le fait que cette coordination aura effectivement lieu.
Si les coûts pour réaliser la coordination
surpassent en fait les bénéfices de cette coordination,
alors les intérêts de tous les intéressés convergeront
avec pour résultat le fait que cette coordination n'aura pas lieu.
L'un dans l'autre, la libre concurrence,
c'est-à-dire la liberté de chacun des intéressés
de choisir qui coordonnera si quiconque doit le faire,
assure que la coordination aura lieu si elle apporte un gain,
et qu'elle aura lieu au meilleur prix.
Considérons maintenant le cas où l'État est un coordinateur.
Comme tout fournisseur de service privé
— car l'État est fait d'individus privés, comme toute institution —
l'État est un joueur qui cherchera à maximiser son intérêt.
La seule chose qui distingue l'État d'un coordinateur sur le marché libre
est que l'État détient les moyens de coercition,
avec lesquels il peut exclure ou décourager
toute concurrence à la fourniture de ses services.
Ainsi, à l'équilibre, un État monopolisera la coordination d'un jeu;
il pourra ainsi récolter à son profit exclusif
la majeure partie des bénéfices du jeu,
laissant les joueurs avec aussi peu qu'il faut
pour que le jeu reste profitable.
Dans une situation de choix d'entrée
où il y a liberté pour les citoyens
de ne pas en appeler à la coordination de l'État
et de résilier cette coordination,
l'État laissera aux joueurs
à peine plus de bénéfices
que ne l'offre le taux d'intérêt ambiant marginal
(mis en rapport avec les mises investies dans le jeu)
— et cela seulement si la coopération s'avère bénéfique à tous
après avoir payé les coûts d'utilisation du monopole d'État.
Les choses sont bien pires, quand il n'existe plus de choix d'entrée,
et que l'État peut imposer ses services de protection
pour un quelconque genre de services.
Dans une telle situation, l'État non seulement
pourra confisquer l'ensemble des bénéfices du jeu,
mais pourra aussi aller plus loin
et lever une surtaxe
qui fera que les joueurs se porteront moins bien que s'ils n'avaient pas joué.
Cette surtaxe s'accroîtra jusqu'à atteindre
l'escompte au taux marginal d'intérêt
pour le coût de transaction de la sortie de l'influence de l'État
(par l'émigration, la désobéissance civile,
la disparition dans la clandestinité,
la pression sur le pouvoir politique en vue de promouvoir son intérêt,
la prise de pouvoir démocratique,
la révolution, ou quelqu'autre moyen).
Et plus grande la puissance de l'État,
plus haut aussi bien ce coût que le taux d'intérêt.
En fin de compte, ce qu'établit la théorie des jeux
— s'il en était le moins du monde besoin —
c'est que le pouvoir coercitif profite à quiconque le détient
au détriment de quiconque le subit —
ce qui n'est pas exactement une grande nouvelle.
En fait, la théorie des jeux n'est qu'un moyen
de formaliser les choses en termes mathématiques,
et ne peut dire ni plus ni moins que ce qui peut être dit sans de tels termes.
Le même raisonnement de bon sens qui est requis
pour voir comment le formalisme mathématique qualitatif
s'accorde ou non avec la réalité
peut être utilisé directement pour raisonner sur cette réalité,
sans l'intermédiaire du jargon mathématique.
Comme d'habitude, les mathématiques sont utilisées de façon pseudo-scientifique
pour inspirer un respect timoré aux gens
à qui on assène des modèles d'apparence complexe.
Cette technique d'intimidation sert à cacher le fait
que ce sont les mêmes bons vieux sophismes
que l'on emploie quoiqu'avec un vocabulaire différent.
Oh, et puisqu'on en est à l'argument d'autorité,
je suis un mathématicien né et élevé dans une famille de mathématiciens.
[14]:
L'idée même que l'État répartisse des rations du bien commun,
et exclue des personnes de cette répartition,
est contradictoire avec les prémisses
qui servaient à justifier l'intervention de l'État.
L'allocation de quotas, le rationnement, les péages, etc.,
mis en place par l'État
montrent que le « bien commun » n'était pas indivisible après tout.
Les mesures d'exclusions prises par l'État,
telles que le contrôle de l'immigration,
le planning familial obligatoire
ou les subventions sélectives en faveur des nationaux,
démontrent qu'il est possible d'exclure
des personnes des biens désignés.
Toutes les prétendues impossibilités à propos de l'exclusivité
ne sont que de mauvaises excuses pour justifier
le fait de conférer à l'État un monopole
sur la très possible faculté d'exclure.
Sans doute l'exclusion est-elle impossible
sans l'utilisation d'une force armée;
mais la seule raison pour laquelle l'usage d'une force armée
semble impossible sans l'État
est parce que la prémisse selon laquelle
l'État doit avoir un monopole sur l'usage de la force armée
a été silencieusement supposé dès le départ,
dans un raisonnement monstrueusement circulaire:
l'État devrait avoir un monopole sur tels biens,
parce qu'il a le monopole de la force
— lequel péché monopoliste originel
est admis comme nécessaire sans autre forme de procès.
Encore une fois, l'État est supposé être constitué de personnes supérieures,
ou avoir quelque poudre de perlimpinpin
qui lui permet de faire ce qui est impossible aux simples mortels.
Et encore une fois, nous trouvons en fin de compte
que cette poudre de perlimpinpin
n'est rien d'autre que le pouvoir de coercition légale — la force brute.
Or, comme l'a bien remarqué Pascal Salin,
avoir le monopole de décider qui accepter ou exclure
à propos de l'usage d'un bien,
c'est par définition même le droit de propriété sur ladite chose;
ce que l'État revendique sous de faux prétextes
est donc l'expropriation hors de leurs biens des propriétaires légitimes,
pour confier ces biens à un corps politique illégitime.
Les allégations d'impossibilité ne sont qu'un tour de passe-passe,
et il ne s'agit même plus d'externalités qui ont été déplacées et concentrées:
il s'agit de droits de propriété qui ont été spoliés et concentrés
dans les mains des politiquement puissants du moment.
[15]:
Le sophisme consiste à prétendre
lorsqu'une catastrophe extraordinaire a lieu dans un domaine particulier,
que l'intervention de l'État est nécessaire pour sauver ce domaine,
du moins jusqu'à ce que les choses se tassent,
et alors d'intervenir de façon permanente
pour empêcher des catastrophes prochaines.
Mais en quoi la coercition légale aiderait-elle dans la pratique
à sauver quiconque ou à sortir quiconque d'un quelconque pétrin?
Si l'État existait déjà et disposait de pouvoirs de clairvoyance,
pourquoi n'a-t-il pas empêché la catastrophe précédente, pour commencer?
Et s'il n'a pas pu la prévenir, comment compte-t-il mieux éviter la prochaine?
Enfin, si certaines catastrophes occasionnelles dans le secteur privé
justifient de retirer la gestion des mains des personnes privées,
est-ce que les catastrophes permanentes dans le secteur public
ne justifient pas de retirer la gestion des mains des fonctionnaires de l'État?
Et alors, dans quelles mains confier les choses?
Les mains d'un super-État?
Les mains de Dieu?
Une variante de l'argument affirme que
c'est leur importance spéciale pour la collectivité
(indépendance nationale, auto-suffisance nationale et autres),
qui rend nécessaire la gestion collective des biens
par peur de mauvaise gestion.
Mais en considérant n'importe quel bien ou service collectivement,
plutôt qu'individuellement,
à peu près tout peut être d'« importance nationale ».
Rothbard a montré dans
Power and Market,
que c'était le sophisme du choix collectif moyen
substitué au mode de raisonnement correct
en termes de choix individuel marginal:
si soudain il n'y avait plus d'ampoules électriques,
plus de papier toilette, plus de blé,
ou plus de coiffeurs, plus d'opérateurs de ponts,
plus de nettoyeurs de toilettes,
alors la nation serait certainement dans une situation catastrophique.
Mais cela ne veut pas dire qu'il faille collectiviser aucune de ces opérations.
En effet, la disparition soudaine de tous ces biens et services
ne correspond pas à aucun événement pratique imaginable dans un marché libre.
Tant que chaque consommateur patronnant chacune de ces activités
est prêt à payer un prix marginalement profitable
pour un incrément marginal de l'activité considérée
— c'est-à-dire tant que l'activité en vaut le coup —,
alors il y aura des gens prêts à fournir ce service pour le profit en question.
Au contraire, la seule façon pour que ces opérations
soient mises collectivement en danger
est précisément qu'elles soient collectivement gérées,
de façon que des mauvaises décisions d'un administrateur central
puisse ruiner l'industrie entière.
[16]:
Par exemple, dans les démocraties,
« le peuple » doit être contraint
à faire ce qu'il est censé vouloir faire
mais est immédiatement reconnu comme ne voulant pas faire du tout
(sinon, il n'aurait pas à être contraint).
En effet, si, disons, 50.1% de la population voulait financer
telle ou telle assurance, charité, recherche, armée, etc.
alors il ne fait aucun doute que ladite
assurance, charité, recherche, armée, etc.,
serait abondamment financée, sans qu'il soit besoin de la moindre coercition.
Dans une société libre, chacun des biens « publics »
qu'une majorité des gens veut financer,
et même ces biens que seule une minorité veut financer,
sera financé, par les personnes qui s'en soucient,
confiant leur argent à des gens qu'elles,
— personnes soucieuses de ce bien —
estiment capables de fournir le mieux ces biens.
Ainsi, chaque « bien public », charité, ou autre,
sera contrôlé par ces personnes responsables qui y sont le plus intéressées.
Au contraire, dans une démocratie,
ces biens seront effectivement contrôlés
par une classe de politiciens et d'administrateurs publics,
qui ne sont pas responsables devant ceux qui se soucient de la chose,
mais devant une vaste masse de gens qui n'en ont cure;
chaque cause « publique » particulière désintéresse la plupart des gens,
et ne pèsera pas pour grand'chose dans la décision de mettre au pouvoir
l'un ou l'autre des deux principaux partis
(ceux qui ont une chance de former un gouvernement).
Enfin, le coût élevé d'accession à la connaissance d'un problème
sur lequel ils n'ont quasiment aucun contrôle
fait que la plupart des gens cessent de se soucier de ces biens publics:
ils sont rendus irresponsables, privés de toute volonté,
par le système même qui prétend tirer sa légitimité
de leur responsabilité et de leur volonté.
De même, une nation ou une collectivité ne peut être bonne
qu'en tant que ses membres s'y identifient de coeur joie;
soumettre par la force ces membres à telle politique
les oppose ipso facto à cette entité:
bien qu'ils se soumettront au jeu de rôle obligatoire du patriotisme abstrait,
les gens se retireront en fait dans leur intérêt personnel,
et couperont leurs liens directs avec les personnes réelles
de leur entourage proche et lointain.
