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octobre 26, 2014

Sur la page pour une démocratie libérale 12/21 (l'exécutif)


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Le pouvoir exécutif

Les dirigeants démocratiques gouvernent avec le consentement de leurs citoyens. Leur puissance n'est pas fondée sur les armées qu'ils commandent ou la richesse économique de leur pays, mais sur leur respect des limites fixées par l'électorat qui les a portés au pouvoir au moyen d'élections libres et loyales.

Dans des élections libres, les citoyens d'une démocratie choisissent leurs gouvernants et leur confèrent des pouvoirs délimités par la loi. Dans une démocratie constitutionnelle, le pouvoir du peuple souverain est réparti entre le pouvoir législatif qui établit les lois, le pouvoir exécutif qui les applique et le pouvoir judiciaire qui les fait respecter en agissant en toute indépendance.

Les dirigeants démocratiques ne sont pas des dictateurs élus ni des « présidents à vie ». Ils sont élus pour des mandats d'une durée définie et ils acceptent les résultats des élections suivantes, même s'ils y sont battus et perdent ainsi le pouvoir.

Dans les démocraties constitutionnelles, le pouvoir exécutif est généralement limité de trois façons : d'abord par un système d'équilibre entre son propre pouvoir et les deux autres pouvoirs : législatif et judiciaire ; ensuite, dans les systèmes fédéraux, par la répartition du pouvoir entre les différents niveaux territoriaux et enfin par une garantie constitutionnelle donnée aux droits fondamentaux.

Au niveau national, le pouvoir exécutif est limité par le pouvoir conféré par la constitution au législateur et par l'indépendance du pouvoir judiciaire.

Dans les démocraties modernes, il y a deux grands types d'organisation du pouvoir exécutif : le régime parlementaire et le régime présidentiel.


° Dans un régime parlementaire, ou régime d'assemblées, le parti majoritaire à l'assemblée constitue le gouvernement qui est présidé par un premier ministre.

° Dans un tel régime parlementaire, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ne sont pas totalement distincts l'un de l'autre, puisque le premier ministre et les membres du gouvernement sont pour l'essentiel choisis dans les rangs du parti majoritaire à l'assemblée nationale. Dans ce cas, l'opposition politique, c'est-à-dire la minorité à l'assemblée nationale, est le principal facteur de contrôle et de limitation du pouvoir exécutif.

° Dans un régime présidentiel, le président est élu au suffrage universel direct, au moyen d'une élection dite présidentielle, distincte des élections législatives qui désignent les députés qui siégeront dans la nouvelle assemblée pour la durée d'une législature.

° Dans un régime présidentiel, le président et l'assemblée ont chacun leur pouvoir et leur base électorale, ce qui assure un équilibre et un contrôle mutuel.

Dans les démocraties, le gouvernement n'est pas forcément faible, il a seulement un pouvoir limité. Ainsi, même si les démocraties sont parfois lentes à atteindre un accord sur les questions nationales, leurs dirigeants, lorsqu'elles y sont parvenues, peuvent-ils agir avec autorité et assurance.

À tout moment, les dirigeants d'une démocratie constitutionnelle agissent dans le cadre des lois qui définissent et limitent leur pouvoir.



Pouvoir chargé d'appliquer les lois, de définir et de conduire la politique de la nation. 

L'exécutif est le terme par lequel le droit constitutionnel libéral appelle les « gouvernants », c'est-à-dire les organes politiques autres que le Parlement, les juridictions ou les organismes consultatifs, désignés par le législatif. La distinction entre les deux pouvoirs est classique depuis Locke et Montesquieu, pour qui la fonction législative ne devait pas être exercée par le même organe étatique que la fonction exécutive. 
Aux termes de la Constitution de 1958, on distingue deux catégories de gouvernants : le président de la République et le gouvernement. Ces deux organes ne se bornent pas à exécuter les lois et le budget, loin de là. Ils assument la direction et l'impulsion générale de l'État.
Le président « veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » ; il est le « garant de l'indépendance nationale ». Élu au suffrage universel direct, il exerce un mandat à durée limitée de cinq ans (renouvelable indéfiniment) ; il nomme le Premier ministre et, sur proposition de celui-ci, les ministres du gouvernement, lequel peut être renversé par l'Assemblée nationale après le vote d'une motion de censure.
Le Premier ministre « assure l'exécution des lois » et « dirige l'action du gouvernement », qui « détermine et conduit la politique de la Nation » ; il « dispose de l'administration et de la force armée ». Le Conseil des ministres, qui se réunit en principe une fois par semaine sous la présidence du président de la République, est le seul organe collectif où sont prises les décisions du gouvernement.

octobre 25, 2014

Sur la page pour une démocratie libérale 17/21 (loi des + et droits des -)

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Loi de la majorité et droits de la minorité


À première vue, les principes de 'loi de la majorité' et de 'protection des droits des individus et de la minorité' peuvent sembler contradictoires. En fait, ce sont les deux piliers sur lesquels repose le mode de gouvernement démocratique.
La loi de la majorité est un moyen d'organiser la vie publique et de faire les choix qu'elle suppose ; ce n'est en rien une forme d'oppression. Aucun groupe autoproclamé n'a le droit d'opprimer les autres et aucune majorité, même dans une démocratie, n'est fondée à supprimer les libertés et les droits fondamentaux de la minorité ou des individus.

Qu'elles reposent sur des questions ethniques, religieuses ou géographiques, ou qu'elles résultent d'inégalités de revenu, ou qu'elles viennent seulement d'une défaite à des élections ou dans un débat d'idées et de programmes politiques, les minorités jouissent des droits de l'homme fondamentaux garantis par la loi, dont aucun gouvernement, aucune majorité, élue ou non, ne saurait les priver.

Les minorités doivent avoir la certitude que les pouvoirs publics protégeront, quoi qu'il arrive, leurs droits et leur identité. Lorsqu'elles ont cette confiance fondamentale, elles se sentent libres de participer aux institutions démocratiques de leur pays et d'apporter leur contribution.

Les droits de l'homme fondamentaux que tout gouvernement démocratique doit protéger sont notamment la liberté de parole et d'expression, la liberté de religion et de croyance, le respect de l'État de droit, c'est-à-dire l'application de la loi selon les procédures prévues, une égale protection de tous par la loi et la liberté de chacun de s'organiser, de s'exprimer, d'avoir une opinion différente et de participer pleinement à la vie publique de la société.

Les démocraties savent que la protection du droit des minorités à conserver leur identité culturelle et leurs pratiques sociales et à jouir de la liberté de conscience et de pratique religieuse est un de leurs premiers devoirs.

L'acceptation et le respect de groupes ethniques et culturels pouvant sembler étranges voire étrangers à la majorité constituent l'une des plus grandes difficultés auxquelles est confronté tout gouvernement démocratique. Mais les démocraties savent que la diversité d'une population peut constituer un formidable atout. Elles considèrent donc ces différences d'identité, de culture et de valeurs comme un défi susceptible de les renforcer et de les enrichir et non comme une menace.

Il y a de multiples façons de résoudre le problème posé par les différences d'opinions et de valeurs des minorités, mais une chose est sûre : seuls le principe démocratique de tolérance, la pratique du débat et l'acceptation de compromis peuvent permettre aux sociétés de forger des ententes reposant sur les deux piliers que sont la loi de la majorité et les droits de la minorité.


Tolérance

De Wikiberal
 
La tolérance, du latin tolerare (soutenir, supporter), définit le degré d'acceptation face à un élément contraire à une règle morale, civile ou physique. Plus généralement, elle définit la capacité d'un individu à accepter une chose avec laquelle il n'est pas en accord. Et par extension, l'attitude d'un individu face à ce qui est différent de ses valeurs.
La notion de tolérance s'applique à de nombreux domaines :
  • la tolérance sociale : attitude d'une personne ou d'un groupe social devant ce qui est différent de ses valeurs morales ou ses normes,
  • la tolérance civile : écart entre les lois et leurs applications et l'impunité,
  • la tolérance selon Locke : « cesser de combattre ce qu'on ne peut changer »,
  • la tolérance religieuse : attitude devant des confessions de foi différentes. 

La tolérance comme moyen libéral dans la recherche de la vérité

Cette attitude a constitué l'apport libéral en vue de résoudre les crises issues des guerres de religion. Plusieurs auteurs, de Grotius à Pierre Bayle, ont développé la thèse suivant laquelle des individus de confessions différentes pouvaient coexister sans heurts tout en conservant leur foi propre. A noter que cette thèse était généralement admise en Orient depuis fort longtemps : ainsi l'édit n° XII du roi Asoka (273 av. J.-C. - 232 av. J.-C.) affirmait : « On ne devrait pas honorer seulement sa propre religion et condamner les religions des autres sans motif valable ; ce faisant, on fait du tort autant à sa propre religion qu'à celle des autres. Le contact entre les religions est une bonne chose ».

