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décembre 27, 2015

SÉCURITÉ/Liberté avec Pascal Salin, Alain Madelin, Aurélien Véron, David Mascré, Alexis Théas, Gil Mihaely,

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

 
Sommaire:

A) "Le retour de l'Etat régalien sur la sécurité ne devrait pas empêcher la droite de combattre l'Etat envahissant"- Alain Madelin - Atlantico

B) "La droite française ne serait donc pas prise en étau si elle avait eu dans le passé une action libérale et aujourd'hui un discours libéral" - Pascal Salin - Atlantico

C) Ces choses fondamentales que la droite pourrait dire pour échapper au piège du hold-up sécuritaire de la gauche - Aurélien Véron, David Mascré, Alexis Théas, Gil Mihaely - Atlantico


A) "Le retour de l'Etat régalien sur la sécurité ne devrait pas empêcher la droite de combattre l'Etat envahissant"
 
Le tournant sécuritaire du gouvernement laisse la droite désemparée sur ces questions qui lui étaient jusque-là historiquement favorables. Renchérir sur les mesures prises par la gauche pour se tourner vers un État ultra-sécuritaire pourrait mener à des dérives. L'arsenal législatif étant déjà très complet, il convient d'appliquer les peines et de mettre fin aux dysfonctionnements de la justice pour prévenir de nouveaux attentats sur le sol français.

Le tournant "sécuritaire" entamé par le gouvernement en réaction aux attentats de Paris asphyxie idéologiquement la droite traditionnelle. Comment la droite pourrait-elle se démarquer de cette nouvelle ligne assumée par la gauche gouvernementale tout en respectant son ADN ?

 

Alain Madelin : La surenchère sécuritaire et l’instrumentalisation par le gouvernement du 11 janvier et des derniers attentats de Paris fait avant tout le miel du Front National en banalisant des mesures ou des propos qui pouvaient apparaître hier comme extrémistes. Au point même que l’on a vu les parlementaires du Front National refuser de voter les mesures de surveillance généralisées proposées par le gouvernement au nom de la défense des libertés publiques et se faire vertement tancer tant par la gauche que par la droite !

La droite n’a rien à gagner à ce jeu du « plus sécuritaire que moi… » et à mes yeux, elle s’honorerait même à être plus attentive dans la défense des libertés publiques. Car l’enjeu réel, ce n’est pas de renforcer toujours plus l’arsenal répressif et les postures guerrières avantageuses surtout lorsque qu’elles cherchent à masquer des réalités moins reluisantes mais d’assurer le respect tranquille et persévérant de l’autorité. Au-delà du sérieux, de la fermeté et de la compétence des autorités en charge, ceci suppose aussi que l’on répare au plus vite le maillon faible de la chaîne police-justice, à savoir l’exécution des peines que l’on adapte tant bien que mal au nombre de places disponibles dans des prisons surpeuplées et à la quasi inexistence d’institutions spécialisées pour les mineurs délinquants. Au risque de décourager la police, de donner aux citoyens le sentiment d’impunité et d’impuissance publique.


À ce retour de l’État régalien, la droite bien sûr doit ajouter le combat contre l’État envahissant ; réinventer l’État, ses missions publiques et ses fonctions sociales.

Ce que nous vivons, ce n’est pas une crise dont nous aurions à préparer la sortie mais une grande mutation de nos sociétés industrielles et de leurs superstructures politiques vers une civilisation de la connaissance. Une mutation sans doute plus importante et plus rapide plus destructrice aussi que celle qui nous a conduit de la civilisation agricole à la civilisation industrielle.

C’est dire que dans tous les domaines, il va nous falloir faire preuve de créativité et d’innovation. C’est dire aussi que nous avons besoin de liberté et de souplesse d’adaptation. Si le changement se libère d’en haut, il se mène d’en bas. Une telle mutation ne peut pas être conduite dans le clivage permanent.

Pour se donner de nouvelles règles du jeu durables, il faut savoir rassembler au-delà de son camp, surmonter les vieilles frontières politiques. Pour être concret, je me suis livré à écrire au début de cette année le programme de ce que pourrait être une telle alternance en 2017 sous la forme d’une brochure «UNIR POUR AGIR » .

Je me suis aperçu, au fil des propositions, que moi qui ai eu hier le libéralisme précoce et quelque peu provocateur, à quel point aujourd’hui ces réformes à mes yeux nécessaires peuvent apparaître pour peu qu’on en gomme quelques aspérités comme évidentes et rassembleuses.

Ce recul de l'Etat pourrait-il être consenti par la droite ? Que faîtes-vous de sa particule "bonapartiste" ?

Il est vrai que la droite a une nostalgie bonapartiste qui se marie très bien avec votre héritage jacobin et les vestiges de notre socialisme marxiste. On a vu il n’y a pas si longtemps la droite proclamer le « retour de l’État » dans tous les domaines à contre-courant d’un monde où l’exigence profonde est le retour du « laissez-nous faire ».

Il y a aussi dans cette nostalgie, pour certains, la fascination « esthétique » pour la vie politique plus flamboyante de la belle époque de la raison d’État affranchie des modernes contraintes de la démocratie et de ce qu’elles nomment péjorativement le « droit de l’hommisme ». Ah, qu’elle est belle cette « verticale du pouvoir » qu’exalte encore Vladimir Poutine !

Je rêve d’un candidat à l’élection présidentielle qui au lieu de nous dire « faites-moi confiance », dirait 

« je veux assurer l’autorité de l’État dans ses vraies fonctions, mais pour le reste je fais avant tout confiance aux citoyens et je vais libérer l’initiative, outiller la société civile pour lui permettre de résoudre depuis le bas les problèmes qui ne peuvent plus l’être d’en haut ».

 Et ceci vaut tout autant pour la vie économique et entrepreneuriale que pour la rénovation de l’État ou le domaine social.


Comment une droite inspirée par la doctrine libérale pourrait-elle aborder des problématiques comme l'immigration, le sentiment de déclin et l'identité nationale qui créent des tensions à droite ?

J’ai bien conscience que nous ne vivons pas seulement de nourritures matérielles, mais aussi de nourritures psychiques. Et que beaucoup de nos compatriotes ont le sentiment que ces nourritures psychiques celles qui favorisent notre vivre ensemble sont aujourd’hui menacées tant par les vents de la mondialisation et le patient détricotage de minorités influentes que par une immigration trop étrangère à nos règles de vie commune et pire encore souvent porteuse d’une religion l’Islam que les islamistes rendent chaque jour plus caricaturale et menaçante. Mais là encore, la bonne réponse n’est pas dans la surenchère verbale, mais dans la fermeté tranquille accompagnant une vision optimiste de la reconstruction patiente de ce vivre ensemble.

Cette reconstruction a une dimension économique essentielle. Une société sans croissance est une société désespérante qui fait craindre le déclassement. Une société sans emploi est une société qui n’intègre pas ses immigrés ou leurs descendants et qui fabrique une triste concurrence des pauvretés.

Pour ne prendre qu’un exemple, la crise de nos écoles ou de nos collèges, qui constituent trop souvent les écoles ghettos de cités ghettos, appelle que l’on sache libérer l’initiative de tous ceux qui veulent et qui peuvent créer de meilleures écoles, à commencer par les enseignants. Sachons aussi dans le domaine de la formation professionnelle utiliser les bénéfices du numérique pour créer une grande bibliothèque numérique de la formation professionnelle accessible à tous 24 heures sur 24, gratuitement, accompagné des outils d’apprentissage individuels ou collectifs en ligne comme on commence à le faire avec les MOOC pour nos universités, à la disposition des jeunes, des chômeurs en reconversion, des organismes de formation et des entreprises.

Assurément, l’abandon des couches populaires nourrit le populisme et la colère électorale, le rejet des partis de gouvernement et l’envie d’essayer « autre chose ». Ils se sentent abandonnés par une droite qui leur présente des réformes punitives et trahies par une gauche qui mène peu ou prou la même politique avec en plus un discours étonnamment dénué d’empathie pour les plus pauvres et les plus vulnérables de nos compatriotes. Tout se passe comme si aujourd’hui il suffisait de s’affirmer être « contre les riches » pour administrer la preuve qu’on est « de gauche ».

Et si la gauche s’est révélée incapable d’apporter des réponses à cette France du chômage de longue durée de la pauvreté des précaires des travailleurs pauvres et des fins de mois difficiles je fais le vœu qu’une droite libérale place ces problème au cœur de ses préoccupations et soit convaincante dans ses solutions.


Les enquêtes d'opinion montrent que les Français sont de plus en plus réceptifs aux principes du libéralisme. Parallèlement pourtant, ils semblent apprécier pouvoir trouver en l'Etat un interlocuteur qui peut les aider... L'application d'un tel programme pourrait-il être réellement porteur politiquement ?
En réalité cette adhésion libérale n’est pas si nouvelle. Chaque fois que l’on propose une réforme libérale comme une nouvelle liberté d’agir ou de choisir, on trouve au moins deux français sur trois favorables. Ceci montre là encore que les solutions libérales sont aujourd’hui des solutions de rassemblement.

Juste un autre exemple : la retraite. Pourquoi la droite rivalise-t-elle avec le patronat pour proposer de porter toujours plus tard l’âge de la retraite ? Alors que Sarkozy en avait ouvert la voie dans sa réforme nous pourrions instaurer un système de retraite à la carte plus juste et plus efficace. Autour de trois principes : on ne distribue pas chaque année plus d’argent qu’il n’y en a dans les caisses ; les retraites sont calculées en point c’est-à-dire à cotisation égale retraite égale ; chacun est libre de choisir l’âge de sa retraite. Vous pourriez alors décider de travailler plus longtemps pour augmenter votre retraite, ou moins longtemps pour partir plutôt ! Et vous pourriez compléter ce système par une incitation à une épargne retraite par capitalisation. C’est là réforme nécessaire qui a des soutiens à droite mais aussi à gauche et même chez certains partenaires sociaux comme la CFDT.

Et en matière de sécurité, comment faire la synthèse entre libertés et efficacité ?

L’efficacité en matière de sécurité n’a guère besoin de lois d’exception. On voit bien que ce qui est à l’origine des attentats est davantage une succession de dysfonctionnements de notre système judiciaire ou de renseignement plutôt qu’un déficit législatif. Il n’est pas acceptable, et au surplus il n’est pas efficace comme le disent aujourd’hui les américains dans leur critique du Patriot Act de permettre l’instauration d’un état d’espionnage généralisé ou d’un état d’urgence élargi affranchie du contrôle judiciaire des libertés publiques.

Je rappelle souvent y compris hier à quelques responsables de droite tentés par des lois liberticides cette sagesse d’un publiciste du 19e : 

« ne me dites pas ce que vous voulez faire des lois que vous allez voter, demandez-vous plutôt ce qu’à d’autres que vous, ces mêmes lois donneraient le pouvoir de faire ».
Alain Madelin

Source Atlantico



B) "La droite française ne serait donc pas prise en étau si elle avait eu dans le passé une action libérale et aujourd'hui un discours libéral"

La gauche a pris un tournant sécuritaire et quelques mesures libérales qui rendent difficile le positionnement politique de la droite. La réponse se trouve dans le libéralisme, pas assez exploité par la droite depuis Valérie Giscard d'Estaing. Ce courant de pensée adopté dans les pays anglo-saxons réduit le rôle de l'Etat pour une plus grande prospérité économique.

Le tournant "sécuritaire" entamé par le gouvernement en réaction aux attentats de Paris s'ajoute au tournant d'inspiration libérale pour asphyxier idéologiquement la droite traditionnelle, qui peine dorénavant à se positionner. Comment la droite pourrait-elle se démarquer de cette nouvelle ligne assumée par la gauche gouvernementale tout en respectant son ADN ?


