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octobre 26, 2025

À propos de l'ordre naturel et de son renversement, voire extinction - Hans-Hermann Hoppe

J'ai abordé de nombreux sujets différents dans mon travail intellectuel, mais le sujet central autour duquel tout mon travail s'est finalement articulé est celui de la propriété privée. Mon objectif a été de démontrer – non pas simplement d'affirmer, de proposer ou de suggérer – mais de prouver strictement et logiquement que l'institution de la propriété privée est (et a toujours et partout été) le fondement, ou l'exigence nécessaire et indispensable de la paix (des relations pacifiques) entre les hommes (y compris les femmes, bien sûr, et tous ceux qui se situent entre les deux) et, avec la paix, de la prospérité et, en un mot, de la civilisation humaine.
 

 
Parce que toute action requiert l'emploi de moyens physiques spécifiques – un corps, un espace, des objets extérieurs –, un conflit entre différents acteurs doit surgir dès que deux acteurs tentent d'utiliser les mêmes moyens physiques pour atteindre des objectifs différents. La source des conflits est toujours et invariablement la même : la rareté ou la rivalité des moyens physiques. Deux acteurs ne peuvent utiliser simultanément les mêmes moyens physiques – les mêmes corps, espaces et objets – à des fins différentes. S'ils tentent de le faire, ils doivent entrer en conflit. Par conséquent, afin d'éviter un conflit ou de le résoudre s'il survient, un principe et un critère de justice ou de droit applicables sont nécessaires, c'est-à-dire un principe régissant l'utilisation et le contrôle (la propriété) justes, licites ou « appropriés » par rapport à l'utilisation et au contrôle (la propriété) injustes, illicites ou « inappropriés » de moyens physiques rares.

Logiquement, les conditions requises pour éviter tout conflit sont claires : il suffit que chaque bien soit toujours et à tout moment une propriété privée, c’est-à-dire contrôlé exclusivement par un individu spécifique (ou une société ou association), et que l’on puisse toujours identifier quel bien est possédé et par qui, et lequel ne l’est pas ou appartient à quelqu’un d’autre. Les opinions, les projets et les objectifs de divers acteurs-entrepreneurs en quête de profit peuvent alors être extrêmement différents, et pourtant aucun conflit ne surviendra tant que leurs actions respectives impliqueront uniquement et exclusivement l’usage de leur propre propriété privée. 
 
Mais comment cet état de fait – la privatisation complète et sans ambiguïté de tous les biens – peut-il être concrètement réalisé ? Comment les biens matériels peuvent-ils devenir propriété privée ? Et comment éviter les conflits dès l’origine de l’humanité ?
 
Une solution unique – praxéologique – à ce problème existe et est connue de l'humanité depuis ses origines, même si elle n'a été élaborée et reconstruite logiquement que lentement et progressivement. Pour éviter tout conflit dès le départ, il est nécessaire que la propriété privée soit fondée sur des actes d'appropriation originelle. La propriété doit être établie par des actes (et non par de simples paroles, décrets ou déclarations), car seules des actions, se déroulant dans le temps et l'espace, permettent d'établir un lien objectif – intersubjectivement vérifiable – entre une personne et une chose. Et seul le premier possesseur d'une chose auparavant non appropriée peut acquérir cette chose comme sa propriété sans conflit. Car, par définition, en tant que premier possesseur, il ne peut entrer en conflit avec personne lors de l'appropriation du bien en question, puisque tous les autres n'apparaissent que plus tard.
 
Ceci implique de manière importante que, si chaque personne est propriétaire exclusive de son propre corps physique comme principal moyen d'action, nul ne peut jamais être propriétaire du corps d'autrui. Car nous ne pouvons utiliser le corps d'autrui qu'indirectement, c'est-à-dire en utilisant d'abord notre propre corps, que nous nous sommes approprié et contrôlé directement. Ainsi, l'appropriation directe précède temporellement et logiquement l'appropriation indirecte ; et par conséquent, toute utilisation non consensuelle du corps d'autrui constitue une appropriation abusive et injuste de quelque chose déjà approprié directement par quelqu'un d'autre. 
 
Toute propriété légitime (licite) revient donc, directement ou indirectement, par une chaîne de transferts de titres de propriété mutuellement bénéfiques – et donc également exempts de conflits – aux possesseurs et aux actes d'appropriation antérieurs et initiaux. Mutatis mutandis, toute revendication et tout usage de biens par une personne qui ne les a ni appropriés ni produits auparavant, ni acquis par un échange exempt de conflits avec un propriétaire antérieur, sont injustes (illicites). 
 
Permettez-moi de souligner que je considère ces idées élémentaires comme irréfutables sur le plan argumentatif et donc a priori vraies. Si vous souhaitez vivre en paix avec autrui – et vous le démontrez en argumentant avec lui ! –, une seule solution s'offre à vous : vous devez posséder la propriété privée (exclusive) de toutes choses rares et utilisables comme moyens (ou biens) pour la poursuite des fins humaines. Cette propriété privée doit être fondée sur des actes d'appropriation originelle – l'enclavement ou l'enclosement reconnaissable de ressources rares – ou encore sur le transfert volontaire de cette propriété d'un propriétaire antérieur à un propriétaire ultérieur. 
 
Nous pouvons donc dire que ces règles expriment et explicitent la « loi naturelle ». « Naturelle », étant donné l'objectif spécifiquement humain d'interaction pacifique ; et « naturelle », car ces lois sont « données » et simplement découvertes comme telles par l'homme. Autrement dit, il ne s'agit absolument pas de lois inventées, forgées de toutes pièces ou décrétées. En fait, toute loi créée par l’homme (plutôt que découverte ou trouvée), c’est-à-dire toute législation, n’est pas du tout une loi, mais une perversion de la loi : des ordres, des commandements ou des prescriptions qui ne conduisent pas à la paix mais au conflit et qui sont donc en contradiction avec le but même des lois. 
 
Cela ne signifie pas qu'avec la découverte des principes du droit naturel, tous les problèmes d'ordre social seront résolus et toutes les frictions disparaîtront. Des conflits peuvent survenir, et surviennent effectivement, même si chacun savait comment les éviter. Et dans tout cas de conflit entre deux ou plusieurs parties en conflit, le droit doit être appliqué – et pour cela, la jurisprudence, le jugement et l'arbitrage (par opposition à la juridiction) sont requis. Des différends peuvent surgir quant à savoir si vous ou moi avons mal appliqué les principes dans des cas précis concernant des moyens particuliers. Des désaccords peuvent surgir quant aux faits « réels » d'une affaire : qui était où et quand, et qui a pris possession de ceci ou cela à tels moments et lieux ? Et il peut être fastidieux et long d'établir et de clarifier ces faits. Divers litiges antérieurs et ultérieurs doivent être examinés. Les contrats peuvent devoir être examinés de près. Des difficultés peuvent surgir dans l'application des principes aux ressources souterraines, à l'eau et à l'air, et surtout aux flux d'eau et d'air. De plus, se pose toujours la question de l'adéquation d'une peine à un crime donné, c'est-à-dire de la mesure appropriée de restitution ou de rétribution que l'agresseur doit à sa victime, puis de l'application des décisions de justice. 
 
