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janvier 01, 2017

Lettre aux socialistes de Gustave de Molinari 1848

Ce site n'est plus sur FB, alors n'hésitez pas à le diffuser au sein de différents groupes, comme sur vos propres murs respectifs. D'avance merci. L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses. 

Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste. 



Lettre aux socialistes
(1848)

Nous sommes adversaires, et cependant le but que nous poursuivons les uns et les autres est le même. Quel est notre idéal à tous, économistes ou socialistes? N’est-ce pas une société où la production de tous les biens nécessaires à l’entretien et à l’embellissement de l’existence humaine sera la plus abondante, et où la répartition de ces mêmes biens entre ceux qui les auront créés par leur travail sera la plus juste? Notre idéal à tous, sans distinctions d’écoles, ne se résume-t-il pas en ces deux mots: abondance et justice

Tel est, nul d’entre vous ne le niera, notre but commun. Seulement nous allons à ce but par des voies différentes; vous y marchez par le défilé obscur et jusqu’à cette heure inexploré de l’organisation du travail, nous y marchons par la route spacieuse et bien connue de la liberté. Chacun de nous essaye d’entraîner sur ses traces la société qui hésite et tâtonne, cherchant à l’horizon, mais en vain, la colonne de lumière qui guida jadis vers la Terre promise les esclaves des Pharaons. 

Pourquoi refusez-vous de suivre avec nous la voie de la liberté? Parce que, dites-vous, cette liberté tant préconisée est funeste aux travailleurs; parce qu’elle n’a produit jusqu’à ce jour que l’oppression du faible par le fort; parce qu’elle a enfanté les crises désastreuses où des millions d’hommes ont laissé les uns leur fortune, les autres leur vie; parce que la liberté sans frein, sans règle, sans limite, c’est l’anarchie! 

Voilà, n’est-il pas vrai, pourquoi vous repoussez la liberté; voilà pourquoi vous demandez l’organisation du travail? 

Eh bien, si nous vous prouvions, avec une suffisante clarté, que tous les maux que vous attribuez à la liberté, ou, pour me servir d’une expression absolument équivalente, à la libre concurrence, a pour origine, non pas la liberté, mais l’absence de la liberté, mais le monopole, mais la servitude; si nous vous prouvions encore qu’une société parfaitement libre, une société débarrassée de toute restriction, de toute entrave, ce qui ne s’est vu à aucune époque, se trouverait exempte de la plupart des misères du régime actuel; si nous vous prouvions que l’organisation d’une semblable société serait la plus juste, la meilleure, la plus favorable au développement de la production et à l’égalité de la répartition des richesses; si nous prouvions cela, dis-je que feriez-vous? Continueriez-vous à proscrire la liberté du travail et à invectiver l’économie politique, ou bien vous rallieriez-vous franchement à notre drapeau, et emploieriez-vous tout le précieux trésor de forces intellectuelles et morales que la nature vous a départies à faire triompher notre cause désormais commune, la cause de la liberté? 

Ah! j’en jurerais, vous n’hésiteriez pas un instant. Si vous aviez la certitude que vous vous êtes mépris sur la cause véritable des maux qui affligent la société et sur les moyens d’y remédier; si vous aviez la certitude que la vérité est de notre côté et non du vôtre, aucune attache de vanité, d’ambition ou d’esprit de système ne serait assez forte pour vous retenir sur les rivages de l’erreur: vos âmes seraient attristées, sans doute; vous diriez à regret un dernier adieu aux rêves qui ont nourri, enchanté et égaré vos imaginations; mais enfin vous les abandonneriez, ces chimères aimées, vous surmonteriez vos répugnances, et vous viendrez à nous. Eh! mon Dieu, nous en ferions autant de notre côté, si vous réussissiez à introduire dans nos faibles intelligences un rayon de cette lumière qui convertit saint Paul; si vous nous démontriez, clair comme le jour, que la vérité est dans le socialisme et non dans l’économie politique. Nous ne tenons à notre système qu’autant que nous le croyons juste et vrai; nous brûlerions demain, sans aucune révolte intérieure, ce que nous avons adoré, et nous adorerions ce que nous avons brûlé, s’il nous était prouvé que que nos dieux, Smith, Turgot, Quesnay, et J.-B. Say ne sont que de misérables idoles de bois. 

Nous sommes donc les uns et les autres dégagés de tout esprit de système, en prenant ce mot dans son acceptation étroite; notre vue se porte dans une sphère plus haute, nos pensées suivent un vol plus généreux: le vrai, le juste, l’utile, voilà quels sont nos guides immortels dans les cercles obscurs de la science; l’humanité, voilà quelle est notre Béatrix adorée! [Note: Allusion à Beatrice Portinari, la guide de Dante dans son exploration du paradis.]

Cela étant bien entendu entre nous, je pose nettement le question qui nous sépare.
Vous prétendez que la société souffre par la liberté, nous prétendons qu’elle souffre par la servitude.

Vous concluez qu’il faut supprimer la liberté et la remplacer par l’organisation du travail; nous concluons qu’il faut supprimer la servitude et la remplacer purement et simplement par la liberté.

Précisons d’abord les faits. De quelle époque date la liberté du travail? Elle a été, pour la première fois, proclamée par Turgot dans un édit immortel et sanctionnée plus tard par l’Assemblée constituante.

Je dirai plus loin comment elle a été de nouveau entravée, enchaînée, cette liberté sainte; pour le moment je me borne à constater qu’elle est née seulement à la fin du dix-huitième siècle. 

Maintenant, quelle a été, je vous le demande, la condition des masses laborieuses jusqu’à la fin du dix-huitième siècle? Les travailleurs étaient-ils plus heureux avant cette époque qu’ils ne l’ont été depuis?

S’ils étaient plus heureux, oh! alors, j’en conviendrai avec vous, la liberté a été pour le monde un présent funeste, et vous avez raison de réclamer une organisation du travail modelée sur celle de l’ancienne Égypte ou de l’Europe du Moyen Âge. 

Mais si, au contraire, la condition de la masse du peuple est aujourd’hui supérieure à ce qu’elle était avant '89, ne serez-vous pas, de bonne foi, obligés d’avouer que la liberté du travail a été un bienfait pour l’humanité? 

Parcourons ensemble rapidement l’histoire du passé, l’histoire de ces trente siècles de servitude qui ont précédé l’avènement de la liberté du travail, et voyons quel spectacle s’offrira à nos regards.

Est-ce bien le spectacle de l’aisance et de l’égalité universelles? Plût à Dieu! mais non. C’est, au contraire, le tableau d’une misère plus intense et d’une inégalité plus profonde que celles qui affligent aujourd’hui notre vue. Et à mesure que nous nous enfonçons plus avant dans le passé, à mesure que nous nous éloignons davantage du jour où la liberté a enfin lui sur le monde, ce tableau de la misère et de l’inégalité sociales nous apparaît plus sombre et plus hideux. 

Si nous remontons jusque dans l’Inde et en Égypte, qu’apercevrons-nous? deux castes puissantes, la caste des prêtres et celle des guerriers, qui oppriment et exploitent sans merci la foule des misérables! Au faîte de ces sociétés primitives, formées de couches superposées comme des blocs de granit, nous trouverons des sages, vêtus de pourpre, qui discutent sur l’essence de la divinité ou sur le cours des astres, et des guerriers qui s’enivrent de parfums au fond de leurs harems; tandis qu'au-dessous végètent des parias couverts d’ignominie ou des esclaves qui pétrissent de leurs sueurs et de leurs larmes l’informe et gigantesque édifice des pyramides. Le mal, dans ces sociétés primitives, était-il, nous vous le demandons, dans la liberté ou dans la servitude? 

Considérons le monde romain. Que trouvons-nous au sein de cette société, pourtant la plus riche et la plus puissante de l’antiquité? D’un côté, un patriciat composé d’un très-petit nombre d’hommes enrichis des dépouilles de l’univers. La vie de ces hommes, vous la connaissez, c’est une succession de luttes sanglantes et d’orgies immondes! À côté de cette caste toute-puissante qui se repaissait de la substance de tout un monde, comme on voyait les bandes de vautours se repaître des cadavres des vaincus de Marius, à côté de cette caste gorgée, repue, que voyons-nous? la foule besogneuse des prolétaires et la foule immonde des esclaves! Vous parlez des misères de notre classe ouvrière; eh! mon Dieu, si douloureuses, si pitoyables qu’elles soient, ces misères, vous ne sauriez les comparer à celles des prolétaires romains. Au moins, notre classe ouvrière travaille, elle ne mendie pas! On ne voit point le peuple de nos sombres faubourgs aller faire queue à la porte des splendides hôtels de notre aristocratie financière pour mendier la sportule! On ne le voit point se jeter comme un chien affamé sur les miettes que les riches secouent de leurs table d’une main dédaigneuse et ennuyée! On ne le voit pas, non plus, faire des émeutes quotidiennes pour obtenir des distributions gratuites de vivres. Non! l’ouvrier de nos jours mène certes une pauvre vie; mais, cette vie, il la gagne, il peut la gagner. Le prolétaire romain ne pouvait pas gagner la sienne. Les riches patriciens avaient accaparés toutes les industries et toutes les terres qu’ils faisaient exploiter par leurs esclaves. Victimes de cette inégale concurrence, les prolétaires n’avaient de choix qu’entre la mendicité, l’exil ou la mort. Ils mendiaient. Et pourtant, le sort de ces prolétaires avilis était mille fois préférables encore à celui des esclaves. Le prolétaire, au moins, était un homme; l’esclave, lui, n’était qu’une variété de la bête de somme, une chose! L’esclave ne possédait rien, pas même un nom. Certes, ils sont dignes de commisération, ces pauvres ouvriers de nos campagnes qui passent leur vie courbés sur la terre, sans obtenir le plus souvent en échange de leur rude labeur autre chose qu’un morceau de pain noir se nourrir, une toile grossière pour se vêtir, une hutte de boue détrempée pour se loger; mais, si pénible que soit leur existence, combien des esclaves romains la leur auraient enviée! Souvenez-vous des récits de Pline et de Columelle. Il y avait au sein des campagnes riantes de l’Italie, d’intervalle en intervalle, de sombres et infectes demeures que l’on nommait des ergastules. C’étaient les prisons ou pour mieux dire les écuries des esclaves. Le matin, ils en sortaient par bandes, enchaînés le plus souvent; ils se disséminaient dans la campagne, conduits par des contre-maîtres armés du fouet, et chaque sillon était arrosé à la fois de leur sueur et de leur sang. Le soir, on les ramenait à l’ergastule, où on les attachait comme de vils animaux auprès de leurs mangeoires. Pour eux point de famille, une promiscuité immonde! point de Dieu, une fatalité inexorable qui les déclassait de l’humanité, en ne leur laissant pas même l’espérance d’une autre vie! Telle était, vous le savez, la situation des masses laborieuses dans l’antiquité. Pourtant le monde n’était point soumis alors à la loi du laissez-faire! 

