Le Mercosur, ce bouc émissaire de nos politiques agricoles
Déforestation, bœuf aux hormones, trahison de nos agriculteurs. Le Mercosur, accusé de tous les maux, fait l’unanimité contre lui. Pourtant, cet accord pourrait être une opportunité pour notre industrie, sans pour autant sacrifier notre souveraineté alimentaire.
Le Mercosur, c’est en quelque sorte la version sud-américaine de notre marché commun, un espace de libre circulation des biens et des services. Il regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et, depuis l’an dernier, la Bolivie. Le Venezuela en a été exclu en 2016. Après deux décennies de négociations, l’Union européenne et le Mercosur ont conclu, en juin 2019, un traité instaurant une zone de libre-échange. Ou plutôt un accord commercial, car le terme, qui suggère une libéralisation sans contraintes, est trompeur : les règles restent nombreuses et certaines importations limitées. Aujourd’hui, il demeure suspendu à la ratification des 27 États européens. La France est l’un des rares pays à avoir des réserves. À tort ou à raison ?
Concrètement, la suppression de 4 milliards de droits de douane rendrait nos exportations beaucoup plus compétitives. Le prix des voitures et des vêtements pourrait baisser de 35 %, celui des machines-outils, produits chimiques et pharmaceutiques de 14 à 20 %. Les fournisseurs de services — télécommunications, transports, numérique — accéderaient aux marchés publics locaux. L’industrie automobile européenne, en grande difficulté, appelle évidemment l’accord de ses vœux : il relancerait ses ventes de véhicules thermiques, au moins pour un temps. Au total, Bruxelles projette près de 50 milliards d’euros d’exportations supplémentaires vers le Mercosur, pour seulement 9 milliards d’importations en plus. Des importations qui pourraient bien profiter aux industries européennes. Le Brésil, en particulier, est un important fournisseur de matières premières critiques comme le nickel, le cuivre, l’aluminium, l’acier ou le titane.
L’erreur est en effet de réduire exportations et importations à une lecture comptable. On croit trop souvent que seule la production locale enrichit, quand les importations appauvrissent. L’exemple du CETA, l’accord entre l’Europe et le Canada, montre l’inverse : les entreprises françaises ont pu importer hydrocarbures et minerais à des prix plus avantageux. Si ces flux semblent peser négativement sur la balance commerciale, ils sont économiquement bénéfiques. Des matières premières moins chères permettent à nos entreprises de réduire leurs coûts et de gagner en compétitivité. Aujourd’hui, qu’importe-t-on majoritairement depuis l’Amérique latine ? Des hydrocarbures, des produits miniers… et des produits agricoles.
Les agriculteurs européens sont-ils vraiment sacrifiés sur l’autel du commerce ?
L’agriculture des pays du Mercosur fait peur. Avec 238 millions de bovins , le Brésil possède le plus grand cheptel au monde et assure à lui seul près d’un quart des exportations mondiales. L’Argentine n’est pas en reste, avec 54 millions de bêtes et des troupeaux en moyenne quatre fois plus grands qu’en France. En Amazonie ou dans le Cerrado brésilien, certaines exploitations dépassent même les 100 000 têtes de bétail. À titre de comparaison, la « ferme des mille vaches » picarde, fugace symbole tricolore de l’élevage intensif, n’a jamais compté plus de 900 bovins. Mais le gigantisme ne s’arrête pas à l’élevage. Au Brésil, SLC Agrícola exploite plus de 460 000 hectares de céréales. Deux cents fois plus que la plus grande exploitation française. Les vergers sont quatre fois plus étendus de l’autre côté de l’Atlantique. Sucre, maïs, soja… les agriculteurs européens font face à un géant. Sans jouer avec les mêmes cartes : si les produits importés devront répondre aux normes de consommation européennes, les règles de production ne sont pas identiques. Notamment concernant l’utilisation des pesticides, qui fait tant débat en Europe. Pour les agriculteurs français, difficile de se départir de l’impression de concourir face à des V12 avec un 3 cylindres.
Agriculture
L'agriculture désigne une activité ou « processus par lequel les êtres humains aménagent leurs écosystèmes et contrôlent le cycle biologique d'espèces domestiquées, dans le but de produire des aliments et d'autres ressources utiles à leurs sociétés ». Ce secteur économique est en déclin rapide dans le monde occidental, en particulier en termes de part dans la main-d’œuvre totale, grâce aux avancées techniques et technologiques.
