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Dix questions à Natan Sharansky par The Tablet News Desk
Tablet News Desks’entretient
avec le légendaire prisonnier politique soviétique et ministre du
gouvernement israélien sur la guerre en Ukraine, les deux Vladimir et
les implications pour le Moyen-Orient.
Né à Donetsk, alors appelé Staline, dans la République
socialiste soviétique d’Ukraine en 1948, Natan Sharansky reste la
principale voix mondiale antisoviétique, sioniste dissidente et
pro-démocratie. Prodige des échecs, mathématicien, refusnik, prisonnier
politique, militant des droits de l’homme et homme d’État israélien,
Sharansky est un monument vivant de l’héroïsme juif du XXe siècle et est
particulièrement bien placé pour analyser l’importance des ruptures de
liberté, de démocratie et d’ordre mondial dans le 21. Dimanche, il s’est
entretenu avec Tablet pour discuter de l’invasion russe de l’Ukraine,
des deux Vladimir, des dilemmes de la diplomatie israélienne et de la
sagesse du BDS pour la Russie.
Que pensez-vous de l’invasion russe de l’Ukraine, un État où
vous avez grandi dans une famille juive sous l’ex-URSS, et qui est
aujourd’hui dirigé par un président fièrement juif ?
Je dois dire que c’est très difficile à croire pour les Juifs, mais
la question juive n’a rien à voir avec ce conflit. Le fait que Zelensky
soit un juif dévoué est un fait absolument remarquable de l’histoire
ukrainienne, ainsi que le fait que même Poutine, avec toutes les choses
horribles qu’il fait, est unique dans l’histoire russe pour son attitude
positive envers les juifs et Israël. Il n’y a pas de pogroms anti-juifs
à ce stade, ni en Ukraine ni en Russie, et ce n’est pas vrai que les
Juifs sont au centre de tout cela.
Quand je grandissais à Donetsk, “Juif” était la pire chose que vous
pouviez avoir dans vos papiers. C’était comme être né avec une maladie,
et de nombreux parents rêvaient de soudoyer des agents pour qu’ils
écrivent quoi que ce soit d’autre pour leurs enfants. Aujourd’hui,
lorsque les réfugiés se déplacent vers la frontière, la meilleure chose
qu’ils puissent avoir sur leur carte d’identité est le mot “Juif”, car
le seul pays qui envoie des représentants officiels là-bas pour amener
les gens et leur donner la citoyenneté est Israël. Donc, on peut en dire
beaucoup à ce sujet, mais encore une fois, si vous voulez comprendre
les racines de cette horrible et barbare agression russe, ce n’est pas
le point de départ.
OK, commençons ici : Quand je suis né à Donetsk, ça s’appelait alors
Stalino. Quand Staline est mort, j’avais 5 ans, et je me souviens que
mon père m’avait expliqué que c’était un grand jour pour nous, pour les
Juifs, mais de ne le dire à personne. Et puis je me souviens de l’autre
grand événement de mon enfance, en 1954, après la mort de Staline,
c’était la célébration des 300 ans de l’unification volontaire de la
Russie et de l’Ukraine. En 1654, lorsque Bohdan Khmelnytky gagna une
guerre, cela rendit l’Ukraine indépendante de la Pologne. Nous avons
donc eu une grande célébration de la fraternité des Ukrainiens et des
Russes.
Plus tard, quand je suis devenu dissident, j’ai rencontré des
nationalistes ukrainiens et j’ai découvert qu’il s’agissait en fait
plutôt d’un asservissement russe de l’Ukraine. Mais à ce moment-là, cela
n’avait plus la même importance, car en fait, Donetsk était une ville
très internationale, elle comptait de nombreuses nations. C’était un
centre industriel, donc depuis 100 ans, des gens venaient chercher du
travail dans différentes parties de l’empire russe. Il y avait des
Ukrainiens et des Russes à Donetsk, bien sûr, mais aussi des Kazakhs et
des Arméniens, des Géorgiens et des Tatars. Donc rien de tout cela
n’avait vraiment d’importance. Ce qui comptait vraiment, c’était :
êtes-vous juif ou non ?
Tout le monde pourrait être d’accord là-dessus.
Les juifs étaient les seuls à être vraiment discriminés. Il y avait
des blagues sur chaque nation, mais les vrais préjugés et la
discrimination officielle étaient contre les Juifs. Maintenant, j’ai
étudié dans une école russe où la deuxième langue était l’ukrainien, et
il y avait beaucoup d’écoles ukrainiennes où la deuxième langue était le
russe. En tant que Juif, j’ai essayé d’être le meilleur en tout, alors
j’ai essayé d’être aussi le meilleur dans la littérature ukrainienne. Et
ça, c’est une vraie littérature. L’Ukraine a ses propres chansons, son
art, son histoire. C’est la preuve d’un peuple ukrainien que Poutine
nie. Il est vrai que pendant de très courtes périodes seulement, les
Ukrainiens ont joué un rôle indépendant. Mais la culture était réelle,
sans aucun doute.
Quand je suis devenu militant, j’ai déménagé à Moscou à l’âge de 18
ans. Et puis j’ai commencé l’université et je suis devenu militant dans
le mouvement sioniste, puis aussi dans le mouvement des droits de
l’homme. Et j’ai rencontré des nationalistes ukrainiens dans le Groupe
Helsinky de Moscou, en fait le deuxième groupe Helsinki a été créé à
Kiev. Et plus tard, en prison, j’ai rencontré de nombreux nationalistes
ukrainiens. Et il était clair pour nous alors que nous avions beaucoup
d’intérêts mutuels, dans la liberté, l’indépendance et la démocratie.
En 1997, je suis revenu en tant que ministre du commerce d’Israël. Je
suis venu à Kiev et j’ai signé le premier accord économique entre
l’Ukraine et Israël. Beaucoup d’hommes d’affaires sont venus à mes
réunions là-bas, il y avait beaucoup d’espoirs de développement
économique. Cela ne s’est pas vraiment bien développé parce que
l’économie n’était pas transparente, il y avait beaucoup de corruption,
comme vous le savez. Mais c’était et c’est une démocratie.
Maintenant, depuis cinq ans, je suis président du conseil consultatif
de Babyn Yar, ce qui ferme un cercle très important dans ma vie. Babyn
Yar est pour moi le symbole de l’Holocauste. Ce n’est pas seulement le
plus grand charnier de Juifs ; c’est aussi le symbole des efforts de
l’Union soviétique pour effacer la mémoire de l’Holocauste, détruire
notre identité et lutter contre la nation juive. J’ai donc décidé que
c’était un projet extrêmement important que nous devions faire,
transformer ce symbole de la destruction de la mémoire de l’Holocauste
en le plus grand musée et centre d’étude de l’Holocauste en Europe.
Et pour cette raison, j’ai eu de nombreuses occasions de rencontrer
le président Zelensky et son équipe. Et il a toujours été très positif
et très intéressé. Et maintenant, il dirige le peuple ukrainien, à la
grande surprise de Poutine, en montrant un tel attachement passionné à
l’identité nationale ukrainienne et à sa liberté. Le fait qu’ils soient
maintenant un exemple pour les gens du monde entier, et que celui qui
les dirige et les inspire et l’homme qui est le président le plus
important de leur histoire soit ouvertement juif et fier de ses racines
juives et de sa connexion à Israël, c’est vraiment quelque chose. Je ne
sais pas si je dois l’appeler ironique ou symbolique ou
significative. Mais c’est vraiment quelque chose.
Comprenez-vous l’invasion de l’Ukraine comme un différend
frontalier, ou comme un chapitre d’une attaque russe ou russo-chinoise
plus vaste et plus globale contre l’ordre démocratique ? Quelle fin de
partie pensez-vous que Poutine a en tête pour ce conflit ?
Poutine, que j’ai rencontré il y a 15 ou 20 ans, dans les premières
années de sa présidence, est une personne très différente de ce qu’il
était alors. Il a toujours été bien sûr le même officier du KGB avec la
même approche et la même vision du monde, mais à l’époque, il cherchait
de toute urgence à être reconnu par les dirigeants du monde – par George
W. Bush, par Angela Merkel – et il a essayé très difficile de trouver
des moyens de les convaincre qu’il était un nouveau type de dirigeant
russe. Je pense que ce qui s’est passé avec lui, c’est qu’après 20 ans
ou plus au pouvoir, il a vu tous ces dirigeants – Bushes et Merkels et
Obamas et Bidens et Macrons et tous les autres – comme des pions, ils
viennent et ils partent, et ils sont échangés, ils sont remplacés. Il
est le seul à ne jamais être remplacé.
Il est le seul, vrai, fort leader, et il est la seule vraie figure
historique – comme il se voit lui-même – et il a une mission
historique. Il a dit pendant de nombreuses années que la plus grande
tragédie du XXe siècle a été la destruction de l’Union soviétique. Sa
mission est donc de ramener cette superpuissance russe unique. Il ne
veut pas ramener l’idéologie communiste, qui ne l’intéresse pas. Poutine
se considère comme remplaçant Pierre le Grand, Ekaterina [Catherine la
Grande] et Staline. Ce sont trois de ses grands héros, qui ont amené les
terres historiques « russes » sous une seule règle.
Donc, que ce soit la Pologne ou le Kamtchatka, il les voit tous comme
un tsar – toutes les terres russes – et il voit leur retour comme sa
charge historique. Pour cela, il travaille déjà depuis de nombreuses
années. La Biélorussie fait pratiquement partie de la Russie
maintenant. Il a essayé la Géorgie en 2008, et il a obtenu l’Abkhazie et
l’Ossétie du Sud, qui sont maintenant en fait la Russie. La Tchétchénie
aussi, bien sûr, mais avec beaucoup de sang, mais maintenant c’est le
sien. Et il est actif tout le temps au Kazakhstan et dans les autres
Stans.
Mais bien sûr, la clé ici a toujours été l’Ukraine. Même dans les
prisons de nos dissidents, quand nous avons tous vu que l’Union
soviétique allait s’effondrer, parce qu’elle était trop faible de
l’intérieur, la pièce maîtresse que nous avons vue à l’époque était
l’Ukraine. Dans nos rêves, l’Ukraine devenait un pays indépendant, comme
la France ou quelque chose comme ça, non seulement à cause de sa grande
population, mais parce qu’elle avait le blé, le charbon, la
métallurgie, les missiles et tout.
Cela ne s’est pas passé exactement ainsi. À cause de la corruption et
d’autres facteurs, l’Ukraine a traversé une période difficile. Mais
néanmoins, une Ukraine démocratique est née. Cela a donc été un grand
choc pour Poutine, et c’est pourquoi il doit déclarer ouvertement que
l’Ukraine n’est pas un État et que l’Ukraine n’est pas une nation, et
les traite de néo-nazis, et parle de ramener son « statut historique ».
Comment la Russie imagine-t-elle qu’elle réintégrera l’Ukraine dans un État impérial russe renaissant ?
