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octobre 06, 2025

Question d'éthique !!

 

L'éthique est classiquement considérée comme l'une des trois branches de la philosophie, à côté de la physique et de la logique (par exemple, chez les stoïciens, chez Kant). L'éthique est la pratique basée sur les principales valeurs humaines nous permettant d'atteindre certaines fins : le bonheur, la vie bonne, la vie généreuse. Pour les stoïciens, la nature nous conduit à la vertu. Pour ces philosophes, la raison dans le choix des choses qui sont selon la nature conduit à la vertu. Chez les anciens Romains le système éthique était fondé sur le mos maiorum, les mœurs des anciens, où les valeurs civiques et la religion sont fortement présentes. Ils respectaient scrupuleusement les rites et codes de conduite respectant certains principes comme la fidélité aux engagements, l'honnêteté, la fidélité, la vertu ou le courage. 

 


 

L'éthique d'un point de vue libéral

Dans une perspective libérale, les évaluations ou jugements portés par et selon la conscience des individus découlent des expériences et pratiques de la vie. Les actions, les « faits » observables et les comportements peuvent être décrits d'une façon rationnelle, même un comportement jugé irrationnel peut avoir ses raisons d'être. Cependant, les individus n'ont pas une connaissance parfaite et infaillible sur le monde, ce qui signifie que le processus de connaissance peut toujours être sujet à erreur.

D'autre part, s'intéresser et réfléchir aux problèmes d'ordre éthique ou morale ne signifie pas adopter obligatoirement le point de vue qui consiste à confondre les « lois », les « commandements » et les « devoirs absolus » avec l'idée d'une toute puissante législation se cachant derrière les vies humaines dont il faudrait y voir l'autorité. Dans ce cas, le monde de l'éthique se résumerait à des permissions et punitions. Bien que rien n'interdise l'adoption d'une théologie morale dans son sens strict, les questions morales ou éthiques ne se résument pas à cette vision.

Par exemple, il est tout à fait possible de discuter, réfléchir ou approfondir les questions relatives à l'avortement ou à l'euthanasie, sans pour autant chercher à coller des étiquettes d'interdit ou de permis en se focalisant sur l'aspect d'une condamnation morale.

Parce que l'éthique fait partie d'une des principales dimensions de la liberté, elle peut être abordée selon plusieurs angles et directions dans l'interaction sociale entre les hommes. Parce qu'il n'existe pas un mode d'emploi tout fait pour nous guider dans la coopération sociale, où la liberté de chacun est à la fois vulnérable et créative, seule la condition des individus libres permet une société ouverte.

Ainsi, l'éthique libérale peut s'exprimer dans différents contextes, à un niveau individuel, au sein d'un groupe d'individus agissant dans un but commun, ou à un niveau social d'une vie en société. Ceci signifie que tout en attribuant une égale valeur à toute personne, la vie est toujours vécue comme nôtre, c'est-à-dire, particulière, avec ses besoins, difficultés, objectifs et projets.

L'éthique libérale est animée par la reconnaissance que les individus agissant librement peuvent positivement contribuer à leur propre épanouissement, que la liberté offre les meilleures conditions où les individus ont une meilleure disposition à mieux agir. Parmi certains principes, celui de l'axiome de non-agression permet de garantir aux individus la réciprocité, l'échange et la liberté de contracter. Ces principes éthiques ne dépendent pas de l'approbation absolue par un vote majoritaire ou de l'imprimatur d'une autorité politique ; ils sont inhérents à la nature même de l'Homme. Tout ceci signifie aussi que le libéralisme n'est pas axiologiquement neutre : il défend des valeurs bien définies qui ne sont pas compatibles, sur le plan purement politique, avec le totalitarisme ; ou, sur le plan des idées, avec la défense de conceptions anti-universalistes, par exemple. Ces valeurs remettent constamment en question le droit positif et la pratique du pouvoir :

La soumission inconditionnelle et la critique systématique sont en fait deux attitudes aussi infantiles l'une que l'autre face à la Loi. Le propre de l'individu autonome est de savoir décider, en vertu de critères essentiellement moraux, de l'opportunité éventuelle de collaborer avec le Pouvoir. (Thomas Szasz)

Éthique libertarienne

L'éthique sociale des libertariens est une éthique universelle qui s'exprime au travers du droit naturel ou du droit de propriété sur soi. Cette éthique objective rend compatibles entre elles les différentes morales individuelles. Les principes de base sont les suivants :

  1. chacun est propriétaire de lui-même et des fruits de son action ;
  2. une personne ne peut échanger que ce dont elle est propriétaire ;
  3. l'échange repose sur le principe d'autonomie de la volonté et le consentement des acteurs (axiome de non-agression).

Toute action qui n'est pas conforme à ces principes est une violence illégitime. Par exemple : vol, meurtre, impôts, lois qui restreignent la liberté individuelle, refus d'exécuter un contrat librement accepté, obligation imposée par l'État, etc.

Une autre présentation des principes libertariens est la suivante (d'après Ethique économique et sociale, Arnsperger et Van Parijs, 2003) :

  1. pleine propriété de soi-même : droit absolu à disposer de sa personne (la seule limite généralement reconnue -mais cependant pas par tous les libertariens - étant l'aliénation de sa propre liberté, par l'esclavage volontaire) ;
  2. juste circulation des droits de propriété : on devient légitime propriétaire d'un bien soit en le créant soi-même par ses propres moyens, soit par suite d'une transaction volontaire avec son légitime propriétaire ;
  3. appropriation originelle : un objet sans propriétaire peut être acquis par le premier qui en revendique la propriété, éventuellement en contrepartie, selon les différentes théories, de taxes ou de diverses obligations (proviso lockéen, critère de justice painéen, etc.)

De ces principes, on peut déduire une législation libertarienne, nécessaire et suffisante pour une « société de droit privé » (private law society), ainsi définie par Hans-Hermann Hoppe[https://contrepoints-archives.org/le-gouvernement-mondial-et-la-faillite-des-democraties/] :

  1. Celui qui s’approprie quelque chose qui auparavant n’appartenait à personne en devient le propriétaire exclusif ;
  2. Celui qui produit quelque chose à l’aide de son corps et de biens qui lui appartiennent en est le propriétaire, à condition qu’il ne nuise pas pour cela à l’intégrité physique de la propriété d’autrui ;
  3. Celui qui acquiert quelque chose par le biais d’un échange volontaire avec son propriétaire précédent – c’est-à-dire un échange qui est jugé mutuellement bénéfique – en devient le nouveau propriétaire.

  4.  

Pour David Boaz, l'éthique libertarienne se caractérise par les éléments suivants :

  • droits individuels (droit de chacun à la vie, à la liberté et à la propriété) et importance du consentement dans les relations interindividuelles ;
  • autorité de la loi (les individus peuvent vivre à leur guise tant qu’ils respectent les mêmes droits chez autrui) ;
  • gouvernement au pouvoir restreint ;
  • liberté des marchés (échange par consentement mutuel) ;
  • vertu de la production et droit au fruit de son travail (à l'encontre des politiciens et bureaucrates redistributeurs) ;
  • harmonie naturelle des intérêts, alors que la politique génère des conflits entre groupes ;
  • pacifisme.

Remarques sur la proposition de l'éthique libertarienne

Une des principales remarques est la notion de propriété de soi-même qui peut facilement être assimilée à l'idée d'être possédé par soi-même. Cette notion peut être considérée comme un pléonasme car elle se qualifie par un dédoublement possessif : l'identification de ce qui est propre à chacun avec l'idée de ce qui appartient déjà à chacun. Par exemple, si nous affirmons que nous sommes en pleine propriété de notre propre conscience nous n'exprimons rien d'autre que l'idée d'une conscience de la conscience de soi. En reprenant cet exemple, nous sommes dans l'impossibilité d'une violation de propriété de soi-même car seul le sujet lui-même aperçoit sa propre conscience, autrement exprimer verbalement sa propre conscience rend la notion de violation de consentement nulle. Si par propriété de soi-même nous entendons avoir un corps, l'avoir comprenant déjà l'idée de ce que nous est propre, nous aboutissons à la notion que par notre propre nature et identité, le corps est une valeur fondamentale pour l'être humain car violer le corps est porter atteinte à l'être humain. Si cette interprétation est correcte, elle atténue l’ambiguïté qui peut comporter l'idée d'une propriété de soi-même.