Pascal Salin : Il me semble d'abord excessif de dire que François Hollande a pris, à un moment quelconque de son quinquennat, un tournant libéral. Il n'a fait qu'accroître l'interventionnisme étatique, la fiscalité, les réglementations.
Il continue constamment dans cette voie, comme le montre, par exemple, son obstination à faire voter la désastreuse loi de Marisol Touraine qui condamne à terme la médecine libérale. Et ce ne sont pas les quelques petites mesures de libéralisation adoptées sous l'inspiration d'Emmanuel Macron qui changent fondamentalement la situation. Quant au tournant "sécuritaire", il est pour le moment dans les discours, mais il reste à voir s'il sera effectivement pris (le maintien à son poste de Christiane Taubira permet d'en douter). La droite française ne serait donc pas prise en étau si elle avait eu dans le passé une action libérale et aujourd'hui un discours libéral. Malheureusement, depuis Giscard d'Estaing nous n'avons eu que des gouvernants socialistes, de droite ou de gauche. Ceci conduit d'ailleurs à souligner le caractère ambigu du terme "droite". Il me paraît utile, de ce point de vue, de se référer aux distinctions proposées par Friedrich Hayek. Selon lui, il faut distinguer les constructivistes ceux qui veulent construire la société selon leurs propres objectifs et préjugés et les libéraux, qui font confiance aux décisions individuelles. Il y a des constructivistes conservateurs, qui veulent conserver la société telle qu'elle est et des constructivistes réformateurs. Or on peut dire que la droite et la gauche françaises doivent être classées parmi les constructivistes conservateurs, en ce sens qu'elles veulent conserver le modèle socialiste dominant. Certes, on peut penser que la droite française est idéologiquement un peu plus libérale que la gauche, mais les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy n'ont fait que renforcer la nature socialiste du régime. Normalement la droite française, si elle avait réellement un ADN libéral, ne devrait avoir aucun mal à se démarquer du gouvernement actuel et elle ne devrait pas se sentir prise en étau.

Dans quelle mesure la droite actuelle gagnerait à s'inspirer davantage du libéralisme ? 

Il est évident que la droite française n'a qu'une seule issue : devenir enfin libérale. Cela serait habile politiquement puisqu'elle pourrait ainsi mieux se démarquer de la gauche. Mais ce serait surtout efficace car ce serait le seul moyen pour elle de redonner de l'espoir  à la population, de permettre un retour à la prospérité et à une France pacifiée (et donc de rester au pouvoir longtemps). Cela serait d'autant plus facile qu'il y a, semble-t-il, une prise de conscience dans l'opinion : nombreux sont ceux qui ont compris que le système actuel est à bout de souffle et que des réformes libérales importantes doivent être entreprises. Cette nouvelle orientation de la droite française aurait en même temps le mérite de la démarquer clairement du Front National. Il y a en effet, de ce point de vue, une ambiguïté supplémentaire : le Front National a un programme économique de gauche qui le rend proche d'un Mélenchon. En l'intitulant "extrême-droite" on crée de dangereuses confusions. On peut par ailleurs ajouter qu'en affirmant clairement une orientation libérale, la droite française (qui porte actuellement le nom, dépourvu de sens, de "Les républicains") pourrait facilement accueillir en son sein des "conservateurs", c'est-à-dire en l'occurrence non pas des gens qui voudraient conserver le système existant, mais des gens qui sont attachés aux valeurs traditionnelles (parmi lesquelles on peut, précisément, trouver le respect de la liberté individuelle aussi bien que "l'amour de la patrie").


Les récentes élections régionales risquent d'accroître les ambiguïtés de la vie politique française. En effet, le désir de "faire barrage au FN" devient une des priorités de la droite française et pour cela certains seraient prêts à accepter des alliances, plus ou moins explicites, avec le parti socialiste afin de constituer un "front républicain", notion totalement dépourvue de sens, d'autant plus que la République n'est pas en danger… On constituerait donc une alliance gauchisante pour lutter contre un parti dont le programme économique est d'extrême-gauche ! On invoque pour cela les "valeurs républicaines", ce qui constitue une autre notion dépourvue de sens, et on oublie tout simplement d'évoquer les "valeurs de la liberté", les seules qui mériteraient un combat politique, les seules qui permettraient par ailleurs à la droite de se démarquer à la fois des partis de gauche et du FN !


Concrètement, que ce soit dans la forme ou dans le fond, comment cela pourrait-il se traduire en vue de 2017 ? Sur quelles positions traditionnelles devrait-elle faire une croix ?

Concrètement cela devrait se traduire par une rupture considérable pratiquement avec tout ce qui existe. Il n'est pas possible, dans le cadre du présent texte, d'exposer en détail tout ce qu'il conviendrait de faire, mais il s'agirait, bien sûr, de rendre aux Français la liberté de décider pour eux-mêmes et le sens de la responsabilité. Cela implique une diminution considérable des dépenses publiques et de la fiscalité (en particulier en supprimant la progressivité des impôts et la sur-taxation du capital), de privatiser l'assurance-maladie, d'adopter la retraite par capitalisation, de s'engager dans un vaste programme de dérèglementation, etc.. Mais cela impliquerait aussi de renoncer à construire une Europe politique et centralisée et d'admettre que l'intégration européenne signifie seulement la liberté dans tous les domaines.

Pascal Salin



C) Ces choses fondamentales que la droite pourrait dire pour échapper au piège du hold-up sécuritaire de la gauche

Après le tournant de la politique de l'offre début 2014, le gouvernement n'a pas hésité à piocher dans les propositions de l'opposition en réaction aux attentats de Paris. Un aggiornamento qui empêche la droite de se différencier efficacement, et de proposer une alternative forte.

Le tournant "sécuritaire" entamé par le gouvernement en réaction aux attentats de Paris s'ajoute au tournant néo-libérale pour asphyxier idéologiquement la droite traditionnelle, qui peine à se positionner. Comment la droite pourrait-elle se démarquer de cette nouvelle ligne assumée par la gauche gouvernementale tout en respectant son ADN ?


Gil Mihaely : Même s’il est vrai qu’avec Emmanuel Macron – que je ne qualifierai toutefois pas d’ultra-libéral mais plutôt d’opportuniste-pragmatique - d’un côté et Manuel Valls de l’autre, le gouvernement propose une « offre » potentiellement intéressante pour certains électeurs du centre droit. Seul petit problème :  les résultats ne suivent pas… ni l’emploi ni la croissance ne sont pas au rendez-vous et pour ce qui concerne la sécurité, plus le temps passe plus on s’interroge sur les dix mois de « drôle de guerre » entre le 11 janvier et le 13 novembre.

Quant à la popularité de François Hollande, il faut plutôt parler d’une popularité du président de la République en temps de crise. Pas sûr que cela dure, et encore moins que cela profite à la "gauche".

Pour ce qui concerne la droite, le FN se débrouille très bien dans la situation actuelle, la question se pose donc par rapport aux Républicains. Sauf que leur problème n’est pas la troika Hollande-Macron-Valls mais plutôt celle composée de Marine-Marion-Philippot ! La seule carte à jouer pour eux me semble être celle d’engager le débat avec le FN sujet par sujet, pour tenter de se positionner comme « les adultes responsables ». Et bien sûr, puisqu’en France on ne gagne pas des élections, on les perd, il faut être bien organisé, et profiter des erreurs des autres.

Aurélien Véron : Le Gouvernement s’est enfin décidé à lancer une réponse après plusieurs tragédies qui ont émaillé 2015, du massacre de Charlie Hebdo le 6 janvier à celui du Bataclan le 13 novembre. Personne ne peut prétendre qu’un autre gouvernement aurait pu totalement éviter ces carnages. Mais notre trop grande vulnérabilité révèle qu’à la faillite de l’Etat providence, nous pouvons ajouter celle de l’Etat régalien. Il est temps de tailler dans le gras du premier pour muscler le second. L’Etat doit revenir à ses fondamentaux.

« Sécuritaire » ne signifie pas sécurité. Des lois LOPPSI 2 à la loi Renseignement, toute une série de textes ont permis l’intrusion illimitée de l’administration dans nos vies privées sans passer par un juge, prétendument pour lutter contre le terrorisme. L’échec de ces mesures – qui serviront surtout à chasser le fraudeur fiscal, bien plus dangereux aux yeux des administrations - est patent. Leur inefficacité ne pallie pas l’affaissement des services régaliens depuis une quinzaine d’années : réduction du budget de la Défense, du nombre de policiers, en plus d’un budget de la Justice trop longtemps inférieur à celui de la Culture, ce qui laisse imaginer les priorités des gouvernements successifs.

La pensée sécuritaire estime que la première des libertés, c’est la sécurité. En Corée du Nord, il n’y a ni attentats, ni cambriolages. La droite éclairée doit penser l’inverse : la première des sécurités, c’est la liberté. Elle doit penser « sécurité » et non « sécuritaire », premier palier vers les régimes totalitaires propres aux idéologies socialistes ou nationalistes. Nous ne devons pas offrir de nouvelles victoires à ceux qui veulent nous terroriser en reniant nos valeurs, à commencer par notre liberté chèrement acquise et déjà bien amochée. Plus que jamais, la droite libérale doit aider notre démocratie à chasser ses démons autoritaires et renouer avec l’état de droit. Pour limiter les dérives, chaque décision d’intrusion dans la vie privée des Français ou de privation des libertés doit être prise et assumée par des juges. Ils savent décider vite et avec sévérité lorsque c’est nécessaire, à condition que les moyens de sanction existent et soient suffisants.

Nous n’avons pas besoin d’arbitraire policier et administratif, encore moins d’un Etat d’urgence qui s’installe dans la durée et autorise tous les abus. Il nous faut une justice antiterroriste efficace – cessons les rotations forcées tous les 10 ans de juges talentueux comme Marc Trévidic – et des services de renseignement intérieur performants. La plupart des auteurs des attentats étaient fichés (voire auraient dû être incarcérés au vu de leurs antécédents judiciaires) mais, faute de moyens, n’étaient pas suivis. Les services de renseignement ont évidemment besoin de ressources bien plus importantes pour affronter cette menace intérieure.

Alexis Théas : Je pense que la droite dispose en réalité d'un boulevard devant elle qu'elle ne veut pas voir aujourd'hui. Toute la politique du gouvernement est dans une sorte de dédoublement de la personnalité. Il y a d'une part le discours, en effet tourné vers le libéralisme, la liberté d'entreprendre, et aussi désormais la sécurité, l'ordre public, l'autorité de l'Etat. Et puis il y a la réalité, les faits. L'économie française depuis 2012 a été écrasé d'impôts et de contraintes supplémentaires. Les chiffres de la sécurité et de l'immigration ont disparu, comme effacés tellement ils sont désastreux. Les dégâts sont effroyables. Il suffit de voir par exemple la Jungle dans le Pas de Calais. Comment un gouvernement peut-il avoir laisser s'accumuler des milliers de migrants clandestins, se former une zone de non droit, quasiment officialisée, reconnue par le Conseil d'Etat, dans des conditions sanitaires épouvantables, sous la coupes de passeurs criminels, et se prétendre aujourd'hui favorable à l'autorité de la loi ? La politique française est marquée depuis 2012 par un grand écart entre le discours et la réalité. Nous avons d'un côté les coups de menton, les polémiques, les postures. Et de l'autre un laisser-faire à peu près complet, en particulier sur l'immigration. Il est de la responsabilité de l'opposition de dénoncer cette divergence croissante entre la parole et le réel. La vérité devrait être le maître mot d'une alternance réussie en 2017.



David Mascré : Le drame de la droite française est que depuis de Gaulle, elle ne pense pas. Conséquence : elle tombe année après année et épisodes après épisodes dans tous les pièges tendus par la gauche socialiste. Mitterrand s’en délectait déjà  en appuyant systématiquement sur les touches qui, en divisant la droite, allaient permettre à son système de perdurer. Tout cela a déjà été parfaitement dit par Le Luron dans son spectacle de 1985 Le Luron en liberté – interdit à l’époque je le rappelle et qui depuis lors n’a jamais été diffusé à la télévision. Personne n’a osé depuis lors aller si loin dans la critique pourtant bien légitime d’un pouvoir dès cette époque adepte de la fuite en avant. Et personne à l’époque ne s’était élevé pour le défendre quand, son passage dans l'émission de Patrick Sabatier le soir du 31 décembre fut coupé au montage, au motif que l'émission était trop longue. Ulcéré et victime d'un nouveau contrôle fiscal, l'imitateur écrit une lettre ouverte au président de la République : "Cette séquence a été censurée ! [...] Il paraît cependant que ce mot ne fait pas partie de votre vocabulaire. [...] J'espère que pour le Nouvel An, vous avez donné ses étrennes à Hervé Bourges [le président de TF1], ça se fait pour les domestiques".

