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septembre 12, 2015

LA MASSE SALARIALE DE L’ÉTAT par CdC

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



 
LA MASSE SALARIALE DE L’ÉTAT
Enjeux et leviers
Communication à la Commission des Finances du Sénat Juillet 2015

 
Synthèse
1 - Au cours des dernières années, la croissance de la masse salariale de l’État a ralenti, sous l’effet de la baisse des effectifs puis de la modération des rémunérations
La masse salariale de l’État représente 120,8 Md€ en 2014 en comptabilité budgétaire (titre 2), soit 40 % du budget général, dont 81,2 Md€ au titre des rémunérations principales, indemnitaires et accessoires et 39,6 Md€ au titre des cotisations employeur pour le compte d’affectation spéciale Pensions. Elle concerne environ 2 millions d’agents. En y ajoutant les deux autres fonctions publiques (territoriale et hospitalière) et les agents des organismes publics, soit environ 6 millions d’agents au total1, les dépenses de personnel atteignent 278 Md€ en comptabilité nationale en 2014, soit près du quart de la dépense publique et 13 % de la richesse nationale. Le poids de la masse salariale publique dans le produit intérieur brut est plus important en France que dans la plupart des autres pays européens, exception faite des pays scandinaves.
Au cours des dix dernières années, la masse salariale publique a augmenté en moyenne de 2,4 % par an, soit un rythme comparable à celui du secteur privé, mais avec une croissance plus soutenue des effectifs (+ 0,6 % par an en moyenne contre 0,3 % pour le secteur privé) et, à l’inverse, plus modérée des rémunérations (augmentation du salaire moyen de 0,2 % par an en moyenne pour la fonction publique d’État en euros constants, contre 0,5 % pour le secteur privé).
La croissance de la masse salariale publique dans son ensemble masque des évolutions contrastées : elle traduit surtout le dynamisme des effectifs des opérateurs, des collectivités territoriales et des hôpitaux, et, à l’inverse, le recul des effectifs de l’État (résultant en partie seulement des transferts de compétences au profit des collectivités territoriales et des opérateurs).
Ainsi la croissance de la masse salariale de l’État a ralenti (+ 0,5 % par an à périmètre constant en moyenne depuis 2006 contre 2 % par an entre 2000 et 2005). Les mesures retenues par les pouvoirs publics ont, entre 2008 et 2012, porté sur les effectifs avec la révision générale des politiques publiques et le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux (économie de 840 M€ pour une baisse des effectifs de 1,5 % en moyenne par an), renforcée à partir de 2010 par le gel du point d’indice. À partir de 2013, la modération de la politique salariale s’est renforcée, avec, en sus du maintien du gel du point d’indice, la division par presque deux du montant des enveloppes catégorielles, à 300 M€ par an, mais les effectifs n’ont plus diminué.
La masse salariale de l’État a donc été quasiment stabilisée de 2011 à 2013, puis elle est repartie à la hausse en 2014 du fait de la fin des économies liées à la baisse des effectifs. 

1 Les agents de la fonction publique sous statut unifié de 1983 sont au nombre de 5,4 millions fin 2013. S’y ajoutent en comptabilité nationale les personnels employés sous droit public ou droit privé dans certains établissements publics ou les caisses de sécurité sociale. 

Depuis la crise, le ralentissement de la masse salariale publique est moins prononcé en France que dans la moyenne des pays de la zone euro, en particulier les pays d’Europe du sud qui ont, pour certains, fortement réduit l’emploi public et gelé, voire réduit, les rémunérations. Sur la période 2010-2013, le pouvoir d’achat des agents de la fonction publique d’État en poste deux années consécutives a ainsi été préservé, avec une augmentation de 0,5 % par an en moyenne. 

2 - Le respect de la programmation des finances publiques nécessite de dégager au moins 450 M€ d’économies dans le budget de l’État en 2016 et en 2017
Dans un contexte où les effectifs sont stabilisés et la valeur du point d’indice est gelé, la masse salariale augmente du fait notamment de l’avancement des carrières individuelles (glissement vieillesse-technicité, GVT), des mécanismes de garantie du pouvoir d’achat (GIPA) ou de hausse du minimum de traitement, et des effets durables de certains plans catégoriels.
La progression de la masse salariale de l’État qui résulte des mesures prises en 2013 (stabilisation des effectifs, gel du point et réduction des mesures catégorielles) est d’environ 700 M€ par an2. Or le budget triennal 2015-2017, sous-jacent à la trajectoire de la loi de programmation 2014-2019, a pour objectif de limiter sa progression à 250 M€ par an. Le respect du cadrage voté par le Parlement nécessite donc de réaliser chaque année de l’ordre de 450 M€ d’économies supplémentaires par rapport à cette tendance.
Les hypothèses retenues pour réaliser l’objectif apparaissent très fragiles, en particulier l’évolution des effectifs attendue pour les trois années 2015 à 2017 depuis l’annonce de la mise à jour de la loi de programmation militaire, qui va réduire très sensiblement les baisses d’effectifs initialement prévues du ministère de la défense.
Des économies encore plus importantes sont nécessaires pour permettre de dégager des marges de précaution en cas de dépassement des crédits qui résultent de la portée limitée des outils de budgétisation et de pilotage de la masse salariale en cours d’exécution. Depuis 2009, les dépenses de titre 2 ont ainsi été systématiquement supérieures aux crédits votés, une grande partie de ces dépassements étant toutefois imputable aux difficultés propres au ministère de la défense. En complément, il est également nécessaire de limiter les points de fuite, en contrôlant plus étroitement les marges laissées aux opérateurs en termes de politique salariale et de ressources humaines. 

3 - La rénovation de la gestion de la fonction publique impliquerait de dégager des marges de financement supplémentaires
La gestion de la fonction publique présente des caractéristiques qui ne sont pas adaptées à une gestion dynamique et contribuent à réduire l’attractivité d’un grand nombre de carrières.
En particulier, le sommet des grilles est atteint trop rapidement compte-tenu du recul de l’âge de la retraite. En conséquence les écarts de rémunérations se sont trop réduits, ce qui pourrait faire obstacle à l’amélioration de la qualification des agents pour remplir les nouvelles missions dévolues à l’État (plus d’un agent sur deux est désormais en catégorie A 

2 Cette progression correspond au coût des mesures générales (100 M€ par an) et catégorielles (300 M€) et à l’impact du GVT (300 M€).

dans la fonction publique d’État). Par ailleurs, les grilles ont été construites dans un contexte où l’inflation était beaucoup plus élevée qu’aujourd’hui, et confèrent aujourd’hui au GVT un poids relatif très lourd dans la dynamique d’évolution de la masse salariale.
En réponse à la relative rigidité des grilles salariales, les administrations ont mobilisé les outils dont elles disposent : empilement des dispositifs indemnitaires (plus de 1 500 éléments de paye distincts dont les trois quarts ont un coût annuel inférieur à 1 M€), augmentation de la part des primes dans la rémunération (taux de prime moyen de 30 % contre 10 % au début des années 1980), recours croissant aux emplois contractuels (15 % des effectifs de la fonction publique d’État).
Ces mesures ont complexifié la structure des rémunérations et la feuille de paie, entravé la mobilité dans les parcours professionnels et amplifié l’hétérogénéité des régimes indemnitaires entre corps ou entre ministères, sans que les incitations à l’amélioration des performances apparaissent significativement renforcées. Par ailleurs, les agents titulaires de la fonction publique d’État sont en moyenne peu mobiles, et quand ils le sont, c’est rarement à l’initiative de l’employeur (dans seulement 16 % des cas). Or l’évolution des missions et les restructurations nécessaires de certaines administrations exigent que les agents soient mutés ou changent de fonctions dans l’intérêt du service. Les obstacles sont encore nombreux (disparités des régimes indemnitaires entre ministères, taux de cotisation aux régimes de retraites différents entre fonctions publiques, insuffisance de la gestion prévisionnelle des effectifs) et les dispositifs d’accompagnement financier existants sont insuffisants pour les compenser.
Des réformes sont donc nécessaires pour moderniser la gestion des ressources humaines dans la fonction publique: financer le desserrement et l’allongement des grilles et la convergence indemnitaire, moduler les primes en fonction de la performance et inciter à la mobilité dans l’intérêt du service.
Le Gouvernement a récemment fait des propositions en ce sens aux organisations syndicales : relèvement des indices initiaux et terminaux des grilles en contrepartie de l’allongement de la durée passée dans certains échelons, de la conversion de certaines primes en points d’indice et d’une gestion plus stricte des avancements. La réforme des grilles annoncée par le Gouvernement pourrait avoir un coût annuel, net de l’intégration de primes dans la base indiciaire, de 2,5 à 3,0 Md€ pour la fonction publique de l’État et de 4,5 à 5,0 Md€ pour l’ensemble de la fonction publique à l’horizon de 2020. Les mesures d’économie annoncées en contrepartie, dont certaines sont encore imprécises et difficilement chiffrables, seront en toute hypothèse insuffisantes pour compenser totalement ce coût. Des marges de financement supplémentaires seront donc nécessaires pour respecter le cadrage budgétaire.

