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septembre 24, 2025

Formalisation des Principes de la Liberté; Contrat d'installation anarcho-capitaliste sur une zone donnée.

Préambule

Reconnaissant la dignité inhérente, la liberté et la souveraineté morale de chaque personne, et confirmant que la paix, la prospérité et l’épanouissement humain naissent là où chacun respecte la liberté égale des autres — nous proclamons ces Principes universels de liberté (« Principes »).
Leur but est de promouvoir des interactions sans conflit. Ces principes découlent de la raison, de l’expérience et de l’éthique ; ils ne sont imposés par aucun État ni par la volonté de la majorité. L’adoption est volontaire, chacun peut adopter les principes par un acte de consentement clair, et leur application dépend du choix libre des individus et des communautés de vivre selon ces principes et de résoudre les conflits sous leur égide.
 

 

Portée et hiérarchie

Primauté

Ces principes constituent la norme méta-normative suprême pour tous les adoptants.

Règles secondaires

Les adoptants peuvent établir des chartes, accords, statuts, coutumes, codes privés ou autres systèmes juridiques privés fondés sur ces principes (« Règles et lois secondaires »). Ces règles peuvent préciser des procédures ou traiter des questions non couvertes ici, mais ne peuvent contredire, annuler ou limiter ces principes.

Conflits

Si une règle ou une pratique secondaire contredit ces principes, ces principes prévalent. De tels différends seront résolus par arbitrage impartial.

Interprétation

Si ces principes sont silencieux ou ambigus, l’arbitre peut consulter :
  • * Les règles secondaires pertinentes, les pratiques coutumières et les principes juridiques généralement reconnus ;
  • * Les systèmes établis de droit privé tels que le droit romain, la common law anglo-américaine ou les codes civils modernes ;
  • * Les codifications, réstatements et commentaires académiques réputés — notamment des penseurs libertariens — à condition qu’ils soient compatibles avec ces principes.

Article I — Termes et définitions

  • * Adoptant — Toute personne qui adopte ces principes.
  • * Personne (titulaire de droits) — Tout être sensible dont la souveraineté morale fonde la présomption d’auto-propriété et de responsabilités mutuelles. Ces principes ne définissent pas délibérément quand la personnalité commence ou finit ; cela sera déterminé par la recherche scientifique, philosophique ou spirituelle et, si nécessaire, par arbitrage impartial. Note : Le terme « personne » n’inclut pas les entités collectives ou juridiques telles que les sociétés, associations ou autres organisations ; elles ne peuvent détenir des droits que par l’intermédiaire d’une personne réelle.
  • * Ressource — Tout moyen rare et rival qu’une personne peut contrôler pour atteindre un objectif. Le corps d’une personne est une ressource, tout comme les choses extérieures (« ressources externes »). Les informations, idées, modèles et connaissances — n’étant pas rivaux — ne sont pas des ressources. Les ressources externes peuvent être détenues par des individus ou des groupes par contrat ou propriété commune. La propriété de groupe n’accorde pas plus de droits que la propriété individuelle.
  • * Droit (propriété) — Le droit exclusif d’une personne de contrôler une ressource et d’exclure les autres de son usage, sauf consentement du propriétaire. Tous les droits sont des droits de propriété.
  • * Consentement — L’autorisation ou la licence donnée par le propriétaire d’une ressource à un autre pour l’utiliser, ou, dans le cas de ressources externes, pour transférer la propriété. Le consentement peut être donné ou refusé explicitement ou implicitement selon les circonstances, la dernière expression prévalant. Dans certains cas, le consentement peut être présumé, comme dans la gestion d’affaires (Negotiorum Gestio), où une personne agit dans l’intérêt du propriétaire en supposant que celui-ci aurait consenti.
  • * Agression — L’utilisation, l’appropriation, la violation ou le franchissement des limites de la ressource d’autrui sans consentement du propriétaire, ou l’acquisition frauduleuse ; ou une menace crédible de cela.
  • * Tutelle — Une gestion fiduciaire où une personne compétente agit au nom d’une autre qui manque actuellement de souveraineté morale. La tutelle peut découler de relations naturelles (ex : parent-enfant, proches avec handicap), de contrats ou de pratiques communautaires. Le tuteur est lié par ces principes, doit agir dans le meilleur intérêt du protégé et peut être soumis à l’arbitrage impartial en cas d’objection raisonnable.
  • * Arme de destruction massive (ADM) — Tout dispositif, système, agent, instrument ou technologie dont l’usage courant ne distingue pas entre agresseur et non-participant et dont les dommages peuvent être massivement létaux.
  • * Loi — Les lois sont des règles exécutoires qui reconnaissent les droits de propriété sur les ressources et autorisent l’usage de la force pour protéger ces droits. Toute loi contraire à ces principes est injuste et nulle. Des exemples de lois injustes figurent à l’article V.
  • * Contrat — Un accord unilatéral, bilatéral ou multilatéral de transfert de propriété — présent ou futur — par lequel le(s) propriétaire(s) de ressources externes transfèrent volontairement la propriété ou la licence d’utilisation de ressources spécifiques à d’autres.

Article II — Principes

  • 1. Principe de non-agression — L’agression contre la ressource d’autrui est injuste, quel que soit le statut ou l’échelle de l’auteur. L’agression inclut les actes individuels et collectifs, où les participants peuvent être responsables des actes des autres selon la relation et la causalité.
  • 2. Auto-propriété — Chaque personne est le propriétaire originel et présumé de son corps. L’incapacité temporaire ou permanente ne supprime pas l’auto-propriété. L’auto-propriété peut être partiellement ou totalement perdue suite à une agression, selon les principes de défense et de proportionnalité.
  • 3. Appropriation initiale (homesteading) — Les ressources externes non possédées deviennent la propriété de la première personne (ou groupe) qui les marque, occupe ou transforme clairement, établissant ainsi un lien objectif et vérifiable entre la personne et la ressource. Cette propriété demeure jusqu’à transfert par contrat, réparation ou abandon. L’abandon peut être déterminé par des signes suffisants tels qu’une longue inactivité, une déclaration claire ou l’absence d’objection à une occupation ouverte par autrui.
  • 4. Échange volontaire (transfert contractuel de propriété) — Une personne peut acquérir la propriété d’une ressource externe par transfert contractuel du propriétaire précédent. Ce transfert peut être partiel ou total, conditionnel ou non, temporaire ou permanent, immédiat ou futur, selon le contrat entre les parties. Seules les promesses créent une obligation morale mais non légale ; les contrats sont des transferts volontaires de propriété fondés sur les droits du propriétaire, qui restent jusqu’au transfert, réparation ou abandon.
  • 5. Réparation — L’agresseur avéré doit indemniser la victime à hauteur du préjudice causé. Cela peut inclure le transfert de propriété de ressources. Lors de la détermination de l’indemnisation, il faut tenir compte de l’étendue du préjudice, de la perte subjective de la victime, de l’intention et des motivations de l’agresseur, et, selon §10, du type et du degré de sanction que la victime peut imposer.