La Russie n’est pas le pays le plus fort et Poutine n’est pas le
leader le plus fort du monde. En fait, la Russie représente aujourd’hui
quelque chose comme 3 % de l’économie mondiale et l’OTAN représente
quelque chose de plus proche de 50 %. Et ici, il est très important de
comprendre la psychologie de Poutine. De mon passage parmi les criminels
en prison, je sais très bien que celui qui est le meneur dans la
cellule n’est pas celui qui est physiquement le plus fort, mais celui
qui est prêt à utiliser son couteau. Tout le monde a un couteau, mais
tout le monde n’est pas prêt à l’utiliser. Poutine pense qu’il est prêt à
utiliser son couteau et que l’Occident ne l’est pas, que l’Occident ne
peut que parler, même s’il est physiquement plus fort.
Je dois vous rappeler que la première étape de ce processus ukrainien
a été la Crimée. Cela a commencé après que le président Obama a tracé
une ligne rouge en Syrie au sujet des armes chimiques, puis lorsqu’elle a
été franchie, il n’a rien fait. C’était un signe terrible. Les
résultats immédiats ont été que Poutine a amené ses armées en Syrie et y
a établi une base – en fait, il a obtenu les clés de l’espace aérien
syrien – puis il est allé en Crimée. Il a vérifié si l’Occident
réagirait, et quand ce n’était pas le cas, il a non seulement pris la
Crimée, mais il a également lancé ce mouvement séparatiste dans le
Donbass, affirmant que tout cela était la Russie historique. C’était
donc le début.
Maintenant, il est dans la deuxième étape, et il ressent surtout la
faiblesse de l’Amérique. Je pense — je n’en suis pas sûr, mais je pense —
que le retrait d’Afghanistan lui a montré qu’il serait très difficile
pour ce gouvernement américain de se mobiliser pour une action
militaire. Et donc il peut menacer les armes nucléaires. Il dit : «
L’Ukraine n’est pas un pays, nous allons la ramener à la Russie, et ceux
qui se dresseront sur notre chemin subiront des dégâts qu’ils n’ont
jamais connus dans leur histoire. Alors tous ses moyens de dissuasion
sont préparés.
Et la réponse américaine est d’annuler l’entraînement de leurs forces
nucléaires qui était prévu depuis un an. Le Pentagone l’annule et dit :
« C’est parce que nous ne voulons pas être responsables d’avoir mis en
danger les États-Unis. Poutine ne pouvait donc pas obtenir un meilleur
signe que sa dissuasion fonctionnait. Alors maintenant, il croit vraiment qu’il
est le leader le plus fort du monde, non seulement parce qu’il est
important, et non seulement parce qu’il n’a pas à s’inquiéter de choses
comme ces élections occidentales stupides, mais aussi parce qu’il est
prêt à menacer d’une guerre nucléaire et ses ennemis ne le sont pas. Il
est prêt à utiliser son couteau.
Avait-il raison ?
Bien sûr, il y a eu quelques surprises pour lui.
Premièrement, il est plutôt isolé du monde réel, alors il s’est
convaincu que les Ukrainiens conviennent qu’ils ne sont pas un peuple et
qu’ils n’opposeraient donc aucune résistance sérieuse.
Deuxièmement, il avait raison de dire que l’Occident ne serait pas
prêt à faire face à sa menace militaire, mais l’Occident est mobilisé
par les sanctions. Alors maintenant, les sanctions sont une arme très
dangereuse contre lui, et elles auront un effet pendant longtemps. Il
comprend donc maintenant qu’il n’a pas beaucoup de temps – mais le temps
qu’il a, il doit l’utiliser efficacement, en utilisant la menace de la
guerre nucléaire pour envahir, détruire, occuper, et puis si le monde a
peur , pour continuer à tester les limites.
Le calme relatif d’Israël face à l’assaut de Poutine est-il
une reconnaissance sensée de la réalité de la force militaire russe en
Syrie, ou renforce-t-il imprudemment les forces de la dictature et de
l’illibéralisme ? Et quel rôle l’accord nucléaire relancé entre
l’Amérique et l’Iran, qui est la façon dont la Russie est entrée en
Syrie en premier lieu, joue-t-il là-dedans ?
Je peux vous dire ma position, mais malheureusement je suis
minoritaire. Dès le premier jour de l’invasion, j’ai dit qu’il ne
s’agissait pas simplement d’une lutte historique entre la Russie et
l’Ukraine. Ce n’est pas simplement entre un dictateur vicieux et un
leader sympathique et démocrate. C’est un effort pour changer tous les
principes de base sur lesquels repose le monde libre depuis la Seconde
Guerre mondiale. Le monde libre tout entier est en danger, et Israël en
fait partie.
Israël ne peut pas survivre simplement en se jouant entre
dictateurs. Nous devrions être les premiers à le comprendre. Donc pour
nous moralement, et pour le monde publiquement, et pour la survie du
monde libre, nous devons être clairement d’un côté. Stratégiquement, il
ne faut pas hésiter à en parler très clairement et publiquement.
Les gens ici me disent que je ne comprends pas que l’obligation
morale la plus importante d’Israël est la sécurité des citoyens
israéliens, et que pour protéger cette sécurité, nous devons avoir la
liberté d’opérer en Syrie. Or, sur le plan tactique, il ne fait aucun
doute que nous dépendons d’un accord avec Poutine lorsque nous attaquons
des bases iraniennes en Syrie. À partir de 2013, il y a eu une telle
faiblesse avec l’administration Obama en Syrie, où ils n’allaient pas
contester cette nouvelle présence militaire russe, puis en 2015, il y a
eu un accord supplémentaire avec l’Iran, en vertu duquel l’Amérique a
envoyé des milliards et des milliards de dollars à Téhéran, dont une
partie en espèces. Et avec la transformation du Hezbollah en une
véritable armée et la construction de nouvelles bases avec l’Iran, la
Syrie et le Liban, nous n’avions d’autre choix que d’avoir une entente
stratégique avec Poutine.
Nous sommes maintenant confrontés au nouvel accord avec l’Iran dans
quelques jours peut-être. Ainsi, le monde libre prend de nombreuses
mesures pour retirer des milliards de dollars à Poutine, et en même
temps, il s’assure que l’Iran recevra des milliards de dollars – et
comme dans le cas d’Obama, il ne sera lié à aucun Iranien l’obligation
d’arrêter les activités terroristes dans la région ou d’abandonner leur
engagement à détruire l’État d’Israël. Donc, sans aucun doute, une
grande partie de cet argent neuf ira à leurs opérations en Syrie. Et
Israël devra les détruire. Nous serons donc encore plus dépendants de
Poutine.
Je pense que dans le cadre de la lutte du monde libre contre Poutine,
il doit aussi aider Israël à lutter contre sa dépendance à son égard en
Syrie. Parce qu’en général, les intérêts du peuple juif et les intérêts
d’Israël, bien sûr, sont que l’agression de Poutine soit stoppée.
Aujourd’hui, nous voyons que même avec tout l’amour, la compassion et
la sympathie que le monde a adressés à Zelensky et aux Ukrainiens, en
fait le monde libre a déjà décidé qu’ils seraient les victimes. Il faut
donc toujours être capable de se défendre.
Les boycotts et les sanctions contre la Russie, et en
particulier contre des Russes individuels, sont-ils un bon moyen
d’influer sur la politique russe ? Si oui, pourquoi ne sont-ils pas
aussi un bon moyen d’exprimer sa désapprobation des politiques
israéliennes que certaines personnes n’aiment pas ?
Cela n’a absolument rien à voir avec le BDS [Boycott,
Désinvestissement, Sanctions] d’Israël, et je vais vous expliquer
pourquoi. Tout d’abord, le BDS d’Israël a été inventé non pas pour
influencer la politique israélienne mais pour contribuer à la
destruction d’Israël. Israël ne devrait pas exister, mais nous ne
pouvons pas le détruire militairement, nous devons donc le détruire en
encourageant le monde entier à le boycotter économiquement. Et
deuxièmement, il est basé sur un double standard évident. Ce qui
signifie, OK, vous décidez que ceux qui violent les droits de l’homme
doivent être boycottés, vous définissez ce qu’est une violation des
droits de l’homme, puis vous choisissez de ne pas respecter la
définition ou d’appliquer le boycott partout dans le monde – au
Xinjiang, etc. – sauf en Israël.
Maintenant, avec la Russie, si le monde était prêt à défier Poutine
militairement, comme à envoyer ses avions et ses troupes, il n’y aurait
pas besoin de sanctions. Mais parce que le monde libre n’est pas prêt à
le faire et que nous cherchons des moyens de faire quelque chose sans
avoir à nous battre en Ukraine, l’idée est de faire en sorte que les
gens à l’intérieur de la Russie se sentent mal à propos de ce que fait
Poutine et de lui faire changer de politique. . C’est donc très
différent d’essayer d’isoler Israël pour le détruire ; il essaie
simplement de mettre un terme à cette terrible agression. Je préférerais
qu’on arrête l’agression en envoyant les avions. Mais je comprends que
c’est difficile. Et Poutine ne s’attendait pas à des sanctions aussi
sévères. Je pense donc qu’ils sont justifiés.
Quel effet le placement de sanctions personnelles sur la
soi-disant liste Navalny des oligarques liés à Poutine, dont Mikhail
Fridman et d’autres, aura-t-il sur la vie juive, à la fois en Israël et
dans la diaspora ? Ces sanctions contre les individus sont-elles une
bonne idée en tant que politique publique ? Sont-ils bons pour les Juifs
?
Certaines de ces personnes font de très bonnes choses pour Israël et
le peuple juif, comme Mikhail Fridman, qui donne à la défense des
communautés juives partout dans le monde, et apporte non seulement leur
fierté d’être juif et leur générosité financière mais aussi de nouvelles
idées, comme le prix Genesis et bien sûr le mémorial de Babyn Yar. Mais
je dois dire que lorsque les Américains et les Européens décident de
sanctions, ces choses ne doivent pas être prises en considération. Les
critères devraient être de savoir si leur argent est utilisé pour aider
Poutine à lutter contre la démocratie et la liberté et l’opposition,
etc., ou si l’argent et les outils de ces personnes peuvent être
utilisés pour saper les sanctions.
J’espère très sincèrement que ceux qui sont utiles au peuple juif ne
sont pas impliqués là-dedans. Mais c’est bien sûr aux organes compétents
en Amérique et en Europe d’en décider. Et je propose de ne pas mélanger
ces deux choses.
Nous devrions toujours être très reconnaissants envers ceux qui font
de bonnes choses pour Israël. Mais il faut aussi comprendre l’importance
de ces sanctions, et j’espère qu’elles seront employées avec de vrais
critères et avec de vraies actions, et pas simplement pour contribuer à
cette atmosphère de haine de tous ces riches Russes.
Le Tablet News Desk couvre les actualités, Israël et le Moyen-Orient, la science et les sports.
Natan Sharansky, né Anatoli Borissovitch Chtcharanski, est
l’un des plus célèbres opposants soviétiques. Anti-communiste et
sioniste, Il est ancien ministre du gouvernement israélien et ancien
chef de l’Agence juive. Son dernier ouvrage co-écrit avec Gil Troy: Never Alone: Prion, Politics, and My Peoplea été publié en septembre 2020.