XVIIe siècle

Dans l'Angleterre du XVIIe siècle, tourmentée par les conflits religieux et politiques, les Levellers ont également défendu la liberté de croyance et de culte. Pour l'un d'eux en particulier, William Walwyn, auteur notamment d'un libelle intitulé Toleration justified and Persecution condemned (1646), l'État ne peut contraindre quiconque à suivre la religion majoritaire. Se fondant sur saint Paul, pour lequel tout ce qui ne vient pas de la foi est péché, il estime qu'obliger un individu à adhérer à une foi à laquelle il ne croit pas revient à le transformer en menteur et en hypocrite, donc en pécheur. En outre, la persécution religieuse est vaine, car seuls les arguments rationnels, et non la force coercitive, sont aptes à convaincre autrui de la vérité. A ceux qui avancent que la diversité religieuse engendre le chaos, Walwyn réplique que c'est bien plutôt l'uniformité forcée qui crée le désordre. Cet argument sera utilisé à la même époque par certains sociniens (disciples de Lelio et Fausto Sozzini, rejetant la Trinité, et en particulier la nature divine du Christ). Mais, surtout, usant d'un argument anticipant ceux de Hayek en d'autres domaines, Walwyn insiste sur la faillibilité humaine. Si bien qu'il est téméraire et présomptueux d'oser obliger des individus à adhérer à une foi qui, au final, peut se révéler être dans l'erreur ! Le "Niveleur" conclut que, derrière la défense de la persécution, se cache moins la quête de la vérité qu'une volonté de puissance politique.
Pour John Locke, la tolérance se justifie sur deux plans: en premier lieu, le magistrat civil n'est habilité qu'à s'occuper de protéger la vie, la liberté et propriété, il ne lui revient donc pas de gouverner les âmes. Ensuite, du point de vue même de la foi, le salut ne peut advenir qu'à ceux qui embrassent sincèrement la foi. Il est donc immoral et contraire aux préceptes chrétiens de contraindre quiconque à observer la religion du prince.
Dans sa Lettre sur la tolérance (1686), il détaille son argumentation de la façon suivante :
«[...]Ce qu'il y a de capital et qui tranche le nœud de la question, c'est qu'en supposant que la doctrine du magistrat soit la meilleure, et que le chemin qu'il ordonne de suivre soit le plus conforme à l'Évangile, malgré tout cela, si je n'en suis pas persuadé moi-même du fond du cœur, mon salut n'en est pas plus assuré. Je n'arriverai jamais au séjour des bienheureux par une route que ma conscience désapprouve. (...) Quelques doutes que l'on puisse avoir sur les différentes religions qu'il y a dans le monde, il est toujours certain que celle que je ne crois pas véritable, ne saurait être ni véritable ni profitable pour moi. C'est donc en vain que les princes forcent leurs sujets à entrer dans la communion de leur Église, sous prétexte de sauver leurs âmes: si ces derniers croient la religion du prince bonne, ils l'embrasseront d'eux-mêmes; et s'ils ne la croient pas telle, ils ont beau s'y joindre, leur perte n'en est pas moins assurée. En un mot, quelque zèle que l'on prétende avoir pour le salut des hommes, on ne saurait jamais les forcer à se sauver malgré eux; et, après tout, il faut toujours finir par les abandonner à leur propre conscience. »
    — John Locke, Lettre sur la tolérance
Cependant, Locke fait deux exceptions à son principe de tolérance. C'est d'abord aux catholiques qu'il en refuse le bénéfice. S'il le fait, ce n'est pas à cause de leurs options spéculatives (par exemple : la transsubstantiation), mais en raison de leurs considérations pratiques, telles que le déni d'être soumis à un prince excommunié et leur voeu d'obéissance à un souverain étranger (i. e. le Pape).
Ce sont ensuite les athées qui sont exclus de toute marque de tolérance. Pour le philosophe :
«Ceux qui nient l'existence de Dieu ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir parole; et que, si l'on bannit du monde la croyance d'une divinité, on ne peut qu'introduire aussitôt le désordre et la confusion générale. »
    — John Locke, Lettre sur la tolérance

XVIIIe siècle

A la suite de Locke, face aux excès de l’État et de l’Église, la tolérance est une revendication essentielle des philosophes et encyclopédistes du XVIIIe siècle et des Lumières françaises. Voltaire notamment publie en 1763 son Traité sur la tolérance.

XIXe siècle

Au XIXe siècle, un catholique libéral comme Charles de Montalembert a développé l'idée suivant laquelle il fallait distinguer dogmatisme théorique et tolérance civile, car ils ne se situent pas sur le même plan. Du reste, celle-ci ne contredit pas celui-là, dans la mesure où être tolérant ne consiste pas à croire que chacun détient sa part de vérité (ce qui supposerait que la vérité objective n'existe pas), mais à comprendre que la recherche de la vérité ne peut se dérouler pacifiquement que si l'on laisse les adeptes d'obédiences diverses pratiquer librement leur culte. Combattre l'erreur par la force, c'est courir le risque de réprimer également la vérité. En voulant vaincre par le glaive politique de fausses doctrines, on détruit aussi ce que le libéral catholique nomme la "liberté du bien". Il justifie ainsi sa position :
« Demander la liberté pour les autres en la demandant pour soi, ce n'est pas accorder des droits à "l'erreur", car là n'est pas la question; c'est admettre "les exigences inévitables et invincibles de ses adversaires; mais demander la liberté pour soi, en déclarant qu'on s'en servira pour la refuser aux autres, c'est perdre d'avance sa cause et la perdre en la déshonorant. »
Il écrit aussi très clairement que, ce n'est pas parce que de nombreux libéraux ont cédé aux sirènes de l'anticléricalisme le plus intolérant que l'Église doit les imiter en combattant, à l'inverse, la liberté :
« Les libéraux portent en ce moment, dans toute l'Europe, la peine d'avoir combattu ou méprisé la religion, d'avoir cru qu'ils pouvaient se passer de force spirituelle, et ne tenir aucun compte de l'ordre surnaturel. Les catholiques commettraient à leur tour une faute, qu'un prompt châtiment viendrait atteindre, s'ils voulaient abandonner la liberté. »
Dans le même ordre d'idées, peu de temps avant Montalembert, Benjamin Constant, protestant pour sa part, estimait que l'athéisme était tellement indigent qu'il s'éteindrait de lui-même si la liberté de croyance était réellement respectée. Sa grande idée est que le seul moyen d'affaiblir une opinion erronée est d'établir son libre examen, et non de la censurer. Pour lui :
« L'intolérance en plaçant la force du côté de la foi a placé le courage du côté du doute. »
    — Benjamin Constant, Principes de politique
Plus encore, Constant considère que la mise en concurrence des croyances les plus diverses contribuerait progressivement au triomphe de la vérité.

XXe et XXIe siècles

Pour les libéraux, la tolérance ne signifie donc nullement approbation de ce qu'autrui croit ou affirme, mais prône seulement la résolution pacifique et rationnelle des querelles doctrinales et morales. La tolérance se situe, par conséquent, aux antipodes du nihilisme ou du relativisme.
On notera que l'organisation de nos social-démocraties se situe à l'exact opposé de ce point de vue, puisque la multiplicité des modes de vie et de pensée y est présentée comme une source potentielle de conflits, devant être canalisée par un contrôle permanent de l'État (pensons à la laïcité obligatoire en France, à l'intervention des pouvoirs publics dans les programmes d'enseignement scientifique, etc.) D'une certaine manière, la social-démocratie a repris à son compte la célèbre formule datant de la paix d'Augsbourg (1555) et que Louis XIV s'appropriera avec la Révocation de l'Edit de Nantes (1685): Cujus regio, ejus religio (en clair : la religion du prince dicte celle du pays) de sorte que, l'État souverain étant aujourd'hui « laïque », tels doivent être les citoyens en s'abstenant d'exprimer publiquement leur foi. La liberté religieuse, combat libéral contre l'absolutisme politique, est donc loin d'être acquise de nos jours.
Les libéraux contestent donc ce que Ron Paul appelle « un interventionnisme social influencé par l’intolérance des habitudes et des modes de vie différents », qu'il s'agisse de paternalisme d'état ou de l'imposition d'une morale particulière ou d'un modus vivendi particulier :
« Pour beaucoup de gens, l’idée erronée que la tolérance revient à approuver certaines activités les motive à demander à incorporer dans la législation des normes morales qui ne devraient être du ressort que des individus eux-mêmes, effectuant leurs propres choix. »
    — Ron Paul, Discours d’adieu au Congrès, 14 novembre 2012

La Tolérance : limitation de la souveraineté étatique

A ce titre, Émile Faguet notait dans son Libéralisme (1902) que l'État (français en particulier) n'avait jamais aimé la religion, car il l'avait toujours perçue comme un gouvernement des âmes susceptible de le concurrencer et de le déstabiliser.
« Rien ne limite l'État comme une Église car il est incontestable qu'elle limite le gouvernement lui-même, puisqu'elle partage avec lui. »
C'est pourquoi, au final, la liberté religieuse est toujours la plus menacée, explique Faguet. Elle l'a été sous les Romains comme sous la monarchie anglaise ou française. Et d'ajouter :
« L'État est toujours antireligieux, même quand il administre la religion, surtout quand il l'administre; car il ne l'administre que pour la supprimer que comme religion véritable. Tâchons cependant de ne point exagérer, mais disons que l'État a quelque tendance à ne pas aimer beaucoup même la morale. »

Libre arbitre

De Wikiberal
 
Le libre arbitre décrit la propriété qu’aurait la volonté humaine de se déterminer librement — voire arbitrairement — à agir et à penser, par opposition au déterminisme ou au fatalisme, qui affirment que la volonté est déterminée dans chacun de ses actes par des forces qui l’y nécessitent. Se déterminer à ou être déterminé par : tel est tout l’enjeu de l’antinomie du destin et du libre arbitre. 

L’origine augustinienne du concept

L’expression française de « libre arbitre » rend insuffisamment compte du lien indissoluble qui l’unit à la notion de volonté, lien apparaissant clairement dans les expressions anglaise (Free will) et allemande (Willensfreiheit), qui présentent cependant le désavantage de dissoudre la notion d’arbitre ou de choix essentielle au concept. « Libre arbitre » (liberum arbitrium en latin) est la contraction de l’expression technique : « libre arbitre de la volonté ». De ce concept forgé par la théologie patristique latine, il n’est pas exagéré d’écrire qu’il fut inventé pour disculper Dieu de la responsabilité du mal en l’imputant à sa créature. Ceci apparaît avec clarté dans le traité De libero arbitrio d’Augustin d'Hippone, fondé sur le dialogue d’Evodius et d’Augustin. Evodius pose le problème en des termes abrupts : « Dieu n’est-il pas l’auteur du mal ? ». Si le péché est l'œuvre des âmes et que celles-ci sont créées par Dieu, comment Dieu n’en serait-il pas, in fine, l’auteur ? Augustin répond sans équivoque que « Dieu a conféré à sa créature, avec le libre arbitre, la capacité de mal agir, et par-là même, la responsabilité du péché ».
Grâce au libre arbitre, Dieu reste impeccable : sa bonté ne saurait être tenue pour responsable d’aucun mal moral. Mais n’est-ce pas déplacer le problème sans le résoudre ? Pourquoi Dieu nous a-t-il conféré la capacité de pécher :
d’où vient que nous agissons mal ? Si je ne me trompe, l’argumentation a montré que nous agissons ainsi par le libre arbitre de la volonté. Mais ce libre arbitre auquel nous devons notre faculté de pécher, nous en sommes convaincus, je me demande si celui qui nous a créés a bien fait de nous le donner. Il semble, en effet, que nous n’aurions pas été exposés à pécher si nous en avions été privés ; et il est à craindre que, de cette façon, Dieu aussi passe pour l’auteur de nos mauvaises actions (De libero arbitrio, I, 16, 35).
La réponse d’Augustin est que la volonté est un bien, dont l’homme peut abuser certes, mais qui fait la dignité de l’homme. Qui voudrait ne pas posséder de mains sous prétexte que celle-ci servent parfois à commettre des crimes ? Or, cela est plus vrai encore du libre arbitre : si on peut vivre moralement en étant privé de l’usage de ses bras, on ne saurait jamais accéder à la dignité de la vie morale sans libre arbitre :
la volonté libre sans laquelle personne ne peut bien vivre, tu dois reconnaître et qu’elle est un bien, et qu’elle est un don de Dieu, et qu’il faut condamner ceux qui mésusent de ce bien plutôt que de dire de celui qui l’a donné qu’il n’aurait pas dû le donner(ibid., II, 18, 48).

