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novembre 20, 2025

Le socialisme est une doctrine politique, et non économique. (Idéologie vs Philosophie)

Le socialisme est une doctrine politique, et non économique.

Les doctrines du socialisme existent depuis plus de 150 ans, mais personne ne les avait véritablement expérimentées pleinement avant l'avènement de l'Union soviétique, des années 1920 au début des années 1990. Durant cette période, plusieurs révolutions communistes/socialistes ont eu lieu en Asie, à Cuba et en Afrique, offrant un terrain d'expérimentation pour observer le fonctionnement de ces économies socialistes. 
 
 
Comme Ludwig von Mises l'avait prédit, les économies socialistes ont connu un échec retentissant. Ses travaux sur le socialisme, publiés en 1920 et 1923, démontrent que, en tant que système économique, il était voué à l'échec avant même sa mise en œuvre, faute de système de calcul économique pratique. Malgré la propagande diffusée par les gouvernements socialistes et les médias occidentaux, qui prétendaient que les économies socialistes sortaient des millions de personnes de la pauvreté, la réalité du socialisme a confirmé les prédictions de Mises. 
 
Dès 1989, même les socialistes les plus convaincus, comme Robert Heilbroner, durent admettre l'échec cuisant du socialisme. En effet, au milieu des années 1990, seuls Cuba et la Corée du Nord tentaient de poursuivre l'expérience socialiste, et leurs économies respectives n'avaient rien d'enviable. Heilbroner écrivait dans le New Yorker :
 
L'Union soviétique, la Chine et l'Europe de l'Est nous ont apporté la preuve la plus flagrante que le capitalisme organise les affaires matérielles de l'humanité de façon plus satisfaisante que le socialisme : aussi inéquitable ou irresponsable que puisse être la distribution des biens par le marché, elle est plus efficace que les files d'attente d'une économie planifiée… La grande question semble désormais être la rapidité de la transformation du socialisme en capitalisme, et non l'inverse, comme cela paraissait il y a seulement un demi-siècle. 
 
Pourtant, Heilbroner – reprenant la conviction de Joseph Schumpeter que le capitalisme ne pouvait survivre à l'ère moderne – n'était pas persuadé qu'une économie capitaliste résisterait aux attaques culturelles et politiques des élites universitaires, sociales et gouvernementales, qui exigeraient toujours plus d'elle qu'elle ne pourrait produire. Heilbroner reconnaissait que Mises avait raison, qu'une économie socialiste manquait du calcul économique nécessaire à son épanouissement, mais il ne put jamais se résoudre à approuver le système capitaliste lui-même. 
 
Aujourd'hui, face à la pauvreté, à la hausse des prix, à la pénurie de logements à New York ou à l'envolée des prix alimentaires, les mêmes personnes accusent le capitalisme et, plus précisément, son symbole par excellence : le milliardaire. Peu importe que les problèmes de logement soient dus au contrôle des loyers et autres interventions gouvernementales visant à limiter l'offre, que l'inflation soit un phénomène provoqué par l'État, ou que les politiques de la Réserve fédérale, en créant des bulles financières, aient engendré une multitude de milliardaires sur le papier : les critiques s'en prendront systématiquement au libre marché. Leurs arguments n'ont besoin ni de cohérence ni de logique pour faire mouche. Comme je l'écrivais récemment, nombre de personnes parmi les plus ignorantes en matière d'économie se sont enrichies en donnant des avis publics sur le sujet. À l'ère des médias, même le plus ignorant des experts passe pour un « spécialiste » s'il partage les « bonnes » opinions politiques.
 
Malgré les nombreux échecs du socialisme en tant que système économique, il est plus populaire que jamais comme système politique. Le magazine socialiste Jacobin déclare : 
 
Pour les socialistes, instaurer la confiance du public dans la faisabilité d'une société socialiste est aujourd'hui un enjeu existentiel. Sans une foi renouvelée et ancrée dans la possibilité d'atteindre cet objectif, il est quasiment impossible d'imaginer relancer et pérenniser le projet. Il convient de souligner qu'il ne s'agit pas de prouver que le socialisme est possible (l'avenir est incertain) ni d'élaborer un plan détaillé (comme pour la projection du capitalisme avant son avènement, ces détails sont inconnus), mais de présenter un cadre qui contribue à démontrer la plausibilité du socialisme. (C'est Jacobin qui souligne.) 
 
Autrement dit, les socialistes n'ont pas besoin de réussir à produire concrètement des biens et des services et à garantir leur distribution. Il leur suffit de les promettre, même s'ils ne peuvent tenir leurs promesses, et de remporter les élections. Il y a cinq ans, le journal socialiste The Nation soulignait que les seules victoires nécessaires se remportent dans les urnes :
 
Plus important encore pour les Socialistes Démocrates d'Amérique (DSA), les Démocrates ne maîtrisent plus leurs listes électorales comme auparavant. Il n'existe aucun mécanisme pour dissuader les candidats DSA de se présenter ; bloquer un candidat est bien plus difficile qu'avant. Le Parti Démocrate actuel n'est plus qu'une coquille vide, prête à être investie par quiconque s'empare des privilèges liés aux fonctions électives. 
 
Si Bernie Sanders, socialiste démocrate, est élu président des États-Unis, le Parti Démocrate deviendra peu à peu son parti. Et s'il perd, en inspirant encore plus de recrues DSA et en favorisant les victoires aux élections locales, les socialistes pourront continuer à remporter des sièges au conseil municipal, à l'Assemblée législative, voire au Congrès, sous l'étiquette démocrate, et ainsi exercer une influence concrète. 
 
À New York, une socialiste siège à l'Assemblée législative de l'État : Julia Salazar, membre des DSA. Elle a contribué à mener des campagnes pour la nationalisation des compagnies d'électricité et pour un droit universel au logement. Cinq candidats soutenus par les DSA briguent des sièges à l'Assemblée législative en juin prochain, défiant les Démocrates soutenus par l'establishment. S’ils remportent tous les élections, ils commenceront à retrouver l’élan des années 1920. 
 