4 - Il est donc indispensable d’identifier de nouveaux leviers d’économies en matière de rémunérations, d’effectifs et de durée du travail
Le principal enjeu portant sur la masse salariale publique est désormais d’identifier les moyens de financer une politique des ressources humaines dynamique dans la fonction publique, tout en respectant les objectifs de maitrise de la dépense publique que le Gouvernement et le Parlement ont fixés.
Actuellement, l’effort porte essentiellement sur la politique salariale, avec le gel du point d’indice et la diminution des enveloppes catégorielles. Ce choix n’apparaît cependant pas tenable sur longue période, car il risque d’aggraver les disparités entre corps et ministères et le tassement des grilles.
D’autres leviers portant sur les divers éléments de la rémunération pourraient être mobilisés, mais ils pourraient s’avérer insuffisants pour faire face à ces défis et il pourrait alors être nécessaire de les compléter en recourant, dans une proportion qu’il revient au Parlement et au Gouvernement de fixer, à l’instrument que constitue l’évolution des effectifs, en accompagnant cette orientation par une réflexion sur les marges disponibles en matière de durée effective du travail et de rémunération des durées différentes de la durée légale.
S’agissant des divers éléments de la rémunération mobilisables, la Cour s’est attachée à présenter une série de leviers possibles, sous forme d’une « boite à outils ». Il ne lui appartient en revanche pas de déterminer leur combinaison optimale pour atteindre les objectifs budgétaires fixés par la loi de programmation.
Jusqu’à présent, les déterminants individuels de la rémunération que sont certaines primes et indemnités et les règles d’avancement des carrières ont été peu mobilisés pour dégager des économies. En particulier, de nombreuses primes et indemnités restent indexées sur la valeur du point (95 % du titre 2 au total) : pour limiter le coût d’un éventuel dégel futur du point, l’évolution de certaines d’entre elles pourrait être désindexée. Par ailleurs, le ciblage du minimum de traitement (65 M€ pour le budget de l’État lors de la dernière revalorisation en 2013) et de la GIPA (140 M€ en 2014) est en décalage avec les objectifs fixés à ces deux dispositifs : en alignant le minimum de traitement brut sur le SMIC brut, certains agents en bas de grilles ont une rémunération nette plus élevée que le SMIC net du fait des primes et indemnités qu’ils perçoivent en plus de leur traitement; de même, la GIPA compare l’évolution du traitement indiciaire à l’inflation, sans tenir compte de l’augmentation éventuelle des primes et indemnités sur la même période. Un meilleur ciblage des dispositifs pourrait conduire à inclure dans la base de calcul de ces deux dispositifs les primes et indemnités récurrentes.
Certains compléments de rémunération, dont la définition est ancienne, l’architecture inadaptée et le coût significatif, pourraient être rénovés pour mieux répondre à leurs objectifs. Tel est le cas notamment de l’indemnité de résidence versée aux fonctionnaires résidant sur le territoire national (0,5 Md€ en 2014 pour la fonction publique d’État), dont le zonage est en décalage avec les écarts de coût de la vie, et dont le bénéfice pourrait être réservé à l’Île-de- France et supprimé pour les entrants dans les autres régions ; tel est le cas également du supplément familial de traitement (770 M€ en 2014 pour les fonctionnaires résidant en métropole et en outre-mer) qui fait double emploi avec la politique familiale de droit commun et pourrait donc être mis en extinction ; enfin les majorations outre-mer (1,2 Md€ en 2013) pourraient être réduites pour seulement compenser le différentiel de coût de la vie avec la métropole et mieux tenir compte de la difficulté d’exercice de certaines missions. Des propositions en ce sens sont sur la table depuis plusieurs années sans que les pouvoirs publics n’aient pris de décisions, ni inclus ces mesures dans une architecture de rénovation d’ensemble des rémunérations.
La progression individuelle des carrières est aujourd’hui le déterminant le plus important de l’augmentation des rémunérations, le GVT positif représentant 1,2 Md€ par an pour le budget de l’État. Les règles d’avancement, encore largement automatiques, pourraient être amendées en limitant les taux de « promu-promouvables » et les réductions d’ancienneté, en réservant le bénéfice de l’avancement à l’ancienneté minimale aux agents qui obtiennent les meilleurs résultats, en contingentant plus souvent l’accès aux grades terminaux, et en supprimant les « coups de chapeau » qui permettent à certains agents de partir en retraite sur la base de rémunérations majorées grâce à une promotion accordée six mois avant le départ en retraite sans que cette promotion soit justifiée par leurs états de service.
Pour ne pas faire porter l’intégralité de l’effort sur les rémunérations, déjà largement sollicitées sur la période récente, la politique de recrutement de l’État, qui est un levier porteur d’économies importantes, pourrait être utilisée. Déjà mise en œuvre par le passé avec le non- remplacement d’un départ à la retraite sur deux, la baisse des effectifs a permis de dégager une économie cumulée de 4,2 Md€ entre 2008 et 2012, économie qui n’a pas été amputée par la politique de « retour catégoriel » puisque le montant total des enveloppes allouées à la rétrocession des gains de productivité aux agents est restée inchangée autour de 500 M€ par rapport à la période précédente (2002-2007).
À titre illustratif, la reprise d’un objectif de non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux permettrait une économie annuelle d’environ 750 M€. Pour dégager les économies nécessaires au respect du cadrage budgétaire du budget triennal 2015-2017, une économie moitié moindre serait suffisante. Un tel effort ne peut néanmoins s’envisager qu’à la condition de mener une réflexion approfondie sur l’évolution du périmètre des missions des administrations concernées, sur les sources des gains de productivité et sur l’organisation du travail via une gestion prévisionnelle renforcée de l’emploi et des compétences.
À missions inchangées, une évolution de la durée effective du travail, dans une période de baisse des effectifs, pourrait contribuer à maintenir la qualité du service rendu par l’administration. Or, la durée effective de travail dans la fonction publique demeure très mal connue, le bilan du passage aux 35 heures n’ayant jamais été établi. De plus, de nombreux agents travaillant selon des organisations du travail spécifiques (enseignants, policiers, etc.), le temps de travail est très hétérogène d’une administration à l’autre.
L’exploitation des données de l’enquête emploi de l’INSEE suggère que les agents de la fonction publique d’État travailleraient en moyenne par an l’équivalent de la durée légale, et une centaine d’heures de moins environ que ceux du secteur privé en raison d’un nombre plus important de jours de congés. Mais ces moyennes masquent des situations contrastées selon les administrations, des enquêtes de la Cour ayant montré que certaines sont dans les faits plus favorables aux agents, en particulier dans certaines collectivités locales. Mettre fin aux pratiques non conformes à la législation sur la durée du travail permettrait d’améliorer l’organisation du travail dans un contexte de ressources budgétaires limitées.
Par ailleurs, d’autres dispositions relatives à la durée du travail peuvent entraîner des coûts qui pourraient être réduits : le remplacement des absences, le paiement des heures supplémentaires (1,5 Md€ en 2013), le remboursement des jours épargnés sur les comptes épargne-temps (70 M€ en 2013) ou encore la sur-rémunération du temps partiel à 80 et 90 % (environ 300 M€). Certaines de ces dépenses pourraient être plus étroitement vérifiées, en particulier les absences répétées et non justifiées et l’accumulation peu contrôlée de jours de congés non pris. Certaines réformes de structure pourraient limiter le recours aux heures supplémentaires dans l’enseignement alors que les effectifs sont en augmentation. Enfin, il n’existe pas de réelle justification à la sur-rémunération du temps partiel à 80 et 90 %, qui pourrait donc être supprimée pour l’avenir.
Ces différents leviers d’action sont complémentaires, et leur mise en œuvre, selon une combinaison qui relève de la responsabilité du Gouvernement et du Parlement, permettrait de garantir à la fois le respect des objectifs de consolidation budgétaire à court terme et de rénovation des carrières à plus long terme.
La Cour souligne enfin que les efforts de maîtrise de la masse salariale publique ont jusqu’à présent été principalement réalisés par l’État, alors qu’ils sont indispensables au respect de la trajectoire d’évolution des finances publiques qui concerne toutes les administrations publiques. Une attention particulière devrait donc être désormais accordée à la gestion des fonctions publiques territoriale et hospitalière, notamment pour y ralentir la progression des effectifs, y réduire les avancements automatiques et y faire respecter la réglementation de droit commun relative à la durée du travail.

Par la présente communication, la Cour souhaite pouvoir contribuer à la réflexion d’ensemble sur les moyens de concilier les contraintes budgétaires avec une gestion plus attractive des carrières de la fonction publique. S’il ne lui appartient pas de déterminer l’équilibre entre les mesures relatives aux rémunérations, aux effectifs et à la durée du travail, l’enquête a mis en évidence un certain nombre de leviers de maîtrise de la masse salariale susceptibles de contribuer à financer une dynamisation de la gestion de la fonction publique dans le respect du cadrage budgétaire :
  1. la réduction du nombre de primes et indemnités indexées sur la valeur du point d’indice ;
  2. la prise en compte des primes et indemnités récurrentes pour aligner la rémunération globale brute des agents à l’indice du minimum de traitement sur le SMIC brut ;
  3. la limitation du bénéfice de la garantie individuelle du pouvoir d’achat aux agents dont le traitement indiciaire brut et la rémunération globale primes et indemnités récurrentes incluses ont évolué moins vite que les prix ;
  4. la limitation du bénéfice de l’indemnité de résidence aux fonctionnaires travaillant en Île-de- France ; pour les agents hors Île-de-France, le montant perçu pourrait être gelé au niveau actuel et l’indemnité de résidence supprimée pour les nouveaux agents ;
  5. la mise en extinction progressive du supplément familial de traitement ;
  6. la modification des pratiques d’avancement individuel en baissant les taux de promus-promouvables, en rendant plus fréquents les examens professionnels pour certaines promotions, et plus sélectifs l’attribution des réductions d’ancienneté et l’avancement à l’ancienneté minimale ;
  7. la reprise de la baisse des effectifs de l’État, dans le cadre d’une réflexion sur le périmètre des missions de service public, et le freinage de leur progression dans les autres fonctions publiques ;
  8. le réexamen des régimes de temps de travail dérogatoires aux 1 607 heures, afin d’en apprécier la justification et l’arrêt des pratiques non conformes ;
  9. la mise en extinction du dispositif de sur-rémunération du temps partiel à 80 % et à 90 %, en limitant le bénéfice aux autorisations de temps partiel en cours.
 