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D'avance merci.
L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste.
N'omettez de lire par ailleurs un journal libéral complet tel que Contrepoints: https://www.contrepoints.org/
Al,
PS: N'hésitez pas à m'envoyer vos articles (voir être administrateur du site) afin d'être lu par environ 3000 lecteurs jour sur l'Université Liberté (genestine.alain@orange.fr). Il est dommageable d'effectuer des recherches comme des CC. Merci
Les originaux soviétiques du pacte de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne sont publiés.
Les scans du pacte original de non-agression soviétique entre l’Union soviétique et l’Allemagne du 23 août 1939 et son protocole additionnel secret ont été publiés pour la première fois. Auparavant, seules les photocopies d'originaux allemands de ces documents étaient à la disposition des historiens.
Les scans ont été fournis par le Département d'histoire et de documentation du Ministère des affaires étrangères de la Russie et publiés dans la publication scientifique «La coalition anti-hitlérienne 1939: la formule de l'échec» publiée par l'Institut d'études et d'initiatives de politique étrangère.
Document numéro 1.
Pacte de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne. 23 août 1939 Original soviétique en russe.
Document numéro 2.
Pacte de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne. 23 août 1939 Original soviétique en allemand.
Document numéro 3.
Protocole additionnel secret au pacte de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne. 23 août 1939 Original soviétique en russe.
Document
numéro 4.
Protocole additionnel secret au pacte de non-agression entre l'URSS et
l'Allemagne. 23 août 1939 Original soviétique en allemand.
Document
numéro 5.
Explication du protocole additionnel secret au traité de non-agression
entre l'URSS et l'Allemagne. 28 août 1939 Original soviétique en russe.
Document numéro 6.
Explication du protocole additionnel secret au traité de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne. 28 août 1939 Original soviétique en allemand. ( ci-haut)
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Merci de vos lectures, et de vos analyses.
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Sommaire:
A) Quelle tragédie ! 100 ans après, la France doit subir Mélenchon et une opposition léniniste - Nicolas Lecaussin - IREF
B) Il y a 100 ans, une révolution bolchévique sanguinaire… et féministe - Eric Martin - NDF + Liste Youtube de Juri Lina
C) The Bolshevik Great Experiment: One Hundred Years Later - T. Hunt Tooley - Mises Institute.
D) Robert Fulford: Smart people still fall for the murderous fraud of communism - Robert Fulford - National Post
E) A Revolution to Always Remember but Never Celebrate - Lawrence W. Reed - Foundation for Economic Education
F) Il y a 100 ans, la révolution russe - Jérôme Métellus - marxiste.org
G) Lénine de Wikiberal H) Communisme de Wikiberal I) URSS de Wikiberal J) La révolution russe de 1917 - CRI
A) Quelle tragédie ! 100 ans après, la France doit subir Mélenchon et une opposition léniniste
Triste constat. 100 ans après la « révolution
d’Octobre » (en réalité, un coup d’Etat bolchévique), l’opposition
politique en France est représentée surtout par les Insoumis et leurs
alliés. La plupart de leurs propositions font froid dans le dos et nous
incite à être plus que vigilants.
Plus d’une trentaine de députés
et une quinzaine de sénateurs avec à leur tête l’inévitable Jean-Luc
Mélenchon, voilà ce qui compose la seule force à s’obstiner contre les
« réformes » annoncées par le gouvernement. La situation serait cocasse
si elle n’était pas inquiétante : d’un côté, des petites réformes
concoctées par le gouvernement et considérées comme « ultra-libérales »
et, de l’autre, des idéologues marxisants. Ce n’est pas la meilleure
façon de sauver l’économie française. D’autant plus qu’on semble
sous-estimer les dangers des « mélenchonistes » et autres communistes
alors que nous devrions justement tirer les enseignements du génocide
communiste qui a suivi Octobre 2017.
Faire table rase du sytème politique démocratique : ça n’est pas
autre chose que propose le camp des Insoumis. Il suffit de lire leur
« synthèse programmatique ». En voulant faire table rase de tous les
systèmes - politiques et économiques – c’est une autre société qui est
envisagée. Sans chômage et sans pauvreté. Une société
« multilatéralement développée », sans patrons et sans riches,
construite sur le « partage » : des richesses, bien entendu, mais aussi
du temps de travail et de la vie en en général. Les salariés devront
« s’approprier l’entreprise » et « reprendre le pouvoir décisionnel ».
Le « revenu universel » effacerait les différences et les inégalités
entre les êtres humains. La révolution fiscale serait totale. Pas moins
de 14 tranches d’imposition seraient mises en place et un système
punirait tous les Français ayant choisi de s’installer dans un autre
pays plus clément fiscalement. Dès qu’ils reviendraient en France, ils
devraient payer la différence entre l’impôt payé dans leur pays
d’accueil et leur pays d’origine sur toute la période d’exil fiscal.
Il va de soi que les nationalisations et la « planification écologique »
seront les clés des « réformes économiques » tandis que les services
publics actuels deviendraient « citoyens ». La Santé ne peut être que
l’affaire de l’Etat qui doit s’en emparer complètement. Pareil pour
l’Education au sein de laquelle « l’apprentissage doit être centré sur
la pédagogie »…
Concernant l’Europe, voici l’alternative : on la transforme en Europe
« citoyenne » ou on la quitte. Il faudrait faire « racheter la dette
des États par la banque centrale, pour mettre fin à la pression des
créanciers et réorienter le rôle de la BCE afin que ses activités se
focalisent sur le développement du plein emploi et instaurer le
financement direct des États auprès de la BCE ». De même, il s’agirait
de « supprimer la surveillance budgétaire des États, afin que les
peuples décident eux-mêmes de la manière dont les impôts et cotisations
sociales sont employés ». Il est aussi proposé d’ « instaurer
l’harmonisation fiscale et salariale en Europe » et un protectionnisme
« solidaire » aux frontières nationales. Bien entendu, la France sortira
de l’OTAN et de toute autre organisation « impérialiste ».
« Il faut rendre le pouvoir au peuple », c’est ce que disait Lénine à
la foule en octobre 2017. « Tout commence par le pouvoir des citoyens »
rappelle le programme des Insoumis. La « refondation républicaine »
doit passer par le fait de « rendre au peuple son pouvoir politique ».
Comment ? La démocratie n’est pas le bon système. Il faudra une nouvelle
Constitution, une Assemblée constituante dont les membres devraient
remplir plusieurs critères pas encore clairement définis. Origine
sociale « saine » ? C’est ce qu’avaient instauré les bolcheviks sous le
prétexte de vouloir « donner le pouvoir au peuple ». C’est ce que fait
le Venezuela de Maduro !…
C’est l’ « homme nouveau » qui est donc voulu par ces « nouveaux
communistes » omniprésents dans les médias qui les voient comme les
principaux opposants au gouvernement. Après 100 ans et 100 millions de
morts, la France n’a vraiment rien compris de l’Histoire ?
Ce documentaire a été écrit et produit en 2009 par le journaliste
dissident estonien (ex rép. d'URSS) exilé en Suède, Juri Lina qui a eu
accès à d'importantes archives soviétiques ouvertes aux chercheurs à
partir de 1991 lors de la Pérestroïka, jusque là inaccessibles et
inédites. Le documentaire est tiré du livre "Sous le signe du Scorpion"
C) The Bolshevik Great Experiment: One Hundred Years Later
Since the beginning of the centennial of World War I, I have been
writing a series of essays about the war as the memory of events passes
us by--a hundred years later. But as we approach the centennial of the
Bolshevik Revolution, I find it nearly impossible to delimit my thoughts
on this profound event in the history of the human race as if it were
only a passage of the war, like the Somme, or American intervention, or
the internment of enemy aliens.
There are so many narrations of
the "event" itself. There are so many answers to the question "why."
There are so many clashing depictions of tectonic shifts in Russia and
the world at that time, of Lenin, Trotsky, Dzerzhinsky and the rest as
actors, heroes, villains, and (to some modern day sycophants) secular
saints.
The inhuman cruelty, the killing capacity of this
Marxist-Leninist movement which styled itself occasionally as the
champion of the "people" (though much more often and much more
truthfully as the vanguard of the proletariat on the march toward a
revolutionary conflagration that would produce the new man) truly tests
the bounds of human comprehension. Even if we take into account a group
of recent historians who minimize standard historical estimates of total
non-combat, democidal totals of deaths (based in part on recently found
archival materials, but in part on soft hearts still loyal to the Great
Experiment), the median calculation of Communist mortality by
historians and demographers credits the Soviet Union of Lenin and Stalin
with somewhere between eighteen and sixty-two million deaths beyond
technically military losses. If we add up the democidal killings of
spin-off Communist regimes across the globe, the totals are
astronomical, with the estimates by historians, sociologists,
demographers, and other serious analysts hovering around a hundred
million human beings.
These deaths were, in the view of Communist elites from Lenin to
Stalin to Mao to Pol Pot, necessary. The grist of History's mill, so to
speak.
Still, many persist in wearing Che Guevara t-shirts and
longing for the Great Experiment. In 2011, Rasmussen pollsters found
that eleven percent of Americans thought that a Communist regime would be better than the current "system" of politics and economics in the United States.
Such
attitudes come in part from the lack of much serious study of history at
any level in the schools in the United States and in other parts of the
world. My own history students read Solzhenitsyn, or Yevgenia Ginzburg,
or The Black Book of Communism and express
surprise at the enormity of Communist mass murders and persecution they
have hardly been aware of previously. But this phenomenon is by no
means recent. In my own education, which took place, from first grade to
Ph.D., during the Cold War, only one or two teachers dealt with Soviet
and Communist mass murder in any way, and that was not until I was well
into university historical studies. And of course Hollywood, that great
shaper of popular historical awareness, has assiduously avoided all of
this murder and misery. No doubt because it offers so little in the way
of human drama.
In any case, the answer is not the schools, whose
bureaucracy and whose ideological and even pedagogical limitations will
never add to the curriculum a special chapter studying the bloody
history of the Great Experiment. Rather, the solution will come through
individual reading and learning among a growing subset of educated, and
especially self-educated, persons committed to the exploration of the
total state and its origins--outside and typically after the completion
of formal schooling. The materials of this kind of guerrilla education
takes the form these days of books, online seminars, special courses on
economics and society, and myriad other forms of information that
somehow escape from and flow around the historical narratives that avoid
mentioning these profound crimes which took place in the name of the
Marxist historical dialectic.
So as we come to this particular
grim centennial, we do well to pay even more attention to the influence
of the Bolshevik Revolution through the entirety of the last century. By
any measure, World War I shaped the century after it by
institutionalizing and to some extent normalizing mass violence, by
unleashing the state in its aggressiveness, acquisitiveness, and power.
But the "contributions" of the Bolshevik Revolution hold pride of
place. As yet, the legacy of the Bolshevik takeover of the
Russian Empire beginning in October/November 1917 represents the single
historical fact from the Great War — of dreadfully many possible choices
— that must be viewed as having visited the most misery and death on
the human race in its time and over the century to come.