L'agriculture est à l'origine de la percée humaine parmi l'étendue des espèces vivantes sur Terre. Elle a connu son développement grâce à l'adaptation des règles de propriété qui lui ont été favorables pour son développement. Pour les chasseurs-cueilleurs, la propriété de la terre n'était pas importante. Pourtant, lorsque les humains ont commencé à cultiver des céréales, il est devenu de plus en plus important d'avoir la propriété de la terre pour motiver le travail nécessaire long et attentionné, fixé à un espace de terre, afin de pouvoir cultiver les graines. Dans ce cas, il est probable que des règles sur la propriété foncière sont apparues en réponse à l'avènement de nouvelles technologies comme les outils agricoles.
L’émergence de l’agriculture
À partir du second âge du Fer une transition s'opère dans le mode de vie des communautés de chasseurs-cueilleurs.
Révolution agricole
Connue aussi comme la révolution néolithique, cette période a connu une forte augmentation des ressources alimentaires contribuant aussi à l'accroissement démographique.
Domestication des animaux et culture des plantes
Enjeux économiques et politiques
L'agriculture est l'un des secteurs les plus subventionnés par l'État, ce qui est source de multiples rigidités et dysfonctionnements. Les politiques agricoles, incluant le commerce également, fournissent la meilleure illustration des thèses de la théorie du choix public selon lesquelles une partie de la population, dite population agricole, bénéficie d'avantages aux dépens d'une autre partie, les contribuables et les consommateurs.
Face au protectionnisme des pays occidentaux qui empêche le développement des agricultures des pays du Sud tout en renchérissant le coût de l'alimentation pour les habitants des pays riches, les libéraux soutiennent le libre-échange auquel tout le monde serait gagnant.
L'interventionnisme étatique en matière d'agriculture consiste principalement en barrières douanières (le consommateur paie) et en subventions (le contribuable paie). Dans tous les cas, ces mesures se font au détriment du consommateur et au bénéfice de domaines économiques non rentables. Comme l'exprime Nicolas Baverez[1] :
« Droguée à la PAC, l’agriculture française a déserté les marchés, à l’exception de quelques filières comme la viticulture, qui revit en trouvant de nouveaux clients dans les pays émergents. Pour le reste, nous avons transformé les paysans en jardiniers du paysage qui vivent de subventions destinées à se tarir, en s’étant détachés de la production et des consommateurs. »
L'argument classique de l'intérêt général (parfois décliné en « souveraineté alimentaire » du pays) ressemble ainsi fortement à un mensonge utile, permettant de justifier le transfert d'argent de la grande majorité des citoyens vers les agriculteurs. Soit la population est prête à payer plus cher les productions locales, et en ce cas les mesures protectionnistes ou les subventions sont injustifiées et absurdes ; soit elle n'y est pas prête, et en ce cas ces mesures ne sont qu'une coercition étatique qui va à l'encontre des vœux du citoyen, au bénéfice d'un secteur particulier de l'économie du pays, qui se trouve indûment privilégié.
La règlementation et la bureaucratie ont largement envahi l'agriculture et transformé la plupart des agriculteurs en fonctionnaires. Par exemple, la règlementation européenne impose à l'agriculteur de semer des jachères, et ceci en respectant des dates réglementaires, sans préoccuper de l'intérêt de la chose ni de son efficacité.
En pratique, le discours libéral se heurte au lobby agricole, qui réclame toujours davantage de subventions et de protections. Ainsi, en Suisse, « îlot de cherté » où existe (comme dans le reste de l'Europe) un fort protectionnisme agricole (qui renchérit le prix des produits alimentaires d'environ 30 % en comparaison avec le reste de l'Europe), le conseiller fédéral Christoph Blocher a choqué en 2004 en demandant l'ouverture des frontières, la fin des subventions, et un comportement entrepreneurial de la part des agriculteurs[2] :
« La Suisse est devenue une victime de sa propre bureaucratie agricole. [...] Nous sommes allés trop loin dans les interventions bien intentionnées de l’État. Laissons les agriculteurs devenir à nouveau des entrepreneurs ! »
Un autre argument fréquent est que sans subventions et sans protectionnisme, l'agriculture disparaîtrait en Europe faute d'être suffisamment compétitive par rapport au reste du monde. En réalité, la loi des avantages comparatifs s'applique aussi en matière agricole, et doit permettre aux agriculteurs de se spécialiser dans les créneaux les plus porteurs, plutôt que de se transformer en jardiniers du paysage ou en conservateurs du patrimoine rural. La Nouvelle-Zélande, pays plus isolé que la Suisse, subventionne très peu son agriculture[3] en comparaison avec la Suisse ; or, l'agriculture reste l'industrie d'exportation la plus importante du pays.