Aussi complexes que ces problèmes puissent parfois être, les principes directeurs à suivre pour trouver une solution sont toujours clairs et incontestables. 
 
Dans tout litige porté devant un tribunal en vue d'obtenir un jugement, la présomption est toujours en faveur du propriétaire actuel de la ressource en question et, mutatis mutandis, la charge de la preuve contraire incombe toujours à l'opposant d'un état de fait et de possessions actuels. L'opposant doit démontrer que, contrairement à ce qui semble à première vue, il détient un droit sur un bien spécifique plus ancien que celui du propriétaire actuel. Si, et seulement si, l'opposant parvient à le démontrer, la possession contestée doit lui être restituée. En revanche, si l'opposant échoue à faire valoir ses arguments, non seulement le bien reste la propriété de son propriétaire actuel, mais ce dernier acquiert à son tour un droit légitime à l'encontre de son adversaire. Car le corps et le temps du propriétaire actuel ont été détournés par l'opposant lors de son argumentation infructueuse et rejetée. Il aurait pu faire autre chose, à sa guise, de son corps et de son temps plutôt que de se défendre contre son adversaire.
 
Et surtout : la procédure à choisir pour rendre la justice selon les lignes qui viennent d’être indiquées est claire et implicite dans l’objectif même d’une résolution pacifique et argumentative des conflits. Puisque les deux parties en litige – Jean et Jim – avancent ou maintiennent des affirmations contradictoires – moi, Jean, suis le propriétaire légitime de telle ou telle ressource, et non, moi, Jim, suis le propriétaire légitime de cette même ressource – et donc, puisque tous deux, Jean et Jim, sont intéressés, partiaux ou biaisés en faveur d’une issue particulière du procès, seule une tierce partie neutre ou désintéressée peut être chargée de rendre la justice. Cette procédure ne garantit évidemment pas que justice sera toujours rendue. Mais elle garantit que le risque de verdicts injustes est minimisé et que les erreurs de jugement sont facilement et probablement corrigées. En bref, pour tout litige de propriété entre deux (ou plusieurs) parties en litige, la règle doit être la suivante : aucune partie ne peut siéger en jugement et agir en dernier ressort dans un litige la concernant. Au contraire, tout recours à la justice doit toujours être adressé à des « étrangers », c’est-à-dire à des juges tiers impartiaux. 
 
On peut qualifier l’ordre social issu de l’application de ces principes et procédures d’« ordre naturel », de « système de justice naturelle », de « société de droit privé » ou de « constitution de la liberté ».  
 
Il est intéressant de noter que, bien que les prescriptions et exigences d'un ordre naturel paraissent intuitivement plausibles et raisonnablement peu exigeantes pour ses composantes, c'est-à-dire pour nous en tant qu'acteurs individuels, nous vivons en réalité dans un monde qui s'écarte significativement de cet ordre. Certes, partout et à tout moment, des traces de droit naturel et de justice subsistent, que l'on retrouve dans la vie civile et la gestion des conflits civils. Aucune société rejetant le droit naturel dans son intégralité ne pourrait survivre. Mais le degré de préservation du droit naturel – ou le degré de déviation par rapport à celui-ci – est et a été significativement différent d'un lieu et d'une époque à l'autre ; et, par conséquent, certaines sociétés sont ou ont été plus prospères : plus civilisées, plus pacifiques et plus prospères que d'autres. 
 
Cela soulève la question de la ou des causes de ces distorsions ou déviations par rapport au droit naturel – ou, pour ainsi dire, de la décivilisation.
 
L'erreur ultime responsable de ces déviations – le « péché originel », si l'on peut dire – est l'instauration d'un monopole sur l'usage de la force ou de la violence. Sans un tel monopole, sans un État comme on l'appelle communément – ​​et c'est ce qu'on nous dit généralement à l'école et à l'université, et ce que la plupart des gens croient réellement et habituellement –, il n'y aurait et ne pourrait y avoir de coopération sociale pacifique entre les hommes, mais l'« anarchie » éclaterait, autrement dit une guerre sans fin de tous contre tous. 
 
Mais cette croyance est non seulement empiriquement erronée ; il suffit d'observer autour de soi, c'est un mensonge grossier. Autrement dit, il ne s'agit pas d'une simple erreur innocente, mais d'une erreur délibérément propagée pour promouvoir des objectifs illicites (avec de mauvaises intentions). 
 
L'instauration d'un monopole sur l'usage de la violence implique l'abandon de la procédure de droit naturel et de la méthode de résolution des conflits par l'arbitrage d'un tiers indépendant, mentionnées précédemment, c'est-à-dire qu'aucune partie ne peut jamais siéger en jugement et agir en dernier ressort dans un litige la concernant. Le détenteur du monopole de la décision ultime (au-delà de laquelle aucun appel n’est autorisé) est précisément cela : un juge siégeant dans le jugement de conflits (différends) l’impliquant lui-même.  
 
 Cependant, une telle institution ne peut contribuer ni ne contribue à éliminer ni à minimiser les conflits – comme c'est le but et l'objectif du droit naturel – mais, au contraire, elle en accroîtra et en élargira l'étendue. Quiconque détient un monopole territorial sur l'usage de la violence peut, et le fera, de manière prévisible, non seulement être biaisé en sa faveur dans tout conflit avec une autre partie privée, mais un agent ou une agence monopolistique peut également provoquer, initier et provoquer des conflits avec d'autres personnes et leurs biens – et déclarer ensuite ces interférences et impositions sur d'autres personnes et leurs avoirs comme justifiées et légales. 
 
 On comprend donc aisément pourquoi le rôle ou la fonction d'un monopole de la violence peut intéresser certains. Il permet à un acteur ou à une agence de vivre et de s'enrichir aux dépens d'autrui. Il leur permet d'améliorer leur bien-être et leur statut social non pas en se donnant la peine de produire ou de vendre quelque chose, ou d'acquérir quelque chose auprès d'autrui par un échange mutuellement acceptable, mais, apparemment sans effort, par un simple décret, verdict ou autorisation unilatérale. 
 
