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Al,
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Les libertariens sont parmi nous
Un petit rappel de Libération de septembre 2015; Remarquez il y a de quoi se marrer, mais il faut lire lol. Le plus incroyable est que nos propres responsables libertariens français comme belges voire davantage n'y figurent même pas, seulement substitués par de libéralopithèques de sociale-démocratie !Voici l'affabulation médiatique de nos concepts de Liberté !
Al,
Né dans les années 60, le mouvement ultra individualiste reste marginal politiquement mais essaime aujourd’hui dans la pop culture.
Le 13 avril, Vit Jedlicka plantait fièrement son drapeau jaune et
noir sur sept kilomètres carrés de terres boisées et inondables,
coincées entre la Croatie et la Serbie. Ce marécage inhabité, grand
comme quinze fois le Vatican, est amené à devenir le Liberland, «un état avec le moins d’état possible», si l’on en croit ce Tchèque joufflu de 31 ans, décidé à donner chair au rêve de tout libertarien qui se respecte.
Liber-quoi? Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec ce
fatras d’idéologies ultra-libérales et individualistes, autant s’en
remettre au Petit Larousse, toujours dans l’air du temps, qui a
intronisé le mot dans son édition 2014. A «libertarien», on trouve la
définition suivante :
«Un partisan d’une philosophie politique et économique qui repose sur la liberté individuelle conçue comme fin et moyen. Les libertariens se distinguent des anarchistes par leur attachement à la liberté du marché et des libéraux par leur conception très minimaliste de l’état.»
Proche des thèses libérales du philosophe français du XIXe siècle
Frédéric Bastiat, le libertarianisme a réellement pris forme aux
Etats-Unis dans les années 1960, au carrefour de l’anti-communisme
viscéral des Républicains, de la contre-culture libertaire et des
économistes de l’école de Chicago (1). Se voulant à «l’extrême centre»,
les libertariens prônent la liberté en toute chose. Ils peuvent ainsi se
battre pour l’abolition de l’impôt et la fin des banques centrales, le
mariage gay et le port d’arme, la défense de la vie privée et la
légalisation de la prostitution ou des drogues, la fin des frontières et
le «droit à la discrimination», et bien évidemment la privatisation de
tous les services gouvernementaux, mis à part quelques fonctions
régaliennes…
C’est probablement Tim Moen, candidat aux législatives canadiennes de
2014, qui a le mieux résumé le libertarianisme moderne en faisant
campagne avec ce slogan: «Je veux que les couples gays mariés puissent défendre leurs plants de marijuana avec leurs fusils.»
Une philosophie résolument capitaliste du «vivre et laissez vivre»,
attrape-tout et belliqueuse, dans laquelle peuvent se reconnaître les
ultra-conservateurs du Tea Party américain comme les cyber-activistes
d’Anonymous… Si le Liberland a choisi un petit oiseau pour symboliser la
liberté sur son blason, les libertariens américains, le doigt sur la
gâchette, préfèrent généralement l’image du porc-épic, la mascotte de
leur festival annuel dans le New Hampshire, voire du serpent à
sonnettes, qu’on retrouve sur nombre de bannières, assorties du motto «ne me marche pas dessus...».
Avec ses pulls col roulé et ses boucles d’éternel étudiant
en philo, le sénateur républicain Rand Paul, candidat à la
présidentielle américaine et fils du député libertarien Ron Paul, a
relancé l’intérêt des médias autour du mouvement. «L’homme le plus intéressant de la politique américaine», selon une couverture de Time,
n’a pourtant que peu de chances d’emporter la primaire républicaine.
Car question politique, les libertariens, trop puristes et trop
anti-système, sont condamnés à échouer, quand bien même les instituts de
sondages américains estiment autour de 15 % et 20 % le nombre
d’électeurs partageant leur sensibilité.
Mouvement en expansion
«Ils poursuivent une utopie qui se saborde dès qu’elle est en contact avec la réalité»,
assène Sébastien Caré, politologue à l’université catholique de Lille
et spécialiste du mouvement. Ils pourraient bien, en revanche, avoir
déjà gagné la bataille des esprits. L’été dernier, le New York Times se demandait déjà si «le moment libertarien» était arrivé.
