L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre.
Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Sommaire:
A) L’écosocialisme, le socialisme du 21ème siècle - Par Martine Billard - http://ecosocialisme.com
B) Premier manifeste : 18 thèses pour l’écosocialisme - par Clément Sénéchal - ecosocialisme.com
C) Entretien de Corinne Morel Darleux sur l’écosocialisme avec l’Association Culturelle Joseph Jacquemotte - par mathieu agostini
D) Écofascisme de Wikiberal
E) Rio+20 : L’écologie à laquelle nous avons échappé - Par Pierre Clermont - Contrepoints
A) L’écosocialisme, le socialisme du 21ème siècle
L’écosocialisme, est-ce verdir le socialisme ou repeindre en vert le capitalisme ? (Tribune parue dans le journal l’Humanité en réponse à une tribune de Yannick Jadot donnant son point de vue sur le sujet).
Faire reculer l’emprise du capitalisme
Le texte de Yannick Jadot, dans le débat sur l’écosocialisme ouvert par l’Humanité témoigne de la volonté d’engager, bien au-delà d’EELV, un débat de fond entre les forces qui se réclament de l’écologie, dont le Parti de gauche, sur les moyens et les médiations politiques susceptibles d’engager une transition écologique rendue plus que jamais incontournable. Le député européen exprime, comme une grande partie de la gauche, son scepticisme sur le « marché libre et non faussé au mépris des citoyens ». On ne peut s’empêcher d’y voir une critique en creux de la politique européenne actuelle largement soutenue par le gouvernement français. Mais, en même temps, cette tribune, bien que dressant un constat avec lequel nous avons beaucoup de points en commun, demeure floue.
Ainsi, se contenter de refuser de « verdir le socialisme ou de repeindre en vert le capitalisme » nous semble vraiment trop court. Plus explicitement, Pascal Durand, secrétaire national d’EELV, expliquait que son projet n’était pas écosocialiste mais « éco-écologiste » (interview dans Politis) renvoyant, à l’instar de l’idéologie libérale, le socialisme au musée des archaïsmes. Il y a là un désaccord de fond. Si l’écologie analyse avec pertinence les rapports entre l’homme et son environnement, elle ne dit rien en revanche des rapports entre les êtres humains. Les rapports sociaux, et encore plus la question de la propriété des moyens de production, ont toujours été un des points aveugles de la doctrine verte. D’où l’incompréhension de l’importance du dépassement du capitalisme. Il ne s’agit pas d’ajouter une touche de modernisme à un ensemble vermoulu mais de procéder à une nouvelle synthèse, l’écosocialisme, pour faire face aux exigences du XXIe siècle. Nous n’avons jamais proposé d’attendre la sortie du capitalisme pour engager la transition écologique. Mais pour répondre réellement au défi écologique, il faut faire reculer la logique marchande et donc l’emprise du capitalisme sur la société.
L’autre divergence porte sur le cadre spatial et les moyens de changement de modèle. Yannick Jadot exprime sans fard son aversion tant pour l’État central qualifié d’« autorité jalouse » qu’en direction de la nation assimilée aux « chimères d’une nouvelle ligne Maginot ». Si la lutte contre le réchauffement climatique doit être mondiale, car les gaz à effet de serre ne respectent pas les frontières, les pays riches ont toutefois une responsabilité particulière liée à leur mode de vie et aux gaspillages du passé. De la même manière qu’il ne s’agit pas d’attendre la société socialiste pour se préoccuper d’écologie, on ne peut pas non plus espérer que tous les pays se mettent d’accord pour engager le chemin vers la transition écologique. Si nous appelons à un nouvel internationalisme, c’est-à-dire une coopération entre les peuples à mille lieues de la lutte de tous contre tous que supposent la « compétitivité » et le libre-échange, l’État nation reste, pour de nombreuses années encore, le meilleur outil pour organiser la régulation et les politiques écologiques. Sinon, nous nous condamnons à l’impuissance. Ce n’est pas un hasard si l’État constitue la cible principale des politiques libérales du FMI et de l’Union européenne. Au surplus, il est impératif de penser l’avenir en termes de relocalisation industrielle, d’autosuffisance alimentaire et de circuits courts, ce qui exclut la fuite en avant dans la mondialisation au profit des multinationales.
L’État n’est pas diabolique par essence mais exprime les rapports de forces entre les classes à un moment donné, il n’a pas d’autonomie en soi. Il n’est pas voué à construire des centrales nucléaires et à promouvoir l’agriculture intensive. La planification écologique, c’est l’État au service de la transition. Yannick Jadot mélange donc dans sa critique orientations politiques de la social-démocratie, qui n’a toujours pas compris la nature des enjeux écologiques, et projet de société nécessaire au dépassement du capitalisme. La conversion écologique ne peut effectivement se réduire à verdir des politiques sociales-démocrates qui ne sont que des politiques productivistes. Cela n’a rien à voir avec l’écosocialisme.
Martine Billard
B) Premier manifeste : 18 thèses pour l’écosocialisme
L’écosocialisme est le mélange détonant entre un socialisme
débarrassé de la logique productiviste et une écologie farouchement
anticapitaliste. Loin d’un modèle abstrait, il propose une alternative
concrète pour affronter la crise écologique qui menace l’humanité. En
défendant l’intérêt général humain, il renouvelle la pensée républicaine
en proposant aux peuples souverains de remettre le système productif et
l’économie au service du progrès humain et des besoins réels.
Ce premier manifeste en 18 thèses est à la fois le premier
résultat et le début d’une démarche ouverte lancée par les Assises pour
l’écosocialisme initiées par le Parti de Gauche le 1er décembre 2012 à
Paris, avec de nombreuses personnalités, associations, syndicats et
revues. Construire le projet écosocialiste est un investissement
politique essentiel pour l’avenir de l’autre gauche, en France et à
l’étranger.
QU’EST-CE QUE L’ECOSOCIALISME ?
1) Une alternative concrète et radicale.
L’écosocialisme n’est pas une utopie à laquelle le réel devrait se
conformer. C’est la réponse humaine raisonnée à la double impasse dans
laquelle est enfermée dorénavant l’humanité en raison des modes de
production et de consommation de notre temps qui épuisent l’être humain
et l’environnement. Elle appelle une pensée et une action politique
radicale, au sens où elle doit aller à la racine des causes. Nous
combattons donc les deux moteurs du système actuel : le capitalisme et
le productivisme. Le capitalisme impose la marchandisation pour faire de
toute chose une nouvelle source de dividendes. Il est ainsi responsable
du creusement des inégalités sociales et de la mondialisation à
l’œuvre, libérale et liberticide, où règne le dumping social et
environnemental avec la délocalisation des pollutions et des altérations
de l’écosystème. Le productivisme épuise les ressources naturelles et
perturbe le climat. L’idéologie consumériste est son corollaire. Elle
élève l’accumulation matérielle au rang de loi, à grands coups de
publicité pour générer des besoins jamais rassasiés. Nous désignons les
vrais coupables de ce système : l’oligarchie financière mondialisée, les
gouvernements soumis aux lobbies des multinationales sans contrôle
démocratique, les idéologues de la concurrence « libre et non faussée »,
du capitalisme vert et du libre échange. Face à eux, l’écosocialisme
est une alternative pour sortir de la crise et imposer l’intérêt général
humain : partager les richesses sans attendre, fonder une nouvelle
économie des besoins et de la sobriété, préserver le climat,
l’écosystème et sa biodiversité.
2) Un paradigme de l’intérêt général.
Dans la réalité, avant toute idée humaine sur le sujet, l’être humain
est partie intégrante de l’écosystème dans lequel il vit. Ils ne peuvent
être dissociés. Il n’y a qu’un seul écosystème global compatible avec
la vie humaine. Dès lors, nous sommes tous semblables dans notre
dépendance à l’écosystème. Cette vérité s’impose à tous, en dépit de nos
différences de tous ordres. Il y a donc un intérêt général humain qui
est lié à celui des autres espèces vivantes : préserver l’écosystème qui
rend la vie humaine possible. Comment l’identifier sinon par la libre
délibération collective ? Comment celle-ci pourrait-elle être libre si
les uns dominent les autres, si des vérités révélées s’imposent en
préalable ? Le paradigme écologiste appelle donc la démocratie,
l’égalité sociale, la laïcité et le féminisme. Ce sont des conditions
indispensables pour que le débat citoyen puisse avoir lieu sans
intrusion de force oligarchique, dogmatique ou patriarcale. Enfin, dans
la délibération pour déterminer l’intérêt général humain, chacun d’entre
nous est appelé à dire non pas ce qui est bon pour lui mais ce qui est
bon pour tous. Cela institue l’universalité des droits humains, la
citoyenneté comme devoir et la République comme nécessité. Tel est le
lien raisonné qui unit l’écologie politique et la République sociale
universelle. C’est cette théorie politique globale que nous nommons
écosocialisme. Il s’agit d’un humanisme et d’un universalisme socialiste
et concret.