Plus tard, que voyons-nous encore? Est-ce que la situation du peuple s’améliore beaucoup, à la chute du monstrueux édifice de l’empire romain? Moralement, oui, sans doute, le christianisme lui apporte des consolations sublimes; matériellement, non! Pendant tout le moyen âge, la vie du peuple, serf de la glèbe dans les campagnes, serf de la maîtrise dans les villes, n’est qu’une longue suite des angoisses. Le moyen âge est un époque de douleurs et de tristesses, et parmi les voix de ceux qui gémissent on distingue entre toutes la grande et sombre voix du peuple. Plus tard encore, après tant et de si fécondes découvertes, après que la poudre à canon a fait justice de la tyrannie des seigneurs, après que l'imprimerie a dissipé les plus épaisses ténèbres de l’ignorance, après que la boussole nous a donné un nouveau monde, est-ce que le peuple a cessé de souffrir. Sous Louis XIV, sous le règne de ce roi qui a porté si haut, dit-on, la gloire et la puissance de la France, quelle était la condition du peuple? Était-il supérieure à celle du peuple de nos jours? Tout le monde connaît le passage célèbre de la Dixme royale de Vauban, dans lequel cet illustre homme de bien caractérisait en des termes navrants l’état de la France.
“Il est certain, disait-il, que le mal est poussé à l’excès, et si l’on n’y remédie, le menu peuple tombera dans une extrémité dont il ne se relèvera jamais; les grand chemins des campagnes et les rues des villes et des bourgs étant pleins de mendiants que la faim et la nudité chassent de chez eux.
“Par toutes les recherches que j’ai pu faire depuis plusieurs années que je m’y applique, j’ai fort bien remarqué que, dans ces derniers temps, près de la dixième partie du peuple est réduite à la mendicité, et mendie effectivement; que des neufs autres parties, il y en a cinq qui ne sont pas en état de faire l’aumône à celle-ça, parce qu’eux-mêmes sont réduits, à très-peu de chose près, à cette malheureuse condition; que des quatre autres parties qui restent, trois sont fort malaisées et embarrassées de dettes et de procès, et que dans la dixième, où je mets tous les gens d’épée, de robe, ecclésiastiques et laïques, toute la noblesse haute, la noblesse distinguée, et les gens en charge militaire et civile, les bons marchands, les bourgeois rentés et les plus accommodées, on ne peut pas compter sur cent mille familles; et je ne croirais pas mentir quand je dirais qu’il n’y a pas de dix mille familles petites ou grandes qu’on puisse dire fort à leur aise. [Collection des principaux économistes, édition Guillaumin, t. Ier, p. 34]
Voilà quelle était la condition du peuple avant l’avènement de la liberté du travail.
Aussi, pendant cette longue période de souffrances, quel est le cri de la foule? Que demandaient les captifs d’Egypte, les esclaves de Spartacus, les paysans du Moyen Âge, et plus tard les ouvriers opprimés par les maîtrises et les jurands? Ils demandaient la liberté!
Ils se disaient: nos consciences, nos pensées, notre travail sont opprimés, exploités par des hommes qui se sont imposés à nous par la violence ou la ruse. Les uns nous interdisent d’aimer Dieu et de le prier autrement que selon leur formule; les autres nous obligent à étudier dans leurs livres Dieu, la nature et l’homme; ils emprisonnent notre pensée dans le cercle de fer de leurs systèmes, en nous défendant, sous peine de mort, de le briser; d’autres enfin, après que ceux-là ont enchaînés nos âmes, enchaînent nos corps. Ils nous obligent à demeurer attachés comme la plante au lieu de notre naissance, et là, ils s’emparent, en vertu de leurs privilèges, de la meilleure part des fruits de nos sueurs. Brisons ces liens qui nous meurtrissent, brisons-les au péril de nos jours; demandons pour tous la liberté de l’âme et celle du corps, revendiquons pour tous le droit naturel de croire, de penser et d’agir librement, et nos souffrances auront une terme. Nos âmes ne seront-elles pas satisfaites, si nous obtenons pour elles le libre accès du monde immatériel, la faculté de voguer sur l’océan immense et merveilleux des intelligences, sans être retenue par le câble de fer d’un système imposé? Nos besoins physiques ne seront-ils pas complètement apaisés, si le monde matériel nous est librement ouvert; si nous pouvons porter, sans entraves, notre travail et en échanger les produits sur toute la surface de cette terre féconde que la providence nous a généreusement abandonnée? Devenons libres, et nous serons heureux! 

Tel était le cri de l’humanité opprimée. Eh bien! pensez-vous donc que l’humanité se trompât quand elle le poussait, de siècle en siècle, ce long cri de détresse et d’espérance? pensez-vous qu’en poursuivant sans cesse la liberté elle courût après un vain mirage? Non! descendez dans vos âmes, et vous n’oserez l’affirmer; vous n’oserez dire, ô Brutus du socialisme, que la liberté n’est qu’un vain nom!

Vous objecterez, à la vérité, que l’humanité souffre encore! Sans doute. Mais, et je tenais à bien constater ce fait devant vous, elle souffrait avant l’avènement de la liberté dans le monde, et ses souffrances étaient alors plus âpres et plus intenses qu’elles ne le sont de nos jours. 

Vous ne pouvez donc, sans commettre un grossier anachronisme, accuser la liberté des maux des classes laborieuses avant '89; est-ce avec plus de justice que vous lui imputez ceux qui ont depuis cette époque accablé les travailleurs? C'est ce que je me réserve d'examiner dans une prochaine lettre.

UN RÊVEUR

Cette lettre aux socialistes est apparu sous le titre L'Utopie de la Liberté dans le Journal des Économistes Tome XX, N° 82. – 15 juin 1848

Gustave de Molinari

Translation by Roderick T. Long




L'original en anglais:


We are adversaries, and yet the goal which we both pursue is the same. What is the common goal of economists and socialists? Is it not a society where the production of all the goods necessary to the maintenance and embellishment of life shall be as abundant as possible, and where the distribution of these same goods among those who have created them through their labour shall be as just as possible? May not our common ideal, apart from all distinction of schools, be summarised in these two words: abundance and justice?
LTS-I.2 Such, none among you can deny, is our common goal. Only we approach this goal by different paths; you proceed along the obscure and hitherto unexplored defile of the organisation of labour, while we proceed along the broad and well-known highway of liberty. Each of us is attemping to lead in train a hesitating and groping society that scans the horizon seeking, but in vain, the pillar of light that formerly guided the slaves of the Pharaohs to the Promised Land.
LTS-I.3 Why do you refuse to follow the path of liberty alongside us? Because, you say, this liberty which we so extol is fatal to the labourers; because it has thus far produced only the oppression of the weak by the strong; because it has give birth to disastrous crises in which millions of men have lost in some cases their fortunes and in other cases their lives; because liberty unbridled, unregulated, unlimited – is anarchy!
LTS-I.4 Is this not the reason that you reject liberty? is this not the reason that you demand the organisation of labour?
LTS-I.5 Well then, if we prove to you with sufficient clarity that all the evils which you attribute to liberty – or, to make use of an absolutely equivalent expression, to free competition – have their origin not in liberty but in the absence of liberty, in monopoly, in servitude; if we further prove to you that a society of perfect freedom, a society disencumbered of every restriction, of every fetter, such as has never been seen in history, would be exempted from the greatest part of the miseries of the present régime; if we prove to you that the organisation of such a society would be the best, the most just, the most favourable to advancement in the production and equality in the distribution of wealth; if we should prove all this, I ask, what would be your response? Would you continue to proscribe the freedom of labour and to inveigh against political economy, or would you, rather, rally openly to our banner, and employ all the precious fund of intellectual and moral forces with which nature has endowed you, to speed the triumph of our henceforth common cause, the cause of liberty?
LTS-I.6 Ah! I would be willing to swear that you would not hesitate a moment. If you became certain that you had been mistaken as to the true cause of the evils which afflict society and the means of remedying them; if you became certain that the truth is on our side and not on yours, no bonds of vanity, of ambition, or of stubborn partisanship would be strong enough to keep you on the shore of error: your hearts would be saddened, no doubt; you would bid with regret a last farewell to the dreams which have fed, enchanted, and misled your imaginations; but in the end you would abandon these beloved chimeras, you would overcome your repugnance, and you would come over to us. By God, we for our part would do as much, if you should succeed in introducing into our feeble intellects a ray of that light which converted St. Paul; if you should demonstrate, as clearly as the day, that the truth lies with socialism and not with political economy. We hold to our system only so far as we believe it true and just; we would burn tomorrow, with no inner rebellion, what we have adored, and we would adore what we have burned, if it were proven to us that our gods, Smith, Turgot, Quesnay, and J.-B. Say, are no more than wretched idols of wood. [Online editor’s note: classical liberal economists Adam Smith (1723-1790), Anne-Robert-Jacques Turgot (1727-1781), François Quesnay (1694-1774), and Jean-Baptiste Say (1767-1832). – RTL]
LTS-I.7 We and you, therefore, are alike free of all stubborn partisanship, taking this term in its strict sense; our view rises to a higher sphere, our thoughts follow a more generous flight: it is truth, justice, and utility that are our immortal guides through the hidden circles of science; it is humanity that is our adored Beatrice! [Online editor’s note: a reference to Dante’s guide through Paradise in the Divine Comedy. – RTL]
LTS-I.8 This being well understood between us, I pose plainly the question which separates us.
LTS-I.9 You maintain that society suffers from liberty; we maintain that it suffers from servitude.
LTS-I.10 You conclude that it is necessary to abolish liberty, and to put in its place the organisation of labour; we conclude that it is necessary to abolish servitude, and to put in its place – liberty, pure and simple.
LTS-I.11 Let us begin by specifying the facts. From what are does the freedom of labour date? It was proclaimed for the first time by Turgot in an immortal edict [Online editor’s note: in 1776, during Turgot’s tenure as finance minister. – RTL], and later sanctioned by the Constituent Assembly.
LTS-I.12 I will tell later on how this sacred freedom has been newly fettered and chained; for the moment I confine myself to noting that it was born only at the end of the eighteenth century.
LTS-I.13 Now what, I ask you, was the condition of the labouring masses up to the end of the eighteenth century? Were the workers happier before this time than they have been since?
LTS-I.14 If they were happier, oh! then I will agree with you that liberty has been a fatal gift for the world, and you are right to call for an organisation of labour modeled on that of ancient Egypt or mediæval Europe.
LTS-I.15 But if, on the contrary, the condition of the mass of people today is superior to what it was before ’89 [Online editor’s note: 1789, inter alia the first year of the Constitutent Assembly, and thus for Molinari the first year of (relative) freedom of labour. – RTL], will you not be obliged in good faith to acknowledge that the freedom of labour has been a benefit for humanity?
LTS-I.16 Let us quickly run over together the history of the past, the history of those thirty centuries of servitude which proceeded the arrival of the freedom of labour, and let us see what spectacle it offers to our view.
LTS-I.17 Is it truly the spectacle of universal ease and equality? Would God that it were! but no. It is on the contrary the tableau of a wretchedness more intense and of an inequality more profound than those which afflict our sight today. And the further back into the past we plunge, setting at ever greater distance the day when liberty finally shone forth upon the earth, the darker and more hideous this tableau of misery and social inequality appears to us.
LTS-I.18 If we go back as far as India and Egypt, what will we behold? two powerful castes, the caste of priests and that of the warriors, oppressing and exploiting without mercy the wretched multitude. At the pinnacle of these primitive societies, constructed in layers piled one above another like blocks of granite, we find the sages, garbed in purple, discussing the essence of divinity or the course of the stars, and the warriors intoxicating themselves with perfumes in the recesses of their harems; while below there vegetate the pariahs, covered in ignominy, or the slaves, moulding with their sweat and their tears the rude, gigantic edifice of the pyramids. Did the evil of these primitive societies, we ask, lie in liberty or in servitude?
LTS-I.19 Let us consider the Roman world. What do we find at the heart of this society, though it was the richest and most powerful of antiquity? On one side, a patriciate composed of a very small number of men enriched by the spoils of the universe. The life of these men, as you know, was a succession of bloody battles and foul orgies! Beside this all-powerful caste, gorging itself on the substance of an entire world as the vultures were seen to gorge themselves on the corpses of those vanquished by Marius [Online editor’s note: the Roman general Gaius Marius was said to have carried two pet vultures on his sanguinary campaigns. – RTL] – beside this engorged and satiated caste, what do we see? the impoverished multitude of proletarians and the debased multitude of slaves! You speak of the miseries of our working class; good God! as painful and pitiable as these miseries may be, you can hardly compare them with those of the Roman proletarians. At least our working class works; it does not beg! The people of our gloomy suburbs are not to be seen lining up at the gates of the splendid mansions of our moneyed aristocracy to beg alms! They are not to be seen hurling themselves like dogs upon the crumbs which the rich brush from their tables with a bored and disdainful hand! Nor yet are they to be raising daily riots to obtain free distribution of food. No! today’s worker undeniably leads a poor life; but he earns this life, he is able to earn it. The Roman proletarian was not in a position to earn his own life. The wealthy patricians had monopolised all the industries and all the soil, which they exploited by means of their slaves. Victims of this unequal competition, the proletarians’ only choice was between begging, exile, and death. They begged. And yet the lot of these degraded proletarians was still a thousand times preferable to that of the slaves. The proletarian, at least, was a man; the slave, for his part, was only one more species of beast of burden, a thing! The slave possessed nothing, not even a name. Admittedly the poor workers of our own countryside deserve our commiseration, they who pass their lives stooped to the ground, most often obtaining in exchange for their hard labour nothing better than a morsel of black bread to eat, a coarse cloth to wear, and a mud hut to sleep in; but however painful this existence, how many Roman slaves would have envied it! Recall the accounts of Pliny and Columella. [Online editor’s note: Gaius Plinius Secundus (or Pliny the Elder) and Lucius Junius Moderatus Columella, Roman writers on agriculture. – RTL] At the heart of the smiling countryside of Italy were to be found, at periodic intervals, those dark and noisome dwellings which were called ergastula. These were prisons, or to speak more accurately stables, of slaves. In the morning they filed out in bands, generally chained; they spread out across the countryside, driven by overseers armed with whips, and each furrow was watered with their sweat and their blood together. In the evening they were led back to the ergastulum, where like base animals they were tied up beside their mangers. For them no family, but a filthy promiscuity! no God, but an inexorable fate which robbed them of their humanity while leaving them not even the hope of a life to come! Such, as you know, was the condition of the labouring masses in antiquity. And yet the world had not yet been subjected to the law of laissez-faire!
LTS-I.20 Later on, what further do we see? Is the situation of the people much improved with the fall of the monstrous edifice of the Roman Empire? Morally, yes, no doubt, insofar as Christianity affords them sublime consolations; materially, no! Throughout the Middle Ages, the life of the people, whether serfs to the soil in the countryside or serfs to the corporations in the cities, is but a long train of anguish. The Middle Ages are a period of pain and sorrow, and among the groaning voices may be distinguished throughout the great and melancholy voice of the people. Still later, after so many and such fertile discoveries, after gunpowder had brought to justice the tyranny of the feudal lords, after printing had dispelled the deepest darkness of ignorance, after the compass gave us a new world, did the people cease to suffer? Under Louis XIV – under the reign of that king who is said to have carried to such heights the glory and power of France – what was the condition of the people? Was it superior to that of the people today? Everybody knows the celebrated passage in Vauban’s Royal Tithe [Online editor’s note: French economist Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707). – RTL], in which that illustrious man of good will characterised France’s situation in heart-breaking terms:
LTS-I.21 “It is certain,” he wrote, “that the evil has been pressed to the extreme, and if it is not remedied, the humble people will fall into an extremity from which they will never rise again; the highways of the countryside and the streets of the cities and towns are filled with beggars driven from their homes by hunger and nakedness.
LTS-I.22 “From all the research which I have been able to make during the several years that I have devoted myself to it, I have become very much aware that in recent times nearly one-tenth of the people is reduced to begging, and begs indeed; as for the other nine tenths, five are in no position to give them alms, since they themselves are but a short way from being in the same unhappy condition; of the four remaining tenths, three are worried and encumbered by debts and lawsuits; and in the final tenth – where I place all men of the sword and the robe, whether ecclesiastical or lay, all the high and distinguished nobility, all those with military or civil responsibility, the successful merchants, the bourgeois rentiers, and the most comfortable classes – there cannot be reckoned more than a hundred thousand families; and I do not think I would be wrong in saying that no more than ten thousand families, great or small, could be described as living in much ease1.”
LTS-I.23 Such was the condition of the people before freedom of labour arrived on the scene.
LTS-I.24 Moroever, throughout this long period of sufferings, what is the cry of the multitude? What was the demand of the captives of Egypt, the slaves of Spartacus, the peasants of the Middle Ages, and later the workers oppressed by the corporations and guilds. They demanded liberty!
LTS-I.25 They said to each other: our consciences, our thoughts, our labour are oppressed and exploited by men who have imposed themselves on us by violence or trickery. Some of them forbid us to love God and pray to him otherwise than according to their formula; others require us to study God, man, and nature according to their books, imprisoning our thoughts within the iron circle of their systems by forbidding us on pain of death to break it; still others, after these have enchained our souls, enchain our bodies. They require us to live attached like a plant to the place of our birth, and there they exercise their privileges to seize the greater part of the fruits of our labour and sweat. Let us burst asunder, even at the risk of our lives, these bonds which bruise us; let us demand, for all, both the liberty of the soul and that of the body; let us claim, for all, the natural right to believe, to think, and to act freely – and our sufferings will be at an end. Will our souls not be satisfied, once we have obtained for them free access to the immaterial realm – the ability to sail the immense and marvelous ocean of the mind, without being held back by the iron cable of an imposed system? Will our physical needs not be entirely met, once the material realm is freely open to us – once no fetters forbid us to bring our labour and exchange its products over the entire surface of this fertile earth with which providence has generously endowed us? Let us become free, and we will be happy!
LTS-I.26 Such was the cry of oppressed humanity. Well, then! do you suppose, therefore, that humanity was mistaken when it raised, from century to century, this long cry of distress and hope? do you that in their ceaseless pursuit of liberty they were running after a vain mirage? No! look into your hearts, and you will not dare to affirm it; you will not dare, you Brutuses of socialism, to say that liberty is only an empty name!
LTS-I.27 You will doubtless object that humanity still suffers! Most assuredly. But, and I insist on keeping this fact before your gaze, it suffered before the arrival of liberty upon the earth, and its sufferings then were harsher and more intense than they are today.
LTS-I.28
You cannot, therefore, without being guilty of gross anachronism, charge liberty with the ills of the labouring classes before ’89; is it with greater justice that you impute to it those which have crushed the workers since that time? The examination of that question I reserve to a future letter.