 


Introduction
Avec deux millions d’agents, l’État est le premier employeur de France. Les rémunérations qu’il verse s’élèvent à 120,8 Md€ pour le budget général en 2014, dont 81,2 Md€ pour les dépenses de personnel hors pensions. En y ajoutant les trois millions d’agents qui travaillent pour d’autres employeurs publics (opérateurs, hôpitaux, collectivités territoriales), la masse salariale représente un quart de la dépense publique.
Du fait de son poids et de sa dynamique, la maîtrise de l’évolution de la masse salariale est un enjeu majeur de la maîtrise de la dépense publique, appelant une réflexion et des mesures ciblées pour concilier des carrières attractives avec un impératif de soutenabilité budgétaire. Pour répondre à la demande de la Commission des finances du Sénat, la Cour s’est attachée à examiner les paramètres nécessaires au respect du cadrage budgétaire tout en dégageant des marges de financement pour rénover la gestion de la fonction publique :
  • -  pour respecter le cadrage que se sont fixés le Gouvernement et le Parlement dans les lois de programmation des finances publiques successives, des mesures importantes ont déjà été prises : réduction puis stabilisation des effectifs, gel du point d’indice, maîtrise des plans catégoriels, etc. Ces mesures devront être complétées pour respecter la trajectoire retenue par les pouvoirs publics dans la loi de programmation de décembre 2014, qui limite à 250 M€ par an la progression de la masse salariale de l’État ;
  • -  à l’enjeu budgétaire s’ajoute un enjeu de gestion des ressources humaines, qui se pose avec de plus en plus d’acuité et fait l’objet d’une négociation avec les partenaires sociaux. Avec des grilles souvent héritées d’une architecture construite il y a plusieurs décennies, la plupart des administrations sont aujourd’hui confrontées à un contexte nouveau : recul de l’âge de la retraite, hausse du minimum de traitement, augmentation relative de la part des primes, évolution de la structure des qualifications, etc. La réduction de l’amplitude des grilles ainsi que l’hétérogénéité des parcours professionnels et des régimes indemnitaires appellent une modernisation de la gestion des ressources humaines. De telles réformes peuvent néanmoins être relativement coûteuses, impliquant d’identifier des marges de financement allant au-delà de celles nécessaires pour respecter le cadrage de la loi de programmation.
    Après un premier chapitre qui présente les principales données sur la masse salariale, le chapitre II détaille ce double objectif, et le chapitre III explore les leviers pouvant permettre de dégager des marges de manœuvre pour financer la rénovation des carrières dans le respect d’un cadrage budgétaire durablement contraint. Ces leviers portent sur les rémunérations, les effectifs et la durée du travail.
    Le présent rapport s’inscrit dans la continuité de la communication de la Cour de septembre 2010 à la Commission des finances de l’Assemblée nationale sur « les conditions d’une stabilisation en valeur de la masse salariale de l’État » ainsi que des rapports sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2012, 2013 et 2014.
    Il entend contribuer à la réflexion d’ensemble sur les contraintes budgétaires et leur articulation avec une gestion attractive des carrières de la fonction publique, ainsi que sur les leviers disponibles pour dégager des marges de financement suffisantes pour atteindre ces deux objectifs.
Il n’appartient pas à la Cour de faire des préconisations sur le bon équilibre à trouver entre ces leviers, qui est du ressort du Parlement et du Gouvernement. Lors de son instruction, elle a néanmoins identifié certains leviers qui pourraient contribuer à financer une dynamisation de la gestion de la fonction publique dans le respect du cadrage budgétaire. Ils sont présentés sous la forme d’une boite à outils à la disposition du Gouvernement et du Parlement.
Enfin, si l’analyse de la Cour est centrée en priorité sur la masse salariale de l’État, les effectifs et les rémunérations du secteur public concernent un périmètre plus large, en particulier les opérateurs de l’État, les collectivités territoriales et les hôpitaux. En conséquence, les développements qui suivent resituent, chaque fois que possible, les analyses dans un contexte plus large en faisant état des données relatives aux agents des autres fonctions publiques.



Différentes conclusions pour faire court 

  1. La masse salariale :
    déterminants et évolutions récentes


    _______________________________CONCLUSION ______________________________
    La masse salariale des administrations publiques pèse pour près d’un quart de la dépense publique, avec des effectifs qui représentent un emploi sur cinq en France.
    Sur la dernière décennie, l’évolution de la masse salariale publique a été comparable à celle du secteur privé. L’augmentation des effectifs du secteur public plus rapide que celle de l’emploi total a été compensée par une progression des salaires moins dynamique.
    Le ralentissement de la masse salariale depuis la crise de 2008-2009 a été moins prononcé en France que, en moyenne, dans les autres pays de la zone euro (en particulier dans les pays du sud), ce qui tient surtout à une croissance des salaires demeurée un peu plus rapide. En pourcentage du PIB, la masse salariale publique était en France en 2013 plus élevée que dans la plupart des autres pays de l’OCDE, à l’exception des pays scandinaves.
    Malgré la réduction des effectifs de l’État depuis le milieu des années 2000, qui a tiré parti du départ en retraite des générations du baby-boom, sa masse salariale à périmètre constant (hors contributions au CAS Pensions) a continué de progresser en valeur sous l’effet de la progression des rémunérations. Même si son rythme a fortement ralenti ces trois dernières années, l’objectif du budget triennal 2011-2013 d’une baisse de 0,15 % n’a pas été atteint. 
    Malgré le gel du point d’indice depuis 2010, les agents ont continué à bénéficier en moyenne de gains de pouvoir d’achat, principalement grâce aux avancements individuels et au dynamisme des primes et indemnités. La progression des rémunérations dans le secteur public a néanmoins ralenti plus fortement depuis la crise de 2008-2009 que dans le secteur privé.
    La baisse des effectifs de l’État a été plus que contrebalancée par le dynamisme des recrutements des autres administrations publiques, opérateurs et collectivités locales en tête. Au-delà des transferts de personnels importants réalisés sur la période, leurs effectifs ont continué de croître, sans réussir à dégager des gains de productivité suffisants. De même, l’augmentation des effectifs de la fonction publique hospitalière est restée significative.




Un double objectif :
respecter un cadre budgétaire exigeant, dynamiser la gestion de la fonction publique


_______________________________CONCLUSION ______________________________
La croissance tendancielle de la masse salariale de l’État qui résulte de la stabilisation des effectifs et de la politique salariale mise en œuvre en 2013, comme celle qui résulte de la politique suivie dans les années 2002-2012, s’élève à environ 700 M€ par an. Dans ces conditions, des économies supplémentaires de l’ordre de 450 M€ seront nécessaires en 2016 et en 2017 pour respecter le budget triennal de l’État 2015-2017. Or celles qui sous-tendent celui-ci sont peu réalistes, du fait principalement du risque que font peser les décisions récentes en matière de défense sur l’objectif de stabilisation des effectifs, et des économies peu probables attendues sur les dépenses d’opérations extérieures et sur les heures supplémentaires à l’éducation nationale.
Le strict respect de la trajectoire budgétaire pluriannuelle arrêtée par le Gouvernement implique de plus de disposer d’outils de prévision et de pilotage solides. Or, s’ils ont été renforcés ces dernières années, ces outils présentent aujourd’hui encore d’importantes fragilités. Les économies nécessaires devront donc également contribuer à restaurer des marges de précaution pour faire face au risque de dépassement des crédits.
Au-delà des efforts nécessaires au strict respect de la trajectoire budgétaire fixée par la loi de programmation, des économies complémentaires devront aussi être réalisées dans les prochaines années pour gager le coût de réformes indispensables à une modernisation de la gestion des ressources humaines dans les administrations publiques.
Les grilles salariales et les parcours professionnels gagneraient en effet à être rénovés pour réduire leur hétérogénéité entre corps et ministères, desserrer les échelons au bas des échelles de rémunérations, rendre les avancements et promotions moins automatiques et adapter les fins de carrière à des départs en retraite plus tardifs. Les récentes propositions du Gouvernement pour revaloriser les grilles vont dans le sens de cette nécessaire rénovation. Les mesures d’économies envisagées en contrepartie et le léger allongement des carrières prévu ne compenseront cependant que partiellement le coût de cette réforme, nécessitant d’identifier des financements complémentaires.
Une simplification des régimes indemnitaires est également souhaitable, pour rapprocher les régimes et réduire les disparités entre corps et ministères. Les primes et indemnités sont encore faiblement modulées en fonction des performances.
La mobilité des fonctionnaires titulaires est faible et résulte plus souvent de leur souhait que de l’intérêt du service. La mobilité dans l’intérêt du service, qui est une contrepartie de la sécurité de l’emploi, pourrait être renforcée en l’inscrivant dans le cadre d’une gestion prévisionnelle modernisée des effectifs, des emplois et des compétences. Cette évolution serait favorisée par des dispositifs indemnitaires d’accompagnement des restructurations mieux ciblés.
Le double objectif de respect de la trajectoire des finances publiques et de rénovation de la gestion de la fonction publique devrait être poursuivi de concert. Cela impose d’ identifier de nouveaux leviers d’ économies pour dégager les marges de manœuvre nécessaires. Il est en effet souhaitable de financer à court terme les réformes structurelles qui permettront de garantir l’attractivité des carrières à long terme, tout en respectant le cadrage budgétaire durablement contraint – la masse salariale représentant le quart des dépenses publiques.
Ces leviers, passés en revue dans le chapitre suivant, devront s’appliquer non seulement à la masse salariale de l’État mais également à celle des collectivités territoriales et des hôpitaux, dont les efforts de maîtrise de leurs dépenses de personnel ont jusqu’à présent été sensiblement moins importants.