 Cette fois-ci, aucun leader législatif réactionnaire ne viendra déloger les nouveaux socialistes, et aucune peur du communisme n’alimentera la frénésie populaire contre leurs idées anticapitalistes. Salazar est membre de la majorité démocrate, alliée du bloc progressiste, et il est peu probable qu’elle perde une élection de sitôt. Les membres des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) qui souhaitent la rejoindre seront libres de prôner un changement radical. C’est un avenir qui aurait surpris la génération de 1920, car les socialistes n’ont jamais pris le contrôle de New York, et encore moins de l’Amérique. Mais les socialistes d’aujourd’hui abordent les années 2020 sans les obstacles insurmontables d’il y a un siècle. Ils n’ont plus besoin de leur propre parti. Ils peuvent simplement s’approprier celui de quelqu’un d’autre.
 
Aujourd'hui, les socialistes ont non seulement conquis la mairie de New York, mais aussi celle de Seattle, où un autre candidat se réclamant du socialisme démocrate a remporté les élections en imitant la campagne new-yorkaise axée sur l'accessibilité financière de Zohran Mamdani. Le mouvement ambitionne désormais de s'emparer du Parti démocrate. Il faut bien comprendre que ni Mamdani ni Katie Wilson, à Seattle, ne parviendront à tenir ne serait-ce qu'une fraction de leurs promesses électorales. Quoi qu'ils imposent, cela ne fera qu'aggraver la situation de leurs électeurs, mais leurs échecs non seulement seront ignorés, mais au contraire réinterprétés comme des succès. Dans sa critique de *Political Pilgrims* de Paul Hollander, où ce dernier analyse l'idéalisation du communisme par les élites occidentales, Paul Schlesinger Jr. écrit : 
 
Dans son analyse des mécanismes d'auto-illusion, le professeur Hollander utilise efficacement le concept de « redéfinition contextuelle ». Il entend par là la manière dont les activités sont transformées par leur contexte, de sorte que ce qui est détestable dans une société devient valorisant dans une autre. Ainsi, l'intellectuel de gauche estime que toute société fondée sur la propriété d'État, quelles que soient ses imperfections superficielles, est fondamentalement bonne ; toute société fondée sur la propriété privée, quelles que soient ses attraits superficiels, est fondamentalement corrompue. La pauvreté représente un échec honteux du capitalisme ; mais associée à l'égalitarisme et à la subordination des besoins matériels aux besoins spirituels, elle exprime un mode de vie simple et pur. Le travail manuel est dégradant sous le capitalisme, valorisant sous le communisme. Le travail des enfants est abominable aux États-Unis, mais à Cuba, voir des enfants travailler 15 heures par semaine dans les champs symbolise un but noble et commun. Comme l'a dit Angela Davis : « Le travail de coupe de la canne à sucre a radicalement changé depuis la révolution. » La redéfinition contextuelle, écrit le professeur Hollander, produit également une « réaction euphorique face à des objets, des scènes ou des institutions en soi banales et que l'on retrouve aussi dans les sociétés des visiteurs ». « Il y a quelque chose de fascinant dans un train russe à l'arrêt en gare », écrivait Waldo Frank. « La petite locomotive est humaine… Les wagons miteux sont humains. » 
 
De plus, les socialistes (et notamment ceux de l’enseignement supérieur) sont capables de manipuler les mots pour créer l’enfer capitaliste imaginaire dans lequel nous vivrions soi-disant. John Fea, professeur d’histoire à l’université chrétienne Messiah University, a publié le texte suivant sur le site web aujourd’hui disparu « Current » :
 
En tant que capitalistes, nous avons une confiance absolue dans les marchés financiers. Nous croyons que l'économie, avec la consommation ostentatoire qui la nourrit, sera notre salut. Nous scrutons le bas de nos écrans tandis que défile le téléscripteur, priant ardemment pour que ce soit enfin le jour où les dieux du Dow Jones accompliront leur magie et nous combleront de bienfaits. 
 
Mais le prophète Adam Smith n'a entendu que les prières d'une poignée d'élus. La main invisible n'a guère contribué à enrayer les inégalités, l'instabilité et la dégradation de l'environnement. Comme l'écrit l'historien Eugene McCarraher dans *Enchantments of Mammon : How Capitalism Became the Religion of Modernity*, nous vénérons le trône de « l'ontologie capitaliste de la transsubstantiation pécuniaire, son épistémologie de la domination technologique et sa morale du profit et de la productivité ». Ces dieux sont impuissants face à la pandémie, aux meurtres de Noirs dans la rue, ou à la naissance d'enfants qui vivront dans un monde de plus en plus invivable. 
 
 Le fait que Fea décrive un monde imaginaire est sans importance dans son domaine et dans celui des élites universitaires et médiatiques. Pour Fea et ses collègues de Messiah et de la plupart des universités, l'économie américaine est un véritable enfer où la plupart des gens vivent dans la misère (à l'exception des milliardaires), où seule une minorité bénéficie d'une couverture santé, où les capitalistes ont ravagé notre planète et où les profits sont extorqués au détriment des travailleurs américains. Rien ne doit contredire cette croyance. Comme l'a écrit Thomas Sowell à propos de gens comme Fea :
 
Il est généralement vain de tenter de convaincre par des faits et des analyses ceux qui se complaisent dans une supériorité morale fondée sur leur ignorance. 
 
Selon Fea, le socialisme « repose sur la croyance fondamentale en la valeur et le caractère sacré de l'être humain », et il serait la seule forme d'organisation sociale morale. Fea soutient également que le socialisme démocratique n'a rien à voir avec le communisme et les dictatures qui ont accompagné cette idéologie. Pourtant, nombre de ses articles de blog révèlent des liens avec l'extrême gauche qui a soutenu ces dictatures communistes. 
 