3) Une nouvelle synthèse politique à gauche.
L’écosocialisme est un nouveau projet politique réalisant la synthèse
d’une écologie nécessairement anticapitaliste et d’un socialisme
débarrassé des logiques du productivisme. Il permet ainsi la jonction
des grands courants de la gauche dans un nouveau paradigme politique.
Nous avons besoin de ce projet de société alternatif au capitalisme. Il
trace une ligne d’horizon dans la lutte pour une société d’émancipation
et de progrès où le saccage de l’environnement et l’exploitation de
l’homme par l’homme auront disparu. Notre projet écosocialiste prend en
compte les besoins humains et les limites de la planète. Il repense
l’utilité sociale de la production, nos manières de consommer, nos
besoins réels, la finalité de nos produits et la manière de les
produire.
4) Le renouveau du socialisme.
Le socialisme a toujours visé l’émancipation de la personne humaine.
Elle passe par le partage de la richesse, la démocratisation du pouvoir
et l’éducation globale de chaque femme et chaque homme. Ce programme
est toujours le nôtre. Mais nous savons dorénavant que l’émancipation ne
peut être atteinte par la croissance sans fin : l’écosystème qui rend
la vie humaine possible ne le permet pas. Ce constat oblige à définir un
nouveau modèle de progrès en rupture avec le système capitaliste.
Doivent être repensés non seulement le système de production et
d’échange, mais aussi le contenu des productions et les modes de
consommation. Cette approche implique par conséquent l’ensemble de
l’organisation sociale et politique. Elle nous oblige à penser de façon
nouvelle ce qu’est véritablement le progrès humain dans la perspective
de la préservation de l’écosystème. Dans ces conditions, nous proposons
un nouvel énoncé de la stratégie émancipatrice pour le futur de
l’humanité. Cette nouvelle conscience et son programme d’action sont
l’écosocialisme. Ses méthodes sont la radicalité concrète, la
planification écologique et la révolution citoyenne.
SORTIR DES IMPASSES IDÉOLOGIQUES
5) Le mensonge du capitalisme vert, les risques de l’environnementalisme.
Notre écologie est sociale, elle prolonge les combats historiques de la
gauche. Nous rejetons la mystification représentée par une certaine
vision de l’écologie qui se veut compatible avec le libéralisme. Nous
dénonçons le « capitalisme vert », qui sous couvert de développement
durable offre un nouvel espace à la mainmise de la recherche du profit
maximal, alimente la dynamique impérialiste et le court-termisme. Nous
refusons le discours écologiste qui se contente de culpabiliser les
individus. Il s’abstient ainsi de souligner la responsabilité majeure du
productivisme sans frein. Il renonce à s’attaquer aux modes de
production et de consommation capitalistes et refuse de voir qu’ils
exploitent les plus précaires et pillent les pays du Sud. Nous refusons
ce que serait une écologie de salon coupée des classes populaires, sans
critique sérieuse de l’économie mondialisée, dépourvue de vision sociale
et dès lors d’efficacité environnementale. Notre écologie à nous aborde
les questions d’environnement en faisant systématiquement le lien avec
la critique du système économique et avec les luttes sociales, en y
impliquant l’ensemble des citoyens.
6) L’impasse sociale-démocrate.
Nous réfutons la doctrine sociale-démocrate qui voudrait que toute
redistribution des richesses passe d’abord par la relance de la
croissance du PIB et la hausse de la consommation matérielle globale.
C’est un double contre-sens. D’une part, elle maintient la puissance du
capital financier et suppose que la répartition de la richesse
s’organise à partir « des fruits de la croissance ». Elle ne s’attaque
pas à l’accumulation déjà acquise. Or nous savons que les richesses
existent, et qu’il n’y a pas lieu d’attendre pour les redistribuer. Ce
qui est en cause c’est l’accaparement de ces richesses via la prédation
du capital. D’autre part, cette doctrine repose sur un modèle
d’expansion infinie qui est un suicide de la civilisation humaine. Le
PIB est un indicateur qui ne reflète pas le bien vivre dans une société.
Il est bien sûr impératif que chaque être humain puisse accéder aux
biens fondamentaux. Bien sûr, la relance des activités d’intérêt général
est indispensable. Pour autant, la relance d’une croissance économique
aveugle n’est pas de nature à répondre aux urgences sociales. Elle est
encore moins souhaitable ni tenable du point de vue de la préservation
de l’écosystème, des ressources naturelles et du climat. Nous
n’attendons donc ni la reprise de la croissance ni les effets bénéfiques
de l’austérité : nous ne croyons ni à l’une ni aux autres.
INSTAURER UNE NOUVELLE ÉCONOMIE POLITIQUE AU SERVICE DU PROGRÈS HUMAIN
7) Mettre l’économie au service des besoins.
L’écosocialisme veut mettre l’économie et le système productif au
service des besoins humains. En cela, il s’oppose à la « politique de
l’offre » défendue par les libéraux. Nous refusons cette logique
productiviste qui consiste à produire tout et n’importe quoi dans
n’importe quelles conditions pour l’écouler sur un marché par des
dépenses publicitaires. Comment ne pas voir aussi que dans cet objectif,
pour augmenter ses profits, le système nous vend des produits
programmés pour tomber en panne et devenir démodés de plus en plus
vite ? Comment supporter plus longtemps le gâchis des déchets croissants
de notre civilisation ? Comment fermer les yeux sur le fait que
beaucoup sont exportés vers les pays du Sud au détriment de la santé des
populations et de leur environnement ? Nos décisions collectives
doivent au contraire être guidées par la satisfaction des besoins réels.
C’est le sens de la planification écologique. Elle inverse cette
logique en partant des besoins, du devoir de préserver l’écosystème et
du droit de tous à vivre dans un environnement sain. Elle met le système
productif en adéquation avec ces impératifs.
8) Rompre avec les schémas de pensée traditionnels.
L’écosocialisme remet en cause la dictature des intérêts particuliers
et de la propriété privée des moyens de production. Il questionne le
rapport au travail. Nous prônons l’appropriation sociale des moyens de
production et les propositions alternatives de l’économie sociale et
solidaire en termes d’autogestion et de coopératives. Nous défendons la
souveraineté budgétaire et la nationalisation comme outil de politique
publique, notamment en matière de services bancaires et de crédit.
Indice de progrès humain, démondialisation et protectionnisme social et
écologique, dotation inconditionnelle d’autonomie et salaire socialisé,
revenu maximum autorisé sont autant de perspectives que nous avons à
l’esprit pour sortir des sentiers battus et éviter le piège d’un
accompagnement du système. Il nous faut également aller plus loin en
matière de réduction drastique du temps de travail : « travailler moins
pour travailler tous et mieux », fixer le plein emploi comme horizon
tout en interrogeant les finalités du travail. Rien ne sert de
travailler davantage que le temps utile à produire ce qui nous est
nécessaire. Le temps ainsi libéré pourrait utilement être affecté à des
activités considérées aujourd’hui comme « improductives » et pourtant
combien essentielles au bien vivre.
9) Produire autrement.
La révision en profondeur de notre système de production repose sur ce
que nous appelons les « 4 R » : relocalisation de l’activité,
réindustrialisation écologique, reconversion de l’outil industriel et
redistribution du travail. De nombreux besoins non satisfaits existent :
dans une industrie relocalisée, dans les services aux personnes, dans
l’agro-écologie et l’agriculture paysanne au service de la souveraineté
alimentaire et de la santé de tous, dans la recherche et les filières
« vertes » visant à réduire notre dépendance aux ressources épuisables
(écoconstruction, efficacité énergétique, rénovation thermique, énergies
renouvelables…). Avec l’augmentation du chômage et la crise sociale,
l’argument de l’emploi est trop souvent mis en avant contre l’impératif
de la protection de l’environnement. C’est une absurdité : on voit
aujourd’hui le coût économique et social du laisser-faire libéral, là où
la relocalisation et la transition écologique permettraient au
contraire de conserver, transformer ou créer de nombreux emplois, locaux
et pérennes, dans tous les pays.