«Cette idéologie, qui a toujours été fortement marginale historiquement, est devenue une réalité concrète avec l’avènement de “l’esprit start-up” ces dix dernières années, observe le philosophe Eric Sadin, auteur de la Vie algorithmique. Cette pensée, fondée sur la conviction que le désir individuel, présenté comme progressiste, prévaut sur tout, dans une indifférence absolue des états et des acquis historiques, a essaimé sur la planète entière. »
Dans la bouche des politiques, des artistes ou des entrepreneurs,
l’adjectif « libertarien » n’a jamais été aussi à la mode. D’ailleurs,
300 000 internautes ont déjà demandé à être naturalisés par le
Liberland, qui ne bénéficie pourtant d’aucune reconnaissance
internationale. « Le moment libertarien que l’on vit actuellement
est plus culturel que politique ou même économique. Les nouvelles
technologies ont donné à la majorité la possibilité d’individualiser sa
vie, de faire ses propres choix », estime Nick Gillespie, co-rédacteur en chef de Reason,
mensuel fondé en 1968 et principal journal d’opinion libertarien aux
Etats-Unis. Malgré un tirage papier modeste de 60 000 exemplaires, le site de Reason attire 4 millions de visiteurs par mois, un chiffre en « augmentation constante »
selon lui. Pour ce fan de punk-rock, enfant de la contre-culture des
années 1960, c’est à travers « l’uberisation » (2) de l’économie,
l’acceptation du mariage gay ou la légalisation du cannabis que se joue « le
passage au XXIe siècle, où chacun aura l’espace nécessaire de décider
pour lui-même, une fois que l’ordre politico-économique actuel se sera
effondré ».
Des stars en renfort
Si la philosophe Ayn Rand, figure tutélaire du mouvement et papesse spirituelle de la Silicon Valley a toujours la cote, «les
libertariens n’ont aujourd’hui plus de grandes figures intellectuelles
de son aura ou de celle de Murray Rothbard dans les années 1950-60, note le politologue Sébastien Caré.
En revanche, de plus en plus de stars revendiquent cette appellation.
Ces idées passent désormais plus à travers la pop culture que
l’intelligentsia».
A l’image des cowboys souvent solitaires de ses films, Clint Eastwood
a longtemps incarné l’image de l’anar de droite isolé dans le marigot
progressiste hollywoodien. « J’ai toujours été libertarien, déclarait l’acteur-réalisateur au Guardian en 2008. Laissons les gens tranquilles. Que chacun fasse ce qu’il veut. Et surtout, qu’on ne se mêle pas des affaires des autres. » L’ancien maire de Carmel (Californie) considère que « donner du pouvoir [aux politiciens] », c’est prendre le risque « qu’ils le détournent aussitôt contre vous ». Avec le temps, l’inspecteur Harry a fait des émules. Vince Vaughn, l’idole des fêtards et star de la série True Detective, est devenu le porte-parole le plus bruyant et inattendu des idées libertariennes. Dans GQ,
il a récemment comparé le port d’armes à la liberté d’expression, comme
moyen d’autodéfense contre un gouvernement abusif. Invité par une
association étudiante libertarienne sur le campus de UCLA en avril, il
assurait que son activisme lui avait valu moult compliments à Hollywood,
malgré l’omerta du milieu. Même le power couple Jolie-Pitt serait
acquis aux thèses libertariennes… Lesquelles semblent imprégner nombre
de succès du box-office de ces dernières années. «A la télévision, tous les shows qui traitent du gouvernement montrent à quel point l’état est néfaste. Dans House of Cards, le président est un meurtrier ! s’enthousiasme Matt Welch, l’autre tête pensante de Reason. Et que dire de la science-fiction adolescente qui cartonne en librairie ! La saga Hunger Games est
farouchement anti-autorité. Ce n’est pas étonnant que les jeunes
générations plébiscitent ces histoires : elles n’ont jamais vu de
gouvernement fonctionner correctement. »
L’attaque des superhéros
Il y a enfin cette obsession contemporaine pour les superhéros,
incarnations littérales de la supériorité individuelle bénéfique à la
société. La trilogie Iron Man n’est-elle pas la démonstration
qu’un entrepreneur milliardaire est plus efficace que l’armée de l’Oncle
Sam pour assurer la paix dans le monde ? Le prochain Avengers de Marvel, intitulé Civil War
et dont la sortie est prévue pour 2016, fait carrément de
l’insoumission des héros en capes au gouvernement le point crucial de
l’intrigue. Après une énième orgie de destruction super-héroïque, les
politiques votent un Superhuman Registration Act pour contrôler
les interventions de Hulk, Spiderman et autres. Et qui s’oppose au
méchant Washington D.C. voulant réglementer l’activité des sauveurs de
l’univers ? Captain America bien sûr. Pour Matt Welch, «la gauche américaine est terrifiée de voir la jeunesse devenir libertarienne». 40% des lecteurs de Reason en ligne ont moins de 35 ans, précise-t-il. Une génération biberonnée aux Indestructibles,
le film d’animation des studios Pixar, bourré de clins d’œil appuyés à
l’idéologie objectiviste et élitiste d’Ayn Rand, et surtout à la satire
de South Park.