Dès 1981 Mitterrand savait qu’il pouvait jouer sur l’inculture de ses adversaires pour lui servir sur un plateau ce type de politique.

Ne disait-il pas en 1986 : "lorsque Chirac vient me rend visite à l’Elysée, il y monte le perron avec ses idées et en redescend avec les miennes." Le trait peut paraître humoristique mais il résume à lui seul 40 années d’impuissance et de piégeage de la droite parlementaire.

C’est d’autant plus surprenant qu’il existe à droite un très large vivier de personnes intelligentes, cultivées, profondes, lucides et créatives. Face à l’idéologie en bout de course des apparatchiks du parti socialiste, les penseurs attachés à la patrie et fidèles à l’idée d’honneur et de dévouement sont nombreux dans ce pays. Elles ne demandent qu’à servir. Encore faut-il qu’on les écoute. Et qu’on leur confie quelque responsabilité.

Dans quelle mesure cela pourrait-il être politiquement porteur ?

Gil Mihaely : L’opinion publique cherche à la fois des propositions nouvelles et de nouveaux visages. Les gens se disent « nous avons tout essayé, pourquoi pas le FN ? ». Dans le même temps, les gens aimeraient être rassurés, ils cherchent la sécurité. Le nouveau, le radicalement différent, la rupture est donc à double tranchant et les Républicains peuvent proposer une alternative à la fois séduisante et rassurante, du neuf qui ne fait pas peur au dernier moment, quand on est derrière l’isoloir et que l’on pense à ce que l’on peut encore perdre si l’on prend des risques trop importants..  

Aurélien Véron : La droite va devoir trancher entre la tentation du repli identitaire derrière des frontières érigées par un Etat dirigiste et la vision d’une société qui reprend le pouvoir sur le politique.

Outre-Manche, la « Big Society » de David Cameron s’inscrit dans cette ligne. Ce succès populaire est difficile à envisager pour les apparatchiks de la droite française, biberonnés d’étatisme à l’ENA ou dans ses sphères connexes. Ils n’ont jamais connu d’autre univers que celui de la tambouille politicienne. Les Français n’acceptent plus ce formatage déconnecté de leur réalité. La droite libérale doit s’oxygéner de talents issus du monde libre – l’entreprise – pour travailler autrement à l’élaboration d’un projet pour le pays.


Si la sécurité des Français doit revenir au cœur des missions de l’Etat, elle ne répond pas pour autant à la soif de liberté que les Français sont de plus en plus nombreux à exprimer. La droite doit se remettre très rapidement en question car la ligne d’Emmanuel Macron menace de lui voler cet idéal libéral. Pour le moment, ses idées n’ont été suivies ni par le gouvernement, ni par sa majorité. Mais il a compris que la France doit à nouveau faire rêver, donner envie de se projeter et d’investir pour l’avenir. Si deux tiers des jeunes souhaitent s’expatrier, c’est que notre modèle de plus en plus collectiviste et infantilisant plombe tous leurs espoirs. Seule une politique libérale de choc peut aujourd’hui libérer les talents et les énergies, relancer l’ascenseur social et faire à nouveau rêver à travers l’esprit d’entreprise, l’autonomie individuelle et la confiance sans laquelle il n’y a pas de fraternité possible.

Au Parti Libéral Démocrate, nous attirons majoritairement des jeunes parce qu’ils adhèrent aux notions qui nous sont chères d’autonomie, de solidarité participative, de culture collaborative, de reprise en main de notre destin, de bonheur et de responsabilité individuelle. Ce sont les fondamentaux d’un monde ouvert et confiant pour l’avenir. Ce sont les bases d’une droite qui se réinvente sur les décombres de ses échecs passés, échecs électoraux mais surtout échecs lorsqu’elle était au pouvoir.


Alexis Théas : Pour l'opposition, le retour aux fondamentaux consiste à se mettre à l'écoute de la population. On ne peut pas continuer avec le sentiment d'un clivage croissant entre les élites politiques et pe peuple. Le sondage CEVIPOF de janvier 2015 constate par exemple que 87% des Français considèrent "que les politiques ne tiennent pas compte de ce que pensent les gens comme eux". Ce constat est le signe d'une crise profonde de la démocratie. Combler ce fossé devrait être l'objectif fondamental d'un gouvernement d'alternance, son guide et sa boussole. L'idée n'est pas de faire du "populisme", comme le disent avec mépris les milieux dirigeants ou influents, mais d'accepter l'idée que les citoyens ont leur mot à dire dans un système fondé en principe sur "le pouvoir du peuple". En matière de respect des frontières, de sécurité, de maîtrise de l'immigration, d'intégration des populations d'origine étrangère, il faudra tout simplement sortir de l'incantation pour prendre les mesures concrètes qui s'imposent, par exemple, appliquer réellement les mesures de reconduites à la frontière prises envers les migrants en situation illégale et aussi reprendre la politique de négociation d'accords d'immigration avec les pays d'origine, mise en oeuvre de 2007 à 2012 pour faciliter la circulation et l'aide au développement. En matière de politique économique, il faudra mettre en place une politique de réduction massive des charges et des contraintes qui pèsent sur l'entreprise, assortie d'un calendrier précis de réalisation du 5 ans.

David Mascré : Pour qu’il y ait renouvellement encore faut il qu’il y ait retournement. Sans quoi on est dans l’éternelle application du principe du comte de Salina : "il faut que tout change pour que rien ne change."

Il y a ici similitude entre l’ordre du politique et l’ordre du théologique. Pour qu’il y ait conversion sincère, il faut d’abord qu’il y ait repentir sincère et résolution de ne plus tomber dans les mêmes errances. En l’occurrence, toutes celles qui ont contribué à précipiter la France dans l’abîme. Que je sache à droite, personne n’a jamais voulu revenir sur les erreurs ayant conduit aux défaites – désastre serait plus juste - de 1988, 1997 ou 2012 – et à la très équivoque victoire de Chirac en 2002. En politique, le retournement peut se faire de deux manières : soit par le maintien des mêmes hommes mais au service d’une politique radicalement différente (cela s’appelle faire son chemin de Damas). Soit par le changement complet des hommes et l’arrivée aux manettes d’une nouvelle génération de leaders.

Quelle que soit l’option choisie, il faudra bien définir autour de quels principes, de quels programmes, et de quelles modalités d’action rassembler les hommes composant cette majorité de droite.

Le problème est que définir l’essence de la droite est une mission quasi impossible. D’autant qu’il existe historiquement plusieurs droites. J’ai consacré plusieurs pages à cette question dans mon livre De la France. 

Disons qu’on peut sommairement résumer l’opposition droite/gauche à l’opposition Antigone/Créon. Ce sont là deux figures qui n’ont fait pour l’instant que jeter quelques pousses mais qui selon toute vraisemblance seront amenées demain à jouer un rôle absolument déterminant dans la constitution des nouveaux positionnements politiques et l’appréhension des problèmes globaux qui assaillent aujourd’hui l’humanité.

Or, ce que nous apprend sur un mode laïc le mythe d’Antigone et Créon - et cette laïcité est l’un des autres avantages de ce récit qui n’a pas besoin pour être admis d’invoquer l’appartenance préalable à l’une quelconque des religions révélées et par là, selon un schéma qu’avaient parfaitement compris les jésuites du 17ième siècle, peut servir de point de départ au rassemblement le plus large des diverses composantes du peuple français - c’est précisément de ne pas vouloir réduire l’homme à la nature (refus du naturalisme et, corrélativement, intériorisation de cette idée si chère à Blaise Pascal selon laquelle "l’homme passe infiniment l’homme"), la politique à un rite, le droit aux seules lois de la Cité. Ce que nous apprend par là même le mythe d’Antigone et Créon, c’est à ne pas confondre et identifier par principe le politique et le religieux sous peine de tomber effectivement dans une forme d’enfermement millénariste, c’est à dire dans une volonté prométhéenne d’identifier purement et simplement la cité des hommes au royaume de Dieu, dans cette forme de tentation monstrueuse qui consiste à vouloir ériger la Cité des hommes contre la Cité de Dieu ("vouloir être Dieu sans Dieu, malgré Dieu, voire contre Dieu", selon une formule qu’en leur temps saint Augustin et saint Maxime le Confesseur avaient parfaitement su employer pour caractériser en son sens le plus fort le péché originel).

La figure d’Antigone apparaît de ce point de vue comme l’une des figures clés du débat contemporain parce qu’elle se présente à nous comme une figure de la transcendance. En invoquant l’existence de lois non écrites, Antigone plaide non seulement pour le primat de l’invisible sur le visible, de l’éternel sur le temporel, mais elle se fait par là-même le témoin d’une réalité stratifiée et complexe – celle qui, par delà toutes les tentatives de récupération, de dénégation ou d’occultation, permet de protéger le plus faible et attester de l’éminente dignité du plus petit. En ce sens Antigone se présente à nous comme un témoin par excellence de la transcendance. Or, fondamentalement, pour nous, être de droite, c'est être un partisan de la transcendance.


Droite/gauche ou transcendance contre immanence
Les grands hommes qui ont marqué l’histoire de l’Europe furent des figures de la transcendance, c’est-à-dire des indissolublement des figures de la résistance et de la persévérance. Ce furent toutes des personnes qui surent s’indigner et s’insurger. Ce furent des personnes qui surent à un moment donné dire : Non ! Il existe des lois non écrites ! Des lois non écrites qui justifient le sacrifice de sa carrière, de son confort et parfois même, de sa vie. Des lois non écrites qui justifient que l’on choisisse de s'engager ou de résister. C'est là, nous semble-t-il, un point capital. Car il conduit à définir la droite non par la réaction (réaction à une gauche qui serait par essence et depuis toujours moteur de l'action et rectrice du progrès) mais par la résistance. La droite, c'est le parti de la résistance. Voilà ce qu'il faut dire, et redire, répéter à temps et à contretemps, ressasser inlassablement. Plutôt que de réaction, il faut parler de résistance : l’homme de droite c’est l’homme de la résistance : de l'acte de résistance. Nous rejoignons là une figure fondamentale qui est celle de l'intemporel. Certes une telle définition ne conviendra nullement à tous ceux, hélas aujourd'hui nombreux, qui n'ont de la politique qu'une vision à la petite semaine, qui n'y voient qu'une forme de gestion de la société. Mais une telle définition sierra à tous ceux qui voient dans la politique un moyen d’agir et de penser, en anticipant sur les menaces à venir, protégeant les plus faibles et répondant aux tragédies et aux malheurs qui s’abattent sur l’humanité.

Ceci dit, il y a une attente très forte des populations pour un vrai sursaut patriotique. Le parti socialiste, avant les attentats, ne représentait plus que 18% des votants soit 9% du corps électoral. On voit bien qu’il ne pèse plus que de manière marginale.

Après avoir été plumés, obligés d’accueillir des populations hallogènes, après avoir vu les systèmes de corruption se généraliser à tous les étages de la société française, après avoir vu dans toutes les strates de la société la fraternité se rétrécir comme peau de chagrin, après avoir vu la vraie égalité  – celle du sang versé sur le champ de bataille ; condition qui, je le rappelle est la raison pour laquelle les femmes se voyaient interdites de droit de vote jusqu’en 1945 – vidée de toute signification au profit d’un égalitarisme qui promeut les cancres et les parasites au détriment des travailleurs et des créatifs, les Français se voient retirer progressivement leur dernier bien – le plus précieux sans doute : la liberté.

Grâce à l’Europe passoire, et par ricochet à François Hollande, son fidèle séide, ils ne peuvent plus désormais ni circuler, ni se rassembler, ni s’exprimer, ni s’associer, ni communiquer librement.

Un tel état de fait ne saurait en France durer sans susciter à un moment ou à un autre une vive réaction.