Article III — Normes complémentaires

  • 6. Inaliénabilité de la personne — Les contrats transférant le contrôle ultime du corps d’une personne, tels que les contrats d’esclavage volontaire, ne sont pas exécutoires.
  • 7. Proportionnalité et autodéfense — La force défensive en réponse à une agression est justifiée et n’est pas elle-même une agression, lorsqu’elle est raisonnablement nécessaire et proportionnée à la menace, qu’elle soit immédiate ou différée. Lorsque possible, l’auto-assistance doit être évitée conformément à l’article 11.
  • 8. Armes de destruction massive (ADM) — La possession, le développement ou l’utilisation d’une ADM constitue une menace continue lorsqu’elle expose des innocents à un risque prévisible par des effets indifférenciés ou catastrophiques. Cette présomption ne peut être réfutée que si des mesures de protection solides éliminent le risque de préjudice. Si ce n’est pas le cas, une action proportionnée — avec notification, dialogue et arbitrage lorsque possible — est justifiée pour éliminer le danger ; en cas d’urgence, une intervention immédiate peut être permise.
  • 9. Présomption de propriété — Celui qui détient une ressource externe est présumé propriétaire, cette présomption pouvant être réfutée par une preuve de meilleure propriété, telle qu’un transfert contractuel, une réparation d’agression ou un abandon. En cas de litige, la partie prouvant le meilleur droit l’emporte, en tenant compte des présomptions et des standards de preuve.
  • 10. Standards de preuve et procédure : sanction. Un agresseur peut perdre certains droits par son acte. La nature et l’étendue de toute réparation — indemnisation, sanction ou protection — seront déterminées selon les règles communautaires compatibles avec ces principes. Les réparations sévères exigent des standards de preuve élevés, tels que la preuve au-delà du doute raisonnable, la décision unanime, la protection contre la double sanction et le droit du jury sur la loi et les faits. En cas d’agression mortelle, le droit de pardon ou de règlement appartient au plus proche parent de la victime ou à l’arbitre ; s’il y a plusieurs victimes, l’arbitre peut fixer les conditions du pardon. L’agression répétée ou grave peut faire de l’agresseur une menace continue, justifiant des mesures défensives proportionnées.

Article IV — Ordre juridique décentralisé

  • 11. Objectifs ; prévention des conflits et compromis — Les adoptants de ces principes s’engagent à négocier de bonne foi, à rechercher le compromis lorsque possible et à soumettre les différends à un arbitrage impartial, afin de promouvoir des interactions sans conflit. Lorsque possible, l’auto-assistance, la justice privée, le fait de juger sa propre cause ou l’anarchie doivent être évités. Tous ceux qui adoptent ces principes et souhaitent en bénéficier doivent s’efforcer de les respecter et de soutenir un ordre juridique libre qui les applique. La fourniture de protection peut être confiée à des entrepreneurs ou à des milices organisées, à condition qu’ils respectent ces principes.
  • 12. Arbitrage concurrentiel — Aucune institution ne détient de monopole forcé sur la loi ou son application. Les individus sont libres de choisir des arbitres et agences de protection concurrents. Les institutions d’arbitrage et les tribunaux peuvent, avec le consentement des clients, établir des cours d’appel pour résoudre les différends entre arbitres et agences de protection.
  • 13. Évolution coutumière du droit — Les communautés peuvent développer et promulguer des règles et lois secondaires, des registres, des règles de procédure et de preuve compatibles avec ces principes.

Article V — Lois injustes sélectionnées

Les lois énumérées ci-dessous sont des exemples de lois positives, passées ou présentes, incompatibles avec ces principes et donc injustes. Cette liste est illustrative et non exhaustive : toute loi contraire à ces principes est injuste, qu’elle soit mentionnée ici ou non. L’inclusion de certaines lois ne signifie pas que d’autres lois contradictoires peuvent être appliquées.
  • * Impôt — Prélèvement non consenti de ressources, généralement pour financer des institutions gouvernementales ; les besoins communautaires doivent être satisfaits par des moyens volontaires et des solutions de marché libre.
  • * Expropriation — Saisie, réglementation ou restriction de l’usage des ressources, qu’il y ait compensation ou non.
  • * Interdiction de consommation ou d’usage de substances — Interdictions sur l’alcool, les drogues ou toute substance consommable.
  • * Travail forcé — Service militaire obligatoire, esclavage ou tout service imposé aux innocents.
  • * Interdiction des armes défensives — Interdiction générale de la possession d’armes pour la légitime défense, sauf ADM.
  • * Monopole monétaire — Banque centrale, lois sur la monnaie légale, contrôle des devises ou restrictions sur la possession ou l’usage d’or, de cryptomonnaies ou de toute forme de monnaie.
  • * Propriété intellectuelle — Droit d’auteur, brevets ou lois similaires, car les idées ne sont pas des ressources rivales. Note : La création et l’innovation ne peuvent être protégées et récompensées que par des accords non agressifs.
  • * Réputation comme propriété — Lois sur la diffamation, les marques ou similaires qui considèrent la réputation comme une propriété distincte. Note : La réputation n’existe que dans l’esprit d’autrui et ne peut être possédée, bien qu’elle puisse être protégée par des moyens pacifiques.
  • * Obligations non choisies — Toute obligation positive ou droit au bien-être qui n’a pas été accepté volontairement ou qui ne découle pas d’un acte volontaire.
  • * Censure — Toute loi censurant, sanctionnant ou imposant l’expression en raison de son contenu est injuste. Note : Si la parole cause une agression, l’orateur est responsable.