Les leviers de maîtrise de la masse salariale
 
_______________________________CONCLUSION ______________________________
Pour limiter la progression de sa masse salariale, l’État a ces dernières années eu successivement recours à des baisses d’effectifs et à une politique de modération salariale.
Depuis 2010, les efforts sur les rémunérations ont été privilégiés, avec le gel du point qui touche l’ensemble de la fonction publique, puis plus récemment la baisse des enveloppes catégorielles pour l’État, alors que la baisse des effectifs s’est interrompue en 2013. Ce sont désormais les avancements individuels, complétés par la GIPA, qui maintiennent le pouvoir d’achat des agents. Bien qu’importants, ces efforts restent à eux seuls insuffisants pour rapprocher la progression de la masse salariale de l’État des objectifs fixés dans la loi de programmation des finances publiques de décembre 2014. Les efforts de l’État sont a fortiori insuffisants pour ralentir significativement la progression de la masse salariale publique dans son ensemble, et pour dégager des marges de manœuvre suffisantes pour financer la rénovation des grilles indiciaires et favoriser la convergence indemnitaire.
Dans ce contexte, des mesures complémentaires permettraient de garantir une évolution soutenable de la masse salariale de l’État.
Certaines marges d’économie pourraient encore être cherchées du côté des rémunérations. Le coût d’un futur dégel du point, au-delà du prochain budget triennal, pourrait ainsi être en partie modéré par la désindexation de certaines primes et indemnités, et au moins partiellement financé par l’inclusion des primes et indemnités dans la base de calcul de la GIPA et du minimum de traitement. Certains dispositifs indemnitaires communs à l’ensemble des fonctionnaires mériteraient d’être remis en question afin de rationaliser un système dont la cohérence a souffert de l’empilement successif des dispositifs. C’est en particulier le cas de l’indemnité de résidence, qui pourrait être réservée aux agents résidents en Île-de-France, et du supplément familial de traitement qui pourrait être mis en extinction car il fait double emploi avec la politique familiale de droit commun. A grilles inchangées, les règles d’avancement pourraient être harmonisées entre corps et entre fonctions publiques, tout en limitant les automatismes, qui accroissent le dynamisme du glissement vieillesse- technicité. L’enjeu est d’autant plus important que l’inflation est actuellement faible.
Dans ces conditions, les leviers de la baisse des effectifs pour l’État et les opérateurs et du ralentissement sensible des embauches dans les autres fonctions publiques pourraient significativement contribuer à ramener la progression de la masse salariale vers un taux de croissance proche des objectifs de la loi de programmation. S’agissant de l’État et compte tenu de la réduction des suppressions de postes au ministère de la défense, la baisse des effectifs sera toutefois difficile sans remise en cause partielle des créations d’emplois dans les ministères prioritaires.
Une baisse des effectifs devrait s’accompagner en amont d’une réflexion sur le périmètre de l’action publique, les moyens consacrés aux missions et le partage de celles-ci entre les différentes entités publiques. Des travaux approfondis pour identifier les gains de productivité et les besoins en emplois et qualifications futurs sont également souhaitables pour cibler les baisses d’effectifs.
Une évolution de la durée effective du travail pourrait également faciliter l’adaptation des administrations à des ressources plus contraintes sans dégrader le service rendu. En effet, bien que l’information soit parcellaire, il semblerait que la durée effective du travail dans la fonction publique soit dans certains cas inférieure à la durée légale, notamment dans les collectivités locales. Cette question mériterait d’être approfondie, en établissant rapidement un bilan circonstancié de la durée effective du travail dans la fonction publique.
 
 
Conclusion générale
La masse salariale compte pour près d’un quart des dépenses publiques, avec des effectifs qui représentent un emploi sur cinq en France, la proportion la plus importante dans l’OCDE derrière celle des pays scandinaves.
Le modèle français de carrière des agents du secteur public est plus rigide que dans d’autres pays, ce qui a des conséquences en matière de maîtrise de l’évolution de la masse salariale. D’autres modèles ont permis d’assurer une gestion à la fois plus efficace et plus économe de l’emploi public. Certains pays ont ainsi mené au cours des dernières années des réformes pour décentraliser en partie la gestion des agents, et renforcer la part des rémunérations ou des avancements indexée sur la performance individuelle ou collective (par exemple en Autriche ou au Portugal). Les baisses d’effectifs ciblées en fonction des gains de productivité, évalués à l’aide de revues des dépenses approfondies, ont été durables (par exemple dans les pays scandinaves ou au Royaume-Uni). Certains pays ont également réformé la structure de la fonction publique pour assurer une gestion plus souple des agents (par exemple en Allemagne, en Italie ou en Irlande).
Si la croissance de la masse salariale publique a ralenti en France depuis la crise de 2008-2009, ce ralentissement est moins net que dans la moyenne des pays de la zone euro. Il tient essentiellement aux dépenses de personnel de l’État sous l’effet d’une réduction des effectifs de 2008 à 2010, les mesures salariales étant restées aussi dynamiques qu’auparavant, d’une réduction des effectifs conjuguée à un gel du point de 2010 à 2012, puis d’une modération salariale en 2013 et 2014, avec notamment le gel du point et la diminution des enveloppes catégorielles, les effectifs étant désormais stabilisés.
Cette gestion des ressources humaines devrait être fortement infléchie pour atteindre deux objectifs majeurs que s’est fixés le Gouvernement.
Le premier est de respecter la programmation des finances publiques. Le budget triennal de l’État pour 2015-2017 retient une progression de 250 M€ par an de la masse salariale alors que la politique mise en œuvre depuis 2013 entraîne une croissance tendancielle estimée à 700 M€. Des économies sont nécessaires chaque année pour un montant de 450 M€, s’agissant de l’État, et pour un montant deux fois plus élevé, s’agissant des autres administrations publiques, pour respecter cette programmation. Elles devraient même être encore plus importantes pour s’assurer contre les risques de dépassement des objectifs tenant aux fragilités des outils de budgétisation et de pilotage de la masse salariale, en particulier de celle des administrations publiques autres que l’État. Les annonces récentes concernant le renforcement des effectifs de sécurité et de défense fragilisent grandement le respect de cette trajectoire car elles impliquent d’identifier dans les autres ministères des économies au-delà de 450 M€ par an.
Le deuxième est de corriger les inconvénients des politiques salariales menées au cours des dernières années : les grilles salariales et les conditions d’avancement sur ces grilles réduisent l’attractivité des parcours professionnels dans certains corps de la fonction publique ; les régimes indemnitaires sont trop hétérogènes et n’incitent pas à une amélioration des performances ; la mobilité des fonctionnaires dans l’intérêt du
service est insuffisante. Le Gouvernement a récemment fait des propositions pour rénover les grilles en réévaluant les progressions indiciaires. Si de telles réformes sont nécessaires, elles peuvent être relativement coûteuses, et les contreparties annoncées à ce jour seront vraisemblablement insuffisantes pour assurer leur financement.
Pour financer ces réformes, des marges budgétaires supplémentaires devraient donc être dégagées.
La politique salariale menée actuellement, avec le gel prolongé du point et une limitation des mesures catégorielles aux seuls « coups partis », ne pourra pas être prolongée indéfiniment et sera insuffisante pour financer ces réformes. D’autres leviers doivent donc être identifiés pour maitriser l’évolution de la masse salariale publique :
  • −  les rémunérations, en examinant les marges encore disponibles pour les rendre plus équitables et plus incitatives à la performance. Les leviers examinés comprennent l’inclusion des primes et indemnités dans les bases de calcul de la garantie individuelle de pouvoir d’achat (GIPA) et du minimum de traitement, une rénovation de certaines rémunérations accessoires (ciblage de l’indemnité de résidence, suppression du supplément familial de traitement, révision des majorations outre-mer) et une diminution des automatismes dans les avancements de carrière (réductions d’ancienneté, taux de promus-promouvables, etc.) ;
  • −  les effectifs, dont une maîtrise accrue permettrait de dégager des marges budgétaires pour financer la modernisation de la gestion des ressources humaines, les mesures salariales précédentes ne pouvant probablement y suffire à elles seules. Alors que l’État a fortement ralenti leur progression, les opérateurs, les collectivités locales et les hôpitaux ont maintenu une politique de recrutement dynamique. Une reprise de la baisse des effectifs de l’État assortie d’efforts accrus des autres administrations publiques permettrait de mener une politique salariale moins contrainte. Pour éviter une politique de « rabot », la maîtrise des effectifs devrait reposer sur des gains de productivité structurels soigneusement identifiés, et sur une réflexion sur le périmètre des missions et leur répartition entre les niveaux d’administrations ;
  • −  pour maintenir la qualité des services publics, les marges existantes portant sur la durée effective du travail, qui semble inférieure à la durée légale dans certains services, pourraient également être explorées.
    Seule une combinaison équilibrée de mesures peut à la fois se traduire par des économies budgétaires et une gestion adaptée des ressources humaines dans l’administration, permettant d’assurer la quantité et de la qualité des services publics offerts. Ce rapport s’est efforcé de présenter les leviers d’action sous la forme d’une «boite à outils» à disposition du législateur auquel il revient de choisir les combinaisons permettant de respecter et de rendre compatibles les objectifs qu’il s’est fixés.
    Les arbitrages à faire, tant pour la politique salariale que pour la gestion des effectifs, témoignent de la difficulté à concilier les exigences de consolidation de court terme avec les mesures les plus efficientes à long terme, mais dont le coût immédiat est potentiellement non négligeable. Il importe que les mesures susceptibles d’être prises pour limiter la progression de la masse salariale ces prochaines années, notamment en réexaminant le bien-fondé de nombreux dispositifs mal ciblés, coûteux et peu efficaces, dégagent des marges budgétaires suffisantes pour mettre en œuvre les réformes favorables à l’attractivité de long terme de l’administration tout en assurant la soutenabilité des finances publiques.
Conformément à la demande adressée à la Cour par la Commission des finances du Sénat, ce rapport s’est concentré sur la masse salariale de l’État. Ce dernier a déjà fourni des efforts notables pour maîtriser la progression de sa masse salariale ces dernières années. Cependant, ainsi que l’illustre le premier chapitre, il ne représente qu’une partie de l’enjeu qui pèse sur la masse salariale publique. En effet, les autres administrations que sont les opérateurs de l’État, les collectivités territoriales et les hôpitaux ont contribué de manière déterminante à la poursuite de l’augmentation de la masse salariale publique ces dernières années, notamment du fait de la dynamique constante de leurs effectifs.
La loi de programmation des finances publiques concernant toutes les administrations, et les mesures de rénovation des carrières ayant vocation à s’appliquer aux agents des trois fonctions publiques, les efforts en matière de rémunérations, d’effectifs et de temps de travail devraient être équitablement partagés entre toutes les administrations publiques.
 
Consulter le rapport dans le détail ici
Cour des Comptes




juillet 08, 2015

ÉGALITARISME la pensée unique qui tient tête en socialie Vs ÉGALITÉ

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


Sommaire:

A) Le délire égalitaire - par Jacques Garello - Aleps

B) Les "faites ce que je dis, pas ce que je fais" de l’État - Bertrand Nouel - IFRAP

C) Égalité de Wikiberal

D) 1984 d'Orwell n'était pas censé être un manuel de philosophie - Par Damien Theillier - la tribune.fr

 
 
A) Le délire égalitaire
 
Après le « rapport » Picketty, voici maintenant l’OCDE qui propose un classement sur les inégalités sociales, qui place la France en mauvaise position : le pays où les pauvres s’appauvrissent parce que les riches s’enrichissent.

