Cependant, Locke fait deux exceptions à son principe de tolérance.
C'est d'abord aux catholiques qu'il en refuse le bénéfice. S'il le fait,
ce n'est pas à cause de leurs options spéculatives (par exemple : la
transsubstantiation), mais en raison de leurs considérations pratiques,
telles que le déni d'être soumis à un prince excommunié et leur voeu
d'obéissance à un souverain étranger (i. e. le Pape).
Ce sont ensuite les athées qui sont exclus de toute marque de tolérance. Pour le philosophe :
Il écrit aussi très clairement que, ce n'est pas parce que de
nombreux libéraux ont cédé aux sirènes de l'anticléricalisme le plus
intolérant que l'Église doit les imiter en combattant, à l'inverse, la
liberté :
Plus encore, Constant considère que la mise en concurrence des
croyances les plus diverses contribuerait progressivement au triomphe de
la vérité.
Le
libre arbitre décrit la propriété qu’aurait la
volonté humaine de se déterminer librement — voire arbitrairement — à agir et à penser, par opposition au
déterminisme ou au
fatalisme, qui affirment que la volonté est déterminée dans chacun de ses actes par des forces qui l’y nécessitent.
Se déterminer à ou
être déterminé par : tel est tout l’enjeu de l’antinomie du
destin et du libre arbitre.
L’origine augustinienne du concept
L’expression française de « libre arbitre » rend insuffisamment compte du lien indissoluble qui l’unit à la notion de
volonté, lien apparaissant clairement dans les expressions anglaise (
Free will) et allemande (
Willensfreiheit), qui présentent cependant le désavantage de dissoudre la notion d’arbitre ou de
choix essentielle au concept. « Libre arbitre » (
liberum arbitrium en latin) est la contraction de l’expression technique : « libre arbitre de la volonté ». De ce
concept
forgé par la théologie patristique latine, il n’est pas exagéré
d’écrire qu’il fut inventé pour disculper Dieu de la responsabilité du
mal en l’imputant à sa créature. Ceci apparaît avec clarté dans le
traité
De libero arbitrio d’
Augustin d'Hippone, fondé sur le dialogue d’
Evodius et d’Augustin. Evodius pose le problème en des termes abrupts : «
Dieu n’est-il pas l’auteur du
mal ? ». Si le péché est l'œuvre des
âmes et que celles-ci sont créées par Dieu, comment Dieu n’en serait-il pas,
in fine, l’auteur ? Augustin répond sans équivoque que « Dieu a conféré à sa créature, avec le
libre arbitre, la capacité de mal agir, et par-là même, la responsabilité du péché ».
Grâce au libre arbitre, Dieu reste impeccable : sa bonté ne
saurait être tenue pour responsable d’aucun mal moral. Mais n’est-ce pas
déplacer le problème sans le résoudre ? Pourquoi Dieu nous a-t-il
conféré la capacité de pécher :
d’où vient que nous agissons mal ? Si je ne me trompe,
l’argumentation a montré que nous agissons ainsi par le libre arbitre de
la volonté. Mais ce libre arbitre auquel nous devons notre faculté de
pécher, nous en sommes convaincus, je me demande si celui qui nous a
créés a bien fait de nous le donner. Il semble, en effet, que nous
n’aurions pas été exposés à pécher si nous en avions été privés ; et il
est à craindre que, de cette façon, Dieu aussi passe pour l’auteur de
nos mauvaises actions (De libero arbitrio, I, 16, 35).
La réponse d’Augustin est que la volonté est un bien, dont l’homme
peut abuser certes, mais qui fait la dignité de l’homme. Qui voudrait ne
pas posséder de mains sous prétexte que celle-ci servent parfois à
commettre des crimes ? Or, cela est plus vrai encore du libre arbitre :
si on peut vivre moralement en étant privé de l’usage de ses bras, on ne
saurait jamais accéder à la dignité de la vie morale sans libre
arbitre :
la volonté libre sans laquelle personne ne peut bien
vivre, tu dois reconnaître et qu’elle est un bien, et qu’elle est un don
de Dieu, et qu’il faut condamner ceux qui mésusent de ce bien plutôt
que de dire de celui qui l’a donné qu’il n’aurait pas dû le donner(ibid., II, 18, 48).