Les formes obligatoires de nationalisme et de collectivisme
ne font que remplacer une affection pure et concrète de son prochain
par l'apparence hypocrite d'un amour pour une entité abstraite,
qui ne fait que cacher la crainte du Pouvoir,
et l'indifférence ou la haine pour les autres personnes.
[17]:
Quelques exemples qui rendent évidents
ces deux poids deux mesures des étatistes:
arrêter les gens à des points arbitraires sur la route,
les forcer à s'humilier,
leur « taxer » une partie des biens qu'ils transportent
ou les renvoyer d'où ils viennent;
imprimer des billets de banque qui n'ont pas réellement
la contre-valeur indiquée;
menacer de dépouiller, emprisonner ou tuer
ceux qui n'obéiraient pas en toute chose,
et mettre ses menaces à exécution à l'encontre de ceux qui résistent;
faire des « offres que vous ne pouvez pas refuser »
pour vendre des services dont le client ne veut pas,
avec une qualité peu satisfaisante, à un prix non négociable;
obliger les gens à dépenser leur argent, à risquer leur vie, etc.,
dans une guerre dont ils ne veulent pas,
menée d'une façon qu'ils désapprouvent.
La seule différence entre ces criminels et les agents de l'État
est le sceau officiel,
cette poudre de perlimpinpin
qui crée la légitimité quand on en saupoudre
les pires crimes, y compris les tueries en masse.
Cette superstition a été bien résumée dans le cas de la démocratie
dans le bon mot connu suivant:
Majorité, n. f.: Cette qualité qui distingue un crime d'une loi.
Derrière ces deux poids, deux mesures,
est le sophisme de
ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas:
les étatistes ne comptent que les « effets positifs » d'une intervention
sur les gens qui en bénéficient,
et font attention à ne surtout pas compter
les effets négatifs de la même intervention
sur les gens qui en souffrent
— sophisme qui marche parce que les bénéfices sont concentrés,
tandis que les coûts sont largement répartis.
Bien que les étatistes utilisent le plus souvent ce sophisme
dans sa forme la plus crue,
quand on les confronte à sa substance,
ils iront à de nouvelles extrémité
pour cacher ce sophisme sous un voile de complexité.
Par exemple, confrontés à l'absurdité de leur argument de la vitre cassée,
ils se retireront bien vite
derrière une version « différentielle » de l'argument.
Dans cette version différentielle,
ils reconnaissent que l'État n'institue pas
une génération spontanée de biens gratuits,
et que les services de l'État auront été payé au prix fort;
mais ils rajoutent promptement que
les irresponsables fonctionnaires de l'État
doués du pouvoir de contrainte publique
peuvent toutefois prendre de meilleures décisions
que des citoyens responsables
(sans doute par quelque purification morale magique
que leur apporte leur pouvoir coercitif).
L'argument sous-jacent est toujours
exactement la même création magique de richesse
par la destruction coercitive
— mais il a été repoussé
derrière un voile sans cesse épaissi de complexité.
Et bien sûr, quand une complexité croissante
aura rendu les arguments peu concluants de part et d'autre,
ils prétendront victorieusement avoir établi leur propos,
par pétition de principe.
Les keynésiens font évoluer ce sophisme à un stade supérieur:
confrontés aux arguments imparables qui contredisent leurs thèses
(qu'ils n'ont jamais l'honnêteté intellectuelle
d'être les premiers à mettre en avant),
ils ne nient pas la façon par laquelle leurs équations
sont un tissu d'absurdité
quand on les applique à des quantités
dont le sens est immédiatement compréhensible.
Ils esquiveront juste la fausseté évidente de leurs équations
appliquées à des mesures pleines d'un sens compréhensible
en prétendant que leurs équations ne devraient être appliquées
qu'à des mesures spéciales d'« agrégats »
ayant reçu la bénédiction les faisant tels par les économistes keynésiens.
En d'autres termes, ils se prétendent les grand'prêtres d'une religion,
dont les dogmes sont des absurdités évidentes quand on les inspecte,
mais ils revendiquent un monopole
sur l'interprétation de leurs équations magiques,
et esquivent toute critique en complexifiant la question.
[18]:
En effet, le pouvoir, par sa nature corruptrice même,
attirera à lui ceux qui auront le moins de scrupules à l'employer,
et conduira même les chefs les plus honnêtes
à devenir des tyrans aristocratiques imbus d'eux-mêmes.
Ce processus fut remarquablement décrit par Friedrich A. Hayek
dans son excellent ouvrage La route de la servitude.
Durant ce processus, la coercition ne répand pas seulement la souffrance,
mais aussi l'apathie physique et mentale,
le retrait mental et psychologique,
parmi ceux qui sont privés du choix de leur vie,
ainsi que l'hypocrisie et la servilité
auprès de ceux qui sont en contact avec leurs maîtres
et avec l'administration faisant respecter l'ordre des maîtres.
On reproche souvent à tort aux libéraux de cultiver le mythe du bon sauvage
— bien au contraire, ce sont les étatistes qui cultivent
le mythe du bon homme de l'État.
Pour citer Edward Abbey,
L'anarchisme est fondé sur l'observation que puisque peu d'hommes sont assez sages pour se gouverner eux-mêmes, bien plus rares encore sont ceux assez sages pour en gouverner d'autres.
En fait, c'est un motif récurrent chez les étatistes
que de reprocher aux libéraux ce qui en fait
est un échec retentissant de leur propre mode de pensée.
[19]:
L'égoïsme, souci de soi, ne s'oppose pas à l'altruisme, souci des autres.
En effet, le souci des autres ne peut rien vouloir dire d'autre
qu'un soutien à ces autres personnes dans leur propre souci de soi;
l'altruisme présuppose donc dans son principe même,
requiert, respecte et soutient l'égoïsme chez d'autres personnes.
De plus, les fondements psychologiques du comportement altruiste
ne peut être que l'auto-satisfaction égoïste
obtenue par la coopération avec les autres.
Certaines formes de coopération peuvent apparaître comme pleines
d'« abnégation » à des observateurs extérieurs
qui négligent de prendre la psychologie en compte;
mais pour un utilitariste cohérent,
même les attitudes de plus pleines d'« abnégation »
sont en fait tout à fait égoïstes
une fois les satisfactions immatérielles prises en compte,
(et en fin de compte, toutes les satisfactions sont psychologiques,
et non pas matérielles).
Ainsi, ce sophisme est fondé
sur une compréhension profondément fausse de l'utilitarisme.
Cette méprise sépare
l'altruisme des gens de leur « intérêt personnel »,
et prétend que seul l'État peut tirer avantage de cette altruisme
et limiter le « mal » inhérent à l'intérêt personnel.
Mais dans un cadre proprement utilitariste
(par opposition aux caricatures qui en sont faites
et qui sont employées par les philosophes et économistes étatistes),
l'« intérêt personnel »,
prendra déjà en compte les interactions avec d'autres personnes.
Pour une « utilité » personnelle donnée,
une personne ne veut en sus
ni l'utilité ni la disutilité pour une autre personne;
les amours et haines possibles sont déjà inclus
dans les fonctions d'utilité personnelle;
l'utilité inclut déjà les bénéfices physiques et psychologiques
provenant de la coopération avec d'autres personnes
et autres comportements « altruistes ».
La position utilitariste correcte est celle du mutualisme,
où chacun peut adopter, adoptera, a effectivement adopté, adopte,
et continuera d'adopter des règles de conduite coopérative
par pur intérêt personnel.
Tout le lot usuel de sophismes sur le sujet a été bien traité et démonté
par Henry Hazlitt dans son livre:
The Foundations of Morality,
qui extrait la quintessence des accomplissements
des moralistes classiques anglo-saxons, et corrige leurs erreurs.
Ainsi, l'altruisme, dans sa forme mutualiste,
est déjà inclus dans l'intérêt personnel de chacun.
Non seulement l'État ne peut pas augmenter l'utilité totale
en débridant par magie une source secrète d'altruisme chez les gens;
mais l'État n'agit et n'agira de façon altruiste
que s'il est effectivement contrôlé par les tendances altruistes des gens,
qui doivent préexister à tout altruisme de la part de l'État.
L'État n'est pas une source surhumaine d'altruisme,
mais ne peut rendre que l'altruisme humain
qui en participerait avec succès.
Et là encore, rien ne garantit que ce sera
cet altruisme plutôt qu'un antagonisme
qui dominera l'appareil coercitif de l'État.
Bien au contraire, en concentrant le pouvoir de contrainte,
l'État est une gigantesque incitation
pour toutes les personnes sans scrupules
pour s'efforcer en vue de s'emparer du pouvoir,
tandis que les personnes vraiment altruistes
ne prendront pas part à la lutte pour le pouvoir.
[20]:
Ainsi, contrairement au préjugé implicite derrière ce sophisme,
les gouvernements ne gèrent jamais rien que pour le court terme.
En effet, l'horizon de prévision de tout parti politique
est le prochain mandat électif.
Si un politicien voulait voir plus loin que les autres,
son parti le rappellerait à ses devoirs envers lui;
un parti qui ne forcerait pas ses politiciens à penser à court terme
serait vite balayé hors de toute place significative
par les partis qui le font;
les politiciens sans parti ne se font tout bonnement pas élire;
et puisque les « bons » partis politiques
ne peuvent pas rester longtemps au pouvoir,
même celles de leurs politiques qui seraient orientées vers le long terme
seraient changées par le gouvernement suivant.
En conclusion, la politique implique que tout ce qui est géré politiquement
sera mené par la démagogie à court terme.
Les administrations technocratiques,
en tant qu'elles durent plus longtemps que les gouvernements,
peuvent agir sur le long terme —
mais alors, n'étant pas soumises à un « contrôle démocratique »,
et ballottées par des directives gouvernementales contradictoires
pour ce qui concerne leur rôle officiel,
la seule direction cohérente dans laquelle elles agissent sur le long terme
est l'intérêt propre des membres de l'administration eux-mêmes:
salaires excessifs et « conditions de travail » outrageuses,
mesures protectionnistes contre tout changement et toute concurrence
d'origine intérieure ou extérieure,
pouvoir politique conféré aux syndicats officiels,
extensions indéfinie des « devoirs » (c'est-à-dire pouvoirs)
de l'administration, etc.
Tout cela au détriment
du public auquel on « sert » ce qu'il ne veut pas,
des contribuables qui doivent financer une administration qu'ils n'aiment pas,
des concurrents potentiels et innovateurs,
mis en faillite ou empêchés d'exister (si extérieurs)
ou obligés de suivre la voie imposée par la hiérarchie (si intérieurs)
— et même des membres de l'administration,
qui doivent subir une hiérarchie rigide
qui les rend aussi malheureux qu'inutiles.