Il est indispensable de voir de l’inégalité partout, les médias et la classe politique s’en régalent. En voici dans l’école, et c’est pourquoi il faut faire la réforme des collèges : « les fils d’ouvriers sont aujourd’hui pénalisés », a-t-on argumenté. En voilà dans le pouvoir d’achat : au lieu d’imposer l’austérité, dont seuls souffrent les ménages déshérités, il faut revenir à une redistribution plus généreuse et faire supporter les sacrifices à ceux qui ont les moyens. En voilà encore dans les relations entre hommes et femmes : pourquoi des écarts de salaires de cette importance, pourquoi des discriminations suivant le « genre », alors que le mariage et l’enfant doivent être pour tous ? En fait, l’égalitarisme est une excellente façon de lutter contre le système économique et contre la société injuste qu’il engendre. C’est aussi un prétexte pour procéder à des réformes de nature à déstructurer le pays, à détruire la famille, la justice, la propriété, l’enseignement.

Finalement, on comprend bien le savant équilibre que recherche le gouvernement : d’un côté, pour calmer les classes moyennes et Bruxelles, quelques réformes économiques de façade – la loi Macron est présentée comme une inflexion spectaculaire de la politique ; d’un autre côté, pour apaiser la gauche et les frondeurs, le sale travail de déstructuration. C’est Taubira et Vallaud Belkacem plus Macron et Valls.


Or l’égalitarisme est une fable tragique. C’est une fable puisque la mesure des inégalités est faite d’artifices. Picketty lui-même a battu sa coulpe et a reconnu les erreurs de sa magistrale démonstration. Les chiffres de l’OCDE ne sont pas significatifs quand ils comparent des choses qui ne sont pas comparables : ignorance du « coin fiscal » (écart entre nominal et net), des aides en nature (accès au logement, allocations diverses, etc.), de la structure des familles. Enfin, le projecteur braqué sur les inégalités oublie deux choses fondamentales.

La première est que ce n’est pas l’inégalité qui importe, mais la promotion. Il y aura toujours des riches et des pauvres, mais l’essentiel est de savoir quelles chances ont les pauvres de devenir riches ; que l’ascenseur social soit bloqué en France et que des millions de Français aient perdu l’espoir de vivre mieux, c’est plus important que de savoir s’il y a aujourd’hui des riches et des pauvres. Il n’y a plus chez nous l’équivalent du « rêve américain », cette puissante impulsion qui a poussé des millions d’étrangers (comme mes grands parents italiens) à émigrer vers la France. Une éducation qui travaille au nivellement par le bas, une fiscalité qui ruine ceux qui réussissent et épargnent, une redistribution qui subventionne l’absentéisme, la tricherie, et qui enracine le peuple dans l’assistanat : voilà de quoi créer de nouveaux pauvres. L’inégalité ne peut se déduire de mesures statiques.

La deuxième chose est que l’inégalité n’est pas a priori une tare. Hayek l’a fortement souligné (Le mirage de la justice sociale) : les riches sont souvent porteurs d’innovation, parce qu’ils peuvent se permettre d’explorer des voies hors de portée de la plupart des gens, Aux Etats Unis, les gens qui se sont enrichis sont des entrepreneurs, des créateurs : leur promotion vient des services rendus à la communauté. C’est ainsi que le capitalisme permet d’engendrer le progrès social : le profit prend son sens et sa légitimité parce qu’il crée de la richesse pour tous.

Mais il s’agit du vrai capitalisme, fondé sur la libre entreprise et le libre échange. Or en France c’est souvent l’argent public qui enrichit, chez nous règne le capitalisme de connivence, né de l’alliance du monde des affaires et de la classe politique, qui assure des rentes et privilèges injustifiés. Bastiat le disait : « Je ne crois pas que le monde ait tort d’honorer le riche ; son tort est d’honorer indistinctement le riche honnête homme et le riche fripon. » Chez nous les fripons sont nombreux, comme dans tout régime étatisé. L’égalitarisme se nourrit de cette tare. Ainsi naît l’idée que l’économie est un jeu à somme nulle, les uns ne gagnant qu’aux dépens de ceux qui perdent – une idée en phase avec la propagande marxiste qui sème la haine contre les possédants, les patrons et les actionnaires.
Notre devoir est de lutter contre cette propagande, de faire connaître la vérité sur les vraies et les fausses inégalités, d’éviter l’affrontement généralisé, d’arracher l’envie du cœur d’un peuple qui ne cesse de regarder dans « le jardin du voisin » (Fourastié en écho de Tocqueville). Je salue comme une première étape de cette croisade l’initiative de Bernard Zimmern et de son Institut qui tiendra à Paris prochainement un colloque sur « L’imposture Picketty : les riches sont-ils le problème ou la solution ? ». Politiquement corrects s’abstenir.

par Jacques Garello - Aleps

B) Les "faites ce que je dis, pas ce que je fais" de l’État

Dans la série « Faites ce que je dis, pas ce que je fais », l’État et la sphère publique en général ne sont jamais à court de nouveautés. Pourquoi se font-ils prendre la main dans le sac, si l’on ose dire, si régulièrement ? Parce que, particulièrement dans la règlementation du travail, ils ne se considèrent pas comme des employeurs ordinaires, à l’abri d’un statut spécifique, survivance d’un passé qui n’a pas de raison d’être. En tout cas, cette situation n’est alternativement ni du goût des salariés du secteur privé, ni de celui des salariés du secteur public. Une disparité de statut que rien ne justifie plus. Nous passons en revue les cas du CDD, des dividendes, du smic, de la pénibilité, du temps de travail, des 35 heures et de la gestion des RTT. Bien sûr, il y a d’autres exemples, que nos lecteurs pourront à loisir signaler.

Les CDD

D’utilisation sévèrement limitée pour le secteur privé, les CDD vont pouvoir être renouvelés deux fois en application de la future loi Macron. Mais attention ! la durée totale ne pourra toujours pas excéder les 18 mois déjà applicables. Le cadeau, si cadeau il y a, est donc fort limité. Mais chez les fonctionnaires, le CDD peut être conclu pour trois ans, renouvelable une fois. Six ans contre 18 mois…Et lorsque La Poste emploie des salariés dans les termes du droit commun, on ne compte pas les condamnations qui pleuvent sur l’établissement pour requalification des CDD en CDI.

Les distributions de dividendes

Le CICE, on le sait, doit être exclusivement utilisé par les entreprises pour certains objets délimités et surtout pas permettre de distribution de dividendes, encore moins lorsque l’entreprise supprime des postes. Nous avons souvent eu l’occasion de mentionner que l‘État fait tout le contraire dans les entreprises qu’il contrôle. Récemment, Michel Sapin a fait très fort. Interrogé par un média sur l’éventuelle remise en cause du CICE dans sa forme actuelle, et sur le fait notamment qu’en accorder le bénéfice à La Poste – encore elle – ne paraissait pas conforme à l’objectif que se proposait le gouvernement, le ministre s’est exclamé pour dire en substance que les suppressions de postes qu’a connus l’établissement auraient été bien plus importantes si La Poste n’avait pas bénéficié de ce crédit d’impôt. Les journalistes n’ont pas eu la présence d’esprit de lui rétorquer que depuis deux ans…le montant du CICE sert à distribuer des dividendes à l’État. Il fallait avoir le toupet (euphémisme) du ministre pour le dire !

Le smic et les rémunérations des fonctionnaires

Une fois de plus, les augmentations du smic mettent l’État dans l’embarras, car les rémunérations des fonctionnaires ne suivent pas, et ceux de ces fonctionnaires qui sont en catégorie C et B sont payés en-dessous du smic. Le smic ne leur est pas directement applicable, mais le statut des fonctionnaires prend soin de prévoir que les rémunérations publiques ne peuvent pas être inférieures à ce smic. Le secteur public verse donc aux fonctionnaires concernés une « indemnité différentielle » permettant d’atteindre la valeur du smic.

Mais l’État ne se conduit pas comme le secteur privé, qui fait évoluer les rémunérations supérieures au smic en conservant une échelle de salaires relativement progressive. 

L’écrasement des salaires publics est devenu un véritable scandale, relevé par exemple dès 2011 par l’Humanité : «  On peut donc parler d’une véritable « smicardisation » de la fonction publique. Avec le gel du point d’indice trois années de suite et la reprise de la hausse des prix, cette tendance risque de s’accélérer. Elle est déjà très spectaculaire. Les chiffres officiels montrent (voir le tableau) qu’un agent des services hospitaliers, par exemple, (catégorie C sans concours) qui débutait sa carrière à 115% du Smic en 1983, la commence aujourd’hui à 98% du Smic (avant l’octroi de l’indemnité différentielle). Une secrétaire dans une administration d’État (catégorie C, entrée sur concours) débutait en 1983 avec 123% du Smic. Elle commencerait au Smic aujourd’hui. Un technicien d’une collectivité territoriale (catégorie B) débutait à 133% du Smic en 1983. Sa rémunération de départ équivaudra aujourd’hui à 103% du Smic. Pour la catégorie A, celle des cadres ou des enseignants, la rémunération de départ de carrière, qui représentait 175% du Smic en 1983, n’en représente plus que 116% ».

Les choses ne se sont pas améliorées depuis 2011, au contraire. Et voici Marylise Lebranchu, la ministre de la Fonction publique, contrainte de relever le salaire en début de carrière… au prix d’accentuer encore l’écrasement des salaires en milieu de carrière (mais pas en fin de carrière puisqu'une revalorisation expresse vient de leur être accordée). Il est vrai que Jean-Claude Mailly (le patron de FO), plaide en ce moment pour que le smic atteigne 80% du salaire médian. Ses vœux sont donc en passe d’être exaucés. Sûrement pas ceux des fonctionnaires, ni de l’Humanité semble-t-il. Allons bon, c’est curieux, il y aurait des divergences de vue chez ceux qui se réclament d’un marxisme égalitaire ?