Mais le paradoxe d’Augustin, qui fait aussi sa richesse et qui explique pourquoi il a pu inspirer, au sein du
christianisme, des
théologies tellement divergentes, tient à la diversité de ses adversaires. S’il affirme, dans le traité
De libero arbitrio, l’existence du libre arbitre contre les
manichéens qui attribuaient au divin la responsabilité du mal, il tend, contre les
Pélagiens, à en minimiser le rôle dans l'œuvre du
salut, sous prétexte que l’homme a, par le péché originel, perdu l’usage de cette faculté : «
amissa libertas, nulla libertas » (« liberté perdue, liberté nulle »). Seule la
grâce,
gratuitement octroyée par Dieu, peut accomplir l'œuvre du salut.
Gardons en mémoire cette position paradoxale, qui fait que les
Réformateurs
et les catholiques pourront, sans contradiction, se revendiquer
d’Augustin dans les controverses au sujet du rôle respectif de la grâce
et du libre arbitre dans l'œuvre du salut.
L’élaboration scolastique
La
scolastique a considérablement élaboré ce concept inventé par Augustin, en s’appuyant sur
Aristote.
Les Grecs ignoraient le libre arbitre, n’ayant pas la notion de volonté
mais plutôt celle d’acte volontaire, étudiée au troisième livre de
l’Éthique à Nicomaque.
Dans ce livre, Aristote définit le volontaire par l’union de deux facultés : la spontanéité du
désir
(agir par soi-même), dont le contraire est la contrainte, et
l’intentionnalité de la connaissance (agir en connaissance de cause),
dont le contraire est l’ignorance. Ainsi, j’agis volontairement quand :
- a/ j’agis spontanément (je trouve le principe de mes actes à
l’intérieur de moi-même, contrairement à l’individu qui est emmené pieds
et poings liés par des ravisseurs), et
- b/ j’agis en sachant ce que je fais (contrairement à celui qui
administre à un patient un poison en croyant sincèrement lui administrer
un remède, parce que le pharmacien a interverti les étiquettes).
Le volontaire suppose ainsi l’union de la spontanéité et de l’intentionnalité ; il est la condition de la
responsabilité
morale de l’individu (je ne saurais être tenu pour responsable du fait
d’avoir quitté mon pays quand j’ai été enlevé par des agresseurs
auxquels il m’était matériellement impossible d’échapper, ou quand j’ai
franchi par mégarde une
frontière
qui n’était pas clairement signalée, en ayant eu l’intention de rester
sur le territoire national). Ces analyses aristotéliciennes ont été
fondamentales pour l’élaboration scolastique du concept de libre
arbitre. Les théologiens chrétiens retiendront d’Aristote la notion de
libre comme associant la volonté (spontanéité) et la
raison (intentionnalité), et comme fondant la responsabilité de l’individu devant les lois morales, pénales et divines.
La scolastique définit traditionnellement le
liberum arbitrium comme «
facultas voluntatis et rationis » (faculté de la volonté et la raison : cf.
Thomas d'Aquin,
Somme théologique,
I, q. 82, a.2, obj. 2). Cette expression est exacte si elle désigne la
collaboration de ces deux facultés dans la genèse de l’acte libre, mais
erronée en un sens plus technique. À proprement parler, le libre arbitre
est une puissance de la volonté (
ibid., q. 83, a. 3) ; mieux,
elle est la volonté elle-même en tant que la volonté opère des choix. Le
libre arbitre, en son essence, n’est autre que la volonté dans la libre
disposition d’elle-même ; vouloir, c’est décider librement, et c’est
donc être libre. L’acte libre répond au schéma suivant : la volonté
éprouve le désir d’un bien (appétition), qui constitue la
fin de l’
action ;
elle sollicite la raison à délibérer sur les moyens de parvenir à ce
bien (délibération), mais c’est à elle qu’appartient de choisir le moyen
qui lui semble le plus approprié (
electio en latin, qui signifie
choix) pour parvenir à cette fin, de mouvoir le corps pour mettre en
œuvre ces moyens (l’action à proprement parler), et de jouir du bien
obtenu (
fruition).