D) Robert Fulford: Smart people still fall for the murderous fraud of communism
The dream of communism energized many
intellectuals and artists. For some, the dream lingered even after the
brutality of Soviet life became known.
One afternoon a few decades ago a director from the National Film
Board visited my office to film an interview on the Gouzenko case, the
Ottawa scandal that exposed a Soviet spy ring installed in Canada during
the Second World War.
While the camera was being set up we chatted about dictatorships and I
mentioned that I found the Soviet Union far more evil than Hitler’s
Nazis.
He was shocked. “How can you say that?”
I answered: “Kills more. Lasts longer.” (In the event, it lasted 75 years.)
I find the Soviet Union more evil than the Nazis
“But,” the director said, “there is the matter of intention …” He was
upset that I failed to consider the good, humane, progressive
intentions behind communism. That’s why I remember our conversation so
clearly. He was a sensitive man with political views shaped by
good-hearted instincts. He felt we shouldn’t ignore the admirable
motives that started the Soviet Union.
This month, while the world notes the 100th anniversary of the 1917
revolution, we should consider the results of Lenin and the Bolsheviks
coming to power in Russia. That event turned Russia into an inhuman
hellhole and eventually inspired dictatorships in the nearby European
countries as well as in China, Cambodia, North Korea and elsewhere.
The Nazis and the communists were the forces that shaped the tragic
history of the last century and set the stage for this one. Should we
compare them? Well, we compare everything else. Why not compare two
events that the civilized world considers catastrophes?
The 1917 revolution turned Russia into an inhuman hellhole
Many still regard Marxism as a good idea that fell into bad hands,
notably Lenin’s and Stalin’s. I prefer the view of Martin Amis,
expressed in The New York Times the other day: “It was not a good idea
that somehow went wrong. It was a very bad idea from the outset, forced
into life with barely imaginable self-righteousness, pedantry, dynamism
and horror.” It defied human nature, so humans accepted it only under
threat of violence, which inevitably was applied. In the hands of
bullies who wanted power, Marxism was a terrifying weapon.
The disastrous reign of the communists was predicted long before it
happened. Mikhail Bakunin, the great anarchist writer, died 40 years
before the Russian revolution. But he left behind a grimly accurate
prediction: “If you took the most ardent revolutionary, vested him in
absolute power, within a year he would be worse than the Czar himself.”
Lenin and company were much worse, in fact. Yet their reign appealed
to the optimism and idealism of many generous hearts and minds. And long
after the worst was known, it still carried a certain appeal. For those
of a generally leftish persuasion, it had the virtue of promising to
overturn right-wing power. For years it was red-baited by Sen. Joseph
McCarthy and his crazed colleagues, another point in its favour.
Many still regard Marxism as a good idea that fell into bad hands
The dream of communism energized intellectuals and artists in the
West. For some, the dream lingered even after the brutality of Soviet
life became widely known. Ruth Wisse, a Canadian expert on Jewish
affairs and a professor at McGill and then Harvard, recently wrote an
article in the Forward, a revered Jewish magazine, under the title, Why
Do American Jews Idealize Soviet Communism? She describes a romantic
notion of the Bolshevik regime, embodied by Barbra Streisand’s loveable
and heroic character in the film The Way We Were.
Wisse remarks that Soviet Communism “killed an estimated 30 million
of its own citizens, including through a government-enforced famine in
Ukraine.” Hitler killed a million Jewish children; Stalin killed more
than twice as many children in Ukraine alone. It built the Gulag of
killing labour camps, which (Wisse says) far surpassed Hitler’s
concentration-camp network in the number of victims.
Wisse asks, “How then can Americans and particularly the Jews among
them perpetuate the romance of the Bolshevik regime?” In Toronto you can
still run into people who are nostalgic about the United Jewish
People’s Order (UJPO) when it was loyal to the communists and before
1956, when Nikita Khrushchev exposed Stalin’s crimes.
Many among us fell for this titanic fraud. Being alive demands that
we understand how even the best and brightest can be hoodwinked by
monsters masquerading as political heroes.
E) A Revolution to Always Remember but Never Celebrate
As the Great October Socialist Revolution reaches its centennial
anniversary, it's important to remember the devastation it wrought.
The propaganda of the old Soviet Union
referred to it for decades as the “Great October Socialist Revolution,”
the momentous event that brought Vladimir Lenin to power and gave birth
to seventy-four years of Communist Party rule. We are presently on the
eve of its centennial.
It is not an anniversary that anyone should celebrate.
For decent people everywhere, nothing about the Russian tragedy of 1917 is worth commemorating. Everything
about it, however, is worth remembering—and learning important lessons
from. The carnage wrought by the ideology that ascended to power a
century ago may forever stand as an evil unsurpassed in the annals of
human depravity. If you’re not sure just what that ideology was, or what
to call it, perhaps this article will help.
I first became an activist for liberty 49 years ago, in response to the Soviet invasion of Czechoslovakia. So in part for personal reasons, I could not let this centennial milestone pass without noting it in some way.
The victims of the Soviet regime and the other tyrannies it spawned in the 20th Century approach 100 million in number,
but can any article, book, or voluminous collection of both ever
adequately do justice to the stories of their agony and sacrifice? Of
course not. So with that limitation in mind, I choose to note the
occasion by telling you a little about just two of those 100 million.
Their names are Gareth Jones and Boris Kornfeld.
__________
Gareth Richard Vaughan Jones was born
in Wales on August 13, 1905. Both his parents were middle-class
educators determined that their son would get the best education
possible. By his 25th
year, young Gareth had earned degrees in French, German and Russian
from the University of Wales and Trinity College at Cambridge
University. Former British Prime Minister David Lloyd George hired him
almost immediately as his Foreign Affairs Advisor, a remarkable
assignment for a 25-year-old.
Gareth must have thought the world
was his oyster. Little did he know he would soon be a celebrity
journalist of international standing, and dead before his 30th birthday.
In the early 1930s, Jones undertook
two fact-finding missions to Stalin’s Soviet Union. He published several
well-received articles in major Western newspapers about his
observations. Before a third visit in March 1933, he picked up credible
information that conditions in Ukraine, then one of the 15 Soviet
republics, were dire. He resolved to find out for himself and scheduled a
third mission for March 1933.
A month before that fateful journey, Jones found himself invited by officials in Germany to
cover a political rally in Frankfurt. Adolf Hitler had just been named
Chancellor in January. Three days before the February 27 burning of the
Reichstag, Jones was one of a small handful of people on a plane bound
for that rally with Adolf Hitler and Joseph Goebbels. As he witnessed
the popular adulation of the man who would soon assume the mantle of
“Fuhrer,” Jones sensed the troubles ahead. If only the plane in which he
flew with Hitler and Goebbels had crashed, he later wrote, the history
of Europe would have been very different.
With his assignment in Germany behind
him, Jones arrived in Moscow in March. Travel from there to Ukraine was
forbidden, but that didn’t prevent him from eluding Soviet authorities
and making his way there anyway. What he saw and heard horrified him. By
the end of the month, he was back in Berlin and reporting to the world.
In an article published in the New York Evening Post, Britain’s Manchester Guardian and many other papers, he wrote:
I
walked along through villages and twelve collective farms. Everywhere
was the cry, “There is no bread. We are dying.” … I tramped through the black earth region because
that was once the richest farmland and because the correspondents have
been forbidden to go there to see for themselves what is happening. In the train, a Communistdenied
to me that there was a famine. I flung a crust of bread which I had
been eating from my own supply into a spittoon. A peasant
fellow-passenger fished it out and ravenously ate it. I threw an orange
peel into the spittoon and the peasant again grabbed it and devoured it.
The Communist subsided. I stayed overnight in a village where
there used to be two hundred oxen and where there now are six. The
peasants were eating the cattle fodder and
had only a month’s supply left. They told me that many had already died
of hunger. Two soldiers came to arrest a thief. They warned me against
travel by night, as there were too many 'starving' desperate men. “We are waiting for death” was my welcome… “Go farther south. There they have nothing. Many houses are empty of people already dead,” they cried.
Jones had walked into one of the
Great October Socialist Revolution’s most heinous crimes: the Holodomor
of 1932-33. Known also as the Terror-Famine and the Ukrainian Genocide,
it was an intentional, man-made, planned-from-the-top catastrophe that
claimed the lives of between four and ten million people. From Stalin on
down, Communist officialdom engineered it to crush Ukrainian resistance
to the forced collectivization of agriculture. Two years and millions
of deaths later, Stalin would declare in a speech, “Life has improved, comrades. Life has become more joyous.”
Survival was a moral as well as a
physical struggle. A woman doctor wrote to a friend in June 1933 that
she had not yet become a cannibal, but was "not sure that I shall not be
one by the time my letter reaches you." The good people died first.
Those who refused to steal or to prostitute themselves died. Those who
gave food to others died. Those who refused to eat corpses died. Those
who refused to kill their fellow man died. Parents who resisted
cannibalism died before their children did.
Twenty-seven year-old Gareth Jones
was the first journalist to reveal the infamous Ukrainian famine to the
outside world. No credible person today denies that it occurred. But in
March 1933, Jones was shocked to find his revelations met with
denunciation from some veteran and highly-respected journalists.
Chief among the deniers was reporter and Soviet sympathizer Walter Duranty of the New York Times. On March 31, Duranty penned a piece for The Times
in which he claimed Jones’s report to be a fabrication. He even cited
Kremlin sources (as if they were to be trusted), who labeled Jones a
flat-out liar.
Duranty never apologized for his
allegations against Jones, nor did he ever retract his “there is no
famine” propaganda. He would later win a Pulitzer Prize for his
“coverage” of the Soviet Union. Decades later, The Times conceded that his articles amounted to “some
of the worst reporting to appear in this newspaper.” Duranty was a
classic example of what Vladimir Lenin disdainfully labeled “useful
idiots.” (They’re still around, by the way, in disturbing abundance. You
can learn more about them in the works of sociologist Paul Hollander, here, here, and here.
Moscow despised the fact that Jones
had found a way to get into Ukraine against its wishes. Telling the
world about conditions there put him on the official black list. Soviet
Foreign Minister Maxim Litvinov (whom Jones had interviewed in Moscow)
wrote a personal letter to Lloyd George, informing him that his
colleague Jones would never be allowed entry into the Soviet Union
again.
Two years later, Jones and a German
journalist covered events in turbulent China. They were captured by
bandits who released the German within two days but held on to Jones for
sixteen more. Then under mysterious circumstances on August 12,
1935—the day before his 30th birthday—Jones was shot to death. As a BBC documentary suggests, the evidence tying the murder to the Soviet secret police is very strong.
Two weeks after Jones’ killing, David Lloyd George paid tribute to his young friend:
That part of the world is a cauldron of conflicting intrigue and one
or other interests concerned probably knew that Mr Gareth Jones knew too
much of what was going on... He had a passion for finding out what was
happening in foreign lands wherever there was trouble, and in pursuit of
his investigations he shrank from no risk... I had always been afraid
that he would take one risk too many. Nothing escaped his observation,
and he allowed no obstacle to turn from his course when he thought that
there was some fact, which he could obtain. He had the almost unfailing
knack of getting at things that mattered.