Confirmation finale

L’aspiration derrière ces principes est un monde sans agression systémique, ouvert à tous. Que chaque âme libre se souvienne : nous ne nous inclinons devant aucun État, nous ne nous agenouillons devant aucun ordre sauf la justice, nous ne servons aucun maître sauf la raison et l’éthique. Ici, sous ces principes, nous choisissons une vie sans contrainte, sans chaînes et sans tyrans. Et aucune puissance sur Terre ne peut nous arrêter.
Signature
J'adopte par la présente les Principes Universels de Liberté.

septembre 14, 2025

La cleptocratie (ou kleptocratie) est le gouvernement (ou le pouvoir) des voleurs.!! Selon HH.HOPPE

Il n'y a pas beaucoup de chances que les imbéciles, même s'ils forment la majorité, soient systématiquement plus malins que la minorité des individus brillants et énergiques et parviennent à s'enrichir à leurs dépens. 
 
 

 
 
Bien plutôt, la plus grande partie de la redistribution se fera à l'intérieur du groupe des "non-pauvres", et il arrivera souvent que ce soient les plus riches qui arrivent à se faire subventionner par les plus pauvres. 
 
Pensez seulement à la pratique quasi-universelle des études universitaires quasiment "gratuites", grâce auxquelles la classe ouvrière, dont les enfants fréquentent rarement l'enseignement supérieur, est amenée à subventionner la formation des enfants de la bourgeoisie. » 
 
Hans-Hermann Hoppe
 
 
«  Il est facile de comprendre pourquoi on pourrait vouloir instituer un État. Ce n'est pas, comme on nous le serine depuis l'école maternelle, pour réaliser le bien commun ou parce que sans État il n'y aurait pas d'ordre, mais pour une raison beaucoup plus égoïste et basse. C'est parce que celui qui détient un monopole de l'arbitrage final sur un territoire donné peut inventer et imposer des lois en sa faveur au lieu de reconnaître et d'appliquer le droit existant ; et qui peut légiférer peut aussi imposer, et donc s'enrichir aux dépens d'autrui. »
    — Hans-Hermann Hoppe, Natural order, the state, and the immigration problem, Journal of Libertarian Studies, 2002, voir source ici en Pdf
 
Source: Wikibéral 
 

octobre 25, 2014

Sur la page pour une démocratie libérale 17/21 (loi des + et droits des -)

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


Loi de la majorité et droits de la minorité


À première vue, les principes de 'loi de la majorité' et de 'protection des droits des individus et de la minorité' peuvent sembler contradictoires. En fait, ce sont les deux piliers sur lesquels repose le mode de gouvernement démocratique.
La loi de la majorité est un moyen d'organiser la vie publique et de faire les choix qu'elle suppose ; ce n'est en rien une forme d'oppression. Aucun groupe autoproclamé n'a le droit d'opprimer les autres et aucune majorité, même dans une démocratie, n'est fondée à supprimer les libertés et les droits fondamentaux de la minorité ou des individus.

Qu'elles reposent sur des questions ethniques, religieuses ou géographiques, ou qu'elles résultent d'inégalités de revenu, ou qu'elles viennent seulement d'une défaite à des élections ou dans un débat d'idées et de programmes politiques, les minorités jouissent des droits de l'homme fondamentaux garantis par la loi, dont aucun gouvernement, aucune majorité, élue ou non, ne saurait les priver.

Les minorités doivent avoir la certitude que les pouvoirs publics protégeront, quoi qu'il arrive, leurs droits et leur identité. Lorsqu'elles ont cette confiance fondamentale, elles se sentent libres de participer aux institutions démocratiques de leur pays et d'apporter leur contribution.

Les droits de l'homme fondamentaux que tout gouvernement démocratique doit protéger sont notamment la liberté de parole et d'expression, la liberté de religion et de croyance, le respect de l'État de droit, c'est-à-dire l'application de la loi selon les procédures prévues, une égale protection de tous par la loi et la liberté de chacun de s'organiser, de s'exprimer, d'avoir une opinion différente et de participer pleinement à la vie publique de la société.

Les démocraties savent que la protection du droit des minorités à conserver leur identité culturelle et leurs pratiques sociales et à jouir de la liberté de conscience et de pratique religieuse est un de leurs premiers devoirs.

L'acceptation et le respect de groupes ethniques et culturels pouvant sembler étranges voire étrangers à la majorité constituent l'une des plus grandes difficultés auxquelles est confronté tout gouvernement démocratique. Mais les démocraties savent que la diversité d'une population peut constituer un formidable atout. Elles considèrent donc ces différences d'identité, de culture et de valeurs comme un défi susceptible de les renforcer et de les enrichir et non comme une menace.

Il y a de multiples façons de résoudre le problème posé par les différences d'opinions et de valeurs des minorités, mais une chose est sûre : seuls le principe démocratique de tolérance, la pratique du débat et l'acceptation de compromis peuvent permettre aux sociétés de forger des ententes reposant sur les deux piliers que sont la loi de la majorité et les droits de la minorité.


Tolérance

De Wikiberal
 
La tolérance, du latin tolerare (soutenir, supporter), définit le degré d'acceptation face à un élément contraire à une règle morale, civile ou physique. Plus généralement, elle définit la capacité d'un individu à accepter une chose avec laquelle il n'est pas en accord. Et par extension, l'attitude d'un individu face à ce qui est différent de ses valeurs.
La notion de tolérance s'applique à de nombreux domaines :
  • la tolérance sociale : attitude d'une personne ou d'un groupe social devant ce qui est différent de ses valeurs morales ou ses normes,
  • la tolérance civile : écart entre les lois et leurs applications et l'impunité,
  • la tolérance selon Locke : « cesser de combattre ce qu'on ne peut changer »,
  • la tolérance religieuse : attitude devant des confessions de foi différentes. 

La tolérance comme moyen libéral dans la recherche de la vérité

Cette attitude a constitué l'apport libéral en vue de résoudre les crises issues des guerres de religion. Plusieurs auteurs, de Grotius à Pierre Bayle, ont développé la thèse suivant laquelle des individus de confessions différentes pouvaient coexister sans heurts tout en conservant leur foi propre. A noter que cette thèse était généralement admise en Orient depuis fort longtemps : ainsi l'édit n° XII du roi Asoka (273 av. J.-C. - 232 av. J.-C.) affirmait : « On ne devrait pas honorer seulement sa propre religion et condamner les religions des autres sans motif valable ; ce faisant, on fait du tort autant à sa propre religion qu'à celle des autres. Le contact entre les religions est une bonne chose ».