On a souvent dit des Français qu’on pouvait tout leur retirer – sous–entendu le confort, la propreté, les congés payés, la retraite à 60 ans - sauf une chose : la liberté. Or cette spoliation de la liberté, c’est précisément ce qui est en train de se produire sous nos yeux depuis le Congrès de Versailles. Celui-ci a des airs de déjà vu : c’est l’attitude du Parlement le 3 juillet 1940 au lendemain de l’effrayante débâcle de juin 1940. A l’époque, on avait accepté de donner les pleins pouvoirs à un homme qui, à l’évidence, était dix coudées en dessous de la tâche historique qui lui était confiée.

La suite on s’en souvient, de Monthoire à Siegmaringen, n’a été qu’une série de gesticulations et de rodomontades. Comme aujourd’hui.

Je ne suis pas sûr que les Français l’acceptent longtemps. Et je ne crois pas qu’ils accepteront de se voir privés de ce bien plus cher à leurs yeux que la prunelle de leurs yeux : la liberté.

Concrètement, que ce soit dans la forme ou dans le fond, comment cela pourrait-il se traduire en vue de 2017 ? Quelles seraient les propositions fortes d'un tel programme ?

 

Gil Mihaely : Les Républicains font face à deux rivaux. Côté PS, l’échec est patent et pour le moment il suffit d’évoquer leur bilan, et rappeler les bonnes idées de Nicolas Sarkozy qui avait été rejetée par François Hollande en 2012, avant d’être reprises ensuite sous un autre nom. Face au FN il faut chercher les défauts de leurs qualités. Puisque le FN représente le neuf, la rupture et la « virginité » de ceux qui n’ont pas de bilan à défendre, il faut souligner le manque d’expérience, pointer du doigt les propositions qui relèvent de la logique « y’a qu’à », et la peur que suscite toujours une politique de rupture radicale avec le passé.

Beaucoup d’électeurs en France ont plus de 50 ans et le programme économique du FN pourrait leur faire peur. Ils ont de l’ épargne et des enfants à soutenir. Ils peuvent s’énerver mais ils ne sont pas du genre à prendre des risques. Autrement dit, face à la radicalité du FN, les Républicains pourraient jouer la carte du conservatisme prudent et pragmatique.



Aurélien Véron : La droite doit refonder notre modèle social autour d’un triptyque formation (initiale mais aussi tout au long de la vie), entreprise et assurances sociales, avec un Etat beaucoup moins dépensier et vorace fiscalement. La grande réforme structurelle de l’enseignement signera la fin les micro-changements centralisés au profit d’une autonomie réelle des établissements scolaires, notamment dans les choix pédagogiques, l’embauche et l’évaluation des enseignants. Elle sera complétée d’un chèque éducation destiné aux familles choisissant de nouvelles écoles libres et innovantes. Des initiatives comme Espérance Banlieues - écoles hors contrat financées par des mécènes dans les quartiers difficiles - devront être traitées loyalement par l’Etat au lieu de l’uniformisation et du nivellement par le bas de l’enseignement.

Libérer le marché de l’emploi passe aussi par l’inversion de la hiérarchie des normes en privilégiant les accords d’entreprise à un Code du travail qui reste néanmoins à réécrire pour le rendre minimaliste, rappel des principes essentiels régissant les rapports entre employeurs et employés. La concurrence doit s’étendre à tous les secteurs. La concurrence vivifiante créé des emplois et stimule l’innovation au service du consommateur. Elle doit s’étendre des transports à la santé en abattant toutes les cloisons des monopoles, professions protégées et corporations fermées. Il est tout de même incroyable de se satisfaire d’un modèle social qui nous amène aujourd’hui à 10,6 % de chômage.

Enfin, le monopole ruineux des assurances sociales a vécu. La droite doit proposer de substituer la retraite par capitalisation à un système de retraite par répartition, injuste et approchant la faillite. Si la capitalisation est bien plus rentable pour les assurés, elle contribue également à l’activité économique contrairement à la répartition stérile. De même, le système étatique d’assurance-maladie est une ineptie dans un secteur de la santé bouleversé par l’innovation et les nouvelles technologies de santé. 
Son ouverture à des assurances privées au premier euro, dans un cadre légal maintenant toutefois l’universalité de la couverture santé, est indispensable. Cette distinction entre les mécanismes assurantiels et la solidarité nationale doit revenir au cœur du discours d’une droite moderne.

Enfin, avec le recul progressif du salariat au profit de l’entreprenariat, pourquoi pas un impôt sur le revenu proportionnel – flat tax - couplé à un revenu d’existence universel en remplacement de l’ensemble des aides sociales et familiales actuelles ? Ne rêvons pas, la droite traditionnelle a encore beaucoup de chemin à parcourir pour se rénover et retrouver un peu de charme aux yeux des Français au lendemain d’une élection où elle n’emporte que 7 régions sur 13, dont 2 avec l’aide de la gauche.


Alexis Théas : Pour l'instant, nous ne voyons rien d'intéressant venir dans la perspective de 2017. Cette période électorale qui approche à grands pas est totalement dévoyée par l'obsession des présidentielles et les jeux des personnalités, Hollande Juppé, Sarkozy, Fillon, le Pen... Il y a là un véritable scandale antidémocratique. Nous avons le sentiment que le débat d'idées est interdit par la politique spectacle et la confiscation de la vie politique par une poignée de personnages autocentrés sur leurs intérêts personnels et une vanité qui confine parfois à la pathologie. L'espérance ne viendra pas d'eux. Il faut recentrer l'avenir de la politique française sur les idées et les projets. Dans une démocratie normale, face au blocage de la vie politique, il devrait être de la responsabilité d'un groupe de parlementaires de l'opposition de préparer l'alternance en engageant le chantier d'un programme de gouvernement et de réformes. Pour 2017, l'un des scénarios possible – sinon probable – est celui d'une réélection de M. Hollande se retrouvant avec une Assemblée de droite. En effet, le climat d'union nationale lié aux attentats terroristes pourrait se traduire par le maintien de ce dernier à l'Elysée, mais le pays ayant soif de changement, il pourrait élire une Assemblée majoritairement à droite, tout comme le Sénat. Il y aurait alors un basculement du pouvoir de l'Elysée vers le Parlement et Matignon. Compte tenu ce cas de figure éventuel, il appartient aux parlementaires de droites de travailler collectivement à un programme ambitieux en faisant abstraction de la guerre des chefs.

Aurélien Véron, David Mascré, Alexis Théas, Gil Mihaely




octobre 12, 2015

Politique étrangère française au Moyen-Orient et l'islamisme ??

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.






Sommaire:


A) "La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient?" - le point de vue d'Hubert Védrine - Françoise Feugas - Orient XXI

B) L'islamisme aujourd'hui : du quiétisme au djihâdisme - diversités et réalités géopolitiques - Anne-Clémentine Larroque - Diploweb 
 
C) Divers liens sur l'Islam sur Université Liberté



 A) "La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient?" - le point de vue d'Hubert Védrine
 
« J’espère ne désespérer personne ». C’est par cette phrase quelque peu anxiogène qu’Hubert Védrine introduit son propos, à la toute fin du colloque. Dans l’intitulé « La France a-t-elle encore une politique au Moyen-Orient ? », il a d’abord lu une référence à la « politique arabe de la France », et croit y déceler la nostalgie d’une période de l’histoire qui ne reviendra jamais. Des éléments structurants du monde se sont désagrégés depuis l’époque mitterrandienne où l’on se demandait déjà si « politique arabe » était une référence, une injure ou un idéal à reconstruire. La politique étrangère française du temps du « gaulo- mitterrandisme » ne se souciait guère de l’opposition entre chiites et sunnites. Du reste, le fondamentalisme religieux de quelques-uns n’entrait pas en ligne de compte dans la relation avec un monde arabe « un peu idéalisé ». Aujourd’hui, cette question est au premier plan et « concerne absolument tout le monde, du Maroc à l’Indonésie, à n’importe quelle banlieue d’Europe ou au Sahel ». La façon de considérer le conflit israélo-palestinien était alors complètement différente. Mais l’espérance de sa résolution au bout d’un processus de paix que l’on croyait possible s’est éteinte avec l’assassinat de l’ancien premier ministre israélien Yitzhak Rabin en 1995. « Il est de plus en plus clair maintenant que c’est fini, dit-il. « les sionistes religieux fanatiques ont gagné. » Il faut ajouter à cette nouvelle donne la fin de la dépendance américaine au pétrole saoudien, et bien sûr le retour de l’Iran sur la scène internationale avec l’accord conclu le 14 juillet dernier sur le nucléaire, malgré l’engagement considérable de Benyamin Nétanyahou pour l’empêcher et les craintes de l’Arabie saoudite. La Russie était complètement absente du jeu international depuis la fin de l’Union soviétique en décembre 1991. Ce n’est qu’avec les événements récents des trois ou quatre dernières années qu’elle a retrouvé un rôle dans la région — ou plutôt que ce rôle est devenu visible. 

Le plus petit commun dénominateur
Les trois quarts des pays européens n’ont aujourd’hui aucune politique étrangère digne de ce nom. L’expression commune européenne est donc forcément celle du « plus petit commun dénominateur, sur la base de principes sympathiques mais complètement inopérants ». Des politiques particulières ou de voisinage se mènent au cas par cas. « L’expression européenne est un cas où le total est inférieur à la somme des parties », dit-il. Elle « se transformera peut-être un jour en quelque chose de créatif mais pour le moment, ce n’est pas le cas. » L’Europe se contente donc d’assister à la désagrégation de ce qui avait été mis en place après la première guerre mondiale avec les accords Sykes-Picot et lors de la conférence de San Remo, quand les « puissances chrétiennes » ont mis fin à la domination, jugée par eux abusive, de l’empire ottoman en le disloquant. Cette configuration géopolitique a longtemps tenu par des procédés assez autoritaires, voire répressifs. « Tout un siècle de dureté, de cruauté (...) est en train de se désagréger en créant un tableau nouveau. On voit bien que personne ne contrôle l’ensemble. Personne ne peut refaire Sykes-Picot (...). Même en additionnant un Américain et un Chinois, un Américain et un Russe, cela ne marcherait pas. » Il n’y a donc pas de puissance « plus ou moins globale », ni de puissance régionale qui puisse imposer sa loi, même si beaucoup interagissent dans un jeu complexe. L’Iran reste fort, sans doute plus encore après l’accord ; pas suffisamment cependant pour imposer sa solution à toute la région. La Turquie non plus, qui a « un peu rêvé d’une sorte d’époque néo- ottomane dont aucun Arabe ne veut, bien sûr, et on voit bien que cela s’est heurté à des difficultés et qu’ils sont plutôt sur la défensive ». L’Égypte ne peut guère espérer plus que contrôler le Sinaï et influencer l’est de la Libye. En Arabie saoudite, le roi veut rassembler un « front sunnite », stopper le retour iranien et combattre les chiites « par Syriens et Yéménites interposés ». Mais Riyad, qui était dans une lutte frontale contre les Frères musulmans, se voit plus ou moins contrainte de passer des compromis avec eux. Ce qui embarrasse sans doute Abdel Fattah Al-Sissi, qui mène contre eux une répression féroce en Égypte. « Quant aux autres pays, bien malin qui peut prédire ce qu’ils seront dans 20 ou 30 ans. » Aucune puissance au monde n’est aujourd’hui capable d’avoir un schéma d’ensemble et encore moins de l’appliquer ; et « toutes les théories complotistes surestiment de façon déroutante la puissance des comploteurs potentiels. » 

Des États sous influence
Il y a une politique étrangère française de facto, parce qu’il faut bien prendre des décisions et entretenir des contacts avec les uns ou les autres. Au Maghreb, elle paraît quelque peu tâtonnante. « Elle n’est pas toujours en complète contradiction avec les orientations d’avant, mais elle n’est pas toujours claire non plus, et on ne sait pas très bien où elle va », mais on peut le dire tout aussi bien de la politique américaine, à l’exception notable de l’Iran. L’accord sur le nucléaire le 14 juillet dernier est en effet le résultat d’une réelle politique stratégique qui aura des conséquences tout à fait importantes dans la durée. En revanche, concernant Israël, Barack Obama avait bien tenté de demander l’arrêt la colonisation de la Cisjordanie, mais Nétanyahou lui a opposé une fin de non-recevoir. Car l’influence des lobbies est très grande : celle des colons en Israël tout autant que celle d’Israël sur le Congrès américain, sans parler du fameux lobby très intelligemment construit au fil du temps par le Likoud, énorme, évangéliste... et républicain. L’état d’affaiblissement des systèmes de décision démocratiques oblige à tenir compte, dans les analyses internationales, des phénomènes de diasporas, d’influence, de lobbying. Il y a quelques années, on aurait encore pu faire de l’analyse internationale un peu abstraite, en tout cas en ne parlant que des États. Mais ils sont précisément limités dans leur action, tiraillés, influencés. En tous cas, Obama ne s’est jamais tout à fait relevé politiquement du refus de Nétanyahou ; il a simplement réussi à résister à sa campagne, extrêmement forte et virulente, contre l’accord nucléaire avec l’Iran. La politique américaine est donc extrêmement affaiblie sur ce point. 