La vraie force en faveur de plans positifs pour le long terme
a toujours été l'intérêt privé des personnes prévoyantes.
Les fonds de pension privés considèrent typiquement
leurs intérêts sur les décades à venir
(et il est typique que les collectivistes soient remontés contre
les fonds de pensions,
parce que ceux-ci sont précisément la façon par laquelle la liberté
fait des salariés la plus grande force capitaliste du monde,
au lieu des esclaves que les collectivistes veulent
que les travailleurs demeurent).
Les banques, malgré qu'elles aient été rendues en grande partie irresponsables
par le système étatiste de banques centrales,
investissent aussi typiquement avec des dizaines d'années de prévision,
et autrefois investissaient couramment sur un siècle.
Les familles établies investissaient typiquement plusieurs siècles à l'avance,
avant que les États ne détruisent complètement les incitations:
l'impôt sur les successions a détruit tous les plans familiaux
sur le long terme pour la propriété physique,
cependant que l'éducation étatisée détruit
toute tradition intellectuelle familiale.
[21]:
Par exemple, considérons
les limites de la juridiction d'un État.
Les étatistes affirmeront que c'est le nombre de personnes
auxquelles s'applique une loi qui donne leur efficacité aux lois
et qui limite leur utilité;
ils en déduisent primo que l'uniformité est bonne,
secundo que les États sont la seule bonne façon d'obtenir l'uniformité,
et tertio que les États doivent être aussi larges que possible.
D'abord, ils supposent que les lois sont forcément bonnes
— alors que les lois peuvent être mauvaises.
Mais, supposons que pour quelque raison,
telles lois puissent être considérées comme bonnes.
Maintenant, elles ne sont pas un bien si absolu
que tout doit être sacrifié devant elles,
y compris la vie d'absolument tous les hommes, femmes et enfants sur terre.
C'est un bien comparable à d'autres biens,
et les coûts impliqués dans l'accomplissement de ce bien
sont comparables aux coûts impliqués dans l'accomplissement d'autres biens.
Ainsi, ce bien n'est pas sacré,
et choisir s'il faut ou ne faut pas poursuivre ce bien, et de quelle façon,
n'est qu'un parmi les choix moraux qui sont le lot de la vie de chacun.
Que ce bien soit plus urgent ou moins urgent que d'autres buts
est une question qui mérite un examen.
Et une autre question digne d'un examen simultané
est la façon d'accomplir ce bien.
Une mention spéciale doit être faite sur la notion d'uniformité
souvent invoqué par les étatistes à un tel moment.
L'uniformité n'est pas bonne en soi.
Une mauvaise loi uniformément appliquée sur le monde entier
est extrêmement mauvaise.
Un changement vers plus d'uniformité peut être mauvais,
s'il provient d'un empirement de la loi en quelque point du globe
pour la rendre conforme à une mauvaise loi largement acceptée.
Un changement vers moins d'uniformité peut être bon,
s'il signifie une meilleure loi quelque part qui libère certaines personnes
d'un asservissement universel.
L'uniformité ne compte pas directement;
ce n'est pas un but digne d'être poursuivi,
et n'est même pas l'approximation d'un but digne d'être poursuivi.
De même, un changement vers l'égalité par la dissémination de la pauvreté
est un mal, tandis qu'un changement vers l'inégalité
par la création de richesse est un bien.
Ensuite, même si certaines lois étaient bonnes,
cela ne justifie pas la coercition pour les imposer à d'autres.
En effet, l'emploi de la contrainte étatique
suppose qu'un mal bien plus grand que le bien répandu
est à l'œuvre dans cette contrainte
— et ce mal déclenché est enclin à faire respecter des lois mauvaises
et à corrompre même les bonnes lois, plutôt qu'à promouvoir les bonnes lois.
L'extension de la juridiction de bonnes lois et de bonnes institutions
est un bien;
mais en théorie comme en pratique,
les seules lois et institutions dont la juridiction peut être étendue
par la contrainte sont celles qui sont si mauvaises que
les gens ne les soutiennent pas volontairement.
L'un dans l'autre, bien que de temps en temps,
des lois largement acceptées puissent être bonnes,
les étatistes n'ont toujours aucun argument
quant au bien d'aucune loi particulière qu'ils souhaitent promouvoir,
ou quant à la désirabilité d'étendre l'acceptation de ces lois,
ou quant aux moyens d'étendre cette acception,
ou quant aux processus par lesquels la contrainte étatique
peut être elle-même contrainte à contribuer positivement
plutôt que négativement à ces problèmes.
En un mot, il n'y a pas de problème et l'État n'est pas la solution;
les étatistes fondent leur thèse sur une double pétition de principe.
Liberté et Responsabilité sont les seules garanties possibles
que les gens choisiront d'obéir à de bonnes lois plutôt que de mauvaises.
La persuasion pacifique par une rhétorique filtrée par le raisonnement critique
et des gains démontrables sont le seul moyen par lequel les bonnes
habitudes, les bonnes lois, et les bonnes institutions
peuvent durablement se répandre parmi la population,
tout en rejetant les mauvaises habitudes, les mauvaises lois
et les mauvaises institutions.
[22]:
Dans ce contexte, le vocabulaire et les concepts de la Mémétique
sont d'un bon secours.
La Mémétique, introduite par Richard Dawkins
dans son livre The Selfish Gene,
et largement développée après coup par de nombreuses personnes
(voir le Principia Cybernetica Project),
est l'étude des mèmes,
motifs récurrents de pensée
qui peuvent se propager d'une personne à d'autres personnes.
Les mèmes évoluent par sélection naturelle,
car ils survivent dans la mesure où des gens les embrassent volontairement,
selon leur intérêt personnel bien ou mal compris.
Bien sûr, ceux qui embrassent un mème
peuvent se tromper à propos de leur intérêt personnel,
et en effet, des mèmes peuvent survivre et se répandre
en trompant systématiquement les gens sur leur intérêt personnel.
Sachant cela, il faut faire attention d'éviter
la justification suivante quant au succès de certaines idées:
« ces idées ont du succès parce qu'elles sont dans l'intérêt personnel
perçu de ceux qui y croient ».
En effet, un tel argument serait un raisonnement circulaire.
Bien que cela soit vrai dans chaque cas particulier considéré,
ce serait une tautologie post hoc,
une affirmation générique valable pour tous les mèmes
et qui ne peut pas expliquer et distinguer la dynamique de mèmes spécifiques.
Autrement dit, il est parfois bon de se rappeler
certaines affirmations générales
quand règne l'ignorance et la confusion à leur sujet,
mais elles ne remplacent pas une étude spécifique
de la question spécifique étudiée.
[23]:
Ainsi, selon cette théorie,
ces personnes qui ont intérêt à telle intervention de l'État
gagneront à faire pression en faveur de cette intervention;
et ils n'auront pas même besoin de mentir pour ce faire,
car leur intérêt leur dictera d'abord de croire leurs propres arguments.
Maintenant, pour qu'un mème d'exploitation survive,
il doit aussi s'assurer la coopération des victimes de l'exploitation.
Ainsi, les interventions qui auront du succès
seront les interventions que les victimes n'auront pas marginalement intérêt
à arrêter;
et elles ne le feront pas, parce que le coût de sécession individuelle
sera trop élevé.
Il y aura alors le paradoxe apparent de victimes ayant
marginalement intérêt à ne rien faire contre l'oppression,
bien que cette oppression leur soit nocive en moyenne.
Ce paradoxe peut être mis en évidence comme suit,
selon le principe de
« prendre cinq (inconditionnellement) et rendre quatre (sous condition) ».
L'État peut rendre certain le fait que (à moins qu'il soit renversé),
5 unités d'un bien soient taxés sur les citoyens normaux (exploités),
cependant que les citoyens recevront en retour 2 unités
sous condition qu'ils ne résistent pas,
et jusqu'à 4 unités s'ils sont des complices actifs de l'État.
Ainsi, bien qu'en moyenne,
l'État occasionne toujours une perte pour chaque citoyen,
leur coûtant 1 unité de richesse dans le meilleur cas
où ils l'auront défendu activement,
le choix marginal pour un citoyen
est de gagner 2 s'il ne résiste pas,
et 4 s'il devient complice actif.
Bien sûr, pour maintenir une telle divergence
entre intérêt marginal et intérêt moyen,
l'État doit s'assurer que la taxation demeure certaine,
tandis que ses subventions demeureront conditionnelles.
(Comme l'a dit Benjamin Franklin:
« En ce monde rien n'est certain sauf la mort et les impôts. »)
Le danger ultime pour un État est la désobéissance civile:
les gens qui refusent massivement de coopérer
et l'État qui se retrouve incapable
de plus faire respecter ses décisions politiques,
— ses propres agents refusant d'imposer ses édits au peuple,
et le peuple prêt à se défendre par la force
contre quiconque tenterait de les imposer.
C'est pourquoi les États font activement campagne
pour empêcher leurs opposants de coordonner un renversement de régime:
propagande constante via les médias et le contrôle de l'éducation,
harcèlement des dissidents potentiellement reconnus,
déni de conditions de travail, amendes sévères et emprisonnement
pour ceux qui ne coopéreraient pas avec le système
(à commencer par payer ses taxes), etc.
Les mesures de ce genre sont nécessaires
pour poursuivre l'exploitation par l'État;
et ces mesures peuvent finir par dévorer
la plupart de ce que les États arrivent à spolier de leurs citoyens.
Notons que dans les pays démocratiques,
une des mesures employées est de susciter des oppositions
qui soient tout aussi étatique que le pouvoir en place sinon plus encore,
pour que le seul changement plausible soit favorable
au principe du pouvoir en place,
et donc au parti qui perdrait le pouvoir
et qui espérera retrouver la majorité lors d'une alternance
et qui continuera à partager le butin politique dans les multiples
circonscriptions qui lui resteront acquises.
Quand la quasi-certitude est acquise dans l'esprit d'une personne,
elle n'aura plus aucun intérêt marginal à étudier
des alternatives au coût élevé et aux chances incertaines;
elle sera « rationnellement ignorante » de toute idée dissidente.
Quand de plus, cette personne tire un quelconque profit
à afficher sa complicité avec l'intervention étatique
(avancement social, harcèlement réduit ou évité,
soulagement psychologique par rapport au sentiment d'être une victime,
etc.)
alors elle sera « rationnellement irrationnelle »
et elle croira activement à la propagande même
qui la maintient sous un régime oppressif.
Notez comme dans ces deux expressions, « rationnellement »
fait référence au concept de rationalité utilisé par les économistes:
le fait que les préférences révélées par le comportement effectif des personnes
sont congruentes avec leur propre idée de leur intérêt personnel,
et le restent quand cette idée évolue.