La pénibilité

On vient comme chacun sait d’instituer le « C3P », autrement dit le compte personnel de prévention de la pénibilité, que les entreprises dénoncent comme une coûteuse usine à gaz. Ici non plus la C3P n’est pas applicable chez les fonctionnaires, qui disposent déjà de dispositions concernant la retraite anticipée. Sauf que jamais la liste des métiers censée être établie par décret en Conseil d’État n’a été établie. Résultat, la règlementation est antédiluvienne et ne correspond pas aux métiers actuels. C’est un peu comme la prime d’escarbille chez les cheminots. En particulier, rien pour les agents hospitaliers. Aïe, ce n’est pas le sujet du moment à aborder à l’hôpital. Si l’on comprend bien, la question sera abordée pour les fonctionnaires par la ministre de la Fonction publique, cependant que pour le secteur privé le même sujet relève du ministre du Travail. Logique, non ?

Le temps de travail

Dans le secteur privé, les 35 heures ont fait l’objet d’intenses négociations au moment de leur mise en œuvre. Au moins les accords sont-ils respectés, et des négociations peuvent-elles être menées à bien en vue de leur amélioration comme on l’a vu chez Renault. Dans le secteur public, rappelons qu’à l’origine Lionel Jospin n’avait pas prévu d’appliquer les 35 heures, faute d’argent. Position qui n’a évidemment tenu que quelques semaines mais qui en dit long. L’État les a donc appliquées, mais il a fait n’importe quoi, sous la pression des syndicats dont la gauche au pouvoir se devait d’accepter les revendications. Dans la fonction hospitalière, les salariés ont en effet obtenu jusqu’à 28 jours de RTT. Le résultat, longtemps mis sous le boisseau comme la poussière sous le tapis, se fait jour actuellement avec une désorganisation complète et un impossible redressement dont le désaveu apporté par la ministre de la Santé aux efforts tentés par Martin Hirsch en est la lamentable traduction. Des RTT qui s’accumulent sans pouvoir être utilisés ni payés. S’y ajoute encore un absentéisme record. La situation est encore pire dans les collectivités locales, où les 35 heures elles-mêmes ne sont qu’un rêve, avec une durée de travail ridicule, à laquelle s’ajoute un absentéisme record : laxisme généralisé et aucune surveillance de la part des employeurs publics.


Conclusion

Il y a quand même dans cette histoire une morale qui n’est pas difficile à deviner. L’État se conduit en ignorant les règles qu’il demande au secteur privé d’appliquer ; c’est désastreux pour sa crédibilité et son autorité. Et cette mauvaise conduite est souvent masquée par la spécificité du statut qu’il s’applique. C’est contre cette spécificité qu’il faut lutter. Dans chacun des exemples que nous avons pris, quelle justification y a-t-il d’établir des règles différentes pour le secteur public et le secteur privé ? Aucune.

Commençons par unifier le statut des salariés du public et ceux du privé – en clair, supprimer le statut de la fonction publique -, et nous aurons déjà une base plus solide pour que l’État respecte une règlementation devenue unique. Plus fondamentalement, entre les entreprises et les établissements tant publics que privés, il peut y avoir des différences tenant à l’existence éventuelle d’une mission de service public, étant entendu qu’une entreprise privée peut être investie d’une telle mission et que c’est d’ailleurs le cas bien souvent en vertu d’un droit administratif qui a plusieurs siècles d’existence en France. Mais il n’y a plus, depuis longtemps, aucune raison pour que de cette mission découle un statut spécifique applicable aux agents et salariés qui sont amenés à la remplir, qu’il s’agisse d’entreprises, d’établissements de l’État ou d’entreprises du secteur privé investies de délégations de service public.

Bertrand Nouel
IFRAP


C) Égalité

L'égalité du point de vue du libéralisme est l'affirmation que tous les individus sont égaux en droit (principe d’isonomie). Le droit dont il est question ici est le droit naturel, et non l'ensemble des « faux droits » octroyés par l'État, qui précisément favorisent les uns aux dépens des autres, et donc accroissent les inégalités. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits (article premier de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789). Pour un libéral, toute distinction fondée sur la naissance (Ancien régime, société de castes, société raciste), le présumé « intérêt général » (collectivisme), l'intérêt de quelques-uns (oligarchie), ou la « tyrannie de la majorité » (démocratie) aboutit à l'injustice et au mépris des droits de l'individu. On obtient donc une définition négative de l'égalité : chaque individu a un droit égal à ne pas être agressé dans sa liberté ni dans sa propriété.
La définition de l'égalité rejoint celle de la justice : rendre à chacun ce qui lui est dû (suum cuique tribuere, selon le vieux principe du droit romain). C'est ce qui distingue l'égalité de l'égalitarisme : l'égalité tient compte de la nature de chacun, c'est aussi un « droit à la différence » et un respect de l'autre, alors que l'égalitarisme tend à nier toute différence (physique, intellectuelle, économique). Comme Friedrich Hayek l'a bien expliqué:
Alors que l'égalité des droits dans un gouvernement limité est possible en même temps qu'elle est la condition de la liberté individuelle, la revendication d'une égalité matérielle des situations ne peut être satisfaite que par un système politique à pouvoirs totalitaires.
Ainsi, ce que le collectivisme ou la social-démocratie entendent par « égalité » sociale, c'est une « justice » distributive, l'égalité économique, l'égalitarisme, sous divers prétextes (partage des fruits du travail, solidarité, cohésion sociale, etc.). L'idéal visé, plus ou moins avoué, est celui de l'égalité économique parfaite, selon le principe communiste apparemment généreux de « à chacun selon ses besoins », principe qui, outre son caractère immoral et coercitif, fait totalement fi de la réalité de la vie humaine, qui est celle d'un monde de rareté, dans lequel seuls le travail, l'épargne, l'investissement, l'action, peuvent créer des biens.

Égalité des chances

Cette expression, typiquement française (même si elle rappelle l'equal opportunity anglo-saxonne), est pernicieuse. Désigne-t-elle l'égalité en droit, exigence libérale, ou bien un droit à bénéficier des bienfaits de l'État-providence redistributeur ? Dans cette dernière acception, on tend à développer l'assistanat et à récuser la liberté et la responsabilité des individus :
De fil en aiguille, on en est finalement venu à l'égalité des conditions, à l'égalité des résultats, quelles que soient les actions individuelles, quels que soient les mérites ou les vices de chacun. La chance porte un nom nouveau : l'État Providence. L'égalité des chances, c'est l'égalité devant les bienfaits de la société. Dans cette logique, l'échec n'est pas admissible, l'inégalité est scandaleuse. Aujourd'hui l'égalité des chances est une forme d'envie (avoir tout ce qu'ont les autres), une forme d'incurie (avoir tout sans rien devoir à personne, faire n'importe quoi), une forme de folie vengeresse (« les ratés ne vous rateront pas », disait Céline). (Jacques Garello)
La plupart des libéraux rejettent la notion d'égalité des chances, car elle est intrusive et coercitive. Certains libéraux de gauche, tels John Rawls, soutiennent cependant que "personne ne mérite ses capacités naturelles supérieures ni un point de départ plus favorable dans la société" et voient comme injuste la répartition inégale des talents. Les structures d'une société juste devraient faire en sorte d'atténuer au maximum les différences. Ainsi Rawls ajoute au principe d'égale liberté pour tous ("chaque personne doit avoir un droit égal à la plus grande liberté fondamentale avec une liberté semblable pour tous") un second principe ainsi défini :
Les inégalités sociales et économiques doivent être arrangées de telles sortes qu'elles soient :
- liées à des emplois et à des postes, accessibles à tous, dans des conditions d'égalité impartiale des chances (principe d'égalité des chances) ;
- pour le plus grand profit des plus désavantagés (principe de différence).
Pour la plupart des libéraux (tel Nozick qui critique les conceptions de Rawls) le "droit" à l'égalité des chances n'en est pas un, puisqu'il doit respecter le droit de propriété avant de s'appliquer. Le "principe de différence" de Rawls permet de justifier les mesures les plus coercitives : revenu maximum (Rawls affirme qu'il y a "un gain maximum autorisé pour les plus favorisés"), redistribution par l'impôt (possible théoriquement jusqu’à ce qu’elle ait tellement d’effets désincitatifs que les plus favorisés produiraient beaucoup moins, et ce aux dépens des individus les plus désavantagés), etc. Bien que Rawls se défende d'être utilitariste, sa théorie a un défaut majeur, qui est l’hypothèse de comparabilité des préférences individuelles. L'idée que la répartition inégale des talents puisse être injuste et doive être "corrigée" mène directement à l'égalitarisme et au totalitarisme