10) Instaurer la règle verte comme boussole politique.
La « règle verte » est notre indicateur central de pilotage de
l’économie. Elle remplace « la règle d’or » des politiques d’austérité
et « d’ajustement structurel » imposés par la Banque mondiale, le Fonds
monétaire international, la Commission européenne et la Banque centrale
européenne. Elle vise à assurer notre responsabilité devant l’humanité
et son écosystème en supprimant la dette écologique. Elle associe la
nécessaire réduction de certaines consommations matérielles et la
nécessaire relance de certaines activités avec la prise en compte
systématique de l’empreinte écologique générée. En plus des dégâts déjà
commis à rattraper en matière d’émissions de gaz à effet de serre et de
perte de biodiversité, nous adoptons comme moyen d’évaluation des
politiques publiques, de retarder chaque année le « jour du dépassement
global». Il s’agit de la date où nous avons prélevé à l’échelle mondiale
le volume de ressources renouvelables égal à ce que la planète est en
mesure de régénérer et où nous avons produit les déchets qu’elle est
capable de digérer. Notre objectif est de la repousser au 31 décembre,
c’est-à-dire de neutraliser notre empreinte écologique. Cela implique la
réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre et l’arrêt du
nucléaire qui produit des déchets radioactifs que nul ne sait gérer et
qui comporte des risques inacceptables pour les êtres humains comme pour
l’écosystème.
CONSTRUIRE LA RÉVOLUTION ECOSOCIALISTE
11) Les luttes doivent converger.
Notre objectif de rupture civilisationnelle impose que l’action
politique soit le fait du plus grand nombre. Il s’agit de rassembler et
d’agir, non de se contenter d’avoir raison entre convaincus, ou pire, de
dresser les uns contre les autres : nous nous situons aux côtés des
salariés et des exclus du système qui résistent et sont porteurs de
projets alternatifs sociaux et environnementaux. La reconversion
écologique ne se fera pas sans eux, encore moins contre eux. Nos
adversaires dans cette bifurcation radicale de société ne sont pas les
chercheurs ou les salariés de l’industrie, mais bien les banques, les
multinationales et les actionnaires qui orientent la production en
fonction de leurs intérêts privés et non de l’intérêt général.
12) Lutter et résister pour inventer.
La révolution écosocialiste combine propositions programmatiques et
présence dans les luttes sociales et environnementales, aux côtés de
toutes celles et ceux qui résistent. Les citoyens engagés dans ce projet
s’impliquent dans le développement d’expérimentations et alternatives
concrètes : circuits courts, associations pour le maintien de
l’agriculture paysanne, soutien aux ceintures vivrières et actions
contre l’artificialisation des sols, collectifs de villes en transition,
reprise d’entreprises par les salariés, systèmes d’échanges locaux,
épargne citoyenne et monnaies complémentaires, habitat collectif et
co-voiturage… Ils sont actifs dans des actions de désobéissance civique
non violente, opérations anti-publicité ou réquisitions de logements
vides. Les élus du peuple pour le projet écosocialiste s’engagent dans
une démarche cohérente entre leurs discours et leurs actes. Ils font
vivre la gauche par l’exemple en prenant des mesures d’interdiction de
la publicité, de retour en régie publique de l’eau, de renchérissement
du mésusage ou encore d’extension de la gratuité des services publics.
13) Mettre en œuvre la planification écologique.
La planification écologique impose la prise en compte du temps long et
la maîtrise publique, le tout placé sous contrôle des citoyens,
travailleurs et usagers. Le problème n’est pas l’industrie, la
recherche ou la technique en soi, mais bien l’absence de choix et de
contrôle citoyen. Une révolution citoyenne est nécessaire pour conquérir
cette capacité de contrôle. Tel est le mélange détonant d’utopisme
révolutionnaire et de technicité auquel nous aspirons. Le Plan
écologique donne la possibilité d’organiser la bifurcation vers un autre
mode de développement, en interrogeant nos besoins et en réorientant
production, échange et consommation en vertu de leur utilité sociale et
écologique. Le secteur de la recherche doit se réorganiser autour de
l’intérêt général et des besoins réels, et inventer de nouvelles formes
participatives par le biais par exemple de conventions de citoyens.
L’école publique, à travers les voies professionnelles, technologiques
et générales, doit organiser l’élévation des connaissances et des
qualifications à tout âge afin de réussir cette bifurcation et faire
émerger de nouvelles filières. Des « conférences de participation
populaire » doivent être organisées pour redéfinir les critères
d’utilité sociale et environnementale et l’articulation entre les
différents échelons, des politiques européennes aux actions locales. La
planification écologique organise l’intervention continue des salariés
dans la gestion des entreprises, dans le prolongement de la convergence
croissante des luttes sociales et environnementales.
14) Pas d’égalité et de République sociale possibles sans Constituante !
Nous affirmons l’exigence d’un haut niveau de culture commune par
l’école publique incluant l’éducation à l’environnement. Sinon comment
rendre possible l’émancipation individuelle et collective, seule à même
de permettre le consentement à un contrat social partagé par tous ? Le
projet écosocialiste réaffirme le rôle de l’État, de la collectivité et
des services publics, indispensables pour planifier la rupture,
construire une société émancipatrice et garantir l’égalité d’accès aux
droits fondamentaux pour tous, partout. Ils doivent être refondés par le
moyen d’une assemblée constituante. Celle-ci doit renouveler de fond en
comble les formes institutionnelles et mettre en place les moyens
démocratiques qui rendront possibles l’implication citoyenne permanente
et la souveraineté populaire en tous domaines. Car la tâche
révolutionnaire est immense. Nous appuyons en effet la mise en place
d’un « ménagement » du territoire à rebours de l’étalement urbain, de la
concentration des populations dans des mégalopoles et de la mise en
concurrence des territoires. Nous militons pour un nouvel urbanisme qui
rapproche les fonctions indispensables au « bien vivre » (services
publics de santé et d’éducation, logement, activité professionnelle,
culture et loisirs, biodiversité, agriculture paysanne). Nous refusons
la marchandisation du vivant et les OGM, ainsi que la financiarisation
des biens communs comme l’eau, l’énergie et le savoir, et la
privatisation des services publics. Ceux-ci doivent faire l’objet d’une
gestion publique en repensant l’articulation entre l’État, garant de
l’égalité républicaine, les collectivités locales et l’action des
citoyens, syndicats, associations et usagers.
15) Mener la bataille culturelle.
Le projet écosocialiste mène son combat idéologique par l’éducation
populaire. Il veut décoloniser l’imaginaire. Il dénonce la programmation
d’un individu-consommateur docile, soumis aux avis de prétendus experts
et aux impératifs du productivisme qui nous fait désirer des
productions nuisibles et inutiles, fabriquées à l’autre bout de la
planète dans des conditions de travail indignes et sous des législations
environnementales défaillantes voire inexistantes. Il combat les bras
armés du productivisme que sont la publicité, avec son cortège de
marchandisation des corps et de sexisme, la mode et les médias, relayés
par les organismes de crédit, qui nous conditionnent et nous soumettent à
une injonction d’achat et de gaspillage permanents. Cette bataille
idéologique est aussi une bataille de vocabulaire. Nous refusons la
politique de l’oxymore et la novlangue libérale : le « prix du travail »
qui devient un « coût », les cotisations sociales des « charges », les
« gardiens de la paix » renommés « forces de l’ordre », la
vidéosurveillance « vidéoprotection », ou encore le nucléaire déguisé en
énergie « propre et décarbonée ».
16) Faire sauter le verrou des traités libéraux.
A l’échelle mondiale, nous dénonçons les accords promus par
l’Organisation mondiale du commerce, accords de libre échange et accords
de partenariat économique qui contribuent à l’épuisement des ressources
naturelles, à l’exploitation des peuples du Sud et au dumping social
dans les pays dits développés. Parce qu’elle est la première zone
économique du monde, l’évolution de l’Union européenne implique toute la
planète. Sa politique libérale est verrouillée par les traités actuels
et les plans d’austérité. Établis sous la houlette de lobbies
économiques et financiers, ils ont tous en commun de prévoir la
disparition des services publics, l’extension du domaine marchand et du
libre-échange. Cela provoque à la fois gâchis dû aux compétitions
mercantiles, et destruction des services publics et biens communs au
profit des intérêts privés. L’Europe libérale et austéritaire empêche
aussi de maîtriser et d’orienter le contenu de la production et de
l’échange vers des objectifs de progrès humain. Dans ces conditions,
nous assumons qu’une politique écosocialiste en Europe passe par la
désobéissance à l’Europe libérale et à ses directives. Il faut pour cela
construire d’autres rapports de force entre les citoyens, le pouvoir de
la finance et celui des institutions anti-démocratiques de l’Union
européenne. Si l’échelon européen peut être pertinent pour de grandes
politiques environnementales et sociales, leur mise en œuvre ne sera
possible que par la construction d’une autre Europe, sous le contrôle
démocratique des peuples.