 Il est important de comprendre que Fea n'est pas une figure marginale de l'enseignement supérieur chrétien. Il contribue régulièrement à Christianity Today et est un conférencier recherché dans les universités chrétiennes. 
 
 Une personne comme Fea refuse de se préoccuper des questions de calcul économique – et puisque ce calcul repose sur des éléments tels que les prix du marché et les profits, qu'il juge immoraux, tout argument fondé sur un calcul économique ne résiste pas, à ses yeux, à l'épreuve de la moralité. Seule l'intention compte. Le socialisme, soutient-il, repose sur les idéaux les plus élevés de la fondation des États-Unis ; s’y opposer, c’est donc s’opposer à la vérité et à la décence mêmes. 
 
 Fea aborde l’argument dit de la nature humaine contre le socialisme, affirmant qu’il est facilement réfutable, car un gouvernement efficace, fondé sur la démocratie, compensera tout égoïsme inné chez l’être humain. Il cite Ben Burgis, du journal socialiste radical Jacobin :
 
Le cœur du socialisme est la démocratie économique. Qu'il s'agisse de décisions prises au sein d'une entreprise ou de décisions plus importantes ayant un impact considérable sur la société, les socialistes estiment que toute personne concernée doit avoir son mot à dire. 
 
 L'une des raisons pour lesquelles cela est si important est précisément que concentrer trop de pouvoir sur autrui risque d'entraîner des abus. Aucun système n'est parfait, bien sûr, mais le meilleur moyen de minimiser les risques d'abus est de répartir le pouvoir – politique et économique – le plus équitablement possible. 
 
 L'idée que le processus politique soit moralement supérieur au processus économique n'est pas surprenante de la part d'un professeur d'université qui rejetterait systématiquement le libre marché. Mais Fea et ses alliés pensent que tant que les citoyens peuvent voter, nous pouvons avoir une « démocratie économique », qui n'est guère plus qu'un concept abstrait, déconnecté de la réalité. 
 
 Il est à noter que dans aucun des écrits socialistes actuels, on ne s'attaque réellement aux questions économiques concrètes. Comme l'écrit Jeff Deist, les socialistes pratiquent ce qu'il appelle « l'antiéconomie » :
 
 L'antiéconomie… part de l'abondance et remonte le fil. Elle privilégie la redistribution à la production. Au cœur de toute antiéconomie se trouve une vision positiviste du monde, l'idée que les individus et les économies peuvent être contrôlés par décret législatif. Les marchés, qui fonctionnent sans organisation centralisée, cèdent la place à la planification, tout comme la common law cède la place au droit statutaire. Cette conception est particulièrement répandue chez les intellectuels de gauche, qui considèrent l'économie non pas comme une science, mais comme un exercice pseudo-intellectuel visant à justifier le capital et les intérêts des grandes entreprises.
 
Si des socialistes comme Fea invoquent la « démocratie économique », en réalité, seul l'État est capable de mettre en œuvre l'organisation économique qu'ils prônent. Certes, on ne lira jamais rien de plus abstrait de la part des socialistes, puisqu'une économie socialiste prospère ne fonctionne que dans un monde imaginaire. Après tout, Fea et les journalistes socialistes de The Nation et Jacobin n'ont pas à se soucier de prendre des décisions économiques d'envergure ; ils peuvent marquer des points simplement en dénonçant le capitalisme et en exigeant une économie « juste », sans même comprendre comment une économie fonctionne. Ils n'ont pas besoin d'avoir raison ; il leur suffit d'être perçus comme moraux par leurs pairs. 
 
En fin de compte, les socialistes excellent dans les stratégies électorales, mais pas en économie. Ils parlent de leurs candidats séduisants et des perspectives d'élire de nouveaux socialistes. Ce qu'ils sont incapables de faire, c'est de présenter une vision cohérente de l'économie, et une fois élus, ils n'auront pas plus de succès que les commissaires et les planificateurs économiques de l'ancienne Union soviétique qui, au moins, ont eu la sagesse, en 1991, de fermer boutique et d'éteindre les lumières.
 

 
William L. Anderson est rédacteur en chef à l'Institut Mises et professeur émérite d'économie à l'université d'État de Frostburg... 
 

 https://mises.org/mises-wire/socialism-political-doctrine-not-economic-one

 

 

janvier 01, 2017

Lettre aux socialistes de Gustave de Molinari 1848

Ce site n'est plus sur FB, alors n'hésitez pas à le diffuser au sein de différents groupes, comme sur vos propres murs respectifs. D'avance merci. L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses. 

Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste. 



Lettre aux socialistes
(1848)

Nous sommes adversaires, et cependant le but que nous poursuivons les uns et les autres est le même. Quel est notre idéal à tous, économistes ou socialistes? N’est-ce pas une société où la production de tous les biens nécessaires à l’entretien et à l’embellissement de l’existence humaine sera la plus abondante, et où la répartition de ces mêmes biens entre ceux qui les auront créés par leur travail sera la plus juste? Notre idéal à tous, sans distinctions d’écoles, ne se résume-t-il pas en ces deux mots: abondance et justice

Tel est, nul d’entre vous ne le niera, notre but commun. Seulement nous allons à ce but par des voies différentes; vous y marchez par le défilé obscur et jusqu’à cette heure inexploré de l’organisation du travail, nous y marchons par la route spacieuse et bien connue de la liberté. Chacun de nous essaye d’entraîner sur ses traces la société qui hésite et tâtonne, cherchant à l’horizon, mais en vain, la colonne de lumière qui guida jadis vers la Terre promise les esclaves des Pharaons. 

Pourquoi refusez-vous de suivre avec nous la voie de la liberté? Parce que, dites-vous, cette liberté tant préconisée est funeste aux travailleurs; parce qu’elle n’a produit jusqu’à ce jour que l’oppression du faible par le fort; parce qu’elle a enfanté les crises désastreuses où des millions d’hommes ont laissé les uns leur fortune, les autres leur vie; parce que la liberté sans frein, sans règle, sans limite, c’est l’anarchie! 