Au contraire, dans la seconde expression, « irrationnelle » fait référence
à un sens plus informel du mot, et dénote l'attitude selon laquelle
les croyances ne passent pas le filtre de cohérence de la simple logique.
[24]:
L'idée de potentiel psychologique comme une ressource
qui est consommée quand on l'exploite
a notamment été développée par Raymond Ruyer
dans son livre, les nuisances idéologiques.
[25]:
C'est à François Guillaumat, dans une communication personnelle,
que je dois d'avoir réalisé que le lobbying détruit toujours par avance
exactement autant que les bénéfices attendus
de toute forme imaginable de subvention étatique.
Il a depuis publié un article avec George Lane
sur cette loi de l'économie politique,
La Loi de Bitur & Camember,
et j'ai écrit un article plus développé sur le sujet:
Redistribution = Dissipation.
Bien sûr, cette égalité est asymptotique.
En tant que les moyens du lobbying sont spécifiques,
ils ne peuvent pas être convertis depuis d'autres industries,
et ne peuvent être réinvestis dans d'autres industries.
— ils sont un investissement à fonds perdus.
Un corollaire est que l'existence d'un pouvoir politique
crée des intérêts convergents de personnes ayant investi dans un tel capital,
en faveur de la maximisation de la profitabilité de ce capital,
et donc de l'extension continuelle du pouvoir en place.
[26]:
Certains théoriciens de l'école des Choix Publics
distinguent dans l'entreprise politique
les deux activités de tirer des revenus des potentiels existants
et de travailler l'opinion publique pour créer de nouveaux potentiels.
Mais ces deux activités sont inséparables en pratique,
parce qu'en ce qui concerne leur comportement personnellement intéressé,
les exploitants politiques n'ont pas comme but l'exploitation en général,
mais bien l'exploitation à leur profit particulier.
En fait, les personnes qui se sentent profondément attachées
aux idéologies politiques peuvent bien faire pression
pour plus d'intervention étatique en général,
— mais pour ce qui est de la dynamique de l'entreprise politique,
ces personnes en tant que telles font partie du potentiel à exploiter,
plutôt que des entrepreneurs exploitant ce potentiel.
Bien sûr, ceux qui sont (ou pensent être)
du côté bénéficiaire de l'exploitation
ont intérêt à diffuser de telles idéologies,
et leur meilleur moyen pour cela
est de croire eux-mêmes sincèrement en ces idéologies pour commencer
(se sentir forts de leur bon droit est aussi essentiel
pour leur permettre de bien dormir la nuit).
Pour ce qui est de la remarque sur ceux qui « pensent être »
d'un côté de l'exploitation,
le lobbying politique, comme toutes les escroqueries,
consistera bien sûr au moins en partie
à faire croire aux gens qu'ils bénéficient de l'oppression,
même si la plupart d'entre eux en souffrent en fait.
En effet, comme le disent les escrocs:
« si tu ne sais pas qui est le pigeon, comment il se fait plumer,
et combien d'argent va passer de quelles mains à quelles mains,
alors tu es probablement le pigeon toi-même. »
[27]:
Cela ne veut certainement pas dire que nous devions ignorer ces techniques
— nous devons apprendre à nous en servir.
Effectivement, ce n'est que par de telles techniques
que l'exploitation peut être vaincue.
Voir par exemple
Pourquoi les sophismes ont la vie dure:
le pouvoir des idées sur les intérêts,
de Bertrand Lemennicier.
Il n'y a aucune raison de penser que les exploitants actuels
soient particulièrement efficaces dans l'utilisation de techniques de lobbying;
aussi, puisque nous nous apprêtons à entrer dans le marché
de l'entreprise idéologique,
nous pouvons utiliser une connaissance meilleure et systématique
des techniques pour surprendre et dépasser les entrepreneurs politiques
par notre entreprise anti-politique.
Cependant, puisque leur existence même sera alors en jeu,
nous devons nous attendre à ce que les entrepreneurs politiques
nous rattraperont dans l'usage de toute technique supérieure,
et nous concurrenceront en utilisant toutes les ressources de la spoliation
qu'ils peuvent utiliser et que nous ne pouvons pas utiliser.
[28]:
« Un Repas Gratuit, Y A Rien De Tel »,
traduction de TANSTAAFL,
« There Ain't No Such Thing As A Free Lunch. »
— une citation fameuse de
The Moon is a Harsh Mistress de Robert Heinlein.
Sous entendu, si ça existait, il n'y aurait vraiment rien qui vaille mieux
(il n'y a rien de tel), mais en fait,
ça n'existe pas vraiment (il n'y a rien de tel),
car il y a toujours quelqu'un, quelque part,
qui paye pour toute chose valable apparemment « gratuite »,
et qui pourrait bien être marginalement gratuite
pour quelqu'un qui est déjà en train de payer d'une façon détournée.
Jacques de Tersac,
dans sa traduction Révolte sur la lune du même roman,
rend TANSTAAFL en URGESAT, « Un Repas Gratuit Est Supérieur À Tout »,
traduction reprise par certains libéraux, mais qui me semble inférieure.
[29]:
C'est pourquoi ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas
est vraiment le modèle de tous les sophismes politiques.
[30]:
Encore une fois,
en démontant le sophisme ad hoc sous-tendant le collectivisme
on s'aperçoit qu'il n'y a aucune raison de considérer que leur collectivité
est la bonne pour prendre la moindre décision particulière.
Pourquoi pas une collectivité plus grande, plus petite ou différente?
Il n'y a évidemment pas d'État à l'échelle de l'univers entier,
et cependant les humains arrivent à se coordonner
principalement sans guerres et conflits.
Des gens se livrent paisiblement au commerce et au tourisme internationaux
sans besoin d'un État international commun pour les coordonner.
Si le comportement politique a aucun rôle en la matière,
c'est de causer les guerres et les conflits
lors que le comportement économique amène paix et coopération.
La solution correcte au problème de déterminer
la forme et la taille des collectivités
est la forme et la taille résultant de la libre adhésion des participants
— et de telles collectivités n'ont aucun raison particulière
d'être territoriales
(bien que la proximité physique entre les gens
doive bien jouer un rôle pour les aider à se coordonner,
rôle qui va diminuant avec le développement des moyens de télécommunication).
Dans la droite ligne des reproches faits par les étatistes aux libéraux
sur tout et son contraire,
on peut voir que les collectivistes qui se lamentent
sur l'impossibilité de rien faire de grand sans intervention étatique
dénoncent l'« intolérable pouvoir des multinationales »
dès que quoique ce soit de grand est effectivement réalisé
sans intervention de l'État (ce qui infirme leur point).
Alors, ils prétendent qu'ils veulent que ce « pouvoir »
soit passé sous contrôle de l'intervention étatique,
ou complètement remplacé par l'intervention étatique.
C'est une guerre de religion que mènent les collectivistes:
le vrai reproche que du fond de leur coeur ils adressent à leurs contradicteurs
est d'oser exister en dehors de leurs valeurs;
partant, votre simple existence leur est une insulte,
et ils vous reprocheront tout signe la leur rappelant.
[31]:
Si une quelconque personne qui ne fût pas oint par le pouvoir divin de l'État
vous proposait jamais de lui abandonner votre liberté
en échange de quelque bien que ce fût,
cette personne serait immédiatement perçue comme un escroc.
Votre liberté est la garantie même qui assure
que les personnes avec qui vous faites affaires vous respecterons:
si tel commerce ne vous satisfaisait pas,
vous vous adresseriez à un autre fournisseur.
La libre communication aide à déceler les mauvais fournisseurs
et les mettre sur la paille;
un système de justice aide à chasser les fournisseurs frauduleux.
Il n'y a rien que quiconque puisse faire de votre liberté
si ce n'est vous opprimer pour extraire de vous
le paiement de davantage de faveurs.
C'est pourquoi si quelque personne vous demande votre liberté
sous le faux prétexte que cela vous épargnera des coûts
quant à des services qu'elle rend, c'est un mensonge éhonté:
non seulement vous devrez toujours payer pour tout ce qu'elle fera pour vous
— car elle ne peut pas physiquement fournir aucun service
sans avoir préalablement acquis les moyens de les fournir,
ce qui ultimement devra être financé par les paiements de ses clients —
mais vous devrez maintenant payer à ses conditions,
sans recours aucun.
Cela va certainement lui épargner des coûts, à elle,
mais à votre détriment, et non pas à votre bénéfice.
L'idée même d'échanger de la liberté pour de la sécurité
est une contradiction.
C'est une « erreur de signe » dans l'équation de base du comportement humain.
Donner à un prestataire un droit illimité de décider pour ses clients
sous le prétexte que cela lui permettra alors de les servir plus simplement
est une négation des prémisses fondamentales mêmes
qui assurent qu'un agent reste au service de ses commanditaires.
« Ouais, ce serait super si l'agent nous servait toujours
après qu'on ait accepté de ne plus jamais le surveiller; »
— sauf qu'il faudrait vraiment être stupide pour croire qu'il le ferait.
La seule chose que peut nous apporter
notre réfreinte à le surveiller
est que l'« État » arrêtera de nous servir.
Et collectiviser la façon dont nous contrôlons l'État est une telle réfreinte.
À propos du mot ci-dessus « réfreinte »:
Hazlitt regrettait que le mot « réfreinte » (contrainte imposée par soi-même)
n'existait pas
à l'égal du mot « restreinte » (contrainte imposé par autrui),
le mot auto-restreinte étant une sorte d'oxymore aux connotations trompeuses.
Eh bien, il avait tort:
tous les mots n'existent et n'ont de sens
que parce que notre commun accord à les reconnaître comme tel.
Hazlitt lui-même n'a pas hésité à créer le mot « utilisme », après tout,
pour couper court à l'accumulation de désinences dans « utilitarisme »
(qui en anglais est encore plus long: « utilitarianism »)
— et il aurait pu faire encore plus court: usisme.
Nous voyons donc que même avec des termes techniques neutres,
les mots peuvent être trompeurs.
Combien plus trompeurs encore peuvent être les mots idéologiquement chargé!
Utiliser les mots d'une façon qui implique les prémisses de son idéologie,
faire accepter implicitement
ses mots, ses problématiques et ses paradigmes
dans toutes les discussions
— voilà la façon dont le mème collectiviste étend
son contrôle sur les esprits.
[32]:
Ce commerce divin est une des justifications sous-jacentes de l'État,
utilisée par ceux qui promeuvent le mythe polymorphe du « contrat social »:
cette institution de violence serait un contractant magique
sous la commandite d'une entité collective appelée « le peuple ».
Mais aucun de nous n'a jamais reçu de contrat détaillé ou de facture
précisant ce qui a été payé pour quel service.