C’est donc la volonté qui joue le rôle moteur et elle ne parviendrait à
rien sans le concours de la raison. Dans ce schéma de l’action, le
libre arbitre se manifeste tout particulièrement dans le choix, que
Thomas d’Aquin définissait comme l'«
actus proprius » (l’acte éminent ou l’acte propre) du
liberum arbitrium.
Thomas d’Aquin entend prouver la réalité du libre arbitre par deux moyens.
- Le premier est la preuve morale, corrélat de l’argument moral anti-fataliste (voir l’article fatalisme).
L’homme est tenu pour moralement responsable de ses actes ; or, ceci
serait impossible s’il n’était pas doué de liberté. La doctrine qui nie
le libre arbitre est foncièrement immorale en tant qu’elle détruit le
principe même de la responsabilité.
L’homme possède le libre arbitre ; ou alors les conseils,
les exhorations, les préceptes, les interdictions, les récompenses et
les châtiments seraient vains(Thomas d’Aquin, Somme théologique, I, q. 83, a. 1, rép.).
- Le second argument thomiste en faveur du libre arbitre est l’étude de l’action humaine, qui se distingue des mouvements physiques
(la pierre tombe nécessairement vers le bas) et des actions animales
(les animaux agissent d’après un jugement instinctif, qui n’est pas
libre : l’instinct
de la brebis la pousse nécessairement à suivre le loup). Seul l’homme
agit d’après un jugement libre, qui « n’est pas l’effet d’un instinct
naturel s’appliquant à une action particulière, mais d’un rapprochement
de données opéré par la raison (...) En conséquence, il est nécessaire
que l’homme ait le libre arbitre, par le fait même qu’il est doué de
raison » (ibidem). Choisir, c’est toujours se déterminer, par l’intelligence, entre deux ou plusieurs possibles : c’est donc être libre.
Critiques
Le concept de libre arbitre a fait l’objet de deux critiques, l’une
théologique (attribuer à l’homme un libre arbitre, n’est-ce pas nier le
rôle de la grâce divine dans l'œuvre du salut ?), et l’autre
philosophique (le libre arbitre ne revient-il pas à nier l’influence des
motifs qui déterminent nos choix et nos actions ?). La première
critique est motivée par le prédestinationisme : elle aboutit aux
querelles autour de la prédestination caractéristiques de la Réforme. La
seconde est motivée par le nécessitarisme, le fatalisme et le
déterminisme.
Critique théologique : la controverse de la prédestination
Plus largement, la question du libre arbitre tente de situer le rôle de la volonté humaine dans la conduite d’une
vie bonne (susceptible de mener au salut) face à un
Dieu
conçu comme tout puissant. De cette façon, la question du libre arbitre
traverse les 3 monothéismes et les réponses que chacun d’entre eux
donne méritent l’examen.
Avec l’
humanisme,
Érasme et
Luther partage le goût de la lecture et du commentaire de la Bible avec le rejet de la
glose scolastique.
Luther est un jusqu’au-boutiste tandis qu’Erasme est un modérateur.
Luther espère avoir le soutien d’Érasme dont l’autorité morale est alors
considérable dans sa querelle contre l’autorité ecclésiastique. Mais
les deux hommes vont s’opposer sur le concept de libre arbitre. En bon
augustinien, Erasme soutient le libre arbitre, c’est-à-dire la
responsabilité de l’homme devant
Dieu
concernant ses actes. Au contraire, se fondant notamment sur le péché
originel, le moine augustinien Luther défend la prédestination,
c’est-à-dire
le serf arbitre et la
justification par la foi, chère à
Paul de Tarse.