Mais le paradoxe d’Augustin, qui fait aussi sa richesse et qui explique pourquoi il a pu inspirer, au sein du christianisme, des théologies tellement divergentes, tient à la diversité de ses adversaires. S’il affirme, dans le traité De libero arbitrio, l’existence du libre arbitre contre les manichéens qui attribuaient au divin la responsabilité du mal, il tend, contre les Pélagiens, à en minimiser le rôle dans l'œuvre du salut, sous prétexte que l’homme a, par le péché originel, perdu l’usage de cette faculté : « amissa libertas, nulla libertas » (« liberté perdue, liberté nulle »). Seule la grâce, gratuitement octroyée par Dieu, peut accomplir l'œuvre du salut. Gardons en mémoire cette position paradoxale, qui fait que les Réformateurs et les catholiques pourront, sans contradiction, se revendiquer d’Augustin dans les controverses au sujet du rôle respectif de la grâce et du libre arbitre dans l'œuvre du salut.

L’élaboration scolastique

La scolastique a considérablement élaboré ce concept inventé par Augustin, en s’appuyant sur Aristote. Les Grecs ignoraient le libre arbitre, n’ayant pas la notion de volonté mais plutôt celle d’acte volontaire, étudiée au troisième livre de l’Éthique à Nicomaque.
Dans ce livre, Aristote définit le volontaire par l’union de deux facultés : la spontanéité du désir (agir par soi-même), dont le contraire est la contrainte, et l’intentionnalité de la connaissance (agir en connaissance de cause), dont le contraire est l’ignorance. Ainsi, j’agis volontairement quand :
  • a/ j’agis spontanément (je trouve le principe de mes actes à l’intérieur de moi-même, contrairement à l’individu qui est emmené pieds et poings liés par des ravisseurs), et
  • b/ j’agis en sachant ce que je fais (contrairement à celui qui administre à un patient un poison en croyant sincèrement lui administrer un remède, parce que le pharmacien a interverti les étiquettes).
Le volontaire suppose ainsi l’union de la spontanéité et de l’intentionnalité ; il est la condition de la responsabilité morale de l’individu (je ne saurais être tenu pour responsable du fait d’avoir quitté mon pays quand j’ai été enlevé par des agresseurs auxquels il m’était matériellement impossible d’échapper, ou quand j’ai franchi par mégarde une frontière qui n’était pas clairement signalée, en ayant eu l’intention de rester sur le territoire national). Ces analyses aristotéliciennes ont été fondamentales pour l’élaboration scolastique du concept de libre arbitre. Les théologiens chrétiens retiendront d’Aristote la notion de libre comme associant la volonté (spontanéité) et la raison (intentionnalité), et comme fondant la responsabilité de l’individu devant les lois morales, pénales et divines.
La scolastique définit traditionnellement le liberum arbitrium comme « facultas voluntatis et rationis » (faculté de la volonté et la raison : cf. Thomas d'Aquin, Somme théologique, I, q. 82, a.2, obj. 2). Cette expression est exacte si elle désigne la collaboration de ces deux facultés dans la genèse de l’acte libre, mais erronée en un sens plus technique. À proprement parler, le libre arbitre est une puissance de la volonté (ibid., q. 83, a. 3) ; mieux, elle est la volonté elle-même en tant que la volonté opère des choix. Le libre arbitre, en son essence, n’est autre que la volonté dans la libre disposition d’elle-même ; vouloir, c’est décider librement, et c’est donc être libre. L’acte libre répond au schéma suivant : la volonté éprouve le désir d’un bien (appétition), qui constitue la fin de l’action ; elle sollicite la raison à délibérer sur les moyens de parvenir à ce bien (délibération), mais c’est à elle qu’appartient de choisir le moyen qui lui semble le plus approprié (electio en latin, qui signifie choix) pour parvenir à cette fin, de mouvoir le corps pour mettre en œuvre ces moyens (l’action à proprement parler), et de jouir du bien obtenu (fruition). C’est donc la volonté qui joue le rôle moteur et elle ne parviendrait à rien sans le concours de la raison. Dans ce schéma de l’action, le libre arbitre se manifeste tout particulièrement dans le choix, que Thomas d’Aquin définissait comme l'« actus proprius » (l’acte éminent ou l’acte propre) du liberum arbitrium.
Thomas d’Aquin entend prouver la réalité du libre arbitre par deux moyens.
  • Le premier est la preuve morale, corrélat de l’argument moral anti-fataliste (voir l’article fatalisme). L’homme est tenu pour moralement responsable de ses actes ; or, ceci serait impossible s’il n’était pas doué de liberté. La doctrine qui nie le libre arbitre est foncièrement immorale en tant qu’elle détruit le principe même de la responsabilité.
L’homme possède le libre arbitre ; ou alors les conseils, les exhorations, les préceptes, les interdictions, les récompenses et les châtiments seraient vains(Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, q. 83, a. 1, rép.).
  • Le second argument thomiste en faveur du libre arbitre est l’étude de l’action humaine, qui se distingue des mouvements physiques (la pierre tombe nécessairement vers le bas) et des actions animales (les animaux agissent d’après un jugement instinctif, qui n’est pas libre : l’instinct de la brebis la pousse nécessairement à suivre le loup). Seul l’homme agit d’après un jugement libre, qui « n’est pas l’effet d’un instinct naturel s’appliquant à une action particulière, mais d’un rapprochement de données opéré par la raison (...) En conséquence, il est nécessaire que l’homme ait le libre arbitre, par le fait même qu’il est doué de raison » (ibidem). Choisir, c’est toujours se déterminer, par l’intelligence, entre deux ou plusieurs possibles : c’est donc être libre.

Critiques

Le concept de libre arbitre a fait l’objet de deux critiques, l’une théologique (attribuer à l’homme un libre arbitre, n’est-ce pas nier le rôle de la grâce divine dans l'œuvre du salut ?), et l’autre philosophique (le libre arbitre ne revient-il pas à nier l’influence des motifs qui déterminent nos choix et nos actions ?). La première critique est motivée par le prédestinationisme : elle aboutit aux querelles autour de la prédestination caractéristiques de la Réforme. La seconde est motivée par le nécessitarisme, le fatalisme et le déterminisme.

Critique théologique : la controverse de la prédestination

Le libre arbitre est l’une des deux réponses à la question du salut (sotériologie) telle qu’élaborée par les théologiens de la Renaissance. L’autre réponse est la prédestination chez Martin Luther, voire la double prédestination chez Jean Calvin.
Plus largement, la question du libre arbitre tente de situer le rôle de la volonté humaine dans la conduite d’une vie bonne (susceptible de mener au salut) face à un Dieu conçu comme tout puissant. De cette façon, la question du libre arbitre traverse les 3 monothéismes et les réponses que chacun d’entre eux donne méritent l’examen.
Avec l’humanisme, Érasme et Luther partage le goût de la lecture et du commentaire de la Bible avec le rejet de la glose scolastique. Luther est un jusqu’au-boutiste tandis qu’Erasme est un modérateur. Luther espère avoir le soutien d’Érasme dont l’autorité morale est alors considérable dans sa querelle contre l’autorité ecclésiastique. Mais les deux hommes vont s’opposer sur le concept de libre arbitre. En bon augustinien, Erasme soutient le libre arbitre, c’est-à-dire la responsabilité de l’homme devant Dieu concernant ses actes. Au contraire, se fondant notamment sur le péché originel, le moine augustinien Luther défend la prédestination, c’est-à-dire le serf arbitre et la justification par la foi, chère à Paul de Tarse. Alors, Erasme et Luther perdent toute modération. Tandis que le frère Martin, en 1519 se disait « admirateur convaincu » d’Erasme, il en viendra à qualifier celui-ci de « venimeux polémiste », de « pourceau d’Épicure* », d’écrivain « ridicule, étourdi, sacrilège, bavard, sophiste, ignorant ».
(*) Épicure philosophe hédoniste est représenté suivi d’un porc par ses adeptes. Cet animal, sous l’influence biblique sera pris en mauvaise part.

Critique philosophique : le problème de la liberté d’indifférence

La critique philosophique du libre arbitre tient au rôle des motifs (raisons de choisir) dans la détermination du choix et, par conséquent, de l’action. Suis-je vraiment libre de choisir entre deux objets, l’un qui représente un grand bien, et l’autre, un moindre bien ? De deux choses l’une.
  • Soit je choisis le plus grand bien : peut-on alors dire que mon acte est libre ? N’est-il pas plutôt déterminé par les motifs, ou plus exactement, par la prévalence d’un motif sur l’autre ?
  • Soit je choisis le moindre bien, mais comment un acte aussi absurde pourrait-il être libre ? Et si je le choisis afin de prouver que je suis libre, cela revient au premier cas de figure : la volonté d’établir la réalité de ma liberté s’est avérée un motif plus déterminant que l’objet préférable. Dans l’un et l’autre cas, je ne serais pas libre.
Pour remédier à ce problème, la doctrine scolastique a inventé le concept de liberté d’indifférence. Soit un individu appelé à choisir entre deux biens identiques, et donc indifférents. Il y a ici une équivalence des motifs : rien ne le détermine à préférer l’un à l’autre. Or, la volonté éprouve qu’elle est douée de spontanéité : même en ce cas, elle peut se déterminer à choisir. L’acte ne trouve pas alors son explication dans les motifs, ni par conséquent dans les objets, mais dans le sujet lui-même en tant qu’il est doué d’une capacité à agir arbitrairement. Le concept de liberté d’indifférence établirait, avec la spontanéité de la volonté, la réalité du libre arbitre. Par extension, la liberté d’indifférence s’applique aux cas où il n’y pas d’équivalence des motifs : je puis fort bien préférer un moindre bien à un plus grand bien, prouvant ainsi que je suis le seul sujet ou la seule cause de mes actes.
La liberté d’indifférence fut très critiquée par la plupart des philosophes et par de nombreux théologiens (Thomas d’Aquin n’y souscrivait pas). Leibniz opposait à ce concept les objections suivantes.
  1. Choisir arbitrairement ne témoigne pas de notre liberté : c’est bien plutôt un acte irrationnel, fruit du hasard ou du caprice. La liberté, n’est-ce pas plutôt la capacité à opérer les meilleurs choix possibles ?
  2. La liberté d’indifférence est fictive. En vertu du « principe des indiscernables », deux objets ne peuvent être absolument identiques : ils doivent nécessairement se distinguer par quelque différence. Qui sait si celle-ci ne nous influence pas à notre insu ?
  3. La liberté d’indifférence n’est-elle pas illusoire ? En vertu du principe des petites perceptions, il arrive que nous soyons déterminés à choisir ou à agir par un motif inconscient, perçu par notre âme mais non aperçu par la conscience. Leibniz anticipe ici le concept d’inconscient, ainsi que celui des phéromones et des images subliminales. Qui sait si un choix, en apparence arbitraire, n’obéit pas à une motivation inconsciente, comme le montrera André Gide dans Les caves du Vatican ?
  4. De plus, Leibniz est intellectualiste plutôt que volontariste. Il critique le schéma naïf du libre arbitre de la philosophie scolastique, qui revient à représenter la volonté comme un reine toute-puissante, partagée entre son conseiller (la raison) et ses courtisans (les passions). Dans la réalité, la volonté n’est pas une faculté subsistant par elle-même : elle n’est autre que l’effort de l’intelligence en tant qu’elle se détermine à agir d’après ses jugements.
Si Leibniz ne reconnaît pas le concept de liberté d’indifférence, il ne donne pas pour autant dans un déterminisme niant tout libre arbitre. Être libre, c’est se déterminer à choisir par la meilleure raison possible. Se déterminer n’est pas être déterminé : c’est trouver le principe de ses actes à l’intérieur de soi-même.