Et à la lumière de cela, il est également aisé de comprendre pourquoi tout fondateur potentiel d'État et tout agent (principal) actuel de l'État voudraient promouvoir la croyance même en la nécessité de l'État pour l'établissement et le maintien de la paix et de la civilisation – même s'ils reconnaissaient eux-mêmes que cette croyance est fausse. Car cette croyance est un mensonge nécessaire si votre objectif, ou celui de votre organisme, est de vivre aux dépens d'autrui et de le dominer, c'est-à-dire d'exercer le pouvoir. 
 
 Le principal moyen d'exercer le pouvoir est donc la législation, c'est-à-dire l'élaboration des lois (plutôt que leur découverte). Le droit « naturel » est remplacé par le droit « positif » créé par l'homme, c'est-à-dire par des « lois » conçues pour modifier, déformer, contourner, pervertir ou remplacer les dispositions du droit « naturel » à son propre avantage (celui de l'État). 
 
De manière caractéristique, afin d'affirmer son statut de juge suprême, une législation exempte de toute responsabilité les agents de l'État en tant qu'agents de l'État. En effet, en se déclarant, ainsi que ses agents, exempts de toute responsabilité personnelle pour tout dommage ou dette causés ou contractés dans l'exercice de leurs fonctions, toute inhibition subsistante à l'exercice du pouvoir vis-à-vis d'autrui est apaisée. De plus en plus, et sans grande hésitation, des impositions de plus en plus coûteuses, frivoles et risquées, au détriment d'autrui et de ses biens – mais à l'avantage du monopoleur lui-même, en termes de ses propres possessions (ou avoirs) et de son contrôle sur les avoirs d'autrui – seront inscrites dans la loi (légitimes). 
 
En principe, en tant que juge suprême exempt de toute responsabilité, il peut décréter que toute chose et toute personne sur un territoire donné soit soumise à la législation. Par décret, il pourrait taxer, accabler, interdire ou punir qui et ce qu'il veut. Toute activité peut être réglementée – punie ou récompensée – par la loi. Rien n'échappe littéralement au champ d'application de la législation. 
 
Nous, ici et maintenant, dans ce que l'on appelle le monde occidental, n'avons pas encore atteint ce point de contrôle étatique total. Mais en légiférant partout aujourd'hui, même sur la parole et les mots, au moyen de codes de langage et de contrôles de la pensée officiellement sanctionnés, nous avons manifestement déjà fait un long chemin vers un régime totalitaire. 
 
Il a fallu beaucoup de temps à l'État occidental pour atteindre ce point dans sa quête de pouvoir (contrôle sur autrui, ses biens et ses possessions). Et permettez-moi de souligner ici, en passant, le rôle déterminant qu'a joué l'institution de la démocratie (élections populaires, règle de la majorité, libre accès au gouvernement) dans l'essor du pouvoir étatique. J'ai écrit un livre sur ce sujet [Democracy: The God That Failed (Transaction, 2001)]. Il suffit de dire ici que l'expansion du pouvoir étatique s'est faite progressivement, étape par étape, et ce, sur une très longue période. Chaque étape sur ce chemin, depuis l'établissement initial d'un monopole territorial de la violence jusqu'à aujourd'hui, a rencontré une certaine opposition ou résistance. Car, par définition, toute expansion du pouvoir de l'État implique un contrôle accru sur les autres et leurs biens et, inversement, une diminution correspondante du contrôle des autres sur leurs biens actuels. Chaque décret d'État, chaque nouvelle loi, engendre donc des victimes, des personnes dont le contrôle sur quelque chose est réduit ou supprimé en conséquence, et qui s'opposent de ce fait à cette législation. 
 
L'État, pour se développer et croître, doit donc apprendre à surmonter – à briser, à réduire, à réduire au silence ou à éliminer – toute opposition ou résistance de ce type. 
 
Comme le montre amplement le monde actuel, les États occidentaux ont accompli d'énormes progrès dans cette tentative d'étouffer toute opposition. Tous les citoyens actuels ont été élevés et socialisés dans l'environnement d'un État « mature » et ont appris à vivre avec et à le supporter. Les droits de propriété privée ont été érodés et réduits à leur plus simple expression. Des décrets réglementent dans les moindres détails ce que vous pouvez ou non faire de votre propriété privée : quoi et comment produire, quoi et comment consommer, quoi vendre et acheter (ou pas) ; comment construire, équiper, meubler, chauffer ou climatiser votre maison ou votre usine ; comment ou comment se déplacer à vélo, en voiture, en train et en avion ; quoi manger et boire, comment gérer vos affaires familiales et professionnelles et comment élever vos enfants ; Que dire et que ne pas dire, comment s’adresser à une autre personne et, enfin et surtout, que garder de sa propre propriété et que céder au monopoleur – et pourtant, il y a peu, voire aucune, opposition ou résistance à ces régimes de plus en plus invasifs.

Et si peu d'opposition existe, elle est principalement verbale et ne s'élève que rarement (voire jamais) au niveau de résistance active. La plupart des gens ont conclu un accord avec l'État. Certains travaillent comme fonctionnaires, d'autres bénéficient du favoritisme, des fonds et de l'argent de l'État. Ils ont tendance à ne pas faire grand cas afin de conserver leurs faveurs, leurs emplois ou leurs subventions. D'autres ont simplement abandonné (démissionné) et, par habitude, se soumettent plus ou moins discrètement aux ordres de l'État pour éviter les ennuis. Quant à l'opposition verbale, qui existe bel et bien, elle est presque invariablement dirigée contre la mauvaise cible et, par conséquent, inefficace et « inoffensive » du point de vue de l'État, monopole de la violence. 
 
Toutes les critiques visent des personnes spécifiques ou le fonctionnement d'un service (bureau) spécifique au sein de l'administration et de l'appareil d'État, et la solution proposée est toujours la même : un changement de personnel ou une modification de la structure organisationnelle du gouvernement. Que certaines fonctions, ou l'institution même d'un État, puissent être source de problèmes et, par conséquent, devoir être abolies (supprimées) plutôt que « réformées » paraît impensable. Même les critiques apparemment les plus virulentes du gouvernement d'État finissent par se révéler être ses apologistes. Ils ressemblent en effet à ces critiques du socialisme (à l'ancienne, à la soviétique) qui expliquaient – ​​et excusaient – ​​les échecs apparents du régime socialiste en désignant les « mauvais » responsables. Avec Trotski, Boukharine ou X, Y ou Z aux commandes plutôt que Staline, le socialisme aurait été une réussite.
 