Alors, Erasme et Luther perdent toute modération. Tandis que le frère
Martin, en 1519 se disait « admirateur convaincu » d’Erasme, il en
viendra à qualifier celui-ci de « venimeux polémiste », de « pourceau d’
Épicure* », d’écrivain « ridicule, étourdi, sacrilège, bavard, sophiste, ignorant ».
(*) Épicure philosophe hédoniste est représenté suivi d’un porc par ses adeptes. Cet animal, sous l’influence biblique sera pris en mauvaise part.
Critique philosophique : le problème de la liberté d’indifférence
La critique philosophique du libre arbitre tient au rôle des motifs
(raisons de choisir) dans la détermination du choix et, par conséquent,
de l’action. Suis-je vraiment libre de choisir entre deux objets, l’un
qui représente un grand bien, et l’autre, un moindre bien ? De deux
choses l’une.
- Soit je choisis le plus grand bien : peut-on alors dire que mon
acte est libre ? N’est-il pas plutôt déterminé par les motifs, ou plus
exactement, par la prévalence d’un motif sur l’autre ?
- Soit je choisis le moindre bien, mais comment un acte aussi
absurde pourrait-il être libre ? Et si je le choisis afin de prouver que
je suis libre, cela revient au premier cas de figure : la volonté
d’établir la réalité de ma liberté s’est avérée un motif plus
déterminant que l’objet préférable. Dans l’un et l’autre cas, je ne
serais pas libre.
Pour remédier à ce problème, la doctrine scolastique a inventé le concept de liberté d’indifférence.
Soit un individu appelé à choisir entre deux biens identiques, et donc
indifférents. Il y a ici une équivalence des motifs : rien ne le
détermine à préférer l’un à l’autre. Or, la volonté éprouve qu’elle est
douée de spontanéité : même en ce cas, elle peut se déterminer à
choisir. L’acte ne trouve pas alors son explication dans les motifs, ni
par conséquent dans les objets, mais dans le sujet lui-même en tant
qu’il est doué d’une capacité à agir arbitrairement. Le concept de
liberté d’indifférence établirait, avec la spontanéité de la volonté, la
réalité du libre arbitre. Par extension, la liberté d’indifférence
s’applique aux cas où il n’y pas d’équivalence des motifs : je puis fort
bien préférer un moindre bien à un plus grand bien, prouvant ainsi que
je suis le seul sujet ou la seule cause de mes actes.
La liberté d’indifférence fut très critiquée par la plupart des
philosophes et par de nombreux théologiens (Thomas d’Aquin n’y souscrivait pas).
Leibniz opposait à ce concept les objections suivantes.
- Choisir arbitrairement ne témoigne pas de notre liberté : c’est
bien plutôt un acte irrationnel, fruit du hasard ou du caprice. La
liberté, n’est-ce pas plutôt la capacité à opérer les meilleurs choix
possibles ?
- La liberté d’indifférence est fictive. En vertu du « principe
des indiscernables », deux objets ne peuvent être absolument
identiques : ils doivent nécessairement se distinguer par quelque
différence. Qui sait si celle-ci ne nous influence pas à notre insu ?
- La liberté d’indifférence n’est-elle pas illusoire ? En vertu
du principe des petites perceptions, il arrive que nous soyons
déterminés à choisir ou à agir par un motif inconscient, perçu par notre
âme mais non aperçu par la conscience. Leibniz anticipe ici le concept d’inconscient, ainsi que celui des phéromones
et des images subliminales. Qui sait si un choix, en apparence
arbitraire, n’obéit pas à une motivation inconsciente, comme le montrera
André Gide dans Les caves du Vatican ?
- De plus, Leibniz est intellectualiste plutôt que volontariste.