Philosophie rationaliste

Si le thomisme attribue le libre arbitre à Adam, dans le jardin d’Eden, principalement pour lui imputer l’origine du mal par la responsabilité du péché originel, la philosophie juive voit les choses d’un œil différent, selon qu’elle situe sa réflexion avant la révolution cartésienne ou après. Deux philosophes rationalistes, Maïmonide et Spinoza s’accordent sur l’idée suivante :
  • la connaissance du bien et du mal est différente de la science du vrai et du faux,
  • cette non coïncidence est un pis-aller car, dans le jardin d’Eden d’avant la chute, la connaissance rationnelle du vrai et du faux rendait inutile, et même inexistante, celle du bien et du mal.

Pour Maïmonide

Par la raison, l’homme distingue le vrai du faux et ceci a lieu dans toutes choses intelligibles (Guide des Égarés, 1re partie, chap. 2)
Le bon et le mauvais, le beau et le laid ne ressortent pas de l’intelligible, du rationnel, mais de l’opinion, du probable.
Tant qu’Adam possédait parfaitement et complètement la connaissance de toutes choses connues et intelligibles, il n’y avait en lui aucune faculté qui s’appliquât aux opinions probables et même il ne les comprenait pas (ibidem). Le bien et le mal n’existaient même pas ; seules existaient les choses intelligibles et nécessaires. La perte de cette connaissance parfaite de toutes choses intelligibles dont lui faisait bénéfice sa fusion avec Dieu fait accéder Adam à un état nouveau, un monde différent :
  • les choses lui sont connues autrement que par la raison,
  • la façon dont il les connaît relève de l’opinion contingente qu’il s’en fait : elles sont belles ou laides, bonnes ou mauvaises.

Pour Spinoza

La filiation de Maïmonide à Spinoza est évidente dans ce qui suit : Si les hommes naissaient libres, et tant qu’ils seraient libres, ils ne formeraient aucun concept du bien et du mal […] [car] Celui-là est libre qui est conduit par la seule raison et qu'il n'a, par conséquent que des idées adéquates (Éthique IV, proposition 68)
L'homme libre n'a donc aucun concept du bien et du mal lequel est le résultat d'idées inadéquates et confuses, non plus que d'un bien qui lui serait corrélé. Spinoza définit le bien au début de la partie IV de l'Éthique : Ce que nous savons avec certitude nous être utile (Éthique IV, définition 1)
Rapprochant cette définition de sa Préface et des propositions 26 et 27, son éthique nous renvoie à une éthique des vertus plutôt qu'à un utilitarisme.
Toutefois, observant que les hommes ne sont que des parties de la nature, il en déduit que cette hypothèse d’une liberté de l’homme dès la naissance est fausse. Les parties de la nature sont soumises à toutes les déterminations de celle-ci, et elles sont extérieures à l’homme. Il considère donc que le sentiment de liberté de l’homme résulte du fait qu’il n’a connaissance que des causes immédiates des événements rencontrés. Il parle alors de libre nécessité.
Spinoza commente alors ainsi l’épisode du jardin d’Eden. C’est cette détermination que semblent signifier les paroles de Moïse dans la fameuse histoire du premier homme […] cette liberté originaire impossible quand Moïse raconte que Dieu interdit à l’homme libre de manger le fruit de la connaissance du bien et du mal et que, dès qu’il en mangerait, il craindrait la mort plus qu’il ne désirerait la vie (Éthique IV, proposition 68, scolie)

Comment reposer aujourd’hui la question du libre arbitre ?

À partir de la philosophie des sciences

Aujourd’hui, la physique moderne élimine la connaissance des causes sans faire de l’indétermination quantique la preuve d’un hasard essentiel. La connaissance des causes, même limitée aux causes efficientes disparaît des explications au profit de lois mathématiques prédictives parce que probabilistes et calculables..
« La croyance en la relation de cause à effets, c’est la superstition », Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 5.1361, Gallimard
Encore que, jusqu’ici, cette affirmation n’est généralisable qu’aux sciences dures où le fortuit désigne ce qui intervient non seulement sans cause finale ou efficiente mais surtout sans loi probabiliste calculable. L’indéterminisme quantique représente la prise en compte des limites de la connaissance : celle d’une limite infranchissable en pratique comme en théorie en ce qui concerne la réalité en soi. Contrairement à la réalité en soi de Kant, cette indétermination ne dégage pas l’espace non-phénoménal d’une liberté : les lois probabilistes s’appliquent au niveau des phénomènes observables. En ce qui concerne le non observable, c’est l’équation de Schrödinger qui en rend compte.
On pense généralement que la croyance dans le libre arbitre fonde à elle seule une éthique de la responsabilité. La psychanalyse nous a montré que la plupart de nos actes dépendaient plus de notre inconscient que de notre volonté consciente. Ce savoir aboutit au paradoxe que les criminels sexuels sont à la fois des criminels susceptibles de rendre des comptes à la justice du fait de leur responsabilité et des malades, commandés par leur inconscient et leurs hormones qui doivent être soignés. La jurisprudence fait entrer ce paradoxe dans son arsenal avec l’injonction thérapeutique où le suivi médical devient une peine.
Dans cette limitation, on rencontre l’intuition de Nietzsche quand décrivant l’éternel retour, il a l’intuition d’une volonté créatrice déterminée par le passé qu’elle tente de justifier :
« Je leur ai enseigné toutes mes pensées et toutes mes aspirations : à réunir et à joindre tout ce qui chez l’homme n’est que fragment et énigme et lugubre hasard, en poète, en devineur d’énigme et rédempteur du hasard. Je leur ai appris à être créateur de l’avenir et à sauver, en créant, tout ce qui fut. Sauver le passé dans l’homme et transformer tout ce qui était jusqu’à ce que la volonté dise : "Mais c’est ainsi que je voudrais que ce fut. Mais c’est ainsi que je le voudrais" », Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, III, 3 - Des vieilles et des nouvelles tables

Libre arbitre et hypothèse d’Everett

Dans le cas où l’hypothèse d’Everett serait fondée — hypothèse selon laquelle existeraient des univers parallèles, ce qui n’est pas établi —, tous les futurs possibles (ou plus exactement un nombre de futurs possibles ayant la constante de Planck en dénominateur !) à chaque moment de l’univers en chaque lieu se produiraient effectivement : il n’y a pas de hasard quantique; si une particule semble devoir choisir au hasard entre deux directions, en réalité il existerait un univers dans lequel la particule prend à gauche et un autre dans laquelle elle prend à droite.
Le rapport avec le libre arbitre de la personne humaine est plus que ténu. Sans qu’il soit possible de se prononcer sur la validité de l’hypothèse d’Everett, on peut examiner à titre d’expérience de pensée en quels termes elle influerait la question du libre arbitre si elle était exacte : dans la mesure ou tous les futurs possibles (possibles selon les lois de la physique quantique, ce qui ne signifie donc pas tous les futurs imaginables) se produisent et où chaque observateur situé dans l’un de ces univers improprement nommés parallèles a l’impression d’être le seul, le libre arbitre devient en fait un non-problème. Voir David Deutsch.


Alain Genestine

La Panarchie
(2012)
 

 

octobre 18, 2014

Le Libéralisme de Wilhelm Röpke, l'antidote au keynésianisme!

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

W. Röpke (1899-1966), un des chefs de file de l'ordolibéralisme, était un partisan de la libre concurrence tout en plaidant pour un conservatisme moral. Récusant le laissez-faire utilitariste, il ne ménageait pas davantage ses critiques à l'encontre de Keynes et surtout de l'Etat providence. Il est le promoteur de l'idée d'"économie sociale de marché"  reprise dans un contexte tout autre aujourd'hui. Un libéralisme à tendance ou composante conservatrice, celui des "fondateurs" (Locke, Montesquieu, Adam Smith...), celui de Tocqueville, dont les héritiers contemporains sont en particulier les représentants de l'ordo-libéralisme allemand et du néo-conservatisme américain, soit W. Röpke et I. Kristol.



Au début des années 1950, la section française de la Société du Mont-Pèlerin, créée en 1947 par F. von Hayek et Wilhelm Röpke, est composée de dix-huit membres, à la jonction entre l’université et le patronat. Le CNPF finance généreusement ses activités. À l’origine de think tanks qui fonctionnent encore aujourd’hui dans de nombreux pays, elle réunit des individus aux convictions diverses, qui vont du libéralisme radical (F. von Hayek ou J. Rueff) à des positions très modérées (W. Röpke), et organise des connexions entre réseaux académiques, politiques et patronaux. Car, et ce fut certainement la conviction de F. von Hayek, « les idées, aussi radicales soient-elles, ne transportent pas avec elles leurs conditions d’efficacité », elles nécessitent pour être mises en œuvre un activisme discret et des alliances improbables.
 