 Dans le même ordre d'idées, les critiques du modèle occidental actuel d'État-providence pointent toujours du doigt un membre du personnel ou une organisation interne spécifique pour expliquer tout problème ou échec apparent. Et de fait, la génération actuelle de politiciens aux commandes d'un appareil d'État – la classe dirigeante – offre un large champ de critiques. Où que l'on regarde, des États-Unis, premier et plus puissant prototype ou modèle de l'État occidental (démocratique), à ​​la Grande-Bretagne, en passant par l'Europe continentale, et en particulier l'Allemagne, et les anciennes colonies européennes du Canada, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, on observe partout le même tableau d'une incompétence générale et stupéfiante. Partout, la masse populaire, des millions et des millions, est gouvernée par un petit groupe, composé de quelques centaines ou milliers de personnes, composée d'échecs et de ratés professionnels, de faux-semblants, de mégalomanes, de narcissiques, de propagandistes, de flagorneurs, de menteurs, d'escrocs, de clowns, de pillards et d'assassins. Il n'est donc pas étonnant que les scandales se succèdent jour après jour, et donc qu'il y ait toujours une abondance de « choses » insensées à dénoncer, à critiquer et à dénoncer. Et il n'est pas étonnant que la classe dirigeante soit largement méprisée par un nombre considérable de personnes. Il est difficile d'accepter d'être dirigé et manipulé par une bande d'« ignorants » et d'« incapables », d'imbéciles et d'abrutis. Nombreux sont ceux qui se sentent simplement insultés (et irrités) par l'ampleur de l'incompétence, de l'ignorance et de l'arrogance rencontrées dans leurs relations avec le pouvoir d'État.
 
Mais croire, comme le font, consciemment ou non, la quasi-totalité des critiques actuels du système démocratique occidental, que ces scandales et ces désagréments incessants pourraient être évités si seulement le personnel actuel à la tête de l'appareil d'État était remplacé par d'autres personnes, plus « meilleures », est naïf et fondamentalement erroné. 
 
L'institution d'un État attire, nourrit et promeut certains caractères et traits de caractère. D'emblée, elle attire les avides de pouvoir, ceux qui veulent dominer les autres et dominer leur conduite, et d'autre part, en tant que complément psychologique, elle attire les serviles, ceux qui désirent s'accrocher, servir et se soumettre aux puissants en échange de sécurité, de protection et de privilèges personnels. Et ces traits de caractère (peu désirables) de soif de pouvoir et de servilité sont alors systématiquement nourris, renforcés, promus, stimulés, cultivés, affinés et diversifiés par l'entrée dans l'appareil d'État et le travail au sein de l'État. Voilà ce que signifie réellement « le pouvoir corrompt ». Cela rend les avides de pouvoir encore plus avides, et parallèlement à la croissance du pouvoir (de l'État), un espace toujours plus grand s'ouvre également à la croissance et au développement de parasites serviles. Il en résulte l'incompétence générale mentionnée ci-dessus, dans tous ses aspects et variantes désagréables.
 
Croire, alors, que le remplacement d'une personne ou d'un groupe de personnes exemptées de responsabilité par une autre personne ou un groupe de personnes équivalents puisse résoudre un quelconque « problème social » est une pure illusion. Le pouvoir corrompt et corrompt tout le monde, partout. Et tant que les critiques de l'État occidental actuel limiteront leurs critiques aux défaillances d'agents ou d'agences étatiques spécifiques et exigeront simplement leur remplacement ou leur réorganisation par d'autres agents ou agences similaires, nous sommes condamnés et la marche vers le contrôle totalitaire est vouée à se poursuivre. 
 
Que nous soyons gouvernés par des incompétents, des ignorants, des imbéciles, des crétins, des imbéciles et des racailles, et que cette situation scandaleuse et déplorable ne se soit pas améliorée, mais ait empiré au fil du temps, n'est pas un hasard. C'est la conséquence prévisible et logique de l'acceptation du mythe originel concernant la nécessité d'un État – un monopole de la violence, un juge suprême et définitif qui, contrairement à tout le monde, ne peut être convoqué par personne pour être jugé pour ses actes – pour le maintien de la paix.  
 
En réalité, et au contraire, il est scandaleux et moralement outrageant que quiconque puisse dominer quelqu'un. Qu'une personne puisse s'emparer de la « propriété naturelle » d'autrui (bien acquis légalement, selon la « loi naturelle ») et lui imposer ses ordres sans son consentement et même contre son gré. Et que cette personne soit alors à l'abri de toute accusation extérieure, demande reconventionnelle ou contestation « légale ». 
 
 Il s'agit d'une violation et d'une perversion flagrantes de la loi naturelle : une telle personne n'est pas un acteur respectueux des lois, mais plutôt un criminel, un hors-la-loi. 
 
Plus ahurissant encore, scandaleux et outrageant, qu'un homme ou un petit groupe de personnes (aussi « bons » ou bien intentionnés soient-ils) puissent régner sur des centaines, des milliers, voire des millions de personnes, leurs biens et possessions, sans que les dirigeants ne connaissent personnellement ni n'aient jamais rencontré aucun d'entre eux, et sans qu'aucun d'eux n'ait jamais consenti à un tel traitement. Ces dirigeants ne sont pas seulement des hors-la-loi, ce sont des bandes de hors-la-loi, de menteurs invétérés, d'escrocs, de tricheurs et d'escrocs, de criminels endurcis et de récidivistes. Convoqués devant un tribunal de droit naturel, ils seraient tous confrontés à d'innombrables accusations et condamnés à des restitutions, des indemnisations et des sanctions, les conduisant à la faillite personnelle et à la ruine économique. 
 
La marche actuelle, apparemment interminable, vers un régime de plus en plus totalitaire, menée par une petite classe dirigeante, observée dans tout le monde occidental, ne pourra être stoppée et inversée que si l'institution de l'État elle-même est critiquée et reconnue comme une puissante entreprise criminelle, dénuée de toute légitimité, et dirigée par des individus tout sauf « honorables » (comme ils aiment à se faire considérer), voire carrément méprisables. 
 
En s'inspirant du célèbre principe 20-80 de Pareto, on peut donc prédire (spéculer) quand – si jamais – ce spectre prendra fin et l'État commencera à s'effondrer. Parmi tous les critiques publics actuels et futurs de l'État, c'est-à-dire les intellectuels, les journalistes, les commentateurs, etc., environ 20 % doivent en venir à reconnaître et à dénoncer l'État comme une entreprise prédatrice et une monstruosité morale. À cette fin, il serait utile, par exemple, que parmi le nombre considérable de critiques actuels de l'État, qu'ils soient « constitutionnalistes » ou « étatistes minimalistes », une part substantielle se résout enfin à admettre l'incohérence logique et la faillite intellectuelle de leur propre doctrine et, par conséquent, à se convertir ouvertement à l'anarchisme de la propriété privée et au droit naturel. Aujourd'hui, aussi radicale que puisse paraître leur critique de l'État, ils se révèlent finalement d'inoffensifs défenseurs de l'État. Puis (par la suite), en tant que représentants d'une société de droit privé sans État, ils dénoncent et délégitiment l'État comme une institution illégitime et leur « ennemi » – ce qui, cependant, exige non seulement de la perspicacité, mais aussi du courage, car une telle position est perçue par l'État comme « dangereuse » et peut entraîner des répercussions ou des représailles.
 