Il critique le schéma naïf du libre arbitre de la philosophie
scolastique, qui revient à représenter la volonté comme un reine
toute-puissante, partagée entre son conseiller (la raison) et ses
courtisans (les passions). Dans la réalité, la volonté n’est pas une
faculté subsistant par elle-même : elle n’est autre que l’effort de
l’intelligence en tant qu’elle se détermine à agir d’après ses
jugements.
Si Leibniz ne reconnaît pas le concept de liberté d’indifférence, il
ne donne pas pour autant dans un déterminisme niant tout libre arbitre.
Être libre, c’est se déterminer à choisir par la meilleure raison
possible. Se déterminer n’est pas être déterminé : c’est trouver le
principe de ses actes à l’intérieur de soi-même.
Philosophie rationaliste
Si le thomisme attribue le libre arbitre à Adam, dans le jardin
d’Eden, principalement pour lui imputer l’origine du mal par la
responsabilité du
péché originel, la philosophie juive voit les choses d’un œil différent, selon qu’elle situe sa réflexion avant la révolution
cartésienne ou après.
Deux philosophes
rationalistes,
Maïmonide et
Spinoza s’accordent sur l’idée suivante :
- la connaissance du bien et du mal est différente de la science du vrai et du faux,
- cette non coïncidence est un pis-aller car, dans le jardin
d’Eden d’avant la chute, la connaissance rationnelle du vrai et du faux
rendait inutile, et même inexistante, celle du bien et du mal.
Pour Maïmonide
Par la raison, l’homme distingue le vrai du faux et ceci a lieu dans toutes choses intelligibles (Guide des Égarés, 1re partie, chap. 2)
Le bon et le mauvais, le beau et le laid ne ressortent pas de l’intelligible, du rationnel, mais de l’opinion, du probable.
Tant qu’Adam possédait parfaitement et complètement la connaissance de toutes choses connues et intelligibles,
il n’y avait en lui aucune faculté qui s’appliquât aux opinions probables et même il ne les comprenait pas (ibidem). Le bien et le mal n’existaient même pas ; seules existaient les choses intelligibles et
nécessaires. La perte de cette connaissance parfaite de toutes choses intelligibles dont lui faisait bénéfice sa fusion avec
Dieu fait accéder Adam à un état nouveau, un monde différent :
- les choses lui sont connues autrement que par la raison,
- la façon dont il les connaît relève de l’opinion contingente qu’il s’en fait : elles sont belles ou laides, bonnes ou mauvaises.
Pour Spinoza
La filiation de Maïmonide à Spinoza est évidente dans ce qui suit :
Si les hommes naissaient libres, et tant qu’ils seraient libres, ils ne formeraient aucun concept du bien et du mal […] [car] Celui-là est libre qui est conduit par la seule raison et qu'il n'a, par conséquent que des idées adéquates (Éthique IV, proposition 68)
L'homme libre n'a donc aucun concept du bien et du mal lequel est
le résultat d'idées inadéquates et confuses, non plus que d'un bien qui
lui serait corrélé. Spinoza définit le bien au début de la partie IV de
l'Éthique :
Ce que nous savons avec certitude nous être utile (Éthique IV, définition 1)
Rapprochant cette définition de sa Préface et des propositions 26 et 27, son éthique nous renvoie à une
éthique des vertus plutôt qu'à un
utilitarisme.
Toutefois, observant que les hommes ne sont que des parties de la
nature, il en déduit que cette hypothèse d’une liberté de l’homme dès
la naissance est fausse. Les parties de la nature sont soumises à toutes
les
déterminations
de celle-ci, et elles sont extérieures à l’homme. Il considère donc que
le sentiment de liberté de l’homme résulte du fait qu’il n’a
connaissance que des causes immédiates des événements rencontrés. Il
parle alors de
libre nécessité.
Spinoza commente alors ainsi l’épisode du jardin d’Eden.