17) Porter un combat internationaliste et universaliste.
Il n’y a qu’un seul écosystème compatible avec la vie humaine. Il faut
en tirer les conséquences dans tous les domaines. Les décisions prises à
un endroit sur la planète ont des répercussions partout ailleurs. Le
projet écosocialiste implique la reconnaissance de la responsabilité des
pays dits du Nord, de l’Organisation mondiale du commerce, du Fonds
monétaire international et de la Banque mondiale vis à vis des peuples
dits du Sud. Il dénonce la compétition organisée en lieu et place de la
coopération, le productivisme et ses effets sur le climat mondial, le
pillage des ressources naturelles, l’accaparement des terres arables, ou
encore l’austérité imposée par la Troïka. Il induit la reconnaissance
de la Déclaration universelle des Droits de l’homme et la création d’un
Tribunal international des crimes contre l’environnement.
L’écosocialisme nous impose de contribuer aux débats liant politiques de
développement et de progrès social, et préservation de l’environnement.
Pour cela, nous soutenons et nous inspirons des alternatives à
l’étranger : révolutions citoyennes et Printemps arabe, refus de la
dette et des monopoles médiatiques en Argentine, assemblée constituante
en Islande et au Vénézuela, initiative Yasuni ITT pour laisser le
pétrole sous terre en Équateur… Les savoirs, l’expérience et les
méthodes acquises dans ces situations doivent pouvoir converger. Le
projet écosocialiste doit pouvoir être porté par un forum mondial qui en
fasse le but de la révolution citoyenne de notre temps.
18) Mener la révolution citoyenne pour l’écosocialisme.
Compte tenu de l’ampleur de son objectif, la remise en cause du modèle
productiviste capitaliste ne peut résulter d’une simple alternance
électorale et de décisions venues d’en haut. Elle implique une refonte
radicale des institutions incluant scrutins à la proportionnelle, parité
et non cumul des mandats permettant au peuple d’être effectivement
représenté dans toutes ses caractéristiques. Il s’agit de mettre au pas
l’oligarchie et d’assurer, en toutes circonstances, la souveraineté
populaire par une démocratie réelle. Cela exige que les majorités
parlementaires écosocialistes conjuguent leur action avec des mouvements
d’implication populaire dans tous les domaines de la vie de la société.
Cette réappropriation de l’initiative politique et citoyenne par chaque
femme et chaque homme, dans le but de déterminer partout et sur tous
les sujets quel est l’intérêt général, c’est ce que nous nommons la
révolution citoyenne. C’est une révolution. Car elle se propose de
changer les formes de la propriété, le système institutionnel et la
hiérarchie des normes juridiques, sociales et environnementales qui
organisent la société et l’économie. Elle est citoyenne. Car elle veut
donner le pouvoir à chacun non pour l’intérêt d’une catégorie sociale en
particulier mais pour le bien de tout humain, Et car elle se donne des
formes institutionnelles et se soumet au suffrage universel, dans le
pluralisme politique. Nous refusons que le désespoir et la colère ne
basculent du côté de la haine. Ni avant-garde éclairée, ni dictature
verte, ni repli ethniciste, nous défendons donc la voie démocratique de
la révolution citoyenne. Le peuple n’est pas le problème, il est la
solution. Le pire dommage de la crise actuelle de la civilisation
humaine serait que l’humanité soit incapable de s’ouvrir à la voie d’un
autre futur. L’écosocialisme peut être celui-ci. Qu’il fleurisse !
Ce « Manifeste des Assises pour un
écosocialisme » sera discuté tout au long de l’année et donnera lieu à
de nouveaux débats à l’occasion des secondes Assises pour
l’écosocialisme qui se tiendront en décembre 2013. Le comité des Assises
est composé des personnalités suivantes : Mathieu Agostini, Paul Ariès,
Guillaume Etievant, Laurent Garrouste, Susan George, Janette Habel,
Damien Joliton, Matthieu le Quang, Jacques Lerichomme, Michael Löwy,
Laurent Maffeis, Corinne Morel Darleux, Arno Munster, Danièle Obono,
Anita Rozenholc…
C) Entretien de Corinne Morel Darleux sur l’écosocialisme avec l’Association Culturelle Joseph Jacquemotte
Tenter d’élaborer une
alternative concrète, sociale et antiproductiviste au capitalisme dans
un contexte de consommation de masse et de toute-puissance du pouvoir
financier semble relever du baroud d’honneur. C’est néanmoins le pari
engagé par les tenants de l’écosocialisme, un projet qui entend faire la
synthèse entre le marxisme et l’écologie politique. C’est dans cet
esprit que s’est tenue le 5 mars 2014 la seconde rencontre du Réseau
écosocialiste européen, qui a réuni une soixantaine de participants
issus d’une dizaine de pays.
En marge de cette journée
de travail, l’Association culturelle Joseph Jacquemotte (ACJJ) a pu
s’entretenir avec Corinne Morel Darleux, qui a notamment coordonné la
rédaction des « 18 thèses pour l’écosocialisme», fruit d’un long travail
de dialogue ouvert par les « Assises pour l’écosocialisme » initiées
par le Parti de Gauche français. La femme politique revient sur les
fondements de l’écosocialisme, sur sa place dans le débat politique
français et international, ainsi que sur les possibilités de mise en
pratique de cet ambitieux projet de transition écologique et sociale.
ACJJ : Quels sont les principaux points qui font de l’écosocialisme le « paradigme majeur du XXIe siècle », selon les mots de Jean-Luc Mélenchon ?
Corinne Morel Darleux : C’est
d’abord un constat d’impasses : celles de la social-démocratie et de
l’écologie telles qu’elles existent actuellement. On peut voir
aujourd’hui que les politiques d’austérité, souvent mises en place par
des gouvernements sociaux-démocrates en Europe, sont inopérantes d’un
point de vue socio-économique, car elles ne résorbent ni la crise, ni le
chômage, et qu’elles conduisent à une régression sociale sans
précédent. Par ailleurs, ni le socialisme « réalisé » ni la
social-démocratie n’ont réussi à intégrer pleinement toutes les
implications de la contrainte écologique : dans un monde aux ressources
finies, on ne peut continuer la course à la croissance à tout prix.
L’écologie est, quant à
elle, confrontée à d’autres écueils. D’abord parce qu’une série de
thématiques écologiques ont été intégrées par le système sous la forme
du « capitalisme vert », qui consiste à s’en remettre aux producteurs
responsables de la dégradation environnementale pour faire face à
l’urgence écologique, leur permettant d’engranger des profits à chaque
étape du cycle pollution/dépollution.
Un certain courant de
l’écologie, l’environnementalisme, s’est par ailleurs constitué sans
élaborer de critique du capitalisme. Cette idéologie, en laissant croire
que l’écologie ne se posait qu’en termes de protection de la nature,
sans dimension économique et sociale, a ouvert la voie à une
récupération politique par le système. Elle participe dès lors à
légitimer les fausses bonnes solutions techniques que sont les
mécanismes financiers de quotas CO2, la
compensation carbone, les échanges de droits d’émissions de gaz à effet
de serre… Sans s’attaquer le moins du monde aux racines du problème, à
savoir le système économique capitaliste qui vise à une rentabilité
maximale du capital dans un minimum de temps.
De ces constats découlent
plusieurs fondements de notre réflexion écosocialiste. D’abord que
l’écologie doit être fondamentalement anticapitaliste, et être
systématiquement combinée avec un volet social. Notre projet s’inspire à
la fois du marxisme et de l’écologie politique, en tenant compte des
erreurs du passé et des nouveaux enjeux qui viennent les percuter. Si on
veut vraiment défendre l’environnement, faire face au changement
climatique, engager la bifurcation énergétique, etc., on doit absolument
s’attaquer aux fondements du système. On ne peut donc pas avoir
d’écologie digne de ce nom sans s’attaquer aux causes, à savoir le
système de production et de consommation. Ceux qui se disent
écologistes, mais ni de gauche ni de droite sont à cet égard les idiots
utiles du capitalisme vert.