Et cette minorité non négligeable d'intellectuels publics (au sens large du terme) doit alors amener environ 20 % de la population d'un territoire (étatique) donné à considérer l'État comme une puissante entreprise criminelle – à craindre, mais aussi à dénoncer, ridiculiser, railler et rire, en raison de l'incompétence, de l'arrogance et de la prétention omniprésentes de ses dirigeants, démontrées dans tous leurs actes et leurs paroles. 
 
Une fois cet objectif atteint – et seulement alors, si l'on en croit le principe de Pareto – la délégitimation de l'État aura suffisamment progressé pour qu'il puisse commencer à s'effriter, ou à dépérir, selon la terminologie marxiste, et se désintégrer ou se décomposer en ses composantes locales plus petites. 
 
Il va sans dire que nous sommes encore loin de cet objectif et qu'il nous reste encore beaucoup à faire.
 
Hans-Hermann Hoppe 
Hans-Hermann Hoppe, économiste de l'école autrichienne et philosophe libertarien/anarcho-capitaliste, est professeur émérite d'économie à l'UNLV, membre distingué de l'Institut Ludwig von Mises, fondateur et président de la Property and Freedom Society, ancien rédacteur en chef du Journal of Libertarian Studies et membre à vie de la Royal Horticultural Society. Il est marié à l'économiste Dr A. Gulcin Imre Hoppe et vit avec son épouse à Istanbul.

Vous trouverez ci-dessous une version éditée du discours prononcé lors de la réunion annuelle 2024 du PFS (22 septembre 2024) (podcast sur PFP288).
 Cette conférence est issue de la 18e réunion annuelle (2024) de la Property and Freedom Society, Bodrum, Turquie, du 19 au 24 septembre 2024.

 
 
 

juillet 05, 2022

LIBERTÉ D'IMMIGRER OU INTÉGRATION FORCÉE ? Hans-Hermann HOPPE

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Comme l'indique l'immigrationnisme forcené des bandits communistes, la véritable liberté en matière d'immigration est le contraire exact de l'intégration forcée qu'imposent les gouvernements démocrates-sociaux à l'échelle du monde. A défaut d'une société totalement libre, l'Etat ne peut mener une politique d'immigration raisonnable que s'il agit comme le ferait un roi [F. G.].

L'argument classique en faveur de l'immigration sans frein se présente comme suit : toutes choses égales par ailleurs, les entreprises vont là où le travail coûte moins cher, réalisant ainsi une approximation du principe "à travail égal, salaire égal"**, de même que la meilleure affectation du capital possible. Un influx d'immigrants dans une région à salaires élevés abaissera les salaires nominaux. Cependant, il ne réduira pas les salaires réels si la population se trouve en-deçà de sa taille optimum (et il est certain que les Etats-Unis, dans leur ensemble, ont bien moins de population que sa taille optimale). Si c'est le cas, en fait la production augmentera tellement que les revenus réels augmenteront. De sorte que les restrictions à l'immigration feront plus de mal aux travailleurs protégés en tant que consommateurs qu'elles ne leur feront gagner en tant que producteurs***. En outre, des restrictions à l'immigration accroîtront la "fuite" de l'épargne à l'étranger (l'exportation des capitaux qui seraient restés autrement), provoquant une égalisation des taux de salaire (quoique plus lentement), mais conduisant à un gaspillage du capital, détériorant ainsi les niveaux de vie dans le monde. 

 Tel que présenté plus haut, l'argument en faveur de l'immigration sans frein est irréfutable et exact. Il serait aussi stupide de le contester que de nier que la liberté des échanges conduit à des  niveaux de vie plus élevés que le protectionnisme. Ce serait aussi une erreur de contester l'argumentaire immigrationniste en faisant remarquer que, du fait de l'existence d'un Etat-providence, l'immigration concerne désormais dans une large mesure des parasites des systèmes sociaux*qui, alors même que la population des Etats-Unis est en-deçà du niveau optimum, n'accroissent pas le niveau de vie général mais le diminuent. En effet, il ne s'agit pas d'un argument contre l'immigration mais contre l'Etat-providence. Bien sûr, celui-ci doit être détruit, éradiqué. Mais les problèmes de l'immigration et de l'Etat-providence sont des problèmes analytiquement distincts, et on doit les traiter en conséquence. Le problème de l'argumentaire qui précède est qu'il souffre de deux défauts connexes qui invalident sa conclusion d'immigrationnisme inconditionnel, ou qui limitent son applicabilité à une situation hautement irréaliste —depuis longtemps évanouie dans l'histoire humaine. On ne mentionnera qu'en passant le premier défaut : pour les libéraux conséquents de l'Ecole autrichienne d'économie politique, il est évident que ce qui constitue le "bien-être" est un jugement de l'esprit, et les ressources matérielles ne forment qu'une part de ses considérations. Même si les revenus réels augmentent du fait de l'immigration, il ne s'ensuit pas que l'immigration doive en être automatiquement tenue pour "bonne", car on pourrait préférer un niveau de vie plus bas et une plus faible population à une plus grande richesse matérielle dans un peuplement plus dense. C'est sur la seconde impasse que nous allons nous concentrer ici : c'est sur un territoire particulier que les gens immigrent. Or, l'analyse présentée au départ ne traite absolument pas la question de savoir qui, s'il existe, possède (maîtrise) le territoire en question. En fait, pour rendre l'analyse applicable, on suppose —implicitement— que le territoire en question n'appartient à personne, et que les immigrants arrivent sur un espace vierge (la "frontière ouverte" de l'histoire américaine). Il est évident que cette hypothèse, on ne peut plus la faire. Or, si ce postulat est abandonné, le problème de l'immigration acquiert un sens fondamentalement différent, et exige d'être repensé de fond en comble. Pour illustrer ce que j'entends, imaginons une société anarcho-capitaliste : quoique je sois persuadé qu'une telle société est le seul ordre politique que l'on puisse défendre comme juste, je n'essaierai pas d'expliquer ici pourquoi c'est le cas**. Je vais plutôt l'utiliser ici comme un point de départ conceptuel, pour contribuer à faire comprendre l'erreur fondamentale de la plupart des apôtres contemporains de l'immigration illimitée.  