Gareth Jones didn’t live to see his
courageous reporting vindicated, but his memory is celebrated today in
Ukraine, where he is a national hero.
________
Exactly when Boris Nicholayevich
Kornfeld was born, no one seems to know now for sure. We might know
nothing of him today were it not for a few paragraphs in a famous book
by a man—for the moment, let me simply refer to him as Mr. X—whose life
he hugely affected and perhaps even helped save.
We do know that in the late 1940s, Kornfeld was a prisoner incarcerated
at Ekibastuz, a notorious forced-labor camp in Soviet Siberia. We know
that Kornfeld was a doctor by profession and was sometimes ordered to
tend to other prisoners. He was Jewish, but was apparently so affected
by the faith and stoicism of Christian prisoners in the camp that he
converted. He felt a powerful compulsion to tell others about
Christianity, at great risk to himself.
In his famous book, Mr. X writes this about his encounter with Dr. Kornfeld:
Following an operation, I am lying in
the surgical ward of a camp hospital. I cannot move. I am hot and
feverish, but nonetheless my thoughts do not dissolve into delirium, and
I am grateful to Dr. Boris Nikolayevich Kornfeld, who is sitting beside
my cot and talking to me all evening. The light has been turned out, so
it will not hurt my eyes. There is no one else in the ward. Fervently he tells me the long story
of his conversion from Judaism to Christianity. I am astonished at the
conviction of the new convert, at the ardor of his words. We know each other very slightly, and
he was not the one responsible for my treatment, but there was simply
no one here with whom he could share his feelings. He was a gentle and
well-mannered person. I could see nothing bad in him, nor did I know
anything bad about him. However, I was on guard because Kornfeld had now
been living for two months inside the hospital barracks, without going
outside. He had shut himself up in here, at his place of work, and
avoided moving around camp at all. This meant that he was afraid of
having his throat cut. In our camp it had recently become fashionable to
cut the throats of stool pigeons. This has an effect. But who could
guarantee that only stoolies were getting their throats cut? One
prisoner had had his throat cut in a clear case of settling a sordid
grudge. Therefore the self-imprisonment of Kornfeld in the hospital did
not necessarily prove that he was a stool pigeon. It is already late. The whole
hospital is asleep. Kornfeld is finishing his story…I cannot see his
face. Through the window come only the scattered reflections of the
lights of the perimeter outside. The door from the corridor gleams in a
yellow electrical glow. But there is such mystical knowledge in his
voice that I shudder. Those were the last words of Boris
Kornfeld. Noiselessly he went into one of the nearby wards and there lay
down to sleep. Everyone slept. There was no one with whom he could
speak. I went off to sleep myself. I was wakened in the morning by
running about and tramping in the corridor; the orderlies were carrying
Kornfeld's body to the operating room. He had been dealt eight blows on
the skull with a plasterer's mallet while he slept. He died on the
operating table, without regaining consciousness.
Who was the “famous” Mr. X who penned those words? None other than Aleksandr Solzhenitsyn, ten years a prisoner in what he would later immortalize as “The Gulag Archipelago” in the title of one of the greatest literary and historical works of the 20th
Century. The future Nobel laureate Solzhenitsyn acknowledged that
Kornfeld played a key role in his mental and spiritual resolve to endure
ghastly circumstances. When the Gulag
manuscript was smuggled out and appeared in print in the West in 1973,
it blew away whatever was left of the myth of Soviet socialism’s
“workers’ paradise.”
Boris Kornfeld was not just a number.
He, like the other 80 or 90 or 100 million victims of the Great October
Socialist Revolution, was a real human being. He had a name, a family,
plans and ambitions, likes and dislikes, joys and sorrows. Thankfully,
he had more than a little decency too. He shared truth and inspiration
and suffered for it. But we have good reason to believe that in his
courage, channeled to the soul of another man, he helped bring an end to
a truly Evil Empire.
Gareth Jones would, I’m quite sure, be very pleased with that outcome.
These further words of Solzhenitsyn provide me with an appropriate conclusion. Think about them:
Socialism of any type leads to a total destruction of the human spirit and to a leveling of mankind into death. In different places over the years I
have had to prove that socialism, which to many western thinkers is a
sort of kingdom of justice, was in fact full of coercion, of
bureaucratic greed and corruption and avarice, and consistent within
itself that socialism cannot be implemented without the aid of coercion.
The Great October Socialist Revolution was a calamity of the first order. Let us make no excuses for it. Ever.
Author’s Note: Please consider attending this important centennial event on November 7, 2017 in Washington, D.C., sponsored by the Victims of Communism Memorial Foundation.
Cette année marque le 100e anniversaire de la révolution
russe, qui pour les marxistes est d’une importance colossale. Pour la
première fois – si l’on excepte l’héroïque soulèvement des communards,
en 1871 –, les travailleurs prenaient le pouvoir et engageaient la
construction d’une société socialiste. L’impact international de cet
événement fut immense. Il bouleversa le cours de l’histoire.
La Tendance Marxiste Internationale profitera de cet anniversaire
pour expliquer dans le détail quelles furent les causes de cette
révolution, sa dynamique interne, les raisons de sa dégénérescence
bureaucratique, au milieu des années 20 – et quelles leçons nous devons
en tirer, aujourd’hui, pour faire avancer la lutte contre le système
capitaliste. Nous publierons des articles et organiserons des réunions
publiques sur ce thème. Nous défendrons la révolution russe contre ses
adversaires de droite et « de gauche », car ils ne manqueront pas de
célébrer 1917 à leur manière, à coup de mensonges et d’interprétations réactionnaires.
Au fil du temps, la littérature hostile à la révolution russe – et
plus précisément à la révolution d’Octobre – a pris des proportions
impressionnantes, en termes quantitatifs. Cependant, la valeur
scientifique de ces innombrables livres et articles est proche de zéro.
La raison en est simple : leurs auteurs ne voulaient pas faire œuvre de
science ; ils voulaient uniquement dissuader les exploités du monde
entier de chercher une solution à leurs problèmes dans les idées et le
programme du bolchevisme, c’est-à-dire du marxisme.
On peut ranger dans deux catégories les arguments contre la
révolution russe. La première regroupe toutes les « révélations » et
anecdotes visant à peindre les dirigeants du parti bolchevik sous les
traits d’hommes sans foi ni loi, cyniques et mus par des pulsions
sanguinaires. Ici, l’exécution du tsar Nicolas II et de sa famille
occupe en général une place de choix. Bien des larmes sont versées sur
le sort de « Nicolas le Sanglant » et de ses proches, comme si leur
exécution fut un acte de cruauté gratuite à l’encontre d’une gentille
petite famille sans histoire. De même, lors du bicentenaire de la
Révolution française, en 1989, des historiens ont pleuré sur le sort que
les Jacobins ont réservé à Louis XVI et Marie-Antoinette.
Naturellement, la barbarie et les crimes innombrables des monarchies
russe et française n’arrachent pas l’ombre d’un soupir à ces âmes
sensibles.
La deuxième catégorie d’arguments contre la révolution russe est plus
« sérieuse » : elle délaisse le sensationnalisme et le moralisme
hypocrite pour tenter de s’élever jusqu’au niveau d’un raisonnement
politique. Nous en évoquerons deux parmi les plus courants.
Les « Amis de Février »
Rappelons d’abord qu’en 1917 il n’y eut pas une, mais deux révolutions. Fin février [1],
les masses ouvrières de Petrograd – et d’abord les femmes – firent
grève et manifestèrent pour protester contre la faim, la misère et les
horreurs de la guerre impérialiste. Le tsar fit envoyer la troupe pour
noyer dans le sang cette « rébellion ». Mais celle-ci, indomptable,
finit par gagner les soldats à sa cause et, dès lors, se transforma en
insurrection. Le 27 février, les révolutionnaires contrôlaient la
capitale – et Moscou se soulevait à son tour. Le 2 mars, Nicolas II
abdiquait.
La révolution de février déboucha sur une situation de double
pouvoir. Un « gouvernement provisoire » formé à la hâte, constitué de
représentants de la bourgeoisie et des grands propriétaires terriens,
faisait face aux soviets – « conseils », en russe – des ouvriers, des
soldats et des paysans, dont le système de délégués élus et révocables
culminait dans un Comité Exécutif. Or dans la foulée de février, les
bolcheviks, c’est-à-dire l’aile gauche du mouvement ouvrier russe, ne
constituaient qu’une petite minorité des soviets. La majorité, et donc
le Comité Exécutif, était contrôlée par deux autres partis se situant
sur la droite des bolcheviks : les mencheviks et les
socialistes-révolutionnaires (SR).
En dépit de leur adhésion verbale à la révolution et au socialisme,
les dirigeants mencheviks et SR résistaient de toutes leurs forces aux
revendications des masses, parmi lesquelles la paix et la réforme
agraire. Ils tergiversaient sans cesse, mais au final soutenaient le
gouvernement provisoire et les politiciens de la grande bourgeoisie
– qui, de leur côté, conspiraient contre la révolution et préparaient le
retour de « l’ordre ».
C’est ici que les historiens bourgeois s’écrient en chœur : « La
révolution de février, oui ! Celle d’octobre, non ! » Ils reprochent à
Lénine et Trotsky d’avoir préparé la deuxième révolution de 1917, la
révolution bolchevique d’Octobre. Ils reconnaissent parfois que le
régime issu de février était contradictoire, instable, mais prétendent
qu’il posait tout au moins les bases d’une authentique « démocratie »
(bourgeoise), à l’avenir...
Au fond, ce point de vue est beaucoup moins inspiré par l’amour de la
démocratie que par la haine du bolchevisme. Ce que ces historiens ne
pardonnent pas à la révolution d’Octobre, c’est d’avoir arraché le
pouvoir des mains des grands capitalistes et propriétaires terriens,
pour le placer entre les mains des travailleurs alliés à la masse des
paysans pauvres. Par ailleurs, l’idée selon laquelle la révolution
d’Octobre a empêché l’avènement d’une « démocratie » bourgeoise
florissante, en Russie, ne résiste pas au simple rappel des faits. Fin
août 1917, par exemple, la grande bourgeoisie russe appuya de toutes ses
forces l’offensive dirigée par le général Kornilov, dont l’objectif
était d’écraser la révolution et d’instaurer une dictature militaire. La
mobilisation des bolcheviks fut le facteur décisif qui fit échouer
cette tentative de coup d’Etat contre-révolutionnaire. Mais de cela, les
« Amis de Février » n’aiment pas parler !
Octobre : un coup d’Etat ?
C’est l’argument fétiche des historiens hostiles à la révolution
d’Octobre : celle-ci n’aurait été qu’un vulgaire « coup d’Etat ». Dans L’Obs du 22 décembre dernier, Pascal Riché sacrifie à la tradition : « simple coup d’Etat bolchevique »,
écrit-il au sujet d’Octobre, sans consacrer une ligne à tenter de le
démontrer. Ce qui est amusant, c’est qu’il démontre le contraire – bien
involontairement – dans différents passages de son article. Il souligne
notamment qu’après le retour de Lénine en Russie, en avril, alors que « la situation économique et militaire se détériore, la popularité des bolcheviks (…) et de leur programme simple – «du pain, la paix, la terre» – décolle ». Plus loin, il rappelle qu’après le fiasco de l’offensive du général Kornilov, « le prestige des bolcheviks croît, ainsi que leur représentation dans les soviets des villes ».