XVIIe siècle

Dans l'Angleterre du XVIIe siècle, tourmentée par les conflits religieux et politiques, les Levellers ont également défendu la liberté de croyance et de culte. Pour l'un d'eux en particulier, William Walwyn, auteur notamment d'un libelle intitulé Toleration justified and Persecution condemned (1646), l'État ne peut contraindre quiconque à suivre la religion majoritaire. Se fondant sur saint Paul, pour lequel tout ce qui ne vient pas de la foi est péché, il estime qu'obliger un individu à adhérer à une foi à laquelle il ne croit pas revient à le transformer en menteur et en hypocrite, donc en pécheur. En outre, la persécution religieuse est vaine, car seuls les arguments rationnels, et non la force coercitive, sont aptes à convaincre autrui de la vérité. A ceux qui avancent que la diversité religieuse engendre le chaos, Walwyn réplique que c'est bien plutôt l'uniformité forcée qui crée le désordre. Cet argument sera utilisé à la même époque par certains sociniens (disciples de Lelio et Fausto Sozzini, rejetant la Trinité, et en particulier la nature divine du Christ). Mais, surtout, usant d'un argument anticipant ceux de Hayek en d'autres domaines, Walwyn insiste sur la faillibilité humaine. Si bien qu'il est téméraire et présomptueux d'oser obliger des individus à adhérer à une foi qui, au final, peut se révéler être dans l'erreur ! Le "Niveleur" conclut que, derrière la défense de la persécution, se cache moins la quête de la vérité qu'une volonté de puissance politique.
Pour John Locke, la tolérance se justifie sur deux plans: en premier lieu, le magistrat civil n'est habilité qu'à s'occuper de protéger la vie, la liberté et propriété, il ne lui revient donc pas de gouverner les âmes. Ensuite, du point de vue même de la foi, le salut ne peut advenir qu'à ceux qui embrassent sincèrement la foi. Il est donc immoral et contraire aux préceptes chrétiens de contraindre quiconque à observer la religion du prince.
Dans sa Lettre sur la tolérance (1686), il détaille son argumentation de la façon suivante :
«[...]Ce qu'il y a de capital et qui tranche le nœud de la question, c'est qu'en supposant que la doctrine du magistrat soit la meilleure, et que le chemin qu'il ordonne de suivre soit le plus conforme à l'Évangile, malgré tout cela, si je n'en suis pas persuadé moi-même du fond du cœur, mon salut n'en est pas plus assuré. Je n'arriverai jamais au séjour des bienheureux par une route que ma conscience désapprouve. (...) Quelques doutes que l'on puisse avoir sur les différentes religions qu'il y a dans le monde, il est toujours certain que celle que je ne crois pas véritable, ne saurait être ni véritable ni profitable pour moi. C'est donc en vain que les princes forcent leurs sujets à entrer dans la communion de leur Église, sous prétexte de sauver leurs âmes: si ces derniers croient la religion du prince bonne, ils l'embrasseront d'eux-mêmes; et s'ils ne la croient pas telle, ils ont beau s'y joindre, leur perte n'en est pas moins assurée. En un mot, quelque zèle que l'on prétende avoir pour le salut des hommes, on ne saurait jamais les forcer à se sauver malgré eux; et, après tout, il faut toujours finir par les abandonner à leur propre conscience. »
    — John Locke, Lettre sur la tolérance
Cependant, Locke fait deux exceptions à son principe de tolérance. C'est d'abord aux catholiques qu'il en refuse le bénéfice. S'il le fait, ce n'est pas à cause de leurs options spéculatives (par exemple : la transsubstantiation), mais en raison de leurs considérations pratiques, telles que le déni d'être soumis à un prince excommunié et leur voeu d'obéissance à un souverain étranger (i. e. le Pape).
Ce sont ensuite les athées qui sont exclus de toute marque de tolérance. Pour le philosophe :
«Ceux qui nient l'existence de Dieu ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir parole; et que, si l'on bannit du monde la croyance d'une divinité, on ne peut qu'introduire aussitôt le désordre et la confusion générale. »
    — John Locke, Lettre sur la tolérance

XVIIIe siècle

A la suite de Locke, face aux excès de l’État et de l’Église, la tolérance est une revendication essentielle des philosophes et encyclopédistes du XVIIIe siècle et des Lumières françaises. Voltaire notamment publie en 1763 son Traité sur la tolérance.

XIXe siècle

Au XIXe siècle, un catholique libéral comme Charles de Montalembert a développé l'idée suivant laquelle il fallait distinguer dogmatisme théorique et tolérance civile, car ils ne se situent pas sur le même plan. Du reste, celle-ci ne contredit pas celui-là, dans la mesure où être tolérant ne consiste pas à croire que chacun détient sa part de vérité (ce qui supposerait que la vérité objective n'existe pas), mais à comprendre que la recherche de la vérité ne peut se dérouler pacifiquement que si l'on laisse les adeptes d'obédiences diverses pratiquer librement leur culte. Combattre l'erreur par la force, c'est courir le risque de réprimer également la vérité. En voulant vaincre par le glaive politique de fausses doctrines, on détruit aussi ce que le libéral catholique nomme la "liberté du bien". Il justifie ainsi sa position :
« Demander la liberté pour les autres en la demandant pour soi, ce n'est pas accorder des droits à "l'erreur", car là n'est pas la question; c'est admettre "les exigences inévitables et invincibles de ses adversaires; mais demander la liberté pour soi, en déclarant qu'on s'en servira pour la refuser aux autres, c'est perdre d'avance sa cause et la perdre en la déshonorant. »
Il écrit aussi très clairement que, ce n'est pas parce que de nombreux libéraux ont cédé aux sirènes de l'anticléricalisme le plus intolérant que l'Église doit les imiter en combattant, à l'inverse, la liberté :
« Les libéraux portent en ce moment, dans toute l'Europe, la peine d'avoir combattu ou méprisé la religion, d'avoir cru qu'ils pouvaient se passer de force spirituelle, et ne tenir aucun compte de l'ordre surnaturel. Les catholiques commettraient à leur tour une faute, qu'un prompt châtiment viendrait atteindre, s'ils voulaient abandonner la liberté. »
Dans le même ordre d'idées, peu de temps avant Montalembert, Benjamin Constant, protestant pour sa part, estimait que l'athéisme était tellement indigent qu'il s'éteindrait de lui-même si la liberté de croyance était réellement respectée. Sa grande idée est que le seul moyen d'affaiblir une opinion erronée est d'établir son libre examen, et non de la censurer. Pour lui :
« L'intolérance en plaçant la force du côté de la foi a placé le courage du côté du doute. »
    — Benjamin Constant, Principes de politique
Plus encore, Constant considère que la mise en concurrence des croyances les plus diverses contribuerait progressivement au triomphe de la vérité.