  • « Si par "éthique", on veut parler d'une théorie complète de la normative du comportement, capable de décider en toute occasion du bien et du mal pour les actions d'une personne donnée, alors NON, le libéralisme n'a RIEN à voir avec une telle éthique, car il ne se prétend ni complet, ni applicable à tout contexte. Le libéralisme est une théorie du droit. [...] Le droit s'applique pour les interactions entre individus, mais ne dit rien sur ce que doivent faire les individus au sein de leur propriété. Il n'est pas une éthique complète. Il ne s'applique qu'aux arrangements mutuels pour établir et maintenir un état de civilisation pacifique. Il ne peut pas prendre en compte a priori les éléments sur lesquels chacun de nous agit, en dehors de tout arrangement et parfois contre des arrangements existants. Il ne s'applique donc pas directement à la prise de décisions individuelles dans le contexte de la connaissance qu'a chaque individu du monde dans lequel il agit. Il s'applique aux négociations entre individus à la lumière de l'information partageable par ces individus. Bref, le libéralisme n'a RIEN à voir avec l'éthique au sens strict. » (François-René Rideau)
  • « Il est toujours tentant pour n'importe quel groupe de pression d'user de la contrainte publique pour imposer aux autres ses propres goûts ou ses propres intérêts privés. Mais l'usage de la violence politique par un groupe de pression pour promouvoir sa propre morale montre on ne peut plus clairement que la morale qu'on cherche à imposer n'est pas aussi bonne qu'on le dit puisqu'il faut user de la violence pour que les gens l'adoptent. On ne conçoit pas qu'une morale puisse s'imposer par une procédure majoritaire. »
    (Bertrand Lemennicier)
  • « Le libéralisme a un fondement essentiellement moral. Est moral tout ce qui permet à l’homme d’agir selon sa nature et la nature humaine est caractérisée par la rationalité de l’être humain, par sa capacité à imaginer le futur, et les meilleurs moyens d’atteindre les objectifs qu’il poursuit. »
    (Pascal Salin)

 Source

 

 



septembre 14, 2025

La Voie du Milieu avec François-René Đặng-Vũ Bân Rideau, dit "Faré" et Arthur Homines

 Le Tao ou la voie du Milieu

Tao ou Dao signifie en chinois « voie ». Le terme désigne aussi l'action de marcher, d'avancer. C'est un peu l'équivalent du mot « démarche » (au sens de méthode) ou « chemin ». En ce sens très large, le Tao appartient à toutes les philosophies chinoises.
 

 
"Le sophisme du juste milieu consiste à affirmer qu'une position moyenne entre deux extrêmes serait la meilleure. C'est un réflexe fréquent en politique, où l'on cherche à piocher des idées de chaque côté. Toutefois, cette approche ne peut séduire que ceux qui n'ont ni compris ni intégré le principe de non-agression (NAP), tel que défini par la philosophie anarcho-capitaliste. 
 
Il n'existe pas de "juste milieu" entre l'agression et la non-agression. C'est une norme binaire : soit vous agressez, soit vous n'agressez pas. Il ne peut y avoir de compromis. L'idée d'avoir "un peu d'agression" en société serait une contradiction, qui rendrait la justice inapplicable. Toute autre norme justifierait la violence de l'État envers l'individu, ou celle d'individus envers d'autres. 
 
 Le NAP permet de séparer le juste de l'injuste. Il tranche entre ce qui relève d'une action légitime et ce qui n'en relève pas, supposant alors réparation. Sans un critère objectif, il est impossible de rendre la justice sur la base d'un principe découvert par la raison. Le NAP est justement cette norme éthique absolue. 
 

 
Et à tous ceux qui estiment que bien des situations sociales appelleraient des réponses plus nuancées que le simple choix binaire "agression vs. non-agression", je répondrais ceci : de même qu'une route peut ne pas être parfaitement parallèle sans que cela ne remette en question le concept de parallélisme , la difficulté d'appliquer le NAP dans une situation confuse ne remet pas en question sa validité en tant que principe normatif. 
 
En cas de situation litigieuse, le principe demeure. C'est l'application du droit qui varie, non le principe lui-même. Le droit est un processus qui vise à appliquer ce principe. Dans un système de droit privé, des arbitres privés auraient donc le devoir de déterminer ce qui s'est passé et de prendre une décision finale. Autrement dit, ce n'est pas parce que l'application est complexe que le principe est mauvais. Au contraire, c'est le principe qui guide l'application du droit et la rend légitime."
 
Sur un autre sujet, je précise: Il faut comprendre une chose avec les profils radicalisés : la philosophie, les arguments, la cohérence... ils s'en fichent complètement. Ce n'est pas leur sujet. Ils sont là pour défendre une vision de la société et la faire appliquer, avec l'espoir évident de faire partie des vainqueurs dans le monde qu'ils imaginent. La gauche la plus extrême s'y complaît, mais ce phénomène se retrouve également à droite. C'est une question d'approche de la réalité et de degré d'aveuglement. Vous ne pourrez jamais convaincre quelqu'un comme Ilan Gabet de vos idées. Il est déjà complètement hypnotisé. Pour lui, vous êtes des ordures intégrales dès que vous n'êtes pas d'extrême-extrême-extrême gauche. Il a été programmé comme tel. Il serait sans doute ravi s'il vous arrivait malheur. Depuis quelques jours, on voit ce genre de profil lobotomisé enchaîner les cyber-menaces de mort et jouer de perversion en public. Ceux qui s'en amusent savent pertinemment que leurs propos peuvent exciter les foules, notamment les profils capables de violence directe (tabasser, voire tuer). Ilan Gabet fait partie de ces agents du chaos, en se servant de la diabolisation comme manière de se dédouaner et de la haine de ses suiveurs pour répandre sa violence sur le monde. Arrêtez de perdre du temps avec eux et concentrez-vous sur l'essentiel.

Arthur Homines

Messager de la Liberté. Droit naturel, école autrichienne d'économie & investigations sur le Pouvoir.

https://x.com/arthurhomines/status/1966895629075968320 


Un petit rappel de mon ami François-René Đặng-Vũ Bân Rideau, dit "Faré" de son site en 2006

Quatre histoires sur la Voie du Milieu

  Chaque fois que je suis appelé un extrémiste, le plus souvent par des gens qui en appellent à une troisième voie entre le capitalisme et le socialisme (comme Benito Mussolini le fit avant eux), j'aime à raconter l'une ou l'autre de ces deux histoires.
Une forme courte de la première histoire a longtemps été dans ma collection de citations.
(Traduit en juin 2016)
 
Une jeune femme insouciante voyageait à travers une forêt. Au fond des bois, son groupe d'amis fut arrêté par un brigand, qui abattit ses compagnons désarmés. Le voyou exigea tout son or et déclara qu'il la laisserait partir en vie si seulement elle lui accorderait ses charmes pendant une semaine. Téméraire mais pas stupide, la jeune femme rassembla tout son courage, et prit les jambes à son cou. Et elle courut et courut, durant des minutes aussi interminables que désespérés, l'agresseur de la talonner, de l'insulter, et de lui raconter toutes les tortures qu'elle endurerait quand il l'aurait attrapée, jusqu'à ce qu'enfin elle arriva à bout de souffle dans une clairière où un ermite était assis en méditation devant sa hutte. Elle se jeta aux pieds de l'ermite et l'implora de l'aider. Un expert renommé en arts martiaux, l'ermite était aussi un adepte de la Voie du Milieu, versé dans la sagesse antique et vénéré comme Guide Spirituel. Prudent ne jamais utiliser la violence que pour une Justice Supérieure, il proposa d'entendre les deux parties et de rendre un verdict fondé sur sa Très Juste Philosophie de la Voie du Milieu.

"Ce bandit veut me voler et me violer", dit la femme, "s'il vous plaît protégez-moi."
"Cette pute est entré sans permission dans mon territoire," affirma le brigand,
"j'exige tout son or et une semaine de ses charmes comme une compensation légitime pour cette agression."
"Je ne vous donnerai rien du tout," répondit la femme, "car mon or et mon corps sont à moi, et vous avez aucun titre sur cette forêt."
Alors que le brigand commençait à l'insulter et qu'elle entamait une réponse, le Sage cria sévèrement "Silence !".