Précisément, Mr Riché ! A compter du mois d’avril, la popularité des
bolcheviks ne cessa de « décoller ». Fin septembre, les bolcheviks
devinrent majoritaires dans les soviets, qui étaient les organes
démocratiques à travers lesquels s’exprimait la volonté des
travailleurs, des soldats et des paysans pauvres de Russie.
D’ailleurs, la direction du parti bolchevik choisit de faire coïncider
l’insurrection d’Octobre – la conquête effective de l’appareil
gouvernemental – avec le Deuxième congrès des Soviets (25 et
26 octobre), où les bolcheviks étaient majoritaires, ce qui donna à
l’insurrection la légalité la plus large. Non seulement la révolution
d’Octobre ne fut pas un coup d’Etat, c’est-à-dire une opération menée
dans le dos du peuple, mais elle fut organisée au grand jour lorsque les
bolcheviks comprirent qu’ils bénéficiaient d’un soutien décisif dans
les masses.
Toute la politique du parti bolchevik, en 1917, contredit la théorie
du « coup d’Etat ». Par exemple, dès le mois de juillet, les bolcheviks
avaient gagné le soutien des couches les plus avancées de la classe
ouvrière de Petrograd. Elles fulminaient d’impatience, voulaient prendre
le pouvoir. Mais Lénine et Trotsky s’efforcèrent de les retenir, car
Petrograd était en avance sur le reste du pays. En dehors de la
capitale, beaucoup de travailleurs et de soldats soutenaient encore les
dirigeants mencheviks et SR. Lénine insistait : « il faut expliquer patiemment ». Etrange formule, chez un « putschiste » !
Inutile, par contre, d’expliquer patiemment tout ceci aux Pascal Riché de ce monde, car ils ne veulent pas
comprendre. Ce qu’ils haïssent instinctivement dans la révolution
d’Octobre, c’est le renversement de la classe capitaliste par les
travailleurs et les paysans. C’est pour cette même raison que nous
l’admirons – et, surtout, que nous devons l’étudier dans toutes ses
dimensions, dans toute sa richesse, pour préparer la prochaine
révolution socialiste.
[1]
Jusqu’en 1918, la Russie utilisait le calendrier julien, qui a 13 jours
de retard sur le calendrier grégorien (le nôtre). Suivant ce dernier,
l’insurrection de février débuta le 8 mars, à l’occasion de la journée
internationale des droits des femmes.
Vladimir Illitch Oulianov dit Lénine est un idéologue et homme politique russe né à Simbirsk le 22 avril1870 et mort le 21 janvier1924.
Créateur du premier État communiste, l'URSS, il a donné une réalité aux idées de Marx et de Engels, tout en transformant profondément la doctrine marxiste. Le marxisme-léninisme jette ainsi les bases du totalitarisme.
En associant pour la première fois l’idée d’un parti unique, d’une
police politique et d’un système concentrationnaire, il a été
l’inspirateur de toutes les variantes du communisme développées au XXe
s. (stalinisme, trotskisme, maoïsme, castrisme, etc.) tout en exerçant
une influence sur le fascisme et le nazisme. En ce sens, il a été la personnalité majeure du siècle dernier et le principal ennemi du libéralisme.
Le théoricien
Chez Lénine, la théorie est liée à la pratique. Il n'y a pas de
dogme : l'orthodoxie est ce que dit le parti en ce moment et dans la
forme où il le dit. L'effort intellectuel principal consiste à assurer
la cohérence dialectique du côté de l'action politique et du côté de la
théorie. Il faut conférer à chaque pas politique un sens idéologique. Il
n'y a pas plus de vérité qu'il n'y a de liberté : la vérité bourgeoise
s'oppose à la vérité prolétarienne. La pensée de Lénine est foncièrement
dualiste.
Dès Que Faire ? (1902),
il montre le parfait mépris qu’il éprouve à l’égard des ouvriers :
ceux-ci ne songent qu’à améliorer leur situation matérielle et non à
détruire l’ordre social existant. Le prolétariat
ignore ce qui est bon pour lui. Le Parti, composé d’une élite
intellectuelle qui détient la science, est l’incarnation (et non la
représentation) du mouvement ouvrier. Ce parti doit être organisé de
façon hiérarchisée et autoritaire comme une fabrique ou comme une armée.
Le « centralisme démocratique » exclut toute liberté de critique au
sein du Parti : La liberté
est un grand mot, mais c’est sous le drapeau de la liberté de
l’industrie qu’ont été menées les pires guerres de brigandage ; c’est
sous le drapeau de la liberté du travail qu’on a spolié les
travailleurs. L’expression « liberté de critique » telle qu’on l’emploie
aujourd’hui renferme le même mensonge. Le Parti bolchevik, créé en 1912 et modèle de tous les PC ultérieurs, répond à cette conception.
Dans l’État et la Révolution (1917), opuscule rédigé entre les révolutions de février et d’octobre, il se présente comme le restaurateur du vrai marxisme.
Contre les opportunistes partisans d’une prise de pouvoir légal, Lénine
souligne la nécessité d’une prise de pouvoir violente pour supprimer l’État
bourgeois et le remplacer par un État prolétarien. Instrument
d’oppression, l’État doit être au service de la classe révolutionnaire :
la violence sera au service de la majorité (le peuple) contre la
minorité bourgeoise. Avec la disparition des exploiteurs, les intérêts
de tous seront en harmonie avec ceux de tous et l’État dépérira. Cette
première phase de dictature du prolétariat, le socialisme, va donc inévitablement déboucher sur le communisme, règne de l’abondance. Par la suite, tout au long de l'histoire de l'URSS,
le communisme sera évoqué en termes messianiques, comme un but très
lointain mais capable de justifier toutes les souffrances présentes. En
attendant, tous sont soumis à l’État, dans une bureaucratie
autogestionnaire généralisée :
Recensement et contrôle, voilà l’essentiel et pour l’organisation et
pour le fonctionnement régulier de la société communiste dans sa
première phase. Ici, tous les citoyens se transforment en employés
salariés de l’État constitué par les ouvriers armés. Tous les citoyens
deviennent les employés et les ouvriers d’un seul cartel du peuple
entier, de l’État.
Il ébauche le modèle d’une système totalitaire : Quand la majorité du
peuple commencera par elle-même et partout ce renversement, ce contrôle
des capitalistes (transformés alors en employés) et de la gent
intellectuelle qui aura conservé les pratiques capitalistes, alors ce
contrôle sera vraiment universel, général, national, et nul en pourra
plus s’y soustraire, de quelque manière que ce soit ; « on n’aura plus
où se mettre ».
Lénine rejette la morale « bourgeoise » : « Notre morale est
entièrement subordonnée aux intérêts de la lutte du prolétariat », aussi
« nous disons : est moral ce qui contribue à la destruction de
l’ancienne société d’exploiteurs et au rassemblement de tous les
travailleurs autour du prolétariat en train de créer la nouvelle société
communiste ». La violence est légitime quand elle exercée par les
opprimés, le mensonge et le cynisme sont nécessaires pour faire
triompher la cause portée par le mouvement de l’histoire. Le droit
est à ses yeux également une « illusion bourgeoise ». La création de la
Tchéka, la police politique est suivie rapidement par l’ouverture du
premier camp de concentration. « Un bon communiste c’est aussi un bon
tchékiste ». Le but de la politique est de détruire l'adversaire :
« Cacher aux masses la nécessité d’une guerre exterminatrice, sanglante,
désespérée comme objectif immédiat de l’action future, c’est se tromper
soi-même et tromper le peuple. »
L’importance décisive de 1918 et du communisme de guerre
A l’arrivée au pouvoir des bolcheviks ceux-ci ne contrôlent pas grand
chose dans un pays qui a sombré dans l’anarchie. Les paysans se sont
emparés des terres et les ouvriers ont pris le contrôle des usines. Il
n’y a plus ni noblesse ni bourgeoisie
industrielle. De plus, la paix de Brest-Litovsk (mars 1918) enlève à la
Russie les régions agricoles les plus riches et les régions
industrielles les plus productrices. Pour Martin Malia, c’est le vide
social de tout ce qui existe au-dessus du peuple (tout ce qui n’est ni
paysan ni ouvrier) qui laisse au Parti la possibilité de s’organiser en
bureaucratie idéocratique universelle : le Parti va remplacer la société. La destruction du capitalisme révèle ce constat fâcheux : le socialisme
ne se manifeste nulle part : il faut le construire. Comme Eduard
Bernstein l'avait compris, on ne peut compter sur le prolétariat pour
accomplir seul la révolution, ce doit être l'affaire de révolutionnaires
"professionnels".
A l’été 1918, le processus de désintégration menace le pouvoir
bolchevique : le communisme de guerre va permettre de sauver le régime
tout en posant les bases du futur État soviétique. Les soviets sont
épurés en juillet et tous les partis sont mis hors la loi en août. Le
terme ennemi de classe désigne désormais ceux qui sont hostiles à l’État
à Parti unique. De plus, entre avril et décembre, par une série de mesures improvisées, l’ensemble de l’économie est nationalisé. Il faut donc créer un organisme central pour remplacer le marché :
le Soviet panrusse de l’économie nationale, préfiguration du Gosplan.
Sans marché, seul le plan peut décider des investissements. Pour battre
les armées blanches, l’État doit également mettre sur pied une armée,
l’Armée rouge : la militarisation de la société va de pair avec
l’étatisation de l’économie. L’Armée rouge réussit, en dépit de sa
médiocrité, a triompher de ses adversaires : les armées blanches étaient
divisées, peu populaires aux yeux des paysans et elles s’appuyaient sur
l’étranger, ce qui faisait jouer le réflexe nationaliste en faveur des
bolcheviques. La Tcheka, créé en décembre 1917, devient à l’automne 1918
un organisme centralisé au service du Parti.
Une des conséquences importantes de la crise de 1918 est la
bureaucratisation du Parti. Le Politburo devient le comité directeur aux
dépens du Comité central et un Secrétariat (sans le nom) est créé sous
la direction de Sverdlov qui inaugure le système de domination d’en haut
que devait développer ensuite Staline.
A l’automne, les membres des soviets sont désormais nommés par
l’appareil de l’État. Les effectifs du parti augmentent : de 125 000 à
600 000 en 1920. D’origine modeste, les nouveaux membres y trouvent un
moyen d’ascension sociale inouï : à demi incultes, ils vont s’identifier
plus facilement à un Staline qu’à un intellectuel comme Trotski.
Le seul groupe social qui conserve son autonomie, c’est la paysannerie. Le communisme de guerre
n’a pu en venir à bout. Pour le reste, il n’y a plus de société
civile : il ne peut donc y avoir ni Thermidor, ni Restauration. Avec la
révolte de Kronstadt, Lénine prend conscience de la nécessité du
centralisme démocratique : avec le Xe Congrès, le caractère
« monolithique » du Parti est établi définitivement par l’interdiction
des factions.