A DREAMER.
Journal des Économistes vol. 20, no. 82. – June 15th, 1848 (pp. 328-332).

[Online editor’s note: while this article was originally published anonymously, Molinari later acknowledged his authorship in his 1899 book Society of the Future, where he noted:
This appeal, which incidentally bears the imprint of the confident naïveté of youth, was, as events have shown, entirely premature. It went unheard; but one may be permitted to hope that it will yet be heard one day, and that socialism, by contributing to the economists its contingent of forces, will aid them in surmounting the resistance of those selfish and blind interests that set themselves athwart the necessary transformation of a political and economic organisation which has ceased to be adapted to societies’ present conditions of existence..]


 

mai 14, 2015

La pensée libérale sur les questions sociales, de l'histoire, des vérités!!

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

 Sommaire:

A) Le libéralisme est social et non socialiste - Guy Lemonnier/Claude Harmel - Livre - Reprise de mon blog Humanitas via Catallaxia

B) "Claude Harmel" ou Guy Lemonnier de Wikiberal

C) Question de LIBÉRALISME - Une page de l'Université Liberté, à cliquez directement ici





Il est d'une grande nécessité de lire point par point ce texte, qui relate l'historique des libéraux sur le fondement social de notre société. Les libéraux via le libéralisme en seront tant les précurseurs que les législateurs. Malheureusement les dits "socialistes" qui s'accordent le social sur toutes les sauces de nos jours, auront galvaudé, menti depuis des décennies. Autant les libéraux de 1848 et plus firent le social à l'opposition de ces mêmes socialistes "révolutionnaires", ces derniers s'en accordent aujourd'hui tous les droits sociaux et cela au détriment des libéraux. Faisons en sorte de rétablir les vérités, pour ce faire lisez bien ce texte, d'avance merci et diffusez-le, au maxi, merci. Cela répondra a beaucoup de questions, de litiges que se posent bien des démocrates, voire des libéraux.



 A) Le libéralisme est social et non socialiste



Lire aussi sur la page de U&L ici "question de Libéralisme , le texte de M. de Guénin: Le libéralisme est social, notamment.


C'est une idée depuis longtemps ancrée dans les esprits que les libéraux ont toujours ignoré, qu'ils ignorent encore et qu'ils ignoreront toujours les problèmes sociaux, entendus au sens étroit et banal du mot social: les problèmes concernant la condition matérielle et morale des travailleurs salariés, tout particulièrement des ouvriers et des employés de l'industrie et du commerce. Qu'ils les ont ignorés et les ignorent encore et les ignoreront toujours comme par définition, sous l'effet à la fois :


- d'une insensibilité au sort des autres qu'aurait cultivée en eux une philosophie de l'homme qui pousserait l'individualisme jusqu'à l'égoïsme du « chacun pour soi » , qui, pour parler comme Marx dans le Manifeste communiste, ne connaîtrait plus 

« d'homme à homme d'autre lien que l'intérêt tout nu, que l'impassible paiement au comptant, (...), l'eau glaciale du calcul égoïste ».


- et d'une idéologie qui les ferait croire (car cette conviction relèverait de la croyance et non de l'analyse scientifique) en la vertu de prétendues « lois naturelles » dont le libre jeu suffirait pour réaliser les ''Harmonies économiques'', pour résoudre tous les problèmes de la vie des hommes en société, y compris ceux qu'on appellerait indûment « sociaux » pour leur conférer une spécificité qu'ils n'auraient pas - le sort des laissés-pour-compte relevant des oeuvres charitables que la généralisation de la richesse permettrait de financer aisément.
Bref, même si l'on ne la cite plus guère, on en est toujours, pour résumer la pensée des libéraux, à la formule prêtée à Gambetta: « Il n'y a pas de question sociale », formule odieusement travestie, dont le texte authentique oppose admirablement la pensée libérale consciente et amoureuse de la diversité des choses à la simplification de type totalitaire à laquelle la doctrine socialiste incline si aisément: « Il n'y a pas la question sociale, il y a des questions sociales. »

La réhabilitation du travail
Le premier apport de la pensée libérale à l'amélioration de la condition ouvrière (puisque c'est de ce seul point de vue qu'en cette étude nous envisagerons les aspects sociaux de la pensée libérale), ce premier apport fait maintenant partie à ce point de la pensée commune que la plupart des gens ne savent plus d'où il nous est venu: la réhabilitation du travail productif, du travail de production des biens matériels, en particulier la réhabilitation du travail manuel.
  Réhabilitation est d'ailleurs ici un terme assez impropre, car il laisse entendre que le travail aurait été honoré avant de sombrer dans le mépris. Or, il n'a jamais été à l'honneur. On le tenait pour oeuvre servile, aux yeux de certains, la conséquence et la preuve de la malédiction divine.
Que de fois n'a-t-on pas cité le mot d'Aristote en sa Politique, que le maître n'aurait plus besoin d'esclaves quand les navettes tisseraient d'elles-mêmes. Sans doute penserait-on par cette évocation du philosophe donner ses lettres de noblesse à « la libération de l'homme par la machine ». On ne se rendait pas compte qu'en parlant de la sorte, on avouait implicitement que l'on continuait à penser au fond de soi--même qu'un homme libre ne se met pas au métier, qu'il ne travaille pas de ses mains.
Vivre noblement, ce fut longtemps vivre sinon à ne rien faire, du moins à ne rien faire qui relevât de la production et du commerce, qui ne fût pas gouverner, guerroyer, à un niveau un peu inférieur, administrer, et M. Jourdain, qui se voulait faire passer pour gentilhomme, laissait dire avec délice que son père, qui avait honorablement enrichi la famille dans le commerce des étoffes, n'avait jamais été marchand, mais que « comme il était fort obligeant et qu'il se connaissait fort bien en étoffes, il en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui et en donnait à ses amis pour de l'argent ».