Du bon côté de l’histoire
Après les « printemps arabes » que l’on n’a pas vu venir, il y a eu l’Égypte et le coup d’État militaire du 3 juillet 2013 contre le président élu Mohamed Morsi. La France a considéré de façon pragmatique et relativement empiriste qu’après tout, il fallait « faire avec » Abdel Fattah Al-Sissi. Pour certains hommes politiques français, la leçon à tirer des événements intervenus au Proche-Orient entre 2011 et 2013 a été qu’il fallait désormais se placer « du bon côté de l’histoire » en aidant à renverser Bachar Al-Assad. Or, si cette position est honorable moralement, elle a conduit à une impasse. Globalement, la politique occidentale qui s’est concentrée sur le fait qu’Assad devait partir n’a donné aucun résultat, d’où des évolutions plus réalistes dans la période récente. Ainsi François Hollande a-t-il finalement autorisé à la défense ce qu’elle demandait depuis un an : mener des frappes aériennes en Syrie, où se trouvent la tête et les camps d’entraînement de l’organisation État islamique (OEI). Domine désormais l’idée qu’Assad doit certes quitter le pouvoir ; non pas comme une condition sine qua non à toute négociation avant, mais « à un moment ou un autre ». Sur cet aspect de la politique française, l’hésitation prévaut. Quant à la politique de la France vis-à- vis du Maghreb, elle se résume à « s’entendre le moins mal possible simultanément avec l’Algérie et le Maroc. » Après l’Égypte, l’Iran. La France a maintenu jusqu’au bout une politique très dure sur l’accord avec l’Iran, ce que Riyad a su apprécier concrètement par des achats de Rafale, de Mistral, etc. « Il n’y a pas à critiquer la France d’en profiter, après tout. » En revanche, distinguant les opportunités économiques et commerciales de ce qui pourrait ressembler à un début d’alliance, Hubert Védrine prévient : si ces « opportunités » devaient prendre l’allure d’une sorte d’alliance avec le « front sunnite » qu’appelle de ses vœux l’Arabie saoudite, cela ne correspondrait à aucun des intérêts fondamentaux de la France. Il défend la position de Nicolas Sarkozy dans la question libyenne. « J’ai essayé d’être honnête avec la décision de Sarkozy à l’époque, en rappelant qu’il ne s’est pas excité sur le sujet tout seul. Il y a quand même eu un début de printemps arabe, la révolte de Benghazi, la menace de Mouammar Kadhafi de noyer cette révolte “dans une rivière de sang” — et il l’aurait sans doute fait —, la demande du Conseil de coopération du Golfe (CCG) d’une intervention protectrice, la demande de la Ligue arabe. » C’est pourquoi, dans la résolution de l’ONU au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression », l’intervention militaire en Libye ne fait pas partie de la liste des interventions unilatérales non légitimes (au contraire de l’intervention américaine en Irak en 2003). On peut néanmoins s’interroger sur le bien-fondé et les objectifs de cette intervention, note-t-il, quand on constate l’état actuel de décomposition de la Libye, même si du point de vue européen, le principal problème réside dans le fait que le verrou libyen anti-immigration ait sauté. « Il aurait peut- être fallu instaurer une espèce de protectorat provisoire, mais aucun Libyen ne le voulait »

Interventionnisme ou isolationnisme ?
Dans un tel contexte, qu’est devenue la politique étrangère française ? s’interroge l’ancien ministre des affaires étrangères de Jacques Chirac. Il n’y a que des « morceaux de politique française juxtaposés ». Dans le conflit syrien, l’hésitation demeure : l’OEI est-elle la menace majeure ? Ou doit-on considérer que l’objectif numéro 1 est le régime syrien ? Quel est l’intérêt de la France à le renverser ? La hiérarchisation des objectifs, la clarification n’ont été faites ni par la France ni par personne. Dès lors, que faire face à cette décomposition du Moyen-Orient en cours ? Le choix est large, de l’interventionnisme à une non-intervention quasi totale. La position de la France pourrait consister à prendre acte de son impuissance et à attendre qu’une sorte de traité de Wesphalie soit instauré entre pays arabes pour réorganiser la région. Quelqu’un comme l’ancien premier ministre Dominique de Villepin n’est pas loin de dire qu’il ne faut plus jamais intervenir nulle part, même au titre du chapitre VII de la Charte de l’ONU. La position inverse consisterait à considérer que la menace de l’OEI est sérieuse, et qu’en conséquence il convient de se donner les moyens d’y mettre fin en mettant sur pied une véritable coalition, beaucoup plus large que celle qui aujourd’hui ne fonctionne pas. Elle devrait comprendre la Russie (et non pas le régime syrien), l’Iran et la Turquie qui abandonnerait son double jeu. C’est du reste ce que demandent les militaires américains : une fois l’objectif atteint, que fait-on ? La réponse se trouve du côté d’une solution politique pour l’Irak et pour la Syrie, affirme-t-il sans évoquer à aucun moment la résolution du conflit israélo-palestinien. « Sur l’Irak, on ne peut pas le faire sans l’Iran ; c’est moins impossible depuis l’accord du 14 juillet, mais avant c’était considéré comme impensable ». En ce qui concerne la Syrie, il faut être en mesure de garantir la sécurité des alaouites, exposés à une vengeance contre le régime syrien qu’ils représentent. Et entrer dans un vrai débat à propos de Bachar Al-Assad. Quelles sont les garanties de reconstruction de la Syrie ? Est-elle simplement encore possible ? Ceux qui envisagent d’éradiquer l’OEI doivent aller jusqu’au bout du raisonnement en envisageant « l’après », c’est-à-dire des solutions politiques. « Le simple fait de l’énoncer dit à quel point on en est loin ». Par conséquent, le plus probable est qu’on reste dans un entre-deux, par peur de devoir s’allier avec la Russie, ce qui est pourtant incontournable, affirme-t-il. 

À la recherche d’une dynamique
« Je ne dis pas qu’on ne peut rien faire ; il y a toujours quelque chose à faire », conclut-il à propos de la Syrie. Mais pour agir, encore faut-il savoir quels sont les intérêts vitaux de la France. Pour les peuples, c’est évident : qu’ils puissent revivre en paix. Pour la France et tous les pays impliqués, c’est neutraliser les menaces de terrorisme, même lointaines. Il n’y a pas tellement d’autres intérêts vitaux ; pas d’intérêt vital pétrolier dans l’affaire syrienne, par exemple. Cette question des intérêts vitaux est au fondement de toute politique étrangère, laquelle ne se limite pas à s’empêtrer dans des guerres de position ; c’est la recherche d’une dynamique. Par conséquent, répondre à l’interrogation posée par le colloque : « la France a-t- elle encore une politique au Moyen-Orient » revient à les déterminer clairement. Il est nécessaire de maintenir des liens bilatéraux avec chaque pays arabe, mais il est impossible d’en faire une synthèse. Malgré tout, l’affirmer écarte de facto toute posture radicalement isolationniste. Certes, le décalage entre l’idée que la France se fait de son rôle, de ses responsabilités et sa capacité d’action réelle est à la fois ridicule et attristant, mais « ce n’est pas parce qu’on ne contrôle pas tout, qu’on ne peut pas refaire Sykes-Picot, qu’on s’en fiche, advienne que pourra », résume-t-il tout en expliquant qu’il cherche à esquisser une sorte de ligne équilibrée, quelque part entre l’action intempestive et irresponsable et l’inaction totale. Reconstruire une politique de la France envers les pays arabes ne peut se faire que laborieusement, « sans oublier qu’il y a par ailleurs une gigantesque bataille historique et longue au sein de l’islam et que de toutes façons il faut qu’on aide les modernisateurs, ou
qu’au moins on ne les handicape pas par nos politiques (...). C’est un long chemin. Je ne vois pas comment être plus optimiste que ce que je dis là maintenant. »

Françoise Feugas



B) L'islamisme aujourd'hui : du quiétisme au djihâdisme - diversités et réalités géopolitiques


La distinction établie entre islam et islamisme permet de mieux comprendre la diversité des islamismes. L’analyse actuelle des islamismes requiert de prendre en compte avec vigueur des paramètres à la fois politiques, historiques, géographiques et nationaux qui influent sur les mouvances islamistes actuelles et sur leur géopolitique. Voici un texte de référence pour construire une connaissance consolidée d’un sujet d’importance. 

DEPUIS les attentats perpétrés contre le journal français Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, l’Europe puis la Tunisie, symboles de la démocratie, ont connu les attaques et les menaces des groupes djihadistes basés au Moyen-Orient. Cette déferlante de violences terroristes est massivement revendiquée par l’Etat Islamique, né officiellement le 29 juin 2014, et appelé Daech par ses détracteurs. Pourtant, l’EI ne se résume pas à une organisation criminelle. Son recrutement, la formation de ses partisans, sa médiatisation, son financement, sa prétention à devenir un Etat, démontrent qu’il existe « une puissance Daech ». Cette nouvelle machine de guerre totalitaire repose sur la mise en action de principes idéologiques djihadistes (basés sur le takfirisme), c’est-à-dire, l’une des lectures contemporaines, la plus radicale, de ce qu’on appelle l’islamisme. En même temps, islamisme, ce néologisme à la sémantique plurielle ne se limite pas à la concrétisation radicale et violente de l’EI ou de sa mère-porteuse, Al-Qaïda. Dans mon ouvrage, j’ai tenté d’établir l’analyse et la synthèse des diverses réalités islamistes. Le suffixe -isme détermine la revendication idéologique d’un groupe à son adhésion à un système de valeurs ancré sur un principe philosophique, religieux, politique, économique : par exemple, l’athéisme, le féminisme, le socialisme, le libéralisme, etc. Le mot islamisme prend aujourd’hui plusieurs sens et la formation de cette notion à partir de sa racine - islam - fait l’objet de nombreuses critiques de la part des partisans-mêmes de la religion musulmane, non- islamistes dans leur grande majorité. Le contexte historique et géopolitique du Moyen-Orient depuis le XIXe siècle au moins, et la présence plus ou moins marquée de l’Occident, ont joué un rôle de taille dans la construction de ce que l’on appelle la nébuleuse islamiste. Au départ, cette idéologie s’est organisée sur un projet politique en plaçant le message coranique au centre de sa doctrine. Ainsi, le projet politique émane du message religieux, mais s’en détache aussi. L’islamisme n’est pas l’islam. Pourtant, l’amalgame prévaut souvent, car si l’islam est avant tout une religion de loi et donc du droit, elle est aussi empreinte de l’idée de gouvernance, dès les origines. La dimension politique fait donc partie intégrante de l’islam. Cependant, et il paraît fondamental de le souligner, les principes islamistes poussent le projet de construction politique plus loin. Dans la perspective islamiste, la structure étatique islamique doit englober toute la société, ses lois, ses principes économiques, ses individus. L’islamisme présente donc un aspect totalisant, à la fois politique et social. La mise en actes politiques appelle des moyens très variés. Pour mettre en place une structure de pouvoir islamiste et assurer sa prédominance sur la société musulmane, il existe trois configurations, et donc trois types d’islamisme. L’activisme politique d’abord, l’activisme missionnaire ensuite, et la troisième voie : l’activisme violent et terroriste, appelé également djihâdisme. Ces trois systèmes de pensée fondent des courants dont les moyens d’action diffèrent : action politique pour le premier ; prosélytisme, quiétisme et prédication pour le deuxième, violences et attentats pour le troisième. Il paraît donc nécessaire de questionner la double nature religieuse et politique de l’islam afin de comprendre comment les islamismes traduisent une interprétation politique du message religieux initial qui, depuis les années 1970, a été réinterprété politiquement jusqu’aux dérives totalitaires des djihadistes actuels de l’EI.
Nous développons spécifiquement ici les fondements et enjeux des islamisme politiques puis djihadistes. 