XXe et XXIe siècles

Pour les libéraux, la tolérance ne signifie donc nullement approbation de ce qu'autrui croit ou affirme, mais prône seulement la résolution pacifique et rationnelle des querelles doctrinales et morales. La tolérance se situe, par conséquent, aux antipodes du nihilisme ou du relativisme.
On notera que l'organisation de nos social-démocraties se situe à l'exact opposé de ce point de vue, puisque la multiplicité des modes de vie et de pensée y est présentée comme une source potentielle de conflits, devant être canalisée par un contrôle permanent de l'État (pensons à la laïcité obligatoire en France, à l'intervention des pouvoirs publics dans les programmes d'enseignement scientifique, etc.) D'une certaine manière, la social-démocratie a repris à son compte la célèbre formule datant de la paix d'Augsbourg (1555) et que Louis XIV s'appropriera avec la Révocation de l'Edit de Nantes (1685): Cujus regio, ejus religio (en clair : la religion du prince dicte celle du pays) de sorte que, l'État souverain étant aujourd'hui « laïque », tels doivent être les citoyens en s'abstenant d'exprimer publiquement leur foi. La liberté religieuse, combat libéral contre l'absolutisme politique, est donc loin d'être acquise de nos jours.
Les libéraux contestent donc ce que Ron Paul appelle « un interventionnisme social influencé par l’intolérance des habitudes et des modes de vie différents », qu'il s'agisse de paternalisme d'état ou de l'imposition d'une morale particulière ou d'un modus vivendi particulier :
« Pour beaucoup de gens, l’idée erronée que la tolérance revient à approuver certaines activités les motive à demander à incorporer dans la législation des normes morales qui ne devraient être du ressort que des individus eux-mêmes, effectuant leurs propres choix. »
    — Ron Paul, Discours d’adieu au Congrès, 14 novembre 2012

La Tolérance : limitation de la souveraineté étatique

A ce titre, Émile Faguet notait dans son Libéralisme (1902) que l'État (français en particulier) n'avait jamais aimé la religion, car il l'avait toujours perçue comme un gouvernement des âmes susceptible de le concurrencer et de le déstabiliser.
« Rien ne limite l'État comme une Église car il est incontestable qu'elle limite le gouvernement lui-même, puisqu'elle partage avec lui. »
C'est pourquoi, au final, la liberté religieuse est toujours la plus menacée, explique Faguet. Elle l'a été sous les Romains comme sous la monarchie anglaise ou française. Et d'ajouter :
« L'État est toujours antireligieux, même quand il administre la religion, surtout quand il l'administre; car il ne l'administre que pour la supprimer que comme religion véritable. Tâchons cependant de ne point exagérer, mais disons que l'État a quelque tendance à ne pas aimer beaucoup même la morale. »

Libre arbitre

De Wikiberal
 
Le libre arbitre décrit la propriété qu’aurait la volonté humaine de se déterminer librement — voire arbitrairement — à agir et à penser, par opposition au déterminisme ou au fatalisme, qui affirment que la volonté est déterminée dans chacun de ses actes par des forces qui l’y nécessitent. Se déterminer à ou être déterminé par : tel est tout l’enjeu de l’antinomie du destin et du libre arbitre. 

L’origine augustinienne du concept

L’expression française de « libre arbitre » rend insuffisamment compte du lien indissoluble qui l’unit à la notion de volonté, lien apparaissant clairement dans les expressions anglaise (Free will) et allemande (Willensfreiheit), qui présentent cependant le désavantage de dissoudre la notion d’arbitre ou de choix essentielle au concept. « Libre arbitre » (liberum arbitrium en latin) est la contraction de l’expression technique : « libre arbitre de la volonté ». De ce concept forgé par la théologie patristique latine, il n’est pas exagéré d’écrire qu’il fut inventé pour disculper Dieu de la responsabilité du mal en l’imputant à sa créature. Ceci apparaît avec clarté dans le traité De libero arbitrio d’Augustin d'Hippone, fondé sur le dialogue d’Evodius et d’Augustin. Evodius pose le problème en des termes abrupts : « Dieu n’est-il pas l’auteur du mal ? ». Si le péché est l'œuvre des âmes et que celles-ci sont créées par Dieu, comment Dieu n’en serait-il pas, in fine, l’auteur ? Augustin répond sans équivoque que « Dieu a conféré à sa créature, avec le libre arbitre, la capacité de mal agir, et par-là même, la responsabilité du péché ».
Grâce au libre arbitre, Dieu reste impeccable : sa bonté ne saurait être tenue pour responsable d’aucun mal moral. Mais n’est-ce pas déplacer le problème sans le résoudre ? Pourquoi Dieu nous a-t-il conféré la capacité de pécher :
d’où vient que nous agissons mal ? Si je ne me trompe, l’argumentation a montré que nous agissons ainsi par le libre arbitre de la volonté. Mais ce libre arbitre auquel nous devons notre faculté de pécher, nous en sommes convaincus, je me demande si celui qui nous a créés a bien fait de nous le donner. Il semble, en effet, que nous n’aurions pas été exposés à pécher si nous en avions été privés ; et il est à craindre que, de cette façon, Dieu aussi passe pour l’auteur de nos mauvaises actions (De libero arbitrio, I, 16, 35).
La réponse d’Augustin est que la volonté est un bien, dont l’homme peut abuser certes, mais qui fait la dignité de l’homme. Qui voudrait ne pas posséder de mains sous prétexte que celle-ci servent parfois à commettre des crimes ? Or, cela est plus vrai encore du libre arbitre : si on peut vivre moralement en étant privé de l’usage de ses bras, on ne saurait jamais accéder à la dignité de la vie morale sans libre arbitre :
la volonté libre sans laquelle personne ne peut bien vivre, tu dois reconnaître et qu’elle est un bien, et qu’elle est un don de Dieu, et qu’il faut condamner ceux qui mésusent de ce bien plutôt que de dire de celui qui l’a donné qu’il n’aurait pas dû le donner(ibid., II, 18, 48).