Nous sommes privés de la connaissance avec laquelle juger
autant que du droit de juger si nous payons trop ou pas assez
et de décider de quels services nous avons ou n'avons pas besoin.
Au contraire de ce qui se passe dans un commerce légitime,
les citoyens ne peuvent pas refuser le fournisseur monopoleur.
On les empêche même de penser à un tel refus.
[33]:
Quis custodiet ipsos custodes?
(Qui gardera les gardiens eux-mêmes?)
— Juvénal, Satires, VI, 347
[34]:
Les constitutions ne résolvent aucun problème.
Les politiciens apprennent à contourner l'esprit de ces constitutions
en changeant lentement l'interprétation qui est fait de leur lettre.
Et ils changeront aussi la lettre des textes eux-mêmes
à chaque fois qu'il sera clairement dans leur intérêt de le faire.
Les constitutions ne sont qu'un moyen d'instiller chez les citoyens
un respect religieux envers l'État;
à la manière de la Cabale,
elles font appel à l'impact des mots (écrits)
comme des ancres magiques qui fascinent l'esprit,
jusqu'à ce que les esprits hypnotisés discutent les mots
sans mettre en doute l'origine de quelque sens qu'ils puissent vraiment avoir.
Plus généralement, au cœur de la pensée magique
se trouve l'erreur du nominalisme, que Frederick Mann
de BuildFreedom.com
appelle le phénomène du fantôme irréel (Ghost Not phenomenon):
l'esprit humain est capable d'imaginer des concepts incohérents
et d'utiliser des mots pour véhiculer ces concepts;
ceux qui sont exposés aux mots présumeront
qu'ils représentent forcément un concept valable et cohérent
quand bien même ce n'est pas le cas,
et associeront à chaque mot un concept nébuleux
à partir des contextes localement cohérents d'utilisation du mot.
Cependant, n'étant pas éduqués pour prendre conscience
des limites sémantiques d'un mot, et pour rejeter les concepts incohérents,
les gens tombent dans le panneau
et emploient des mots dans des contextes invalides car globalement incohérents
(dus aux glissements sémantiques qui font passer d'un contexte de cohérence
locale à un autre contexte incompatible de cohérence locale).
[35]:
La liste ci-dessus ne prétend pas constituer
une couverture exhaustive et finale
des motifs psychologiques récurrents d'autorité naturelle,
mais comme un premier jet en vue d'une telle couverture.
Notre propos n'est pas d'établir une classification qui fasse autorité,
mais d'ouvrir la voie à des études plus exhaustives et détaillées
du phénomène étatiste du point de vue de la psychologie humaine.
Et bien sûr, quand nous parlons d'« inné »,
nous incluons tout l'acquis qui est génétiquement programmé.
[36]:
Cette relation générale entre parents et enfants
a évolué jusqu'à son existence actuelle par sélection naturelle
parce qu'il est effectivement mutuellement bénéfique
aux parents et aux jeunes enfants;
une telle relation permet de subvenir aux besoins des individus
et d'investir du capital dans leur être
avant qu'ils ne soient capables de subvenir eux-mêmes à leurs propres besoins
par la production.
Ainsi, ce motif récurrent a son utilité.
Mais il peut aussi être abusé.
Et en effet, cette confiance aveugle envers les parents
se dissout comme l'enfant grandit et devient un adulte responsable.
Le problème ne se situe absolument pas
dans la confiance aveugle des jeunes enfants,
mais dans la rémanence de cette confiance chez des adultes
et le détournement de cette confiance en une foi envers une entité surnaturelle
incarnée dans les décisions des chefs politiques.
Comme dit le proverbe:
« Les politiciens sont comme les couches culottes:
ils doivent être changés souvent.
Et pour les mêmes raisons. »
— Et nous pouvons compléter ce proverbe en ajoutant:
Les adultes n'ont pas plus besoin des uns que des autres.
[37]:
Le consensus commun de nos jours est que les parents
ne peuvent aller jusqu'à tuer leurs enfants,
ou même jusqu'à les frapper au point qu'ils soient hospitalisés.
Maintenant, pour ce qui est d'établir
des limites précises à l'autorité des parents,
la législation ne promeut la liberté d'action
ni pour les enfants ni pour les parents adoptifs potentiels,
mais bien plutôt substitue l'autorité de l'État à celle des parents
— l'État se comportant comme un sur-parent.
À l'opposé, de nombreux libéraux avancent que
l'autorité parentale est en une large mesure inutile et injustifiée;
les parents n'ont pas le droit d'user de coercition à l'égard de leurs enfants
pour que ces derniers se plient à leurs désirs.
Selon ce point de vue, les États, même s'ils étaient une sorte de parents,
ne mériteraient aucune autorité spéciale à ce titre.
Voir le mouvement Taking Children Seriously,
aussi présenté à cette conférence,
qui développe des manières d'éduquer des enfants sans coercition.
Quoiqu'il en soit, il est clair qu'une diminution de facto
de la violence et de la fréquence des actes coercitifs de la part des parents
ira de paire avec le progrès de la société.
[38]:
Staline, plus ambitieux, était le Petit Père des Peuples —
ce qu'il établit en assassinant des millions d'hommes,
en déportant des populations entières,
et en exterminant totalement des nations
qu'il sentait lui opposer une résistance.
[39]:
Hô Chi Minh était « l'Oncle Aîné »,
ce qu'il a aussi établi en faisant assassiner quiconque lui résistait.
[40]:
Par exemple, le président français Mitterand,
fut surnommé « Tonton » et à la fin de ses 14 ans de présidence,
le surnom outrageusement déférent de « Dieu » lui a même collé.
[41]:
Ainsi, les États les plus séculiers,
et même les plus ouvertement athées,
ne sont pas moins des superstitions blasphématoires
que les théocraties religieuses les plus frappantes:
leur revendication fondamentale est d'incarner l'Autorité même,
que ce soit par identification personnelle,
par délégation divine,
par transsubstantiation mystérieuse,
ou une combinaison des méthodes précédentes.
Un exemple typique est la façon dont les démocraties
transsubstantient les résultats des élections
en une « Volonté du Peuple » sacrée,
conférant des pouvoirs divins aux politiciens élus.
[42]:
Voir la note ci-dessus dans la section
Opinions et intérêts
pour une courte introduction à la Mémétique.
[43]:
Les mesures prises pour empêcher la population d'utiliser la raison
consistent à ériger un mur d'émotions fortes autour du sujet à rendre tabou.
Le premier jeu de mesures est d'employer des
tactiques d'intimidation pour instiller la peur de tout changement.
La coercition étatique est ainsi présentée comme une garantie,
l'Ultime garantie contre le Mal.
Mais les seules choses que garantit le droit d'employer la contrainte
sont l'injustice et le mal eux-mêmes,
cependant que la seule garantie possible du bien
est l'harmonie des intérêts particuliers
dans une société d'individus coopérant librement.
Ces tactiques sont l'équivalent émotionnel
du Sophisme de Prévention des Catastrophes et du Sophisme Moral
discutés ci-dessus.
Et elles sont efficaces:
les gens sont prêts à éviter le risque d'un mauvais résultat
en embrassant la certitude du pire résultat possible.
Il suffit juste de rendre le risque évident
et de cacher la nature de la certitude;
les gens ayant une aversion pour le risque,
ils comprennent rarement qu'avec la liberté,
tout ce qu'ils risquent est une amélioration.
L'autre principal jeu de tactiques est
d'isoler les gens les uns des autres
et de les empêcher de coopérer,
pour en appeler à l'intérêt marginal des individus
contre leur intérêt moyen, dans un grand dilemme du prisonnier.
(Encore une fois, il est frappant que les étatistes
utilisent des arguments de théorie des jeux
prétendant que l'intervention étatique résoudrait le dilemme du prisonnier,
alors que c'est précisément l'intervention de l'État
qui crée un gigantesque dilemme du prisonnier à l'échelle de la nation,
pour commencer.)
Toute concurrence émergente doit être soumise par la force,
ou rendue inefficace par la tromperie,
ou subvertie en corrompant ses chefs
pour les intégrer au pouvoir établi.
Par quelque moyen légal ou non
(qui requierra éventuellement de promulguer une nouvelle législation),
toute coordination des opprimés en un mouvement anti-politique
est systématiquement supprimée.
En fait, une propagande politique permanente,
une ferveur religieuse financée avec l'argent des contribuables
pour des réformes politiques,
et même une « opposition politique » financée par l'impôt
serviront à canaliser à tout instant
toute énergie potentielle parmi le public
dans des débats qui acceptent les prémisses fondamentales du pouvoir politique.
[44]:
Bastiat, dans ses
Sophismes Économiques,
a remarqué comme il était impossible de suivre complètement
une théorie fausse:
même ceux qui en théorie
défendent le plus ardemment les systèmes collectivistes
dans leur pratique individuelle vivent selon les principes de la vie;
ils peuvent appliquer leurs théories fausses plus ou moins,
mais ils ne peuvent pas être cohérents dans cette application,
à moins d'en mourir.
Les principes de la Vie et de la Vérité sont cohérents,
tandis que les principes de la Mort et de l'Erreur ne le sont pas
— en fait, c'est précisément cette cohérence
qui en fin de compte caractérise la Vérité,
et c'est la raison pour laquelle, en dépit de symétries superficielles,
il est impossible d'échanger Vie et Mort, Vérité et Erreur, Bien et Mal.
Les jugements émotionnels sont en termes de catégories comme Ami et Ennemi;
ils sont liés par des liens symétriques d'alliance et d'opposition.
Les jugements rationnels, par contraste, et bien qu'ils se présentent
superficiellement en terme de paires catégories symétriques
comme Vérité et Erreur, sont en fait fondés
sur des structures logiques avec des catégories infiniment nombreuses,
liées par les liens intrinsèquement dissymétriques de l'implication logique.
[45]:
Le mal ne peut que parasiter le bien.
Les forces de la Mort ne peuvent que se nourrir de la Vie.
Parasites et prédateurs ne peuvent jamais
« gagner » contre leurs victimes et proies,
ou ils s'éteindraient aussi par là même.
C'est pourquoi même le régime le plus oppressif ne peut pas survivre
à moins qu'il n'y ait plus de forces créatrices dans le corps du peuple opprimé
que de forces destructrices employées par les oppresseurs
— et à moins que les oppresseurs ne tombent avant,
ces forces créatrices gagneront en fin de compte,
bien que cela puisse prendre un temps très long,
pendant lequel les forces destructrices causeront des souffrances
et détruiront non seulement du capital matériel,
mais aussi cette partie du capital psychologique fondamental
qui permet la coopération humaine.
Les libéraux doivent donc avoir confiance dans le futur lointain;
ce dont nous devons nous soucier est
la façon de se rapprocher du progrès plutôt que de s'en éloigner
— quel rôle nous pouvons jouer pour faire que le progrès ait lieu.