I. Les islams dans l’Islam : du religieux au politique
A. L’islam : une religion politique totale
L’islam constitue la troisième religion monothéiste, révélée par le Prophète Muhammad dans la première moitié du VIIe siècle après JC, dans la péninsule arabique. Islam signifie en arabe se soumettre aux lois de Dieu. Allah, pour les croyants musulmans, renvoie au Dieu unique, créateur de l’Univers. Son prophète, Muhammad, chef de guerre du clan des Qurayshites, - une tribu arabe puissante de la Mecque -, a été choisi par Allah. L’islam reconnaît les différents prophètes des religions monothéistes juive et chrétienne, il place Muhammad comme le dernier d’entre eux. Le caractère prosélyte de la religion musulmane s’est imposé dés le départ : l’islamisation a permis à la religion de se développer très rapidement de la deuxième moitié du VIIe siècle au début du VIIIe siècle. Aux côtés de l’islam, il existe l’Islam. En effet, la naissance de la religion musulmane s’est accompagnée d’une expansion du domaine géographique sur lequel elle exerce une influence ; le Dâr-al-Islam, « Domaine de l’Islam ». Il correspond à un ensemble géopolitique gouverné par un musulman et où les lois privées sont encadrées par la Charia. L’Islam renvoie donc au territoire se trouvant sous domination arabo-musulmane. La réglementation religieuse a des incidences fortes dans la vie civile et politique de l’Islam. Si le livre saint des musulmans est le Coran, il fait partie d’un ensemble appelé Loi islamique ou Charia, composé aussi de la Sunna pour les Sunnites. Elle tire son essence du Coran et de la Sunna et englobe certains principes de droit : et de deux sources de droit : l’ijma et le Qiyâs. En effet, le caractère politique de l’islam est précisément déterminé par la nature et l’encadrement de la Charia. Elle est protégée et appliquée grâce au fiqh : réglementation juridique qui régit l’organisation interne de la communauté des croyants à la fois dans le domaine religieux mais aussi dans le secteur politique et social. L’ensemble de ces règles concerne l’Oumma : la communauté des musulmans évolue à l’échelle de la planète. C’est la contraction de l’Oumma islamiyya : la communauté islamique. La Charia est à la fois religieuse et sociale. Suivie par les musulmans des Etats islamistes, elle ne s’applique pas de la même manière et selon les mêmes règles, dans les différents Etats qui l’ont adoptée. 

B. les courants de l’islam : sunnisme, chiisme et bien plus encore
Si l’islam demeure numériquement la deuxième religion au monde, il se divise en plusieurs branches. L’islamisation est un processus qui touche le Moyen-Orient et le Nord de l’Afrique aujourd’hui, mais également l’Afrique subsaharienne dans sa partie nord-Ouest et la région des Grands lacs, une partie de l’Asie Centrale et l’Indonésie. Les sunnites suivent la Sunna (actions et paroles du Prophète au quotidien) et respectent la tradition de succession du Prophète, depuis les origines. Les sunnites constituent presque 90 % de la population musulmane mondiale. Les chiites, un peu plus de 10% de la communauté, se sont opposés à la succession originelle et ont choisi de suivre Alî, cousin et gendre du Prophète, au sein du parti du Shia. Ils ne reconnaissent pas la Sunna et considèrent que l’imam est la source unique de l’autorité spirituelle et temporelle de l’islam. Pour les sunnites, il demeure un simple chef de prière. La famille chiite se scinde en plusieurs branches parmi lesquelles : les zaydites, les duodécimains et les ismaéliens. En lien avec leur opposition à la succession du Prophète, les chiites donnent une place centrale à l’imam, le véritable Guide de la communauté. Chacune des mouvances chiites est établie en fonction des modalités de succession de l’imam. Les zaydites (au Yémen notamment) sont les moins rigides à l’inverse des duodécimains (en Iran et en Irak), majoritaires, qui croient que le douzième imam (IXe siècle) n’est pas mort. N’ayant pas de chef religieux depuis, ils ont accepté la tutelle temporelle des sunnites, ce qui leur a valu leur intégration et leur a assuré plus de succès que les deux autres courants. Cependant, l’exemple des guerres civiles syrienne ou yéménite actuelles montre que sunnites et chiites peuvent encore s’opposer radicalement. L’opposition des courants religieux musulmans se nomme la fitna : c’est-à-dire la guerre au cœur de l’islam qui sème le désordre et la discorde au sein de l’Oumma. Celle-ci peut inclure des confrontations entre sunnites comme c’est le cas entre les partisans de l’EI contre les kurdes.

C. L’interprétation du Coran au cœur de la complexité islamique
Le fondamentalisme est une idéologie visant à rappeler le retour aux fondements d’un message dont le sens aurait été dévoyé au fil du temps. Toutes les grandes religions monothéistes connaissent des mouvances fondamentalistes en leur sein. L’enjeu est la création d’une version qui interprète les textes sacrés d’une religion de façon littérale, sans prendre en compte la transformation des sociétés concernées. Dans l’islam, les fondamentalistes souhaitent revenir au message originel diffusé dans les sourates du Coran et dans les hadiths (paroles du Prophète compilées au IXe siècle) qui forment la Sunna. Les premières formes de fondamentalisme musulman apparaissent peu après la période prophétique. Elles ont évolué jusqu’aux wahhabisme et salafisme actuels. Les fondamentalistes contemporains admettent l’interprétation mot à mot du Coran, c’est-à-dire l’exégèse appelée tafsir. Ce qui différencie les mouvances islamistes actuelles demeure l’application de l’ijtihad : l’« effort de réflexion ». En islam, c’est l’interprétation personnelle des sources coraniques par les docteurs en droit musulman qui sert à fabriquer des normes juridiques. Elle suppose une utilisation de la Raison ; les wahhabites n’utilisent pas la Raison et restent très proches des normes existantes à la différence des réformistes salafistes qui s’en servent. Ainsi, le fondamentalisme s’incarne d’abord chez les wahhabites, mais les liens entre wahhabites et salafistes sont devenus ténus à partir des années 1970 et de fait, le fondamentalisme a pu conquérir aussi certaines branches salafistes. 

II. Du fondamentalisme à la naissance d’une revendication politique et sociale : les islamismes
A. Le Réveil d’une revendication islamiste: du wahhabisme (XVIIIe siècle) au réformisme salafiste (XIXe siècle)
Les premières formes d’islamisme, en tant qu’idéologie politico-religieuse, sont apparues dés le IXe siècle, moins de deux cents ans après la révélation de Mohammed. Ibn Hanbal (780- 855), le fondateur de l’école islamiste dite hanbalite s’oppose à l’« islam éclairé » imposé de force par le calife abasside de l’époque. Ainsi, les hanbalites ont contesté l’ordre politique établi en tentant d’imposer un ordre moral et social très sectaire. Le wahhabisme, doctrine islamiste saoudienne développée au Moyen-Orient (Qatar par exemple) demeure l’héritier légitime du hanbalisme : une des quatre écoles religieuses nées entre la mort du Prophète et le IXe siècle. L’école hanbalite refuse toute prise en compte du contexte historique et social d’écriture du Coran et de la Sunna. Elle demeure la plus rigoriste. Deux successeurs au mouvement hanbalite ont permis à cette doctrine d’émerger : - au XIIIe siècle, Ibn Taymiyya , juriste rendu célèbre par son intransigeance et son intolérance envers les mauvais musulmans et les Infidèles (chrétiens, juifs, païens), - cinq siècles plus tard, Mohammed Ibn Abd al- Wahhab rejette tout autant la présence des mécréants dans tout l’Empire ottoman, dont son Arabie natale dépend alors. Issu d’une famille qui suit la doctrine hanbalite, il a voyagé dans de nombreux pays de l’Empire avant d’écrire un ouvrage sur l’Unicité de Dieu. C’est à partir de cette œuvre autant que du combat de son fondateur que le mouvement wahhabite se développe. Mais à la différence du hanbalisme, ce mouvement n’est pas seulement doctrinal ; il a une dimension politique. En effet, pour donner un bras armé à sa doctrine, Abd al-Wahhab a conclu un pacte avec un conquérant arabe, Muhammad Ibn Saoud. Ce dernier favorise alors la diffusion du wahhabisme au gré de ses conquêtes, de celles de ses descendants, à partir de leur région d’origine – le Nejd [1]. Mais en deux siècles, le wahhabisme s’étend bien au-delà car la famille Saoud parvient en 1932 à constituer un État très puissant et très vaste : le Royaume d’Arabie saoudite. L’État saoudien a ainsi fondé ses racines sur le terreau doctrinal wahhabite.