Supposons donc que toute la terre soit propriété privée : cela inclut toutes les rues, routes, aéroports, ports, etc. Pour certains terrains, le titre de propriété n'est soumis à aucune servitude : c'est-à-dire que le propriétaire est libre de faire tout ce qui lui plaît aussi longtemps qu'il ne porte pas atteinte à la propriété des autres. Pour d'autres, l'usage peut être plus ou moins étroitement restreint. Comme c'est aujourd'hui le cas dans certains lotissements, le propriétaire peut être soumis à des limites contractuelles à ce qu'il peut faire de sa propriété (des règles d'urbanisme librement acceptées) telles que : usage résidentiel ("occupation bourgeoise") et non usage commercial, hauteur des immeubles limitée à trois étages, pas de vente ni de location aux Juifs, Allemands, Catholiques, homosexuels, Haïtiens, aux familles avec ou sans enfants, ou aux fumeurs, entre autres exemples. Il est clair que dans cette société strictement libérale, il n'existe absolument aucun "droit à l'immigration". Ce qui existe, à la place, c'est le Droit de multiples propriétaires indépendants d'inviter ou de ne pas inviter les autres chez eux, conformément à leurs titres de propriété illimités ou limités. L'accès à certains terrains pourra être facile, et à d'autres quasiment impossible ; dans tous les cas, être accepté sur la propriété de celui qui vous invite n'implique aucun "droit" de se promener dans les environs, à moins que les autres propriétaires n'acceptent de telles déambulations. Il y aura sur chaque terrain exactement autant d'immigration et de non-immigration, d'exclusion et de non-exclusion, d'intégration ou de ségrégation, de non-discrimination ou de discrimination fondée sur des critères raciaux, ethniques, linguistiques, religieux, culturels ou (n'importe quels) autres, que l'auront décidé les propriétaires privés et associations de propriétaires privés. Remarquez que rien de tout cela, même pas la forme la plus extrême du ségrégationnisme, n'a le moindre rapport avec le refus du libre échange et l'adoption du protectionnisme. Du fait qu'on ne désire pas fréquenter des Nègres, des Turcs, etc. ou vivre dans leur voisinage, il ne s'ensuit pas qu'on ne souhaite pas échanger à distance avec eux. Bien au contraire, c'est précisément le caractère absolument volontaire de l'association et de la séparation —l'absence de toute forme d'intégration forcée— qui rend possible les relations pacifiques —le libre échange— entre des gens culturellement, ethniquement, ou confessionnellement différents*.  

Dans une société totalement libérale (anarcho-capitaliste), il n'y a pas de gouvernement central, et par conséquent pas de distinction précise entre les nationaux (citoyens du pays) et les étrangers. Cette distinction n'apparaît qu'avec l'institution d'un Etat, c'est-à-dire d'un groupe de personnes qui détiennent un monopole de l'agression (de l'impôt). Le territoire sur lequel s'étend le pouvoir fiscal devient "national" (intérieur) et quiconque réside au-delà de ce territoire devient un étranger. Les frontières d'Etat (avec les passeports), à la différence des bornes de la propriété privée, ne sont pas des institutions naturelles (elles sont imposées par la force). En fait, leur existence (et celle d'un gouvernement national) fausse à deux titres l'inclination naturelle des gens à s'associer les uns avec les autres. Tout d'abord, les résidents ne peuvent pas exclure de leur propriété les hommes de l'Etat (les envoyés du fisc), mais sont victimes de ce qu'on pourrait appeler l'"immigration forcée" des agents de l'Etat. Deuxièmement, pour pouvoir faire intrusion sur la propriété privée de ses sujets afin de les taxer, un gouvernement doit invariablement prendre le contrôle des routes existantes, et il emploiera ses recettes fiscales à produire encore davantage de routes, dans le but de faciliter son accès à toute propriété privée, comme matière fiscale potentielle. Ainsi, cette surproduction de routes n'implique pas seulement une facilitation innocente du commerce interrégional —un abaissement des coûts de transaction, comme les économistes naïfs voudraient nous le faire croire ; c'est aussi une intégration nationale forcée (une déségrégation artificielle de localités séparées). En outre, avec l'installation d'un gouvernement et de frontières d'Etat, l'immigration prend un sens entièrement différent. L'immigration devient une immigration d'étrangers, à travers des frontières d'Etat, et la question de savoir si une personne doit être admise n'incombe plus à des propriétaires privés ou à une association de propriétaires privés, mais aux hommes de l'Etat en tant que souverains ultimes de tous les résidents nationaux et comme propriétaires de fait de toutes leurs possessions. Cependant, si les hommes de l'Etat excluent une personne alors même qu'un résident national est disposé à l'accueillir sur sa propriété, le résultat est une exclusion forcée (phénomène qui n'existe pas dans une anarchie de propriété privée). En outre, si les hommes de l'Etat laissent entrer une personne alors qu'il ne se trouve pas ne serait-ce qu'un seul résident national qui souhaite admettre cette personne sur sa propriété, le résultat est une intégration forcée (qui n'existe pas non plus dans une anarchie de propriété privée). Maintenant, ajoutons quelques postulats historiquement "réalistes" : supposons que l'Etat est propriété privée. Le souverain possède littéralement l'ensemble du pays dans les limites de ses frontières. Il est pleinement propriétaire d'une partie du territoire (son titre de propriété y est illimité), et possède partiellement le reste (en tant que propriétaire ultime ou prétendant au revenu résiduel de toutes les possessions immobilières, quoique contraint par une espèce de contrat de location préexistant). Il peut vendre et léguer sa propriété, et il peut calculer et "réaliser" la valeur de son capital (son pays). Les monarchies traditionnelles —et les rois— sont les exemples historiques les plus proches de cette forme de gouvernement. Que sera la politique d'immigration et d'émigration caractéristique d'un roi ? Dans la mesure où il possède l'ensemble de la valeur en capital du pays, il aura tendance, en ne lui supposant pas d'autre intérêt que le sien, à choisir les politiques de migration qui préservent ou accroissent la valeur de son royaume, au lieu de la diminuer. En ce qui concerne l'émigration, un roi voudra empêcher l'émigration de sujets productifs, et particulièrement de ses sujets les meilleurs et les plus productifs, parce que les perdre diminuerait la valeur du royaume. Par exemple, de 1782 à 1824, une loi interdisait aux ouvriers qualifiés de quitter la Grande-Bretagne. En revanche, un roi souhaitera expulser ses sujets improductifs et destructeurs (les criminels, clochards, mendiants, romanichels, vagabonds, etc.), car les extirper du royaume accroîtra sa valeur. C'est pour cela que la Grande-Bretagne a expulsé des dizaines de milliers de délinquants de droit commun en Amérique du Nord et en Australie.  