Les deux parties effrayées écoutant respectueusement, il prononça donc ces paroles de Sagesse:
"La Justice se trouve toujours dans un Juste Milieu. Loin que l'un de vous ait Raison, chacun d'entre vous ne détient que la moitié de la Vérité.
La Vérité réside à Mi-chemin entre vos deux revendications extrêmes. Aussi, le Brigand s'emparera de la moitié de la propriété de la Voyageuse, et la moitié de celle-ci seulement; de plus, il la violera pendant trois jours et demi, et trois jours et demi seulement.

Après avoir livré sa Sage Sentence, l'ermite retourna à sa méditation, et s'efforça via moult exercices de respiration d'ignorer les cris d'une femme que trop attachée à son confort terrestre.


Et si le point n'est pas assez clair, voici la deuxième histoire, récemment inventée sous l'inspiration d'un exemple extrait d'un essai d'Ayn Rand.


Quelque temps plus tard, notre ermite, ayant abandonné la moitié de sa hutte au bandit, puis la moitié du reste, décida que la vie dans la forêt n'était plus aussi inspirante qu'elle ne l'avait été auparavant, et se rendit en pèlerinage au très reculé Temple de la Vie et la Mort. À la fin de son voyage à gravir une montagne élevée et pelée sous un soleil brûlant, l'ermite fatigué et assoiffé fut accueilli par un moine à la porte du temple.

"Paix à vous, Pèlerin. Je suis le Prêtre de la Vie.
Voici un peu de thé chaud pour étancher votre soif, veuillez boire de cette coupe."
Comme l'ermite atteignait la tasse de thé qui lui avait été offerte, un autre moine sortit en courant du temple, et a cria:

"Attention, Étranger, ne buvez pas de cette coupe! Je suis le Prêtre de la Vie et voilà le Prêtre de la Mort. Ce qu'il vous propose est un puissant poison une seule goutte duquel pourrait tuer dix personnes. Voici un peu de thé chaud pour vous. S'il vous plaît buvez de ma tasse et non pas de la sienne." "Ne l'écoutez pas!" fit le premier moine. "C'est lui le Prêtre de la Mort, et c'est sa tasse qui contient le poison mortel, je vous en prie, buvez de ma tasse et abstenez-vous de boire de la sienne."

Les deux moines commencèrent à argumenter, mais furent promptement interrompus par l'ermite. Ils portèrent donc leurs regards suppliants sur un homme serein.
"Allons bon," déclara calmement l'ermite, "je suis un adepte de la Voie du Milieu, et je peux dire que, loin que l'un de vous ait Raison, chacun d'entre vous ne détient que la moitié de la Vérité. La Vérité réside à Mi-chemin entre vos deux revendications extrêmes. En conséquence, je vais boire la moitié de la première coupe, et la moitié de la seconde coupe." Et l'ermite de répandre à terre la moitié de chaque tasse, de mélanger les liquides restants,
et de boire le mélange. Peu après, il mourut dans d'horribles convulsions, incapable d'entendre le rire du Prêtre de la Mort et les lamentations du Prêtre de la Vie.


Je laisserai la morale de l'histoire à Thomas Paine:

La modération dans le tempérament est toujours une vertu; mais la modération dans les principes est toujours un vice.



Mise à jour: bien que chacune ces histoires se suffit à elle-même, les combiner ensemble et avec les compléments suivants peut apporter une illumination supplémentaire.


Après trois jours et demi, l'ermite finalement força le bandit à libérer la femme et à lui laisser la moitié de son or. Quelques semaines plus tard, alors qu'il dépensait son butin durement gagné dans une taverne, le détrousseur a raconté cette histoire très particulière à son avocat et ami.
"Oh non!" commenta l'ami, "tout ce que tu avais à faire était d'exiger deux fois plus que ce que tu ne voulais vraiment!"

Cette même année, la jeune femme, en convalescence de son traumatisme, se rendit aussi en pèlerinage au célèbre Temple de la Vie et la Mort. Confrontée à la même salutation par les deux moines, elle essaya présomptueusement de déterminer qui était le Prêtre de la Vie et qui était le Prêtre de la Mort en leur posant des questions.
Mais la discussion qui suivit entre les deux moines devint vite trop abstraite, complexe et ésotérique à suivre pour son esprit féminin, faible et ignorant. Aussi après un certain temps, elle pris la première occasion d'un silence dans le débat pour s'interposer et proposer:

"Vous deux ô grands sages devez avoir très mal à la gorge pour avoir participé à controverse intellectuelle aussi prolongée. Que ne buvez-vous donc chacun du thé que vous avez apporté ?
La modeste femme que je suis peut attendre d'être servie après les luminaires de la sagesse que vous êtes."

 

 
 Quant à des morales à ces histoires, je peux en trouver beaucoup, mais je devrais probablement vous laisser les trouver vous-même, et donc je ferais mes suggestions en encre invisible (sélectionnez le texte pour les révéler):
 
Chaque crime est la moitié d'un crime double; un demi-crime est toujours un crime.
C'est la négation des droits et non l'étendue d'une action qui caractérise un crime.
Les demandes des honnêtes gens ne s'éloignent jamais de la simple justice, mais il n'y a pas de limite aux exigences des malhonnêtes gens.
On juge un arbre aux fruits qu'il porte.
Une personne intelligente parfois peut ou ne peut pas anticiper les fruits futurs, mais tout le monde peut voir les fruits passés.
Les personnes les plus sages ne sont pas toujours les plus instruites et autres "intellectuels" proclamés.
La responsabilité - manger sa propre pâtée pour chien - est ce qui maintient chacun de nous sur la bonne voie.
On découvre la meilleure façon de vivre non pas en imposant la conclusion d'un débat (politique), mais en laissant chaque personne à vivre de la façon qu'elle recommande aux autres (liberté). 



janvier 30, 2023

RP#1-Janvier/2023 - Thématique: Enseignement


Ce site n'est plus sur FB (blacklisté sans motif), 

 


«  Au lendemain de la guerre, en 1947, les communistes Langevin et Wallon proposèrent de réaliser en France l'école unique, creuset de l'homme nouveau socialiste. Repoussé par deux fois à la Chambre sous la IVe République, ce projet fut mis en œuvre, paradoxalement, par De Gaulle au début de la Ve. […] Dès cette date, l'Éducation ne fut plus nationale. Elle fut, de jure, cogérée par le ministère et les syndicats. De facto, elle fut gérée par les syndicats seuls, car les ministres passaient (et souvent sautaient), alors que les syndicats restaient. Je dis bien que l'Éducation « nationale » usurpe désormais ce qualificatif, car la nation, qui n'a d'autre organe d'expression que le suffrage universel, et d'autres représentants légitimes que le Parlement et le Gouvernement, n'eut plus jamais, de ce jour, son mot à dire dans la politique éducative du pays. »

    — Philippe Nemo, Une trop longue erreur

 

SOMMAIRE:

A - Mobiliser la communauté éducative autour du projet d’établissement-Cour de comptes

B - Baccalauréat et socialisme (extrait) - Frédéric BASTIAT

C - Egalitarisme à la française: la preuve par l'absurde -

Philippe Nemo: Une trop longue erreur; Une trop longue erreur...





A - Mobiliser la communauté éducative autour du projet d’établissement

 Synthèse:

En dépit d’une dépense nationale d’éducation supérieure à la moyenne des pays de l’organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – (109 584 USD contre 105 502 USD pour l’éducation d’un élève de 6 à 15 ans en 2021(OCDE, Regards sur l’éducation 2022,2022 .), le système éducatif français peine à produire des résultats satisfaisants et les difficultés que rencontre son pilotage, particulièrement centralisé, conduisent à s’interroger sur la manière dont les établissements scolaires peuvent se mobiliser, à leur niveau, pour bâtir et mettre en œuvre un projet pédagogique adapté aux spécificités de leurs élèves, afin d’améliorer leur réussite, point focal de l’attention des parents . Comme le montrent les enquêtes internationales, le système scolaire français ne parvient pas à réduire les inégalités ; il tend plutôt à les creuser, malgré les dispositifs mis en œuvre pour remédier aux situations les plus défavorables, mais qui connaissent des limites .
En effet, malgré les objectifs d’égalité du système éducatif, l’ensemble des rapports sur la mixité scolaire dans les établissements, tout comme les analyses sur les différences de résultats aux examens nationaux et d’accès à la filière générale du lycée, montrent à quel point l’uniformité nationale formelle peut s’accommoder de larges inégalités réelles de traitement des élèves .
Par ailleurs, la décentralisation a amendé le pilotage strictement national de l’éducation en transformant les lycées et les collèges en établissements publics locaux d’enseignement (EPLE)  . En confiant davantage de responsabilités aux collectivités tout en maintenant les pouvoirs étendus de l’État, ce nouveau statut invitait l’établissement à prendre toute sa place dans le pilotage pédagogique, en mobilisant notamment les marges de manœuvre qui lui sont allouées . Adoptée par la loi d’orientation n° 89-486 du 10 juillet 1989, la notion de projet d’établissement est venue compléter les modalités de pilotage de l’EPLE .
L’enquête menée par la Cour s’est attachée à dresser un état des lieux en analysant la manière dont les EPLE se mobilisent autour de ce projet . Elle s’est intéressée à la place de l’établissement public local d’enseignement au sein du système éducatif, et à ses capacités d’action, telle que définies par les textes réglementaires .
 