Soixante ans plus tard, la pensée libérale faisait ses premiers pas, et Voltaire ne sera pas seul à penser que « le plus utile à l'État n'est pas le Seigneur bien poudré qui sait précisément à quelle heure le Roi se lève, à quelle heure il se couche et qui se donne des airs de grandeur en jouant le rôle d'esclave dans l'antichambre d'un ministre « , mais le négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet des ordres à Surate et au Caire, et contribue au bonheur des hommes » (Lettres philosophiques Xe siècle). L'activité productrice sortira moins vite de l'opprobre, le mépris des clercs pour les arts mécaniques s'ajoutant ici au dédain nobiliaire, et la cabale qui accompagna tout le long de son règne le roi réformateur, le bon Louis XVI, se gaussera de ce monarque qui s'avilissait jusqu'à travailler de ses mains. Mais le pas n'allait plus tarder à être franchi. Les économistes révélant la nature et les causes de la richesse des nations, la révolution industrielle confortant les analyses des économistes, le travail allait trouver enfin sa place légitime. Désormais, vivre honorablement, ce sera vivre en travaillant, ce sera travailler pour vivre. « Enrichissez-vous par le travail » dira Guizot. Lamartine chantera le travail, « sainte loi du monde » et le titre de travailleur, naguère humiliant, sera porté si haut qu'on se le disputera. Dans ses admirables ''Lettres sur l'organisation du Travail'' - un trésor méconnu de la pensée libérale - Michel Chevalier, parlant de l' « amélioration du sort des travailleurs », s'excusera de sacrifier à la mode du jour en disant travailleur là où il aurait dû dire ouvrier, « car un chef d'industrie est un travailleur au même titre que l'homme qui se livre au travail manuel de l'atelier ».
Qu'on n'aille pas croire que ce n'était là que des vues théoriques et qu'on glorifiait le travail sans se soucier du sort matériel des travailleurs! Les socialistes revendiquent pour eux-mêmes quelque chose comme le monopole du coeur. Ce sont eux qui auraient mis les premiers en lumière la misère ouvrière que les beaux esprits de l'économie auraient refusé de voir. Mais les économistes libéraux, - c'était là une expression qui n'avait pas cours au début du XIXe siècle, car elle eût fait pléonasme en ce temps où tout économiste était libéral, où l'économie s'opposait au socialisme et réciproquement, où le socialisme d'avant Marx se présentait comme une anti-économie, niant les lois du marché, ou prétendant qu'on pouvait les abolir. (François Mitterrand ne parlera-t-il pas encore des « prétendues lois économiques » ?)
Les économistes témoins de la révolution industrielle dont ils fondaient la doctrine n'étaient pas insensibles aux misères que multipliait le passage d'une économie à une autre. On pense au Dr Villermé, à son Tableau de l'état physique et moral des ouvriers, témoin d'une préoccupation collective, puisque l'enquête lui avait été demandée par l'Académie des sciences morales et politiques. Ils étaient des libéraux, les parlementaires de la monarchie de Juillet qui votèrent notre première « loi ouvrière », celle du 28 mars 1841, interdisant le travail dans les fabriques des enfants de moins de 8 ans, et limitant à huit heures de travail diurne, le travail des enfants de 8 à 12 ans. Loi difficile, parce qu'il s'agissait de concilier ce qu'on n'avait guère eu à faire jusqu'alors, (et les concepts manquaient) « les principes de la liberté industrielle, les droits des chefs de famille, et les sentiments qu'inspire l'humanité », comme disait le rapporteur de la loi à la Chambre de Paris, le très libéral Charles Dupin. Car tout partisans et propagateurs qu'ils fussent de la division du travail et de l'emploi des machines (seuls capables de permettre l'accroissement presque à l'infini de la production et son bon marché, sans lesquels ils pensaient à bon droit qu'on ne pourrait pas « éteindre le paupérisme »), ils n'en étaient pas moins sensibles aux efforts et aux sacrifices que ces méthodes nouvelles imposaient aux ouvriers, au moins dans un premier temps. Ils montraient - ce qui fut longtemps vrai - que les machines ne supprimaient pas vraiment le travail, mais le déplaçaient et qu'après un certain temps la fabrication dans laquelle les machines ouvrières ont été introduites, occupait un plus grand nombre d'hommes qu'auparavant .
Et qui voudrait croire, parmi nos « politiquement corrects » du forum, de l'université ou du prétoire, qu'il est de Jean-Baptiste Say, l'Adam Smith français, ce texte de 1803 sur les effets de la division du travail :
« Un homme qui ne fait pendant toute sa vie qu'une même opération parvient à coup sûr à l'exécuter mieux et plus promptement, mais en même temps il devient moins capable de tout autre occupation soit physique, soit morale. Ses autres facultés s'éteignent et il en résulte une dégénération dans l'homme considéré individuellement. C'est un triste témoignage à se rendre que de n'avoir jamais fait que la dix-huitième partie d'une épingle (..). La séparation des travaux est un habile emploi des forces de l'homme, elle accroît les produits de la société, sa puissance et ses jouissances, mais elle ôte quelque chose à la capacité de chaque homme pris individuellement. »


La solution, Say l'entrevoyait dans le développement et le meilleur emploi de la partie de l'existence qui n'est pas consacrée au travail-gagne-pain, dans 

« les facilités qu'une civilisation plus avancée procure à tous les hommes pour perfectionner leur intelligence et leurs qualités morales ».

L'instruction de la première enfance mise à la portée des familles d'ouvriers, l'instruction qu'ils peuvent puiser dans des livres peu chers et cette masse de lumière qui circule perpétuellement au milieu d'une nation civilisée et industrieuse ne permettent pas qu'aucun de ses membres soit abruti seulement par la nature de son travail. Un ouvrier n'est pas constamment occupé de sa profession. Il passe nécessairement une partie de ses instants à ses repas et à ses jours de repos au sein de sa famille. S'il se livre à des vices abrutissants, c'est plutôt aux institutions sociales qu'à la nature de son travail qu'il faut les attribuer .
Cent vingt-cinq ans plus tard, au romancier Georges Duhamel qui déplorait l'organisation scientifique du travail, le taylorisme, on disait en France la « rationalisation », en quoi il voyait - avec bien d'autres - le méfait suprême de la « civilisation », l'abrutissement des hommes par le travail parcellaire et répétitif, l'ouvrier mécanicien Hyacinthe Dubreuil répondait qu'il appréciait quant à lui bien différemment un système qui avait permis aux ouvriers de ne plus passer à l'atelier que huit heures par jour au lieu de dix ou de douze.
  Signalons ici, parce que nous n'aurons pas l'occasion d'y revenir en ce chapitre, un des éléments de la part d'utopie que comportait la pensée libérale du XIXe siècle : la croyance (le mot s'impose) en la vertu quasi magique d'une formation intellectuelle de type scolaire, on devrait dire cléricale - de clerc qui veut dire intellectuel - trop éloignée du métier et de la vie. Car il ne faut pas oublier que les promoteurs quasi héroïques de l'obligation scolaire furent des libéraux, injustement accusés pour cela par Jules Guesde, l'introducteur du marxisme (et quel marxisme!) dans le mouvement socialiste en France, de chercher à procurer aux exploiteurs capitalistes une main-d'oeuvre plus rentable.
La réhabilitation du salariat
Comme elle a donné au travail productif ses lettres de noblesse, la pensée libérale a puissamment contribué à la réhabilitation morale du salariat. Car le salaire a été considéré longtemps comme une forme inférieure et même dégradante de revenu. Un salarié, c'était quelque chose comme un mercenaire. Le 10 août 1789, Mirabeau avait « blessé la dignité du sacerdoce » en proposant que la nation « salariât les ministres des autels » et il tenta d'apaiser l'ire épiscopale en dénonçant « les préjugés d'ignorance orgueilleuse qui font dédaigner les mots salaire et salariés ». Car il ne connaissait quant à lui que « trois manières d'exister dans la société: mendiant, voleur ou salarié ».
Napoléon se le tint pour dit et, en négociant le Concordat, il veilla à ne pas heurter l'amour-propre des évêques; les prêtres ne recevraient pas de l'État un salaire, mais un traitement. En pleine Révolution de 1848, Bastiat dut se battre pour faire admettre que, « considéré sans son origine, sa nature et sa forme, le salaire n'a en lui-même rien de dégradant ». A juste titre, il faisait grief aux socialistes d'avoir surenchéri sur ce préjugé aristocratique et clérical: « Peu s'en faut qu'ils ne l'aient signalé comme une forme à peine adoucie de l'esclavage et du servage. » Il reprochait à leur propagande d'avoir fait « pénétrer la haine du salariat dans la classe même des salariés », et c'est en effet la source d'une grande misère morale que d'avoir honte de la façon dont on gagne sa vie, si honorablement que ce soit.
Les ouvriers se sont dégoûtés de cette forme de rémunération. Elle leur a paru injuste, humiliante, odieuse. Ils ont cru qu'elle les frappait du sceau de la servitude. Ils ont voulu participer selon d'autres procédés à la répartition de la richesse. De là à s'engouer des plus folles utopies, il n'y avait qu'un pas - et ce pas a été franchi. A la révolution de Février, la grande préoccupation des ouvriers a été de se débarrasser du salaire. Sur les moyens, ils ont consulté les dieux, mais quand les dieux ne sont pas restés muets, ils n'ont selon l'usage rendu que d'obscurs oracles, dans lesquels dominait le grand mot d'association, comme si association et salaire étaient incompatibles.
A la vérité, les socialistes n'étaient pas seuls à considérer le salariat comme un opprobre, et même une abjection. L'excellent Pierre Larousse qui, en son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle ne cachait pas, affichait plutôt ses convictions libérales (« le beau mot de libéralisme ») écrivait au mot salaire, après avoir multiplié les citations d'auteurs défavorables au salariat (« e salaire n'est que l'esclavage prolongé », Chateaubriand), que seule l'association de production permettrait à l'ouvrier d'échapper « à la tyrannie du salariat, cette forme moderne du servage ». Ainsi s'explique que tant de penseurs, de publicistes et d'hommes politiques libéraux - et non des moins connus jusque de nos jours - menèrent campagne sous la IIe République et le Second Empire en faveur des associations ouvrières de consommation et de production, de celles-ci surtout. Certains allèrent même - Léon Say qui fut l'initiateur, Léon Walras, d'Haussonville, Hippolyte Comte, Casimir-Périer, Jules Simon, Delessert, Récamier, Germain, Benoist-d'Azy, le duc Décazes - jusqu'à fonder de leurs propres deniers en 1864 une « caisse d'escompte des associations populaires » dont l'objet était d'aider, sans but lucratif, les sociétés ouvrières de production et de consommation à réunir leurs premiers fonds. Napoléon III tenta de faciliter les efforts en ce sens avec sa loi des 24-29 juillet 1867, qui, en même temps qu'elle reconnaissait aux sociétés anonymes (associations typiquement capitalistes) le droit de se former sans l'autorisation de la puissance publique, définissait sous le titre énigmatique de « dispositions particulières des sociétés à capital variable » le statut de ce que le langage courant commençait à désigner du nom de « coopératives de production ».
Sans doute les libéraux n'allaient-ils pas, ce faisant, à l'encontre de la pensée libérale, car la coopérative, elle aussi, est soumise à la concurrence et aux autres lois du marché. Et ils pouvaient exciper du fait que (outre que l'ouvrier coopérateur échappait à l' « humiliation » du salaire qui semblait ravaler le travail au rang d'une marchandise ainsi qu'à la tutelle d'un patron) il accédait ainsi à la propriété (et notamment à la propriété de ses instruments de travail), et l'école libérale a toujours souhaité la diffusion la plus large possible de la propriété.
  Villermé pourtant les avait mis en garde non contre le principe économique de la coopérative, mais contre les difficultés qu'on pourrait dire « politiques » d'un type d'association qui ne pouvait exister qu'à la condition d'une estime, d'une amitié réciproques, d'un accord parfait et d'une certaine conformité de sentiments, de volonté, surtout dans les tendances morales de ceux qui la composent (...)Essayez donc de maintenir constamment unis dans une même opinion et en bonne intelligence seulement dix hommes. Essayez de les plier à une organisation qui les rende solidaires; puis, quand vous aurez vu la persistance, la ténacité qu'il faut avoir, les immenses difficultés de cette tâche, vous nous direz si vous croyez encore à la possibilité d'envelopper dans une même organisation et de rendre sérieusement solidaires des milliers d'individus .
Bref, la réussite d'une association ouvrière ne peut être, en France surtout, qu'une exception, ce mode d'activité économique échouant beaucoup moins à cause des impératifs inexorables des lois du marché que du fait des difficultés du gouvernement des hommes, dont on a trop tendance à oublier que leurs groupements, dès qu'ils parviennent à un certain niveau d'effectif, rapidement atteint, ne peuvent continuer de vivre et de progresser qu'en sécrétant, en quelque sorte, un pouvoir, une direction, pour les gouverner.
Osons dire que cette dérive marginale de la pensée libérale au XIXe siècle n'a pas été sans conséquence sur l'évolution du mouvement ouvrier. Certes, c'est la contamination de l'idée syndicale par la ou les doctrines socialistes et par les rêveries anarchistes qui a conduit le mouvement syndical à la redoutable incapacité de sortir de la contestation que nous lui connaissons aujourd'hui.
Mais on ne peut pas oublier que notre premier syndicalisme, celui de la fin du Second Empire et des débuts de la IIIe République, qui n'était nullement révolutionnaire, nullement étatiste, encore moins « collectiviste », s'est fourvoyé dans la coopération aux applaudissements de certains libéraux. Chaque syndicat se croyait obligé de s'adjoindre un atelier coopératif dont l'inéluctable faillite entraînait à peu près aussi inéluctablement la ruine et la disparition de la chambre syndicale.
Échecs répétés qui auraient pu être formateurs et salutaires si les désillusions qu'ils causèrent n'avaient ouvert une brèche par où s'engouffra toute la démagogie socialiste et son affirmation qu'il n'y avait pas à perdre son temps à rapetasser le vieux monde, maintenant que le collectivisme offrait sa panacée sociale. C'est du temps de ces illusions sur les possibilités de la coopération que date la fameuse formule qui figure encore dans les statuts de la CGT Force ouvrière: « La disparition du patronat et du salariat », car c'était alors l'association ouvrière de production qui paraissait présenter le modèle d'une entreprise sans salarié et sans patron. La coopérative écartée, la formule a permis de rattacher à l'idée syndicale des notions comme celles de nationalisation et de socialisation qui, en fin d'analyse, lui sont étrangères.
Pourtant, les libéraux avaient tendu la main au mouvement syndical pour sa défense du salariat. Bastiat déjà avait souligné que dans leur recherche de la sécurité commune à tous les hommes, dans leur désir « d'être tranquilles sur leur avenir, de savoir sur quoi compter, de pouvoir disposer d'avance tous leurs arrangements », les ouvriers trouvaient un commencement de solution dans cette forme de rémunération qu'est le salaire.
Elle les délivre, si l'on peut dire, de la servitude de la marchandise, car celui qui recevrait pour paiement de son travail la marchandise qu'il a fabriquée devrait attendre de l'avoir vendue avant d'être vraiment rémunéré. Bastiat priait les socialistes de considérer lesquels étaient les plus assurés d'être payés, de l'ouvrier qui reçoit une part du produit ou de celui qui perçoit un salaire.  