[46]:
J'ai originellement introduit et expliqué cet usage
des locutions « Magie Noire » et « la Magie Blanche » dans un article,
Magie blanche contre magie noire.
[47]:
Pour un magicien noir,
la relation à la nature et aux autres personnes est hiérarchique:
il y a des inférieurs et des supérieurs;
les magiciens noirs se montrent violents envers les inférieurs
et serviles envers les supérieurs.
Pour un magicien blanc,
la relation à la nature et aux autres personnes n'est pas hiérarchique:
il n'y a aucun raison d'établir des catégories
de « supérieur » et d'« inférieur »;
ce qui compte est de reconnaître
les différents traits des nombreuses forces autres,
d'apprendre à les respecter,
et de maîtriser leur utilisation en vue de meilleurs résultats.
[48]:
La schizophrénie est inhérente
à toute théorie qui ne correspond pas à la pratique.
Effectivement, quand une théorie décrit un monde différent du monde réel.
elle est fausse, et n'est donc pas soutenable,
et la pratique ne peut pas suivre cette théorie
de façon complète et permanente.
La pratique contredira donc la théorie,
et il y aura un point de rupture
dans l'esprit de chaque croyant en cette théorie
entre la théorie acceptée et la pratique effectuée.
Ainsi, la schizophrénie est le compagnon assuré
de toute théorie fausse qui dure.
Un symptôme typique pour diagnostiquer cette sorte de schizophrénie
est la perle suivante de pseudo-sagesse,
qu'un magicien noir pourra souvent ressortir
avec un sentiment de fierté et d'intelligence:
« En théorie il n'y a pas de différence entre la théorie et la pratique,
en pratique si ».
Les magiciens noirs acceptent en tant que paradoxe empreint de sagesse
ce qui en toute raison est le signe sûr que leur théorie est fausse
et devrait être amendée.
Bien sûr leur magie noire consiste précisément à ne pas développer les théories
par raisonnement individuel, mais en lieu et place
de se soumettre à une autorité collective pour adopter une théorie.
[49]:
Cette manipulation du langage à fins de contrôle de la pensée
est cohérente avec ce qui est connu sous le nom
d'hypothèse (faible) de Sapir-Whorf:
que le langage a une influence structurelle majeure
sur la façon dont nous pensons.
[50]:
Nous avons déjà vu dans notre
section sur les sophismes des biens publics
que c'était une imposture que de prétendre que l'État pouvait être
la source d'un altruisme extérieur aux citoyens eux-mêmes,
et que la seule chose qu'il apportait vraiment était la coercition.
Nous pouvons pousser notre analyse plus loin, avec Henry Hazlitt,
et voir que l'égoïsme comme souci de soi
est non seulement compatible avec l'altruisme comme souci d'autrui,
mais un prérequis pour le souci d'autrui:
quiconque n'a aucun souci de soi,
aucun goût pour des satisfactions personnelles,
ne peut se voir offrir aucunes satisfactions personnelles;
un tel résultat serait impossible et il serait stupide d'essayer.
Et en effet, les « altruistes » magiciens noirs
de cherchent pas les satisfactions personnelles, mais leur abolition,
et leur remplacement par des « satisfactions collectives »
ainsi que révélées par leurs statistiques croissantes
et la satisfaction des élites politiques concernant
leurs prouesses à diriger une société soumise d'esclaves.
En fait, l'égoïsme, souci de soi, même sans souci d'autrui, est un bien
et est le véritable
moteur social,
comme Bastiat l'a montré.
Il est ce qui donne à chaque homme l'envie d'apprendre, de s'améliorer,
de coopérer avec d'autres personnes, etc.
Le sophisme consiste à faire croire que les intérêts personnels
seraient intrinsèquement antagoniques les uns aux autres,
alors qu'en fait ils sont en harmonie les uns avec les autres,
dans ce que Hazlitt appelle le mutualisme.
Bien au contraire, l'« altruisme » sans égoïsme est le mal;
ceux qui ne se respectent pas eux-mêmes
ne seront pas capables de respecter autrui;
ceux qui pensent que les autres personnes
ont tort de rechercher des satisfactions personnelles
priveront avec joie ces autres personnes de leurs satisfactions,
et penseront avoir bien fait.
En fait, l'altruisme n'est qu'un prétexte pour l'élite politique
pour rechercher ses propres satisfactions personnelles,
et pour sacrifier en toute quiétude les personnes soumises
aux fins « altruistes » officielles.
[51]:
Les magiciens noirs n'arrivent à voir la coopération
dans aucun échange dissymétrique;
ils insistent qu'une des deux parties
exploite forcément l'autre unilatéralement.
Or un échange purement symétrique où chacun reçoit exactement
la même chose qu'elle a donné,
n'est un gain pour personne, seulement une perte inutile de temps à échanger.
C'est pourquoi l'idéal des magiciens noirs est l'autarcie individuelle
— la dissolution de la société.
Et c'est en effet là la conclusion logique
du fait de concevoir toute interaction humaine comme une prédation.
Bien au contraire, la coopération naît de l'échange dissymétrique,
où chaque personne, étant spécialisée,
offre ce qu'elle sait faire avec comparativement plus de facilité
et reçoit ce qu'elle ne peut faire qu'avec comparativement plus de difficulté.
Dans la coopération,
les gens aident à accomplir le potentiel les uns des autres.
Un artiste possède un talent utile
pour une certaine partie de quelque attraction,
mais aucun pour la prospection, le marketing et la vente,
il cherche un imprésario — le meilleur qu'il puisse trouver,
pour faire cette corvée à sa place.
Cet imprésario de son côté cherche
les meilleurs acteurs qu'il puisse promouvoir,
et vend leurs talents au meilleur producteur qu'il puisse trouver.
Un producteur rassemble un ensemble des meilleurs talents,
chacun inutile s'il reste isolé,
pour produire le meilleur spectacle possible
et le vendre aux meilleurs clients qu'il puisse trouver.
Et le public à son tour est prêt à payer pour quelque distraction
qui suscitera des satisfactions telles
qu'il ne trouvera pas mieux et moins cher ailleurs.
Tout le monde profite de toute le monde.
Chaque personne exploite chaque autre personne.
Et tout le monde en est heureux — l'exploitation c'est bien.
La liberté de se retirer et de choisir avec qui coopérer,
en d'autres mots, un marché de libre concurrence,
est exactement ce qui garantit que chacun sera servi
du mieux qu'il puisse trouver, dans cette exploitation mutuelle
dont le nom est coopération sociale.
[52]:
Un exemple de tels magiciens noirs sont
les défenseurs d'un « droit à la paresse »,
par lesquels des parasites qui refusent ostensiblement de travailler
exigent que la force politique soit utilisée pour prélever de l'argent
sur ceux qui travaillent pour leur accorder argent, satisfactions diverses,
et autres privilèges.
[53]:
C'est le cas de tous les « altruistes »
qui font l'éloge du sacrifice à la collectivité
sans satisfaction mesurable.
[54]:
Ceci peut être résumé par cette citation de James J. Ling:
« Ne me raconte pas à quel point tu travailles dur.
Raconte-moi tout ce que tu arrives à accomplir. »
[55]:
Lire le chapitre de Hazlitt sur le Sacrifice.
Pour illustrer ce propos, vous pouvez considérer la notion
de « gambit » dans le jeu d'Échecs,
par lequel une pièce valable est sacrifiée
pour obtenir un meilleur développement positionnel,
ou quelqu'avantage qui en fin de compte
contribuera positivement à la victoire finale.
Ce n'est clairement pas la perte d'une pièce en elle-même
qui est considéré comme un bien,
mais l'astuce qui permet d'obtenir via un sacrifice temporaire
un bénéfice net qui n'aurait pas été obtenu sinon.
[56]:
C'est l'essence de ce qu'Alfred North Whitehead voulait dire
dans sa phrase connue sur le progrès de la la civilisation:
C'est un truisme profondément erroné, répété par tous les manuels et par des personnes éminentes dans leurs discours, que nous devrions cultiver l'habitude de penser à ce que nous faisons. La vérité est diamétralement opposée. La civilisation avance en étendant le nombre d'opérations importantes que nous effectuons sans avoir à y penser. Les opérations de la pensée sont comme les charges de cavalerie dans une bataille — elles doivent être strictement limitées en nombre, elles requièrent des chevaux frais, et ne doivent être déclenchées qu'aux moments décisifs.
[57]:
Nous avons précédemment discuté le problème de convaincre des gens
dans notre discours à la conférence de
printemps 2002, à Paris,
de Libertarian International:
Reason And Passion: How To Be A Convincing Libertarian.
Nous sommes malheureusement loin
d'avoir des solutions toutes faites à proposer,
et nous sommes très intéressés d'entendre des méthodes qui marchent
pour guérir cette maladie mentale qu'est le Principe Autoritaire.
[58]:
De même que Richard Dawkins
a construit le mot « mème » par analogie avec « gène »,
le mot « mémotype » est construit par analogie avec « génotype ».
Voir le projet Principia Cybernetica
pour plus d'information sur la mémétique.
[59]:
Le lecteur pourra comparer ces trois questions aux
trois questions d'Ayn Rand dans
La philosophie: qui en a besoin:
« Qui suis-je? Comment puis-je le découvrir? Que dois-je faire? »,
par lesquelles elle caractérise respectivement
la métaphysique, l'épistémologie et l'éthique.
Bien sûr notre thèse consiste précisément
en ce que bien qu'on puisse insister séparément sur chacun de ces aspects,
ils sont inséparables les uns des autres dans nos stratégies de comportement.
Les magiciens noirs hiérarchisent
la métaphysique puis l'épistémologie puis l'éthique,
où l'univers serait un ensemble donné sur lequel se renseigner avant d'agir.
Nous les magiciens blancs savons que nous ne pouvons obtenir de l'information
sur l'univers qu'en interagissant avec lui, ce qui le modifie à son tour,
de façon que l'information circule dans les deux sens,
d'éthique vers épistémologie et métaphysique
aussi bien qu'en sens inverse.
[60]:
On pourra avancer que certaines personnes ne le savent pas,
qu'elles ne le ressentent pas, qu'elles n'agissent pas.
De telles personnes meurent.
Génétiquement, mémétiquement, elles sont des voies de garage,
qui sont vite balayées par la vie.
Les relativistes auront beau jeu de prétendre
que la mort n'est pas moins « bonne » que la survie,
et qu'exister ne vaut pas mieux que ne pas exister. Peut-être.
Mais ceux qui sont morts, ceux qui n'existent pas,
les choses qui ne sont pas réelles, n'ont aucune pertinence.