Peut-on réellement parler d’un
nouveau paradigme ? Les textes fondateurs de l’écologie politique
semblent s’inscrire dans l’esprit des 18 thèses de l’écosocialisme…
Il y a une filiation très
claire avec certains fondateurs de l’écologie politique des années 1970
(notamment André Gorz), mais également avec la déclaration
internationale de Belem sur l’écosocialisme de 2009. Comme nous le
précisons dans le manifeste, on n’est pas en train de réinventer l’eau
chaude ! Par contre c’est la première fois qu’on redéfinit cette pensée
politique à l’aune des nouveaux défis écologiques du XXIe siècle,
notamment la question du réchauffement climatique, dont on avait encore
peu conscience quand fut théorisée l’écologie politique. C’est surtout
la première fois qu’on donne à l’écosocialisme une ambition majoritaire
et gouvernementale. Il était jusqu’ici porté par d’éminents penseurs,
mais pas par des partis politiques qui ont vocation à exercer le
pouvoir. Notre principal apport est donc d’essayer de donner une
visibilité et un impact politique à ce projet qu’il n’a jamais eu
jusqu’ici.
Quelles sont, d’autre part, les principales différences avec le mouvement de la décroissance ?
Il y a d’abord pas mal de
points communs, notamment du fait qu’une partie du Parti de Gauche
(dont moi-même) est issue de l’écologie radicale et de l’objection de
croissance. Même si on préfère parler de critique de la croissance à
tout prix, nous avons beaucoup emprunté à cette mouvance, notamment
l’idée qu’on ne doit pas attendre le retour de la croissance pour
partager les richesses. Il y a aussi la critique du choix du produit
intérieur brut (PIB) comme indicateur de référence : on sait aujourd’hui
qu’il n’est pas synonyme de bien-être, de meilleures conditions de
travail, etc.
Notre divergence
fondamentale tient surtout à notre rapport aux travailleurs et aux
syndicats, ainsi qu’à notre manière de nous adresser au monde du
travail. L’industrie n’est pas l’ennemi de l’écologie. Il faut
relocaliser plutôt que de délocaliser à l’étranger dans des conditions
de production insoutenables d’un point de vue humain et écologique. On
aura besoin d’une réindustrialisation en Europe, avec une autre
industrie qui pose la question de savoir ce qu’on produit, pourquoi et
comment. Dès le début, on a donc eu une approche de l’écologie en lien
avec les mouvements sociaux et les syndicats. Ce sont les travailleurs qui mettront en place la bifurcation écologique dans nos sociétés.
Je crois que c’est une grande nouveauté dans la démarche écologique, car,
pendant longtemps, il faut bien dire qu’une partie de l’écologie
radicale n’a pas franchement œuvré dans le sens d’un rapprochement avec
le monde ouvrier. Ils ont même parfois participé d’une crispation, avec
d’un côté les méchants salariés de l’industrie qui défendraient leur
emploi sans se soucier de la nature, et de l’autre côté les gentils
écolos « baba cool » qui défendaient les oiseaux sans se préoccuper des
travailleurs. Une de nos réussites est d’avoir remis autour de la table
des milieux écologistes et syndicaux qui ne se parlaient plus, et qui
sont pourtant réunis par une lutte contre les mêmes oligarques. On le
doit en partie au fait que l’on s’est fondé sur le socle social et
historique de la Gauche traditionnelle, du mouvement ouvrier.
Quelle est justement
la place qu’occupent les syndicats dans votre vision de la transition
écologique ? Ne suscite-t-elle pas des réticences de la part
d’associations de travailleurs des industries polluantes ?
Il y a encore des
résistances, après c’est très divers selon les organisations, les
branches et les régions. On peut au minimum se réjouir que le débat soit
engagé. Le fait d’avoir cette approche liant écologie et socialisme a
permis de lever beaucoup de barrières, et de bien faire comprendre
qu’aujourd’hui se battre pour la transition écologique, c’est en réalité
aussi proposer de nouvelles formes d’emplois plus pérennes, non
délocalisables. Il s’agit notamment d’anticiper de futures suppressions
de postes liées au fait que les matières premières ne sont pas
inépuisables.
Il faut noter qu’il ne
s’agit pas de considérations uniquement écologiques, mais pragmatiques :
le pic de pétrole est passé, donc soit on laisse faire le marché, ce
qui conduira à des centaines de milliers de suppressions d’emplois dans
l’aéronautique, la pétrochimie, l’industrie automobile, etc., soit on
anticipe, par la planification écologique. Il faut assurer des
formations adéquates, restructurer les filières industrielles, organiser
l’accompagnement de la reconversion pour ne pas laisser les
travailleurs sur le carreau. Tout cela va dans le sens des intérêts à
long terme des travailleurs et de l’emploi.
D’autre part,
l’écosocialisme pose la question de la propriété des moyens de
production, de l’autogestion, des coopératives, bref, de l’organisation
du travail au sein des entreprises. Les travailleurs sont capables de
s’organiser pour assurer la production, ils n’ont pas besoin des fonds
de pension ni d’actionnaires qui ne servent qu’à ponctionner une part
des profits. L’écosocialisme, c’est aussi être favorable à un rapport de
production plus favorable aux travailleurs dans le conflit
Capital-Travail. Nos idées sont dès lors appréhendées de façon beaucoup
plus favorable par le monde du travail que si on était arrivé avec un
discours culpabilisateur, assimilant les salariés de l’industrie avec
les dégâts causés par cette même industrie.
Les 18 thèses de
l’écosocialisme accordent une place importante à la démocratie. En quoi
est-ce une spécificité écosocialiste ? On peut en effet imaginer que des
débats démocratiques conduisent les citoyens à opter pour un modèle
productiviste…
On fait le pari de
l’intelligence collective. Si les travailleurs prennent ensemble les
décisions du mode de production de l’entreprise, on a plus de chance que
cette production aille dans le sens de l’utilité sociale que vers des
produits qui vont être vendus uniquement aux plus riches. S’ils avaient
le choix, ils préféreraient sans doute produire des outils utiles à la
vie courante plutôt que des Rolex, des 4×4, des Yachts, dont ils
n’auraient pas eux-mêmes l’usage.
Notre vision de la
planification écologique implique par ailleurs la mise en place
d’assemblées citoyennes au niveau local qui puissent justement discuter
des choix de consommation et de production.
En France, la constitution de comités de bassins, pour la gestion des
rivières, qui associent riverains, agriculteurs, représentants
industriels, pêcheurs, et autres usagers est à cet égard concluante :
par le dialogue, ces comités parviennent à établir un intérêt général,
qui n’est pas la somme des intérêts particuliers. Résultat : on a en
France un des meilleurs systèmes de gestion des eaux de rivières.
Dans le cadre de la
planification écologique, on souhaiterait généraliser ce type
d’expérience à une échelle plus large. D’une part parce que c’est un
système qui permet de mettre en mouvement la bifurcation écologique, qui
ne peut être imposée autoritairement par une poignée de décideurs.
D’autre part parce que la démocratie est la condition de la définition
de l’intérêt général.
Mais peut-on
réellement établir un intérêt général commun en se contentant de donner
davantage de pouvoir de décision aux salariés des entreprises
capitalistes ? Même si le profit n’est pas capté directement par les
actionnaires, les travailleurs pourraient être tentés de poursuivre la
logique productiviste…
Il n’a jamais été
question pour nous de supprimer l’initiative privée ! Le profit généré
par une entreprise qui respecte les travailleurs, l’environnement, et
qui revêt une utilité sociale, ne nous pose pas de souci, d’autant moins
si elle investit dans l’outil de travail. Mais donner le pouvoir aux
salariés de déterminer leurs choix de production et de gestion change la
donne : des travailleurs exposés à des produits chimiques dangereux ne
continueraient pas à produire de la même manière si on leur laissait le
choix. On l’a vu avec l’amiante, on le voit aujourd’hui avec
l’agriculture chimique, où les personnes exposées aux produits
phytosanitaires développent des cancers…
Ne faudrait-il pas alors définir l’intérêt général au niveau le plus élevé possible, qu’il soit national, européen ou mondial ?