Wilhelm Röpke (1899-1966), l'un des chefs de file de l'influente école allemande de L'ordo-libéralisme allemand pendant les années 1935-1965, aller « au-delà de l'offre et de la demande » ne revient pas à dépasser et encore moins répudier l'économie de marché, mais à la réintégrer dans un lien social et un ordre moral aux connotations parfois très conservatrices. Et s'il récuse le laissez-faire utilitariste, W. Röpke ne ménage pas davantage ses critiques à l'encontre de Keynes et surtout de l'État providence et du « socialisme fiscal » - accusés de conduire à un collectivisme liberticide et ruineux. Donnant accès à la pensée parvenue à pleine maturation d'un néolibéral « social », la réédition de la traduction de Jensseits von Angebot un Nachfrage (1958) jamais republiée depuis 1961 vient d'autant plus à son heure qu'elle éclaire le sens originel de l'idée d'« économie sociale de marché » (dont Röpke fut, avec Walter Eucken et Ludwig Erhard, le promoteur intellectuel) convoquée dans les récents débats sur la Constitution européenne puis ceux relatifs à la crise économique commencée en 2008. (voir biblio ,Mollat de Bordeaux)
L’économiste et philosophe W. Röpke (1899-1966) est, avec Walter Eucken ’un des pères fondateurs du système économique et politique de la République fédérale, aux côtés d’Adenauer et d’Erhard. Sa contribution à la « question allemande » a été essentielle : dès 1945, il plaidait pour l’économie de marché, le fédéralisme et l’arrimage à l’Ouest. Esprit des Lumières, autorité morale plus que praticien, il a défendu tout au long de sa vie – de la République de Weimar à la jeune RFA – les valeurs fondées sur les libertés, la raison économique et la responsabilité politique. Les théories qu’il a développées (échanges extérieurs, conjoncture, libéralisme organisé) poursuivent toutes une approche globale, plaçant le facteur humain au cœur de la cité. Dès lors, la science a pour mission de guider le politique et d’éclairer l’opinion ; l’économie aussi relève des sciences morales. A l’heure où on commence, outre-Rhin, à opérer un retour aux sources de la doctrine qui avait permis à la jeune RFA de renouer avec la prospérité, la lecture de cette biographie s’impose. 

"La crainte de voir les institutions européenne se transformer en super-Etat est aussi ancienne que la Communauté elle-même. Personne, probablement, ne l'a mieux exprimée que Wilhelm Roepke : écrivant en 1958, il voyait dans les institutions communautaires l'instrument d'une planification économique et politique généralisée - d'un saint-simonisme européen - encore plus dangereuse qu'au niveau national. Pour Roepke, la division traditionnelle entre socialistes et libéraux n'était plus la distinction politique fondamentale de nos sociétés. La vraie opposition était celle des "centralistes" et des "décentralistes". Selon ses propres termes, "le problème du monde idéal est la décentralisation ou la centralisation ; s'il faut que le facteur fondamental soit l'individu (et le petit groupe) ou les grands ensembles collectifs - l'Etat, la nation voire un Etat unique englobant le monde entier - est devenue la vraie ligne de partage entre opinions opposées". Pour le "décentraliste" le renforcement politique et économique de l'Europe doit se faire en disant ce qui est vraiment l'essentiel : la variété, la liberté dans la solidarité, le respect de la personne humaine et de son individualité ; Le décentralisme est un élément essentiel de l'esprit européen. Accepter de diriger l'Europe à partir du centre, d'en faire l'objet d'une bureaucratie planificatrice, de la fondre en un bloc compact, équivaut à trahir l'Europe et son héritage spirituel. Un nationalisme et un dirigisme économique à l'échelle continentale ne représentent aucun progrès par rapport au nationalisme et au dirigisme des Etats-nations individuels 
(source Euro92)"

Voici le texte/conf.
Contributions du Colloque du 8 et 9 décembre 2000 Sous la direction de Patricia Commun, TRAVAUX ET DOCUMENTS DU CIRAC:

Aux sources de l'Economie sociale de marché

La pensée néolibérale française et l'ordolibéralisme allemand avec François BILGER

Lorsque j'ai écrit, il y a une quarantaine d'années, ma thèse sur la pensée libérale allemande ( F. Bilger, La Pensée économique libérale dans l'Allemagne contemporaine, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1964.) , j'ai été extrêmement frappé par la parenté existant entre l'école ordolibérale allemande, première véritable expression du libéralisme en Allemagne, et l'école physiocratique française, elle aussi initiatrice du libéralisme en France deux siècles plus tôt. Les similitudes étaient en effet frappantes, tant dans la forme que dans le fond. 
Les deux écoles ont en commun le culte d'un maître dont l'oeuvre contient les fondements théoriques et la synthèse de toute la doctrine : François Quesnay, Walter Eucken. Les deux écoles ont bénéficié de l'apport d'une science étrangère pour construire l'instrument théorique fondamental : la médecine pour le Tableau économique, le droit pour la Morphologie économique. Les deux écoles ont élaboré une doctrine où philosophie et théorie s'interpénètrent pour mener à la recommandation d'un ordre économique global et d'une politique économique très systématique. Les deux écoles ont fait montre d'un certain dogmatisme scientifique, avec la volonté qui en résulte d'enseigner à tous les hommes les voies du salut économique par la création d'un véritable « parti des savants ». Mais les deux écoles ont surtout cherché à gagner à leur cause les dirigeants et l'élite : entourage du roi et salons, conseils scientifiques et médias. Les deux écoles ont eu leur ministre préféré et célèbre : Anne Robert Jacques Turgot, Ludwig Erhard. Enfin les deux écoles ont eu une influence forte sur le plan national mais ont été supplantées sur le plan international par une autre école libérale : écossaise jadis, austro-américaine aujourd'hui. 

Ces similitudes ne doivent naturellement pas masquer d'importantes différences tenant au contexte historique, à l'évolution philosophique et au progrès scientifique. Il est clair en particulier que le système concurrentiel des ordolibéraux n'est pas du tout l'ordre naturel des physiocrates. De son côté, la pensée libérale française a beaucoup évolué depuis le XVIII' siècle. Il m'a cependant paru intéressant de relever cette curiosité historique, en exergue en quelque sorte à l'analyse comparative de l'ordolibéralisme allemand et du néolibéralisme français du milieu du XXè siècle à laquelle on m'a demandé de procéder.

Il m'a paru utile, pour fixer les idées, de rappeler et de grouper sur un tableau comparatif par ordre d'importance ou d'influence - appréciation évidemment subjective - les principaux auteurs et les oeuvres majeures des deux courants.

On peut constater que les oeuvres des divers maîtres sont extrêmement variées. En outre, elles présentent certes de fortes affinités dans chaque pays mais aussi de sensibles différences, de sorte qu'il peut sembler quelque peu artificiel de vouloir confronter la pensée néolibérale française et la pensée ordolibérale allemande. C'est particulièrement vrai en France où l'on a une juxtaposition d'individualités dont les travaux n'ont d'ailleurs jamais donné lieu à une présentation synthétique, ce qui explique sans doute en partie leur moindre influence sur le débat intellectuel. C'est moins frappant en Allemagne où W. Eucken a su réunir dès le départ et faire travailler ensemble un grand nombre de disciples pour constituer ce que l'on a appelé « l’école de Fribourg » avec une revue commune et un corpus central d'analyses et de propositions. S'il n'y avait l'exemple des physiocrates que je viens d'évoquer, on pourrait être tenté de voir dans cette différence une illustration supplémentaire de l'opposition entre l'individualisme ou éclectisme français et le sens allemand de l'organisation collective du travail. Mais il y a en réalité autant de divergences intellectuelles, par exemple entre W. Eucken et Alfred Müller-Armack, qu'entre Maurice Allais et Louis Baudin. En revanche, il est incontestable qu'il existe entre les penseurs des deux pays d'une part une parenté intellectuelle profonde tenant à leur commune adhésion au libéralisme économique, d'autre part un certain nombre de spécificités nationales tout à fait significatives qui justifient en définitive la confrontation des deux courants nationaux.

En bonne logique, cette analyse comparative comprendra donc deux parties, la première mettant en évidence toutes les similitudes et la seconde toutes les divergences que l'on peut relever entre le néolibéralisme français et l'ordolibéralisme allemand.

Les convergences

Ce sont les vastes bouleversements politiques, économiques et intellectuels engendrés par la Première Guerre mondiale, la révolution communiste, la réaction fasciste puis nationale-socialiste, enfin et surtout la crise économique mondiale des années trente qui ont provoqué l'émergence aussi bien en France qu'en Allemagne (comme simultanément dans d'autres pays développés) d'une nouvelle forme historique du vieux libéralisme économique.

Rien d'étonnant donc à ce que, réagissant aux mêmes évènements, un certain nombre d'économistes français et allemands contemporains aient élaboré une nouvelle conception économique largement semblable. Cette parenté se traduit dans trois convergences fondamentales.

Le rejet des nouvelles doctrines économiques collectivistes et autoritaires


En l'espace d'une vingtaine d'années après l'éclatement de la Première Guerre mondiale et les désordres économiques et sociaux qui l'ont suivie, une multitude de doctrines économiques ont surgi ou resurgi et ont rapidement obtenu une adhésion massive aussi bien dans les milieux intellectuels et politiques que dans l'opinion publique. Marxisme, socialisme, corporatisme, planisme, dirigisme, interventionnisme, keynésianisme se sont partagé les esprits. Le capitalisme et le libéralisme qui s'étaient progressivement étendus à l'ensemble du monde au cours du XIXè siècle jusqu'en 1914, étaient brusquement considérés comme historiquement dépassés et comme devant être remplacés par des formes d'organisation et de régulation nouvelles, collectivistes et autoritaires. Après la Russie et l'Italie, l'Allemagne et la France, et à certains égards les Etats-Unis, mirent d'ailleurs en application ces idées nouvelles, sous des formes variées, dès les années trente.