Ils ne viennent pas changer ce qui advient de nos vies
(toutefois les idées bien réelles sur des choses irréelles, si).
Nous vivons. Si vous ne vivez pas, vous êtes hors de notre horizon.
Si vous ne voulez pas vivre, allez donc mourir;
vous perdrez toute pertinence tandis que nous nous concentrerons
sur les choses qui comptent pour nos vies.
La vie est une prémisse à toute discussion rationnelle,
car toute négation de la vie est une contradiction performative.
Une réponse plus faible est que même si rien ne vaut mieux qu'autre chose,
alors la réponse que nous donnons ne vaut pas moins qu'aucune autre réponse.
Dans tous les cas, l'argument comme quoi tout se vaut est auto-contradictoire.
Certains magiciens noirs y feront appel malgré tout,
comme moyen d'inhiber la rationalité d'autrui
et de faire prévaloir leur force, en lieu et place d'un argument rationnel.
[61]:
Au sujet de l'homme comme moyen pour d'autres hommes, voir
de Norbert Wiener
The Human Use Of Human Beings: Cybernetics And Society
de même que de Henry Hazlitt
The Foundations of Morality.
[62]:
La vie consiste à métaboliser des ressources extérieures.
Cela n'a pas lieu seulement à l'échelle de la biochimie,
mais aussi à l'échelle de la société.
Nos meilleurs gènes et mèmes survivent
si et seulement s'ils répandent leur structure.
Ces structures doivent être efficacement réalisées
dans un environnement concurrentiel,
en utilisant des ressources qui sont extérieures
et qui sont organisées si elles le sont de façon différentes;
ces ressources sont utilisées en les imprégnant
avec une partie appropriée de l'ordre interne
de la forme de vie qui les absorbe.
La transformation localement anentropique
(certains diraient « extropique »)
de l'organisation inconnue, incomprise et peut-être inconnaissable
d'une ressource en un motif connu, compris et amical
est l'activité caractéristique de la vie: la métabolisation.
Au niveau biochimique, il existe des membranes
(membrane cellulaire, peau, etc.) qui séparent
le monde intérieur constitué des ressources
ayant été transformées ou réservées pour une métabolisation prochaine,
du monde extérieur constitué des ressources soumises à un ordre extérieur.
Mais même ces membranes ne sont pas des frontières
absolues, absolument précises, infranchissables, incassables.
Ce sont plutôt des limites adaptatives et auto-réparatrices
qui fournissent une tentative de séparation
de l'intérieur vis-à-vis de l'extérieur
en un compromis productif entre efficacité et coût.
À l'échelle sociale, les droits de propriété sont aussi de telles membranes,
qui identifient les ressources qui ont été métabolisées par certaines personnes
qui les ont transformées ou les ont réservées pour transformation prochaine.
La règle d'appropriation d'une ressource
par celui qui les met en valeur en premier
(homesteading, en anglais),
n'est que la reconnaissance du processus de la vie à l'échelle de la société.
[63]:
Ici, nous devons réaffirmer le fait que hiérarchies et entreprises,
comme la Magie Noire et la Magie Blanche,
sont deux pôles, deux extrêmes,
entre lesquels se développe la réalité.
Dans nos sociétés de magie grise,
les compagnies et institutions
sont typiquement quelque chose d'intermédiaire
entre les idéaux de la hiérarchie et de l'entreprise.
Même dans les administrations hautement centralisées,
l'entreprise individuelle est essentielle pour que les choses se fassent;
et même dans des compagnies hautement compétitives,
le flux de décision sociale est ressenti par les participants et institué
selon une relation hiérarchique.
Ainsi, là aussi, il y a du gris,
et là aussi, le gris n'a de sens que par référence au noir et au blanc.
[64]:
Cette utopie est résumée dans la hiérarchie proverbiale
« sĩ nông công thương »
(administrateur, paysan, ouvrier, commerçant)
des sociétés traditionnelles vietnamienne et chinoise.
[65]:
Le mot « pari » ci-dessus ne doit pas être compris
comme une mise dans un jeu à somme nulle de prédation mutuelle
basé sur le pur hasard, comme dans un casino ou une course de chevaux.
Bien au contraire, il doit être compris comme l'engagement de ressources
dans un jeu à somme positive de production, où un choix judicieux compte.
Et la preuve du caractère judicieux d'un choix
se trouve précisément dans l'engagement sage ou peu sage des ressources.
Ceux qui engageront leurs ressources sagement
retireront un grand bénéfice de leur investissement,
tandis que ceux qui prendront les mauvaises décisions
perdront leur mises et au-delà.
Ce que nous cherchons à exprimer par le mot « pari »
n'est pas l'incertitude statique mais la nature dynamiquement évaluable
de toute connaissance:
comme corps statique d'information,
la connaissance est radicalement incertaine et dénuée de valeur;
mais comme base dynamique pour s'adapter,
la connaissance a la valeur des choix adaptatifs meilleurs
auxquels elle mène.
[66]:
Cette idée a été plus tard formalisée longuement par Karl Popper,
qui a conclut que l'induction était impossible
comme un principe de raisonnement hors contexte.
Cependant, Popper semble n'avoir jamais réalisé
la formalisabilité d'un principe positif d'induction
dans un raisonnement avec contexte évolutif,
plutôt que de son principe purement négatif de « falsification ».
[67]:
C'est le fameux principe inductif suivi par tous les scientifiques,
souvent nommé
rasoir d'Occam,
et bien formalisé par
Ray Solomonoff.
[68]:
Les côtés clairs et sombres de la connaissance sont résumés
dans les « Lois de l'information de Finagle »:
« L'information que vous possédez
n'est pas l'information que vous voulez.
L'information que vous voulez
n'est pas l'information dont vous avez besoin.
L'information dont vous avez besoin
n'est pas l'information que vous pouvez obtenir.
L'information que vous pouvez obtenir coûte davantage
que ce que vous êtes prêts à payer. »
Bien sûr, de même qu'avec la Loi de Murphy,
ces lois ne parlent que des échecs qui reviennent nous hanter,
car nous prenons les succès pour donnés.
[69]:
Pour empêcher les gens de réaliser que les paramètres mesurés
deviennent vides de sens,
les magiciens noirs attribueront un pouvoir magique aux mots eux-mêmes;
une fois associé par une croyance magique à un sens qui se veut absolu,
le mot peut alors être utilisé pour nommer un paramètre mesurable
dont le sens réel dérivera jusqu'à perdre toute pertinence.
La Magie Noire, une fois de plus, se fonde sur des vœux pieux.
[70]:
J'ai appris depuis que parmi les économistes
ce phénomène était connu sous le nom de
loi de Goodhart.
[71]:
Dans
The Pretence of Knowledge,
Hayek démasque la pseudo-science
cachée derrière l'approche statistique en économie.
Mais il ne se rend pas compte du motif récurrent plus général
que constitue la pensée statique,
et pour lequel l'irrationalité n'est pas un accident,
mais une caractéristique essentielle.
[72]:
C'est ce qu'Anthony de Jasay appelle « the drudge »,
mot qu'on pourrait rendre en français par « la routine besogneuse ».
[73]:
Remarquablement, pour les étatistes, le mot Économie
est défini pour désigner très exactement
tout ce qui peut être assujetti à l'impôt, et rien d'autre.
[74]:
Sur la différence entre coûts comptables et coûts d'opportunité,
voir notre article subséquent,
Raisonnement économique contre sophismes comptables:
le cas de la recherche « publique ».
[75]:
Remarquez comme le « coût » d'une opportunité
n'a de sens qu'à l'intérieur de l'ensemble des préférences d'un individu.
Remarquez aussi que les préférences sont ordinales plutôt que cardinales;
c'est-à-dire, elles permettent de choisir entre des alternatives,
de les trier par ordre de préférence,
mais pas de les placer sur une échelle numérique
— et encore moins sur une échelle commune à de nombreuses personnes.
C'est pourquoi toute forme de calcul utilitariste collectiviste
est une imposture intellectuelle.
[76]:
La citation originale suit:
« The [classical] liberal, of course, does not deny that there are some superior people — he is not an egalitarian — but he denies that anyone has authority to decide who these superior people are. » — F. A. Hayek, Why I Am Not a Conservative (VF)
[77]:
L'article de Hyperdiscordia
sur la « Loi d'escalade éristique »
continue comme suit:
Aussi je vais les traduire dans la lingua franca du monde occidental: toute imposition d'ordre crée un déficit de chaos, qui s'accumule avec intérêts composés jusqu'à ce qu'il soit remboursé (en subissant tout le chaos dû, taux n-aire).
Bien sûr, Éris pense que tout le chaos est du tonnerre. Mais nous autres mortels trouvons que l'excès d'une bonne chose est un peu dur à supporter. Aussi flanchons-nous quand nous rencontrons un anérisme — c'est-à-dire une déclaration qui méconnaît la Loi d'escalade éristique.
Si vous entendez dire que rendre la prostitution illégale éradiquera le viol, vous entendez un anérisme — une manifestation de l'Illusion Anéristique. (Si vous lisez la Va'ch Sacré — au lieu de la parcourir en diagonale comme il est recommandé de le faire — vous comprendrez l'anamysticométaphysique de l'anéristique.)
Un anérisme entre presque toujours dans notre monde à travers la bouche d'un politicien — mais il peut s'agir de n'importe quelle figure d'autorité comme un prêtre ou un enseignant ou un parent ou un patron ou Ronald McDonald.
[78]:
Un exemple est la loi française limitant
le temps de travail légal à un maximum (en moyenne)
de « 35 heures » par semaine.
La justification supposée
est que travailler moins est un sacrifice
qui permettrait de « partager » le travail disponible
avec les personnes présentement au chômage.
De plus, c'est aux employeurs, et non pas aux employés,
que l'on demanda de payer pour le sacrifice.
Bien sûr, pour tous les emplois futurs,
tout ce que cela a voulu dire est
que le coût d'un salarié aura cru,
de telle façon que l'employeur peut payer moins pour une productivité donnée,
cependant que les personnes dont la productivité
est trop basse pour justifier du salaire minimum
additionné des coûts supplémentaires à la charge de l'employeur
ne seront pas embauchés.
Le résultat net est donc une augmentation du chômage,
autant qu'une diminution des richesses totales étant produites,
puisque les gens travaillent moins.
Pour ce qui est des emplois existant,
quelques employés pourront avoir effectivement profité à court terme,
mais alors les employeurs auront fait face à des difficultés financières
qui les auront mis en faillite;
quoique dans le cas de l'État comme employeur,
le contribuable paie pour la faillite
— et l'augmentation de la pression fiscale
déplace la faillite vers d'autres entreprises.