Leroy-Beaulieu lui fera écho à la fin du siècle : « Un salaire présente pour l'ouvrier ces deux avantages: le dégager de l'inconnu des résultats de la production, lui permettre, sans attendre ces résultats, de satisfaire ses besoins qui sont immédiats. »

Et de produire à l'appui cet exemple (qui de surcroît nous rappelle que la construction immobilière à toujours eu une allure chaotique avec des hauts qui peuvent être des pics et des bas en forme d'abîmes):
« De 1879 à 1885, on a construit une douzaine de mille maisons à Paris. Les ouvriers maçons, charpentiers, couvreurs, ont été occupés très activement avec des salaires moyens de 7,8 ou 9 francs par jour. (..) Or, sur dix entrepreneurs de ces travaux si rémunérateurs pour les ouvriers, neuf au moins ont fait faillite ou sont tombés en liquidation, les maisons qui leur avaient prêté ont perdu la moitié de leur avoir, quelques-unes les quatre cinquièmes.

Mais les ouvriers avaient été payés. »


La liberté de la consommation
Le salaire assure aussi à l'ouvrier la liberté de la consommation, car de son salaire, il fait ce qu'il veut. En dépit des laudateurs du temps passé, du temps où le compagnon mangeait à la table du maître et couchait dans un coin de son logis, en dépit aussi des rêveurs du socialisme dont l'idéal serait que la société prît en charge tous les individus et les pourvût de tout (« à chacun selon ses besoins ») sous prétexte de les libérer de toutes les servitudes matérielles, le salaire, c'est-à-dire la rémunération en espèces, la rémunération en monnaie, constitue l'un des fondements nécessaires des libertés individuelles.
Certes, lent d'abord, puis brusquement accéléré avec l'abolition définitive des corporations en 1791, aggravé ensuite par l'apparition du capitalisme industriel, ce passage d'un type de rémunération (le compagnon à la charge du maître) à un autre (« voilà ton argent, arrange-toi à ta guise ») a provoqué dans toute une partie des classes ouvrières un sentiment d'abandon, de déréliction qui a profondément et durablement marqué les consciences, dans toutes les classes de la société. On vit nombre d'employeurs (le mot ne sera d'usage courant que beaucoup plus tard) pratiquer ce qu'on appelait le patronage, ce qu'on appelle aujourd'hui avec une nuance de dénigrement le paternalisme, dont l'une des pratiques (les « économats » où les ouvriers de l'usine trouvaient tout à meilleur prix) constituait indubitablement dans les faits un retour indirect au paiement en nature.
Les libéraux peuvent bien souvent aller chercher l'expression de leur propre pensée jusque chez ceux qui font profession de la condamner. On leur a tant emprunté, sans le dire! Et ce qu'ils énoncent est si conforme à la nature des choses qu'on est bien forcé d'y revenir dès que la réalité ébranle les idéologies et s'impose aux esprits.
C'est donc à des socialistes que nous nous donnerons le luxe de demander la défense et illustration du salaire en argent, du salaire direct... du salaire libéral.
  En 1886, les mineurs de Decazeville firent une grève demeurée lugubrement célèbre dans les annales du mouvement ouvrier parce qu'elle fut marquée par la défenestration mortelle du sous-directeur de la compagnie, l'ingénieur Watrin. Le fondateur du syndicalisme des mineurs dans le Nord, Émile Basly, député de Paris depuis 1885, dénonça à la tribune du Palais-Bourbon les pratiques de l'économat (géré par la Compagnie) qui faisaient que la plupart des mineurs touchaient la plus large part de leur salaire, la totalité parfois, sous forme de jetons et de bons qui n'avaient cours que dans les magasins de l'économat, et il réclama la suppression de cet économat qui, dit-il, confisquait « la liberté de consommation ».
Un an plus tard, rapporteur du projet de loi concernant l'institution de délégués à la sécurité dans les mines, Jean Jaurès (qui, il est vrai, n'avait pas encore donné son adhésion au socialisme collectiviste) évoquait à son tour ces ouvriers qui n'avaient jamais été payés qu'en nature, qui étaient rivés à une sorte de compte courant perpétuel et qui n'avaient jamais « vu reluire dans un peu d'or une peur de liberté ».
Bastiat était donc bien fondé à écrire que les classes laborieuses s'étaient « élevées jusqu'au salariat » et que c'était là un des progrès de la civilisation, même si elles ne devaient pas en rester là dans leurs efforts pour acquérir la sécurité.
A la fin du siècle, P. Leroy-Beaulieu sentira encore la nécessité de défendre l'honneur du salariat et consacrera des pages à montrer que de tous les contrats humains, le salaire, c'est-à-dire la rémunération ,fixée d'avance, soit d'après le temps de travail, soit d'après un tarif pour chaque unité d'ouvrage fait, est le contrat le plus répandu, le plus général, celui gui s'adapte aux occupations les plus diverses, qui a cours dans les pays les plus différents..., nul [autre] contrat n'ayant à un pareil degré un caractère de généralité, approchant presque de l'universalité .
Ce qui était vrai en 1896 l'est plus encore cent ans plus tard. Les PDG eux-mêmes sont aujourd'hui des salariés et tiennent à l'être; et l'ironie des choses a même fait que l'action syndicale menée sous le signe de l'abolition du salariat a elle-même contribué puissamment à la consolidation et à la généralisation de cette forme de revenu, toute chargée qu'elle fût de la malédiction socialiste.
L'organisation du marché du travail
Libérateur en soi, le salaire n'en restait pas moins terriblement aléatoire en ces premiers temps d'extension au salariat. Il était soumis aux lois du marché, et cela dans les conditions les plus défavorables, car, non seulement l'Assemblée constituante avait, en 1791, par le décret d'Allarde, aboli définitivement les corporations et proclamé la liberté du travail, mais encore, sous l'influence, non plus cette fois de la pensée libérale, mais des doctrines quasi totalitaires de Jean-Jacques Rousseau, elle avait, prise d'une sorte de phobie, interdit toutes les associations, les associations de capitaux aussi bien que celles des ouvriers salariés, tout comme les associations politiques. Elle n'avait pas toléré qu'aucun « corps » se formât entre les individus citoyens d'une part, l'État de l'autre; et, bravant la nature humaine, incontestablement sociale, sa Déclaration des droits de l'homme et du citoyen avait délibérément ignoré le droit d'association.
Qui plus est, émue par une grève des charpentiers parisiens (mais alors on ne disait pas encore grève) elle avait, à l'appel de René Le Chapelier, député de Rennes, interdit non seulement les grèves, les cessations concertées et collectives du travail, mais les associations professionnelles, aussi bien d'entrepreneurs que d'ouvriers et compagnons, nos syndicats, et elle avait stipulé que ce que nous appelons le contrat de travail ne pouvait être qu'un accord passé « de gré à gré » entre deux individus, le maître et l'ouvrier, sans qu'aucun tiers (ni le gouvernement, ni la loi, ni une organisation quelconque) puisse intervenir dans la discussion et la conclusion de ce contrat.
Quinze ans avant la loi Le Chapelier, Adam Smith avait déjà relevé que, dans cet affrontement entre le maître et l'ouvrier, et bien qu'on eût de part et d'autre des individus libres et égaux en droit, la partie n'était pas égale. Outre que les maîtres peuvent se concerter plus aisément que les ouvriers, fût-ce discrètement, ils sont en état de tenir plus longtemps. Un propriétaire, un fermier, un maître fabricant ou marchand, pourraient en général, sans occuper un seul ouvrier, vivre un an ou deux sur les fonds qu'ils ont amassés. Beaucoup d'ouvriers ne pourraient pas subsister sans travail une semaine, très peu un mois et à peine un seul une année entière. A la longue, il se peut que le maître ait autant besoin de l'ouvrier que celui-ci a besoin du maître, mais le besoin du premier n'est pas si pressant.
Jean-Baptiste Say reprendra en écho dès 1803:



« Les salaires de l'ouvrier se règlent contradictoirement par une convention faite entre l'ouvrier et le chef d'industrie : le premier cherche à recevoir le plus, l'autre à donner le moins qu'il est possible, mais dans cette espèce de débat, il y a du côté du maître un avantage indépendant de ceux qu'il tient déjà de la nature de ses fonctions. Le maître et l'ouvrier ont bien également besoin l'un de l'autre, puisque l'un ne peut faire aucun profit sans le secours de l'autre, mais le besoin du maître est moins immédiat, moins pressant. Il en est peu qui ne puissent vivre plusieurs mois, plusieurs années même, sans faire travailler un seul ouvrier, tandis qu'il est peu d'ouvriers qui puissent, sans être réduits aux dernières extrémités, passer plusieurs semaines sans ouvrage. Il est bien difficile que cette différence de position n'influe pas sur le règlement des salaires. »