Matt Stone et Trey Parker, les créateurs du cartoon à l’antenne
depuis 1997, n’ont jamais fait mystère de l’agenda libéral-libertaire
poursuivis par Cartman et ses potes. « On déteste les conservateurs, mais on hait vraiment les gauchistes », a
lâché un jour Stone, alors que Parker a sa carte au parti libertarien…
Selon Welch, le retour du politiquement correct serait en grande partie
responsable de ce retour de flamme.
« La gauche américaine aujourd’hui n’est pas fun ! On est loin des années 70 et du sexe, drogue et rock’n’roll. Les démocrates sont prisonniers de la bien-pensance. Cette nouvelle rigueur morale de la gauche actuelle pousse de nombreux jeunes vers nous… »
Le philosophe Eric Sadin acquiesce à regret:
«Ils ont réussi à faire croire que leur forme de néo-ultralibéralisme avait une dimension inéluctable, car du côté du cool, de la liberté. Ceux qui ne sont pas d’accord avec eux sont des emmerdeurs crispés ou des rétrogrades : c’est effrayant.»
En France, les libertariens restent discrets. Emmanuel Bourgerie, l’auteur du blog «Le French Libertarien» est un développeur expatrié en Irlande, passé par le parti Pirate et les Verts. Se définissant comme un «électron libre, venu de la gauche», notamment
via la défense des libertés numériques, il reconnaît avoir du mal à se
situer sur l’échiquier politique français, à la recherche d’une
illusoire troisième voie…
Le spécimen hexagonal du mouvement le plus médiatique est
probablement Gaspard Koenig (3), 33 ans. Habitué des plateaux de télé,
cet essayiste tout-terrain à la tête de son propre think-tank préfère le
terme «libéral», plus frenchie, à celui de libertarien. A l’œil nu, la
différence n’est pas flagrante. «On ne peut pas différencier les libertés économiques et sociétales, entre Uber et la GPA », affirme-t-il, rêvant de réconcilier les « juristes barbus et les économistes chauves ». Pour cela, il mise sur une prochaine « uberisation de la politique » par la génération Y… qui sera, ou ne sera pas, libertarienne. —
Guillaume Gendron
(1) Ces économistes, Milton Friedman en tête, étaient de
fervents défenseurs de l’économie de marché, résolument opposés à
l’intervention des états et aux régulations.
(2) Uberisation : néologisme désignant la prédation de
pans entiers de l’économie (comme les taxis avec Uber) par des
entrepreneurs venus du web en faisant fi des régulations et des modèles
existants.
(3) Auteur de le Révolutionnaire, l’expert et le geek, combat pour l’autonomie, éditions Plon, 2015.