Dans l’actualité récente, on a montré la proximité entre les wahhabites saoudiens et les salafistes, notamment égyptiens. Pourtant, si elle peut être mise en lien, leur pensée s’inscrit dans un contexte historique et géopolitique différent et les deux mouvances ne doivent pas être confondues. La salafiyya n’est donc pas le wahhabisme. Les salafistes se réclament des penseurs wahhabites, mais leur mouvement n’est pas né en Arabie saoudite. En effet, le salafisme a pris forme dans un ensemble géographique disparate (Égypte, Syrie, Irak et Inde), à partir du XVIIIe siècle. Il n’apparaît véritablement qu’au XIXe siècle, un siècle après la naissance du wahhabisme. De l’arabe salaf, ancêtre, la salafiyya prône un retour aux valeurs des pieux ancêtres, c’est-à-dire aux principes des fondateurs de l’Islam, depuis le VIIe siècle. Il s’agit du Prophète mais aussi de ses quatre premiers successeurs : les califes Rashidun, « les bien guidés » qui ont régné tour à tour, au VIIe siècle, sur le Dâr-al-Islam naissant : Abou Bakr, Omar, Othman et Ali. Pour les salafistes, la Sunna et le Coran doivent être compris et lus sans faire appel à la raison individuelle mais uniquement par la mise en application et l’imitation des gestes et paroles du Prophète. C’est pourquoi de tous les islamistes, les salafistes sont ceux qui ont la lecture la plus littérale des textes sacrés. En d’autres termes, les wahhabites ne vont pas aussi loin. D’abord née d’une réflexion très moderne, la doctrine salafiste a mué vers un fondamentalisme puritain, se confondant avec le wahhabisme saoudien. Mais la construction de la doctrine salafiste obéit à des logiques historiques différentes. En effet, trois âges distincts ont marqué l’évolution doctrinale de la salafiyya : du XIXe siècle aux années 1990. Au départ, contrairement aux wahhabites, les penseurs salafistes n’ont pas basé leur doctrine sur la pensée hanbalite. Ils sont partisans d’une pratique de l’interprétation ouverte à l’ensemble des quatre écoles juridiques sunnites : ils s’appuient sur la rigueur juridique de l’école hanbalite mais non sur son radicalisme. Aussi, au XIXe siècle, deux grands penseurs et fondateurs du mouvement ont impulsé la création du mouvement réformiste salafiste : Jamal al-Din dit al-Afghani (1838-1897) et Muhammad Abduh (1849-1905). Il s’agit du premier âge du salafisme. Cette première vague ne s’autoproclame pas « salafiste » mais réformiste ; l’identification du courant s’élabore seulement au XXe siècle. Leur objectif est de préparer le monde musulman au questionnement posé au monde entier par l’Occident, en pleine industrialisation. L’arrivée des Occidentaux dans l’Empire ottoman notamment, a imposé naturellement à l’Oumma une analyse de la solidité de ses structures et de ses valeurs : son identité, sa culture, ses fondements spirituels et intellectuels. Le mouvement réformiste incarne donc une révolution dans l’idéologie islamiste : il marque le réveil de l’esprit de l’islam, à l’échelle sociale et politique. Les fondateurs du salafisme ont estimé que la société musulmane devait se réformer et imposer un retour aux valeurs des « pieux ancêtres » car, selon eux, la société ottomane est en train de péricliter à tout niveau. Le salafisme est donc, au départ, un compromis entre un retour aux valeurs des pères fondateurs de l’Islam et l’intégration des nouveautés apportées par l’Occident. Par exemple, l’ouverture aux progrès technologiques était souhaitée par les salafistes du Premier Age. L’Occident ne représentait pas une menace mais plutôt un modèle dont il fallait se servir pour réformer le monde musulman. Seulement, suite à l’effondrement de l’Empire ottoman dans les années 1920, les Occidentaux ont cherché à investir ce nouvel espace. Les salafistes ont alors intégré à leur doctrine une volonté de résistance au modernisme et se sont rattachés davantage aux mouvements fondamentalistes wahhabites de l’Arabie centrale. En d’autres termes, il s’est agi d’un regain de résistance identitaire basé sur l’identité religieuse. Cela correspond à la seconde vague du salafisme articulée autour de la figure centrale d’Hassan Al-Banna (1906-1949), fondateur égyptien de la confrérie des Frères musulmans. Pour lui, la présence occidentale en Égypte génère des pratiques contraires aux valeurs de l’islam. Il est partisan d’un salafisme nouveau. Certains chercheurs refusent de lier aujourd’hui salafisme et Frères Musulmans. Il vrai qu’en Egypte ou en Tunisie par exemple, ces mouvances sont détachées ; leurs objectifs et moyens d’action diffèrent et par conséquent leur doctrine aussi. Les salafistes de cette deuxième vague ont accepté d’intégrer la culture religieuse soufie dans leur pensée, courant mystique de l’islam que les wahhabites rejettent. Autre rupture avec le wahhabisme, les salafistes comme les Frères musulmans n’intègrent pas le rôle de l’autorité politique de la même manière dans leur doctrine. Les wahhabites relient historiquement le pouvoir politique des monarques saoudiens à la pensée islamiste. Pour les Frères musulmans, cet automatisme n’est pas envisageable. Salafisme et wahhabisme saoudien peuvent, néanmoins, être concordants à partir des années 1950. Les Frères musulmans, persécutés en Égypte et en Syrie, sont accueillis en Arabie saoudite et chargés de diffuser les valeurs islamistes aux jeunes dans les écoles et universités. Les Frères assurent donc la moralisation de la société en préparant la communauté dès son plus jeune âge ; c’est un islamisme basé sur la prédication et qui commence par le bas. Ainsi, islamisme politique et islamisme de prédication se rencontrent et se complètent. Leur rapprochement est néanmoins à nuancer car les Frères musulmans, salafistes réformistes, ne sont pas inféodés à la famille politique saoudienne. L’arrivée des Américains en Arabie saoudite les pousse rapidement vers l’Irak. Un nouveau courant émerge et radicalise les thèses du salafisme de deuxième génération. Le jeu politique a donc un impact direct sur le mariage idéologique des wahhabites et des Frères musulmans salafistes du deuxième âge. À partir des années 1980, wahhabites et Frères musulmans ne sont plus considérés comme alliés. Partisans de l’islam politique, les Frères s’opposent aux pratiques saoudiennes. Cependant, le salafisme ne se cantonne pas à la version donnée par les Frères musulmans. Le troisième âge salafiste est nourri par les thèses de l’intellectuel saoudien, Sayyid Qotb (1906-1966). Son émergence est aussi précipitée par la révolution chiite iranienne et à partir de 1979, le salafisme se referme sur les thèses wahhabites les plus puritaines. Les thèses de Qotb ont nourri l’émergence d’une idéologie radicale devenue le djihadisme (voir III). Finalement, trois types de courants salafistes ont été déterminés (Bernard Rougier) : . Le salafisme originel, littéraliste et missionnaire qui n’admet de ses partisans ni la participation au pouvoir politique, ni leur utilisation des médias modernes. . Le salafisme réformiste, représenté par le courant de la Sahwa. Ses partisans dépassent la fonction de missionnaires des premiers. Ils ont vocation à diffuser au plus grand nombre leur vision de l’Islam et leur vision politique du monde. Ils condamnent l’influence des Occidentaux sur les dirigeants du Moyen-Orient, car elle déstabilise l’ensemble de l’Oumma. Le pouvoir temporel doit suivre les préceptes du religieux et non l’inverse. . Enfin, le salafisme djihâdiste est lui-même divisé en plusieurs mouvements. De manière générale, il prône le devoir de djihâd pour tous les musulmans. C’est le cœur de la doctrine. Il existe des djihâdistes locaux comme en Palestine qui n’ont pas vocation à imposer un califat mondial, et des djihâdistes internationaux, dont les membres d’Al-Qaida font partie. Aujourd’hui, les trois courants salafistes ont généré des groupes politiques comme non- politiques, aux moyens d’action différents qui n’ont pas nécessairement de liens entre eux dans les pays qu’ils touchent. 

B. De l’apprentissage des pratiques politiques à la mise en place des régimes politiques islamistes : révolution chiite, printemps arabes et résistance politique ou terroriste La réalisation d’un projet politique n’existe pas dans tous les groupes islamistes. Seuls les Frères Musulmans, les salafistes réformistes et les chiites khomeynistes embrassent cette ambition. Cependant, si ces trois tendances visent l’instauration de la Charia, les moyens utilisés pour y parvenir et les modes d’application de la Loi islamique ne sont pas les mêmes. Très schématiquement, deux types d’islamisation peuvent s’opposer dans la mise en place du projet : par le haut, l’institution de la Charia permet au peuple de s’islamiser, ou par le bas, l’islamisation du peuple génère la création d’un État islamique. Aussi, dans le cadre de l’activisme radical, la lutte des djihâdistes résistants à la politique anti-islamique d’un régime exprime un message politique à prendre en compte. Trois types d’intégration politique des islamismes dans le monde : l’islamisme consacré par l’État, l’islamisme légitimé par les élections ou associé au pouvoir, puis les groupes islamistes résistants et clandestins. 

L’islamisme consacré par l’État
Prenons l’exemple de l’Iran, véritable modèle révolutionnaire à suivre pour l’ensemble des islamistes du Dâr-al-Islam, chiites comme sunnites. L’activisme révolutionnaire et chiite est né avec un homme : l’ayatollah Khomeiny, il a instauré la théocratie chiite en 1979 en renversant le Shah d’Iran soutenu par les Américains. Ce courant islamiste est national puisqu’ancré en Iran, mais il montre une dominante présente au sein de tous les mouvements islamistes chiites : la capacité des ayatollahs, des oulémas et des mollahs d’encadrer les croyants, en autonomie vis-à-vis de la sphère étatique, tout en continuant de faire progresser les connaissances en matière de normes religieuses. La révolution islamique de 1979 a défini un cumul de deux fonctions pour le grand ayatollah. Il cumule le rôle d’autorité politique, à côté d’un président de la République élu au suffrage universel, et demeure le chef spirituel de la nation : son Guide Suprême. En 2015, ce dernier est Ali Khamenei et le Président de la République élu : Hassan Rohani. Les mollahs iraniens exercent un contrôle important sur l’exécutif et sur la stricte application de la charia dans toute la société iranienne. L’islamisme chiite s’incarne dans l’organisation de la République islamique iranienne. 

Islamismes consacrés par les urnes
La reconnaissance politique des partis islamistes se réalise pleinement lors de leur participation aux élections présidentielles ou législatives. Elle consacre leur pouvoir politique s’ils parviennent à les gagner. Évidemment, les mandats sont, en principe, temporaires et parfois interrompus mais ils traduisent l’évolution du degré d’ancrage politique des islamismes à l’échelle étatique. Les Printemps arabes ont favorisé l’apparition de la prise de pouvoir légale des islamistes et leur insertion dans le jeu politique démocratique en Tunisie, en Egypte et même au Maroc. Entre 2011 et 2012, en Égypte et en Tunisie, les élections portent les islamistes au pouvoir, au Yémen elles les y associent et, en Libye, elles les incluent au jeu politique. Pourtant, la stabilité politique n’est pas acquise et aucun des partis islamistes n’exercent aujourd’hui seul, le pouvoir. Dans d’autres pays comme la Turquie ou le Liban, les islamistes ont été intégrés avant 2011 aux appareils politiques par le biais d’élection, soit en tant que parti élu soit en tant que groupe rattaché à une coalition. 

Clandestinité et résistance politique des islamismes
L’interdiction des partis politiques islamistes par les pouvoirs publics laisse aux islamistes deux possibilités : l’action clandestine ou l’exil. Pour les activistes clandestins, le djihâd devient légitime, ils jugent leurs gouvernants comme des impies car ils ne protègent plus l’Oumma. Le Président égyptien actuel, Al-Sissi, a déclaré illégale l’organisation des Frères Musulmans égyptiens, le 25 décembre 2013. Il les assimile à des terroristes au même titre que les partisans de l’Etat Islamique. En dehors de la région arabe-musulmane, il existe également des conflits violents liés à la revendication politique mais aussi nationale et culturelle de certains groupes islamistes. C’est le cas des Ouïghours en Chine d’Asie centrale et des islamistes du Caucase pour les Russes. Aux périphéries de ces « États continents », les territoires intégrés au prix de conquêtes difficiles et tardives la Tchétchénie, définitivement russe au milieu du XIXe siècle et le Xinjiang, devenu chinois en 1949 , concentrent des peuples marqués par une forte identité ethnique et religieuse. Depuis le 11 septembre 2001, le Mouvement islamiste du Turkestan oriental dont se réclament les Ouïghours est sévèrement réprimé par l’administration chinoise au nord-ouest du Xinjiang ; de violentes confrontations ont encore lieu aujourd’hui. Du côté russe, après les deux guerres russo-tchétchènes des années 1990, le mouvement djihâdiste s’est autoproclamé en 2007 chef de « l’émirat du Caucase », à partir duquel il fomente régulièrement des attentats contre Moscou (l’émir du Caucase, Dokou Oumarov, est mort en mars 2014). Pour la Chine et la Russie, islamisme et terrorisme se confondent.