La Cour a pu mesurer combien ces établissements ont été, ces dernières années, impactés par des dispositions normatives visant à la fois leurs missions et leurs relations, notamment la loi n° 2019-79 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance qui a renforcé la place de l'évaluation à tous les échelons du système éducatif .
Ses travaux ont également analysé la place du chef d’établissement pour mieux faire ressortir les ambiguïtés qui demeurent attachées à cette fonction . Un fossé important existe ainsi entre la perception qu’ont les familles du rôle des chefs d’établissement, et la réalité des leviers dont ces derniers disposent au quotidien pour diriger leurs établissements .
 
Un projet d’établissement encore trop peu mobilisé
 
Chacun des collèges et des lycées doit, comme l’impose le code de l’éducation, se doter d’un projet d’établissement, fixant les choix pédagogiques et la politique éducative de l’établissement pour une durée de trois à cinq ans . Il s’agit notamment d’adapter le cadre scolaire national aux caractéristiques des élèves de l’établissement, pour favoriser leur réussite . La démarche engagée par le chef d’établissement, est collective et vise, à partir d’un diagnostic tiré de l’évaluation de chaque établissement, à définir, avec les représentants de la communauté éducative, les modalités particulières de mise en œuvre des orientations, des objectifs et des programmes nationaux, ainsi que du projet académique . Or, la moitié des établissements ne sont pas dotés d’un tel projet, et, parmi ceux qui le sont, la qualité de la démarche et la portée du document sont très inégales .
Question sondage « votre établissement disposait-il d’un projet d’établissement signé avec les services académiques ? » Réponse: Oui à 50%.

Des marges de manœuvre insuffisamment exploitées
 
Au-delà de l’autonomie juridique que les textes réglementaires accordent aux EPLE, leur capacité d’action se décline à plusieurs niveaux incluant la gestion des ressources humaines, l’organisation pédagogique des heures d’enseignement, ou encore le pilotage pédagogique et éducatif par la construction de leur d’établissement, adapté aux besoins des élèves et aux spécificités du territoire .
Force est cependant de constater que, derrière l’affichage d’une autonomie formelle, les marges de manœuvre des établissements ne sont pas toujours suffisamment saisies . Avec des situations environnementales, sociales, économiques et culturelles comparables, et à moyens d’enseignement analogues, deux établissements peuvent avoir des résultats très différents en matière de réussite scolaire.
La Cour a cherché à en comprendre les raisons . Elle a également tenté de mesurer le coût et l’efficacité des moyens affectés aux EPLE, et d’identifier les voies susceptibles d’en améliorer l’efficience .
Face au creusement des inégalités et aux résultats mitigés des élèves français dans le cadre des évaluations internationales, une amélioration de l’organisation scolaire s’avère indispensable . Pour cela, le ministère doit se doter d’une véritable stratégie reposant sur plusieurs piliers qui lui font encore défaut, au premier rang desquels devraient figurer un renforcement du rôle des chefs d’établissement et une refonte des modalités d’allocation des moyens en direction des EPLE .
 
Une autonomie juridique formelle et limitée
 
Se fondant sur l’observation d’une quarantaine d’établissements, la Cour a cherché à comprendre quels étaient les leviers à disposition des établissements au service de la réussite de leurs élèves, et la façon dont ils s’en emparaient pour préconiser des évolutions possibles .
Si les EPLE disposent juridiquement d’une autonomie, les marges de manœuvre dont ils bénéficient dans les faits pour adapter leur organisation pédagogique sont inégales . De nombreux freins, autant liés à la gouvernance des établissements qu’à l’hétérogénéité des acteurs (institution scolaire, enseignants, parents d’élèves, collectivités territoriales) qu’il faut parvenir à mettre en synergie, peuvent en effet limiter la volonté des équipes éducatives de se mobiliser .
Cette inégalité est le résultat d’une combinaison de facteurs relevant, au premier chef, d’un modèle de gestion rigide et très centralisé . Peu de place est en effet laissée à l’appréciation des équipes éducatives face à une administration ancrée dans une culture de gestion « descendante » . Elle traduit également la capacité variable des chefs d’établissement à fédérer leurs équipes pédagogiques . Enfin, la situation sociale des élèves, de même que l’implantation géographique de l’établissement sont déterminantes dans les choix éducatifs réalisés par un EPLE .
 
Renforcer les capacités d’action des chefs d’établissement  
 
Le chef d’établissement est un acteur-clé dans la conduite d’un projet pédagogique et éducatif . Il lui revient d’engager une dynamique collective au sein de l’établissement et d’en assurer le suivi au quotidien .
Malgré cela, sa légitimité et la définition de ses prérogatives souffrent d’insuffisances . Si des évolutions positives sont intervenues ces dernières années pour renforcer son rôle d’encadrant de proximité, les leviers à sa disposition, notamment en matière d’évaluation des enseignants sont encore limités .
Les marges de manœuvre dont il dispose ne suffisent pas pour lui permettre de valoriser l’investissement d’un enseignant impliqué dans la vie de l’établissement, motiver son équipe et mieux rétribuer ceux de ses membres les plus investis.
 
 

 
Face à ce constat, la Cour appelle à une évolution des conditions d’exercice professionnel des chefs d’établissement pour en faire de véritables cadres dirigeants au sein de l’institution, bénéficiant des prérogatives associées à leur statut, sans pour autant étendre eurs attributions actuelles en matière de recrutement . Le ministère doit accompagner cette évolution par un renforcement de leur formation et de leur accompagnement, ainsi qu’une modernisation de la gestion de leur carrière .
 
Moduler davantage l’allocation des moyens aux EPLE
 
Le système scolaire français s’appuie sur une logique d’allocation des moyens éducatifs globalement uniforme, à l’exception des établissements relevant de l’éducation prioritaire et des moyens de fonctionnement apportés par les collectivités territoriales . Le critère principal demeure, le plus souvent, le nombre d’élèves fréquentant l’établissement rapporté à un nombre de divisions (classes) . Les résultats et la situation sociale des élèves, tout comme le contexte géographique de l’établissement, ne sont pas pris en compte de manière systématique sur l’ensemble du territoire, certaines académies déployant des modalités d’allocation progressive des moyens à partir d’indicateurs élaborés par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), quand d’autres s’en abstiennent .
Sous couvert d’un objectif d’égalité, l’institution scolaire tend, en réalité, à ne pas suffisamment corriger les inégalités existantes . Pour contrecarrer cette situation, la Cour estime que l’efficience des moyens alloués aux établissements serait mieux assurée si les modalités d’allocation prenaient davantage en compte les résultats des  évaluations et les contraintes pesant sur le lieu d’implantation de l’EPLE, et si elles étaient mieux coordonnées avec les interventions des collectivités territoriales.
 