Erreur courante : égalité et égalitarisme

La critique la plus courante, venant le plus souvent de la gauche (encore qu'elle existe aussi à droite), est que le libéralisme aurait une notion restrictive de l'égalité : en effet, il n'envisage que l'égalité en droit et non l'égalité matérielle. Les inégalités économiques que l'on peut constater entre les individus ne le touchent pas : loin de les condamner, il les conforterait. Il mènerait donc au conservatisme le plus rétrograde.
La réponse à cette objection est que l'égalité en droit a un sens, alors que l'égalité matérielle ou économique n'en a absolument aucun, à moins que tous les hommes soient absolument identiques, interchangeables et "bâtis" sur le même modèle, ce qui n'est pas le cas. Dès lors que les hommes sont différents, il est impossible de réaliser l'égalité matérielle ou économique, car les capacités de chacun, les aspirations, les besoins, sont différents. L'égalitarisme n'est pas autre chose qu'une révolte contre la nature : il est "injuste" qu'un autre soit plus beau, plus grand, plus jeune, plus intelligent ou plus riche que moi. Le droit à la différence est vu comme un faux droit. C'est la nature qui est jugée injuste, et la société des hommes devrait réparer toute "injustice", si besoin (et il est impossible que ce soit autrement) par la coercition et la violence. [1]
Une société égalitariste se détruirait elle-même par sa recherche pathologique du nivellement par le bas. L'expérience historique montre qu'en réalité elle réintroduit des inégalités non pas sur la base des capacités, aspirations et mérites différents (comme c'est le cas dans la société libérale idéale) mais sur des bases politiques d'allégeance à un leader ou au parti au pouvoir, illustration de l'anomie conduisant à la loi du plus fort.
Ceux qui croient aux vertus de l'égalitarisme, plutôt que de chercher à asservir ceux qui n'y croient pas, devraient faire la preuve par l'exemple, en créant des communautés pratiquant l'égalité matérielle la plus complète (la famille n'est-elle pas une communauté de ce type ?). Comme le dit Christian Michel :
Le communisme est un bel idéal. Que les communistes s'organisent dans leurs communes et phalanstères, qu'ils affichent leur bonheur d'y vivre, et ils seront rejoints par des millions et des milliards de gens. (...) Ce qu'il faut combattre n'est pas le communisme, ni aucune autre idéologie, mais la traduction politique de cette idéologie.
Malheureusement, l'égalitarisme n'est le plus souvent pas autre chose qu'une traduction idéologique de la jalousie sociale : l'égalitariste, qu'il soit libertaire, communiste ou socialiste, veut seulement prendre aux plus riches que lui. Il n'est pas question pour lui de partager avec ceux qui sont plus pauvres que lui : c'est de la solidarité à sens unique.
Quant au prétendu conservatisme que le libéralisme entérinerait en ne remettant pas en cause les positions sociales, il n'existe pas, en réalité. Le libéralisme dénie toute légitimité à toute position sociale qui serait contraire aux droits des individus. Loin d'être conservateur, le libéralisme (plus particulièrement le libertarisme) est révolutionnaire car il entend souligner les injustices et y porter remède. Il reconnaît qu'il existe bel et bien une lutte des classes entre les dominants et les opprimés, entre ceux, étatistes, politiciens, qui violent perpétuellement le principe de non-agression en imposant l'arbitraire étatique par l'impôt et la loi, et ceux qui sont victimes de cette forme d'esclavage. Les inégalités existent bien : l'ennemi n'est pas le riche ou le capitaliste (du moins, tant qu'ils se limitent à pratiquer l'échange libre dans le respect du droit d'autrui), c'est celui qui me vole (qui prend ma propriété sans mon consentement) ou qui m'impose injustement sa volonté (qui attente à ma liberté). On retrouve l'exigence d'égalité libérale : l'obligation de respecter le droit de chacun, sa liberté et sa propriété. 


Citations

  • « Je pense que les peuples démocratiques ont un goût naturel pour la liberté ; livrés à eux-mêmes, ils la cherchent, ils l’aiment, et ils ne voient qu’avec douleur qu’on les en écarte. Mais ils ont pour l’égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible ; ils veulent l’égalité dans la liberté, et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage. Ils souffriront la pauvreté, l’asservissement, la barbarie, mais ils ne souffriront pas l’aristocratie. »
(Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique)[2]
  • « Il y a toutes les différences du monde entre traiter les gens de manière égale et tenter de les rendre égaux. La première est une condition pour une société libre alors que la seconde n'est qu'une nouvelle forme de servitude. »
(Friedrich August von Hayek, Vrai et faux individualisme)
  • « L’égalité proclamée dans la déclaration des droits de l’homme de 1789, est une égalité de condition sociale qui rend possible une justice équitable. La loi est la même pour tous, c’est ce que ça veut dire. L'État idéologique a transformé cette égalité de droit en égalité de moyen, ce sont les clauses de moyens introduites dans la déclaration des droits de l’homme des constitutions de 1946 et 1958. L’Egalité n’est plus seulement la promesse que la justice ne tiendra pas compte du statut social des personnes comme sous la monarchie, mais qu’elle devient aussi une égalité matérielle des conditions. C’est mettre à mort l’équité dont le premier principe est " à chacun selon ses mérites " pour produire un principe contraire, le principe égalitaire qui est " ce qui est juste, c’est ce qui est égal ".  »
(Claude Lamirand – 7 Décembre 2004)
  • « La justice s’applique à la conduite des individus, pas aux conséquences économiques de leurs actions. Elle est affaire de règles, pas de résultat. Dans une société libre, c’est seulement les décisions des acteurs que nous avons le droit de juger. Si un avantage est acquis par la tromperie ou la violation d’une loi justement applicable à tous, nous le déclarons injuste. Mais si quelqu’un n’a bénéficié d’aucune entorse pour obtenir le même avantage, il n’y a aucune raison d’être critique à son égard. Lorsque tu participes à un jeu, tu ne demandes pas à l’arbitre de déclarer vainqueur le joueur le plus méritant. Il importe seulement que la partie soit jouée loyalement, que les règles soient respectées. »
(Christian Michel)
  • « L'inégalité des revenus et des fortunes est un caractère inhérent de l'économie de marché. Son élimination détruirait complètement l'économie de marché. Les gens qui réclament l'égalité ont toujours à l'esprit un accroissement de leur propre pouvoir de consommation. Personne, en adoptant le principe d'égalité comme postulat politique, ne souhaite partager son propre revenu avec ceux qui en ont moins. Lorsque le salarié américain parle d'égalité, il veut dire que les dividendes des actionnaires devraient lui être attribués. Il ne suggère pas une réduction de son propre revenu au profit des 95 % de la population mondiale qui gagnent moins que lui. »
(Ludwig von Mises, l'Action humaine)
  • « L'inégalité [véritable] consiste à s'enrichir par ses relations, à gagner sans rendre service, à extorquer sous la menace, à créer une classe privilégiée de décideurs non responsables sur leurs biens mais sur celui des autres. »
(Prégentil)
  • « À partir du moment où quelqu’un s’enrichit plus vite que vous, une inégalité surgit. Sauf à contrôler la vie de tout le monde, l’inégalité est le résultat, à un instant donné, d’un processus de développement qui est par nature dynamique. Comme la croissance repose sur la libération des énergies et des potentiels de chacun, il en découlera nécessairement des trajectoires de revenus différentes. »
(Jean-Louis Caccomo)
  • « Le libéral combat les inégalités vraiment injustes, c'est-à-dire celles qui profitent aux hommes politiques et aux fonctionnaires, et les inégalités qui résultent du vol ou de la coercition, qui sont souvent le fait de l'État, ou le fait que l'État ne fait pas son travail. Le socialiste, lui, recherche l'égalité de résultat, et c'est ainsi que dans ce pays tout est fait pour encourager celui qui ne veut rien faire, et tout est fait pour mettre des bâtons dans les roues à celui qui entreprend. C'est ainsi que l'Éducation Nationale, n'ayant pas réussi à uniformiser les résultats des élèves par le haut, s'est résigné à les uniformiser par le bas. »
(Jacques de Guenin)
  • « L'égalité la plus fondamentale entre les hommes est sans doute liée au fait qu'ils sont des êtres humains, et que par nature ils ont une dignité et une vocation que ne possède aucune autre espèce. (...) Cette égalité fondamentale et personnelle prend corps avec l'égalité des droits. Ce qui sépare une société barbare d'une société civilisée, c'est que des règles sociales sont établies et respectées pour garantir les droits individuels qui permettent à l'homme de vivre dignement. »
(Jacques Garello)
  • « L’égalité est un état artificiel qui demande à être constamment entretenu d’une manière artificielle. Les hommes ne sont pas égaux par définition. »
(Vladimir Boukovski)
  • « Les hommes n’étant pas dotés des mêmes capacités, s’ils sont libres, ils ne seront pas égaux, et s’ils sont égaux, c’est qu’ils ne sont pas libres. »
(Alexandre Soljenitsyne)
  • « La France a toujours cru que l’égalité consistait à trancher ce qui dépasse. »
(Jean Cocteau, Discours de réception à l’Académie française, 1955)
  • « Tous les êtres de toutes les Galaxies sont égaux devant la Grande Matrice, indépendamment de leur forme, du nombre de leurs écailles ou de leurs bras, et indépendamment même de l'état physique (solide, liquide ou gazeux) dans lequel il se trouve qu'ils vivent. » (humour)
(Umberto Eco)



D) 1984 d'Orwell n'était pas censé être un manuel de philosophie



Le libéralisme classique ne se confond ni avec l'hédonisme, ni avec une indifférence à l'égard du bien ou du mal et encore moins avec le socialisme. Par Damien Theillier, professeur de philosophie et président de l'Institut Coppet 
 
Rappelez-vous les trois slogans qui régissent la dictature orwellienne :

La guerre, c'est la paix.
La liberté, c'est l'esclavage.
L'ignorance, c'est la force.
Guillaume Bernard, maître de conférences à l'ICES, vient d'en inventer un quatrième :
« Le libéralisme, c'est le socialisme » !
Comment peut-on arriver à confondre la liberté et la folle idéologie qui réglemente nos vies jusqu'aux plus petits détails ? 

Notre maître de conférence a réussi ce tour de force dans un article paru dans Valeurs Actuelles fin mai 2015, intitulé Malentendus courants sur le libéralisme. Tout part d'une équation par amalgame: le libéralisme serait une philosophie libertaire hédoniste et relativiste... ce que serait également le socialisme.
De là, le libéralisme, c'est le socialisme.

Un malentendu sur le libéralisme

L'auteur entretient un malentendu sur le libéralisme, habituellement entendu à gauche : celui-ci postulerait ou fonderait ses arguments sur l'hypothèse d'individus égoïstes, matérialistes et auto suffisants, affranchis de toute norme morale, de toute espèce d'ancrage dans une réalité morale naturelle. Cette idée répandue dans le clergé, y compris au plus haut sommet de sa hiérarchie (comme le montre encore une fois la dernière encyclique du Pape François), est une idée fausse.

À l'encontre de cette caricature, le libéralisme classique ne se confond ni avec l'hédonisme, ni avec une indifférence à l'égard du bien ou du mal et encore moins avec le socialisme.


Une philosophie du pouvoir limité

La plupart des libéraux s'accordent avec la tradition occidentale issue de la philosophie grecque pour dire qu'il existe une rationalité morale et que le bien et le mal ne sont pas des notions arbitraires, relatives à l'opinion ou à l'époque. Ainsi le vol détruit le principe de la propriété, fondée sur le travail c'est-à-dire sur le libre exercice de nos facultés. 