III. De la résistance identitaire à l’activisme violent et terroriste : les djihadismes
A. Les fondements d’une idéologie radicale : du Coran aux Pères fondateurs du djihadisme
Le moyen ultime pour les islamistes les plus radicaux de sauvegarder l’unité de l’Oumma ou de lutter contre les forces mécréantes est le djihâd, « le combat sacré ». Le Coran évoque le grand djihâd, un combat personnel sur soi pour devenir meilleur et le petit djihâd ou djihâd par l’épée .Le petit djihâd est donc défensif ou offensif. Il devient défensif s’il existe une menace sur l’Oumma, tout musulman doit y participer. Le djihâd offensif est utilisé dans le cadre de la conquête du Dâr-al-Islam. Le djihâdisme contemporain marque un passage déterminant dans l’évolution structurelle de l’ensemble des islamismes. Il est le fruit et le moteur de l’islamisme radical. Il ne partage avec les deux autres formes d’islamismes – missionnaire et politique , que leur finalité : créer un État islamique. Mais les djihâdistes restent hostiles à la simple prédication et à la coopération avec le pouvoir politique. Le terme djihâdisme est donc un néologisme, indiquant la volonté d’adhérer au petit djihâd. Dès lors, l’usage du djihâd demeure la matrice de leur croyance religieuse. Les islamistes djihâdistes sont sunnites, ils établissent la guerre sainte contre les régimes impies à l’intérieur du Dâr-al- Islam ou à l’extérieur quand ils considèrent que le territoire est occupé par une puissance non musulmane menaçante ( en Afghanistan pendant la guerre contre les Soviétiques (1979-1989 par exemple). Le djihâd est donc le mode opératoire principal des djihâdistes afin de conquérir ou reconquérir le pouvoir. C’est la manifestation de la défense armée de l’Oumma. Au début de la conquête coloniale au XIXe siècle, un djihâd de résistance a lieu en Algérie, au Soudan et en Libye. Mais il peut également concerner d’autres acteurs du monde islamique, il engendre ainsi la fitna (le désordre entre les musulmans). L’actuelle lutte de l’État Islamique, contre les forces chiites irakiennes et syriennes ou contre les Kurdes sunnites, en donne un exemple concret. La construction idéologique du djihadisme contemporain s’est élaborée à partir des thèses anciennes d’Ibn Tamiyya (hanbalite du XIVe siècle) adjointes à celles de Maududi et de Sayyid Qotb plus récemment. La pensée du théologien Maududi est à l’origine de l’islamisme pakistanais. Maududi demeure l’une des trois figures islamistes les plus importantes du XXe siècle, aux côtés d’Hassan Al-Banna et de l’ayatollah Khomeiny. Né en Inde, ce sunnite fondamentaliste est proche des milieux déobandis (mouvement islamiste né en 1867 dans le Nord indien, prônant l’encadrement religieux de la vie quotidienne par la production de fatwas et s’étant diffusé dans les années 1970 en Afghanistan et au Pakistan, après intégration des principes wahhabites, les écoles deobandies sont à l’origine du mouvement des Talibans). Maududi a une vision nouvelle sur le rôle de la religion musulmane dans l’État pakistanais qu’il voit naître. Il promeut sa langue officielle, l’ourdou, tout en défendant la constitution d’un État islamique plus global, à l’échelle de l’Empire des Indes. Il s’oppose au nationalisme et au pouvoir des oulémas mais croit en la construction d’un État islamique, qui sera capable d’islamiser le peuple, par le haut. La révolution islamique constitue le cœur de son projet. Elle passe par l’application du djihâd par l’activisme politique. Bien qu’il ait inspiré Qotb et nombre d’islamistes radicaux et clandestins, Maududi agit en toute transparence. En 1941, il fonde légalement un parti : la Jamat Ulema Islami (JUI). Plus tard, et partant d’Egypte, les idées de Sayyid Qotb ont à leur tour fortement marqué les groupes islamistes jusqu’aux membres djihâdistes d’Al-Qaida. Avec elles, l’intransigeance salafiste émerge : les soufis sont considérés comme hérétiques car ils se livrent au culte des saints ; les chrétiens et les juifs les « gens du Livre » toujours respectés dans la tradition musulmane – sont traités de mécréants, c’est-à-dire d’incroyants. Cependant, au-delà de cette vision, le discours de Qotb va plus loin : il prône un islamisme radical qui défend le djihâd en terre mécréante mais aussi en territoire musulman quand celui- ci est menacé par des idées contraires à la Loi islamique, c’est-à-dire d’influence occidentale. Il oppose «vrais musulmans» et «apostats». En acceptant des compromis avec les Américains, les souverains saoudiens font partie des apostats. Du discours de Sayyid Qotb est né un nouveau courant de pensée : le takfirisme. Les partisans takfiri doivent excommunier les autres musulmans jugés impies. Il s’agit d’une lecture radicale du discours de Qotb visant à séparer les bons musulmans du monde impie, et ceux générant la fitna. Ce groupe d’islamistes radicaux, la Société des musulmans, se structure au moment où Sadate, le président égyptien, restreint le champ d’action des islamistes égyptiens, à partir de 1977. Isolé au départ, le mouvement s’exporte dans les pays du Golfe et fait des émules chez les étudiants égyptiens des Gamaat islamiyya. À partir du moment où les takfiri sont arrêtés, les Gamaat se radicalisent. Séparées des Frères Musulmans mais suivant Qotb, elles incarnent un salafisme violent et djihâdiste et recrutent parmi les populations pauvres et urbaines. Leur dissolution, après l’assassinat de Sadate – dont elles sont les responsables , les mènent à la radicalisation terroriste dans le monde musulman comme aux États-Unis dans les années 1980-1990. Elles sont intégrées au sein du groupe du Djihâd islamique égyptien dans les années 1990, responsables entre autres, des attentats sur le site touristique de Louxor. Les Gamaat ont essaimé leur pensée et leurs modes d’action en Afrique subsaharienne et en Asie centrale. Dans le monde musulman, après le départ des colonisateurs occidentaux, au tournant des années 1950 et 1960, trois types de djihâd se mettent donc en place progressivement : celui des partisans de S. Qotb dans les années 1970 et 1980, dans le cadre de la guerre d’Afghanistan contre les Soviétiques ; le djihâd des années 1990 contre les régimes militaires algérien, égyptien et en Bosnie ; enfin, depuis la fin des années 1990, le nouveau djihâd contre l’Occident. Ce dernier est la raison d’être du mouvement Al-Qaida. En effet, cette forme d’activisme est devenue une idéologie qui s’est mondialisée ; elle prend racine dans les premières formes du takfirisme. La naissance d’Al-Qaida s’explique par une réorientation de la logique du djihâd internationalisé construit en Afghanistan, contre les anciens alliés des moujahidines, les Américains. Ainsi, les membres de l’organisation s’attaquent à la fois aux « ennemis proches », c’est-à-dire aux gouvernements impies du monde musulman Moyen- Orient et Afrique subsaharienne mais également aux « ennemis lointains » : les États-Unis et leurs alliés, dont les Infidèles : juifs comme chrétiens. Al-Qaïda représente le renouveau du djihadisme. L’objectif de ses deux fondateurs – Abdullah Youssouf Azzam et Oussama ben Laden est de revenir à la base du message coranique interprété, selon eux, par la mise en place du califat mondial instaurant l’unité de l’Oumma. Au départ, Al-Qaida crée un réseau à partir des groupes de vétérans d’Afghanistan, notamment avec les talibans, les Gamat islamiyya, les Jamaa islamiyya pakistanaise et indonésienne. Ensuite dans les années 1990, le mouvement se transforme en un centre de formation de djihâdistes très organisé doté de camps d’entraînement en Afghanistan et au Pakistan. Les secteurs d’influence sont divisés et dirigés par des chefs régionaux appelés « émirs », au Moyen-Orient, en Algérie et dans le sous-continent indien. L’organisation soutient également les djihâds plus ciblés en Occident comme celui du GIA algérien en France. 

B. Le 11 septembre ou la mondialisation du djihadisme : d’Al-Qaïda à l’EI
A partir du 11 septembre 2001, le djihadisme mondialisé entre sur la scène des grands acteurs géopolitiques. Al-Qaida devient l’organisation terroriste à abattre, le cœur des préoccupations sécuritaires de l’ensemble des démocraties occidentales. La rhétorique de l’Axe du Mal de Georges W. Bush se développe. Ses interventions en Afghanistan (2001) et en Irak (2003) relancent alors le djihâd au Moyen-Orient. Cela crée une nouvelle ligne de fracture décisive pour l’avenir géopolitique du monde musulman, entre islamistes sunnites et chiites. L’intervention occidentale et la traque effectuée à l’encontre d’Oussama Ben Laden et de ses troupes, ont porté un coup à la nébuleuse d’Al-Qaïda. Elle est restructurée et se divise en deux sous-groupes en 2009 : Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA). Au-delà de cette nouvelle structuration, Al-Qaida concentre des mouvances plus ou moins proches de ses principes. En Somalie, Al-Shabbab a prêté officiellement allégeance à AQMI depuis 2009. Ansar al-charia, groupe armé et salafiste tunisien, a reconnu sa filiation récente avec la nébuleuse. L’AQPA est le résultat de la fusion des Saoudiens et des Yéménites du mouvement. Si l’Arabie saoudite a mis hors de ses frontières les membres d’Al-Qaida, le Yémen les a tous récupérés malgré les offensives régulières de l’armée yéménite depuis 2012. En Asie du Sud-Est, la Jemaah Islamiyya ainsi que les islamistes philippins d’Abu Sayyaf, se sont revendiqués structures d’Al-Qaida mais la cellule mère du Pakistan n’a jamais confirmé ce lien Al-Qaida n’est plus actuellement la seule incarnation du djihâdisme, en Irak et en Syrie, l’Etat Islamique offre une nouvelle image de l’islamisme radical dans le monde. Les djihâdistes sunnites d’Al-Qaida, partis lutter contre les forces occidentales en Irak, trouvent sur leur route l’opposition des chiites du nord-est irakien. La même année en 2003, Abou Moussad al- Zarkaoui fonde la branche irakienne d’al-Qaida : « al-Qaida au Pays des deux Rives » (les deux rives renvoient au Tigre et à l’Euphrate, fleuves irakiens délimitant la Mésopotamie).Il radicalise les objectifs de la « maison-mère » provoquant la réaction d’ Oussama Ben Laden qui décide de se séparer de son allié irakien. L’État Islamique en Irak (EII) naît alors de cette scission. L’opportunité d’un développement territorial de l’organisation s’établit au moment de la mise à mort du système politique baasiste de Saddam Hussein par les Américains, puis, à partir de 2011, de la brèche ouverte par le Printemps arabe en Syrie. 

Ainsi, le 29 juin 2014, l’Etat Islamique s’auto-proclame califat en s’imposant par la force aux populations d’une zone de contrôle située du nord-ouest de l’Irak au nord-est syrien. Il se différencie d’Al-Qaida par un ancrage territorial déterminé dont l’expansion est la finalité depuis 2013. Pourtant, l’EI ne peut être reconnu comme Etat : ses frontières sont mouvantes et son territoire n’est pas en expansion constante. Son influence grandit, elle est devenue mondiale. D’abord, la médiatisation de ses actes de barbarie fait sa publicité auprès des potentielles recrues du monde entier déjà sensibilisées par les réseaux sociaux et les sites djihadistes. Ensuite, l’EI n’est pas en rupture idéologique ni en guerre avec Al-Qaida et il bénéficie de ses réseaux de communication avec les groupes djihâdistes. L’orchestration des deux attentats de Paris en janvier 2015 entre l’AQPA et l’EI démontre l’existence d’une coordination. Enfin, malgré son intégration territoriale en Syrie et en Irak et fort de son succès médiatique, l’EI s’impose comme modèle en Afrique, en Tunisie avec le groupe Okba Ibn Nafaâ ou au Nigéria, Boko Haram ayant prêté allégeance au calife Abou-Bakr Al- Baghdadi en mars 2015

Conclusion
La distinction établie entre islam et islamisme permet de mieux comprendre la diversité des islamismes. L’interprétation des préceptes islamiques a donné une vocation plurielle à l’idéologie politique qu’elle nourrit. Si l’on est tenté d’évoquer une nébuleuse islamiste mondialisée, en citant l’existence de la Ligue Islamique mondiale (LIM) création de 1962 par l’Arabie Saoudite (exportation du modéle wahhabo-salafiste en Occident), de la Fédération des Organisations Islamiques (FOIE) en Europe créée en 1989 (Frères Musulmans sous impulsion de l’UOIF en France), du Milli Görus : mouvement islamiste turc des années 1970 (bien ancré en Allemagne, Autriche et Est de la France) ou encore du Tabligh : (société quiétiste de prédication née en 1927 en Inde très puissant dans les années 1960 à 1980 en Europe). Il est nécessaire de rappeler la pluralité des interprétations théologiques, la diversité des moyens utilisés et des objectifs fixés par les différents groupes islamistes. Leur point commun est la revendication idéologique d’un message à ressort religieux, mais leur identité demeure très variée et en évolution constante. L’analyse actuelle des islamismes requiert de prendre en compte avec vigueur des paramètres à la fois politiques, historiques, géographiques et nationaux qui influent sur les mouvances islamistes actuelles et sur leur géopolitique.
 

Historienne de formation, Anne-Clémentine Larroque est maître de conférences en Questions internationales à Sciences Po. Elle est l’auteur de Géopolitique des islamistes, Qsj n°4014, PUF




C) Divers liens sur l'Islam sur Université Liberté

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