La NEP improvisée en 1921 est une concession face aux graves problèmes
économiques. Elle repose sur une contradiction entre le système
politique et l’économie de marché : le Parti qui ne peut pas admettre le pluralisme politique ne peut admettre non plus le pluralisme économique.
Lénine, L'inventeur du totalitarisme, Stéphane Courtois, Perrin, 2017
Citations
La société tout entière deviendra un seul immense bureau et une
seule immense usine avec égalité de travail et égalité de rétribution. (L'État et la Révolution)
Le peuple n'a pas besoin de liberté, car la liberté est une des
formes de la dictature bourgeoise. Le peuple veut exercer le pouvoir. La
liberté ! Que voulez-vous qu'il en fasse ? (L'état et la Révolution)
Pourquoi faudrait-il tolérer la liberté d'expression et la liberté
de la presse ? Pourquoi un gouvernement qui fait ce qu'il juge bon
devrait-il tolérer la critique ? Il ne tolèrerait pas une opposition qui
utiliserait des armes mortelles, or les idées sont bien plus mortelles
que les fusils.
Lénine était le plus grand des hommes après Hitler et la différence entre le communisme et la foi d’Hitler est très subtile. (Joseph Goebbels)
Lénine lui-même et la plupart de ses compagnons conspirateurs n'ont
jamais rien appris sur le fonctionnement de l'économie de marché et
n'ont jamais voulu le faire. Tout ce qu'ils savaient sur le capitalisme,
c'était que Marx l'avait dépeint comme le pire de tous les maux. Ils
étaient des révolutionnaires professionnels. Leurs seules sources de
revenus étaient les fonds du parti, qui était approvisionné par des
contributions volontaires et le plus souvent involontaires (extorquées),
ainsi que par des souscriptions et les "expropriations" violentes. (Murray Rothbard, La mentalité anti capitaliste)
H) Communisme
Le communisme est un système théorique d'organisation sociale reposant sur la propriété commune des moyens de production. C'est également un mouvement politique qui prétend renverser le capitalisme pour instaurer une société sans classe.
Manifeste politique
Le communisme désigne également le système politique proposé par Karl Marx dont voici les 10 points-clés du Manifeste du Parti Communiste[1] :
Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l'État
Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles
Centralisation du crédit entre les mains de l'État, au moyen d'une banque nationale, dont le capital appartiendra à l'État et qui jouira d'un monopole exclusif
Centralisation entre les mains de l'État de tous les moyens de transport
Multiplication des manufactures nationales et des instruments de
production ; défrichement des terrains incultes et amélioration des
terres cultivées d'après un plan d'ensemble
Travail obligatoire pour tous ; organisation d'armées industrielles, particulièrement pour l'agriculture
Combinaison du travail agricole et du travail industriel ; mesures
tendant à faire graduellement disparaître la distinction entre la ville
et la campagne
Éducation publique et gratuite de tous les enfants. Abolition du
travail des enfants dans les fabriques tel qu'il est pratiqué
aujourd'hui. Combinaison de l'éducation avec la production matérielle,
etc.
On peut remarquer que la social-démocratie a réalisé au XXe siècle tous ces objectifs, en partie et à des degrés divers.
Un système inéluctablement totalitaire
De nombreux auteurs ont montré que le communisme impliquait le totalitarisme. Les résultats des expériences communistes confirment toutes cette analyse.
Friedrich Hayek dans La Route de la servitude (1944) souligna que l'interventionnisme étatique était une pente glissante vers le totalitarisme, sur une « route de la servitude ».
La planification économique est le contrôle des moyens par lesquels les
hommes peuvent réaliser les fins qu'ils se fixent ainsi que le contrôle
de ces fins. Un contrôle total de la vie économique signifie que les
moyens et les fins humaines sont décidées par l'État et qu'ainsi la
liberté est abolie. John Jewkes développa une thèse proche dans Ordeal by planning (1946)
La théorie communiste, dans sa version marxiste,
se fonde sur un certain nombre de concepts dont la validité a été mise
en pièces depuis bien longtemps. Ces points sont développés dans les
articles concernés.
Le débat sur le calcul économique dans une économie socialiste avait dès les années 1920-1930 établi l'impossibilité d'une économie socialiste, en se fondant cette fois là sur l'impossibilité d'une économie sans prix.
"De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins"
L'utopie
communiste "de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins",
apparemment généreuse, ne pourrait se réaliser que dans un monde idéal
où la rareté serait éliminée. Cette idée fausse a laissé d'importantes traces dans les social-démocraties : ainsi, les dirigeants de la Sécurité sociale française ne cachent pas que leur seule règle de gestion est "chacun cotise selon ses moyens, et reçoit selon ses besoins"[2]. En pratique, on obtient des déficits continuels et un accroissement ininterrompu de la dette publique.
Les dirigeants socialistes étant amenés très vite à constater que
les besoins sont illimités alors que les moyens sont restreints, deux
stratégies leur sont ouvertes :
limiter les besoins : rationnement, uniformisation, encadrement autoritaire de l'économie (contrebalancé par l'apparition du marché noir) ;
Au plan politique, les libéraux sont opposés au communisme d'une part parce que celui-ci ne peut exister qu'avec la coercition et la violence, et d'autre part parce que l'idéal communiste est total et collectif et ne laisse aucune place à la liberté individuelle.
Si des communautés veulent mettre en œuvre une espèce de
communisme en leur sein par mise en commun de tous les biens de leurs
membres, rien ne s'y oppose dans un régime libéral - tant que les droits de chacun sont respectés et que chacun a exprimé son consentement, comme c'est le cas pour certaines formes de coopération comme le mutualisme, ou dans certaines communautés religieuses monastiques ou laïques, adeptes d'une pauvreté volontaire (par exemple les huttérites).
« Le communisme est un bel idéal. Que les communistes
s'organisent dans leurs communes et phalanstères, qu'ils affichent leur
bonheur d'y vivre, et ils seront rejoints par des millions et des
milliards de gens. […] Ce qu'il faut combattre n'est pas le communisme,
ni aucune autre idéologie, mais la traduction politique de cette
idéologie. »
Il y a eu au moins une expérience de communisme volontaire : celle du kibboutz en Israël
après l’indépendance de 1947. Elle s'est soldée par un échec et la
disparition de quasiment tous les kibboutzim, transformés en entreprises
privées[3].
La raison de l'échec de toute idéologie collectiviste telle que
le communisme est que, dans un tel type d'organisation sociale, les
personnes les plus capables ne voient pas leurs mérites reconnus et
récompensés, et finissent par rejeter un collectif qui les exploite ; un
système où la responsabilité
est collective pousse chacun à vivre aux dépens des autres, comme l'ont
montré dès le départ les premières expériences de "socialisme utopique"
telles que celle du philanthrope Robert Owen au XIXe siècle. La pauvreté
(faute de motivation à produire des biens et services) est ainsi le
résultat inéluctable du communisme politique. L'autoritarisme,
l'oppression et la dictature en constituent l'autre aspect : dans
l'optique d'un Lénine, le prolétariat ignore ce qui est bon pour lui et doit donc être contraint par le parti.
Au socialisme proprement dit, qui est un collectivisme coercitif, le communisme, religion séculière selon Aron[4], rajoute une eschatologie. Pour l'idéologiemarxiste, un État libre et abondant, dans lequel sera terminée la lutte des classes, s'établira plus tard, après la dictature du prolétariat et la phase présumée transitoire de capitalisme d'État.
Cet État utopique, le communisme, constituera une sorte de paradis
terrestre, l'adage "à chacun selon ses besoins" sera réalisé. On conçoit
aisément qu'au pays de Cocagne, où tous nos besoins sont satisfaits
magiquement, le communisme soit facile à instaurer (n'importe qui est
disposé à partager la surabondance), mais au nom de ce paradis terrestre
sont morts au XXe siècle des dizaines de millions d'êtres humains.
Certains philosophes du début du XXIe
siècle, encore dans le sillage du marxisme, cultivent une sorte de
nostalgie à l'égard du communisme, ou le voient toujours comme une utopie acceptable. Pour Alain Badiou, le communisme est "le nom générique d’une alternative au capitalisme"[5]. Slavoj Žižek critique le "manque de radicalisme" des dirigeants communistes du XXe
siècle (qu'il s'agisse des maoïstes ou des Khmers Rouges) et affirme la
valeur intrinsèque de la violence révolutionnaire ; proche d'un nihilisme subjectiviste, il évite soigneusement de décrire sa vision de ce que pourrait être un monde communiste[6].
De même, le philosophe et économiste souverainiste Frédéric Lordon
prône un « soulèvement » contre les tenants du système, et dit
publiquement qu' « il faut mettre les jetons » aux gens de la finance,
sans expliquer quel type de société il envisage pour remplacer le
"système"[7].
