Affichage des articles dont le libellé est droit de propriété. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est droit de propriété. Afficher tous les articles

novembre 28, 2025

UNE CRITIQUE INDIVIDUALISTE ANARCHISTE DE LA « PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE » : LES ORIGINES DE BENJAMIN TUCKER

 UNE CRITIQUE INDIVIDUALISTE ANARCHISTE 
DE LA « PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE » : 
LES ORIGINES DE BENJAMIN TUCKER (1854-1939) 
NIGEL MEEK
 
Un débat libertarien permanent : Pour ou contre 
 
 La pertinence du concept de propriété intellectuelle – brevets et droits d’auteur – fait l’objet de débats entre libertariens et libéraux classiques. Certains y sont favorables, d’autres non. De plus, les deux camps avancent divers arguments pour défendre leurs points de vue, arguments souvent déconnectés les uns des autres. 
 
 
Prenons un exemple de chaque camp. Le Centre pour la Nouvelle Europe (CftNE), une organisation pro-UE (CftNE, 2002[a]) qui se revendique néanmoins « libérale » et qui comporte un lien vers le site web de l’Alliance libertarienne (CftNE, 2002[b]), a récemment relayé un rapport du Dr Merrill Matthews Jr. intitulé « La protection des brevets pour moi, mais pas pour vous » (Pollard, 2002 ; Matthews, 2002). Ce rapport, tout en abordant des questions légèrement plus larges, défend essentiellement la propriété intellectuelle, notamment dans l'industrie pharmaceutique, au motif que, sans la protection temporaire que les brevets offrent à ceux qui financent la recherche scientifique, peu de personnes s'engageraient dans de telles recherches et que les entreprises concernées comme les patients potentiels de nouveaux médicaments en seraient perdants. 
 
Par ailleurs, dans son célèbre essai « Les Intellectuels et le socialisme », Friedrich Hayek (1949 : p. 12-13 et 27) remet en question l'idée que la littérature, en l'occurrence, serait lésée par l'absence de protection du droit d'auteur et, plus profondément, suggère que les revenus supplémentaires générés par ce droit ont joué un rôle majeur dans la création et le maintien artificiels de cette catégorie d'individus, les « intellectuels », qui sont la cible de sa critique.  
 
Benjamin Tucker et les anarchistes individualistes 
 
 Benjamin Tucker (1854-1939), notamment grâce à sa revue Liberty (1881-1908), fut l'un des anarchistes individualistes les plus importants et les plus connus, principalement basés aux États-Unis. Il n'est pas question ici d'examiner en détail les similitudes et les différences entre l'anarchisme individualiste et l'anarchisme capitaliste (dit « anarchisme capitaliste ») : on trouve des exemples des deux. Cependant, une étude de Tucker et de ses associés montre clairement qu'ils appartiennent sans aucun doute au courant de pensée que nous appelons « libertarien ». Quiconque souhaite un aperçu plus complet de la vie et de l'époque de Tucker, ainsi que d'une histoire de la pensée individualiste aux États-Unis en général, pourra consulter Men Against the State de James Martin (1953) et The American as Anarchist de David DeLeon (1978).  
 
Pour Tucker et nombre de ses associés, l'idée centrale était que, parmi les principales causes de la pauvreté et des fortes inégalités de richesse, figuraient plusieurs « monopoles » d'État. Tucker en a mis quatre en évidence. Sa critique des deux premiers serait généralement acceptée par les anarchistes capitalistes et même par les libéraux classiques traditionnels : Le monopole de l’État (ou de ses représentants) sur l’émission de monnaie, ainsi que les tarifs douaniers et les barrières au commerce extérieur. Le troisième monopole est sans aucun doute celui qui divise les anarchistes individualistes et les anarchistes capitalistes : la propriété absente des terres et les rentes qui en découlent. Tucker – à tort ou à raison, selon qu’on soit anarchiste individualiste ou anarchiste capitaliste – considérait l’illégitimité de ces trois premiers comme une évidence. Cependant, il reconnaissait que l’argument contre le quatrième de ces monopoles, ce que nous appelons aujourd’hui « propriété intellectuelle », était moins évident. 
 
 Ce qui suit n’est qu’une brève justification et introduction à la pensée de Tucker sur le sujet de la propriété intellectuelle. Il a été tiré de divers écrits de Tucker, notamment de *Instead of a Book By A Man Too Busy To Write One* (1897) et de son essai « The Attitude of Anarchism Toward Industrial Combinations » (1899 : p. 30-33), ainsi que de *The Individualist Anarchists: An Anthology of Liberty (1881-1908)* de Frank Brooks (1994 : p. 165-180).
 
Ses partisans semblent sceptiques. 
 
La première « critique » n’est pas tant une critique qu’un commentaire sur la nature très particulière de la propriété intellectuelle à la fin du XIXe siècle, une notion qui reste d’actualité. Tucker, opposé au socialisme d’État et au communisme, croyait ferveusement en la propriété privée, qu’il considérait comme une condition nécessaire à la liberté et au progrès humains. Selon sa philosophie, il n’existait que certains moyens légitimes d’acquérir un titre de propriété : le commerce, la donation ou l’héritage. De même, on ne pouvait renoncer à un titre de propriété que par les mêmes méthodes. Le titre de propriété n’était pas un don de l’État, et celui-ci ne pouvait pas le retirer. Soit une chose appartenait légitimement à quelqu’un jusqu’à ce qu’il en décide autrement, soit elle ne lui appartenait pas. (Tucker, étant anarchiste, ne croyait évidemment pas du tout en « l'État ». Cependant, il est difficile d'éviter d'utiliser une telle terminologie.) 
 
Tucker – entre autres – a fait une remarque très étrange sur la propriété intellectuelle telle qu'elle était mise en œuvre : elle tendait à n'avoir qu'une durée limitée, la protection légale d'un droit d'auteur ou d'un brevet n'étant valable que pour un nombre d'années fini. Il soutenait qu'il serait en effet très bizarre que, par des moyens légitimes, on acquière la propriété d'un bien matériel uniquement pour que l'État, par l'intermédiaire de ses agences, puisse décréter, après un nombre d'années arbitraire, que n'importe qui puisse l'utiliser. Si l'on pouvait dire que des droits de propriété étaient inhérents à la propriété intellectuelle, alors, pour être cohérents avec la propriété matérielle, ils devraient être d'une durée illimitée jusqu'à ce que le titre soit volontairement abandonné d'une manière ou d'une autre, le nouveau propriétaire acquérant alors des droits de propriété durables identiques à ceux de l'ancien propriétaire. 
 
De plus, Tucker a fait remarquer que, tandis que les voleurs de biens communs étaient considérés comme des criminels et souvent emprisonnés, les « voleurs » de propriété intellectuelle n'étaient traduits que devant les tribunaux civils, souvent avec beaucoup de difficulté, et même s'ils étaient reconnus coupables, ils n'étaient punis que d'amendes. 
 
Tucker a suggéré que cette durée limitée de la propriété intellectuelle, et la punition très différente infligée à ceux qui la transgressaient, laissaient penser que nombre de ceux qui défendaient publiquement cette notion étaient, au moins intuitivement, en réalité incertains de sa validité.

(Pour montrer que le débat sur la légitimité de la propriété intellectuelle se retrouvait même parmi les anarchistes individualistes, Victor Yarros, collaborateur régulier de Liberty, ayant décidé pour diverses raisons que la propriété intellectuelle était un concept légitime, il partageait alors l'avis de Tucker sur ce point précis de la question et déclarait que ces droits protégés par les brevets et le droit d'auteur devaient être permanents. Cela signifiait, bien sûr, que les conclusions de Yarros sur le sujet étaient l'exact opposé de celles de Tucker. Voir Brooks (1994 : p. 165-180) pour plus de détails.) 
 
 
 
Non une condition de rémunération
 
La principale défense des droits de propriété intellectuelle et c’était d’ailleurs le fondement de l’exemple cité en début de cet essai est sans doute la nécessité de garantir à ceux qui ont investi massivement en temps et en argent (en termes de dépenses absolues, de consommation différée et de coûts d’opportunité) pour commercialiser un produit l’assurance d’une rémunération adéquate pour leurs efforts, protégée pendant une durée suffisante par les lois sur la propriété intellectuelle contre les concurrents qui, autrement, se contenteraient de copier le produit sans jamais avoir supporté les coûts de développement. 
 
En ce qui concerne les œuvres littéraires, artistiques et musicales, Tucker, lui-même éditeur et écrivain, affirmait qu’il était tout à fait plausible d’imaginer que les créateurs de telles œuvres cesseraient leur travail en l’absence de la protection offerte par le droit d’auteur. Il a également noté – et cela est, une fois encore, inévitablement vrai – que dans de nombreuses activités culturelles (au sens le plus large du terme), la motivation première de l'écrivain ou de l'artiste ne résidait pas dans l'espoir instrumental d'un succès financier, mais dans le désir expressif de créer. 
 
S'agissant de la production « industrielle », et avec une certaine clairvoyance si l'on considère la tendance du monde occidental à se développer dans le secteur des services et l'accessibilité croissante des formations et équipements nécessaires, Tucker a prédit un abandon progressif des géants industriels au profit de petites et moyennes entreprises qui, à aucun moment de leur fonctionnement économique, nécessiteraient le même niveau d'investissement en capital. (Les socialistes d'État et les communistes de l'époque reprochaient à Tucker et à ses associés, malgré leur engagement rhétorique et théorique envers la classe ouvrière, de constituer en réalité un mouvement « bourgeois » destiné aux artisans et aux petits entrepreneurs.) 
 
Cependant, il reste des secteurs comme l'industrie pharmaceutique, mentionnée plus haut, où la taille et la complexité de l'entreprise, ainsi que les questions connexes liées aux délais et aux coûts de la recherche et du développement, semblent plaider en faveur du concept de propriété intellectuelle. Bien que Tucker ne l'ait pas abordé directement, une lecture plus approfondie de ses écrits permettrait de présenter trois arguments, toujours hostiles à la notion de propriété intellectuelle, qui seraient, au moins en partie, partagés par les anarchistes individualistes et les anarchistes capitalistes.  
 
Premièrement, Tucker soutenait que la plupart des maux du monde étaient dus à ce que les anarchistes capitalistes modernes appelleraient l'étatisme et à ce qu'il considérait comme une « invasion » : c'est-à-dire la réification du concept d'« État » et son recours à la coercition contre les individus au nom du « bien commun » ou quelque chose d'approchant. Puisque, selon Tucker, pour les autres raisons résumées dans cet essai, la propriété intellectuelle était un concept intrinsèquement étatique, elle devait être rejetée pour cette seule raison.

Deuxièmement, Tucker pensait que, si on les laissait véritablement libres, les demandes du marché et les solutions concurrentes qui émergeraient pour y répondre seraient capables de résoudre efficacement – ​​ou du moins plus efficacement et plus justement que les « solutions » étatiques – les problèmes et les besoins économiques et sociaux. À juste titre, les anarchistes individualistes – comme les anarchistes capitalistes – ne prétendaient pas prédire quelles seraient ces solutions futures possibles à d'hypothétiques problèmes futurs. La suppression de la protection des droits de propriété intellectuelle pourrait bien entraîner le genre de difficultés que les défenseurs des droits de propriété intellectuelle prédisent avec tant de prémonition. Cependant, cela ne serait que temporaire, le temps que les entrepreneurs du marché aient eu l'occasion de développer et de produire de nouvelles solutions. Compte tenu des enjeux financiers, il est peu probable que les efforts déployés à cette fin fassent défaut.  
 
Troisièmement, l'anarchisme individualiste – pour des raisons utilitaristes : voir ci-dessous – intégrait une mesure de la justice de l'interaction sociale. Ils l'appelaient « Loi de l'égale liberté » : la liberté maximale pour chaque individu, proportionnelle à la même liberté pour les autres. (Sous une forme ou une autre, on la retrouve dans presque toute la pensée libertarienne et « véritablement » libérale.) Les actions particulières qui transgressaient la Loi de l'égale liberté, même si elles semblaient avoir des résultats immédiatement bénéfiques, étaient en réalité nuisibles, car ce n'est que dans un engagement plein et entier envers la Loi plus générale de l'égale liberté que l'utilité maximale pouvait être atteinte. Autrement dit, bien que certains individus et organisations puissent tirer profit de la protection offerte par les droits de propriété intellectuelle, la société dans son ensemble – l'ensemble des êtres humains, et non une entité à part entière – serait à long terme perdante. 
 