FOCUS : L’égoïsme connecté, Made in Silicon Valley
Pendant longtemps, le profil Twitter de Travis Kalanick, PDG d’Uber,
donnait à voir la couverture d’un livre de la romancière américaine Ayn
Rand, intitulé la Source vive. Travis Kalanick n’est pas la
seule figure de la « Valley » à admirer cette auteure peu connue des
Européens, figure d’un libertarianisme radical, hyper-individualiste et
ultra-capitaliste. Peter Thiel, un des créateurs de la solution de
paiement en ligne Paypal et business angel influent,
investisseur précoce de Facebook, est lui aussi un zélote de la
romancière et philosophe. Il lui a d’ailleurs consacré, en 2009, un
dense essai intitulé l’Education d’un libertarien. Peter
Thiel a également soutenu le candidat libertarien Ron Paul à la
présidentielle en 2012 et investi dans le Seasteading Institute, un
projet visant à créer des îles artificielles dans les eaux
internationales uniquement régies par les principes du mouvement.
La liste des héritiers d’Ayn Rand est longue. Parmi eux, Jeff Bezos,
patron d’Amazon, Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia, Elon Musk,
nouvelle coqueluche des médias et boss de Tesla Motors, Scott McNealy,
ancien PDG de l’éditeur de logiciels Sun Microsystems, Craig Newmark,
créateur du site Internet Craigslist, sans parler des promoteurs du
transhumanisme tel Max More…
Figure de proue
Ayn Rand, née en 1905 à Saint-Pétersbourg et décédée à New York en
1982, est considérée outre-Atlantique comme une des penseuses les plus
influentes du XXe siècle. Ses romans phares, la Source vive (1943) et la Grève
(1957), demeurent aujourd’hui des best-sellers, vendus à plusieurs
millions d’exemplaires. Ils posent les fondements de sa philosophie, à
savoir un rejet farouche du collectivisme et la défense d’un « égoïsme
rationnel », pierre angulaire de la réussite et du bonheur. Chez Ayn
Rand, il s’agit de privilégier à tout prix la liberté individuelle sur
l’égalité, l’individu sur le collectif. Cette pensée prend source dans
l’histoire personnelle de la romancière, immigrée russe qui a passé sa
jeunesse en URSS. Marquée au fer rouge par cette expérience et
profondément anti-communiste, elle fut témoin à charge lors des procès
sous le Maccarthysme.
L’adhésion de la Silicon Valley au libertarianisme « randien »
est-elle opportuniste ou s’agit-il d’une conviction profonde ? Un peu
des deux, répond Sébastien Caré, spécialiste de la pensée libertarienne.
« Le libertarianisme satisfait parfaitement les intérêts des patrons de la Silicon Valley, eux qui veulent détruire les structures existantes, considérées comme des entraves à la liberté d’entreprendre, et promouvoir des innovations dites disruptives, explique-t-il. Ils partagent la croyance que les nouvelles technologies sont une promesse d’émancipation de l’individu de toute autorité, couplée à l’idée que l’on s’accomplit en faisant fi du collectif. Il y a également une dimension messianique chez Rand qui séduit ces hommes qui souhaitent véritablement changer le monde. Mais je pense aussi que la Valley est profondément libertarienne, n’oublions pas que la Californie est le berceau du libertarianisme, né dans les années 60 du mariage de la nouvelle gauche, issue de la contre-culture californienne, et du libéralisme classique. »
Le cas d’Uber est emblématique de la volonté de mettre à bas des
secteurs réglementés et protégés par l’état, tout comme l’essor du
BitCoin, cette devise alternative qui s’attaque au monopole des états
sur l’émission de la monnaie. Courant de pensée fourre-tout, éclaté en
de nombreuses chapelles, le libertarianisme s’offre aujourd’hui une
nouvelle vitrine avec la Silicon Valley et, discrètement, infuse la
société. Du reste, ce libertarianisme « high-tech », randien,
heurte-t-il souvent la vieille garde libertarienne, parfois bien
installée dans l’establishment de Washington. Trop tapageur, trop
arrogant et en rupture avec une certaine orthodoxie.
« A titre d’exemple, les libertariens sont généralement contre la propriété intellectuelle alors que les libertariens de la Silicon Valley souhaitent eux que l’état protège leurs brevets, souligne Sébastien Caré. C’est la même chose avec l’immigration, les libertariens sont pour l’ouverture totale des frontières. A l’inverse, Mark Zuckerberg souhaite qu’elle soit réservée aux élites. »
Une vision de la liberté très restrictive en fin de compte.—
Fabien Benoît