La planification
écologique implique bien sûr un cadre précis et des orientations
nationales. Prenons par exemple la question du revenu maximum autorisé,
qui a fait l’objet d’une proposition de loi des élus Front de Gauche en
2009. À partir du moment où on limite le revenu maximum, un certain
nombre de produits de luxe perdent leur sens. Avec un partage des
richesses plus important et une fiscalité plus juste, on revient à une
consommation qui correspond aux besoins humains, et sur laquelle la
production est amenée à s’aligner. Il ne s’agit pas de dire qu’on n’a
plus le droit à la beauté et à la futilité, sauf quand c’est sur le dos
des travailleurs et des ressources naturelles.
« Un projet politique positif »
Les travaux menés
notamment par le PG autour de la question de l’écosocialisme ont-ils
révélé un clivage au sein de la Gauche, opposant les partisans du
développement durable aux partisans de l’idéologie du progrès?
Il y a certes des
divergences au sein de la Gauche sur base du rapport au productivisme,
mais le mouvement écosocialiste est lui-même loin d’être homogène. Il
importe de noter le ralliement progressif de segments croissants de la
Gauche à l’impératif de transition écologique. Aucun des débats
organisés sur l’écosocialisme ne l’a été par le seul PG. Plusieurs
forces du Front de Gauche y ont joué un rôle moteur, notamment le
mouvement Ensemble, la Gauche anticapitaliste, les Alternatifs ou encore
la Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE). On
travaille aussi avec une partie de la Gauche d’Europe Ecologie Les Verts
(EELV), voire avec certains militants du PS. Des collectifs citoyens et
syndicaux sont aussi impliqués. Je crois que l’écosocialisme est
davantage facteur de rassemblement que de divergence.
Un des grands
absents des débats sur l’écosocialisme n’est-il pas le Parti communiste
français (PCF), dont les divergences avec le PG sont patentes sur
certaines questions écologiques ?
Comme tous les
partenaires du Front de Gauche, le PCF était présent aux Assises. À la
dernière fête de l’humanité [NDLR : fête annuelle organisée par
l’Humanité, organe de presse historique du PCF] j’ai participé à un
grand débat sur le sujet. Si le PCF ne se reconnaît pas dans
l’écosocialisme, on se retrouve sur pas mal des « 18 thèses » du
manifeste. En réalité, au-delà des querelles de chapelle et des clivages
de partis, il n’y a pas de réelles divergences de fond. Nous avons de
nombreux points de convergence, que ça soit sur la défense de
l’environnement, la réappropriation des moyens de production, ou encore
l’autogestion. Il existe toutefois de vrais désaccords politiques qu’on
n’a pas encore réussi à dépasser, notamment sur le nucléaire. Cela dit
la question fait débat au PCF, où beaucoup de militants aimeraient que
le parti évolue sur cette question.
Ces querelles de partis que vous évoquiez n’ont-elles pas pour effet de « pourrir » le débat sur l’écosocialisme ?
Je n’en ai pas
l’impression. Depuis un an et demi qu’on travaille sur ce projet, on a
présenté le manifeste dans une dizaine de pays différents, on l’a
traduit en 8 langues et tenu une cinquantaine d’assemblées citoyennes
partout en France sur ce projet. Le vote majoritaire de la motion
écosocialiste présentée à Madrid lors du quatrième congrès du Parti de
la Gauche européenne (PGE) montre qu’il existe également une dynamique
européenne… Les éventuelles dissensions partisanes n’empêchent donc pas
la dynamique que l’on ressent. Le fait que le Réseau écosocialiste
européen que nous avons lancé à Paris en janvier intègre à la fois des
membres du PGE et d’autres partis, dont certains membres des Verts
européens, montre aussi que l’audience n’est pas limitée sur le plan
partisan. On ne cherche pas à avoir raison dans notre coin, mais à
travailler sur un projet politique positif, sur une base large.
Justement, ce vote
intervenu à Madrid n’a obtenu qu’une majorité relative. Certaines
délégations, pourtant sensibles aux thématiques écologiques, ont
précisément rejeté la motion car ils y voyaient la main du Parti de
Gauche, et la volonté sous-jacente de renforcer une tendance politique
plutôt qu’une autre…
Les considérations
partisanes ne sont jamais absentes, mais il faut noter que la motion a
été soutenue par des partis comme Syriza (Grèce), Die Linke (Allemagne),
le Bloco portugais, l’alliance rouge-verte (Danemark), qui présentent
la particularité d’être de jeunes partis et porteurs d’une dynamique
dans leurs pays respectifs. Je suis assez confiante sur le fait de
pouvoir entraîner progressivement tout le monde. Il faut laisser du
temps aux partis historiques d’obédience communiste, qui ont
probablement encore des questions internes à résoudre sur le
productivisme. Nous respectons ce temps de débat, mais cela ne nous
empêche pas de continuer à avancer avec les partenaires qui le
souhaitent.
« La relocalisation, condition majeure pour une réelle solidarité internationale»
Quittons l’Europe
pour adopter une perspective globale. Comment l’écosocialisme tel que
vous le concevez concilie-t-il le droit au développement des pays du Sud
et l’impératif d’un développement soutenable ?
Ces deux questions ne
sont pas contradictoires, mais au contraire intimement liées. Les pays
du sud se sont vu imposer un mode de développement au service de notre
propre consommation. Dans le domaine agricole, le FMI et l’OMC ont
obligé les pays en développement à passer d’une agriculture vivrière à
des monocultures intensives destinées à l’export. De même, dans
l’industrie extractive, on continue à exploiter les ressources
naturelles à notre profit de façon scandaleuse. L’exploitation de
l’uranium au Niger pour alimenter l’industrie nucléaire française en
offre un triste exemple. La réflexion sur la relocalisation de
l’activité et la sortie de la dépendance aux énergies fossiles doit donc
être une étape dans la reprise en main par les pays dits du sud de leur
destin, afin qu’ils puissent produire selon leurs propres besoins.
Cela implique également
une remise en cause des réseaux de production industrielle, rendus
possible par une mondialisation libérale qui a fait de certains pays les
ateliers du monde. Les ouvriers y travaillent dans des conditions
abjectes, comme l’a rappelé l’effondrement d’une usine de textile au
Bangladesh l’année dernière. Quand on se dit de Gauche, on ne peut pas
continuer à supporter que des produits de notre vie quotidienne
continuent d’être produits dans ces conditions épouvantables. La
question de la relocalisation est une condition majeure pour une réelle
solidarité internationale.
Il faut toutefois pousser
le raisonnement jusqu’au bout : pour qu’il y ait relocalisation de
l’activité chez nous et dans le sud, il faut un certain nombre de
mesures. Le protectionnisme social et solidaire n’a rien d’un repli
national : c’est au contraire un outil de coopération et de solidarité.
Tant qu’on n’aura pas le courage de désobéir à l’Union Européenne et aux
institutions internationales de libre échange, on continuera à
cautionner et alimenter cette mondialisation qui fait tant de désastres
au niveau social et environnemental.
Sur quelles alliances politiques pensez-vous pouvoir vous appuyer pour porter ce projet ?
Il faut avancer sur nos
deux jambes : les urnes et la rue. S’il n’y a pas dans la rue une
mobilisation citoyenne et des mouvements sociaux qui soutiennent ces
propositions, on ne pourra atteindre nos objectifs en les décrétant d’en
haut. C’est pourquoi on prend tant de soin à associer à nos réflexions
les associations, les syndicats et les collectifs citoyens. Au niveau
électoral, on essaye d’élargir par la base, en partant du Front de
Gauche et des organisations qui en font partie. Le programme L’humain d’abord
porté par Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle de 2012 recelait
de nombreux points d’inspiration écosocialiste. Nous souhaitons
l’élargir vers d’autres groupes, à la Gauche de la Gauche (NPA et
décroissants notamment), mais aussi à la Gauche d’EELV et du Parti
socialiste, avec lesquels on continue d’avoir des échanges pour leur
faire comprendre qu’on est plus fort unis, surtout si on a l’ambition
d’incarner une alternative à la social-démocratie pour les prochaines
échéances électorales.
Dans cette optique
de rassemblement, le terme « socialiste » ne risque-t-il pas de gêner
une série d’acteurs ancrés dans les valeurs de Gauche qui ne partagent
pas un certain nombre de référents marxistes ?
L’intérêt
de l’écosocialisme est justement d’associer l’écologie et le socialisme,
et de permettre à des militants, qu’ils proviennent du marxisme ou des
combats pour la défense de l’environnement, de s’y retrouver. Il ne
s’agit pas de doser les deux composantes pour faire plaisir aux uns et
aux autres, mais d’avoir un ensemble cohérent susceptible de fédérer.