Mais le paradoxe d’Augustin, qui fait aussi sa richesse et qui explique pourquoi il a pu inspirer, au sein du christianisme, des théologies tellement divergentes, tient à la diversité de ses adversaires. S’il affirme, dans le traité De libero arbitrio, l’existence du libre arbitre contre les manichéens qui attribuaient au divin la responsabilité du mal, il tend, contre les Pélagiens, à en minimiser le rôle dans l'œuvre du salut, sous prétexte que l’homme a, par le péché originel, perdu l’usage de cette faculté : « amissa libertas, nulla libertas » (« liberté perdue, liberté nulle »). Seule la grâce, gratuitement octroyée par Dieu, peut accomplir l'œuvre du salut. Gardons en mémoire cette position paradoxale, qui fait que les Réformateurs et les catholiques pourront, sans contradiction, se revendiquer d’Augustin dans les controverses au sujet du rôle respectif de la grâce et du libre arbitre dans l'œuvre du salut.

L’élaboration scolastique

La scolastique a considérablement élaboré ce concept inventé par Augustin, en s’appuyant sur Aristote. Les Grecs ignoraient le libre arbitre, n’ayant pas la notion de volonté mais plutôt celle d’acte volontaire, étudiée au troisième livre de l’Éthique à Nicomaque.
Dans ce livre, Aristote définit le volontaire par l’union de deux facultés : la spontanéité du désir (agir par soi-même), dont le contraire est la contrainte, et l’intentionnalité de la connaissance (agir en connaissance de cause), dont le contraire est l’ignorance. Ainsi, j’agis volontairement quand :
  • a/ j’agis spontanément (je trouve le principe de mes actes à l’intérieur de moi-même, contrairement à l’individu qui est emmené pieds et poings liés par des ravisseurs), et
  • b/ j’agis en sachant ce que je fais (contrairement à celui qui administre à un patient un poison en croyant sincèrement lui administrer un remède, parce que le pharmacien a interverti les étiquettes).
Le volontaire suppose ainsi l’union de la spontanéité et de l’intentionnalité ; il est la condition de la responsabilité morale de l’individu (je ne saurais être tenu pour responsable du fait d’avoir quitté mon pays quand j’ai été enlevé par des agresseurs auxquels il m’était matériellement impossible d’échapper, ou quand j’ai franchi par mégarde une frontière qui n’était pas clairement signalée, en ayant eu l’intention de rester sur le territoire national). Ces analyses aristotéliciennes ont été fondamentales pour l’élaboration scolastique du concept de libre arbitre. Les théologiens chrétiens retiendront d’Aristote la notion de libre comme associant la volonté (spontanéité) et la raison (intentionnalité), et comme fondant la responsabilité de l’individu devant les lois morales, pénales et divines.
La scolastique définit traditionnellement le liberum arbitrium comme « facultas voluntatis et rationis » (faculté de la volonté et la raison : cf. Thomas d'Aquin, Somme théologique, I, q. 82, a.2, obj. 2). Cette expression est exacte si elle désigne la collaboration de ces deux facultés dans la genèse de l’acte libre, mais erronée en un sens plus technique. À proprement parler, le libre arbitre est une puissance de la volonté (ibid., q. 83, a. 3) ; mieux, elle est la volonté elle-même en tant que la volonté opère des choix. Le libre arbitre, en son essence, n’est autre que la volonté dans la libre disposition d’elle-même ; vouloir, c’est décider librement, et c’est donc être libre. L’acte libre répond au schéma suivant : la volonté éprouve le désir d’un bien (appétition), qui constitue la fin de l’action ; elle sollicite la raison à délibérer sur les moyens de parvenir à ce bien (délibération), mais c’est à elle qu’appartient de choisir le moyen qui lui semble le plus approprié (electio en latin, qui signifie choix) pour parvenir à cette fin, de mouvoir le corps pour mettre en œuvre ces moyens (l’action à proprement parler), et de jouir du bien obtenu (fruition). C’est donc la volonté qui joue le rôle moteur et elle ne parviendrait à rien sans le concours de la raison. Dans ce schéma de l’action, le libre arbitre se manifeste tout particulièrement dans le choix, que Thomas d’Aquin définissait comme l'« actus proprius » (l’acte éminent ou l’acte propre) du liberum arbitrium.
Thomas d’Aquin entend prouver la réalité du libre arbitre par deux moyens.
  • Le premier est la preuve morale, corrélat de l’argument moral anti-fataliste (voir l’article fatalisme). L’homme est tenu pour moralement responsable de ses actes ; or, ceci serait impossible s’il n’était pas doué de liberté. La doctrine qui nie le libre arbitre est foncièrement immorale en tant qu’elle détruit le principe même de la responsabilité.
L’homme possède le libre arbitre ; ou alors les conseils, les exhorations, les préceptes, les interdictions, les récompenses et les châtiments seraient vains(Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, q. 83, a. 1, rép.).
  • Le second argument thomiste en faveur du libre arbitre est l’étude de l’action humaine, qui se distingue des mouvements physiques (la pierre tombe nécessairement vers le bas) et des actions animales (les animaux agissent d’après un jugement instinctif, qui n’est pas libre : l’instinct de la brebis la pousse nécessairement à suivre le loup). Seul l’homme agit d’après un jugement libre, qui « n’est pas l’effet d’un instinct naturel s’appliquant à une action particulière, mais d’un rapprochement de données opéré par la raison (...) En conséquence, il est nécessaire que l’homme ait le libre arbitre, par le fait même qu’il est doué de raison » (ibidem). Choisir, c’est toujours se déterminer, par l’intelligence, entre deux ou plusieurs possibles : c’est donc être libre.

Critiques

Le concept de libre arbitre a fait l’objet de deux critiques, l’une théologique (attribuer à l’homme un libre arbitre, n’est-ce pas nier le rôle de la grâce divine dans l'œuvre du salut ?), et l’autre philosophique (le libre arbitre ne revient-il pas à nier l’influence des motifs qui déterminent nos choix et nos actions ?). La première critique est motivée par le prédestinationisme : elle aboutit aux querelles autour de la prédestination caractéristiques de la Réforme. La seconde est motivée par le nécessitarisme, le fatalisme et le déterminisme.