Recommandations
 
1.
Veiller à ce que chaque EPLE dispose d’un projet d’établissement à jour, condition préalable à la mise en œuvre d’une démarche d’évaluation (MENJ).
2.
Engager une rationalisation des outils de pilotage des établissements en faisant du projet d’établissement le document pivot permettant une meilleure appropriation de l’action stratégique de l’établissement (MENJ)
3.
Confier au chef d’établissement l’évaluation des enseignants du second degré, en ménageant une possibilité de recours auprès de l’inspecteur, (recommandation réitérée) (MENJ)
4.
Annualiser les obligations de service des enseignants du second degré, en quantifiant les missions individuelles et collectives des enseignants assurées en dehors des heures de cours (recommandation réitérée) (MENJ)
5.
Au sein de la dotation globale, laisser à la main du chef d’établissement une enveloppe permettant de valoriser l’investissement d’enseignants au regard des objectifs du projet d’établissement (MENJ)
6.
Réformer les modalités de recrutement et de mutation des chefs d’établissement en réservant à
l’échelon central la seule désignation des postes spécifiques, des nouveaux titulaires et des personnels changeant d’académie (MENJ)
7.
Intégrer, dans les modèles d’allocation des moyens aux établissements, des critères tenant compte du profil des élèves scolarisés, des caractéristiques spécifiques de l’établissement, notamment géographiques, et de la mise en œuvre de projets particuliers en faveur de la réussite des élèves (MENJ)
8.
Favoriser la contractualisation entre établissements, académies et collectivités territoriales afin d’intégrer une véritable logique de complémentarité des moyens apportés aux EPLE (MENJ)
 
 
Rapport de la Cour des Comptes (en pdf)
 
 

 
 B - Baccalauréat et socialisme (extrait)
 

J'ai soumis à l'assemblée un amendement qui a pour objet la suppression des grades universitaires. Ma santé ne me permet pas de le développer à la tribune. Permettez-moi d'avoir recours à la plume. [...] Les grades universitaires ont le triple inconvénient d'uniformiser l'enseignement (l'uniformité n'est pas l'unité) et de l'immobiliser après lui avoir imprimé la direction la plus funeste. [...] La liberté peut être considérée au point de vue des personnes et relativement aux matières - ratione personae et ratione materiae, comme disent les légistes ; car supprimer la concurrence des méthodes, ce n'est pas un moindre attentat à la liberté que de supprimer la concurrence des hommes.

Il y en a qui disent : "La carrière de l'enseignement va être libre, car chacun y pourra entrer." C'est une grande illusion. L'État, ou pour mieux dire le parti, la faction, la secte, l'homme qui s'empare momentanément, et même très légalement, de l'influence gouvernementale, peut donner à l'enseignement la direction qui lui plaît, et façonner à son gré toutes les intelligences par le seul mécanisme des grades...

Moi, père de famille, et le professeur avec lequel je me concerte pour l'éducation de mon fils, nous pouvons croire que la véritable instruction consiste à savoir ce que les choses sont et ce qu'elles produisent, tant dans l'ordre physique que dans l'ordre moral. Nous pouvons penser que celui-là est le mieux instruit qui se fait l'idée la plus exacte des phénomènes et sait le mieux l'enchaînement des effets aux causes. Nous voudrions baser l'enseignement sur cette donnée. - Mais l'État a une autre idée. Il pense qu'être savant c'est être en mesure de scander les vers de Plaute, et de citer, sur le feu et sur l'air, les opinions de Thalès et de Pythagore.

Or que fait l'État ? Il nous dit : Enseignez ce que vous voudrez à votre élève ; mais quand il aura vingt ans, je le ferai interroger sur les opinions de Pythagore et de Thalès, je lui ferai scander les vers de Plaute, et, s'il n'est assez fort en ces matières pour me prouver qu'il y a consacré toute sa jeunesse, il ne pourra être ni médecin, ni avocat, ni magistrat, ni consul, ni diplomate, ni professeur.

Dès lors je suis bien forcé de me soumettre, car je ne prendrai pas sur moi la responsabilité de fermer à mon fils tant de si belles carrières. Vous aurez beau me dire que je suis libre ; j'affirme que je ne le suis pas, puisque vous me réduisez à faire de mon fils, du moins à mon point de vue, un pédant, - peut être un affreux petit rhéteur, - et à coup sûr un turbulent factieux.

Car si encore les connaissances exigées par le Baccalauréat avaient quelques rapports avec les besoins et les intérêts de notre époque ! si du moins elles n'étaient qu'inutiles ! mais elles sont déplorablement funestes. Fausser l'esprit humain, c'est le problème que semblent s'être posé et qu'ont résolu les corps auxquels a été livré le monopole de l'enseignement. [...]

Les doctrines subversives auxquelles on a donné le nom de socialisme ou communisme sont le fruit de l'enseignement classique, qu'il soit distribué par le clergé ou par l'Université. [...] Relativement à la société, le monde ancien a légué au nouveau deux fausses notions qui l'ébranlent et l'ébranleront longtemps encore.

L'une : que la société est un état hors de nature, né d'un contrat. Cette idée n'était pas aussi erronée autrefois qu'elle l'est de nos jours. Rome, Sparte, c'était bien des associations d'hommes ayant un but commun et déterminer : le pillage ; ce n'était pas précisément des sociétés mais des armées.

L'autre, corollaire de la précédente : Que la loi créé les droits, et que, par suite, le législateur et l'humanité sont entre eux dans les mêmes rapports que le potier et l'argile. Minos, Lycurgue, Solon, Numa avaient fabriqué les sociétés crétoise, macédoniennes, athénienne, romaine. Platon était fabriquant de républiques imaginaires devant servir de modèles aux futurs instituteurs des peuples et pères des nations.

Or, remarquez-le bien, ces deux idées forment le caractère spécial, le cachet distinctif du socialisme, en prenant ce mot dans le sens défavorable et comme la commune étiquette de toutes les utopies sociales.

Quiconque, ignorant que le corps social est un ensemble de lois naturelles, comme le corps humain, rêve de créer une société artificielle, et se prend à manipuler à son gré la famille, la propriété, le droit, l'humanité, est socialiste. Il ne fait pas de la physiologie, il fait de la statuaire ; il n'observe pas, il invente ; il ne croit pas en Dieu, il croit en lui-même ; il n'est pas savant, il est tyran ; il ne sert pas les hommes, il en dispose ; il n'étudie pas leur nature, il la change, suivant le conseil de Rousseau

Il s'inspire de l'antiquité ; il procède de Lycurgue et de Platon. - Et pour tout dire, à coup sûr, il est bachelier.

Voyons donc à quoi se réduit [...] cette Liberté que vous dites si entière.

En vertu de votre loi, je fonde un collège. Avec le prix de la pension, il me faut acheter ou louer le local, pourvoir à l'alimentation des élèves et payer les professeurs. Mais à coté de mon collège, il y a un Lycée. Il n'a pas à s'occuper du local et des professeurs. Les contribuables, moi compris, en font les frais. Il peut donc baisser le prix de la pension de manière à rendre mon entreprise impossible. Est-ce là de la liberté ?

Maintenant je me suppose père de famille ; je mets mes fils dans une institution libre : quelle est la position qui m'est faite ? Comme père, je paye l'éducation de mes enfants, sans que nul me vienne en aide ; comme contribuable et comme catholique, je paye l'éducation des enfants des autres, car je ne puis refuser l'impôt qui soudoie les Lycées, ni guère me dispenser, en temps de carême, de jeter dans le bonnet du frère quêteur l'obole qui doit soutenir les séminaires. En ceci, du moins, je suis libre. Mais le suis-je quant à l'impôt ? Non, non, dites que vous faites de la Solidarité, au sens socialiste, mais n'ayez pas la prétention de faire de la Liberté.

Et ce n'est là que le très-petit coté de la question. Voici qui est plus grave. Je donne la préférence à l'enseignement libre, parce que votre enseignement officiel (auquel vous me forcer à concourir, sans en profiter) me semble communiste et païen ; ma conscience répugne à ce que mes fils s'imprègnent des idées spartiates et romaines qui, à mes yeux du moins, ne sont que la violence et le brigandage glorifié. En conséquence, je me soumets à payer la pension pour mes fils, et l'impôt pour les fils des autres. Mais qu'est ce que je trouve ? Je trouve que votre enseignement mythologique et guerrier a été indirectement imposé au collège libre, par l'ingénieux mécanisme de vos grades, et que je dois courber ma conscience à vos vues sous peine de faire de mes enfants des parias de la société. - Vous m'avez dit quatre fois que j'étais libre. Vous me le diriez cent fois, que cent fois je vous répondrais : je ne le suis pas. [...]