Néolibéraux français et ordolibéraux allemands faisaient alors partie de la très petite minorité de penseurs qui résistèrent à cet engouement massif et à cette vision fataliste de l'Histoire. Au contraire de l'opinion générale, ils considéraient que toutes ces doctrines prétendument nouvelles ne constituaient en réalité que des formes modernisées des vieilles doctrines précapitalistes et prélibérales d'avant la révolution industrielle (mercantilisme, caméralisme, corporatisme ... ) que le développement économique avait logiquement et progressivement fait disparaître et que seule la régression économique, due à la guerre et à des erreurs de politique économique, avait passagèrement réactualisées. Ils démontraient en conséquence que ces doctrines devaient fatalement échouer dans l'organisation économique et sociale des sociétés développées et de surcroît entraîner, comme Friedrich von Hayek l'a particulièrement montré dans son fameux ouvrage La Route de la servitude, une régression politique au détriment des libertés fondamentales. L'histoire a, on le sait, rapidement établi la justesse de la plupart de ces analyses et de ces prévisions.

L'adhésion commune aux principes essentiels du libéralisme classique


Bien loin de considérer', comme leurs adversaires, le libéralisme comme une doctrine historiquement dépassée, tous les ordo- et néolibéraux estiment au contraire qu'il est d'autant plus actuel que l'économie est plus développée et que la découverte de l'harmonie préétablie entre la libre poursuite des intérêts particuliers et l'intérêt général de la collectivité dans une économie de marché de libre concurrence constitue un progrès fondamental de la connaissance économique pour réaliser l'organisation efficace d'une économie évoluée et complexe. Ils entendent donc reprendre les principes essentiels de la doctrine libérale classique tels qu'ils ont été formulés par François Quesnay et Adam Smith et progressivement développés et approfondis par leurs successeurs du XIXè siècle, David Ricardo, Jean-Baptiste Say, Stuart Mill, Frédéric Bastiat, Charles Dunoyer, Carl Menger, Auguste Walras, Alfred Marshall : liberté de production et d'échange, libre concurrence, libre fonctionnement du mécanisme des prix, propriété privée et stabilité monétaire. Tous considèrent que seule une économie fondée sur ces principes est susceptible d'assurer durablement à la fois l'allocation optimale des, ressources et donc le progrès économique et la stabilisation optimale des processus et donc l'équilibre économique.

Mais si les néo- ou ordolibéraux proposent le maintien ou la restauration des grands principes du libéralisme classique, ils estiment aussi, et c'est par là qu'ils se distinguent nettement de leurs prédécesseurs et veulent instaurer un libéralisme moderne, que cette restauration ne suffit pas et que des corrections sont indispensables pour éviter une dégradation progressive du système et de ses performances. Ils pensent que les grands économistes classiques du XVIIIè et du XIXè siècles ont bien perçu la nécessité de libérer l'économie de toutes les entraves étatiques inutiles ou même nocives, mais qu'ils n'ont pas su ou pu de leur temps percevoir la nécessité de bien organiser cette liberté pour éviter qu’elle ne dégénère et ne compromette ainsi le bon fonctionnement et finalement l'existence même de l'économie de marché.

Une volonté commune de rénovation du libéralisme traditionnel


Aux yeux des nouveaux libéraux français et allemands, l'expérience historique a montré que la simple instauration du « laissez-faire » et du « laisser-passer » provoque généralement un extraordinaire dynamisme économique mais est également susceptible d'engendrer dans certaines circonstances des abus de la liberté de la part des entreprises, en particulier la restriction de la libre concurrence, et par là même des déséquilibres économiques ainsi que des distorsions sociales et donc une dysharmonie croissante entre intérêts particuliers et intérêt général. Celle-ci entraîne à son tour le rétablissement d'interventions publiques qui aggravent généralement le dysfonctionnement du système et par voie de conséquence sa contestation publique et provoquent éventuellement son abandon. Le libéralisme absolu, le « laissez-faire », est donc susceptible d'aboutir à sa propre destruction et au rétablissement de formes d'organisation étatique antérieures et inférieures à l'économie de marché.

Pour éviter une telle évolution régressive, les néo- et ordolibéraux considèrent qu'il faut substituer à la notion d'ordre naturel des premiers libéraux, justifiant une liberté absolue, celle d'ordre positif ou légal, instituant une liberté soigneusement organisée, c'est-à-dire une constitution économique comparable à la constitution politique d'une démocratie libérale et tout un régime juridique public et privé nécessaire à l'encadrement des libertés économiques ainsi qu'à la satisfaction des besoins collectifs ou à la compensation des difficultés sociales. En particulier, l'instauration d'une économie de marché efficace et stable exige une législation très précise de la propriété, des contrats, de la faillite, des brevets, de la concurrence, de l’émission monétaire et du crédit, du système fiscal, du travail, de la solidarité sociale, ainsi qu'une définition soigneuse des modalités d'intervention économique et sociale de l'Etat compatibles avec le bon fonctionnement du système. C'est par l'ensemble de ces compléments et perfectionnements de l'organisation que les nouveaux libéraux entendent rénover et améliorer la conception libérale traditionnelle et répondre ainsi aux conditions de l'économie du XXe siècle ainsi qu'aux objections de leurs adversaires.

Cette commune volonté de perfectionnement et d'actualisation de la doctrine libérale ne s'est pas seulement manifestée dans les écrits de tous les néo- et ordolibéraux français et allemands. Elle s'est également traduite dès avant la guerre dans l'organisation d'une rencontre internationale qui peut être considérée comme l'acte de naissance officiel du nouveau libéralisme, le Colloque Walter Lippmann, du nom d'un grand journaliste américain qui venait de publier un ouvrage très remarqué, The Good Society, traduit en français sous le titre La Cité libre.

Ce colloque, organisé par Louis Rougier, eut lieu à Paris du 26 au 30 août 1938. Y participèrent, outre Walter Lippmann et les Autrichiens Friedrich von Hayek et Ludwig von Mises, Louis Baudin, Jacques Rueff et de nombreux autres du côté français ainsi que les exilés Wilhelm Röpke et Alexander Rüstow du côté allemand alors que W. Eucken, qui y avait été également invité, n'avait pas obtenu à l'époque l'autorisation de quitter l'Allemagne. Au terme de discussions de très haut niveau et particulièrement animées, on s'en doute, dans ce moment si critique de l'histoire européenne, un manifeste commun proclama les principes qui viennent d'être évoqués ainsi que la volonté unanime de contribuer à leur diffusion et il fut décidé à cet effet de créer un « Centre international de rénovation du libéralisme ». Le déclenchement de la guerre empêcha la réalisation de ce projet, mais l'idée n'en fut pas perdue. Elle fut reprise en 1947 avec la création en Suisse, sous l'égide de F. von Hayek, de la Mont Pélerin Society, fameuse internationale libérale, à laquelle participèrent immédiatement la plupart des nouveaux libéraux, avec cette différence, par rapport au Colloque Walter Lippmann, qu'après la guerre le nombre des adhérents allemands, et surtout américains, est devenu sensiblement plus important que celui des participants français.

Au regard de toutes ces données, il est clair qu'il y a eu dès le départ des convergences extrêmement fortes entre les néolibéraux français et les ordolibéraux allemands et que leur accord sur les options doctrinales essentielles les distingue nettement des adeptes de toutes les autres conceptions économiques dans leurs pays respectifs. Mais il y a indiscutablement aussi, et c'est peut-être plus intéressant à relever dans une optique comparative, un certain nombre de divergences mineures mais significatives, tenant aux conditions nationales spécifiques, à la fois réelles et intellectuelles, dans lesquelles les deux doctrines ont été élaborées.

Les divergences


Il est bien connu que, si l'évolution économique, sociale et intellectuelle a été en Europe occidentale assez homogène du Moyen Age jusqu'à la Révolution industrielle, il n'en a plus été de même à partir de la fin du XVIIIe siècle, en particulier entre la France et l'Allemagne. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que des doctrines substantiellement semblables, mais élaborées dans un environnement différent, aient présenté des caractéristiques nationales spécifiques. Dans le cas du nouveau libéralisme du milieu du XXè siècle, on peut relever, me semble-t-il, trois différences notables entre la pensée des néolibéraux français et celle des ordolibéraux allemands, tenant aussi bien à des traditions intellectuelles qu'à des conditions économiques différentes.

Une approche théorique différente des phénomènes économiques


L'analyse économique repose sur une tradition scientifique différente dans les deux pays. Depuis le XIXè siècle, la science économique française s'est caractérisée essentiellement par une approche abstraite et déductive à partir de modèles mathématiques de la réalité économique fondamentale. Successivement, les principaux théoriciens français après Jean-Baptiste Say, à savoir Arsène Dupuit, Augustin Cournot, Auguste et Léon Walras et finalement, au tournant du siècle, Clément Colson ont été des mathématiciens et parfois même des ingénieurs de formation, qui se sont efforcés de mettre en équations les comportements et les relations économiques pour en dégager des lois économiques pures. Les deux principaux représentants du néolibéralisme français, J. Rueff et M. Allais, élèves à Polytechnique de C.Colson, poursuivent tout naturellement cette tradition d'élaboration d'une « physique sociale ». Dans leurs premiers ouvrages de caractère méthodologique, ils affirment d'ailleurs clairement cette orientation et l'appliquent ensuite délibérément en étudiant, l'un les principaux déséquilibres et mécanismes de rééquilibre à l'aide de techniques économétriques, l'autre les conditions mathématiques de l'équilibre général et de l'optimum global de l'économie. C'est à partir de cette analyse rationaliste de l'économie de marché, faisant dans une large mesure abstraction des formes concrètes de la propriété, des marchés et de la concurrence, que l'un et l'autre mettent en évidence le mécanisme des prix et la libre concurrence comme conditions nécessaires et suffisantes du bon fonctionnement de l'économie et l'interventionnisme incohérent des pouvoirs publics comme source essentielle de perturbation du système.

Toute autre est l'approche théorique des ordolibéraux en fonction de la tradition scientifique allemande. Les grands économistes allemands du XIXé siècle après Johann von Thünen, à savoir Friedrich List, Wilhelm Roscher, Bruno Hildebrand, Karl Knies, Gustav von Schmoller, ont pratiqué une approche inductive et concrète des réalités et des tendances historiques ainsi que des systèmes économiques, méthode encore appliquée et développée au XXè siècle par Max Weber et Werner Sombart. Même si W. Eucken a eu l'ambition de dépasser synthétiquement la fameuse « querelle des méthodes » entre les historistes allemands et les théoriciens autrichiens par la technique de l'abstraction isolante empruntée à la phénoménologie husserlienne, sa théorie des types d'organisation de l'économie, l'Ordnungstheorie, qui constitue la base théorique de l'ordolibéralisme, se situe bien dans la droite ligne de la tradition allemande, de même d'ailleurs que l'analyse des styles économiques d'A. Müller-Armack ou celle des grandes étapes historiques d'A. Rüstow. L'étude des formes concrètes de la propriété, des marchés et de la concurrence en llemagne explique aussi que, pour les ordolibéraux, l'économie de marché se trouve menacée non seulement par la perturbation externe par les interventions de l'Etat, mais aussi et même principalement par le dérèglement interne du système du fait des monopoles et cartels privés, ce qui entraîne une opposition plus radicale au « laissez-faire » et l'adhésion à une forme plus rigoureuse d'économie de marché concurrentielle, la Wettbewerbsordnung.