Critique théologique : la controverse de la prédestination

Le libre arbitre est l’une des deux réponses à la question du salut (sotériologie) telle qu’élaborée par les théologiens de la Renaissance. L’autre réponse est la prédestination chez Martin Luther, voire la double prédestination chez Jean Calvin.
Plus largement, la question du libre arbitre tente de situer le rôle de la volonté humaine dans la conduite d’une vie bonne (susceptible de mener au salut) face à un Dieu conçu comme tout puissant. De cette façon, la question du libre arbitre traverse les 3 monothéismes et les réponses que chacun d’entre eux donne méritent l’examen.
Avec l’humanisme, Érasme et Luther partage le goût de la lecture et du commentaire de la Bible avec le rejet de la glose scolastique. Luther est un jusqu’au-boutiste tandis qu’Erasme est un modérateur. Luther espère avoir le soutien d’Érasme dont l’autorité morale est alors considérable dans sa querelle contre l’autorité ecclésiastique. Mais les deux hommes vont s’opposer sur le concept de libre arbitre. En bon augustinien, Erasme soutient le libre arbitre, c’est-à-dire la responsabilité de l’homme devant Dieu concernant ses actes. Au contraire, se fondant notamment sur le péché originel, le moine augustinien Luther défend la prédestination, c’est-à-dire le serf arbitre et la justification par la foi, chère à Paul de Tarse. Alors, Erasme et Luther perdent toute modération. Tandis que le frère Martin, en 1519 se disait « admirateur convaincu » d’Erasme, il en viendra à qualifier celui-ci de « venimeux polémiste », de « pourceau d’Épicure* », d’écrivain « ridicule, étourdi, sacrilège, bavard, sophiste, ignorant ».
(*) Épicure philosophe hédoniste est représenté suivi d’un porc par ses adeptes. Cet animal, sous l’influence biblique sera pris en mauvaise part.

Critique philosophique : le problème de la liberté d’indifférence

La critique philosophique du libre arbitre tient au rôle des motifs (raisons de choisir) dans la détermination du choix et, par conséquent, de l’action. Suis-je vraiment libre de choisir entre deux objets, l’un qui représente un grand bien, et l’autre, un moindre bien ? De deux choses l’une.
  • Soit je choisis le plus grand bien : peut-on alors dire que mon acte est libre ? N’est-il pas plutôt déterminé par les motifs, ou plus exactement, par la prévalence d’un motif sur l’autre ?
  • Soit je choisis le moindre bien, mais comment un acte aussi absurde pourrait-il être libre ? Et si je le choisis afin de prouver que je suis libre, cela revient au premier cas de figure : la volonté d’établir la réalité de ma liberté s’est avérée un motif plus déterminant que l’objet préférable. Dans l’un et l’autre cas, je ne serais pas libre.
Pour remédier à ce problème, la doctrine scolastique a inventé le concept de liberté d’indifférence. Soit un individu appelé à choisir entre deux biens identiques, et donc indifférents. Il y a ici une équivalence des motifs : rien ne le détermine à préférer l’un à l’autre. Or, la volonté éprouve qu’elle est douée de spontanéité : même en ce cas, elle peut se déterminer à choisir. L’acte ne trouve pas alors son explication dans les motifs, ni par conséquent dans les objets, mais dans le sujet lui-même en tant qu’il est doué d’une capacité à agir arbitrairement. Le concept de liberté d’indifférence établirait, avec la spontanéité de la volonté, la réalité du libre arbitre. Par extension, la liberté d’indifférence s’applique aux cas où il n’y pas d’équivalence des motifs : je puis fort bien préférer un moindre bien à un plus grand bien, prouvant ainsi que je suis le seul sujet ou la seule cause de mes actes.
La liberté d’indifférence fut très critiquée par la plupart des philosophes et par de nombreux théologiens (Thomas d’Aquin n’y souscrivait pas). Leibniz opposait à ce concept les objections suivantes.
  1. Choisir arbitrairement ne témoigne pas de notre liberté : c’est bien plutôt un acte irrationnel, fruit du hasard ou du caprice. La liberté, n’est-ce pas plutôt la capacité à opérer les meilleurs choix possibles ?
  2. La liberté d’indifférence est fictive. En vertu du « principe des indiscernables », deux objets ne peuvent être absolument identiques : ils doivent nécessairement se distinguer par quelque différence. Qui sait si celle-ci ne nous influence pas à notre insu ?
  3. La liberté d’indifférence n’est-elle pas illusoire ? En vertu du principe des petites perceptions, il arrive que nous soyons déterminés à choisir ou à agir par un motif inconscient, perçu par notre âme mais non aperçu par la conscience. Leibniz anticipe ici le concept d’inconscient, ainsi que celui des phéromones et des images subliminales. Qui sait si un choix, en apparence arbitraire, n’obéit pas à une motivation inconsciente, comme le montrera André Gide dans Les caves du Vatican ?
  4. De plus, Leibniz est intellectualiste plutôt que volontariste. Il critique le schéma naïf du libre arbitre de la philosophie scolastique, qui revient à représenter la volonté comme un reine toute-puissante, partagée entre son conseiller (la raison) et ses courtisans (les passions). Dans la réalité, la volonté n’est pas une faculté subsistant par elle-même : elle n’est autre que l’effort de l’intelligence en tant qu’elle se détermine à agir d’après ses jugements.
Si Leibniz ne reconnaît pas le concept de liberté d’indifférence, il ne donne pas pour autant dans un déterminisme niant tout libre arbitre. Être libre, c’est se déterminer à choisir par la meilleure raison possible. Se déterminer n’est pas être déterminé : c’est trouver le principe de ses actes à l’intérieur de soi-même.

Philosophie rationaliste

Si le thomisme attribue le libre arbitre à Adam, dans le jardin d’Eden, principalement pour lui imputer l’origine du mal par la responsabilité du péché originel, la philosophie juive voit les choses d’un œil différent, selon qu’elle situe sa réflexion avant la révolution cartésienne ou après. Deux philosophes rationalistes, Maïmonide et Spinoza s’accordent sur l’idée suivante :
  • la connaissance du bien et du mal est différente de la science du vrai et du faux,
  • cette non coïncidence est un pis-aller car, dans le jardin d’Eden d’avant la chute, la connaissance rationnelle du vrai et du faux rendait inutile, et même inexistante, celle du bien et du mal.