Les socialistes n'ont donc pas été les premiers, comme ils se complaisent à le croire, à dénoncer l'inégalité du maître et de l'ouvrier sur le marché du travail. Le mérite en revient aux économistes, et on est injuste, déloyal ou ignorant quand on ne leur en rend pas hommage. Il est permis toutefois de relever qu'il manque quelque chose à leur analyse.
Dans sa confrontation avec son employeur éventuel, l'ouvrier n'est pas défavorisé seulement - ni peut-être même principalement - par son incapacité à « tenir » longtemps sans ouvrage. Il souffre aussi d'être soumis à la redoutable concurrence de ceux qui, comme lui, cherchent une embauche. Il est bien rare en effet que les demandeurs d'emploi (offreurs de travail) soient moins nombreux que les emplois disponibles. L'offre est presque toujours supérieure à la demande. Il s'ensuit donc sur le marché du travail une concurrence des ouvriers entre eux, qui conduit inévitablement à la baisse du prix de la « marchandise » offerte en trop grande quantité, à la baisse des salaires. S'il existe une place libre dans un atelier et dix candidats à la porte pour l'occuper, c'est, à qualité professionnelle égale, celui qui offrira ses services à quelques centimes de moins que les camarades qui obtiendra la place. Bref, sur le marché du travail, l'adversaire pour ne pas dire l'ennemi, ce n'est pas le patron qui « fait travailler » et dont on sollicite un emploi, mais les camarades qui, eux aussi, cherchent un travail et sont prêts à « casser les prix » pour obtenir la préférence.
Les socialistes n'ont pas ignoré cet aspect des choses, mais ils ne s'y sont pas attardés. Marx y fait allusion furtivement deux fois dans le Manifeste communiste. Ils n'auraient pas voulu laisser croire qu'ils pensaient que les ouvriers pussent être pour quelque chose dans leur malheur. Selon leurs dires, la concurrence sur le marché du travail n'avait des effets dévastateurs que parce qu'elle était la conséquence de la concurrence sur le marché des produits. Si les fabricants et manufacturiers n'étaient pas obligés de « serrer les prix » pour résister à la concurrence, ils montreraient moins d' « âpreté » dans la discussion des salaires. Aussi, le salut de la classe ouvrière passait-il aux yeux des socialistes par une organisation de la production et de la distribution qui soustrairait l'une et l'autre aux lois du marché.
  Les libéraux, quant à eux, ont cherché la solution dans l'organisation non du travail, mais du marché du travail.
Le mérite de leurs premières démarches à la fois théoriques et pratiques revient à Gustave de Molinari (1819-1912), libéral s'il en fut, futur rédacteur en chef du Journal des Économistes. Tout jeune, il s'était intéressé aux « moyens d'améliorer le sort des classes laborieuses ».
Élevé dans une ville industrielle (il était né à Liège, avait vécu à Bruxelles, avant de s'installer à Paris), il avait pu constater journellement l'inégalité de la situation de l'ouvrier et de l'entrepreneur dans le débat du salaire et les effets de cette situation inégale. Il avait vu de près l'ouvrier dépourvu d'avances et immobilisé dans un marché étroit, obligé d'accepter les conditions qui lui étaient proposées, si dures qu'elles puissent être.
Deux faits sont particulièrement à retenir parmi ceux qui nourrirent sa réflexion: d'abord ce qu'on pourrait appeler l'opacité du marché du travail, l'ignorance dans laquelle se trouvaient le plus souvent les demandeurs d'emploi de l'existence des emplois disponibles (et aussi la difficulté de se rendre là où il y avait des emplois, faute notamment de savoir si ces emplois existaient vraiment) -, puis la pression que les ouvriers à la recherche d'une embauche exerçaient les uns sur les autres sur ces marchés de louage de main-d'oeuvre qu'à Paris on appelait les « grèves ». En présence de leurs camarades, aucun d'eux (par amour propre, par esprit de solidarité, par peur aussi des représailles) n'osait accepter un travail à un prix inférieur à ce qu'il avait été convenu entre eux ou à ce qui se pratiquait normalement dans la profession.
D'où l'idée d'établir, dans les principaux centres d'industrie et d'agriculture, une Bourse du travail où se rendraient les ouvriers qui auraient besoin de travail et les maîtres d'atelier qui auraient besoin d'ouvriers. Le prix du travail pour chaque industrie y serait chaque jour affiché... les ouvriers... pourraient de la sorte connaître, jour par jour, les endroits où le travail s'obtient aux conditions les plus favorables, ceux où ils doivent se porter de préférence pour en demander.
Autre projet, plus modeste
« Nous proposons à tous les corps d'État de la Ville de Paris de publier gratuitement chaque semaine le bulletin des engagements d'ouvriers avec l'indication du taux des salaires et de l'état de l'offre et de la demande, chaque métier ayant sa publication à jour fixe... Nous inviterons nos confrères des départements à publier le Bulletin du travail de leurs localités respectives... Chaque semaine, nous rassemblerons tous ces bulletins et nous en composerons un bulletin général. Chaque semaine, tous les travailleurs de France pourront avoir de la sorte sous les yeux le tableau de la situation du travail dans les différentes parties du pays...

Nous nous adressons avant tout aux ouvriers des corps d'État de la Ville de Paris. Déjà, ils se trouvent organisés et ils possèdent des centres de placements réguliers [Les « grèves » dont nous parlions plus haut]. Rien ne serait plus facile que de livrer à la publicité le bulletin de leurs transactions quotidiennes et de doter la France de la publicité du travail. »


Cette première idée d'une « agence nationale de l'emploi » dut être renvoyée dans les limbes, par suite notamment du refus des ouvriers. Molinari était allé la soumettre à une réunion des tailleurs de pierre. « Malheureusement, écrit-il, ceux-ci craignirent que la publication des prix du travail à Paris n'attirât une affluence plus considérable d'ouvriers dans ce grand centre de population » et ils refusèrent leur concours.
Le projet fut repris à partir de 1875 par la municipalité parisienne, adopté en 1886, après le vote de la loi concernant les syndicats professionnels, un premier local ouvert en 1887 sous le nom d'annexe n° 1, rue Jean-Jacques Rousseau, la Bourse centrale actuelle, rue du Château d'Eau ne devant être inaugurée qu'en 1892. La Bourse jouait un double rôle, celui d'un bureau de placement (ou d'une concentration de bureaux de placement) et d'une maison de Syndicats, ce second rôle que n'avait pas prévu Molinari (et pour cause) devant rapidement éclipser le premier. Durant les premières années, les placements effectués par les syndicats admis à la Bourse se comptèrent par milliers. Mais les différentes factions socialistes qui se disputèrent la direction de la Bourse firent bientôt de celle-ci un centre d'agitation révolutionnaire, décourageant ainsi les patrons de venir y chercher le personnel dont ils avaient besoin et les ouvriers de s'y inscrire.
D'autre part, la municipalité parisienne, qui logeait gratuitement les syndicats dans les deux immeubles de la Bourse du travail, et qui versait à celle-ci une subvention annuelle pour en assurer l'entretien et le fonctionnement, avait mis une condition et une seule à l'admission des syndicats dans la Bourse: qu'ils fissent du placement, et qu'ils le fissent gratuitement. Idée malencontreuse qui, en obligeant les syndicats à ne pas faire payer les services qu'ils rendaient non à titre collectif mais à titre individuel, a développé chez eux un « subventionnisme » dont ils n'ont jamais pu se défaire : l'habitude de vivre grâce à d'autres ressources que leurs ressources propres, celles-ci devant se limiter aux cotisations des militants, à l'exclusion, répétons-le, du paiement des services rendus aux individus, syndiqués et non syndiqués, alors qu'il aurait été parfaitement justifié de les leur facturer, aux non syndiqués surtout. D'où cette évolution fâcheuse, entamée à peu près dès l'ouverture de la Bourse, d'un syndicalisme utilitaire vers un syndicalisme idéologique, assurément moins ancré dans la réalité, d'autant plus que cette « idéologisation » de type révolutionnaire écartait la grande majorité des ouvriers et des employés qui n'aspiraient nullement à la révolution.
Le droit de coalition
Leur philosophie fondamentale poussait les libéraux non pas à demander au gouvernement ou au législateur de résoudre par le moyen d'arrêtés, de décrets ou de lois les problèmes des ouvriers (non plus que des autres) en fait de salaires ou de conditions de travail ou, comme nous disons, de protection sociale collective, mais à fournir aux ouvriers (et aux autres) les instruments juridiques dont ils avaient besoin pour « faire leurs affaires eux-mêmes » , à tout le moins à faire disparaître de la loi les dispositions juridiques qui faisaient obstacle à la prise en main par les uns ou les autres de la défense des intérêts qui leur en étaient propres. C'est ainsi qu'ils s'en prirent à la loi Le Chapelier, aux articles du code pénal qui en étaient issus et qu'ils finirent par en avoir raison.
Le 17 novembre 1849 (et bien que « ses poumons ne pussent lutter avec les orages parlementaires »), Bastiat intervint à l'Assemblée législative pour défendre ce qui n'était pas encore le droit de grève : le droit pour un ouvrier de cesser son travail si les conditions de salaire que lui offre son employeur ne lui conviennent pas.



« Quoi ! Je suis en face d'un patron, nous débattons le prix, celui qu'il m'offre ne me convient pas, je ne commets aucune violence, je me retire, et vous dites que c'est moi qui porte atteinte à la liberté du patron, parce que je nuis à son industrie! Ce que vous proclamez là, c'est l'esclavage, car qu'est-ce qu'un esclave si ce n'est l'homme forcé par la loi de travailler à des conditions qu'il repousse.
...
Vous dites ensuite que les ouvriers, quand ils se coalisent [quand ils font grève (C.H.)] se font du tort à eux-mêmes et vous partez de là pour dire que la loi doit empêcher le chômage [la cessation du travail (C.H.)]. Je suis d'accord avec vous que, dans la plupart des cas, les ouvriers se nuisent à eux-mêmes. Mais c'est précisément pour cela que je voudrais qu'ils fussent libres, parce que la liberté leur apprendrait qu'ils se nuisent à eux-mêmes. Et vous, vous en tirez cette conséquence qu'il faut que la loi intervienne et les attache à l'atelier. Mais vous faites ainsi entrer la loi dans une voie bien dangereuse.
Tous les jours, vous accusez les socialistes de vouloir faire intervenir la loi en toutes choses, de vouloir effacer la responsabilité personnelle. Tous les jours, vous vous plaignez de ce que partout où il y a un mal, une souffrance, une douleur, l'homme invoque sans cesse les lois et l'État.
Quant à moi, je ne veux pas que parce qu'un homme chôme et que par cela même il dévore une partie de ses économies, la loi puisse lui dire: « Tu travailleras dans cet atelier, quoi qu'on ne t'accorde pas le prix que tu demandes... »



Vous avouez vous-mêmes que, sous l'empire de votre législation, l'offre et la demande ne sont plus à deux de jeu, puisque la coalition des patrons ne peut pas être saisie, et c'est évident: deux, trois patrons déjeunent ensemble, font une coalition, personne n'en sait rien. Celle des ouvriers sera toujours saisie puisqu'elle se fait au grand jour. »



L'assaut échoua, mais il devait être renouvelé quinze ans plus tard, cette fois non sans succès, et ce sont des libéraux qui le lancèrent. Car c'est le très libéral Émile Ollivier - un homme plus grand que son destin - qui convainquit Napoléon III, qui à vrai dire y était tout prêt, qu'il était temps d'abolir toute une partie du dispositif répressif que la Constituante avait construit à l'appel de Le Chapelier.
La loi du 25 mars 1864, dont Ollivier fut l'éloquent, courageux et obstiné rapporteur, abolit le délit de coalition, le remplaça par le délit d'entrave à la liberté du travail, et du coup reconnut la licité de la grève : nul ne pouvait plus être poursuivi devant les tribunaux pour s'être concerté avec ses camarades en vue de cesser collectivement le travail, pas même ceux qui avaient été les « moteurs » de cette coalition, on dira plus tard les « meneurs ».