Voilà, n’est-il pas vrai, pourquoi vous repoussez la liberté; voilà pourquoi vous demandez l’organisation du travail? 

Eh bien, si nous vous prouvions, avec une suffisante clarté, que tous les maux que vous attribuez à la liberté, ou, pour me servir d’une expression absolument équivalente, à la libre concurrence, a pour origine, non pas la liberté, mais l’absence de la liberté, mais le monopole, mais la servitude; si nous vous prouvions encore qu’une société parfaitement libre, une société débarrassée de toute restriction, de toute entrave, ce qui ne s’est vu à aucune époque, se trouverait exempte de la plupart des misères du régime actuel; si nous vous prouvions que l’organisation d’une semblable société serait la plus juste, la meilleure, la plus favorable au développement de la production et à l’égalité de la répartition des richesses; si nous prouvions cela, dis-je que feriez-vous? Continueriez-vous à proscrire la liberté du travail et à invectiver l’économie politique, ou bien vous rallieriez-vous franchement à notre drapeau, et emploieriez-vous tout le précieux trésor de forces intellectuelles et morales que la nature vous a départies à faire triompher notre cause désormais commune, la cause de la liberté? 

Ah! j’en jurerais, vous n’hésiteriez pas un instant. Si vous aviez la certitude que vous vous êtes mépris sur la cause véritable des maux qui affligent la société et sur les moyens d’y remédier; si vous aviez la certitude que la vérité est de notre côté et non du vôtre, aucune attache de vanité, d’ambition ou d’esprit de système ne serait assez forte pour vous retenir sur les rivages de l’erreur: vos âmes seraient attristées, sans doute; vous diriez à regret un dernier adieu aux rêves qui ont nourri, enchanté et égaré vos imaginations; mais enfin vous les abandonneriez, ces chimères aimées, vous surmonteriez vos répugnances, et vous viendrez à nous. Eh! mon Dieu, nous en ferions autant de notre côté, si vous réussissiez à introduire dans nos faibles intelligences un rayon de cette lumière qui convertit saint Paul; si vous nous démontriez, clair comme le jour, que la vérité est dans le socialisme et non dans l’économie politique. Nous ne tenons à notre système qu’autant que nous le croyons juste et vrai; nous brûlerions demain, sans aucune révolte intérieure, ce que nous avons adoré, et nous adorerions ce que nous avons brûlé, s’il nous était prouvé que que nos dieux, Smith, Turgot, Quesnay, et J.-B. Say ne sont que de misérables idoles de bois. 

Nous sommes donc les uns et les autres dégagés de tout esprit de système, en prenant ce mot dans son acceptation étroite; notre vue se porte dans une sphère plus haute, nos pensées suivent un vol plus généreux: le vrai, le juste, l’utile, voilà quels sont nos guides immortels dans les cercles obscurs de la science; l’humanité, voilà quelle est notre Béatrix adorée! [Note: Allusion à Beatrice Portinari, la guide de Dante dans son exploration du paradis.]

Cela étant bien entendu entre nous, je pose nettement le question qui nous sépare.
Vous prétendez que la société souffre par la liberté, nous prétendons qu’elle souffre par la servitude.

Vous concluez qu’il faut supprimer la liberté et la remplacer par l’organisation du travail; nous concluons qu’il faut supprimer la servitude et la remplacer purement et simplement par la liberté.

Précisons d’abord les faits. De quelle époque date la liberté du travail? Elle a été, pour la première fois, proclamée par Turgot dans un édit immortel et sanctionnée plus tard par l’Assemblée constituante.

Je dirai plus loin comment elle a été de nouveau entravée, enchaînée, cette liberté sainte; pour le moment je me borne à constater qu’elle est née seulement à la fin du dix-huitième siècle. 

Maintenant, quelle a été, je vous le demande, la condition des masses laborieuses jusqu’à la fin du dix-huitième siècle? Les travailleurs étaient-ils plus heureux avant cette époque qu’ils ne l’ont été depuis?

S’ils étaient plus heureux, oh! alors, j’en conviendrai avec vous, la liberté a été pour le monde un présent funeste, et vous avez raison de réclamer une organisation du travail modelée sur celle de l’ancienne Égypte ou de l’Europe du Moyen Âge. 

Mais si, au contraire, la condition de la masse du peuple est aujourd’hui supérieure à ce qu’elle était avant '89, ne serez-vous pas, de bonne foi, obligés d’avouer que la liberté du travail a été un bienfait pour l’humanité? 

Parcourons ensemble rapidement l’histoire du passé, l’histoire de ces trente siècles de servitude qui ont précédé l’avènement de la liberté du travail, et voyons quel spectacle s’offrira à nos regards.

Est-ce bien le spectacle de l’aisance et de l’égalité universelles? Plût à Dieu! mais non. C’est, au contraire, le tableau d’une misère plus intense et d’une inégalité plus profonde que celles qui affligent aujourd’hui notre vue. Et à mesure que nous nous enfonçons plus avant dans le passé, à mesure que nous nous éloignons davantage du jour où la liberté a enfin lui sur le monde, ce tableau de la misère et de l’inégalité sociales nous apparaît plus sombre et plus hideux. 

Si nous remontons jusque dans l’Inde et en Égypte, qu’apercevrons-nous? deux castes puissantes, la caste des prêtres et celle des guerriers, qui oppriment et exploitent sans merci la foule des misérables! Au faîte de ces sociétés primitives, formées de couches superposées comme des blocs de granit, nous trouverons des sages, vêtus de pourpre, qui discutent sur l’essence de la divinité ou sur le cours des astres, et des guerriers qui s’enivrent de parfums au fond de leurs harems; tandis qu'au-dessous végètent des parias couverts d’ignominie ou des esclaves qui pétrissent de leurs sueurs et de leurs larmes l’informe et gigantesque édifice des pyramides. Le mal, dans ces sociétés primitives, était-il, nous vous le demandons, dans la liberté ou dans la servitude? 