Enfin, les auteurs modernes de la tradition anarchiste individualiste (par exemple, Carson, 2001 : p. 12-15) ont – parmi de nombreux autres points, comme les avantages marketing liés à la prééminence sur le marché – constaté ou soutenu que les enquêtes indiquent que même de nombreuses grandes entreprises ne considèrent pas la protection par brevet comme un facteur important dans leurs décisions en matière de R&D, et que même lorsqu’elles insistent sur son importance – et là encore, l’industrie pharmaceutique semble faire figure d’exception –, cela pourrait bien paraître quelque peu hypocrite compte tenu du montant substantiel des coûts de R&D qui sont en réalité supportés en dernier ressort par l’État, c’est-à-dire le contribuable. 
 
 Un frein à la concurrence 
 
Tucker était un fervent partisan du laissez-faire absolu, qu’il considérait comme synonyme de coopération et comme une condition nécessaire au progrès matériel humain. Plus l'étendue et l'intensité du véritable laissez-faire sont grandes, mieux vaut prévenir que guérir. Dans cette optique, il soutenait que si un producteur n'était plus protégé, même temporairement, par la propriété monopolistique, imposée par l'État, des idées à l'origine d'un produit, l'abolition de la propriété intellectuelle inculquerait à ses anciens bénéficiaires une crainte bien plus grande de la concurrence, ce qui, à son tour, conduirait à un processus d'innovation, d'amélioration et de réduction des prix plus sûr et plus constant.
 
Un moyen d'instaurer un esclavage perpétuel 
 
 Compte tenu de la durée généralement limitée des brevets et des droits d'auteur, mentionnée ci-dessus, la critique suivante ne s'appliquait pas et ne s'applique toujours pas pleinement, même si une vague intuition de ce que cela impliquerait peut-être, si tel était le cas, une des raisons de cette particularité des droits de propriété intellectuelle classiques : leur impermanence même, comparée à la propriété matérielle. 
 
Tucker soutenait néanmoins que si les deux formes de propriété étaient et avaient toujours été traitées de la même manière – c'est-à-dire si le titre de propriété intellectuelle était considéré comme étant exactement de même nature et tout aussi durable que le titre de propriété matérielle, alors, à l'époque où il écrivait, une grande partie de la richesse mondiale aurait appartenu aux héritiers du premier inventeur de la machine à vapeur. Plus étrange encore – et Tucker le mentionnait uniquement pour illustrer l'absurdité de la chose –, il affirmait que la quasi-totalité de la population du monde civilisé serait alors pratiquement l'esclave de celui qui aurait inventé et breveté l'alphabet romain.  
 
Une application erronée du concept de droits de propriété 
 
Cependant, au-delà des objections précédentes, l’affirmation la plus intéressante de Tucker était que la notion de droits de propriété intellectuelle était intrinsèquement invalide, résultant d’un malentendu – ou peut-être serait-il plus juste de dire d’une incompréhension, puisqu’il soutenait que le problème était que peu de gens s’étaient penchés sur la question – sur la raison même pour laquelle l’idée de droits de propriété avait vu le jour. (Cela illustre également le rejet par Tucker des « droits naturels » comme justification de l'anarchisme, car il considérait une telle chose comme crypto-religieuse et dépourvue de validité empirique. Au contraire, Tucker a clairement affirmé à plusieurs reprises qu'il était anarchiste parce qu'il croyait que l'anarchisme était le système social le plus propice à la prospérité matérielle et à la recherche du bonheur personnel.) 
 
Tucker soutenait que si tous les produits matériels pouvaient être accessibles à tous, partout, en quantités illimitées, sans que la possession et l'usage d'un bien par une personne n'empiètent en aucune façon sur la possession et l'usage d'un autre, alors la notion même de propriété serait totalement absurde. En effet, pour les rares choses qui présentent ces caractéristiques, comme l'air que nous respirons habituellement, il constatait que personne n'avait encore sérieusement proposé de lui attribuer des droits de propriété. Cependant, étant donné que, dans la plupart des cas, cela est manifestement faux, c'est-à-dire que prendre un bien matériel à un individu revient nécessairement à le priver de son usage, et étant donné également qu'il a longtemps été admis – même par les non-libertariens dans une certaine mesure, et certainement par les anarchistes individualistes (et, bien sûr, par les anarchistes capitalistes) – que la prospérité reposait sur l'initiative personnelle et la sécurité de posséder les moyens d'y parvenir, ainsi que les fruits de cette initiative, l'idée de propriété sur les choses concrètes a été, à juste titre, comprise et acceptée jusqu'ici, tout va bien. 
 
 Cependant, il a soutenu que les gens en étaient venus à faire de la « propriété » un fétiche et à la vénérer pour elle-même plutôt que pour ses attributs socialement utiles. Cela a eu pour conséquence d'attribuer des droits de propriété à des choses qui ne justifiaient pas leur application. Tucker soutenait que la propriété des idées constituait une utilisation invalide du concept plus général de droits de propriété puisque, contrairement aux possessions concrètes, les entités abstraites telles que les idées et les découvertes protégées par les lois relatives à la propriété intellectuelle pourraient en effet être accessibles à tous, partout et en quantités illimitées, la possession et l’utilisation de l’idée ou de la découverte par une personne n’empiétant en aucune façon sur celles d’autrui, y compris celles du découvreur.

En bref, l'idée même de droits de propriété n'est apparue qu'en raison des réalités des limites du monde physique et de leurs conséquences sur les exigences de l'utilité sociale, et il était totalement inapproprié d'attribuer des droits de propriété à des choses abstraites qui ne sont tout simplement pas soumises à ces limites. 
 
 
Quelques précisions
 
Il convient de noter que le simple fait qu'une personne soit en droit d'utiliser une idée ou une découverte d'autrui – puisqu'en le faisant, elle ne prive pas autrui de son usage – ne lui confère pas un droit automatique d'y accéder. Elle doit, elle aussi, en prendre connaissance par un processus conforme aux principes de justice. Le découvreur initial n'est absolument pas tenu de révéler les détails – ni même l'existence même – de sa découverte. 
 
 Prenons un exemple certes classique, mais parfaitement parlant. Un homme peut inventer la « formule secrète » d'une boisson gazeuse exquise. Un autre homme peut, soit par un processus similaire d'expérimentation et de découverte, soit simplement par une analyse chimique poussée d'une bouteille de cette boisson qu'il s'est procurée honnêtement, commercialiser exactement le même produit. Toutefois, le refus des droits de propriété intellectuelle ne lui donne pas le droit de cambrioler le bureau du découvreur initial, d'assommer le veilleur de nuit, de faire sauter son coffre-fort et de s'emparer du document opportunément intitulé « Formule secrète », car Tucker aurait considéré tous ces actes comme des atteintes graves à la personne ou aux biens. 
 
Cela signifie également que le découvreur d'une idée a le droit d'être protégé, sinon par la propriété monopolistique de l'idée, du moins par les droits sur tout élément concret qui en découle. 
 
 De même, selon le système envisagé par Tucker, quiconque peut copier et diffuser, y compris à des fins commerciales s'il le souhaite, une « œuvre d'art » créée par autrui. (Ceci est d'autant plus pertinent aujourd'hui, compte tenu de l'essor considérable du marché commercial de la culture populaire et du fait que la copie est techniquement beaucoup plus facile à réaliser au début du XXIe siècle qu'à la fin du XIXe.) Prenons l'exemple de la musique pop. En l'absence de lois protégeant la propriété intellectuelle, n'importe qui peut copier et distribuer les œuvres de l'artiste en tête des classements musicaux de la semaine. Cependant, il lui est interdit de falsifier l'origine de la chanson, par exemple en prétendant qu'elle est du groupe B alors qu'elle est en réalité du groupe A. Il peut analyser, enregistrer et distribuer la partition de la chanson sous forme imprimée. En revanche, il lui est interdit d'y apposer son nom et de laisser croire, de manière frauduleuse, qu'il en est l'auteur.  
 
Droits de propriété intellectuelle : Un enjeu durable 
 
Benjamin Tucker a vécu les ravages de la Première Guerre mondiale et, fait peut-être remarquable pour un anarchiste, il avait, avec le principal défenseur de l’anarchisme communiste, Pierre Kropotkine, soutenu les Alliés au motif que l’Allemagne impériale était le « berceau de la réaction » (DeLeon, 1978 : p. 178-179)). Il a également vécu l’essor et la mise en œuvre du marxisme en Russie – avec toutes les conséquences néfastes que Tucker et les anarchistes de tous bords avaient longtemps annoncées (Pipes, 2001 : p. 15) – et la montée du fascisme et du nazisme dans une grande partie de l’Europe.
 
Mais loin de ces extrêmes de carnage militaire et de terreur politique, et bien qu'il ait déclaré très clairement qu'il considérait les démocraties bourgeoises comme au moins relativement tolérables (Martin, 1953 : p. 275), même à la fin de sa vie active, il était devenu de plus en plus pessimiste quant aux perspectives de son anarchisme. L'une des principales raisons était qu'il percevait dans les démocraties bourgeoises la montée et le renforcement de ce que nous pourrions aujourd'hui appeler « corporatisme », caractérisé par d'immenses conglomérats, protégés par l'État et, dans les faits, souvent créés par l'État, qui étaient trop riches et politiquement puissants pour être véritablement contestés par des individus et de petites associations (Tucker, 1911 : pp. 24-25). 
 
Il est difficile de dire que la situation s'est améliorée depuis. Même si Tucker et les autres opposants aux conventions et lois sur la propriété intellectuelle avaient et ont raison, ceux qui en bénéficient ont beaucoup trop à perdre pour y renoncer volontairement, et il semble pour l'instant y avoir trop de pouvoir politique pour laisser d'autres les y contraindre.
 

 
 
Références 
 
Brooks, Frank (1994), Les anarchistes individualistes : une anthologie de la liberté (1881-1908), New Brunswick, NJ : Transaction Publishers. 
 
Carson, Kevin (2001), La main de fer derrière la main invisible : Le capitalisme d'entreprise comme système de privilèges garantis par l'État , Montréal : Red Lion Press. 
 
Centre pour la nouvelle Europe (2002[a]), « Qui sommes-nous ? », URL (consulté le 23 août 2002) : www.centrefortheneweurope.org/about2.htm 
 
Centre pour la nouvelle Europe (2002[b]), « Liens d'intérêt », URL (consulté le 23 août 2002) : www.centrefortheneweurope.org/links2.htm 
 
DeLeon, David (1978), L'Américain anarchiste, Baltimore, MD : John Hopkins University Press.  
 
Hayek, Friedrich (1949/1998), Les Intellectuels et le socialisme, Londres : Institute of Economic Affairs. 
 
Martin, James (1953/1970), Hommes contre l’État, Colorado Springs, CO : Ralph Myles Publisher. 
 
Matthews Jr., Merrill (2002), « La protection des brevets pour moi, mais pas pour vous », dans IPI Ideas, 14 juin 2002, disponible à l’adresse URL (consulté le 23 août 2002) : www.centrefortheneweurope.org/pub_pdf/IPI-PatentProtection. pdf. 
 
Pipes, Richard (2001), Le communisme : une brève histoire, Londres : Weidenfeld and Nicolson. 
 
Pollard, Steven (2002), « Remarques introductives sur « La protection des brevets pour moi, mais pas pour vous » », URL (consulté le 23 août 2002) : www.centrefortheneweurope.org/pub_pdf/07152002_pollard_IPI_intro.htm. 
 
Tucker, Benjamin (1897/1969), Au lieu d'un livre par un homme trop occupé pour en écrire un, New York, NY : Haskell House Publishers. 
 
 Tucker, Benjamin (1899), « L'attitude de l'anarchisme envers les coalitions industrielles », dans Benjamin Tucker (1972), Socialisme d'État et anarchisme et autres essais, Colorado Springs, CO : Ralph Myles Publisher, p. 27-34, sont particulièrement pertinents.  
 