Les politiciens s'en moquent, tant qu'ils attendent de cette mesure
qu'elle déplace plus de voix en leur faveur qu'en leur défaveur
aux prochaines élections;
et ces mesures resteront tant que les politiciens penseront
que les annuler aura un effet négatif sur leur réélection.
[79]:
Voir aussi cette Introduction à la Philosophie de la Liberté
par Ken Schoolland et Lux Lucre
pour une brève explication du meurtre, de l'asservissement, et du vol.
[80]:
Pour reprendre le terme de Bertrand de Jouvenel dans Du Pouvoir.
[81]:
Pour une parodie de ce choix en deux maux, voir
Cthulhu.org.
Remarquez que la notion même de devoir choisir entre deux maux
est un mélange de Magie Blanche et de Magie Noire:
En Magie Blanche, vous devez faire des choix;
mais il n'y a pas de notion de mal a priori;
en supposant pour les besoins du raisonnement
qu'il n'y ait que deux choix possibles
alors tout ce qui compte est que,
étant donné les conséquences que l'on peut attendre,
y compris celles relatives à l'acceptation de règles générales de comportement,
l'une sera préférable à l'autre
et donc ipso facto meilleure, tandis que l'autre sera pire,
sans qu'il y ait d'autre échelle pertinente de Bien et de Mal.
Bien sûr, en pratique les choses sont plus complexes
qu'un choix entre deux camps bien définis;
et la question pertinente est alors de déterminer
où dépenser ses ressources marginales (y compris son attention),
ce qui peut impliquer de ne faire front avec aucun des deux camps proposés.
(Voir mon article
Faire la guerre ou ne pas la faire?
Faux dilemmes et vraie morale.)
En Magie Noire, il y a un Bien absolu et un Mal absolu
(quoique pas forcément sous ces noms-là)
et avoir à choisir entre deux Maux est un paradoxe inexplicable,
une source de chagrin et de peine,
une raison de plus de se révolter contre la nature.
En pratique, la nécessité d'un choix est reconnue par les magiciens noirs,
ce qui est en même temps un tribut à la Magie Blanche,
et une condamnation formelle de son caractère Malin.
[82]:
Voir mon article
Schizophrénie socialiste.
[83]:
Orwell, dans son roman de 1949
1984,
expliquait le slogan paradoxal « La Guerre c'est la Paix »
comme signifiant qu'en créant un état de guerre avec un ennemi extérieur,
l'État pouvait obtenir la paix intérieure sans opposition au gouvernement.
En 1918 déjà, Randolph Bourne écrivait un article célèbre expliquant
que la guerre est la santé de l'État
(War is the Health of the State).
Mais il a été remarqué il y a bien longtemps
que le but réel de la guerre était d'asseoir le pouvoir des politiciens
sur leurs propres sujets:
« En passant en revue l'histoire de l'État Anglais, ses guerres et ses taxes, un observateur, qui ne serait pas aveuglé par un préjugé ou biaisé par un intérêt, déclarerait qu'il est faux que les taxes aient été levées pour mener des guerres, mais que se sont bien les guerres qui ont été menées pour lever des taxes. » — Tom Paine, Les Droits de l'Homme, I.
[84]:
Pour tout problème complexe,
il y a une solution qui est simple, nette, et fausse.
— H. L. Mencken
[85]:
Contourner les contradictions du système
offrira aussi un vaste terrain de jeu
pour ceux qui aiment à exercer leur intellect
tout en acceptant les prémisses du système.
Seuls ceux qui refusent d'accepter ces prémisses incohérentes
sont vraiment les ennemis irréductibles de la Magie Noire.
[86]:
Il est donc caractéristique que les magiciens noirs
mettent en avant la morale comme justification de la politique,
comme le juste objet de l'emploi de la force;
qu'ils soient de droite ou de gauche, leur politique
consistera en fait en l'imposition coercitive d'un ordre moral,
défini selon leurs propres goûts subjectifs.
À l'opposé, les magiciens blancs séparent avec la plus grande attention
la morale de la justice,
et ne voient l'emploi de la force comme justifié qu'en matière de justice,
tandis qu'il est illégitime pour tout ce qui concerne la morale individuelle;
quelques soient leurs préférences personnelles,
leur libéralisme consiste effectivement
en le respect d'un ordre juridique
défini selon des règles objectives rationnelles.
[87]:
Avez-vous jamais perdu quelque chose, par exemple vos clefs,
et vous êtes-vous alors demandé « qui m'a volé mes clefs? »?
Apparemment, chercher une intention derrière tout événement qui nous concerne
est un réflexe naturel du cerveau humain.
Le cerveau essaie constamment de trouver des correspondances
entre les événements du monde et des motifs connus — innés ou acquis.
Or, les motifs basés sur les intentions sont profondément implantés
dans la structure de nos cerveaux, suite à des millions d'années
de vie dans des sociétés où l'intention comptait le plus:
en effet, nos ancêtres devaient affronter des proies et prédateurs,
et des partenaires ou rivaux sexuels,
qui peuvent être bien compris en termes d'intentions;
ils n'avaient pas à faire face à des technologies complexes
et une cybernétique sociale pour lesquelles
les explications en termes d'intention ne mènent à rien.
[88]:
Comme Philip K. Dick l'a dit:
La réalité, c'est ce qui ne s'en va pas quand vous cessez d'y croire.
[89]:
C'est pourquoi la Magie Noire tente non seulement de cultiver l'ignorance,
mais aussi et surtout de remplir les têtes avec son propre fatras,
pour qu'il n'y ait plus de place de libre pour la connaissance vraie.
Le contrôle total de l'éducation, le matraquage médiatique, etc.,
sont donc des outils essentiels
dont la Magie Noire a tôt fait de s'emparer quand ils existent,
et qu'elle développe bien au-delà de ce qui existait auparavant.
[90]:
Il y a quelque chose d'une oxymore dans cette affirmation.
En fait, c'est tout le présent essai qui tente de retourner
l'imagerie manichéenne de la magie noire contre la magie noire elle-même.
À ce titre, il suit un peu le même principe que la
GNU GPL,
qui retourne la législation de protectionnisme informationnel
contre le protectionnisme lui-même,
ou de l'Aïkido, qui retourne la force de l'agresseur contre lui-même.
C'est une technique d'autodéfense,
qui ne saurait décrire l'ordre naturel des choses,
seulement apporter les moyens d'en combattre les perturbations.
Pour une tentative d'aller plus loin, voir mon discours suivant,
The Enterprise of Liberty vs The Enterprise of Politics.
Quant à l'autodéfense,
nous utilisons donc le principe du Mal contre lui-même,
en sachant pertinemment qu'il y a là une contradiction dynamique
qui doit fort justement mener à restreindre, diminuer et contenir
le principe du Mal, à défaut de pouvoir l'anéantir.
Il demeurera toujours important de rester vigilant quant à l'emploi
des outils de violence qui resteront à jamais nécessaires
pour combattre les inévitables résurgences du principe coercitif dans le monde.
Mais ici comme ailleurs, il est illusoire de penser qu'on pourra
s'économiser cette vigilance et cette violence
en en confiant le monopole à un contre-pouvoir officiel
ou en en abandonnant unilatéralement la prérogative
— car ce contre-pouvoir ne tarderait pas à devenir le pouvoir
lui-même, bien plus puissant que celui qu'il tenait jusqu'alors en échec,
cependant que cet abandon ne serait qu'une capitulation
devant ceux qui ne feraient pas ce renoncement.
C'est du reste toute l'histoire du parlementarisme et du pacifisme.
Originellement contre-pouvoirs opposés à l'absolutisme monarchique,
les parlements règnent aujourd'hui dans leur propre absolutisme
qui s'accentue sans cesse et a plusieurs fois viré au totalitarisme.
Quant au pacifisme, lui n'a fait que mener des millions d'innocents
à sombrer entre les griffes de grands assassins de masse.
Bref, il semble que l'antagonisme et sa résolution violente
existeront toujours, même s'ils ne seront jamais le moteur de l'humanité;
et dans de tels antagonismes,
mieux vaut mettre la force du bon côté que du mauvais.
[91]:
Voir le site Strike The Root.
[92]:
Comme l'a dit Tom Paine,
« La modération dans le tempérament est toujours une vertu;
mais la modération dans les principes est toujours un vice. »
[93]:
L'individualisation de la religion est un mème
qui historiquement a réussi comme symbiote
des religions monothéistes universelles:
il a commencé à chevaucher le judéo-christianisme
quand la théocratie juive a perdu son pouvoir
aux mains d'envahisseurs étrangers.
Ainsi, après que les armées perses eurent conquis la Judée,
les prophètes juifs ne pouvaient plus en appeler au pouvoir politique
pour imposer leur volonté;
au lieu de ça il durent se résigner à convaincre les individus
de se soumettre volontairement à leur prêche.
La religion chrétienne, qui s'est originellement répandue
dans l'empire romain contre la volonté du pouvoir politique,
a aussi dû faire appel aux gens par choix individuel.
La liberté s'est élevé à nouveau en Europe
après que les invasions germaniques aient divisé l'empire romain
en un grand nombre de royaumes,
déplaçant le pouvoir politique hors de la théocratie chrétienne
et dans les mains des militaires conquérants.
À son tour, cette séparation de facto de l'église et de l'État
a mené, par la compétition, au développement d'une certaine liberté de penser,
et a donné un avantage compétitif à ces sociétés
qui soutenaient cette séparation de l'église et du pouvoir politique
par rapport aux sociétés qui ne le faisaient pas.
[94]:
Cette séparation a été notablement théorisée par Christian Michel dans
Faut-il obéir aux lois de son pays?, 2000.
Cette distinction entre Morale et Justice est déjà assez présente
dans
The Foundations of Morality de Henry Hazlitt,
mais son inclusion de la Justice dans la Morale
nous semble cybernétiquement incorrecte,
car les décisions de morale et de justice
ne sont pas prises par les mêmes personnes en fonction de la même information:
la morale est la façon dont chacun prend des décisions basées
sur l'information personnelle dont il dispose;
la justice par contre est le résultat de l'interaction morale
entre plusieurs individus, qui synchronisent leurs actions
à partir de l'information publiquement disponible;
c'est un phénomène social par lequel l'équilibre des forces sociales
mène à la légitimation d'action violentes
à l'encontre des malfaiteurs reconnus comme tels.
[95]:
Nous pouvons identifier cette capacité à ce qu'Alfred Korzybski appelait
le « time-binding ».
[96]:
C'est pourquoi il peut être dit avec justesse
que le Libéralisme est le seul vrai Humanisme.
Un vrai humaniste peut être libéral et ne peut pas être autoritariste,
car l'autorité dégrade l'homme à l'état de brute sauvage,
cependant que la liberté élève le sauvage à l'état d'homme civilisé.
La Liberté est le véritable accomplissement de l'Humanité.