Considérons le monde romain. Que trouvons-nous au sein de cette société, pourtant la plus riche et la plus puissante de l’antiquité? D’un côté, un patriciat composé d’un très-petit nombre d’hommes enrichis des dépouilles de l’univers. La vie de ces hommes, vous la connaissez, c’est une succession de luttes sanglantes et d’orgies immondes! À côté de cette caste toute-puissante qui se repaissait de la substance de tout un monde, comme on voyait les bandes de vautours se repaître des cadavres des vaincus de Marius, à côté de cette caste gorgée, repue, que voyons-nous? la foule besogneuse des prolétaires et la foule immonde des esclaves! Vous parlez des misères de notre classe ouvrière; eh! mon Dieu, si douloureuses, si pitoyables qu’elles soient, ces misères, vous ne sauriez les comparer à celles des prolétaires romains. Au moins, notre classe ouvrière travaille, elle ne mendie pas! On ne voit point le peuple de nos sombres faubourgs aller faire queue à la porte des splendides hôtels de notre aristocratie financière pour mendier la sportule! On ne le voit point se jeter comme un chien affamé sur les miettes que les riches secouent de leurs table d’une main dédaigneuse et ennuyée! On ne le voit pas, non plus, faire des émeutes quotidiennes pour obtenir des distributions gratuites de vivres. Non! l’ouvrier de nos jours mène certes une pauvre vie; mais, cette vie, il la gagne, il peut la gagner. Le prolétaire romain ne pouvait pas gagner la sienne. Les riches patriciens avaient accaparés toutes les industries et toutes les terres qu’ils faisaient exploiter par leurs esclaves. Victimes de cette inégale concurrence, les prolétaires n’avaient de choix qu’entre la mendicité, l’exil ou la mort. Ils mendiaient. Et pourtant, le sort de ces prolétaires avilis était mille fois préférables encore à celui des esclaves. Le prolétaire, au moins, était un homme; l’esclave, lui, n’était qu’une variété de la bête de somme, une chose! L’esclave ne possédait rien, pas même un nom. Certes, ils sont dignes de commisération, ces pauvres ouvriers de nos campagnes qui passent leur vie courbés sur la terre, sans obtenir le plus souvent en échange de leur rude labeur autre chose qu’un morceau de pain noir se nourrir, une toile grossière pour se vêtir, une hutte de boue détrempée pour se loger; mais, si pénible que soit leur existence, combien des esclaves romains la leur auraient enviée! Souvenez-vous des récits de Pline et de Columelle. Il y avait au sein des campagnes riantes de l’Italie, d’intervalle en intervalle, de sombres et infectes demeures que l’on nommait des ergastules. C’étaient les prisons ou pour mieux dire les écuries des esclaves. Le matin, ils en sortaient par bandes, enchaînés le plus souvent; ils se disséminaient dans la campagne, conduits par des contre-maîtres armés du fouet, et chaque sillon était arrosé à la fois de leur sueur et de leur sang. Le soir, on les ramenait à l’ergastule, où on les attachait comme de vils animaux auprès de leurs mangeoires. Pour eux point de famille, une promiscuité immonde! point de Dieu, une fatalité inexorable qui les déclassait de l’humanité, en ne leur laissant pas même l’espérance d’une autre vie! Telle était, vous le savez, la situation des masses laborieuses dans l’antiquité. Pourtant le monde n’était point soumis alors à la loi du laissez-faire! 