Tucker, Benjamin (1911), Postface à « Socialisme d’État et Anarchisme : leurs points d’accord et leurs différences », publié initialement en 1888, dans Benjamin Tucker (1972), Socialisme d’État et Anarchisme et autres essais, pp. 24-25, Colorado Springs, CO : Ralph Myles Publisher.
 
 

Benjamin Tucker

Benjamin Tucker (1854 - décédé à Monaco en 1939) fut le principal partisan de l'anarchisme individualiste au XIXe siècle aux États-Unis.

Benjamin Ricketson Tucker a contribué à l'anarchisme américain tant comme éditeur que par ses propres écrits. En éditant le périodique anarchiste, La Liberté, Tucker a filtré et a intégré les théories de penseurs européens tels que Pierre Joseph Proudhon avec la pensée des activistes américains individualistes, Lysander Spooner, William Greene[1] et Josiah Warren, aussi bien que les idées de libre pensée et d'amour libre afin de produire un système philosophique anarchiste individualiste rigoureux. Tucker partage avec les avocats de l'amour libre et de la libre pensée un mépris de la législation religieuse et des prohibitions visant les comportements non envahissants.

Il fut le premier à traduire en anglais Qu'est ce la propriété ? de Proudhon et L'Unique et sa propriété de Max Stirner. Tucker a revendiqué ce travail comme la réalisation dont il était le plus fier.

Il y a chez Liberty une profonde hostilité à l’égard d’un certain capitalisme, le capitalisme d’État. Tucker insiste sur le fait que tous les monopoles, fussent-ils privés, ne peuvent se maintenir qu’avec le soutien de l’État. Il en conclut que, plutôt que de renforcer l’autorité comme le préconisent les marxistes, il faut à l’inverse l’évacuer du jeu économique et laisser se déployer le principe qui lui est le plus hostile, la liberté. Cette condamnation des monopoles autorise Tucker à tancer la bourgeoisie qui en bénéficie, tout en proclamant bien haut ses préférences libérales. Il en conclut même que « les seuls qui croient vraiment au laisser-faire sont les anarchistes ».

La Liberté a édité l'œuvre originale de Lysander Spooner, Auberon Herbert, Victor Yarros, et Lillian Harman, fille de Moïse Harman, anarchiste favorable à l'amour libre. La Liberté a également édité le premier article original de George Bernard Shaw aux États-Unis ou encore la traduction des premiers écrits de Friedrich Nietzsche.

Le périodique de Tucker a également servi de canal principal aux stirneriens. Ceci a mené à un schisme au sein de l'individualisme américain entre le nombre de plus en plus important des « égoïstes » stirnériens et les jusnaturalistes spooneriens. Tant les « égoïstes » que les partisans de la loi naturelle rejettent l'autorité coercitive, la législation subie, et la notion de contrat social. Cependant, ils diffèrent quant à la base philosophique de leur individualisme : la théorie du droit naturel dérive d'une conception du droit individuel naturel exempt de coercition, tandis que l'anarchisme "égoïste" est un compromis pragmatique par lequel chaque individu cherche seulement son propre intérêt. Après avoir rejeté la philosophie morale de Lysander Spooner (aussi bien que celles de Warren et de Proudhon, que Tucker considère comme les premiers anarchistes), La Liberté a également abandonné les partisans des droits naturels, doctrine perçue alors comme une philosophie morale démodée et superstitieuse.

Pour Tucker, les anarchistes doivent être considérés comme des « démocrates jeffersoniens impavides ». En une phase combinant Thomas Jefferson et Henry-David Thoreau, il estime que « le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins, et que celui qui gouverne le moins n'existe pas ».

La pensée de Tucker est encore vivante aujourd'hui, des intellectuels se réclamant toujours de cet héritage. Aux États-Unis, c'est le cas de Kevin A. Carson et de Gary W. Chartier

Citations

  • « Le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins, et que celui qui gouverne le moins n'existe pas. »
  • « Les seuls qui croient vraiment au laisser-faire sont les anarchistes. »
  • « La défense est un service comme les autres. C’est un travail à la fois utile et désiré, et donc un bien économique sujet à la loi de l’offre et de la demande. Sur un marché libre, ce bien serait fourni au prix de sa production. La compétition prévalant, le succès irait à ceux qui fournissent le meilleur article au meilleur prix. La production et la vente de ce bien sont, aujourd'hui, monopolisés par l’État. Et l’État, comme tous les détenteurs de monopoles, propose des prix exorbitants. »
  • « Ils trouvèrent alors que chacun devait tourner soit à droite, soit à gauche - suivre soit le chemin de l'autorité, soit le chemin de la liberté. Marx prit une direction ; Warren et Proudhon prirent l'autre. Ainsi naquirent le socialisme d'Etat et l'anarchisme. »

Informations complémentaires

Notes et références


  1. Bowman N.. Hall, 1976, "William Greene and his System of 'Mutual Banking'", History of Political Economy, Vol 8, n°2, pp279–296

Publications

  • 1881,
    • a. "On Picket Duty", Liberty, 1, August 6, p1
    • b. "About Progressive People", Liberty, 1, August 6, p1
  • 1887, "Anarchy in Germany", Liberty, 5, December 31, p4
  • 1893, "Instead of a Book, by a Man Too Busy to Write One; A Fragmentary Exposition of Philosophical Anarchism", New York
    • Nouvelle édition en 1969, New York, NY: Haskell House Publishers
  • 1907, "On Picket Duty", Liberty, 16, April, p1
  • 1908, "On Picket Duty", Liberty, 17, April, pp1–3
  • 1972, "The Attitude of Anarchism Toward industrial Combinations", In: Benjamin Tucker, dir., "State Socialism & Anarchism and Other Essays", Colorado Springs, CO: Ralph Myles Publisher, pp27-34 article écrit en 1899

Littérature secondaire

  • 1893, George Schumm, "Benjamin R. Tucker — A Brief Sketch of His Life and Work", Freethinkers Magazine, Vol 11, July, pp436–440
  • 1926, C. L. Swartz, dir., Individual Liberty, New York: Vanguard
  • 1936, Joseph Ishill, "Benjamin R. Tucker: A Bibliography", Berkeley Heights, N.J.: Oriole Press
  • 1939, Stephen T. Byington, "Benjamin Ricketson Tucker", Man!, Vol 7, August, pp517–518
  • 1943, Charles A. Madison, "Benjamin R. Tucker; Individualist and Anarchist", New England Quarterly, Vol XVI, September, pp444-467
  • 1981,
    • Wendy McElroy, "Benjamin Tucker, Individualism, and Liberty: Not the Daughter but the Mother of Order", Literature of Liberty, Vol 4, n°3, automne, pp7–39
    • Sidney E. Parker, "The New Freewoman: Dora Marsden & Benjamin R. Tucker", In: Michael E. Coughlin, Charles H. Hamilton, Mark A. Sullivan, dir., "Benjamin Tucker & The Champions of Liberty: A Centenary Anthology", Coughlin & Sullivan Publishers, St. Paul, MN:
  • 1986,
    • Michael E. Coughlin, Charles H. Hamilton, Mark A. Sullivan, dir., "Benjamin R. Tucker and the Champions of Liberty: A Centenary Anthology", St. Paul, MN: Michael E. Coughlin; New York: Mark Sullivan
    • Sidney Parker, "The New Freewoman: Dora Marsden & Benjamin R. Tucker", In: Michael E. Coughlin, Charles H. Hamilton, Mark A. Sullivan, dir., "Benjamin R. Tucker and the Champions of Liberty: A Centenary Anthology", New York
  • 1987, Michael Coughlin, Charles Hamilton, Mark Sullivan, dir., "Benjamin R. Tucker and the Champions of Liberty", St. Paul and New York: Michael Coughlin & Mark Sullivan Publishers
  • 2008, Aaron Steelman, "TUCKER, BENJAMIN R. (1854–1939)", In: Ronald Hamowy, dir., "The Encyclopedia of Libertarianism", Cato Institute - Sage Publications, pp513-514

Voir aussi

 

 

novembre 24, 2025

Voltairine de Cleyre DE L’ACTION DIRECTE

Voltairine de Cleyre
DE L’ACTION DIRECTE

Vous pourriez, en prenant seulement votre voiture, vous rendre chez moi et me tuer sans débourser d’autres frais qu’un peu d’essence; cependant, si vous tenez absolument à dépenser mille dollars, je vous propose une autre solution: je vous descends d’un coup de revolver et ensuite je donnerai l’argent à ceux qui se battent pour une société libre où il n’y aura plus ni assassins ni présidents, ni mendiants ni sénateurs.»

 

Réponse de Voltairine de Cleyre au sénateur Joseph R. Hawley qui avait offert une prime de 1000 dollars à quiconque tuerait un anarchiste.

Du point de vue de celui qui pense être capable de discerner la route du progrès humain, si tant est qu’il doit y avoir un progrès; du point de vue de celui qui discerne un tel chemin sur la carte de son esprit et s’efforce de l’indiquer aux autres, de le leur montrer comme il le voit; du point de vue de celui qui, en faisant cela, a choisi des expressions claires et simples à ses yeux afin de communiquer ses pensées aux autres —, pour un tel individu, il apparaît regrettable et confus pour l’esprit que l’expression «action directe» ait soudain acquis, aux yeux de la majorité de l’opinion publique, un sens limité, qui n’est pas du tout inclus dans ces deux mots, et que ceux qui pensent comme lui ne lui ont certainement jamais donné.
Cependant, il arrive souvent que le progrès joue des tours à ceux qui se croient capables de lui fixer des bornes et des limites. Fréquemment des noms, des phrases, des devises, des mots d’ordre ont été retournés, détournés, inversés, déformés à la suite d’événements incontrôlables par ceux qui utilisaient ces expressions correctement ; et ceux qui persistaient à défendre leur interprétation, et insistaient pour qu’on les écoute, ont finalement découvert que la période où se développaient l’incompréhension et les préjugés annonçait seulement une nouvelle étape de recherche et de compréhension plus approfondie.

J’ai tendance à penser que c’est ce qui se passera avec le malentendu actuel concernant l’action directe. A travers la mécompréhension, ou la déformation délibérée, de certains journalistes de Los Angeles, à l’époque où les frères McNamara (1) plaidèrent coupables, ce malentendu a soudain acquis, dans l’esprit de l’opinion, le sens d’ «attaques violentes contre la vie et la propriété» des personnes. De la part des journalistes, cela relevait soit d’une ignorance crasse, soit d’une malhonnêteté totale. Mais cela a poussé pas mal de gens à se demanderce qu’est vraiment l’action directe.


 

Qu’est-ce que l’action directe?*

En réalité, ceux qui la dénoncent avec autant de vigueur et de démesure découvriront, s’ils réfléchissent un peu, qu’ils ont eux-mêmes, à plusieurs reprises, pratiqué l’action directe, et qu’ils le feront encore.

Toute personne qui a pensé, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, avoir le droit de protester, et a pris son courage à deux mains pour le faire ; toute personne qui a revendiqué un droit, seule ou avec d’autres, a pratiqué l’action directe. Il y a une trentaine d’années, je me souviens que l’Armée du Salut pratiquait vigoureusement l’action directe pour défendre la liberté de ses membres de s’exprimer en public, de se rassembler et de prier. On les a arrêtés, condamnés à des amendes et emprisonnés des centaines et des centaines de fois, mais ils ont continué à chanter, prier et défiler, jusqu’à ce que finalement ils obligent leurs persécuteurs à les laisser tranquilles. Les Industrial Workers of the World (2) mènent à présent le même combat, et ont, dans plusieurs cas, obligé les autorités à les laisser tranquilles, en utilisant la même tactique de l’action directe.

Toute personne qui a eu un projet, et l’a effectivement mené à bien, ou qui a exposé son plan devant d’autres et a emporté leur adhésion pour qu’ils agissent tous ensemble, sans demander poliment aux autorités compétentes de le concrétiser à leur place, toute personne qui a agi ainsi a pratiqué l’action directe. Toutes les expériences qui font appel à la coopération relèvent essentiellement de l’action directe.