Durant les nombreuses assemblées auxquelles j’ai participé, j’ai été
frappée par la capacité de ce projet à unir des gens d’horizons très
divers. Cette dynamique fédératrice est selon moi l’une de nos plus
belles réussites politiques.
« Le pouvoir par les urnes, la rue, mais pas par les armes»
Comment voyez-vous
concrètement se dérouler la transition écologique et avec quels
acteurs ? On a parlé, tout à l’heure, de la place déterminante des
syndicats et des travailleurs dans le projet écosocialiste. Les
détenteurs des moyens de production doivent-ils être expropriés, ou
peut-on imaginer une forme de compromis de classe ?
La question de la
nationalisation est essentielle, mais il ne faut pas confondre
étatisation et socialisation. Certains secteurs stratégiques doivent
faire l’objet d’une coordination étatique. C’est par exemple le cas de
l’énergie ou des banques, pour lesquels doit exister un pôle public. La
seule nationalisation est toutefois insuffisante : le fait qu’EDF ait
longtemps été un monopole d’État n’a pas empêché l’entreprise de mettre
en place le nucléaire de façon totalement antidémocratique. Un déchet
radioactif public n’en reste pas moins toxique ! Le contrôle étatique
des moyens de production stratégiques est nécessaire, mais pas
suffisant. Il faut dès lors une articulation entre le niveau national,
garantie de cohérence et d’égalité républicaine, les collectivités
territoriales et les conférences de participation populaire au niveau
local, qui permettent d’assurer le contrôle citoyen.
Pour la plupart des
autres secteurs, on privilégie la socialisation, c’est-à-dire la
réappropriation sociale des moyens de production. Il s’agit des Société
coopérative et participative (SCOP), des coopératives autogérées, des
Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), dans lesquelles les
salariés et usagers remplacent les actionnaires. Tant que ces derniers
imposeront des taux de rentabilité du capital allant jusqu’à des 15%, on
ne pourra avoir de réflexion sérieuse sur l’utilité sociale de la
production, sur les réinvestissements nécessaires dans l’outil
productif, etc.
La confrontation avec le Capital semble inévitable dans ce contexte…
On est conscients qu’on
ne nous déroulera pas le tapis rouge, et que nous serons de fait dans
une confrontation de classe. Les premiers mois d’un gouvernement
écosocialiste devront être utilisés pour mettre en place le cadre dans
lequel cette bifurcation sera possible : la répartition des richesses
par une vraie révolution fiscale. La constitution d’un pôle public de
l’énergie, qui implique la nationalisation d’EDF, GDF-Suez, Total et
Areva, qui était dans le programme du FDG a été minutieusement préparée.
On ne planifie pas d’expropriation sans indemnité ni de coup d’état
économique et financier. En revendant des filiales étrangères et en
réinvestissant cet argent au niveau français, on peut, avec quelques
autres astuces boursières, faire en sorte que l’État en devienne 100%
actionnaire. C’est possible. L’argent est là ! Il est tout simplement
mal réparti et mal utilisé.
Réforme plutôt que révolution, donc ?
Tout dépend de ce que
l’on entend par les deux termes. On n’est pas pour une révolte violente
et imposée. Nous prônons une révolution citoyenne, comme elles ont pu
intervenir par exemple en Amérique latine, où le peuple a repris le
pouvoir, par les urnes, par les rues, parfois aussi c’est vrai par les
armes. Mais nous croyons avant tout à la force de la loi républicaine,
celle qui est déterminée par l’intérêt général et s’impose à tous : la
liberté d’entreprendre ne sera évidemment pas remise en cause, mais les
entreprises privées devront se conformer à la loi.
Le projet
écosocialiste porté par le PG à travers ses 18 thèses insiste sur la
volonté de sortir d’une écologie culpabilisante, qui éluderait la
responsabilité du productivisme effréné. Ne risque-t-on pas de tomber
dans l’extrême inverse, qui consiste à disculper les individus de leur
participation à la consommation de masse ?
On part du principe qu’il
est plus motivant pour les gens de leur parler de l’importance pour
tous de préserver les ressources écosystémiques que de leur dire qu’il
faut couper l’eau du robinet quand ils se lavent les dents… Les
mini-injonctions culpabilisantes ne font pas changer d’attitude.
Beaucoup de comportements polluants sont des comportements contraints :
la surutilisation des voitures est liée aux déficiences des transports
publics, les incitations à la consommation de masse, mode et publicité,
sont présentes partout dans la société. En réalité, la plupart des gens
se rendent bien compte que la majorité de la dégradation de
l’environnement n’est pas de leur ressort. Si on veut que les gens
comprennent que les gestes quotidiens sont utiles, cela doit s’inscrire
dans un projet politique plus large. Notre responsabilité de politiques
est de mettre en place le cadre, les conditions qui rendent le
changement de comportement possible.
D) Écofascisme de Wikiberal
On entend par écofascisme (notamment selon le politologue finlandais
J.P. Roos) l'idéologie de certains protecteurs autoproclamés de
l'environnement radicaux qui prônent l'abandon complet des technologies
dans nos sociétés à l'exception de la bougie ainsi qu'une réduction
forcée de la population humaine afin de sauver une nature originelle
idéalisée et qui n'a jamais existé. Il s'agit d'une variante radicale de
l'écologie profonde avec des aspects totalitaires et primitivistes.
L'écofascisme rejoint le fascisme ou le nazisme
originel en ce qu'il place une utopie au-dessus de l'homme, qui n'est
qu'un moyen pour une fin qui lui est extérieure. L'homme n'est qu'un
parasite, perturbant la pureté « naturelle ». Une véritable haine de soi
et de l'humanité, au bénéfice d'une nature idéalisée. Voici par exemple
ce qu'écrivait David Graber, un biologiste américain[1]:
«Des chercheurs en sciences sociales me disent l'humanité
est une partie de la Nature, mais ce n'est pas vrai. Quelque part en
chemin [..] nous avons rompu le contrat (qui nous unissait à la nature)
et nous sommes devenus un cancer. Nous sommes devenus une peste pour
nous-mêmes et pour la Terre. [..] Il n'y a plus qu'à espérer un virus
dévastateur. »
— David Graber
Cyril dit Meo, élu vert, reprend cette critique de la décroissance
et de l'écofascisme. Il y voit « une défense de la Nature appuyée sur
une conception biocentrique de sacralisation de la Terre […], [qui]
s’appuie sur une critique de la rationalité du monde moderne perçue
comme destructrice de la planète et de l’ordre du vivant »[2].
On peut souligner d'ailleurs comme l'auteur que cette « disparition de
l’authenticité du monde naturel passé » est caractéristique d'une pensée
foncièrement réactionnaire.
Un classique de la décroissance est en effet « l’irrationalisme
mystique, le spiritualisme, l’anti-positivisme et la référence au temps
cyclique, qui permet de retourner au passé, de restaurer un ordre
antérieur »[3].
Ce présupposé est doublement faux. D'une part, la « nature »
rêvée par ces écologistes n'existe pas ; la nature est en perpétuel
changement, des espèces apparaissent, disparaissent. C'est l'homme qui
protège la bio-diversité bien souvent, notamment par la chasse qui
régule la surpopulation de grands prédateurs (loup, lynx) menaçant la
faune locale. Dans le cas où la faune locale herbivore menace les forêts
et autres plantations, c'est toujours l'homme qui régule ladite faune
par la chasse.
En outre, la nature pure et accueillante idéalisée par les
environnementalistes n'existe pas, et c'est à chaque fois l'homme qui la
domestique, qui aménage les fleuves pour limiter les inondations, qui
se protège de conditions difficiles, qui aménage le paysage, etc.
Les « écofascistes » souhaitent atteindre leurs buts au moyen d'une dictature qui permettrait de réduire la population terrestre par la coercition,
tandis que ses habitants restant assureraient la continuité de
l'humanité avec des moyens techniques archaïques (chasse, pêche,
cueillette de petits fruits, de champignons et de racines, etc). Sont
prévus également des modes malthusiens
de contrôle des naissances afin de ne pas menacer l'environnement par
une surpopulation, tels que l'abattage des bébés considérés en
surnombre. Les plus extrêmes se positionnent en faveur d'une
amélioration génétique de la population humaine que servirait l'eugénisme.