Plus tard, que voyons-nous encore? Est-ce que la situation du peuple s’améliore beaucoup, à la chute du monstrueux édifice de l’empire romain? Moralement, oui, sans doute, le christianisme lui apporte des consolations sublimes; matériellement, non! Pendant tout le moyen âge, la vie du peuple, serf de la glèbe dans les campagnes, serf de la maîtrise dans les villes, n’est qu’une longue suite des angoisses. Le moyen âge est un époque de douleurs et de tristesses, et parmi les voix de ceux qui gémissent on distingue entre toutes la grande et sombre voix du peuple. Plus tard encore, après tant et de si fécondes découvertes, après que la poudre à canon a fait justice de la tyrannie des seigneurs, après que l'imprimerie a dissipé les plus épaisses ténèbres de l’ignorance, après que la boussole nous a donné un nouveau monde, est-ce que le peuple a cessé de souffrir. Sous Louis XIV, sous le règne de ce roi qui a porté si haut, dit-on, la gloire et la puissance de la France, quelle était la condition du peuple? Était-il supérieure à celle du peuple de nos jours? Tout le monde connaît le passage célèbre de la Dixme royale de Vauban, dans lequel cet illustre homme de bien caractérisait en des termes navrants l’état de la France.
“Il est certain, disait-il, que le mal est poussé à l’excès, et si l’on n’y remédie, le menu peuple tombera dans une extrémité dont il ne se relèvera jamais; les grand chemins des campagnes et les rues des villes et des bourgs étant pleins de mendiants que la faim et la nudité chassent de chez eux.
“Par toutes les recherches que j’ai pu faire depuis plusieurs années que je m’y applique, j’ai fort bien remarqué que, dans ces derniers temps, près de la dixième partie du peuple est réduite à la mendicité, et mendie effectivement; que des neufs autres parties, il y en a cinq qui ne sont pas en état de faire l’aumône à celle-ça, parce qu’eux-mêmes sont réduits, à très-peu de chose près, à cette malheureuse condition; que des quatre autres parties qui restent, trois sont fort malaisées et embarrassées de dettes et de procès, et que dans la dixième, où je mets tous les gens d’épée, de robe, ecclésiastiques et laïques, toute la noblesse haute, la noblesse distinguée, et les gens en charge militaire et civile, les bons marchands, les bourgeois rentés et les plus accommodées, on ne peut pas compter sur cent mille familles; et je ne croirais pas mentir quand je dirais qu’il n’y a pas de dix mille familles petites ou grandes qu’on puisse dire fort à leur aise. [Collection des principaux économistes, édition Guillaumin, t. Ier, p. 34]
Voilà quelle était la condition du peuple avant l’avènement de la liberté du travail.
Aussi, pendant cette longue période de souffrances, quel est le cri de la foule? Que demandaient les captifs d’Egypte, les esclaves de Spartacus, les paysans du Moyen Âge, et plus tard les ouvriers opprimés par les maîtrises et les jurands? Ils demandaient la liberté!
Ils se disaient: nos consciences, nos pensées, notre travail sont opprimés, exploités par des hommes qui se sont imposés à nous par la violence ou la ruse. Les uns nous interdisent d’aimer Dieu et de le prier autrement que selon leur formule; les autres nous obligent à étudier dans leurs livres Dieu, la nature et l’homme; ils emprisonnent notre pensée dans le cercle de fer de leurs systèmes, en nous défendant, sous peine de mort, de le briser; d’autres enfin, après que ceux-là ont enchaînés nos âmes, enchaînent nos corps. Ils nous obligent à demeurer attachés comme la plante au lieu de notre naissance, et là, ils s’emparent, en vertu de leurs privilèges, de la meilleure part des fruits de nos sueurs. Brisons ces liens qui nous meurtrissent, brisons-les au péril de nos jours; demandons pour tous la liberté de l’âme et celle du corps, revendiquons pour tous le droit naturel de croire, de penser et d’agir librement, et nos souffrances auront une terme. Nos âmes ne seront-elles pas satisfaites, si nous obtenons pour elles le libre accès du monde immatériel, la faculté de voguer sur l’océan immense et merveilleux des intelligences, sans être retenue par le câble de fer d’un système imposé? Nos besoins physiques ne seront-ils pas complètement apaisés, si le monde matériel nous est librement ouvert; si nous pouvons porter, sans entraves, notre travail et en échanger les produits sur toute la surface de cette terre féconde que la providence nous a généreusement abandonnée? Devenons libres, et nous serons heureux! 

Tel était le cri de l’humanité opprimée. Eh bien! pensez-vous donc que l’humanité se trompât quand elle le poussait, de siècle en siècle, ce long cri de détresse et d’espérance? pensez-vous qu’en poursuivant sans cesse la liberté elle courût après un vain mirage? Non! descendez dans vos âmes, et vous n’oserez l’affirmer; vous n’oserez dire, ô Brutus du socialisme, que la liberté n’est qu’un vain nom!

Vous objecterez, à la vérité, que l’humanité souffre encore! Sans doute. Mais, et je tenais à bien constater ce fait devant vous, elle souffrait avant l’avènement de la liberté dans le monde, et ses souffrances étaient alors plus âpres et plus intenses qu’elles ne le sont de nos jours. 

Vous ne pouvez donc, sans commettre un grossier anachronisme, accuser la liberté des maux des classes laborieuses avant '89; est-ce avec plus de justice que vous lui imputez ceux qui ont depuis cette époque accablé les travailleurs? C'est ce que je me réserve d'examiner dans une prochaine lettre.

UN RÊVEUR

Cette lettre aux socialistes est apparu sous le titre L'Utopie de la Liberté dans le Journal des Économistes Tome XX, N° 82. – 15 juin 1848

Gustave de Molinari

Translation by Roderick T. Long




L'original en anglais:


We are adversaries, and yet the goal which we both pursue is the same. What is the common goal of economists and socialists? Is it not a society where the production of all the goods necessary to the maintenance and embellishment of life shall be as abundant as possible, and where the distribution of these same goods among those who have created them through their labour shall be as just as possible? May not our common ideal, apart from all distinction of schools, be summarised in these two words: abundance and justice?
LTS-I.2 Such, none among you can deny, is our common goal. Only we approach this goal by different paths; you proceed along the obscure and hitherto unexplored defile of the organisation of labour, while we proceed along the broad and well-known highway of liberty. Each of us is attemping to lead in train a hesitating and groping society that scans the horizon seeking, but in vain, the pillar of light that formerly guided the slaves of the Pharaohs to the Promised Land.
LTS-I.3 Why do you refuse to follow the path of liberty alongside us? Because, you say, this liberty which we so extol is fatal to the labourers; because it has thus far produced only the oppression of the weak by the strong; because it has give birth to disastrous crises in which millions of men have lost in some cases their fortunes and in other cases their lives; because liberty unbridled, unregulated, unlimited – is anarchy!
LTS-I.4 Is this not the reason that you reject liberty? is this not the reason that you demand the organisation of labour?
LTS-I.5 Well then, if we prove to you with sufficient clarity that all the evils which you attribute to liberty – or, to make use of an absolutely equivalent expression, to free competition – have their origin not in liberty but in the absence of liberty, in monopoly, in servitude; if we further prove to you that a society of perfect freedom, a society disencumbered of every restriction, of every fetter, such as has never been seen in history, would be exempted from the greatest part of the miseries of the present régime; if we prove to you that the organisation of such a society would be the best, the most just, the most favourable to advancement in the production and equality in the distribution of wealth; if we should prove all this, I ask, what would be your response? Would you continue to proscribe the freedom of labour and to inveigh against political economy, or would you, rather, rally openly to our banner, and employ all the precious fund of intellectual and moral forces with which nature has endowed you, to speed the triumph of our henceforth common cause, the cause of liberty?
LTS-I.6 Ah! I would be willing to swear that you would not hesitate a moment. If you became certain that you had been mistaken as to the true cause of the evils which afflict society and the means of remedying them; if you became certain that the truth is on our side and not on yours, no bonds of vanity, of ambition, or of stubborn partisanship would be strong enough to keep you on the shore of error: your hearts would be saddened, no doubt; you would bid with regret a last farewell to the dreams which have fed, enchanted, and misled your imaginations; but in the end you would abandon these beloved chimeras, you would overcome your repugnance, and you would come over to us. By God, we for our part would do as much, if you should succeed in introducing into our feeble intellects a ray of that light which converted St. Paul; if you should demonstrate, as clearly as the day, that the truth lies with socialism and not with political economy. We hold to our system only so far as we believe it true and just; we would burn tomorrow, with no inner rebellion, what we have adored, and we would adore what we have burned, if it were proven to us that our gods, Smith, Turgot, Quesnay, and J.-B. Say, are no more than wretched idols of wood. [Online editor’s note: classical liberal economists Adam Smith (1723-1790), Anne-Robert-Jacques Turgot (1727-1781), François Quesnay (1694-1774), and Jean-Baptiste Say (1767-1832). – RTL]
LTS-I.7 We and you, therefore, are alike free of all stubborn partisanship, taking this term in its strict sense; our view rises to a higher sphere, our thoughts follow a more generous flight: it is truth, justice, and utility that are our immortal guides through the hidden circles of science; it is humanity that is our adored Beatrice! [Online editor’s note: a reference to Dante’s guide through Paradise in the Divine Comedy. – RTL]
LTS-I.8 This being well understood between us, I pose plainly the question which separates us.
LTS-I.9 You maintain that society suffers from liberty; we maintain that it suffers from servitude.
LTS-I.10 You conclude that it is necessary to abolish liberty, and to put in its place the organisation of labour; we conclude that it is necessary to abolish servitude, and to put in its place – liberty, pure and simple.
LTS-I.11 Let us begin by specifying the facts. From what are does the freedom of labour date? It was proclaimed for the first time by Turgot in an immortal edict [Online editor’s note: in 1776, during Turgot’s tenure as finance minister. – RTL], and later sanctioned by the Constituent Assembly.
LTS-I.12 I will tell later on how this sacred freedom has been newly fettered and chained; for the moment I confine myself to noting that it was born only at the end of the eighteenth century.
LTS-I.13 Now what, I ask you, was the condition of the labouring masses up to the end of the eighteenth century? Were the workers happier before this time than they have been since?
LTS-I.14 If they were happier, oh! then I will agree with you that liberty has been a fatal gift for the world, and you are right to call for an organisation of labour modeled on that of ancient Egypt or mediæval Europe.
LTS-I.15 But if, on the contrary, the condition of the mass of people today is superior to what it was before ’89 [Online editor’s note: 1789, inter alia the first year of the Constitutent Assembly, and thus for Molinari the first year of (relative) freedom of labour. – RTL], will you not be obliged in good faith to acknowledge that the freedom of labour has been a benefit for humanity?
LTS-I.16 Let us quickly run over together the history of the past, the history of those thirty centuries of servitude which proceeded the arrival of the freedom of labour, and let us see what spectacle it offers to our view.
LTS-I.17 Is it truly the spectacle of universal ease and equality? Would God that it were! but no. It is on the contrary the tableau of a wretchedness more intense and of an inequality more profound than those which afflict our sight today. And the further back into the past we plunge, setting at ever greater distance the day when liberty finally shone forth upon the earth, the darker and more hideous this tableau of misery and social inequality appears to us.
LTS-I.18 If we go back as far as India and Egypt, what will we behold? two powerful castes, the caste of priests and that of the warriors, oppressing and exploiting without mercy the wretched multitude. At the pinnacle of these primitive societies, constructed in layers piled one above another like blocks of granite, we find the sages, garbed in purple, discussing the essence of divinity or the course of the stars, and the warriors intoxicating themselves with perfumes in the recesses of their harems; while below there vegetate the pariahs, covered in ignominy, or the slaves, moulding with their sweat and their tears the rude, gigantic edifice of the pyramids. Did the evil of these primitive societies, we ask, lie in liberty or in servitude?