Toute personne qui a dû, une fois dans sa vie, régler un litige avec quelqu’un et est allé droit vers la ou les personne(s) concernée(s) pour le régler, en agissant de façon pacifique ou par d’autres moyens, a pratiqué l’action directe. Les grèves et les campagnes de boycott en offrent un bon exemple; beaucoup d’entre vous se souviennent de l’action des ménagères de New York qui ont boycotté les bouchers et obtenu que baisse le prix de la viande : en ce moment même, un boycott du beurre est sur le point de s’organiser, face à la hausse des prix décidée par les commerçants.

Ces actions ne sont généralement pas le produit d’un raisonnement profond sur les mérites de l’action directe ou indirecte, mais résultent des efforts spontanés de ceux qui se sentent opprimés par une situation donnée.

En d’autres termes, tous les êtres humains sont, le plus souvent, de fervents partisans du principe de l’action directe et la pratiquent. Cependant la plupart d’entre eux sont également favorables à l’action indirecte ou politique. Ils interviennent sur les deux plans en même temps, sans y réfléchir longuement. Seul un nombre limité d’individus se refusent à avoir recours à l’action politique dans telle ou telle circonstance, voire la récusent systématiquement; mais personne, absolument personne, n’a jamais été «incapable» de pratiquer l’action directe.

La majorité de ceux qui font profession de réfléchir sont des opportunistes; ils penchent tantôt vers l’action directe, tantôt vers l’action indirecte, mais sont surtout prêts à utiliser n’importe quel moyen dès lors qu’une occasion l’exige. En d’autres termes, ceux qui affirment que le fait de voter à bulletins secrets pour élire un gouverneur est néfaste et ridicule sont aussi ceux qui, sous la pression de certaines circonstances, considèrent qu’il est indispensable de voter pour que tel individu occupe un poste à un moment particulier. Certains croient qu’en général la meilleure façon pour les gens d’obtenir ce qu’ils veulent est d’utiliser la méthode indirecte: en faisant élire et en portant au pouvoir quelqu’un qui donnera force de loi à ce qu’ils désirent; mais ce sont les mêmes qui parfois, dans des conditions exceptionnelles, prôneront que l’on se mette en grève; et, comme je l’ai déjà dit, la grève est une forme d’action directe. Ou bien ils agiront comme l’ont fait les agitateurs du Socialist Party (3) (organisation qui désormais s’oppose vigoureusement à l’action directe) l’été dernier, lorsque la police tentait d’interdire leurs meetings. Ils sont allés en force aux lieux de réunion, prêts à prendre la parole à n’importe quel prix, et ont fait reculer les forces de l’ordre. Même si cette attitude était illogique de leur part, puisqu’ils se sont opposés aux exécuteurs légaux de la volonté majoritaire, leur action constituait un exemple parfait, et réussi, d’action directe.

Ceux qui, en raison de leurs convictions profondes, sont attachés à l’action directe sont seulement… mais qui donc? Les non-violents, précisément ceux qui ne croient pas du tout en la violence ! Ne vous méprenez pas: je ne pense pas du tout que l’action directe soit synonyme de non-violence. L’action directe aboutit tantôt à la violence la plus extrême, tantôt à un acte aussi pacifique que les eaux paisibles de Siloé (4). Non, les vrais non-violents peuvent seulement croire en l’action directe, jamais en l’action politique. La base de toute action politique est la coercition; même lorsque l’État accomplit de bonnes choses, son pouvoir repose finalement sur les matraques, les fusils, ou les prisons, car il a toujours la possibilité d’y avoir recours.


Quelques exemples historiques

De nos jours, n’importe quel écolier américain a entendu parler de l’action directe de certains hommes non-violents, dans le cadre de son programme d’histoire. Le premier exemple qui vient à l’esprit est celui des premiers quakers (5) qui s’installèrent au Massachusetts. Les puritains (6) les accusèrent de «troubler les hommes en leur prêchant la paix». En effet, les quakers refusaient de payer des impôts ecclésiastiques, de porter les armes, de prêter serment d’allégeance à un gouvernement, quel qu’il soit. (En agissant ainsi, ils ont pratiqué l’action directe, mais de façon passive.) Aussi, les puritains, partisans de l’action politique, ont fait voter des lois pour empêcher les quakers d’entrer sur leur territoire, les exiler, leur infliger des amendes, des peines de prison, des mutilations et finalement les pendre. Les quakers ont continué à arriver en Amérique (ce qui était cette fois une forme active d’action directe) ; et les livres d’histoire nous rappellent que, après la pendaison de quatre quakers (7), et la flagellation de Margaret Brewster qui fut attachée à une charrette et promenée à travers les rues de Boston, «les puritains renoncèrent à faire taire les nouveaux missionnaires» et que la «ténacité des quakers et leur non-violence finirent par triompher».

Autre exemple d’action directe, qui appartient aux débuts de l’histoire coloniale américaine: cette fois, il ne s’agit pas d’un conflit pacifique, mais de la révolte de Bacon (8). Tous nos historiens défendent l’action des rebelles dans cette affaire, car ceux-ci avaient raison. Et pourtant il s’agissait d’une action directe violente contre une autorité légalement constituée. Laissez-moi vous rappeler les détails de cet événement: les planteurs de Virginie craignaient (avec raison) une attaque générale des Indiens. Partisans de l’action politique, ils demandèrent, ou plutôt leur dirigeant Bacon exigea que le gouverneur lui accorde le droit de recruter des volontaires pour se défendre. Ce dernier craignait — à juste titre — qu’une compagnie d’hommes armés ne devienne une menace pour lui-même. Il refusa donc d’accorder cette permission à Bacon. A la suite de quoi, les planteurs eurent recours à l’action directe. Ils levèrent des volontaires sans autorisation et combattirent victorieusement contre les Indiens. Le gouverneur décréta que Bacon était un traître mais le peuple était de son côté, si bien que le gouverneur eut peur de le traduire en justice. Finalement, la situation s’envenima tellement que les rebelles mirent le feu à Jamestown. Si Bacon n’était pas mort, bien d’autres événements se seraient produits. Bien sûr, la répression fut terrible, comme cela se passe habituellement lorsqu’une révolte s’effondre d’elle-même ou est écrasée. Néanmoins, pendant sa brève période de succès, cette révolte corrigea nombre d’abus. Je suis persuadée que, à l’époque, les partisans de l’action politique à tout prix, après que les réactionnaires furent revenus au pouvoir, ont dû s’exclamer : «Regardez tous les maux que provoque l’action directe ! Notre colonie a fait un bond d’au moins vingt-cinq ans en arrière» ; ils oubliaient que, si les colons n’avaient pas recouru à l’action directe, les Indiens auraient pris leurs scalps un an plus tôt, au lieu que nombre d’entre eux soient pendus par le gouverneur un an plus tard.

Dans la période d’agitation et d’excitation qui précéda la révolution américaine, on assista à toutes sortes d’actions directes, des plus pacifiques aux plus violentes; je crois que presque tous ceux qui étudient l’histoire des Etats-Unis trouvent que ces actions constituent la partie la plus intéressante de l’histoire, celle qui s’imprègne le plus facilement dans leur mémoire.

Parmi les actions pacifiques, on peut citer notamment les accords de non-importation, les ligues pour porter des vêtements fabriqués dans la colonie et les «comités de correspondance» (9). Comme les hostilités se développaient inévitablement, l’action directe violente prit elle aussi de l’ampleur; par exemple, on détruisit les timbres fiscaux, on interdit le débarquement des cargaisons de thé, on les plaça dans des locaux humides, on les jeta dans les eaux du port, comme à Boston, on obligea un propriétaire d’une cargaison de thé à mettre le feu à son propre bateau, comme à Annapolis.

Toutes ces actions sont décrites dans nos manuels d’histoire, et aucun auteur ne les condamne, ou ne les regrette, bien qu’il se soit agi à chaque fois d’actions directes contre des autorités légalement constituées et contre le droit de propriété. Si je cite ces exemples et d’autres de même nature, c’est pour souligner deux points à l’intention de ceux qui répètent certains arguments comme des perroquets : premièrement, les hommes ont toujours eu recours à l’action directe; et deuxièmement, ceux qui la condamnent aujourd’hui sont également ceux qui l’approuvent d’un point de vue historique.

George Washington dirigeait la Ligue des planteurs de Virginie contre les importations; un tribunal lui aurait certainement «enjoint» de ne pas créer une telle organisation et, s’il avait insisté, il lui aurait infligé une amende pour offense à la Cour.


La Guerre de Sécession

Lorsque le grand conflit entre le Nord et le Sud s’intensifia, ce fut encore l’action directe qui précéda et précipita l’action politique. Et je ferai remarquer que l’on n’engage jamais, que l’on n’envisage même jamais aucune action politique, tant que les esprits assoupis n’ont pas été réveillés par des actes de protestation directe contre les conditions existantes.

L’histoire du mouvement abolitionniste et de la Guerre de Sécession nous offre un énorme paradoxe, même si nous savons bien que l’histoire n’est qu’une chaîne de paradoxes. Sur le plan politique, les États esclavagistes luttaient pour une plus grande liberté, pour l’autonomie de chaque État et contre toute intervention du gouvernement fédéral ; par contre, les États non esclavagistes voulaient un État centralisé et fort, État que les sécessionnistes condamnaient avec raison parce qu’il allait donner naissance à des formes de pouvoir de plus en plus tyranniques. Et c’est ce qui arriva. Depuis la fin de la guerre de Sécession, le pouvoir fédéral empiète de plus en plus sur les prérogatives de chaque État. Les négriers modernes (les industriels) se retrouvent continuellement en conflit avec le pouvoir centralisé contre lequel les esclavagistes d’antan protestaient (la liberté à la bouche mais la tyrannie au cœur). D’un point de vue éthique, ce sont les États non esclavagistes qui, en théorie, prônaient une plus grande liberté, tandis que les sécessionnistes défendaient le principe de l’esclavage. Mais cette position éthiquement juste était très abstraite : en effet, la majorité des Nordistes, qui n’avaient jamais côtoyé d’esclaves noirs, pensaient que cette forme d’exploitation était probablement une erreur ; mais ils n’étaient pas pressés de la faire disparaître. Seuls les abolitionnistes, une infime minorité, avaient une véritable position éthique : à leurs yeux seule importait l’abolition de l’esclavage — ils ne se souciaient pas de la sécession ni de l’union entre les États américains. Au point que beaucoup d’entre eux prônaient la dissolution de l’Union ; ils pensaient que le Nord devaient en prendre l’initiative afin que les Nordistes ne soient plus accusés de maintenir les Noirs prisonniers de leurs chaînes.

Bien sûr, toutes sortes de gens ayant toutes sortes d’idées voulaient abolir l’esclavage: des quakers comme Whittier (10) (les quakers, ces partisans de la paix à tout prix, furent en fait les premiers partisans de l’abolition de l’esclavage, dès leur arrivée en Amérique) ; des partisans modérés de l’action politique qui voulaient racheter les esclaves pour résoudre le problème rapidement; et puis des gens extrêmement violents qui croyaient en la violence et menèrent toutes sortes d’actions radicales.

En ce qui concerne les politiciens, pendant trente ans ils essayèrent de se défiler, de conclure des compromis, de marchander, de maintenir le statut quo, d’amadouer les deux parties, alors que la situation exigeait des actes, ou au moins une parodie d’action. Mais «les étoiles dans leur course combattirent contre Sisera (11)», le système s’effondra de l’intérieur et, sans éprouver le moindre remords, les partisans de l’action directe agrandirent les fissures de l’édifice esclavagiste.

Parmi les différentes expressions de la révolte directe mentionnons l’organisation du «chemin de fer souterrain». La plupart de ceux qui y participèrent soutenaient les deux formes d’action (directe et politique); cependant, même si, en théorie, ils pensaient que la majorité avait le droit d’édicter et d’appliquer des lois, ils n’y croyaient pas totalement. Mon grand-père avait fait partie de ce réseau clandestin et aidé de nombreux esclaves à rejoindre le Canada. C’était un homme attaché aux règles, dans la plupart des domaines, même si j’ai souvent pensé qu’il respectait la loi parce qu’il avait rarement affaire à elle ; ayant toujours mené la vie d’un pionnier, la loi le touchait généralement d’assez loin, alors que l’action directe avait pour lui la valeur d’un impératif. Quoi qu’il en soit, et aussi légaliste fût-il, il n’éprouvait aucun respect pour les lois esclavagistes, même si elles avaient été votées à une majorité de 500 pour cent. Et il violait consciemment toutes celles qui l’empêchaient d’agir.