Enfin, examinons la question au point de vue de la Société, et remarquons d'abord qu'il serait étrange que la société fut libre en matière d'enseignement si les instituteurs et les pères de famille ne le sont pas. La première phrase du rapport de M. Thiers sur l'instruction secondaire, en 1844, proclamait cette vérité terrible : "L'éducation publique est l'intérêt le plus grand d'une nation civilisée, et, par ce motif, le plus grand objet de l'ambition des partis."

Il semble que la conclusion à tirer de là, c'est qu'une nation qui ne veut pas être la proie des partis doit se hâter de supprimer l'éducation publique, c'est à dire par l'État, et de proclamer la liberté de l'enseignement. S'il y a une éducation confiée au pouvoir, les partis auront un motif de plus pour chercher à s'emparer du pouvoir, puisque, du même coup, ce sera s'emparer de l'enseignement, le plus grand objet de leur ambition. La soif de gouverner n'inspire-t'elle pas assez de convoitise ? ne provoque-t'elle pas assez de luttes, de révolutions et de désordres ? et est-il sage de l'irriter encore par l'appât d'une si haute influence ?

Et pourquoi les partis ambitionnent-ils la direction des études ? Parce qu'ils connaissent ce mot de Leibniz : "Faites-moi maître de l'enseignement, et je me charge de changer la face du monde." L'enseignement par le pouvoir, c'est donc l'enseignement par un parti, par une secte momentanément triomphante ; c'est l'enseignement au profit d'une idée, d'un système exclusif. "Nous avons fait la République, disait Robespierre, il nous reste à faire des républicains" ; tentative qui a été renouvelée en 1848. Bonaparte ne voulait faire que des soldats, Frayssinous que des dévots, Villemin que des rhéteurs. M. Guizot ne ferait que des doctrinaires, Enfantin que des saint-simoniens, et tel qui s'indigne de voir l'humanité ainsi dégradée, s'il était jamais en position de dire l'État c'est moi, serait peut être tenté de ne faire que des économistes. Eh quoi ! ne verra-t-on jamais le danger de fournir aux partis, à mesure qu'ils s'arrachent le pouvoir, l'occasion d'imposer uniformément et universellement leurs opinions, que dis-je ? leurs erreurs par la force ? Car c'est bien employer la force que d'interdire législativement toute autre idée que celle dont on est soit même infatué...

Maintenant, je répète ma question : Au point de vue social, la loi que nous discutons réalise-t-elle la liberté ?

Autrefois il y avait une Université. Pour enseigner il fallait sa permission. Elle imposait ses idées et ses méthodes, et force était d'en passer par là. Elle était donc, selon la pensée de Leibniz, maîtresse des générations, et c'est pour cela sans doute que son chef prenait le titre significatif de grand maître.

Maintenant tout cela est renversé. Il ne restera à l'Université que deux attributions :

1° le droit de dire ce qu'il faudra savoir pour obtenir les grades ;

2° le droit de fermer d'innombrables carrières à ceux qui ne se seront pas soumis.

Ce n'est presque rien, dit-on. Et moi je dis : ce rien est tout.

Ceci m'entraîne à dire quelque chose d'un mot qui a été souvent prononcé dans ce débat : c'est le mot unité ; car beaucoup de personnes voient dans le Baccalauréat le moyen d'imprimer à toutes les intelligences une direction, sinon raisonnable et utile, du moins uniforme, et bonne en cela...

Il y a deux sortes d'unités. L'une est un point de départ. Elle est imposée par la force, par ceux qui détiennent momentanément la force. L'autre est un résultat, la grande consommation de la perfectibilité humaine. Elle résulte de la naturelle gravitation des intelligences vers la vérité.

La première unité a pour principe le mépris de l'espèce humaine, et pour instrument le despotisme. Robespierre était unitaire quand il disait : "J'ai fait la République, je vais me mettre à faire des républicains." [...] Procuste était Unitaire quand il disait : "Voilà un lit : je raccourcirai ou j'allongerai quiconque en dépassera ou n'en atteindra pas les dimensions." Le Baccalauréat est Unitaire quand il dit : La vie sociale sera interdite à quiconque ne subit pas mon programme." [...]

La liberté c'est le terrain où germe la véritable unité et l'atmosphère qui la féconde. La concurrence a pour effet de provoquer révéler et universaliser les bonnes méthodes, et de faire sombrer les mauvaises. Il faut bien admettre que l'esprit humain a plus naturelle proportion avec la vérité qu'avec l'erreur, avec ce qui est bien qu'avec ce qui est mal, avec ce qui est utile qu'avec ce qui est funeste. S'il n'en était pas ainsi, si la chute était naturellement réservée au Vrai, et le triomphe au Faux, tous nos efforts seraient vains ; l'humanité serait fatalement poussée, comme le croyait Rousseau, vers une dégradation inévitable et progressive. Il faudrait dire avec M. Thiers : L'antiquité est ce qu'il y a de plus beau au monde, ce qui n'est pas seulement une erreur mais un blasphème. - Les intérêts des hommes, bien compris, sont harmoniques, et la lumière qui les leur fait comprendre brille d'un éclat toujours plus vif. Donc les efforts individuels et collectifs, l'expérience, les tâtonnements, les déceptions même, la concurrence, en un mot, la Liberté - font graviter les hommes vers cette unité, qui est l'expression des lois de leur nature, et la réalisation du bien général...

Peut-on douter que l'enseignement, dégagé des entraves universitaires, soustrait, par la suppression des grades, au conventionnalisme classique, ne s'élançât, sous l'aiguillon de la rivalité, dans des voies nouvelles et fécondes ? Les institutions libres, qui surgiront laborieusement entre les lycées et les séminaires, sentiront la nécessité de donner à l'intelligence humaine sa véritable nourriture, à savoir : la science de ce que les choses sont et non la science de ce qu'on en disait il y a deux mille ans. "L'antiquité des temps est l'enfance du monde, dit Bacon, et, à proprement parler, c'est notre temps qui est l'antiquité, le monde ayant acquis du savoir et de l'expérience en vieillissant." L'étude des œuvres de Dieu et de la nature dans l'ordre moral et dans l'ordre matériel, voilà la véritable instruction, voilà celle qui dominera dans les institutions libres. Les jeunes gens qui l'auront revue se montreront supérieur par la force de l'intelligence, la sûreté du jugement, l'aptitude à la pratique de la vie, aux affreux petits rhéteurs que l'université et le clergé auront saturés de doctrines aussi fausses que surannées. Pendant que les uns seront préparés aux fonctions sociales de notre époque, les autres seront d'abord à oublier, s'ils peuvent, ce qu'ils auront appris, ensuite à apprendre ce qu'ils devraient savoir. En présence de ces résultats la tendance des pères de famille sera de préférer les écoles libres, pleines de sève et de vie, à ces autres écoles succombant sous l'esclavage de la routine...

L'effroyable désordre moral [de notre époque] ne naît pas d'une perversion des volontés individuelles abandonnées à leur libre arbitre. Non, il est législativement imposé par le mécanisme des grades universitaires. M. de Montalembert lui même, tout en regrettant que l'étude des lettres antiques ne fut pas assez forte, a cité les rapports des inspecteurs et doyen des facultés. Ils sont unanimes pour constater la résistance, je dirai presque la révolte du sentiment public contre une tyrannie si absurde et si funeste. Tous constatent que la jeunesse française calcule avec une précision mathématique ce qu'on l'oblige d'apprendre et ce qu'on lui permet d'ignorer, en fait d'études classiques, et qu'elle s'arrête juste à la limite où les grades s'obtiennent. En est-il de même dans les autres branches des connaissances humaines, et n'est-il pas de notoriété publique que, pour dix admissions, il se présenté cent candidats tous supérieurs à ce qu'exigent les programmes ? Que le législateur compte donc la raison publique et l'esprit des temps pour quelque chose... 

Extrait du discours que Frédéric Bastiat, député des Landes, aurait aimé prononcer à la chambre, s'il n'en avait été empêché par la tuberculose, lors des débats sur la liberté de l'enseignement, qui devaient aboutir au vote de la loi Falloux du 15 mars 1850.

 

: Frédéric Bastiat, Baccalauréat et Socialisme, Œuvres complètes, tome IV : Sophismes économiques, petits pamphlets I, Paris : Guillaumin, 2ème éd. 1863, pp. 442 à 503.