LTS-I.19 Let us consider the Roman world. What do we find at the heart of this society, though it was the richest and most powerful of antiquity? On one side, a patriciate composed of a very small number of men enriched by the spoils of the universe. The life of these men, as you know, was a succession of bloody battles and foul orgies! Beside this all-powerful caste, gorging itself on the substance of an entire world as the vultures were seen to gorge themselves on the corpses of those vanquished by Marius [Online editor’s note: the Roman general Gaius Marius was said to have carried two pet vultures on his sanguinary campaigns. – RTL] – beside this engorged and satiated caste, what do we see? the impoverished multitude of proletarians and the debased multitude of slaves! You speak of the miseries of our working class; good God! as painful and pitiable as these miseries may be, you can hardly compare them with those of the Roman proletarians. At least our working class works; it does not beg! The people of our gloomy suburbs are not to be seen lining up at the gates of the splendid mansions of our moneyed aristocracy to beg alms! They are not to be seen hurling themselves like dogs upon the crumbs which the rich brush from their tables with a bored and disdainful hand! Nor yet are they to be raising daily riots to obtain free distribution of food. No! today’s worker undeniably leads a poor life; but he earns this life, he is able to earn it. The Roman proletarian was not in a position to earn his own life. The wealthy patricians had monopolised all the industries and all the soil, which they exploited by means of their slaves. Victims of this unequal competition, the proletarians’ only choice was between begging, exile, and death. They begged. And yet the lot of these degraded proletarians was still a thousand times preferable to that of the slaves. The proletarian, at least, was a man; the slave, for his part, was only one more species of beast of burden, a thing! The slave possessed nothing, not even a name. Admittedly the poor workers of our own countryside deserve our commiseration, they who pass their lives stooped to the ground, most often obtaining in exchange for their hard labour nothing better than a morsel of black bread to eat, a coarse cloth to wear, and a mud hut to sleep in; but however painful this existence, how many Roman slaves would have envied it! Recall the accounts of Pliny and Columella. [Online editor’s note: Gaius Plinius Secundus (or Pliny the Elder) and Lucius Junius Moderatus Columella, Roman writers on agriculture. – RTL] At the heart of the smiling countryside of Italy were to be found, at periodic intervals, those dark and noisome dwellings which were called ergastula. These were prisons, or to speak more accurately stables, of slaves. In the morning they filed out in bands, generally chained; they spread out across the countryside, driven by overseers armed with whips, and each furrow was watered with their sweat and their blood together. In the evening they were led back to the ergastulum, where like base animals they were tied up beside their mangers. For them no family, but a filthy promiscuity! no God, but an inexorable fate which robbed them of their humanity while leaving them not even the hope of a life to come! Such, as you know, was the condition of the labouring masses in antiquity. And yet the world had not yet been subjected to the law of laissez-faire!
LTS-I.20 Later on, what further do we see? Is the situation of the people much improved with the fall of the monstrous edifice of the Roman Empire? Morally, yes, no doubt, insofar as Christianity affords them sublime consolations; materially, no! Throughout the Middle Ages, the life of the people, whether serfs to the soil in the countryside or serfs to the corporations in the cities, is but a long train of anguish. The Middle Ages are a period of pain and sorrow, and among the groaning voices may be distinguished throughout the great and melancholy voice of the people. Still later, after so many and such fertile discoveries, after gunpowder had brought to justice the tyranny of the feudal lords, after printing had dispelled the deepest darkness of ignorance, after the compass gave us a new world, did the people cease to suffer? Under Louis XIV – under the reign of that king who is said to have carried to such heights the glory and power of France – what was the condition of the people? Was it superior to that of the people today? Everybody knows the celebrated passage in Vauban’s Royal Tithe [Online editor’s note: French economist Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707). – RTL], in which that illustrious man of good will characterised France’s situation in heart-breaking terms:
LTS-I.21 “It is certain,” he wrote, “that the evil has been pressed to the extreme, and if it is not remedied, the humble people will fall into an extremity from which they will never rise again; the highways of the countryside and the streets of the cities and towns are filled with beggars driven from their homes by hunger and nakedness.
LTS-I.22 “From all the research which I have been able to make during the several years that I have devoted myself to it, I have become very much aware that in recent times nearly one-tenth of the people is reduced to begging, and begs indeed; as for the other nine tenths, five are in no position to give them alms, since they themselves are but a short way from being in the same unhappy condition; of the four remaining tenths, three are worried and encumbered by debts and lawsuits; and in the final tenth – where I place all men of the sword and the robe, whether ecclesiastical or lay, all the high and distinguished nobility, all those with military or civil responsibility, the successful merchants, the bourgeois rentiers, and the most comfortable classes – there cannot be reckoned more than a hundred thousand families; and I do not think I would be wrong in saying that no more than ten thousand families, great or small, could be described as living in much ease1.”
LTS-I.23 Such was the condition of the people before freedom of labour arrived on the scene.
LTS-I.24 Moroever, throughout this long period of sufferings, what is the cry of the multitude? What was the demand of the captives of Egypt, the slaves of Spartacus, the peasants of the Middle Ages, and later the workers oppressed by the corporations and guilds. They demanded liberty!
LTS-I.25 They said to each other: our consciences, our thoughts, our labour are oppressed and exploited by men who have imposed themselves on us by violence or trickery. Some of them forbid us to love God and pray to him otherwise than according to their formula; others require us to study God, man, and nature according to their books, imprisoning our thoughts within the iron circle of their systems by forbidding us on pain of death to break it; still others, after these have enchained our souls, enchain our bodies. They require us to live attached like a plant to the place of our birth, and there they exercise their privileges to seize the greater part of the fruits of our labour and sweat. Let us burst asunder, even at the risk of our lives, these bonds which bruise us; let us demand, for all, both the liberty of the soul and that of the body; let us claim, for all, the natural right to believe, to think, and to act freely – and our sufferings will be at an end. Will our souls not be satisfied, once we have obtained for them free access to the immaterial realm – the ability to sail the immense and marvelous ocean of the mind, without being held back by the iron cable of an imposed system? Will our physical needs not be entirely met, once the material realm is freely open to us – once no fetters forbid us to bring our labour and exchange its products over the entire surface of this fertile earth with which providence has generously endowed us? Let us become free, and we will be happy!
LTS-I.26 Such was the cry of oppressed humanity. Well, then! do you suppose, therefore, that humanity was mistaken when it raised, from century to century, this long cry of distress and hope? do you that in their ceaseless pursuit of liberty they were running after a vain mirage? No! look into your hearts, and you will not dare to affirm it; you will not dare, you Brutuses of socialism, to say that liberty is only an empty name!
LTS-I.27 You will doubtless object that humanity still suffers! Most assuredly. But, and I insist on keeping this fact before your gaze, it suffered before the arrival of liberty upon the earth, and its sufferings then were harsher and more intense than they are today.
LTS-I.28
You cannot, therefore, without being guilty of gross anachronism, charge liberty with the ills of the labouring classes before ’89; is it with greater justice that you impute to it those which have crushed the workers since that time? The examination of that question I reserve to a future letter.

A DREAMER.
Journal des Économistes vol. 20, no. 82. – June 15th, 1848 (pp. 328-332).

[Online editor’s note: while this article was originally published anonymously, Molinari later acknowledged his authorship in his 1899 book Society of the Future, where he noted:
This appeal, which incidentally bears the imprint of the confident naïveté of youth, was, as events have shown, entirely premature. It went unheard; but one may be permitted to hope that it will yet be heard one day, and that socialism, by contributing to the economists its contingent of forces, will aid them in surmounting the resistance of those selfish and blind interests that set themselves athwart the necessary transformation of a political and economic organisation which has ceased to be adapted to societies’ present conditions of existence..]


 
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