Naturellement, il conviendrait de ne pas exagérer cette opposition épistémologique entre les raisonnements hypothético-déductif et empirico-inductif en vigueur respectivement en France et en Allemagne. Les auteurs allemands et français connaissaient les écrits des uns et des autres. W. Eucken par exemple cite J. Rueff et celui-ci à son tour se réfère à W. Röpke Il n'en reste pas moins que la différence d'approche théorique est tout à fait indiscutable et marquante.

Une option philosophique et éthique différente


Le choix d'un système économique et social ne repose pas seulement sur des analyses théoriques mais implique également des options de philosophie et d'éthique sociale. A cet égard également, on peut constater une divergence sensible entre néolibéraux français et ordolibéraux allemands, tenant à des traditions nationales différentes et qui ne sont pas sans conséquences sur certaines conclusions politiques.

Depuis la Révolution française, la philosophie politique et sociale est en France, on le sait, profondément libérale et individualiste. Même si le libéralisme économique se trouve mis en question et contesté par les doctrines socialistes ou dirigistes du XXe siècle, et même si l'on restaure progressivement en France un dirigisme néocolbertiste et si l'on y instaure un vaste interventionnisme macro-économique, la philosophie politique et sociale ambiante demeure paradoxalement tout à fait anti-étatiste. Les néolibéraux français insèrent donc tout naturellement leur doctrine économique dans ce courant de pensée dominant et mettent avant tout l'accent, notamment chez Louis Baudin et Daniel Villey, sur l'indivisibilité de la liberté et sur la méfiance à l'égard de tous les empiètements de l'Etat sur la sphère individuelle de liberté ou la souveraineté de l'individu. La liberté économique est présentée, indépendamment même de son efficacité économique, comme le complément nécessaire de la liberté politique et sociale et comme une condition indispensable à l'épanouissement de la personne humaine.


L'ordolibéralisme s'insère au contraire dans la toute autre tradition collective de l'Allemagne, marquée depuis le XIXè siècle par une philosophie idéaliste et communautaire dans laquelle la notion d'ordre et la préoccupation d'harmonie sociale éclipsent l'idée de liberté individuelle. Les ordolibéraux, adeptes de. l'éthique kantienne et même chrétienne, rejettent avec vigueur une philosophie purement individualiste et a fortiori la conception hédoniste et utilitariste de ce que A. Rüstow nomme avec un certain mépris le « paléolibéralisme ». Pour eux, la liberté n'est pas le bien suprême. Avec Kant, ils prônent la liberté dans le respect de la loi morale, autrement dit la seule liberté de bien faire et non la liberté absolue. Aussi n’hésitent- ils pas, quand le bon fonctionnement de l'économie de marché le requiert, à restreindre de diverses manières la liberté économique dans l'intérêt général. Plus qu'au bien-être individuel et même à l'épanouissement de la personne, l'économie doit être, selon eux, orientée vers le bien commun et W. Röpke ne craint pas à cet égard d'affirmer son profond accord avec l'enseignement communautaire de l'Eglise.

Une conception différente de l'action politique


Même si, comme on l'a vu, tous ces penseurs s'accordent sur la nécessité d'une rénovation de l'ancien libéralisme, les ordolibéraux allemands sont à cet égard, en vertu de leurs analyses théoriques comme de leurs options philosophiques et peut-être aussi de conditions économiques différentes, plus exigeants que les néolibéraux français et cette divergence d'appréciation était déjà apparue lors du Colloque Walter Lippmann.

Peu sensibles aux dangers émanant de grands groupes privés et très sensibilisés au contraire aux perturbations dues à des interventions publiques intempestives, les néolibéraux français insistent avant tout sur les disciplines à imposer à l'Etat, notamment dans le domaine de l'émission monétaire et de la fiscalité. Dans la tradition walrassienne, ils ne s'opposent pas en revanche au maintien d'un secteur public important, pourvu que celui-ci respecte une gestion au coût marginal. Pour le secteur privé, ils se satisfont de la création des conditions juridiques d'une concurrence libre et loyale, mais n'entendent pas s'opposer systématiquement à la formation de cartels ou de structures oligopolistiques susceptibles, selon eux, d'engendrer une efficience technique supérieure et une compétition plus active et par là favorables à l'intérêt général. Enfin, pour la couverture des risques sociaux, ils sont avant tout favorables à la prévoyance individuelle et à l'assurance privée.

Les ordolibéraux allemands, quant à eux, proposent des solutions plus radicales en ajoutant à la discipline qui doit être imposée à l'action étatique des contraintes nettement plus fortes pour le secteur privé. En particulier, ils appellent à l'instauration d'une politique de concurrence parfaite poursuivie avec rigueur, fondée sur l'interdiction des cartels et pouvant aller jusqu'au démantèlement d'entreprises dominantes ou la fixation publique des prix. Ils considèrent également qu'il convient de compléter l'instauration de cette économie concurrentielle en mettant en oeuvre une politique sociale et même sociétale très active, non seulement pour corriger ses conséquences humaines éventuellement défavorables, mais aussi pour créer des conditions sociales favorables à son bon fonctionnement et au développement d'une société libre et juste. L'appui systématique aux petites et moyennes entreprises tout comme la privatisation massive des entreprises publiques et plus généralement la démocratisation de la propriété du capital constituent à cet égard des interventions stratégiques. Il est clair aussi que cette conception beaucoup plus constructiviste exige un Etat plus fort et plus actif que ne le souhaitent les néolibéraux français.

Cette opposition générale des conceptions de l'action publique ne doit pas masquer des divergences semblables existant à l'intérieur même des deux courants. Par exemple, sur la régulation de l'émission monétaire, J. Rueff est favorable au retour à l'étalon-or, tandis que M. Allais se retrouve avec W. Eucken pour souhaiter un système d'étalon-marchandises et la couverture intégrale du crédit, et que la plupart des autres penseurs des deux côtés s'en tiennent à la politique monétaire traditionnelle. A. Rüstow adopte comme M. Allais une taxation totale de l'héritage, alors que tous les autres néo- et ordolibéraux s'y opposent. Plus on considère le détail des réformes préconisées, plus on rencontre des points de vue opposés, mais à l'intérieur des deux courants tout autant qu'entre eux. Il convient également de noter que les positions ont beaucoup évolué des deux côtés au cours du temps en fonction des évènements comme des analyses, par exemple sur la politique de concurrence chez les ordolibéraux ou sur l'organisation monétaire nationale et internationale chez les néolibéraux français comme chez les ordolibéraux allemands. Il n'en reste pas moins que dans l'ensemble, la conception de ces derniers a toujours représenté une rupture plus nette avec l'ancien libéralisme que celle des néolibéraux français.

En conclusion de cette rapide revue des convergences et divergences entre ces deux courants nationaux du libéralisme au milieu du XXè siècle, il convient de noter que la plupart des maîtres de cette époque ont disparu au cours des années soixante, que de nouvelles générations de penseurs ont pris le relais et surtout que, depuis lors, la doctrine libérale s'est beaucoup transformée dans les deux pays en fonction de l'approfondissement des analyses comme de l'évolution des faits et notamment de la restauration progressive de l'économie de marché et de politiques plus libérales. On peut à cet égard relever à la fois une convergence et une divergence des évolutions dans les deux pays.

La convergence tient au fait qu'aussi bien en France qu'en Allemagne, les penseurs que nous avons évoqués ont beaucoup perdu de leur influence au profit de nouveaux maîtres, à savoir d'une part ceux de la vieille école autrichienne (L. von Mises et F. von Hayek) et d'autre part ceux des nouvelles écoles américaines (Milton Friedman, James M. Buchanan ...). Plus précisément, l'on peut dire que, du point de vue de l'approche théorique et de la conception philosophique, les nouvelles générations d'économistes libéraux ont adopté aujourd'hui l'optique évolutionniste, subjectiviste et individualiste des Autrichiens au détriment aussi bien du rationalisme objectiviste français que du constructivisme communautariste allemand. Quant aux recherches théoriques ponctuelles et aux recommandations pratiques, elles se situent aujourd'hui nettement dans le sillon de la nouvelle économie politique, du nouvel institutionnalisme, de la théorie du public choice des Américains, ce qui appuie un libéralisme beaucoup plus radical. On observe indiscutablement dans les deux pays une évolution parallèle d'un libéralisme à forte organisation économique et à orientation sociale marquée vers un libéralisme plus flexible et plus individualiste, voire même un ultra-libéralisme, et le passage commun d'une conception d'économie sociale de marché à une conception d'économie capitaliste de marché. Il y a une sorte d'inversion de l'évolution du XXè siècle, un retour en arrière vers le XIXè siècle, qui s'observe d’ailleurs également dans les réformes et les politiques économiques pratiquées. On peut dire, je crois, que, sur le plan des idées libérales, le XXIè siècle sera sûrement plus proche du XIXè que du XXè siècle et ceci tant en Allemagne qu'en France.

La différence notable entre les nouveaux libéraux français et allemands actuels réside, me semble-t-il, dans le fait qu'il y a toujours encore en Allemagne, malgré l'influence très concrète exercée durant de longues années par F. von Hayek à Fribourg même, une certaine référence au moins formelle et verbale aux maîtres ordolibéraux et notamment à W. Eucken, alors qu'on constate en France une réelle rupture à cet égard et la volonté d'une véritable refondation du libéralisme sur des références autrichiennes et américaines ainsi que sur la redécouverte des libéraux français du XIXè siècle, en particulier F. Bastiat et C. Dunoyer. Les néolibéraux français du XXè siècle sont soit purement et simplement ignorés, soit critiqués et rejetés. Dans son dernier ouvrage Le Libéralisme, le principal représentant français contemporain de ce courant, Pascal Salin, ne fait aucune référence aux néolibéraux, sinon pour souligner au passage avec vigueur l'opposition philosophique, méthodologique et pratique entre l'œuvre de F. Bastiat et celle de M. Allais ou de J. Rueff. Cette différence d'attitude des jeunes libéraux allemands et français s’explique peut-être en partie par la différence des systèmes universitaires : il n'y a pas dans l'enseignement économique allemand une séparation comparable à celle qui existe en France entre Polytechnique et Universités ni une semblable indépendance statutaire des jeunes universitaires par rapport à leurs maîtres, ce qui ne favorise évidemment pas la constitution d'écoles ou du moins de filières intellectuelles au profil très marqué. L'absence en France d'une grande revue libérale commune comme Ordo en Allemagne constitue évidemment un facteur de dispersion. Enfin, il est clair que les jeunes économistes allemands désireux de se trouver des prédécesseurs libéraux dans leur propre pays disposent d'un vivier historique moins large et moins varié que leurs homologues français, notamment au XIXè siècle.