: "Celui qui ose entreprendre d'instituer un peuple doit se sentir en état de changer, pour ainsi dire, la nature humaine..., d'altérer la constitution morale et physique de l'humanité..." (Contrat social, chap. VII)

Extrait de l’édition originale en 7 volumes (1863) des œuvres complètes de Frédéric Bastiat, tome IV, Baccalauréat et socialisme, pp. 442-503.

Originellement mis sur le ouèbe par le site libertarien et non conformiste, en remerciant M. Pellissier-Tanon. Édité par François-René Rideau pour Bastiat.org.

 


 C - Egalitarisme à la française: la preuve par l'absurde

Il y a déjà quelques années que le diagnostic d’un égalitarisme mortifère qui rend l’école française toujours plus inégalitaire a été posé. Tellement d’années qu’on pourrait croire non seulement ce diagnostic partagé, mais même quelques solutions trouvées, quelques traitements de choc appliqués avant le coma et la mort clinique. Eh bien, pas du tout ! Mieux, on s’aperçoit qu’à tous les échelons de l’Education nationale, des adeptes zélés du culte du dieu Egalité représentent fort dignement une espèce que la disparition ne guette pas. Professeurs, journalistes, sociologues, parents, recteurs et inspecteurs…

Inspecteurs, justement. L’un d’eux offrait dernièrement à l’auteur de ces lignes une petite démonstration de son talent. Le sujet : l’école maternelle. Et la régulation des « flux scolaires » par une administration soucieuse de se simplifier la vie en économisant l’argent public. Question anodine de votre servante :

- On voit de moins en moins d’enfants sauter une classe, ou entrer plus tôt à l’école et poursuivre leur cursus avec cette avance. Pourtant, cette souplesse avait l’avantage de tenir compte des écarts de développement des enfants, et de compenser le coût des redoublements, non ?

Réponse, un tantinet indignée, de l’éminent IA-IPR :

- Les élèves qui doublent (sic. Il ne faut stigmatiser personne…) sont le reflet d’autre chose que des résultats scolaire. Et c’est la même chose pour ceux qui sautaient une classe. C’est pour cela qu’on évite aujourd’hui ce genre de chose. C’étaient souvent des enfants de milieu favorisé, que les parents poussaient. Nous, nous croyons aux bienfaits de la mixité sociale.

A partir de ce stade, la conversation prend un tour un peu curieux, quelque chose comme une immersion dans les cauchemars de Franz Kafka.

- Mais je ne comprends pas. Si votre élève un peu plus rapide saute une classe, il se retrouvera au niveau supérieur, où il aura autant de camarades de milieu défavorisé.

- Non. Vous comprenez, dans l’école de la République, malheureusement, vous avez des différences qui sont souvent le fait de différences sociales. C’est contre cela qu’il faut lutter.

L’individu qui croit encore qu’il se situe dans l’ordre du débat argumenté appuyé sur une forme quelconque de rationalité prouve par là-même qu’il ignore tout de l’Education nationale, de ses concepts et de son vocabulaire. Pris par surprise, il se débat tel un malheureux prisonnier des sables mouvants, mais peu à peu, la rhétorique si bien rôdée l’englue, l’absorbe et le digère.

- Mais enfin, que tous les enfants n’aient pas le même âge dans une classe ne change rien à la mixité sociale. Il s’agit juste de tenir compte de la spécificité, du rythme, de chaque enfant.

- Vous ne comprenez pas. Si vous appliquez ce modèle sur l’ensemble de la scolarité, vous créez un système élitiste, une école à deux vitesses.

- Mais pas du tout ! On évite juste que des petits s’ennuient à l’école ! Et puis, pourquoi les enfants qui ont des facilités à la maternelle ou au CP seraient-ils forcément des gosses de riches. Il y a des gamins de milieu défavorisé qui sont très vifs, très éveillés.

Là, vous atteignez le point aveugle de l’idéologie égalitaire, ce trou noir qu’il ne faut surtout pas explorer, car ce qu’on y trouverait serait teinté de mépris de classe et de déterminisme forcené. Les pauvres ne peuvent pas réussir à l’école, ni s’approprier une culture humaniste exigeante. Les pauvres sont condamnés à l’échec, sauf si l’on efface cet échec par un tour de passe-passe, et que l’on supprime cette culture qui ne saurait leur appartenir. Mais puisque tout cela est fort peu reluisant, changeons de sujet :

- De toute façon, avec l’organisation en cycles, nous avons rompu avec ce système des années d’avance. Les enfants ne progressent plus de classe en classe, mais de cycle en cycle ; et vous n’allez pas leur faire sauter tout un cycle.

- Donc on organise dès le départ la cohabitation d’enfants qui n’ont ni les mêmes acquis, ni les mêmes besoins.

- Mais le professeur répond à chacun par une pédagogie différenciée.

Ô merveille de ces quelques phrases qui résument si bien la subtile philosophie de ceux qui ont charge de nos enfants : l’élitisme, c’est Mal. La mixité, c’est Bien. Et par la magie de la « pédagogie différenciée » et des « cycles d’enseignement », une administration folle verrouille le système pour qu’aucune tête ne dépasse. « Souligner avec amertume et désespoir l'absurdité du monde » : ainsi Pierre Desproges définissait-il l’humour anglais ; et sans doute y aurait-il comme une quintessence de l’humour anglais chez cet inspecteur, s’il n’était parfaitement sérieux. Il nous prouve que l’Education nationale s’est fait une spécialité de l’absurdité. Elle nous laisse l’amertume et le désespoir.

Source : Le Figaro

 


 

Philippe Nemo: Une trop longue erreur !!

Jean-Pierre Raffarin a installé hier la commission d'une quarantaine de personnalités qui pilotera le «débat national sur l'école» dont l'ambition est de déboucher sur une révision de la loi d'orientation de 1989, socle du système éducatif actuel. L'éducation va ainsi occuper le devant de la scène jusqu'en 2004, date à laquelle le gouvernement entend faire voter une nouvelle loi d'orientation «pour les quinze ans à venir», selon le ministre Luc Ferry. Nous publions ci-dessous deux contributions au débat.

Il est urgent de comprendre que les crises successives de l'Éducation nationale ne sont pas des phénomènes ponctuels, mais sont le résultat d'une même erreur initiale dans la politique scolaire du pays commise il y a plus de quarante ans et jamais corrigée depuis. Après y avoir longtemps réfléchi[1], je pense pouvoir retracer ce qui s'est réellement passé pendant ce presque demi-siècle. La tragédie s'est nouée en trois actes.

Acte 1. Au lendemain de la guerre, en 1947, les communistes Langevin et Wallon proposèrent de réaliser en France l'école unique, creuset de l'homme nouveau socialiste. Repoussé par deux fois à la Chambre sous la IVe République, ce projet fut mis en œuvre, paradoxalement, par De Gaulle au début de la Ve.

On unifia le système scolaire, jusque-là divisé en trois grands secteurs plus ou moins indépendants, le primaire, le secondaire et le technique. On supprima les classes primaires des lycées, les classes secondaires du primaire (les «cours complémentaires») et, peu à peu, on homogénéisa les programmes de façon à supprimer les filières.

Le « collège unique », faussement attribué à l'initiative de M. Haby, ne fut que l'étape finale de ce processus, qui était programmé dès 1958. L'Éducation nationale devint alors un monstrueux système bureaucratique, et ses syndicats montèrent en puissance à mesure qu'augmenta, dans un système administratif unifié, leur pouvoir de nuire. Dès cette date, l'Éducation ne fut plus nationale. Elle fut, de jure, cogérée par le ministère et les syndicats. De facto, elle fut gérée par les syndicats seuls, car les ministres passaient (et souvent sautaient), alors que les syndicats restaient. Je dis bien que l'Éducation « nationale » usurpe désormais ce qualificatif, car la nation, qui n'a d'autre organe d'expression que le suffrage universel, et d'autres représentants légitimes que le Parlement et le Gouvernement, n'eut plus jamais, de ce jour, son mot à dire dans la politique éducative du pays.