Parfois, le bon fonctionnement du «chemin de fer souterrain» exigeait l’usage de la violence, et on l’employait. Je me souviens qu’une vieille amie me raconta qu’elle et sa mère avaient surveillé leur porte toute la nuit, pendant qu’un esclave recherché se cachait dans leur cave. Toutes deux avaient beau descendre de familles quakers et sympathiser avec leurs idées, elles avaient un fusil de chasse à portée de main, sur la table. Heureusement, elles n’eurent pas besoin de tirer, ce soir-là.

Lorsque la loi sur les esclaves évadés fut votée, grâce à certains politiciens du Nord qui voulaient encore amadouer les propriétaires d’esclaves, les partisans de l’action directe décidèrent de libérer les esclaves qui avaient été repris. Il y eut l’«opération Shadrach» puis l’opération «Jerry» (cette dernière sous la direction du fameux Gerrit Smith), et bien d’autres qui réussirent ou échouèrent. Cependant les politiciens continuèrent leurs manœuvres et tentèrent de concilier l’inconciliable. Les partisans de la paix à tout prix, les plus légalistes, dénoncèrent les abolitionnistes, un peu de la même façon que des gens comme William D. Haywood (12) et Frank Bohn (13) sont dénoncés par leur propre parti aujourd’hui.


John Brown

L’autre jour, j’ai lu dans le quotidien Daily Socialistde Chicago une lettre du secrétaire du Socialist Party de Louisville au secrétaire national. M. Dobbs demandait que l’on remplace M. Bohn, qui devait venir parler dans sa ville, par un orateur plus responsable et plus raisonnable. Pour expliquer sa démarche, il citait un passage de la conférence de Bohn: « Si les frères McNamara avaient défendu avec succès les intérêts de la classe ouvrière, ils auraient eu raison, de même que John Brown  aurait eu raison s’il avait réussi à libérer les esclaves. Pour John Brown, comme pour les McNamara, l’ignorance était leur seul crime.»

Et M. Dobbs de faire le commentaire suivant. «Nous nous élevons fermement contre de tels propos. Cette comparaison entre la révolte ouverte — même si elle était erronée — de John Brown d’un côté, et les méthodes clandestines et meurtrières des frères McNamara de l’autre, est le fruit d’un raisonnement creux qui conduit à des conclusions logiques très dangereuses.»
M. Dobbs ignore certainement ce que furent la vie et les actions de John Brown. Ce partisan convaincu de la violence aurait traité avec mépris quiconque aurait essayé de le faire passer pour un agneau. Et une fois qu’une personne croit en la violence, c’est à elle seule de décider quelle est la façon la plus efficace de l’appliquer, en fonction des conditions concrètes et de ses propres moyens. John Brown n’hésita jamais à utiliser des méthodes conspiratives. Ceux qui ont lu l’ Autobiographie de Frederick Douglass(14) et les Souvenirsde Lucy Colman (15) savent que John Brown avait prévu d’organiser une série de camps fortifiés dans les montagnes de la Virginie-Occidentale, de la Caroline du Nord et du Tennessee, d’envoyer des émissaires secrets parmi les esclaves pour les inciter à venir se réfugier dans ces camps, et ensuite réfléchir aux mesures et aux conditions nécessaires pour fomenter la révolte chez les Noirs. Ce plan échoua surtout parce que les esclaves eux-mêmes ne désiraient pas assez fortement la liberté.

Plus tard, lorsque des politiciens à l’esprit tortueux, toujours soucieux de ne rien faire, votèrent la loi Kansas-Nebraska qui laissait les colons décider seuls de la légalité de l’esclavage, les partisans de l’action directe, dans les deux camps, envoyèrent de pseudo-colons dans ces territoires et ceux-ci s’affrontèrent. Les partisans de l’esclavage arrivèrent les premiers; ils rédigèrent une constitution qui reconnaissaitl’esclavage et une loi punissant de mort toute personne qui aiderait un esclave à s’échapper; mais les Free Soilers (16), qui arrivèrent un peu plus tard parce qu’ils venaient d’États plus éloignés, rédigèrent une seconde constitution, et refusèrent de reconnaître les lois de leurs adversaires. John Brown se trouvait parmi eux et utilisa la violence, tantôt ouvertement tantôt clandestinement. Les politiciens décents, favorables à la paix sociale, le considéraient comme un «voleur de chevaux et un assassin». Et il ne fait pas le moindre doute qu’il vola des chevaux, sans prévenir personne de son intention de les dérober, et qu’il tua des partisans de l’esclavage. Il se battit et réussit à s’en tirer un bon nombre de fois avant qu’il tente de s’emparer de l’arsenal de Harpers Ferry (17). S’il n’utilisa pas la dynamite, c’est seulement parce qu’elle n’était pas encore une arme très répandue à l’époque. Il attenta à la vie de beaucoup plus de gens que les frères McNamara, dont M. Dobbs condamne les «méthodes meurtrières». Pourtant les historiens ont compris la portée des actions de John Brown. Cet homme violent, qui avait du sang sur les mains, fut condamné et pendu pour haute trahison ; mais tout le monde sait que c’était une âme forte et belle, désintéressée, qui ne pouvait supporter que quatre millions d’hommes soient traités comme des animaux. John Brown pensait que combattre cette injustice, ce crime horrible, était un devoir sacré qu’il accomplissait sur l’ordre de Dieu — car cet homme très religieux appartenait à l’Eglise presbytérienne.

C’est grâce aux actions, pacifiques ou violentes, des précurseurs du changement social que la Conscience Humaine, la conscience des masses, s’éveille au besoin du changement. Il serait absurde de prétendre qu’aucun résultat positif n’a jamais été obtenu par les moyens politiques traditionnels ; parfois de bonnes choses en résultent. Mais jamais tant que la révolte individuelle, puis la révolte des masses ne l’imposent. L’action directe est toujours le héraut, l’élément déclencheur, qui permet à la grande masse des indifférents de prendre conscience que l’oppression devient intolérable.


Les luttes actuelles contre l’esclavage salarié

Nous subissons maintenant l’oppression dans ce pays — et pas seulement ici, mais dans toutes les parties du monde qui jouissent des bienfaits fort contrastés de la civilisation. Et de même que l’ancien esclavage, le nouveau provoque à la fois des actions directes et des actions politiques. Une fraction de la population américaine produit la richesse matérielle qui permet à tous de vivre ; exactement de la même façon que quatre millions d’esclaves noirs entretenaient la foule de parasites qui les commandaient. Aujourd’hui ce sont les travailleurs agricoleset les ouvriers d’industrie.

A travers l’action imprévisible d’institutions qu’aucun d’eux n’a créées, mais qui sévissent depuis leur naissance, ces travailleurs, la partie la plus indispensable de toute la structure sociale, sans le travail desquels personne ne pourrait ni manger, ni s’habiller, ni se loger, ces travailleurs, disais-je, sont justement ceux qui disposent du moins de nourriture, de vêtements et des pires logements — sans parler des autres bienfaits que la société est censée leur dispenser, comme l’éducation et l’accès aux plaisirs artistiques.

Ces ouvriers ont, d’une façon ou d’une autre, joint leurs efforts pour que leur condition s’améliore; en premier lieu par l’action directe, en second lieu par l’action politique. Nous avons des groupes comme la Grange (18), les Farmers’ Alliances (19), les coopératives, les colonies expérimentales, les Knights of Labor (20), les syndicats et les Industrial Workers of the World. Tous ont organisé les travailleurs pour alléger le poids de l’exploitation, pour des prix meilleur marché, des conditions de travail moins catastrophiques, et une journée de travail un peu plus courte; ou contre une réduction de salaire, la détérioration des conditions de travail ou l’allongement des horaires.

Aucun de ces groupes, à part les IWW, n’a reconnu qu’il existe une guerre sociale et qu’elle se poursuivra tant que se perpétueront les conditions sociales et juridiques actuelles. Ils ont accepté les institutions fondées sur la propriété privée, telles qu’elles étaient. Ces organisations regroupent des gens ordinaires, aux aspirations ordinaires, et elles ont entrepris de faire ce qu’il leur semblait possible et raisonnable d’accomplir. Lors de la création de ces groupes, ces militants ne se sont pas engagés sur un programme politique particulier, ils se sont associés pour mener une action directe, décidée par eux-mêmes, offensive ou défensive.

Il y a vingt-deux ans, j’ai rencontré des militants des Farmers’ Alliances, des Knights of Labor et des syndicalistes qui m’ont dit cela. Ils voulaient lutter pour des objectifs plus larges que ceux que proposés par leurs organisations; mais ils devaient aussi accepter leurs camarades de travail comme ils étaient, et essayer de les inciter à lutter pour des objectifs immédiats qu’ils percevaient clairement: prix plus justes, salaires plus élevés, conditions de travail moins dangereuses ou moins tyranniques, semaine de travail moins longue. A l’époque où sont nés ces mouvements, les travailleurs agricoles ne pouvaient pas comprendre que leur lutte convergeait avec le combat des ouvriers des usines ou des transports ; et ces derniers ne voyaient pas non plus leurs points communs avec le mouvement des paysans. D’ailleurs, même aujourd’hui, peu d’entre eux le comprennent. Ils doivent encore apprendre qu’il n’existe qu’une seule lutte commune contre ceux qui se sont approprié les terres, les capitaux et les machines.

Malheureusement les grandes organisations paysannes ont gaspillé leur énergie en s’engageant dans une course stupide au pouvoir politique. Elles ont réussi à prendre le pouvoir dans certains États, mais les tribunaux ont déclaré que les lois votées n’étaient pas constitutionnelles, et toutes leurs conquêtes politiques ont été enterrées. A l’origine, leur programme visait à construire leurs propres silos, y stocker les produits et les tenir à l’écart du marché jusqu’à ce qu’ils puissent échapper aux spéculateurs. Ils voulaient aussi organiser des échanges de services et imprimer des billets de crédit pour les produits déposés afin de payer ces échanges. Si ce programme d’aide mutuelle directe avait fonctionné, il aurait montré, dans une certaine mesure, au moins pendant un temps, comment l’humanité peut se libérer du parasitisme des banquiers et des intermédiaires. Bien sûr, ce projet aurait fini par être liquidé, à moins que sa vertu exemplaire n’ait bouleversé tellement l’esprit des hommes qu’il leur ait donné envie de mettre fin au monopole légal de la terre et des capitaux; mais au moins ce projet aurait eu un rôle éducatif fondamental. Malheureusement, ce mouvement poursuivit une chimère et se désintégra surtout à cause de sa futilité.

Les Knights of Labor sont eux aussi devenus pratiquement insignifiants, non pas parce qu’ils n’ont pas eu recours à l’action directe, ni parce qu’ils se sont mêlés de politique, mais parce qu’il s’agissait d’une masse d’ouvriers trop hétérogène pour réussir à conjuguer efficacement leurs efforts.