Mais encore une fois, par-delà ces différences formelles, il y a indiscutablement une évolution parallèle des conceptions dans les deux pays, qui ne traduit pas seulement, comme ce fut le cas au milieu du XXè siècle, une commune réaction à l'encontre d'évènements semblables, mais aussi une tendance beaucoup plus marquée à une homogénéisation de la science et de la doctrine économiques, faisant petit à petit disparaître les spécificités nationales de la pensée économique sous l'influence du phénomène de la globalisation. En ce sens, je conclurai, en réponse au thème central de cette séance, que si l'ordolibéralisme n'était sûrement pas à l'origine la forme allemande d'un libéralisme anglo-saxon, il est en train de devenir, tout comme le nouveau libéralisme français, la forme nationale d'un libéralisme austro-américain de plus en plus universel.


Néolibéralisme français:


- Jacques Rueff (1896-1978) Polytechnicien, Inspecteur des finances, juge et président à la Cour de Justice de laCECA ; auteur de la réforme monétaire française de1958.

Principales publications
Des sciences physiques aux sciences morales, 1922 Théorie des phénomènes monétaires, 1927
L'ordre social, 1945
Epître aux dirigistes, 1949
L'âge de l'inflation, 1963

- Maurice Allais (1911 ) Polytechnicien, économiste mathématicien, Professeur à l'Ecole des Mines, Prix Nobel en1988, formateur de nombreux disciples théoriciens, notamment Gérard Debreu, également Prix Nobel.

Principales publications
A la recherche d'une discipline économique, 1943 Economie pure et rendement social , 1945 Economie et intérêt, 1947
L'impôt sur le capital, 1976
La théorie générale des surplus, 1978

- Louis Baudin (1890-1960) Professeur à la Sorbonne.

Principales publications
La monnaie , 1947
L’aube d’un nouveau libéralisme, 1953

-Daniel Villey (1910-1968) Professeur à l'Université de Paris.

Principales publications
Petite histoire des grandes doctrines économiques, 1944
Redevenir des hommes libres, 1946
Notes de philosophie économique, 1966
A la recherche d'une doctrine économique, 1967

- Autres auteurs

R. Audoin, R. Courtin, G. Leduc, P. Lhoste Lachaume, L. Rougier, L. Salleron...

Ordolibéralisme allemand:


- Walter Eucken (1891-1950) Professeur à l'Université de Fribourg (1927-1950), fondateur de l'Ecole ordolibérale

allemande, membre du Conseil scientifique de la Bizone.

Principales publications
Staatliche Strukturwandlungen, 1932 Kapitaltheoretische Untersuchungen, 1934 Die Grundlagen der Nationalökonomie, 1940 Die Grundsâtze der Wirtschaftspolitik, 1952

-Wilhem Röpke (1899-1966) Professeur à l'Université de Genève. Conseiller du ministre de l'Economie Ludwig Erhard.

Principales publications
Die Gesellschaftskrise der Gegenwart 1942 (trad.franç.: La crise de notre temps, 1945) Civitas Humana, 1944 (trad. française 1946) Internationale Ordnung , 1945
Mass und Mitte, 1950

-Alexander Rüstow (1885-1964) Professeur à l'Université d'Istanbul puis de Heidelberg.

Principales publications
Das Versagen des Wirtschaftsliberalismus, 1945 Ortsbestimmung der Gegenwart, 3 vol., 1950-55 Auf dem Weg zur klassenlosen Gesellschaft, 1958

-Alfred Müller-Armack (1901-1978) Professeur à l'Université de Cologne, Secrétaire d'Etat. Père du concept «d'économie sociale de marché ».

Principales publications
Genealogie der Wirtschaftsstile, 1941 Wirtschaftslenkung und Marktwirtschafi, 1948

Diagnose unserer Gegenwart, 1949

-Autres auteurs

F. Böhm, E. Heuss, H.C. Lenel, F.A. Lutz, K.F. Maier, F.W. Meyer, L. Miksch... 
 Actualisation, cliquez l'image ou figure Alain Laurent, vous pourrez lire le blog Nicomaque. Vous aurez en audio l'intervention  d'Alain Laurent. Séminaire ayant comme objet: Etudier la naissance du mouvement de l'ordo-libéralisme allemand, au sein du libéralisme, au travers de l'étude des écrits et de la personne de Wilhelm Röpke et son rapport avec les libéraux autrichiens (Hayek en particulier).
http://nicomaque.blogspot.fr/2010/03/wilhelm-ropke-et-lordo-liberalisme.html
http://nicomaque.blogspot.fr/2010/03/wilhelm-ropke-et-lordo-liberalisme.html

Wilhelm Röpke

De Wikiberal
 
Wilhelm Röpke (10 octobre 1899 - 12 février 1966) est un philosophe et économiste allemand. Fondateur de l'ordo-libéralisme, il fut avec Walter Eucken à l'origine de l'« économie sociale de marché » mis en œuvre par Ludwig Erhard, père du « miracle allemand ».  
Il étudia le droit et l'économie partir de 1917 à Göttingen, Tübingen et Marbourg.
Röpke mena ensuite une carrière d'universitaire, enseignant l'économie politique dans les universités de Marbourg (comme Privatdozent, professeur d'université non rémunéré) puis de Iéna . Dans cette dernière, où il occupa son premier vrai poste de professeur d'université à moins de 24 ans, il fut le plus jeune professeur d'université de l'histoire de l'université. Il enseigna ensuite à Graz.
Membre de la Brauns-Commission en 1930-1931, il quitta l’Allemagne en 1933 quand les nazis arrivèrent au pouvoir. Une partie de ses livres furent alors interdits et détruits. Il partit d’abord pour Istanbul puis, en 1937, pour l’Institut des Études Internationales de Genève où il enseigna jusqu’à sa mort en 1966. Il y avait été embauché grâce au soutien de William Rappard le directeur pour renforcer le potentiel de l’institut dans le domaine des études pratiques. Il y cotoya Ludwig von Mises, Louis Rougier, Hans Kelsen ou Paul Mantoux.
En 1938, il participa au colloque Walter Lippmann, un colloque organisé par Walter Lippmann autour de nombreux intellectuels libéraux, afin de « refonder » le libéralisme.
Après la guerre, il prit une part importante aux débats d'idées dans l'Allemagne de l'après-guerre, écrivant de nombreux ouvrages pour peser sur les réformes en cours. Son soutien aux réformes de libéralisation ne fut pas uniquement théorique mais également pratique, par l'écriture de nombreux opuscules à destination du grand public pour les soutenir. Ainsi, il fut un fervent partisan des mesures de libéralisation des prix menées en 1948 en Allemagne, contre l'avis des américains. Il s'opposa ainsi à Ludwig Erhard quand celui-ci refusa de libéraliser les prix des logements. Il a également conseillé le chancelier allemand Konrad Adenauer jusqu'à la fin des années 1950.
Röpke succèda à Friedrich Hayek à la présidence de la Société du Mont-Pèlerin (1961-1962) avant de donner le relais à John Jewkes.
Il fut décoré de l'ordre du mérite de la république fédérale allemande en 1953 dont il était commandeur.

Idées

Son oeuvre est tant économique que philosophique et, comme les autres ordolibéraux, il se démarque des néo-classiques par le rejet de la mathématisation de l'économie. En outre, il s'opposa fermement, comme l'école autrichienne, à l'école historique allemande.
Il fait partie des trois intellectuels de l'époque moderne qui ont redonné tout son sens à l'expression : ordre spontané. En effet, il est le premier à imprimer cette expression, avant Michael Polanyi et Friedrich Hayek. On retrouve cette trace en 1937, en Autriche, dans son livre édité en allemand (Die Lehre von der Wirtschaft) et qui ne fut traduit en anglais qu'en 1962 (Economics of the Free Society). Il explique qu'une économie de marché est un ordre spontané et non pas un ordre commandé.

L'existence de l'ordre au lieu de l'anarchie, l'ordre spontané, si on veut, n'est pas en lui-même un phénomène étonnant. Les processus particuliers à la vie économique dans une société libre rend évident la supériorité fondamentale de l'ordre spontané sur l'ordre commandé. L'ordre spontané n'est pas juste une autre variété d'ordre, bien qu'il soit d'une habileté surprenante à fonctionner, si cela est nécessaire, même sans le commandement provenant d'en haut. Car si on montrait qu'une organisation d'un système économique d'une société libre peut être fondamentalement différente de l'organisation d'une armée, il y a des raisons de croire que c'est la seule possible.
Wilhelm Röpke, Economics of the Free Society (1962), p.4
Ce livre fut interdit par les envahisseurs nazis en 1939 et il fut détruit chez l'éditeur. La traduction française apparue en 1940 (Explication économique du monde moderne, Paris, Librairie de Médicis) et le courage de l'éditeur trompa la vigilance des censeurs. Les traductions en suédois (1946), en italien (1949), et en finnois (1951) étendirent le rayonnement d'influence de ce livre au-delà du confinement des pays de langue allemande.
Sa pensée est ancrée dans des valeurs chrétiennes fortes avec l'idylle bucolique d'une société rurale telle qu'il pouvait la voir en Suisse. Il craint également la massification sociale que la société industrielle rend possible. Pour dépasser ces questions, il faut refonder le libéralisme sur un corpus de valeurs morales et non uniquement économiques. L'inflation est un cancer qui tue l'économie et toute la société. Il développe par exemple ces idées dans Au-delà de l'offre et de la demande, titre dans lequel au-delà signifie qu'il faut s'appuyer sur plus que la loi de l'offre et de la demande pour permettre une économie et une société stable. Il s'oppose enfin avec fermeté à l'inflation et aux monopoles, aux conséquences dévastatrices, tant sur le plan économique que politique.

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