C’est cette détermination que semblent signifier les paroles de Moïse
dans la fameuse histoire du premier homme […] cette liberté originaire
impossible quand Moïse raconte que Dieu interdit à l’homme libre de
manger le fruit de la connaissance du bien et du mal et que, dès qu’il
en mangerait, il craindrait la
mort plus qu’il ne désirerait la vie
(Éthique
IV, proposition 68, scolie)
À partir de la philosophie des sciences
Aujourd’hui, la
physique moderne élimine la connaissance des causes sans faire de l’indétermination quantique la
preuve d’un
hasard essentiel. La connaissance des causes, même limitée aux causes efficientes disparaît des explications au profit de lois mathématiques
prédictives parce que
probabilistes et calculables..
- « La croyance en la relation de cause à effets, c’est la superstition », Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 5.1361, Gallimard
Encore que, jusqu’ici, cette affirmation n’est généralisable qu’aux sciences dures où le
fortuit
désigne ce qui intervient non seulement sans cause finale ou efficiente
mais surtout sans loi probabiliste calculable. L’indéterminisme
quantique représente la prise en compte des limites de la
connaissance : celle d’une limite infranchissable en pratique comme en théorie en ce qui concerne la réalité
en soi. Contrairement à la
réalité en soi de
Kant, cette indétermination ne dégage pas l’espace
non-phénoménal
d’une liberté : les lois probabilistes s’appliquent au niveau des
phénomènes observables. En ce qui concerne le non observable, c’est l’
équation de
Schrödinger qui en rend compte.
On pense généralement que la croyance dans le libre arbitre fonde à elle seule une
éthique de la responsabilité. La
psychanalyse nous a montré que la plupart de nos actes dépendaient plus de notre
inconscient
que de notre volonté consciente. Ce savoir aboutit au paradoxe que les
criminels sexuels sont à la fois des criminels susceptibles de rendre
des comptes à la
justice du fait de leur responsabilité et des malades, commandés par leur inconscient et leurs
hormones qui doivent être soignés. La
jurisprudence fait entrer ce paradoxe dans son arsenal avec
l’injonction thérapeutique où le suivi médical devient une
peine.
Dans cette limitation, on rencontre l’intuition de
Nietzsche quand décrivant
l’éternel retour, il a l’intuition d’une volonté créatrice déterminée par le passé qu’elle tente de justifier :
- « Je leur ai enseigné toutes mes pensées et toutes mes
aspirations : à réunir et à joindre tout ce qui chez l’homme n’est que
fragment et énigme et lugubre hasard,
en poète, en devineur d’énigme et rédempteur du hasard. Je leur ai
appris à être créateur de l’avenir et à sauver, en créant, tout ce qui
fut. Sauver le passé dans l’homme et transformer tout ce qui était
jusqu’à ce que la volonté dise : "Mais c’est ainsi que je voudrais que
ce fut. Mais c’est ainsi que je le voudrais" », Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, III, 3 - Des vieilles et des nouvelles tables
Libre arbitre et hypothèse d’Everett
Dans le cas où l’hypothèse d’
Everett serait fondée — hypothèse selon laquelle existeraient des
univers parallèles, ce qui n’est pas établi —, tous les futurs possibles (ou plus exactement un nombre de futurs possibles ayant la
constante de Planck
en dénominateur !) à chaque moment de l’univers en chaque lieu se
produiraient effectivement : il n’y a pas de hasard quantique; si une
particule semble devoir choisir au hasard entre deux directions, en
réalité il existerait un univers dans lequel la particule prend à gauche
et un autre dans laquelle elle prend à droite.
Le rapport avec le libre arbitre de la personne humaine est plus
que ténu. Sans qu’il soit possible de se prononcer sur la validité de
l’hypothèse d’Everett, on peut examiner à titre d’
expérience de pensée
en quels termes elle influerait la question du libre arbitre si elle
était exacte : dans la mesure ou tous les futurs possibles (possibles
selon les lois de la physique quantique, ce qui ne signifie donc pas
tous les futurs
imaginables) se produisent et où chaque
observateur situé dans l’un de ces univers improprement nommés
parallèles a l’impression d’être le seul, le libre arbitre devient en
fait un
non-problème. Voir
David Deutsch.