Pourquoi les patrons ont peur des grèves

Les syndicats ont atteint une taille bien plus imposante que celle des Knights of Labor et leur pouvoir a continué à croître, lentement mais sûrement. Certes cette croissance a connu des fluctuations, des reculs ; de grandes organisations ont surgi puis disparu. Mais dans l’ensemble, les syndicats constituent un pouvoir en plein développement. Malgré leurs faibles ressources, ils ont offert, à une certaine fraction des travailleurs, un moyen d’unir leurs forces, de faire pression directement sur leurs maîtres et d’obtenir ainsi une petite partie de ce qu’ils voulaient — de ce qu’ils devaient essayer d’obtenir, vu leur situation. La grève est leur arme naturelle, celle qu’ils se sont forgée eux-mêmes. Neuf fois sur dix, les patrons redoutent la grève — même si, bien sûr, il peut arriver que certains s’en réjouissent, mais c’est plutôt rare. Les patrons savent qu’ils peuvent gagner contre les grévistes, mais ils ont terriblement peur que leur production s’interrompe. Par contre, ils ne craignent nullement un vote qui exprimerait «la conscience de classe» des électeurs; à l’atelier, vous pouvez discuter du socialisme, ou de n’importe quel autre programme ; mais le jour où vous commencez à parler de syndicalisme, attendez-vous à perdre votre travail ou au moins à ce que l’on vous menace et que l’on vous ordonne de vous taire. Pourquoi? Le patron se moque de savoir que l’action politique n’est qu’une impasse où s’égare l’ouvrier, et que le socialisme politique est en train de devenir un mouvement petit-bourgeois. Il est persuadé que le socialisme est une très mauvaise chose — mais il sait aussi que celui-ci ne s’instaurera pas demain. Par contre, si tous ses ouvriers se syndiquent, il sera immédiatement menacé. Son personnel aura l’esprit rebelle, il devra dépenser de l’argent pour améliorer les conditions de travail, il sera obligé de garder des gens qu’il n’aime pas et, en cas de grève, ses machines ou ses locaux seront peut-être endommagés.

On dit souvent, et on le répète parfois jusqu’à la nausée, que les patrons ont une «conscience de classe», qu’ils sont solidement soudés pour défendre leurs intérêts collectifs, et sont prêts individuellement à subir toutes sortes de pertes plutôt que de trahir leurs prétendus intérêts communs. Ce n’est absolument pas vrai. La majorité des capitalistes sont exactement comme la plupart des ouvriers : ils se préoccupent beaucoup plus de leurs pertes personnelles (ou de leurs gains) que des pertes (ou des victoires) de leur classe. Et lorsqu’un syndicat menace un patron, c’est à son portefeuille qu’il s’en prend.


Toute grève est synonyme de violence

Aujourd’hui chacun sait qu’une grève, quelle que soit sa taille, est synonyme de violence. Même si les grévistes ont une préférence morale pour les méthodes pacifiques, ils savent parfaitement que leur action causera des dégâts. Lorsque les employés du télégraphe font grève, ils sectionnent des câbles et scient des pylônes, tandis que les jaunes bousillent leurs instruments de travail parce qu’ils ne savent pas les utiliser. Les sidérurgistes s’affrontent physiquement aux briseurs de grève, cassent des carreaux, détraquent certains appareils de mesure, endommagent des laminoirs qui coûtent très cher et détruisent des tonnes de matières premières. Les mineurs endommagent des pistes et des ponts et font sauter des installations. S’il s’agit d’ouvriers, ou d’ouvrières, du textile, un incendie d’origine inconnue éclate, des pierres volent à travers une fenêtre apparemment inaccessible ou une brique est lancée sur la tête d’un patron. Quand les employés des tramways font grève, ils arrachent les rails ou élèvent des barricades sur les voies avec des charrettes ou des wagons retournés, des clôtures volées, des voitures incendiées. Lorsque les cheminots se mettent en colère, des moteurs « expirent», des locomotives folles démarrent sans conducteur, des chargements déraillent et des trains sont bloqués. S’il s’agit d’une grève du bâtiment, les travailleurs dynamitent des constructions. Et à chaque fois, des combats éclatent entre d’un côté les briseurs de grève et les jaunes et, de l’autre, les grévistes et leurs sympathisants, entre le Peuple et la Police.

Pour les patrons, une grève sera synonyme de projecteurs, de fil de fer barbelé, de palissades, de locaux de détention, de policiers et d’agents provocateurs, de kidnappings violents et d’expulsions. Ils inventeront tous les moyens possibles pour se protéger directement, sans compter l’ultime recours à la police, aux milices, aux brigades spéciales et aux troupes fédérales.

Tout le monde sait cela et sourit lorsque les responsables syndicaux protestent, affirmant que leurs organisations sont pacifiques et respectent les lois. Tout le monde est conscient qu’ils mentent. Les travailleurs savent que les grévistes utilisent la violence, à la fois ouvertement et clandestinement, et qu’ils n’ont pas d’autres moyens, s’ils ne veulent pas capituler immédiatement. Et la population ne confond pas les grévistes qui sont obligés de recourir à la violence avec les crapules destructrices qui les provoquent délibérément. Généralement, les gens comprennent que les grévistes agissent ainsi parce qu’ils sont poussés par la dure logique d’une situation qu’ils n’ont pas créée, mais qui les force à attaquer pour survivre, sinon ils seront obligés de tomber tout droit dans la misère jusqu’à ce que la mort les frappe, à l’hospice, dans les rues des grandes villes ou sur les berges boueuses d’une rivière. Telle est l’horrible situation devant laquelle se trouvent les ouvriers; ce sont les êtres les plus humains — ils font un détour pour soigner un chien blessé, ou ramener chez eux un chiot et le nourrir, ou s’écartent d’un pas pour ne pas écraser un ver de terre — et ils recourent à la violence contre leurs congénères. Ils savent, parce que la réalité le leur a appris, que c’est l’unique façon de gagner, si tant est qu’ils puissent gagner quelque chose. «Vous n’avez qu’à mieux voter aux prochaines élections!» affirment certains. Il m’a toujours semblé qu’il s’agit de l’une des réponses les plus ridicules qu’une personne puisse faire, lorsqu’un gréviste lui demande de l’aide face à une situation matérielle délicate, et alors que les élections auront lieu dans six mois, un an voire deux ans.

Malheureusement, ceux qui savent comment la violence est utilisée dans la guerre des syndicats contre les patrons ne prennent pas publiquement la parole pour dire: «Tel jour, à tel endroit, telle action spécifique a été entreprise; telles et telles concessions ont été accordées à la suite de cette action ; tel patron a capitulé.» Agir ainsi mettrait en péril leur liberté et leur pouvoir de continuer le combat. C’est pourquoi ceux qui sont les mieux informés doivent se taire et ricaner discrètement en écoutant les ignorants pérorer. Pourtant seule la connaissance des faits peut éclaircir leur position.


Les adversaires de l’action directe

Ces dernières semaines, certains n’ont pas été avares de paroles creuses. Des orateurs et des journalistes, honnêtement convaincus de l’efficacité de l’action politique, persuadés qu’elle seule peut permettre aux ouvriers de remporter la bataille, ont dénoncé les dommages incalculables causés par ce qu’ils appellent l’action directe (ils veulent dire en fait la «violence conspiratrice»).

Un certain Oscar Ameringer, par exemple, a récemment déclaré, lors d’un meeting à Chicago, que la bombe lancée à Haymarket Square en 1886 avait fait reculer le mouvement pour la journée de huit heures d’un quart de siècle. D’après lui, ce mouvement aurait été victorieux si la bombe n’avait pas été lancée. Ce monsieur commet une grave erreur.

Personne n’est capable de mesurer précisément l’effet positif ou négatif d’une action, à l’échelle de plusieurs mois ou de plusieurs années. Personne ne peut démontrer que la journée de huit heures aurait pu devenir obligatoire vingt-cinq ans auparavant.

Nous savons que les législateurs de l’Illinois ont voté une loi pour la journée de 8 heures en 1871 et que ce texte est resté lettre morte. On ne peut pas davantage démontrer que l’action directe des ouvriers aurait pu l’imposer. Quant à moi, je pense que des facteurs beaucoup plus puissants que la bombe de Haymarket ont joué un rôle.

D’un autre côté, si l’on croit que l’influence négative de la bombe a été si puissante, alors les conditions de travail et l’exercice des activités syndicales devraient être bien plus difficiles à Chicago que dans les villes où rien d’aussi grave ne s’est produit. Pourtant on constate le contraire. Même si les conditions des travailleurs y sont déplorables, elles sont bien moins mauvaises à Chicago que dans d’autres grandes villes, et le pouvoir des syndicats y est plus développé que dans n’importe quel autre endroit, excepté San Francisco. Si l’on veut donc absolument tirer des conclusions à propos des effets de la bombe de Haymarket, il faut tenir compte de ces faits avant d’avancer une hypothèse. En ce qui me concerne, je ne pense pas que cet événement ait joué un rôle important dans l’évolution du mouvement ouvrier.

Et il en sera de même avec la vigoureuse actuelle contre la violence. Rien n’a fondamentalement changé. Deux hommes ont été emprisonnés pour ce qu’ils ont fait (il y a vingt-quatre ans, leurs semblables ont été pendus pour des actes qu’ils n’avaient pas commis) et quelques autres seront peut-être incarcérés. Mais les forces de la Vie continueront à se révolter contre leurs chaînes économiques. Cette révolte ne faiblira pas, peu importe le parti qui remportera ou perdra les élections, jusqu’à ces chaînes soient brisées.


Comment pourrons-nous briser nos chaînes ?

Les partisans de l’action politique nous racontent que seule l’action électorale du parti de la classe ouvrière pourra atteindre un tel résultat; une fois élus, ils entreront en possession des sources de la Vie et des moyens de production; ceux qui aujourd’hui possèdent les forêts, les mines, les terres, les canaux, les usines, les entreprises et qui commandent aussi au pouvoir militaire à leur botte, en bref les exploiteurs, abdiqueront demain leur pouvoir sur le peuple dès le lendemain des élections qu’ils auront perdues.

Et en attendant ce jour béni?

En attendant, soyez pacifiques, travaillez bien, obéissez aux lois, faites preuve de patience et menez une existence frugale (comme Madero (21) le conseilla aux paysans mexicains après les avoir vendus à Wall Street).

Si certains d’entre vous sont privés de leurs droits civiques, ne vous révoltez même pas contre cette mesure, cela risquerait de «faire reculer le parti».


Action politique et action directe

J’ai déjà dit que, parfois, l’action politique obtient quelques résultats positifs — et pas toujours sous la pression des partis ouvriers, d’ailleurs. Mais je suis absolument convaincue que les résultats positifs obtenus occasionnellement sont annulés par les résultats négatifs; de même que je suis convaincue que, si l’action directe a parfois des conséquences négatives, celles-ci sont largement compensées par les conséquences positives de l’action directe.

Presque toutes les lois originellement conçues pour le bénéfice des ouvriers sont devenues une arme entre les mains de leurs ennemis, ou bien sont restées lettre morte, sauf lorsque le prolétariat et ces organisations ont imposé directement leur application. En fin de compte, c’est toujours l’action directe qui a le rôle moteur. Prenons par exemple la loi antitrusts censée bénéficier au peuple en général et à la classe ouvrière en particulier. Il y environ deux semaines, 250 dirigeants syndicaux ont été cités en justice. La compagnie de chemins de fer Illinois Central les accusait en effet d’avoir formé un trust en déclenchant une grève !

Mais la foi aveugle en l’action indirecte, en l’action politique, a des conséquences bien plus graves: elle détruit tout sens de l’initiative, étouffe l’esprit de révolte individuelle, apprend aux gens à se reposer sur quelqu’un d’autre afin qu’il fasse pour eux ce qu’ils devraient faire eux-mêmes; et enfin elle fait passer pour naturelle une idée absurde: il faudrait encourager la passivité des masses jusqu’au jour où le parti ouvrier gagnera les élections; alors, par la seule magie d’un vote majoritaire, cette passivité se transformera tout à coup en énergie. En d’autres termes, on veut nous faire croire que des gens qui ont perdu l’habitude de lutter pour eux-mêmes en tant qu’individus, qui ont accepté toutes les injustices en attendant que leur parti acquière la majorité; que ces individus vont tout à coup se métamorphoser en véritables «bombes humaines», rien qu’en entassant leurs bulletins dans les urnes !