Acte II. Pourtant, aussitôt mise en place, l'école unique se révéla produire l'inverse de l'effet recherché. Au lieu de résorber les inégalités scolaires, on s'aperçut qu'elle les exacerbait. On découvrit en effet, dès le début des années 1960 que, quand on place dans une même école et devant un même professeur les 20% d'élèves qui allaient auparavant au lycée et les 80% qui allaient à l'école communale et dans les cours complémentaires, c'étaient toujours les premiers nommés, c'est-à-dire les enfants des milieux « privilégiés », qui réussissaient. Le résultat réellement produit par un cours ne dépend pas en effet seulement du cours lui-même, mais aussi des structures mentales des élèves qui le reçoivent.

Pour suivre l'enseignement secondaire classique, qui, même élémentaire, est déjà par nature scientifique, il faut, dès l'entrée en 6e à l'âge de 10 ans, avoir atteint ce que les psychologues de l'intelligence comme Jean Piaget appelle le stade de la pensée « abstraite » et « désintéressée ». Or ce stade n'est atteint à l'âge de l'entrée en 6e que par les enfants vivant dans un milieu familial où leur intelligence abstraite est activement stimulée, c'est-à-dire dans les milieux « bourgeois ».

Dans ces conditions, l'école unique conduisait à une double catastrophe. Non seulement c'étaient encore les fils de polytechniciens qui devenaient polytechniciens, donc l'école unique ne changeait rien en pratique. Mais, ce qui était pire, ce privilège devenait légitime, puisque tous les enfants, désormais scolarisés dans une même école, étaient censés avoir eu les mêmes chances.

Constatant cet échec, le gouvernement gaulliste aurait pu renoncer à l'école unique et revenir à l'école méritocratique de Jules Ferry, qui avançait plus lentement, mais plus sûrement, vers la « démocratisation » souhaitée par tous. Mais cette correction de trajectoire ne pouvait pas être acceptée par les syndicats qui, grâce à la tourmente de 1968, imposèrent leurs propres solutions. Celles-ci consistaient en une fuite en avant. Puisque l'« alignement vers le haut » du plan Langevin-Wallon ne fonctionnait pas, on procéderait à un « alignement par le bas ». En un mot, on primariserait le secondaire. Cela tombait bien: la majorité des professeurs du secondaire de l'époque étaient d'anciens instituteurs.

C'est à partir de cette date que l'Éducation dite nationale commença à détruire purement et simplement l'enseignement secondaire français traditionnel. Rejetant une tradition éprouvée, on donna carte blanche aux «pédagogues». On décréta le caractère oppressif des savoirs. On refondit tous les programmes dans le sens du flou, de l'incohérence et de l'appauvrissement. On rendit impossible la structuration de l'esprit en cassant net, au nom de la spontanéité des « apprenants », le processus d'acquisition méthodique des savoirs.

L'affaire se compliqua par le fait que les réformateurs, menés par la FEN et le SGEN, ne purent, malgré tous leurs efforts, imposer l'intégralité de leurs réformes. La logique de celles-ci aurait été de supprimer jusqu'à la notion même de programme, donc la structuration des collèges et lycées en classes annuelles successives, donc aussi toute hiérarchie entre catégories d'enseignants. Or le SNES communiste veillait aux intérêts corporatifs des professeurs agrégés et certifiés. Il combattit les « pédagos » autant qu'il le put. Il en résulta une situation bloquée, provoquant un lent pourrissement. Il n'y eut plus, bientôt, de véritable programme national.

Acte III. Dans les décennies 1960 et 1970, l'école avait subrepticement changé de fonction sociale: elle était devenue peu à peu une simple garderie de la jeunesse. Et c'est parce qu'elle jouait passablement bien ce nouveau rôle qu'on l'a dédouana de ne plus jouer correctement son rôle d'éducation et d'instruction.

Il y eut des raisons sociologiques profondes, tant structurelles et conjoncturelles, à cette transformation insensible de l'école. D'abord, le travail des femmes s'était généralisé; or les femmes ne peuvent quitter la maison si les enfants ne sont pas gardés à l'extérieur. Ensuite, à partir du début des années 1970, le chômage de masse s'était développé en Europe, et l'on avait réagi à cette pression exercée contre l'emploi en diminuant la durée du travail, soit celle du travail hebdomadaire, soit celle de la vie de travail, ce dernier facteur se décomposant à son tour en abaissement de l'âge de la retraite et en retardement de l'entrée sur le marché de l'emploi. C'est ainsi que la durée moyenne de scolarisation doubla, passant de neuf ans aux lendemains de la guerre à plus de dix-huit ans aujourd'hui. Pendant la même période, les dépenses scolaires décuplaient en francs constants. Ainsi les jeunes étaient-ils gardés entre quatre murs au lieu d'entrer sur le marché du travail et d'y faire baisser les salaires, ou, pire, d'envahir la rue.

Inutile de dire que le niveau scolaire de la nation, dans le même temps, ne décupla ni ne doubla, à supposer qu'il ait augmenté un peu ou même n'ait pas régressé. Par conséquent, si l'on évalue l'output de l'institution scolaire en termes de niveau, on peut dire que la productivité marginale de chaque franc supplémentaire dépensé pour l'école, ou de chaque heure supplémentaire passée à l'école, a tendu vers zéro ou même est devenue négative. Pourquoi la société ne s'est-elle pas révoltée contre ce scandaleux gâchis? La réponse est claire: c'est que l'investissement public fut réellement productif si l'on prend pour critère non le niveau scolaire, mais la capacité à garder efficacement la jeunesse. L'argent dépensé a réellement servi à construire des écoles et à payer des gardiens.

La preuve que la fonction sociale réelle de l'école est désormais celle d'une garderie est que c'est aux manquements de cette seule fonction que des « signaux sociaux » s'allument. On ne voit jamais les parents défiler dans la rue si le professeur de français fait une faute d'orthographe par ligne, ou si le professeur de mathématiques se perd dans ses équations (ce qui est courant aujourd'hui). En revanche si, un seul matin, un gardien, absent, pour quelque raison que ce soit, manque devant une classe, ou si les professeurs sont en grève, ou si l'on menace de fermer une classe dans une agglomération qui se dépeuple, tous événements qui empêchent les parents d'aller travailler en paix, c'est alors que la société réagit brutalement et que l'institution scolaire est sommée de se justifier. A midi, les parents occupent l'école. Le recteur doit s'expliquer l'après-midi devant la télévision régionale, et le ministre au journal de 20h.

On a là l'explication, navrante mais objectivement vraie, du fait stupéfiant que les grands acteurs sociaux n'aient rien fait pour corriger la dérive mortelle de notre système éducatif depuis que son échec est devenu patent. Les associations de parents d'élèves n'ont eu en vue, par définition, que la fonction de garderie. Les syndicats d'enseignants n'ont eu en vue que l'augmentation continue des postes rendue possible par l'aubaine d'une inflation scolaire indéfinie (et de toute façon, ils ne peuvent critiquer leur œuvre). Quant aux politiques, ils se sont platement alignés sur les préoccupations immédiates de la masse de leurs électeurs, en sacrifiant, comme c'est devenu habituel dans nos démocraties médiatiques, les intérêts à long terme du pays.

Le problème est que la France, si elle en reste à la situation actuelle de son système éducatif, va subir la plus effroyable décadence de son histoire: la perte de son statut de grand pays scientifique et technologique. Et je ne vois pas très bien comment on peut espérer faire fonctionner une démocratie digne de ce nom, et en général toutes les institutions, organisations et entreprises d'un pays moderne, dans une société où progressent illettrisme, ignorance et obscurantisme.

Je suis persuadé qu'il n'y a de solution au problème scolaire de notre pays que par la remise en cause radicale de l'option communisante du plan Langevin-Wallon prise et absurdement conservée depuis quarante ans. Il faut un pluralisme scolaire, tant à l'intérieur du système public que par le développement d'un nouveau secteur privé. Il faut qu'on puisse créer librement des écoles et des réseaux d'écoles, et qu'il y ait une émulation entre ceux-ci, seul processus qui sera de nature à créer une spirale vertueuse et à engendrer un vigoureux renouvellement. Quel homme politique aura le courage de faire un pas dans le sens de cette libération?

1) Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry?, Grasset, 1991; Le Chaos pédagogique, Albin Michel, 1993. «La fonction de garderie de l'école: une explication de la dégradation de sa fonction pédagogique», in École et société. Les paradoxes de la démocratie, par Raymond Boudon, Nathalie Bulle et Mohamed Cherkaoui, PUF, 2001. 

Source: Le Figaro via Catallaxia 

 


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