Sans doute, comme le fit remarquer notamment Jules Simon, un autre libéral, la loi était-elle boiteuse en ceci que, pour se coaliser, pour se concerter, il faut se réunir et qu'on ne pouvait alors se réunir publiquement qu'avec l'autorisation de la police. L'anomalie fut réparée trois ans plus tard. En 1867, la loi reconnut la liberté des réunions publiques, à la seule condition que dans ces réunions, on ne traitât ni de sujets politiques, ni de sujets religieux, mais essentiellement de problèmes économiques et sociaux. La loi était faite sur mesure pour les ouvriers. La même année 1867, l'Empereur étendait aux chambres syndicales ouvrières le régime de la « tolérance administrative ». L'Empire libéral, la conversion de l'Empire au libéralisme depuis le traité de libre-échange conclu avec l'Angleterre en 1860, continuait de porter ses fruits.
Nous ne dirons pas ici comment ces dispositifs libéraux, mis en place dans l'intention déclarée de fournir aux ouvriers les moyens de mieux défendre leurs intérêts, furent déviés rapidement de leur vocation première par des révolutionnaires de tous genres, les grèves surtout par les blanquistes, le droit de réunion par tous les ennemis du régime impérial, dont le nombre croissait dans ce qu'on pourrait appeler les marges de la classe politique à mesure que la politique de Napoléon III en faveur du monde ouvrier lui gagnait des sympathies dans les élites professionnelles .
La liberté syndicale
Les hommes politiques libéraux ne tardèrent pas à se rendre compte que les coalitions et réunions informelles telles que les lois de mars 1864 et juin 1868 les avaient permises se prêtaient à tous les débordements et désordres auxquels sont portés par nature tous les rassemblements d'individus quand ceux-ci ne sont pas encadrés, structurés, disciplinés par une organisation consciente d'elle-même. Quant aux chambres syndicales ouvrières qui, à partir de 1872, renaissaient de toutes parts, en l'absence des socialistes, après les ravages de la guerre et de la Commune, le régime de la « tolérance administrative » qui ne leur conférait pas la personnalité civile, les laissait sans moyen pour mener dans l'ordre la défense et la promotion des intérêts ouvriers : elles n'avaient même pas le droit d'ouvrir à leur nom un livret de caisse d'épargne et les contrats qu'elles pouvaient signer avec des patrons n'avaient qu'une valeur morale et n'engageaient vraiment personne.
Aussi, fut-il entrepris d'abattre un nouveau pan de la loi Le Chapelier et de permettre ce qu'elle avait interdit, à savoir pour « les citoyens d'un même État ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers et compagnons d'un art quelconque », le droit « lorsqu'ils se trouveront ensemble, de nommer présidents, secrétaires et syndics, de tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs intérêts communs », bref de constituer des associations professionnelles, nos syndicats.
La première proposition de loi visant à reconnaître aux syndicats professionnels le droit de se constituer librement et d'obtenir la personnalité civile sans autre formalité que le dépôt de leurs statuts auprès d'une administration publique fut déposée en 1876 par celui des hommes politiques libéraux de la IIIe République qui, après Waldeck-Rousseau, a pris la plus grande part à la politique ouvrière du libéralisme, Édouard Lockroy, un nom tombé dans l'oubli, sauf peut-être pour les biographes de Victor Hugo, qui savent que Lockroy fut le second mari de la veuve de Charles Hugo, et, à ce titre, le tuteur de Georges et de Jeanne, sauf aussi pour les historiens de la tour Eiffel, puisque ce fut Lockroy, ministre du Commerce, qui signa avec l'illustre ingénieur le contrat auquel on doit la tour.


Il fallut huit ans à la proposition de Lockroy pour que, relayée par d'autres propositions, convertie en projet par le libéral Waldeck-Rousseau, alors ministre de l'Intérieur, elle devînt la loi du 21 mars 1884. Huit ans au cours desquels elle se heurta, non seulement à l'hostilité des conservateurs et de patrons aussi aveugles qu'égoïstes, mais aussi, mais surtout aux socialistes de tous bords et à ceux des groupements syndicaux sur qui ils étaient parvenus à étendre leur emprise. Ils la dénoncèrent comme une « loi de police » parce qu'elle faisait obligation aux syndicats - s'ils désiraient être des entités juridiques légalement fondées - de déposer à la mairie leurs statuts et le nom de leurs administrateurs et l'on voudrait pouvoir citer en entier l'article que Jules Guesde vociféra en mai 1884 dans Le Cri du Peuple contre ce qu'il appelait « une nouvelle loi Le Chapelier ».
Notre bourgeoisie ne désarme pas, assurait-il, au contraire. Elle ne fait que déplacer ses barrières protectrices et les transporter là où elles peuvent être efficaces: sur le terrain politique. Ce n'est pas en réalité l'abrogation de la loi Le Chapelier, c'est sa modernisation, son adaptation aux nouvelles nécessités capitalistes. Sous couleurs d'autoriser l'organisation professionnelle de notre classe ouvrière, la nouvelle loi n'a qu'un but: empêcher son organisation politique.
Mais, concluait-il, « cet empêchement vient trop tard », « le Parti ouvrier est aujourd'hui trop fort » pour que cette manoeuvre machiavélique de la bourgeoisie l'empêche d'aboutir, car Jules Guesde a vécu trente ans dans l'illusion que la révolution socialiste allait éclater le lendemain matin - avant de devenir en 1914 ministre d'État dans un gouvernement d'union sacrée.
Il enrageait à la pensée que la liberté syndicale contribuait à renforcer chez les ouvriers l'idée - l'illusion selon lui - qu'ils pouvaient améliorer leur sort dans le cadre de la société capitaliste, les détournant ainsi de l'action politique révolutionnaire dont il s'acharnait à prétendre qu'elle était « la condition indispensable » de l' « affranchissement économique » de la classe ouvrière.
Ce serait une longue histoire que celle des combats menés contre cette loi par toute une partie des socialistes et la quasi-totalité des anarchistes. Partout où ceux-ci le pouvaient, ils mettaient la main sur les syndicats, mais pour les maintenir en dehors de la loi et leur faire faire une gymnastique révolutionnaire qui les détournait de leur vocation naturelle et écartait d'eux (hélas! pour longtemps, puisque les effets s'en font encore sentir) la majeure partie des travailleurs salariés, peu soucieuse de s'engager dans une aventure vouée à l'échec et dont la réussite aux yeux de plus d'un aurait été une catastrophe.
Quand, en 1900 et 1901, Waldeck-Rousseau, cette fois président du conseil, aidé du socialiste indépendant Alexandre Millerand (pour cette raison traité en renégat et en traître par toute la meute des révolutionnaires) tenta de conforter et d'étendre la loi de 1884, notamment en accordant la personnalité civile aux unions de syndicats, il dut battre en retraite devant l'hostilité des socialistes à la manière de Jules Guesde et de ceux qu'on commençait à appeler les syndicalistes révolutionnaires, ceux-ci « tenant » les directions de la CGT naissante, de la Fédération des Bourses du travail et de nombre de fédérations d'industrie ou de métier.
  Pensez donc ! Le projet visait à étendre le droit de propriété des syndicats, leur reconnaissait celui de fonder des sociétés commerciales, des écoles professionnelles, des hospices, des hôpitaux, bref les moyens de mener une action sociale en profondeur. Mais c'était vouloir trans-former les syndicats en capitalistes, les embourgeoiser, les enraciner dans la société présente, faire d'eux des gestionnaires, ce qui rime avec révolutionnaire, mais seulement dans les mots: au niveau des idées, c'est l'antagonisme . II faudra attendre la loi du 20 mars 1920 pour que les unions de syndicats (c'est-à-dire, entre autres, les confédérations) se voient reconnue la capacité civile.
Les conventions collectives: les libéraux pour, les révolutionnaires contre
Même aventure avec la législation des conventions collectives. Les syndicats étant, dans la pensée libérale, non des machines à faire des grèves, mais des machines à faire des contrats, Édouard Lockroy avait prévu dans sa proposition de 1876 - c'était l'article 4 - que les syndicats d'une même industrie composés l'un de patrons, l'autre d'ouvriers (pourraient) conclure entre eux des conventions ayant pour objet de régler les rapports professionnels des membres d'un syndicat avec ceux de l'autre. Ces conventions auront force de contrat et engageront tous les membres des parties contractantes pour la durée stipulée. Lesdites conventions ne pourront être établies que pour une durée maximale de cinq ans.
Cette proposition n'avait pas été reprise dans la loi du 21 mars 1884, ni dans le projet Barthou de 1902, mais elle fit l'objet d'un important projet de loi déposé le 2 juillet 1906 - donc en pleine guerre de la CGT révolutionnaire contre le gouvernement - par Gaston Doumergue, un libéral lui aussi, alors ministre du Commerce, de l'Industrie et du Travail.
Ouvrons ici une parenthèse. La première pierre du futur ministère du Travail avait été posée en 1886 par É. Lockroy quand il avait enlevé au ministère de l'Intérieur les services concernant les syndicats pour les rattacher au ministère du Commerce, devenu par ses soins ministère du Commerce et de l'Industrie. Même au temps de Waldeck-Rousseau et d'Alexandre Millerand, les services concernant le travail étaient restés rattachés au ministère du Commerce et de l'Industrie. Ce fut Sarrien, un libéral lui aussi qui, en constituant son gouvernement le 14 mars 1906 (six semaines avant le tumultueux 1er mai 1906) éleva ces services à la dignité ministérielle en créant le ministère du Commerce, de l'Industrie et du Travail, confié, on l'a vu, à G. Doumergue. Six mois plus tard, Clemenceau, dont on nous accordera qu'il n'était guère touché de la grâce socialiste, fit le dernier pas en consacrant au Travail un ministère à part entière.
  Pensa-t-il se concilier les syndicalistes en confiant ce ministère à un socialiste indépendant, René Viviani ? Si oui, son calcul se révéla faux, car toutes les sectes révolutionnaires, y compris les plus honorables se déchaînèrent contre cette innovation. Hubert Lagardelle, pour ne citer que lui, énonça péremptoirement qu'un « ministère du Travail serait une source de corruption autrement profonde que le ministère du Commerce », qu'il allait « gouvernementaliser la classe ouvrière ». La gouvernementaliser, c'est-à-dire l'aider à sortir des sentiers battus, mais sans issue de la Révolution. Le projet Doumergue, très complet, trop peut-être, portait sur les différents aspects du contrat de travail, et notamment « sur les conventions collectives relatives au contrat de travail ».
« La convention collective du travail, disait l'exposé des motifs, est une forme nouvelle de contrat qui n'a pas encore reçu une consécration légale, mais qui tend à se répandre de plus en plus. [Relevons le caractère libéral de cette démarche législative qui aime que le fait précède la loi.] Elle ne constitue pas un contrat de travail, mais détermine les conditions générales auxquelles devront satisfaire les contrats individuels passés entre employeurs et employés parties à la convention... Très populaire parmi les ouvriers, la convention collective de travail n'a pas moins été favorablement accueillie par les patrons de certaines industries, désireux d'éviter les excès d'une concurrence ruineuse.
... Dans une matière aussi délicate, on ne saurait prétendre avoir fait oeuvre définitive. La convention collective n'est encore qu'en voie d'évolution. On a essayé de tenir compte de ce qu'elle est déjà et de ce qu'elle apparaît devoir être dans l'avenir ».