Les sources de la Vie, les richesses naturelles de la Terre, les outils nécessaires pour une production coopérative doivent devenir accessibles à tous. Le syndicalisme doit élargir et approfondir ses objectifs, sinon il disparaîtra ; et la logique de la situation forcera graduellement les syndicalistes à en prendre conscience. Les problèmes des ouvriers ne pourront jamais être résolus en tabassant des jaunes, tant que des cotisations élevées et d’autres restrictions limiteront les adhésions au syndicat et pousseront certains travailleurs à aider les patrons. Les syndicats se développeront moins en combattant pour des salaires plus élevés qu’en luttant pour une semaine de travail plus courte, ce qui permettra d’augmenter le nombre de leurs membres, d’accepter tous ceux qui veulent adhérer. Si les syndicats veulent gagner des batailles, tous les ouvriers doivent s’allier et agir ensemble, agir rapidement (sans en avertir les patrons à l’avance) et profiter de leur liberté d’agir ainsi à chaque fois. Et si, un jour, les syndicats regroupent tous les ouvriers, aucune conquête ne sera permanente, à moins qu’ils se mettent en grève pour tout obtenir — pas une augmentation de salaire, ni une amélioration secondaire, mais toutes les richesses de la nature — et qu’ils procèdent, dans la foulée, à l’expropriation directe et totale !

Le pouvoir des ouvriers ne réside pas dans la force de leur vote, mais dans leur capacité à paralyser la production. La majorité des électeurs ne sont pas des ouvriers. Ceux-ci travaillent à un endroit aujourd’hui, à un autre demain, ce qui empêche un grand nombre d’entre eux de voter ; un grand pourcentage des ouvriers dans ce pays sont des étrangers qui n’ont pas le droit de voter. Les dirigeants socialistes le savent parfaitement. La preuve? Ils affadissent leur propagande sur tous les points afin de gagner le soutien de la classe capitaliste, du moins des petits entrepreneurs. Selon la presse socialiste, des spéculateurs de Wall Street assurent qu’ils sont prêts à acheter des actions de Los Angeles à un administrateur socialiste aussi bien qu’à un administrateur capitaliste. Les journaux socialistes prétendent que l’administration actuelle de Milwaukee a créé une situation économique très favorable aux petits investisseurs ; leurs articles publicitaires conseillent aux habitants de cette ville de se rendre chez Dupont ou Durand sur Milwaukee Avenue, qui les servira aussi bien qu’un grand magasin dépendant d’une grosse chaîne commerciale. En clair, parce que nos socialistes savent qu’ils ne pourront pas obtenir une majorité sans les voix de cette classe sociale, ils essaient désespérément de gagner le soutien (et de prolonger la vie) de la petite-bourgeoisie que l’économie socialiste fera disparaître.

Au mieux, un parti ouvrier pourrait, en admettant que ses députés restent honnêtes, former un solide groupe parlementaire qui conclurait des alliances ponctuelles avec tel ou tel autre groupe afin d’obtenir quelques mini-réformes politiques ou économiques.

Mais lorsque la classe ouvrière sera regroupée dans une seule grande organisation syndicale, elle pourra montrer à la classe possédante, en cessant brusquement le travail dans toutes les entreprises, que toute la structure sociale repose sur le prolétariat; que les biens des patrons n’ont aucune valeur sans l’activité des travailleurs; que des protestations comme les grèves sont inhérentes à ce système fondé sur la propriété privée et qu’elles se reproduiront tant qu’il ne sera pas aboli. Et, après l’avoir montré dans les faits, les ouvriers exproprieront tous les possédants.

«Mais le pouvoir militaire, objectera le partisan de l’action politique, nous devons d’abord obtenir le pouvoir politique, sinon on utilisera l’armée contre nous!»

Contre une véritable grève générale, l’armée ne peut rien. Oh, bien sûr, si vous avez un socialiste dans le genre d’Aristide Briand (22) au pouvoir, il sera prêt à déclarer que les ouvriers sont tous des «serviteurs de l’Etat» et à essayer de les faire travailler contre leurs propres intérêts. Mais contre le solide mur d’une masse d’ouvriers immobiles, même un Briand se cassera les dents.

En attendant, tant que la classe ouvrière internationale ne se réveillera pas, la guerre sociale se poursuivra, malgré toutes les déclarations hystériques de tous ces individus bien intentionnés qui ne comprennent pas que les nécessités de la Vie puissent s’exprimer; malgré la peur de tous ces dirigeants timorés; malgré toutes les revanches que prendront les réactionnaires; malgré tous les bénéfices matériels que les politiciens retirent d’une telle situation. Cette guerre de classe se poursuivra parce que la Vie crie son besoin d’exister, qu’elle étouffe dans le carcan de la Propriété, et qu’elle ne se soumet pas.

Et que la Vie ne se soumettra pas.

Cette lutte durera tant que l’humanité ne se libérera pas elle-même pour chanter l’Hymne à l’Homme de Swinburne (23):

«Gloire à l’Homme dans ses plus beaux exploits
Car il est le maître de toutes choses.»



Voltairine de Cleyre


in Mother Earth (1912)
Traduit  (et annoté) par Yves Coleman
Pour la revue "Ni patrie ni frontières", N°2 -

http://kropot.free.fr/Cleyre-actiondirecte.htm

 Notes du traducteur

1. Le 10 octobre 1910, James et Joseph McNamara, respectivement membres des syndicat des typographes et du bâtiment, posèrent une bombe à proximité du Los Angeles Times,bombe censée causer uniquement des dégâts matériels. Malheureusement l’explosion déclencha un violent incendie et 21 employés du journal moururent suite à cet attentat. Les deux frères, sur le conseil de leur avocat Clarence Darrow, plaidèrent coupables et évitèrent la peine de mort.
2. IWW (Industrial Workers of the World) ou Wobblies.... Syndicat révolutionnaire fondé en 1905 par des syndicalistes radicaux qui s’opposaient à la politique conservatrice et pro-patronale de l’American Federation of Labor. Les Wobblies comprenaient beaucoup de membres du Socialist Party of America, du Socialist  Labor Party et d’autres groupes radicaux de gauche. Pendant les années 1910, les IWW jouèrent un rôle important dans la lutte pour les droits des travailleurs américains. Des militants célèbres comme John Reed (auteur du classique Dix jours qui ébranlèrent le monde),Mother Jones, Big Bill Haywod, Joe Hill et d’autres prirent parti pour l’idée d’un «grand syndicat unique» en espérant que les travailleurs du monde entier pourraient s’unir et combattre ensemble contre leurs oppresseurs capitalistes. De 1905 à 1920 les IWW organisèrent des centaines de milliers d’ouvriers dans les mines, les usines et chez les paysans. Ils ne regroupèrent jamais plus de 150 000 membres à la fois mais près de 3 millions de personnes y appartinrent à un moment ou un autre. Les IWW étaient surtout implantés dans l’ouest des États Unis où ils organisaient ensemble femmes et hommes, Noirs et Blancs, les immigrés et Américains dans des syndicats d’industrie, non catégoriels. Leur but explicite était de renverser le capitalisme et beaucoup de ses membres sympathisèrent avec la révolution d’Octobre. Le gouvernement lança une répression féroce contre les IWW en 1917 et l’influence du syndicat baissa rapidement. Cette organisation, aujourd’hui anarcho-syndicaliste, existe encore, mais ne regroupe que quelques centaines de militants.
3. Socialist Party: créé en 1901, ce parti compte plus de mille élus (dont un membre du Congrès) en 1912 et joue à l’époque un rôle influent dans les syndicats de l’American Federation of Labor. Les trois dirigeants les plus importants furent Eugene Debs, Daniel De Leon et William D. Haywood. Ce dernier, partisan de l’action directe, fut exclu du parti en 1913 après une longue discussion au terme de laquelle le parti décida  que  «l’utilisation de la violence et du sabotage, méthodes destinées à la guerre de guérilla, démoralise ceux qui emploient de telles méthodes et ouvrent la porte aux agents provocateurs».
4. Les eaux de Siloé: allusion à un réservoir qui constituait le seul point d’eau permanent de Jérusalem au VIIe siècle avant J.-C. Elles avaient la réputation d’avoir des vertus thérapeutiques, puiqu’il y est fait allusion dans l’évangile selon Jean.
5. Quakers: mouvement né en 1647 d’une révolte contre l’Eglise anglicane. Persécutés en Angleterre comme en Amérique où ils s’établirent dès 1681, ils jouèrent un rôle important dans la lutte contre l’esclavage.
6. Puritains. Ce terme désigne au départ un groupe de presbytériens rigides qui voulaient «purifier» l’Eglise anglicane des restes de l’influence catholique. Ils commencèrent à émigrer en 1620, en Virginie et en Nouvelle-Angleterre, notamment, pour constituer des communautés fermées. Pendant presque un siècle, ils essayèrent d’imposer leurs normes intolérantes et persécutèrent tous ceux qui ne pensaient pas comme eux. Leur attachement au sens littéral de la Bible, qui les caractérise, a influencé toute l’histoire américaine jusqu’à aujourd’hui — comme en témoignent de nombreux aspects de la culture des États-Unis.
7. La dernière d’entre elles s’appelait Mary Dyer, mère de six enfants, pendue à un arbre en 1660 à Boston. De 1660 à 1677, les sœurs Wright, Mary, Hannah et Lydia vinrent successivement protester à Boston contre les persécutions dont étaient victimes les quakers. Elles furent à chaque fois, emprisonnées, jugées puis expulsées de la ville. Les quakers étaient dénudé(e)s jusqu’à la ceinture, attaché(e)s à une charrette et fouetté(e)s dans les rues avant d’être chassé(e)s de la colonie. Lydia accompagna à Boston Margaret Brewster qui entra dans une église puritaine, vêtue comme une pénitente, pieds nus, cheveux au vent, des cendres sur la tête, et un sac recouvrant ses vêtements.
8. Nathaniel Bacon (1647-1676) dirigea en 1676 un groupe de colons révoltés qui s’emparèrent de la ville de Jamestown et l’incendièrent pour obtenir des réformes et une plus grande participation dans le gouvernement de la Virginie.
>9. Les comités de correspondance furent créés en 1774 pour rassembler les doléances des Américains contre les Britanniques.
10. John Whittier (1807-1892) poète américain opposé à l’esclavage. Au sud-est de Los Angeles, en Californie, il existe une ville fondée par les quakers et qui porte son nom.
11. La citation est extraite du livre des Juges5, 20: «Du haut des cieux, les étoiles ont combattu, de leurs sentiers, elles ont combattu Sisera.» L’Ancien Testament fait allusion à une intervention miraculeuse des étoiles en faveur des Juifs au cours de leur bataille contre le général Sisera.
11. Gerrit Smith (1797-) Philanthrope et réformateur social, seul membre du Congrès partisan de l’abolition de l’esclavage il finança John Brown et fut impliqué dans l’attaque de l’arsenal de Harpers Ferry. Avocat de l’égalité des femmes, il pensait néanmoins que les Noirs devaient obtenir le droit de vote avant les femmes.
12. William D. (dit «Big Bill) Haywood (1869-) Travaille comme mineur dès l’âge de 9 ans et perd un œil à la suite d’un accident de travail. Suite aux sévères défaites subies par les mineurs à partir de 1901, il développe l’idée d’un «grand syndicat unique» et joue un rôle important dans la création des IWW. En 1917, le gouvernement arrête Haywood et une centaine d’autres militants en les accusant d’espionnage et aussi parce qu’ils ont appelé à des grèves en temps de guerre. Big Bill est condamné à une lourde peine de prison, mais s’enfuit en Union soviétique où il meurt en 1928.
13. Frank Bohn, ce militant de la gauche du Socialist Party et des IWW tourna fort mal puisqu’il termina sa carrière comme député du Parti républicain!
14. Frederick Douglass (1817-1895). Fils d’un Blanc et d’une esclave noire, il ne connut jamais son père et fut séparé très jeune de sa mère. Il vécut jusqu’à l’âge de 8 ans sur une plantation puis fut envoyé à Baltimore comme domestique. La femme de son maître lui apprit à lire, bien que ce fût illégal. Il dut retourner ensuite travailler sur la plantation. A 21 ans il s’échappa et devint un conférencier et journaliste célèbre. Partisan du droit de vote des femmes, il occupa plusieurs postes dans l’administration. Son autobiographie écrite en 1845 est un classique: Mémoires d'un esclave américain, traduit de l'anglais par Fanchita Gonzalez, Paris, F. Maspero, 1980.
15. Lucy Colman (1817-1891) Conférencière et militante pour l’abolition de l’esclavage et l’égalité des femmes, contre le racisme et la discrimination (notamment dans les écoles où elle enseigna), elle devint libre-penseuse et agnostique à la fin d’une vie riche en rebondissements et en anecdotes savoureuses comme celle-ci: lors d’une réunion du mouvement pour le droit de vote des femmes, face à une motion de Frederick Douglass qui affirmait candidement: « le sacrifice de soi est une valeur positive qui doit être enseignée à toutes les femmes», elle lui demanda: «Pourquoi n’avez-vous pas appliqué vous-même cette vertu lorsque vous étiez esclave?» Et la résolution de Lucy Colman, qui prônait le droit des femmes à «ne plus croire en l’autorité mais en leur seule raison», fut adoptée sans problèmes.
16. Free Soilers: membres du Free Soil Party. Fondé en 1848, ce parti s’opposait à l’extension de l’esclavage dans les nouveaux territoires et à l’admission des États esclavagistes dans l’Union.
17. Harpers Ferry, arsenal que tenta de prendre John Brown et qui marqua la fin de son combat.
18. National Grange of the Patrons of Husbandry: association de fermiers créée en 1867 et qui prit de l’ampleur après la crise agricole de 1873, durant laquelle les prix agricoles chutèrent considérablement. La Grange était organisée en sections où les femmes étaient admises à égalité avec les hommes. Les Grangers luttaient contre l’endettement et les tarifs de fret élevés pratiqués par les compagnies de chemin de fer. Le mouvement fut important dans l’Iowa, le Minnesota, le Wisconsin et l’Illinois où des lois furent votées en faveur des agriculteurs, mais balayées par le lobbying des chemins de fer auprès de la Cour suprême. Le mouvement atteignit son apogée en 1875, regroupant près de 20 000 membres, puis déclina au profit d’autres forces comme le Greenback Party des années 1870, les Farmers Alliances des années 1880 et le Populist Party des années 1890. La Grange montra que les fermiers pouvaient s’organiser et avoir un rôle politique.
19. La Southern Farmers Alliance fut fondée au Texas en 1875 et la Northern Farmers Alliance à Chicago en 1880. Les coopératives qu’elles créèrent firent faillite et les Alliances se tournèrent vers la politique politicienne pour former le People’s or Populist Party, parti qui réclamait à la fois le droit de vote des femmes et l’arrêt de l’immigration, dénonçait la ploutocratie («les banquiers, les actionnaires, les grandes sociétés capitalistes») mais aussi les Noirs, les Juifs et les catholiques (!), et qui réclamait la journée de 8 heures. Le populisme est une des plaies de la vie politique américaine, comme en témoigna encore la campagne de Clinton en 1992 qui prétendit «défendre en priorité les intérêts du peuple» — avec le résultat catastrophique que l’on connaît.
20. Knights of Labor. Organisation au départ clandestine, fondée en 1869 et qui regroupa jusqu’à 700 000 «producteurs»: ouvriers, petits commerçants et paysans. Son objectif était de remplacer le capitalisme par des coopératives ouvrières. Son influence déclina à partir de 1886.
21. Francisco Madero (1873-1913). Gros propriétaire foncier, adversaire de Porfiro Diaz, il est soutenu par Pancho Villa. Elu président de la République en 1911, il est renversé par un coup d’Etat militaire deux ans plus tard et assassiné.