En ce qui concerne par ailleurs l'immigration, un roi souhaitera tenir la tourbe à l'écart, de même que les gens aux capacités productives inférieures. Cette dernière catégorie ne sera admise que temporairement, si elle l'est seulement, comme travailleurs saisonniers sans droit de cité (comme quand nombre de Polonais furent admis comme travailleurs saisonniers en Allemagne après 1880), et on leur interdira toute possession immobilière permanente. Un roi ne permettrait l'immigration permanente qu'à des individus supérieurs ou du moins au-dessus de la moyenne (c'est-à-dire à ceux qui accroîtraient la valeur de son royaume en y résidant), comme lorsqu'après 1685 (la révocation de l'Edit de Nantes), des dizaines de milliers de Huguenots furent autorisés à s'installer en Prusse et lorsque Pierre le Grand, Frédéric le Grand et Marie-Thérèse d'Autriche facilitèrent l'immigration et l'établissement de grands nombres d'Allemands en Russie, en Prusse et dans les provinces orientales de l'Autriche-Hongrie. Bref, même si les politiques de migration d'un roi n'éviteraient pas entièrement les cas d'exclusion et d'intégration forcée, elles feraient grosso modo ce que feraient des propriétaires privés, s'ils pouvaient décider qui admettre et qui exclure. Le roi serait particulièrement regardant, se souciant à l'extrême d'améliorer la qualité du capital humain résident, afin d'accroître la valeur du sol ou d'éviter de la diminuer. On peut prédire que les politiques de migration prendront un tour différent une fois l'Etat de-venu propriété publique. Le dirigeant n'est plus propriétaire de la valeur en capital du pays, il n'en dispose plus qu'à titre temporaire. Il ne peut pas vendre ni léguer sa place de dirigeant, n'étant qu'un gérant provisoire. En outre, la "liberté d'entrer" existe dans cette profession de gérant étatique*. N'importe qui, en principe, peut devenir dirigeant d'un pays. Les démocraties telles qu'elles sont apparues sur une large échelle après la Première guerre mondiale présentent des exemples historiques de gouvernement public. Encore une fois, si on ne leur prête pas d'autre intérêt que personnel (le souci d'accroître au maximum leur revenu pécuniaire et psychique : l'argent et le pouvoir), les maîtres démocratiques cherchent à accroître au maximum le revenu courant aux dépens de la valeur en capital, dont ils ne peuvent pas s'emparer à titre privé. De sorte que, se conformant à l'égalitarisme inhérent au suffrage universel**, ils ont tendance à mener des politiques nettement égalitaires —non-discriminatoires— en matière d'émigration et d'immigration.  

En ce qui concerne la politique d'émigration, cela implique que le dirigeant démocratique se soucie peu de savoir si ce sont des gens productifs ou improductifs, des cerveaux ou des clochards, qui quittent le pays. Les uns et les autres ont le même droit de vote. En fait, le dirigeant démocratique pourrait bien s'inquiéter davantage de la perte d'un parasite que de celle d'un génie productif. Car si la perte du second dégrade certainement la valeur du pays, alors que la disparition du premier pourrait l'accroître, un dirigeant démocratique n'est pas propriétaire du pays. A court terme, un paumé qui vote pour des mesures égalitaristes pourrait même avoir plus de valeur pour le dirigeant démocratique que n'en a le génie productif : celui-ci, victime de choix de l'égalitarisme, a plus de chances de voter contre le dirigeant en question*. Pour la même raison, un dirigeant démocratique, tout à l'opposé d'un roi, en fera peu pour expulser les gens dont la présence dans le pays constitue une nuisance (les indésirables, dont la présence fait baisser les valeurs immobilières). En fait, ces indésirables-là —parasites, tordus, délinquants— ont des chances de figurer parmi ses plus fidèles électeurs. En ce qui concerne les politiques d'immigration, les raisons d'agir ou de ne pas agir sont tout aussi faussées, et les résultats sont également pervers. Pour un démocrate officiel, peu importe que ce soient des gueux ou des génies, des gens plus ou moins civilisés que la moyenne, ou plus ou moins productifs, qui entrent dans le pays. Il ne se soucie pas beaucoup non plus de la distinction entre travailleurs temporaires (titulaires d'un permis de travail) et les immigrés définitifs, propriétaires permanents (les citoyens naturalisés). En fait, les nécessiteux et les improductifs pourraient bien être préférables comme résidents et comme citoyens parce qu'ils posent davantage de ce qu'on appelle les "problèmes sociaux", et que ces dirigeants-là prospèrent de l'existence de tels problèmes. En outre, les tarés, les gens inférieurs, auront plus de chances d'appuyer ses politiques égalitaristes, alors que les génies et les gens supérieurs s'y refuseront. Le résultat de ces politiques de discrimination est une intégration forcée : on impose des masses d'immigrants inférieurs à des propriétaires nationaux qui, s'ils avaient décidé eux-mêmes, auraient fortement discriminé et se seraient choisis des voisins très différents. Ainsi, les lois sur l'immigration aux Etats-Unis de 1965, le meilleur exemple de démocratie en action, a éliminé tous les critères de "qualité" préalablement existants et la préférence explicite pour les immigrants européens, la remplaçant par une politique de non-discrimination presque complète (de "multiculturalisme").  

En fait, même si on l'a rarement fait observer, la politique d'immigration d'une démocratie est le reflet de sa propre politique interne relativement aux mouvements de population : vis-à-vis des choix volontaires d'association ou de désassociation, de ségrégation ou d'intégration, de rapprochement ou d'éloignement physique des différents propriétaires. Comme le ferait un roi, un dirigeant démocratique favorisera la sur-intégration spatiale en produisant à l'excès le "service collectif" des voies publiques. Cependant, pour un dirigeant démocratique, à la différence d'un roi, il ne suffira pas que tout le monde puisse "aller et venir" jusqu'à la porte de tout un chacun sur les routes des hommes de l'Etat. Soucieux d'accroître son revenu et son pouvoir actuels aux dépens du capital installé et sous l'influence du préjugé égalitariste, le démocrate patenté ira bien plus loin. Le gouvernement fera des lois "contre la discrimination" —on ne pourra plus choisir de ne pas côtoyer les Juifs, Nègres, bougres, etc.— pour forcer l'entrée de la propriété de chacun et en ouvrir l'accès à n'importe qui. Il n'est donc guère surprenant que la législation des "droits civiques" aux Etats-Unis, qui interdisait les distinctions privées sur le critère de la couleur, de la race, de l'origine nationale, etc. et imposait de ce fait la déségrégation, a coïncidé avec l'adoption d'une politique d'immigration non-discriminatoire, ce qui signifiait une déségrégation internationale imposée (l'intégration forcée). a situation actuelle des Etats-Unis et de l'Europe occidentale en matière d'immigration n'a donc absolument rien à voir avec un quelconque "libéralisme". Il s'agit d'intégration forcée, purement et simplement, et l'intégration forcée est le résultat prévisible de la démocratie sociale* où règne le principe "un homme-une voix". Abolir l'intégration forcée exige de combattre la démocratie sociale, pour finalement abolir le caractère "public" des décisions**