Citations
- « Des romantiques condamnent les théories économiques concernant le sol, comme entachées d'un esprit étroitement utilitaire. Les économistes, disent-ils, regardent la terre avec les yeux du spéculateur insensible qui dégrade toutes les valeurs éternelles en parlant de monnaie et de profits. Et pourtant, la glèbe est bien davantage qu'un simple facteur de production. Elle est la source intarissable de l'énergie humaine, de la vie humaine. L'agriculture n'est pas simplement une branche de production parmi bien d'autres. C'est la seule activité naturelle et respectable de l'homme, la seule condition digne d'une existence vraiment humaine. Il est inique d'en juger seulement en fonction des revenus nets que l'on peut extorquer au sol. La terre ne fait pas que porter les fruits qui nourrissent notre corps ; elle produit avant tout les forces morales et spirituelles de la civilisation. » Ludwig von Mises, L'Action humaine, Chapitre XXII
- « Il ne faut pas acheter français ; il faut produire en France pour les consommateurs de la société ouverte du XXIe siècle. » (Nicolas Baverez)
- « On a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux qui, en cultivant la terre, font vivre les autres. » (Voltaire)
- « Les pays ne sont pas cultivés en raison de leur fertilité mais en raison de leur liberté. » (Montesquieu)
- « C’est la permaculture qui m’a permis cette transition entre le socialisme, sa perpétuelle volonté de remédier aux supposées défaillances du système économique, et le libéralisme, sa philosophie du laissez-faire, sa confiance en la viabilité d’un système économique libre, en la liberté individuelle. » (Rémy Poix)
- « La législation n'a point à protéger l'agriculture. L'agriculture est efficacement protégée, quand toutes les classes ont leurs garanties et sont à l'abri des vexations. » (Benjamin Constant, Commentaire sur l'ouvrage de Filangieri)
Notes et références
- Orsenna et Baverez : la France qu'on voudrait !, La Tribune, 4 mai 2012.
- Der regulierte Bauer, discours du conseiller fédéral Blocher à la cérémonie d'ouverture de l'OLMA, foire suisse de l'agriculture et l'alimentation, 7 octobre 2004, Saint-Gall.
- 1956, William M. Curtiss, "Free-Market Farming", The Freeman, February, Vol 6, n°2
- 1959,
- Paul Roy, "A Nongovernmental Farm Program", The Freeman, June, Vol 9, n°6, pp54-56
- George Winder, "Agricultural Subsidies in Great Britain", The Freeman, July, Vol 9, n°7, pp40-45
- 1981, Kelly Ross, "Farm Land and the Free Market", The Freeman, Octobre
- 1986, Paul L. Poirot, dir, The Farm Problem, The Foundation for Economic Education: Irvington on Hudson NY
- 1993, Robert L. Thompson, "Agricultural Price Supports", In: David R. Henderson, dir., The Fortune Encyclopedia of Economics: 141 Top Economists Explain the Theories, Mechanics, and Institutions of Money, Trade, and Markets, New York: Warner Books, Inc.
- 2019, Sjoerd Wartena, "Agricultural Land: Management in common, from concepts to implementation", (" Gestion agricole en commun : du concept à la mise en œuvre"), In: Jean-Pierre Chamoux, Max Falque, dir., "Environnement : le temps de l’entrepreneur/ Environment and Entrepreneurship", Nice, Editions Libre Echange, pp42-48
- (fr)
[pdf]Propriété foncière en milieu rural : le droit de propriété confisqué par l'État de Jacques de Guenin - (fr)
[pdf]L’autosuffisance alimentaire n’est pas gage de développement durable par Pierre Desrochers - (fr)Les Safer-khozes sur le site de l'Ifrap
- (fr)Réinventer le modèle agricole français par Nicolas Baverez
- (fr)Crise des éleveurs : pourquoi il faut libérer l’agriculture française par Vincent Bénard
- Le crédit agricole: une banque au secours de l’agriculture - anthologie, texte de Benoît Malbranque et Me Nguyen, écrit sur le site de l'Institut Coppet en 2015
Bibliographie
Voir aussi
Liens externes
https://www.wikiberal.org/wiki/Agriculture




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