 

22. Aristide Briand (1862-1932). Avocat et journaliste, partisan de la grève générale, il devient secrétaire général du Parti socialiste français qu’il fonde avec Jaurès, en opposition aux guesdistes du Parti ouvrier français. Hostile aux décisions de la Seconde Internationale qui interdisent, en 1904, aux députés socialistes de devenir ministres, il quitte le Parti socialiste unifié, puis la SFIO. Il sera 25 fois ministre et 11 fois président du Conseil! Il réprime la grève des cheminots en 1910. Avant la Première Guerre mondiale et entre les deux guerres, Briand est l’incarnation parfaite, jusqu’à la caricature, du socialiste qui trahit tous ses idéaux.

23. Algernon Charles Swinburne (1837-1909). Bien qu’il fût d’origine aristocratique, ce poète romantique anglais était républicain et antichrétien. Il dénonça tous les despotes de son époque, du tsar au pape, en passant par le Kaiser.


 


Voltairine de Cleyre

Voltairine de Cleyre, née le 17 novembre 1866 à Leslie dans le Michigan et morte le 6 juin 1912 à Chicago, était une libertarienne américaine. Elle était une excellente oratrice et rédactrice. Selon son biographe, Paul Avrich, elle possédait « un talent littéraire plus grand que celui de n’importe quel autre anarchiste américain ».  

Biographie de Voltairine de Cleyre

Née au sein d’une famille pauvre de la classe ouvrière, Voltairine de Cleyre doit son prénom à son père, né à Lille, Hector De Claire, grand admirateur de Voltaire. Son père la place dans le couvent de Notre-Dame du lac Huron à Sarnia (Ontario, Canada), où elle séjourne pendant trois ans et quatre mois. Peu d'années après sa sortie du couvent, elle commence à s’impliquer dans le mouvement libre-penseur (principalement anti-catholique et anticlérical) en donnant des conférences et écrivant des articles aux périodiques libres-penseurs. Au début des années 1880, sa pensée est influencée par Thomas Paine, Mary Wollstonecraft, Henry David Thoreau, William Dudley Haywood, Clarence Darrow, et plus tard Eugene Debs. Elle devient anarchiste après la pendaison, le 11 novembre 1887, des quatre martyrs anarchistes de l’émeute de Haymarket. « Jusqu’alors, je croyais en la justice essentielle de la loi américaine, au procès par un jury », écrit-elle dans un essai autobiographique datant de 1914, « après cela, je n’ai jamais pu. »

Voltairine de Cleyre fréquenta les anarchistes individualistes durant plusieurs années. Dans son essai de 1894 intitulé In Defense of Emma Goldman and the Right of Expropriation, (Défense d’Emma Goldman et du droit d’expropriation), elle a soutenu le droit d’expropriation tout en restant neutre en ce qui concerne la tentative de le faire appliquer : « Je ne pense pas que la moindre parcelle de chair humaine sensible vaille tous les droits de propriété de la ville de New York… Je dis que c’est à vous de décider si vous mourrez de faim ou de froid à la vue de vivres et de vêtements, hors de prison ou si vous commettrez quelque acte manifeste contre l’institution de la propriété […] Et en disant ceci, je ne cherche pas à remettre en cause ce que Mlle Goldman fait par ailleurs. Nos vues divergent en ce qui concerne l’économie et la morale […] Mademoiselle Goldmann est communiste et je suis individualiste. Elle désire abolir le droit de propriété tandis que je désire le soutenir. »

Par la suite, Voltairine de Cleyre rejeta l’individualisme : « Le socialisme et le communisme exigent un degré d’effort commun et d’administration qui engendrerait plus de règles qu’il n’en faudrait pour être conforme à l’anarchisme idéal ; reposant sur la propriété, l’individualisme et le mutualisme impliquent un développement du policier privé entièrement incompatible avec ma notion de la liberté. » Elle est devenue l’une des avocates les plus en vue d’un « anarchisme sans adjectifs », une faction de l’anarchisme se concentrant sur l’harmonie entre ses diverses factions, et n’a rien préconisé au-delà de la conception de base de l’anarchisme comme idéologie anti-étatiste et anticapitaliste. Dans The Making of an Anarchist (Biographie d’une anarchiste), elle écrit : « Je ne me m’appelle plus autrement que simple anarchiste. »

Son essai de 1914, Sex Slavery (L’esclavage sexuel), condamne les idéaux de beauté qui encouragent des femmes à se déformer le corps et les pratiques éducatives qui forment de façon artificielle les enfants selon qu’ils appartiennent à un sexe ou un autre. Le titre de l’essai fait référence non pas à la prostitution, bien que ce sujet soit également mentionné, mais plutôt aux lois du mariage permettant aux hommes de violer leurs épouses sans conséquences. De telles lois font de « chaque femme mariée ce qu’elle est, une esclave qui prend le nom de son maître, le pain de son maître, les ordres de son maître et sert ses passions. »

Voltairine de Cleyre s’est également opposée avec force à l’existence d’une armée en temps de paix, arguant du fait que son existence rend les guerres plus probables. Dans son essai de 1909 intitulé Anarchism and American Traditions (L’anarchie et les traditions américaines), elle propose, afin d’obtenir la paix, que « toutes les personnes aimant la paix devraient retirer leur soutien à l’armée et exiger de tous ceux qui souhaitent faire la guerre qu’ils la fassent à leurs propres frais et à leurs propres risques ; que ni salaire ni pension ne soit octroyés à ceux qui choisissent de faire commerce d’homicide. »

Voltairine de Cleyre était proche de Dyer D. Lum, « son professeur, son confident, son camarade » et inspirateur. Le 12 juin 1890, elle a donné naissance à un fils, Harry, avec son conjoint et libre-penseur James B. Elliot. Elle a été sujette toute sa vie à la dépression et à la maladie. Elle a survécu à une tentative d’assassinat le 9 décembre 1902. Son assaillant, Herman Helcher, était un ancien élève auquel elle a pardonné plus tard, écrivant : « Ce serait un outrage à la civilisation s’il était envoyé en prison pour un acte qui était le produit d’un esprit malade ».

Un recueil de ses discours, The First Mayday: The Haymarket Speeches, 1895-1910 (Le premier 1er mai : Les discours de Haymarket, 1895-1910) ont été édités par le Libertarian Book Club en 1980 et en 2004, AK Press a également publié un manuel, The Voltairine de Cleyre Reader, édité par AJ Brigati.

Citations

  • « Aussi longtemps que les travailleurs joindront leurs mains et prieront les dieux de Washington de leur donner du travail, ils n'en recevront pas. »

Publications

  • 1894, “The Political Equality of Women"
    • Repris en 2005, In: Sharon Presley, C. Sartwell, dir., "Exquisite Rebel: The Essays of Voltairine de Cleyre—Anarchist, Feminist, Genius", Albany: State University of New York, pp241–243
  • 1895, "The Past and Present of the Ladies' Liberal League", Philadelphia
  • 1898, "American Notes", Freedom, February
  • 1908, "Those Who Marry Do Ill"
    • Repris en 2005, In: Sharon Presley, C. Sartwell, dir., "Exquisite Rebel: The Essays of Voltairine de Cleyre—Anarchist, Feminist, Genius", Albany: State University of New York, pp197–206
  • 1911, "Written-in-Red (To Our Living Dead in Mexico's Struggle)", Regeneracion, 16 décembre 1911
  • 1913, "The Woman Question"
    • Repris en 2005, In: Sharon Presley, C. Sartwell, dir., "Exquisite Rebel: The Essays of Voltairine de Cleyre—Anarchist, Feminist, Genius", Albany: State University of New York, pp223–224

Littérature secondaire

  • 1914, Alexander Berkman, dir., "The Selected Works of Voltairine De Cleyre: Poems, Essays, Sketches and Stories, 1885-1911", Mother Earth Publishing Association
  • 1978, Paul Avrich, "An American Anarchist: The Life of Voltairine de Cleyre", Princeton, NJ: Princeton University Press
  • 1995, Catherine Helen Palczewski, “Voltairine de Cleyre: Sexual Slavery and Sexual Pleasure in the Nineteenth Century", National Women’s Studies Association, n°7, pp54-68
  • 2004,
    • A. J. Brigati, "The Voltairine de Cleyre reader", Oakland [USA] : AK Press
    • Eugenia C. Delamotte, "Gates of Freedom: Voltairine de Cleyre & the Revolution of the Mind", Ann Arbor: University of Michigan Press
  • 2005,
    • Sharon Presley, Crispin Startwell, dir., "Exquisite Rebel: The Essays of Voltairine de Cleyre", SUNY Press
    • Tom Flynn, commentaire du livre de A.J. Brigati, "The Voltairine de Cleyre Reader", Free Inquiry, February/March, Vol 25, n°2
  • 2007, E. C. Delamotte, "Gates of Freedom: Voltairine de Cleyre and the Revolution of the Mind", Ann Arbor: University of Michigan Press

Liens externes

https://www.wikiberal.org/wiki/Voltairine_de_Cleyre 

 

Powered By Blogger