Le précurseur de l'écofascisme le plus connu est le finlandais Pentti Linkola, qui prône notamment:
Citations
- « N'importe quelle dictature serait meilleure que la
démocratie moderne. Il ne peut y avoir de dictateur assez incompétent
pour montrer plus de stupidité qu'une majorité populaire. La meilleure
serait une dictature où de nombreuses têtes rouleraient et où le
gouvernement empêcherait toute croissance économique. » (Pentti Linkola)
Notes et références
- ↑ tel que cité par George Reisman in The Toxicity of Environmentalism, 1990
- ↑ Cyril di Meo, La face cachée de la décroissance, L'Harmattan, 2006
- ↑ Di Meo, op. cit.
E) Rio+20 : L’écologie à laquelle nous avons échappé
Avec Rio+20, nous allons fêter le vingtième anniversaire de la
Conférence de Rio, qui a servi de rampe de lancement à la grande
campagne contre le réchauffement climatique d’origine humaine. Cela
mérite célébration.
Nous allons fêter le vingtième anniversaire de la Conférence de Rio,
qui a servi de rampe de lancement à la grande campagne contre le
réchauffement climatique d’origine humaine. Cela mérite célébration.
Si la civilisation occidentale s’est élevée au-dessus de toutes les
autres (ben non, désolé MRAP, LICRA, SOS-trucmuche et autres crustacés
nourris de nos impôts, toutes les civilisations ne se valent pas), c’est
parce qu’elle a inventé l’individu. Dans toutes les civilisations
traditionnelles, on n’existe que comme membre d’un groupe – une famille,
un clan, une tribu, ce que vous voulez. Et on est tenu de se comporter
comme membre dudit groupe : il faut en respecter les codes, les usages,
les traditions, les conventions. N’allez pas vous amuser à émettre la
moindre idée nouvelle, car vous êtes sûr de violer quelque part une
règle ou un tabou. Le groupe vous a à l’œil.
La société occidentale a été la seule à briser ce carcan. Ca ne s’est
évidemment pas fait d’un coup : il y a fallu des générations. Mais plus
elle libérait l’initiative de l’individu, plus elle s’apercevait
qu’elle en recevait de bienfaits en retour. Et inversement, dans les
périodes de régression, tout allait plus mal. C’est en inventant
l’individu que la société occidentale a trouvé la formule magique,
l’extraordinaire source d’énergie et de créativité qui lui a permis de
développer les instruments intellectuels grâce auxquels elle a porté la
connaissance à des sommets inégalés, qu’elle a multiplié les exploits
technologiques et scientifiques, qu’elle a conquis le monde. Ce qu’ont
fait les Occidentaux, pas une bête ne l’aurait fait. On s’attendrait à
ce qu’ils soient fiers de leur passé et de leur présent.
Les sectateurs du politiquement correct veulent qu’ils en aient honte.
Pour eux, l’histoire de l’Occident n’est qu’une succession d’exactions et de pillages, de spoliations et de massacres.
De même, pour la faction écologique de la confrérie, la société
occidentale n’a jamais fait que saccager la nature, gaspiller les
ressources, polluer l’air, empoisonner l’eau, exterminer les espèces
vivantes, accumuler partout la ruine, la misère et la dévastation pour
le profit égoïste de quelques-uns. Et aujourd’hui plus que jamais.
Voilà ce qui arrive, disent-ils, quand on laisse tout un chacun libre
de n’en faire qu’à sa tête, de produire et de vendre ce qui lui plaît,
de penser comme il l’entend. Ils brûlent de mettre de l’ordre dans ce
bordel archiultranéolibéral.
Malheureusement, leur discours – ce que Lomborg a appelé la litanie –
est assez lassant et n’a qu’un faible impact sur le public. Il leur
fallait une Grande Illumination autour de laquelle mobiliser les masses.
Elle survint à la fin des années 80 : quelques scientifiques, qui
jusque là avaient soutenu le contraire, se mirent soudain à clamer que
la température de la planète était en train de monter de manière
catastrophique du fait des rejets de gaz à effet de serre provoqués par
l’activité humaine. « On vous l’avait bien dit, s’exclamèrent les
écologistes, le modèle de société occidental nous conduit au désastre
! »
Impressionnés, les milieux politiques demandèrent quoi faire.
« Arrêter immédiatement les émissions de gaz à effet de serre, leur
fut-il répondu, et notamment les rejets de CO2″. « Mais le coût
économique va être pharamineux ? » « C’est ça ou la mort de la
planète. » « Ah bon… » Tout le monde s’inclina. En 1992, on convoqua une
grande conférence à Rio, avec plus de 20 000 participants venus du
monde entier, qui se mit d’accord pour réduire les rejets de gaz à effet
de serre – accord formalisé et quantifié à Kyoto en 1997.
L’écologie triomphait. Tous les Etats, tous les gouvernements, toutes
les institutions scientifiques, tous les médias, en un mot, toute la
bonne société, étaient à ses pieds. Elle avait pris en main les
destinées du monde, elle allait sauver la planète. Mais à condition
qu’on lui obéisse et que nul ne s’avise de contester ses décrets.
Les sceptiques en firent aussitôt l’expérience. Car il y avait bien
sûr quelques sceptiques – il y en a toujours. On leur fit vigoureusement
savoir qu’il n’était pas question de discuter – « the science is
settled », leur annonça-t-on. On leur barra l’accès aux revues
scientifiques et aux grands médias, on leur imposa le silence. Et pour
que l’opinion sache bien à qui l’on avait affaire, on les qualifia de
« négationnistes » – le même terme qu’on emploie pour désigner les
illuminés qui nient la réalité des camps d’extermination nazis.
Mais les sceptiques ne rentrèrent pas sous terre. Ils prirent le
maquis informatique. Interdits de séjour dans tous les médias
institutionnels, ils se réfugièrent dans les jungles du web, d’où ils
entreprirent de réfuter point par point la théorie de l’origine humaine
du réchauffement. Pendant des années, ils grignotèrent ainsi les
certitudes officielles, exposant leurs contradictions et leurs
approximations. Ils réussirent même, avec la fameuse affaire du
Climategate, à surprendre les irréprochables savants du réchauffement le
pantalon sur les chevilles, en train de trafiquer délibérément leurs
résultats, de dissimuler leurs données, d’organiser le boycott des
travaux de leurs adversaires par des méthodes inspirées de celles de la
mafia sicilienne.
En dépit de son poids énorme, de ses gigantesques moyens, de tous les
appuis institutionnels dont il dispose, le rouleau compresseur de
l’écologisme n’est pas parvenu à écraser la résistance des sceptiques.
Au contraire, ceux-ci ont proliféré. Mieux, la planète elle-même s’est
mise à pencher de leur côté. Selon la théorie officielle, on l’a dit,
l’augmentation des températures serait le résultat direct des rejets de
gaz à effet de serre. Depuis la fameuse conférence de Rio, il y a vingt
ans, ceux-ci ont augmenté d’environ 50%. On s’attendrait à une montée
concomitante des températures. Or, depuis maintenant une quinzaine
d’années, elles refusent de bouger. Les sceptiques avaient raison depuis
le début : l’activité humaine n’est pour rien dans le réchauffement.
Le rouleau compresseur, cependant, continue de rouler – en tout cas
dans les médias, qui n’ont pas soufflé mot des débats en cours. Mais
c’est désormais essentiellement l’effet de la force d’inertie, car la
machine se disloque peu à peu. D’autant plus que la crise économique a
amené les gouvernants à regarder d’un œil plus sobre les extravagantes
dépenses exigées par le programme des écologistes. La vaste campagne du
réchauffement est aujourd’hui sur les récifs.
Heureusement. Car son objectif n’était pas seulement environnemental :
il était politique. La victoire de l’écologisme aurait marqué une étape
décisive de l’ensemble du politiquement correct dans son entreprise de
domination des esprits. Elle aurait permis d’imposer en matière de
climat une pensée unique et obligatoire, une vérité officielle que nul
n’aurait été autorisé à contester : elle aurait permis de faire
disparaître tout esprit critique, cad de mettre un terme au droit des
individus de penser par eux-mêmes. Dans ce domaine d’abord – avant de
passer aux autres.
Autrement dit, le mouvement écologique – et au-delà de lui,
l’ensemble du politiquement correct dont il fait partie – n’est pas
seulement l’ennemi de l’industrialisation, de la croissance économique,
etc. Il est l’ennemi de ce qu’il y a de plus fondamental dans la société
occidentale : la liberté de penser de l’individu.
Autrement dit encore, son horizon ultime est le retour au mode de
fonctionnement de la société traditionnelle. Cette société où le groupe
vous a à l’œil.
Par Pierre Clermont