Plus spécifiquement, le pouvoir d'inviter ou d'exclure doit être retiré aux hommes de l'Etat central pour être remis aux régions, provinces, départements, villes, villages, quartiers résidentiels et finalement aux propriétaires privés et à leurs associations volontaires. On atteint ces objectifs par la décentralisation et la sécession (l'une et l'autre par essence contraires à la démocratie sociale et à la règle majoritaire). On serait par conséquent bien engagé dans la voie d'une restauration de la liberté d'association et d'exclusion qui procède de l'idée libérale et de l'institution de la propriété privée, et une bonne partie des conflits qui naissent actuellement de l'intégration forcée disparaîtraient si seulement les villes et villages pouvaient, et voulaient faire ce qu'ils faisaient tout naturellement bien avant dans le XIX° siècle en Europe et aux Etats-Unis : afficher des pancartes énonçant les conditions d'entrée dans la ville (pas de mendiants, ou de clochards, ou de vagabonds, mais aussi pas de Musulmans, pas de Juifs, ou de Catholiques, ou de Protestants, ou d'Américains) ; chasser comme contrevenant quiconque ne répond pas aux conditions affichées ; et résoudre la question de la "naturalisation" à la manière suisse, où ce sont les assemblées locales, et non le gouvernement central, qui décident qui peut, ou ne peut pas devenir citoyen. Que doit-on espérer et prôner comme politique d'immigration correcte, aussi longtemps que l'Etat central démocratique existe toujours et qu'il s'arroge avec succès le pouvoir d'imposer une politique uniforme d'immigration ? La meilleure que l'on puisse espérer va "contre la nature" de la démocratie, et n'a donc pas beaucoup de chances d'arriver : c'est que les dirigeants démocratiques se conduisent "comme si" ils étaient personnellement propriétaires du pays, comme s'ils avaient à décider qui admettre et qui exclure dans leur propre propriété privée (dans leur propre maison même). Cela signifie pratiquer une politique de discrimination extrême : de stricte discrimination en faveur de ceux qui présentent les plus grandes qualités humaines d'expertise, de caractère et de compatibilité culturelle. Plus spécifiquement, cela veut dire que l'on distingue strictement entre les "citoyens" (les immigrés "naturalisés") et les "étrangers résidents", en excluant ces derniers de tout "avantage social". Cela signifie exiger, pour l'acquisition du statut de résident étranger aussi bien que celui de citoyen, le parrainage personnel d'un citoyen résident, se portant garant pour toute atteinte à la propriété causée par l'immigrant. Cela implique d'exiger un contrat d'embauche en vigueur avec un citoyen résident ; en outre, pour les deux catégories, mais particulièrement celle de la citoyenneté, cela implique que l'immigrant doit présenter non seulement une connaissance de [notre] langue mais encore des capacités intellectuelles générales supérieures (au-dessus de la moyenne) et des qualités de caractère compatibles avec notre système de valeurs —avec pour résultat prévisible une tendance systématique à favoriser l'immigration des Européens.

 

 

* Titre original : "Free Immigration or Forced Integration?" paru dans Chronicles, Vol. 19, N° 7, juillet 1995, publication mensuelle (ISSN 0887-5731) du Rockford Institute, 934 North Main Street, Rockford, IL 61103-7061. Traduit par François Guillaumat. ** Etant entendu que l'expression "travail égal" ne se réfère pas à de caractéristiques physiques du travail, ni même à un niveau de formation, mais à une productivité en valeur effectivement comparable [F. G.]. *** Tout en soulignant que cet accroissement du revenu réel fait baisser le chômage (les services s'échangent contre les services et tout accroissement de l'offre réelle de services est ipso facto un accroissement de la demande de travail) rappelons que la question du chômage ne se pose de façon aiguè qu'en France et dans les autres pays eu-ropéens où les hommes de l'Etat mettent un zèle particulier à : - interdire de travailler : dispositions autoritaires du code du travail, dont le salaire minimum, les conditions de diplômes, d’âge, etc. et autres interdictions de produire et d'échanger.- Punir ceux qui ont travaillé : tous les pillages auxquels ils se livrent sur le revenu des travailleurs, au titre de la “sécurité sociale” ou de l’“Etat”. - Récompenser ceux qui ne travaillent pas : tout l’argent volé aux travailleurs qu'ils distribuent indépendamment de tout travail, à commencer par l'“indemnisation” du chômage et le RMI. - Planifier la production de monnaie sur le mode soviétique : (la “politique monétaire”, source inépuisable de crises financières et conjoncturelles).  

* Et pas seulement à l'initiative des intéressés : la politique de "regroupement familial" a eu précisément pour effet de subventionner l'immigration de femmes et d'enfants, parasites par vocation (multipliant en outre démesurément les problèmes de délinquance que la deuxième génération a toujours posés dans tout pays d'immigration) [N.d.T.]. ** Cf. Murray Rothbard : L'Ethique de la liberté, Paris, Les Belles Lettres, 1991 [N.d.T.].  

* Cela implique que certains terrains soient ouverts à la libre circulation des marchandises ; outre que les proprié-taires des routes ont intérêt à cette circulation, aucun résident n'ira s'installer sur un terrain dont l'accès pourraitlégalement lui être barré par un autre propriétaire [N.d.T.].  

* Ce qu'on pourrait appeler un satrape, en vertu non du statut juridique exact de ces nobles prédateurs, mais de leur conduite vis-à-vis des richesses temporairement mises à leur disposition [N.d.T.]. ** Cf. Anthony de Jasay : L'Etat, Paris, Les Belles Lettres, 1995 [N.d.T.].  

*** Que la redistribution politique se fasse au nom de l'"égalité" conduira certainement à une discrimination- per-sécution —éventuellement ostensible— contre les plus productifs (cf. l'impôt sur le revenu). En revanche les "pauvres", tout comme "l'égalité", y sont surtout un prétexte rhétorique, n'ayant que rarement un pouvoir poli-tique, alors que la redistribution politique est par définition menée par les puissants, au détriment des faibles (cf. L'Etat, ch. 3 et 4) [N.d.T.].  

* L'auteur avait écrit "démocratie", ne croyant pas non plus que celle-ci puisse être autre que "sociale", c'est-à-dire pillarde [N.d.T.]. ** Même remarque : l'auteur avait écrit : "la dé-démocratisation de la société, et finalement l'abolition de la démocra-tie". J'affiche une version plus politiquement correcte, mais on n'est pas obligé de la reprendre... [N.d.T.]. 

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