Pour Maïmonide

Par la raison, l’homme distingue le vrai du faux et ceci a lieu dans toutes choses intelligibles (Guide des Égarés, 1re partie, chap. 2)
Le bon et le mauvais, le beau et le laid ne ressortent pas de l’intelligible, du rationnel, mais de l’opinion, du probable.
Tant qu’Adam possédait parfaitement et complètement la connaissance de toutes choses connues et intelligibles, il n’y avait en lui aucune faculté qui s’appliquât aux opinions probables et même il ne les comprenait pas (ibidem). Le bien et le mal n’existaient même pas ; seules existaient les choses intelligibles et nécessaires. La perte de cette connaissance parfaite de toutes choses intelligibles dont lui faisait bénéfice sa fusion avec Dieu fait accéder Adam à un état nouveau, un monde différent :
  • les choses lui sont connues autrement que par la raison,
  • la façon dont il les connaît relève de l’opinion contingente qu’il s’en fait : elles sont belles ou laides, bonnes ou mauvaises.

Pour Spinoza

La filiation de Maïmonide à Spinoza est évidente dans ce qui suit : Si les hommes naissaient libres, et tant qu’ils seraient libres, ils ne formeraient aucun concept du bien et du mal […] [car] Celui-là est libre qui est conduit par la seule raison et qu'il n'a, par conséquent que des idées adéquates (Éthique IV, proposition 68)
L'homme libre n'a donc aucun concept du bien et du mal lequel est le résultat d'idées inadéquates et confuses, non plus que d'un bien qui lui serait corrélé. Spinoza définit le bien au début de la partie IV de l'Éthique : Ce que nous savons avec certitude nous être utile (Éthique IV, définition 1)
Rapprochant cette définition de sa Préface et des propositions 26 et 27, son éthique nous renvoie à une éthique des vertus plutôt qu'à un utilitarisme.
Toutefois, observant que les hommes ne sont que des parties de la nature, il en déduit que cette hypothèse d’une liberté de l’homme dès la naissance est fausse. Les parties de la nature sont soumises à toutes les déterminations de celle-ci, et elles sont extérieures à l’homme. Il considère donc que le sentiment de liberté de l’homme résulte du fait qu’il n’a connaissance que des causes immédiates des événements rencontrés. Il parle alors de libre nécessité.
Spinoza commente alors ainsi l’épisode du jardin d’Eden. C’est cette détermination que semblent signifier les paroles de Moïse dans la fameuse histoire du premier homme […] cette liberté originaire impossible quand Moïse raconte que Dieu interdit à l’homme libre de manger le fruit de la connaissance du bien et du mal et que, dès qu’il en mangerait, il craindrait la mort plus qu’il ne désirerait la vie (Éthique IV, proposition 68, scolie)

Comment reposer aujourd’hui la question du libre arbitre ?

À partir de la philosophie des sciences

Aujourd’hui, la physique moderne élimine la connaissance des causes sans faire de l’indétermination quantique la preuve d’un hasard essentiel. La connaissance des causes, même limitée aux causes efficientes disparaît des explications au profit de lois mathématiques prédictives parce que probabilistes et calculables..
« La croyance en la relation de cause à effets, c’est la superstition », Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 5.1361, Gallimard
Encore que, jusqu’ici, cette affirmation n’est généralisable qu’aux sciences dures où le fortuit désigne ce qui intervient non seulement sans cause finale ou efficiente mais surtout sans loi probabiliste calculable. L’indéterminisme quantique représente la prise en compte des limites de la connaissance : celle d’une limite infranchissable en pratique comme en théorie en ce qui concerne la réalité en soi. Contrairement à la réalité en soi de Kant, cette indétermination ne dégage pas l’espace non-phénoménal d’une liberté : les lois probabilistes s’appliquent au niveau des phénomènes observables. En ce qui concerne le non observable, c’est l’équation de Schrödinger qui en rend compte.
On pense généralement que la croyance dans le libre arbitre fonde à elle seule une éthique de la responsabilité. La psychanalyse nous a montré que la plupart de nos actes dépendaient plus de notre inconscient que de notre volonté consciente. Ce savoir aboutit au paradoxe que les criminels sexuels sont à la fois des criminels susceptibles de rendre des comptes à la justice du fait de leur responsabilité et des malades, commandés par leur inconscient et leurs hormones qui doivent être soignés. La jurisprudence fait entrer ce paradoxe dans son arsenal avec l’injonction thérapeutique où le suivi médical devient une peine.
Dans cette limitation, on rencontre l’intuition de Nietzsche quand décrivant l’éternel retour, il a l’intuition d’une volonté créatrice déterminée par le passé qu’elle tente de justifier :
« Je leur ai enseigné toutes mes pensées et toutes mes aspirations : à réunir et à joindre tout ce qui chez l’homme n’est que fragment et énigme et lugubre hasard, en poète, en devineur d’énigme et rédempteur du hasard. Je leur ai appris à être créateur de l’avenir et à sauver, en créant, tout ce qui fut. Sauver le passé dans l’homme et transformer tout ce qui était jusqu’à ce que la volonté dise : "Mais c’est ainsi que je voudrais que ce fut. Mais c’est ainsi que je le voudrais" », Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, III, 3 - Des vieilles et des nouvelles tables

Libre arbitre et hypothèse d’Everett

Dans le cas où l’hypothèse d’Everett serait fondée — hypothèse selon laquelle existeraient des univers parallèles, ce qui n’est pas établi —, tous les futurs possibles (ou plus exactement un nombre de futurs possibles ayant la constante de Planck en dénominateur !) à chaque moment de l’univers en chaque lieu se produiraient effectivement : il n’y a pas de hasard quantique; si une particule semble devoir choisir au hasard entre deux directions, en réalité il existerait un univers dans lequel la particule prend à gauche et un autre dans laquelle elle prend à droite.
Le rapport avec le libre arbitre de la personne humaine est plus que ténu. Sans qu’il soit possible de se prononcer sur la validité de l’hypothèse d’Everett, on peut examiner à titre d’expérience de pensée en quels termes elle influerait la question du libre arbitre si elle était exacte : dans la mesure ou tous les futurs possibles (possibles selon les lois de la physique quantique, ce qui ne signifie donc pas tous les futurs imaginables) se produisent et où chaque observateur situé dans l’un de ces univers improprement nommés parallèles a l’impression d’être le seul, le libre arbitre devient en fait un non-problème. Voir David Deutsch.


Alain Genestine

La Panarchie
(2012)
 

 
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