Pour les libéraux, à la différence des socialistes, il existe donc un droit antérieur à la formation de l'État, un ensemble de principes généraux que la raison peut énoncer en étudiant la nature de l'homme.

Ce droit s'impose au pouvoir, qui doit dès lors le respecter. Les lois édictées par l'autorité politique n'ont force obligatoire que selon leur conformité au droit naturel. Et si les citoyens possèdent par nature certains droits fondamentaux, ces droits ne peuvent être ni octroyés, ni supprimés par la loi.

Le libéralisme, pas une théorie morale complète

Mais le libéralisme, contrairement au socialisme, n'a jamais eu la prétention d'être une théorie morale complète, ni une philosophie de la vie ou du bonheur. Guillaume Bernard se trompe en affirmant que « le libéralisme est un tout », c'est-à-dire une sagesse globale. Il est seulement une théorie politique, incluant une morale politique, qui traite du rôle de la violence et des limites du pouvoir. Puisque les hommes ont des penchants criminels (ce qui rejoint l'idée chrétienne de péché), il faut les empêcher de nuire. Mais il est également nécessaire de limiter le pouvoir et d'empêcher la tyrannie. Si tous les hommes étaient bons, l'État serait superflu. Mais si, à l'inverse, comme le reconnaissent les libéraux et les conservateurs, les hommes sont souvent malveillants, alors on doit supposer que les agents de l'État eux-mêmes, qui détiennent le monopole de la violence, constituent une menace potentielle. C'est Locke contre Hobbes, Constant contre Rousseau.

Par conséquent, ce qu'un individu n'a pas le droit de faire : voler, menacer, tuer, un État n'a pas le droit non plus de le faire. Si le fait de spolier autrui est immoral pour un individu, cela vaut également pour ceux qui exercent l'autorité politique. Les libéraux pensent que le commandement biblique « Tu ne voleras pas » s'applique à tous sans exception. Il s'agit d'une éthique universelle qui s'applique également aux institutions sociales. Un vol reste un vol, même s'il est légal.

L'individu, seul agent moral

Il faut également entendre la défense libérale de l'individu en ce sens que celui-ci est le seul agent moral. Les notions de bien et de mal moral, de droits et de devoirs n'ont de sens que pour des personnes singulières, non pour des collectivités abstraites. Seul l'individu humain agit, pense, choisit, seul il est sujet de droit. Ainsi parler de « droits des homosexuels » n'a pas de sens, pas plus que de parler de « droits des catholiques ». L'égalité des droits ne peut être fondée que sur l'appartenance à l'espèce humaine et non sur l'appartenance à une communauté ou à un groupe collectif.

Enfin et surtout, il n'est pas possible de comprendre l'essence de la philosophie politique libérale, si on ne comprend pas qu'elle a toujours été historiquement définie par une rébellion authentique contre l'immoralité de la violence étatique, contre l'injustice de la spoliation légale et du monopole éducatif ou culturel.

Une anthropologie réaliste
Mais ce qui différencie les libéraux des utopistes c'est qu'ils n'ont pas pour but de remodeler la nature humaine. Le libéralisme est une philosophie politique qui affirme que, en vertu de la nature humaine, un système politique à la fois moral et efficace ne peut être fondé que sur la liberté et la responsabilité. Une société libre, ne mettant pas de moyens légaux à disposition des hommes pour commettre des exactions, décourage les tendances criminelles de la nature humaine et encourage les échanges pacifiques et volontaires. La liberté et l'économie de marché découragent le racket et encourage les bénéfices mutuels des échanges volontaires, qu'ils soient économiques, sociaux ou culturels.

Quiconque a lu un peu les libéraux, anciens ou modernes, Turgot, Say, Bastiat, Mises ou Hayek, sait en effet, que pour eux 1° l'intérêt personnel ne peut se déployer librement que dans les limites de la justice naturelle et 2° le droit ne se décide pas en vertu d'un contrat, mais se découvre dans la nature même de l'homme, animal social, doué de raison et de volonté. On est alors très loin de la caricature donnée par l'article de Guillaume Bernard.

Les entrepreneurs anticipent les besoins des consommateurs

Les libéraux, il est vrai, accordent à l'intérêt une large place dans le développement de ce monde. Mais ils voient en lui le plus puissant et le plus efficace des stimulants lorsqu'il est contenu par la justice et la responsabilité personnelle. Le fait que les entrepreneurs soient avant tout guidés par leur intérêt, loin de conduire à l'anarchie, permet de canaliser les intérêts. Cela les oblige à prendre en compte et à anticiper les besoins des consommateurs. Pour réussir il faut être à l'écoute des besoins de la société. 

En revanche, l'un des objectifs principaux des socialistes est de créer (en pratique par des méthodes violentes) un homme nouveau acquis au socialisme, un individu soumis dont la fin ultime serait de travailler au service du collectif. Pour les socialistes, en effet, les hommes ne sont que des matériaux inertes qui ne portent en eux ni principe d'action, ni moyen de discernement.

Partant de là, il y aura entre le législateur et l'humanité le même rapport qu'entre le potier et l'argile. La loi devra façonner les hommes en fonction d'une idéologie imposée d'en haut. Comme le dit bien Jean-Paul II, « Là où l'intérêt individuel est supprimé par la violence, il est remplacé par un système écrasant de contrôle bureaucratique qui tarit les sources de l'initiative et de la créativité. » (Jean-Paul II, Centesimus Annus, 1991).

De fait il y a beaucoup plus d'avidité et de cupidité dans le socialisme que dans le libéralisme. Dans une économie socialiste, il n'y a que deux moyens d'obtenir ce qu'on désire : le marché noir, ou la combine politique. Dans une économie de marché libre, la façon la plus efficace pour les personnes de poursuivre leur amour de la richesse est de servir les autres en proposant des biens utiles et à bon prix.


La propriété privée c'est la protection des plus faibles

La propriété est d'abord une condition nécessaire à ce que le philosophe Robert Nozick appelle « l'espace moral » de la personne. La nature morale de l'être humain exige que la liberté de choix soit protégée pour que chacun puisse exercer pleinement son jugement et ses responsabilités. Et cet objectif de protéger cet espace moral de choix individuel, est mieux servi par une société de libre marché, qui respecte la propriété. Notre tâche principale est d'agir de façon optimale, c'est-à-dire à réaliser notre nature humaine, aussi complètement que possible dans les circonstances de notre vie. Et seule une société libre, qui protège le droit de propriété, peut permettre d'atteindre cet objectif. 

La propriété est aussi ce qui permet un comportement « prudent » (au sens de la vertu morale) vis-à-vis du monde naturel et social. Enfin et surtout, elle bénéficie aux pauvres car elle leur permet d'utiliser leurs dons et leurs compétences dans un marché ouvert à la concurrence. 

Dans le christianisme, l'homme est appelé à servir les autres, spécialement les plus faibles. Or la meilleure façon, la plus productive et la plus juste, d'aider les pauvres est précisément la liberté pour chacun d'exercer la profession ou l'activité de son choix. Une société libre est une société dans laquelle chacun est libre d'utiliser les informations, même imparfaites, dont il dispose sur son environnement pour poursuivre ses propres fins.

Des possibilités très grandes de sortir de la pauvreté

Certes, dans une société libre, les revenus sont inégaux, mais les possibilités qu'ont les gens de se sortir de la pauvreté extrême sont très grandes parce qu'on peut gagner en servant les intérêts d'autrui et que la richesse des uns bénéficie, à terme, aux autres. Le libre marché est un formidable mécanisme naturel de redistribution des richesses car c'est un jeu à somme positive, l'échange est gagnant-gagnant quand il est consenti. 

Enfin, l'économie de marché libre est un système qui permet de ce fait à la philanthropie de s'exercer mieux que dans tout autre système. Chaque être humain a une obligation morale d'assistance à l'égard de ceux qui sont atteints par le malheur. Mais on ne donne que ce qui est à soi. C'est le respect du droit de propriété qui rend possible la charité.

L'égoïsme dans la nature humaine

En conclusion, l'égoïsme n'est pas dans le libéralisme, comme semble le croire Guillaume Bernard, il est dans la nature humaine. Le libéralisme explique seulement que l'intérêt personnel, canalisé par le droit, peut servir le bien commun de façon plus efficace et plus juste que la contrainte de la loi.

En effet, le principe qui a été découvert progressivement au cours de l'histoire occidentale et qui a été mis en lumière par les penseurs libéraux classiques, c'est que la liberté individuelle est créatrice d'ordre, mieux que n'importe quelle solution bureaucratique imposée d'en haut par la coercition. Et cela est vrai, non seulement sur le plan politique mais aussi sur le plan économique. L'allocation des ressources par le libre jeu de l'offre et la demande est la réponse la plus productive et la plus efficace aux besoins humains. Mais c'est aussi le seul système économique compatible avec une vision morale et religieuse de l'homme, fondée sur le droit naturel, c'est-à-dire sur l'idée que les gens ont, par définition, du fait même de leur présence sur terre, des droits qu'il est immoral et injuste pour quiconque de violer.

L'État moderne, grand prédateur

Libre à chacun bien sûr de renvoyer dos-à-dos libéralisme et socialisme, comme le fait Guillaume Bernard. Mais encore faudrait-il ne pas tomber dans la vision caricaturale et fausse qu'il fait du libéralisme. Car il est trop facile de fabriquer un homme de paille pour mieux le rejeter ensuite comme quelque chose de vulgaire et d'immoral. 

L'État moderne, qu'il soit de droite ou de gauche, est devenu « le grand prédateur », le grand confiscateur des libertés et des moyens financiers, promoteur d'un moralisme sans fondement, le tout au profit d'une mafia de rentiers de la politique. Or seuls les libéraux ont pu, dans le passé récent s'opposer à cette croissance apocalyptique. Et ce ne sont pas les chrétiens sociaux, ni les réactionnaires, tous tentés par la forme moderne de socialisme qu'est l'étatisme, qui ont pu s'opposer à cette croissance.



 
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