Là encore, la méthode, prudente et quasi expérimentale, était libérale. La loi ne forcerait rien: calquée sur la réalité, elle ne ferait que codifier ce qui s'établissait de soi-même. Les syndicats auraient dû se féliciter de ce projet qui allait, non pas régler les problèmes à leur place, mais leur fournir un nouvel outil de travail, et certains en effet exprimèrent leur satisfaction. Mais la CGT était encore à cette date dominée par les syndicalistes révolutionnaires. Elle tint en octobre 1906, à Amiens, un congrès demeuré célèbre parce qu'il adopta la Charte fameuse qui proclamait le devoir d'indépendance de tous ses syndicats et d'elle-même à l'égard « des partis et des sectes ».
Ce premier pas ne l'écartait pas encore de ses convictions révolutionnaires, et le Congrès vota (on ne sait à quelle majorité, le vote s'étant fait à mains levées) la condamnation du projet Doumergue.
« Considérant que les lois ouvrières en projet, sur l'arbitrage obligatoire, la participation aux bénéfices, le contrat collectif de travail, la représentation dans les conseils des sociétés industrielles, ont pour objet d'entraver le développement du syndicalisme et d'étrangler le droit de grève... Considérant que le droit nouveau auquel nous aspirons... ne peut sortir que des luttes ouvrières sur le terrain économique, le congrès invite les fédérations à se préparer à faire une action énergique au moment où elle deviendrait nécessaire contre tout projet tendant à l'étranglement de l'action syndicale . »
Les conventions collectives reçurent enfin une définition légale le 25 mars 1919 :
  Ce ne serait pas ici le lieu de retracer l'histoire des conventions collectives et de leur législation: les lois des 25 mars 1919, 24 juin 1936, 23 décembre 1946, 11 février 1950, 13 novembre 1982. Signalons toutefois : - que la loi de décembre 1946 porte la marque profonde de ses origines socialistes, avec son exigence de l' « unicité » des conventions (une seule convention nationale par profession) et l'abandon au gouvernement du soin de fixer les salaires; - que les socialistes n'étaient plus au pouvoir quand fut votée la loi du 11 février 1950 qui ouvrait à nouveau le domaine des salaires aux conventions collectives et permettait à celles-ci d'échapper au carcan de l'unicité; - que ce fut grâce aux conventions collectives et au « paritarisme » qui en est la conséquence logique que l'on put arracher au monopole centralisateur, étatique ou parastatal de la Sécurité sociale, certains éléments de ce qu'on appelle la protection sociale collective, à savoir les régimes de retraites complémentaires et l'assurance chômage; - que Georges Pompidou avait tempéré son gaullisme d'une bonne dose de libéralisme - comme d'aucuns lui en font reproche aujourd'hui - en ouvrant le 3 août 1967 une des périodes les plus fécondes en fait de négociations collectives.
Jetons un voile sur l'intention qui fut véritablement celle des socialistes et de leurs inspirateurs syndicalistes quand, en 1982, ils instituèrent la négociation annuelle obligatoire dans l'entreprise. Ils croyaient renforcer ainsi la présence des syndicats dans l'entreprise et accroître leur capacité à y conduire une action révolutionnaire, en attendant d'y prendre le pouvoir. C'est l'inverse qui s'est produit. Car, lorsqu'on traite de problèmes concrets en présence des intéressés, les salariés de l'entreprise, peu disposés à laisser sacrifier leurs intérêts immédiats à des calculs politiques ou des rêveries idéologiques, les négociateurs syndicaux doivent laisser au portemanteau les consignes confédérales.
La négociation dans l'entreprise rend aux syndicats (ou à leurs sections d'entreprise) une liberté qu'ils avaient perdue dans la défense des intérêts dont ils ont pris la charge. Intérêts et liberté, une association qui ne déplaît pas à la pensée syndicale. Aussi doit-on saluer comme une victoire de l'idée libérale, cette convention interprofessionnelle nationale du 31 octobre 1995 proposant la mise en place, dans les entreprises sans implantation syndicale, de dispositifs permettant d'y négocier les salaires et les conditions de travail. Car assurément il ne serait pas libéral d'accorder le monopole de la négociation collective à des organisations syndicales qui n'ont pas su ou voulu gagner la confiance de l'ensemble des travailleurs salariés dont ils prétendent défendre les intérêts.
N'ont signé ce texte libéral ni la CGT rivée au stalinisme même après la chute de l'URSS, ni la CGT-Force Ouvrière livrée à nouveau, par la grâce des disciples de Léon Trotski, à ses démons du début du siècle.
Deux besoins fondamentaux: communauté et liberté
Les socialistes en sont solidement assurés: la « protection sociale collective » est un domaine qui leur est réservé par définition, pourrait-on dire. La pensée libérale ne s'y aventurerait qu'en se trahissant, qu'en se déguisant au moyen de vêtements empruntés au socialisme et qui ne sont plus sur elle que des oripeaux. Les libéraux placeraient l'individu et ses intérêts au centre de tout, et cet individu n'aurait souci des autres que dans la mesure où le soin qu'il en prendrait servirait ses propres intérêts. N'a-t-on pas écrit que, si l'on est passé de l'esclavage au salariat, c'est parce qu'un esclave, il faut en prendre soin, le soigner quand il est malade, le nourrir même quand il ne travaille pas, car un esclave, c'est comme un boeuf : si on le perd, ça coûte, tandis que le salarié est un homme libre (votre liberté, Messieurs les libéraux) et quand on lui a payé ce qui était convenu, on est quitte à son égard: à lui de se tirer d'affaire comme il l'entend, s'il le peut.
Il est vrai que des libéraux du début de l'autre siècle professaient facilement une philosophie de l'homme inspirée d'un rationalisme décharné pour qui l'individu humain n'aurait d'autre mobile que l'intérêt personnel, géré par une intelligence calculatrice. La société elle-même serait née d'un contrat passé à l'origine entre des individus qui auraient trouvé intérêt à se réunir ainsi. Comme si, dès le départ, et même s'ils ne l'ont pas toujours exprimé clairement, penseurs et praticiens du libéralisme n'avaient pas compris que la dimension sociale de l'homme est dans chaque individu antérieure à tout calcul et à tout intérêt personnel, que l'on peut sans doute parler de contrat social parce que l'on a complété, corrigé, couronné si l'on veut, la société naturelle par une société de droit, mais que ce n'est là, comme le diront les solidaristes de la fin du XIXe siècle, qu'un quasi-contrat. On fait comme si les hommes avaient décidé librement un beau jour de vivre en société et qu'ils avaient passé contrat en ce sens devant je ne sais quel notaire éternel. En réalité, toute société est antérieure à tout contrat. L'homme est social par nature et le besoin de solidarité, pour employer un terme à nos yeux trop plein encore de rationalité, le besoin de communauté est enraciné aussi profond dans l'animal humain que l'instinct de la conservation, le besoin de nourriture, les désirs sexuels.
Laissons aux métaphysiciens le soin de décider, s'ils le peuvent, lequel est premier dans l'homme du besoin de liberté individuelle ou du besoin de communauté. Il est vrai que les libéraux ont envie de penser - de croire- que l'instinct de liberté, le moi, sont inhérents à la nature humaine, mais ils savent bien que l'homme n'a d'abord été qu'un élément du corps social : l'affirmation du moi n'est venue qu'après. L'homme est double, à la fois individuel et social, et -curieuse dialectique qui fonde ce qu'on pourrait appeler le paradoxe de la liberté - à mesure que la société se perfectionne, s'enrichit, se libère de la misère et de la peur, elle fait naître chez les individus (délivrés par elle sans qu'ils s'en rendent compte des insécurités et incertitudes premières) un besoin d'indépendance et d'originalité personnelles qui les pousse à se révolter contre toutes les contraintes et obligations de l'ordre social, au risque d'ébranler ou de ruiner cet ordre social sans lequel les libertés individuelles ne seraient pas possibles.
Transposons le mot d'un philosophe: le moi se pose en s'opposant à l'ordre social. Supprimez cet ordre social, et le moi s'effondrera dans le néant. L'ordre libéral se situe au point d'équilibre du besoin de communauté et du besoin de liberté - équilibre précaire, toujours menacé et toujours à refaire.
La protection sociale collective
Les libéraux n'ont jamais nié, quelques moyens qu'ils aient employés pour la justifier, la nécessité d'assurer aux individus une « protection sociale collective », une protection contre les aléas de l'existence dans laquelle il entre immanquablement une bonne part de solidarité, mais ils ont toujours cherché à ce que cette protection s'exerçât avec la contribution aussi large et surtout aussi consciente que possible de tous et de chacun. Volontiers, on écrirait que la protection sociale est pour eux un devoir plus qu'un droit, devoir envers les autres et devoir envers soi-même.
Pourquoi se sont-ils employés, à partir de 1818 (en Grande--Bretagne, ils avaient commencé plus tôt), à créer des caisses d'épargne ? Pour aider les plus humbles, s'ils voulaient faire un effort,

Guy Lemonnier/Claude Harmel


Les conventions collectives: les libéraux pour, les révolutionnaires contre */ {{titre|La pensée libérale et les questions sociales|[[Claude Harmel]]|Tiré du livre Aux sources du modèle libéral français, Perrin, 1997
Claude Harmel, de son vrai nom Guy Lemonnier, est mort le dans la nuit du 14 au 15 novembre. Dans sa jeunesse, dans les années 1930, il fut un militant de la SFIO. Mais la guerre changea ses options politiques. Il milita dans les rangs du Rassemblement national populaire (RNP), le parti collaborationniste de Marcel Déat, dont il fut secrétaire général adjoint.
A la Libération, en 1947, Harmel est condamné à quatre ans de prison et à la dégradation nationale à vie. La même année, il bénéficiera d'une libération conditionnelle puis d'une grâce amnistiante. Après cela, il rentre en contact avec Georges Albertini, une éminence grise de l'anticommunisme, lui aussi ancien du RNP. Il participe alors au Bulletin d'études et d'informations politiques internationales qui deviendra par la suite le bulletin Est et Ouest. Cette revue est spécialisée dans la lutte anticommuniste et, selon Frédéric Charpier dans son livre très documenté, Génération Occident (seuil 2005), ne rechigne pas à fournir la CIA en notes d'études sur les mouvements communistes.
Dans la nébuleuse des structures anticommunistes proches des réseaux Albertini, Harmel prendra aussi des responsabilités à l'Institut d'histoire sociale, dont il deviendra le secrétaire général en 1976 et à l'Institut supérieur du travail, proche du grand patronat, qu'il fondera et présidera. C'est par le truchement de ces structures que Claude Harmel prendra sous son aile d'anciens militants d'extrême droite, comme Alain Madelin ou Hervé Novelli, qui se convertiront au libéralisme économique et à la droite parlementaire.

 
B) Guy Lemonnier ou Claude Harmel de Wikiberal

Guy Lemonnier, alias Claude Harmel, est un historien et journaliste français, spécialiste des syndicats.
Avant la Seconde Guerre mondiale, Claude Harmel est membre des Étudiants socialistes[1], de la SFIO de 1934 à 1939[2] et de la tendance Syndicats de la CGT[3].
Il rejoint après 1940 le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat, un parti collaborationiste[4],[5]. C'est la dimension socialiste du national-socialisme qui l'attire alors. Selon le journaliste Jean-Pierre Biondi il est alors séduit par l'idée selon laquelle « le national-socialisme rejetait le capitalisme classique et esquissait une forme de société pré-socialiste »[4]. Arrêté à la Libération, il est condamné à quatre années de prison, libéré en 1947, amnistié en 1951[4].
Il évolue alors fortement politiquement, publiant ainsi des journaux anticommunistes[4]. Il est devenu plus tard directeur des études sociales syndicales (1955-1983) et rédacteur d’Est en Ouest. Il se rapproche ensuite du libéralisme et a ainsi participé avec Jacques Rueff à la fondation de l'Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS) en 1966.
Il présida l'Institut supérieur du travail (IST), créé en 1969, et devint spécialiste du syndicalisme français, en particulier de la CGT[5]. Il travaillait aussi avec l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM)[5].
En 1974, il est directeur de publication de France Matin, un tract politique prenant la forme d'un journal, qui, tiré en une fois à 2 millions d'exemplaires, annonçait la mise en place inévitable du « rationnement » si François Mitterrand venait à être élu[5]. Le journal, éphémère, était financé par l'UIMM[5].
Harmel devint en 1976 secrétaire général de l'Institut d'histoire sociale (IHS)[6].
Il est proche des hommes politiques Hervé Novelli et Alain Madelin qui l'ont décrit comme leur « père spirituel » à l'occasion des 40 ans de l'ALEPS qu'il a contribué a fondé. Il avait confié à Hervé Novelli, alors encore étudiant à Dauphine, la gestion de la bibliothèque de l'IST[5].
Parmi ses spécialités figurent l'histoire des relations sociales et en particulier du syndicalisme et du socialisme. Il a montré en particulier comment les penseurs libéraux du XIXe siècle étaient à l'origine de la majorité des avancées « sociales » de la période : droit de grève, assurances volontaires contre les risques de la vie, etc[7]


 

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