Citations
« Faire intervenir l'État, lui donner pour mission de pondérer les profits et d'équilibrer les fortunes, en prenant aux uns, sans consentement, pour donner aux autres, sans rétribution, le charger de réaliser l'œuvre du nivellement par voie de spoliation, assurément c'est bien là du Communisme. » (Frédéric Bastiat)
« On ne peut bien vivre là où tout
est en commun. Comment l'abondance de produits peut-elle se réaliser là
où chacun essaye de se soustraire au travail, étant donné qu'il n'est
point stimulé par la pensée de son propre profit et que la confiance
dans le travail de l'autre le rend indolent ? » (Thomas More, Utopia, 1516)
« Communisme : rêve de quelques-uns, cauchemar de tous. » (Victor Hugo, Choses vues)
« Communistes : Votre ennemi c'est le
mur mitoyen. Le mien, c'est le despotisme. J'aime mieux escalader les
trônes que la haie du voisin. » (Victor Hugo, Choses vues)
« Tous les révolutionnaires
proclament à leur tour que les révolutions précédentes ont fini par
tromper le peuple ; c'est leur révolution seule qui est la vraie
révolution. « Tous les mouvements historiques précédents », déclarait le
Manifeste communiste de 1848, « étaient des mouvements de minorités ou
dans l'intérêt de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement
conscient et indépendant de l'immense majorité, dans l'intérêt de
l'immense majorité ». Malheureusement cette vraie révolution, qui doit
apporter aux hommes un bonheur sans mélange, n'est qu'un mirage trompeur
qui ne devient jamais une réalité. Elle est apparentée à l'âge d'or des
millénaristes : toujours attendue, elle est toujours perdue dans les
brumes du futur, échappant toujours à ses adeptes au moment où ils
pensent la tenir. » (Vilfredo Pareto)
« Les fruits ne comptent pour rien,
l’arbre capitaliste est toujours coupable. Par contre les fruits du
communisme sous toutes ses formes sont toujours empoisonnés mais l’arbre
n’est jamais à blâmer, seul son jardinier le serait ! » (Xavier Prégentil)
« En abolissant la propriété
personnelle, le communisme ne fait que me rejeter plus profondément
sous la dépendance d'autrui, autrui s'appelant désormais la généralité
ou la communauté. Bien qu'il soit toujours en lutte ouverte contre l'État,
le but que poursuit le communisme est un nouvel « État », un status, un
ordre de choses destiné à paralyser la liberté de mes mouvements, un
pouvoir souverain supérieur à moi. (...) Désormais toute distinction
s'efface, tous étant des gueux, et la société communiste se résume dans
ce qu'on peut appeler la « gueuserie » générale. » (Max Stirner)
« Si on n'est pas communiste à 20 ans, c'est qu'on a pas de cœur. Si on l'est toujours à 40 ans, c'est qu'on a pas de tête. » (Attribuée à George Bernard Shaw (hautement improbable), Clemenceau, Winston Churchill)
« Le Parti n'a pas raison parce que la doctrine est vraie, la doctrine est vraie parce que le Parti a toujours raison. » (Étienne Gilson)
« Le communisme est synonyme de nihilisme, d'indivision, d'immobilité, de nuit, de silence. » (Pierre-Joseph Proudhon, Système des contradictions économiques)
« Si les régimes communistes se sont effondrés, c'est parce qu'ils ont perdu leurs deux piliers : la foi et la peur. » (Václav Klaus, président tchèque)
« L’une des plus amères ironies du
XXe siècle fut que le communisme, qui se voulait une doctrine égalitaire
et accusait le capitalisme d’égoïsme
et de sacrifier cruellement les autres pour son bonheur, est devenu une
fois au pouvoir un système d’un égoïsme et d’une cruauté telle qu’elle
rendait les péchés du capitalisme pâles en comparaison. » (Thomas Sowell)
« Le communisme n'est ni un système
économique, ni un système politique. C'est une forme de folie, une
aberration temporaire qui disparaîtra un jour de la surface de la terre
parce qu'elle est contraire à la nature humaine. » (Ronald Reagan)
« Le communisme, c'est une des seules maladies graves qu'on n'a pas expérimentée d'abord sur les animaux. » (Coluche) (humour)
« Le communisme disparaîtrait demain,
comme a disparu l’hitlérisme, que le monde moderne n’en poursuivrait
pas moins son évolution vers ce régime de dirigisme universel auquel
semblent aspirer les démocraties elles-mêmes. » (Georges Bernanos)
« Communisme : système généreux, qui enrichit la population en l'appauvrissant, et rend l'homme plus libre en l'enfermant. » (Christian Millau, Dictionnaire d'un peu tout et n'importe quoi)
« La plupart des gens qui ont lu le
Manifeste du Parti Communiste ne réalisent probablement pas qu’il a été
écrit par deux jeunes hommes qui n'avaient jamais travaillé un jour de
leurs vies, et qui néanmoins parlaient hardiment au nom des
"travailleurs". » (Thomas Sowell)
« On peut définir le communisme comme un altruisme sans empathie. Ou plus péjorativement, comme un altruisme sans cœur. » (Mencius Moldbug)
« Le communisme possède une langue que chacun peut comprendre : ses éléments sont la faim, l'envie, et la mort. » (Heinrich Heine)
« Le communisme, pour s'implanter dans les institutions, avait besoin de la statolâtrie, c'est-à-dire de l'absolutisme
monarchico-constitutionnel, qui dit : l’État ne cesse pas d'être
tout-puissant, mais ce n'est plus un homme, c'est la nation affranchie,
se gouvernant elle-même de concert avec son chef, le roi. Et ceux qui
parlèrent ainsi eurent l'art de confisquer l’État et d'exclure du gouvernement et le roi et la nation. » (abbé Antoine Martinet, Statolâtrie, ou le Communisme légal, 1848)
« Le communisme est une maladie de
l'esprit. Il promet la fraternité universelle, la paix et la prospérité
pour inciter les humanistes et les idéalistes à participer à un complot
qui vise à conquérir le pouvoir par la tromperie et à y rester par la
force brute. » (John Stormer, None Dare Call It Treason)
L'Union des républiques socialistes soviétiques, abrégé en URSS
(en russe : Союз Советских Социалистических Республик, abrégé en :
СССР), était un État fédéral de 15 républiques soviétiques et qui a
existé de 1922 jusqu'à sa dissolution en 1991. Ce fut le principal État communiste pendant cette période.
Bilan humain
En prenant le pouvoir en 1917, Lénine planifie l'élimination des « contre-révolutionnaires ». En mars 1919,
la révolte des ouvriers d'Astrakhan est écrasée dans le sang par
l'armée rouge, et près de 5 000 personnes sont noyées en une semaine
dans la Volga. Le « nettoyage » des derniers bastions anti-communistes
de Crimée coûte la vie à 50 000 personnes. La politique de
« décosaquisation » frappe entre 300 000 et 500 000 cosaques qui seront
assassinés ou déportés.
Des camps de travaux forcés sont créés par le décret du 15 avril
1919. Entre 1920 et 1923, la Russie soviétique comptera 84 camps. En
juillet 1934, une réorganisation aboutira à un organisme central gérant
les camps de travail forcé, le Goulag (Главное управление лагерей :
« administration principale des camps »).
L'arrivée au pouvoir de Staline va généraliser les massacres de masse. En 1932 et 1933,
6 millions d'Ukrainiens moururent de la famine d'État imposée par
Moscou. La folie meurtrière frappe jusque dans les rangs du régime. 650
000 d'entre eux feront les frais des purges staliniennes. 720 000
exécutions d'opposants et 300 000 morts dans les camps. À la fin de la
seconde guerre mondiale, les déportations ethniques feront des centaines
de milliers de victimes, et si la mort de Staline en 1953
marque la fin des massacres à grande échelle, les déportations
s'accélèrent pour atteindre un point culminant de 900 000 personnes
envoyées au goulag au début des années 60.
Lorsque Gorbatchev a tenté de libéraliser l'économie et de donner la liberté d'expression,
le régime basé sur la peur et la restriction économique extrême ne
pouvait plus tenir, et il s'est très vite effondré en 3 ans comme un
château de cartes. L'URSS a explosé en 15 pays, dont son principal
successeur est la Russie.
La chute du mur de Berlin
a mis fin à une expérience grandeur nature qui se déroulait depuis près
d'un demi-siècle. D'un côté, on avait l'Union soviétique avec son
système marxiste d'économie centralement planifiée. De l'autre, les
pays occidentaux avec des économies plus ou moins mixtes, mais dont
aucune ne se rapprochait, même de près, de ce qui se passait en URSS.
L'Union soviétique s'est effondrée, et il faut aujourd'hui se donner
beaucoup de mal pour trouver quelqu'un qui croie encore aux vertus de
l'économie planifiée. (Milton Friedman)
De même que les États-Unis sont l’enfant légitime de la Grande-Bretagne, de même l’URSS était la fille légitime de la Révolution française,
ce qui explique la coupable indulgence de toutes les élites françaises
pour ce régime monstrueux et pour tous ses avatars (Cambodge, Vietnam,
Cuba...). (Charles Gave)
Lorsque les archives du Gosplan furent enfin accessibles et que les
anciens économistes soviétiques qui avaient participé à sa mise en
œuvre furent autorisés à s’exprimer, il devint impossible de nier
l’évidence : point par point, la condamnation à mort prononcée par Mises
en 1920 s’était avérée exacte. On découvrit, par exemple, qu’en
l’absence de marché libre, les responsables du Gosplan était
littéralement incapables d’établir une échelle de prix et en étaient
réduits à utiliser les espions du KGB pour récupérer les catalogues de La Redoute ou de Sears. La plus grande entreprise de planification économique jamais conçue n’avait ainsi dû sa survie... qu’à l’existence d’économies de marché à ses portes et les écrits de Mises,
formellement interdits par le pouvoir soviétique comme naguère par les
nazis, circulaient de mains en mains au cœur même de l’appareil de
planification (anecdote rapportée, notamment, par Yuri Maltsev, un des
économistes chargés par Gorbatchev de mettre en œuvre la perestroïka). (Georges Kaplan)
L’URSS se trouve grosso modo située, dans l’équilibre des forces, du côté de celles qui luttent contre les formes d’exploitation de nous connues. (Jean-Paul Sartre et Maurice Merleau-Ponty, Les Temps Modernes, janvier 1950)
Celui qui ne regrette pas l'URSS n'a pas de cœur ; celui qui souhaite son retour n'a pas de tête. (Vladimir Poutine)
Pourquoi le banditisme et le pillage sont-ils aussi sévèrement
réprimés ? Parce qu'ils constituent une atteinte au monopole d’État !
(plaisanterie de l'ère soviétique, rapportée dans l'entrée "monopole
d’État" du "Manuel du Goulag" de Jacques Rossi)
En fait, le système ne s'est pas effondré. C'est une décision
politique qui a choisi de l'abandonner, vu son énorme gaspillage, ses
faibles performances, son absence d'inventivité. Tant qu'il a duré,
c'est l'anarchie spontanée qui a fait fonctionner la planification
programmée. C'est la résistance à l'intérieur de la machine qui a fait
marcher la machine. (Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe)
Dans le système soviétique, une personne était propriété de l’État : un rouage que l'on pouvait actionner à volonté[1]. (Boris Spassky, 07/01/2015)
Toute personne qui tente de préserver son indépendance, en quelque
endroit et en quelque domaine que ce soit, est à coup sûr considérée
comme un ennemi de tout le régime. Toute la puissance de l'Union
soviétique, toute la machine d’État est aussitôt mobilisée pour
combattre ce désespéré, ce fou audacieux. Dès le départ, il se trouve
confronté dans une lutte inégale, celle d'un homme seul face à tout un
régime. Et tant que l'opposition n'est pas écrasée, tous les moyens sont
bons. (Vladimir Boukovski, préface au livre Le jeu de la destruction, Viktor Korchnoï, 1981)
Le régime communiste était à plus d’un titre une coquille vide.
C’est ce qui explique qu’il se soit désintégré de lui-même au lieu
d’être battu. Certaines personnes ou certains groupes n’apprécient guère
cette vision des faits et se targuent d’avoir fait tomber le communisme
par eux-mêmes mais c’est inexact. Je ne veux pas amoindrir le mérite de
quiconque mais en 1989, il suffisait d’une pichenette pour venir à bout
du communisme. La réaction en chaîne qui a suivi de la part de millions
de personnes s’est produite de façon automatique et spontanée. (Václav Klaus, L'AGEFI, 26/10/2015)
Il n’y a pas de mots pour décrire ces ténèbres. À la fois serviteur
déloyal et chef corrompu, le bolchevisme a été dès sa venue au monde
l’image même de la duplicité et du mensonge, de la tromperie et de la
traîtrise. (Léonid Andreïev, 1871-1919)
En URSS, la carte du Parti donnait le droit d'appartenir à une "race supérieure" et privilégiée. (Jacob Sher, Lettre à un ami et voisin socialiste, 1997)
Notes et références
↑В
советской системе человек был государственной собственностью. Винтиком,
который могли закручивать, как хотели. (Р-Спорт, 02.01.2015)
Une bourgeoisie faible et incapable de prendre le pouvoir
L’un des traits essentiels de l’histoire de la Russie est la lenteur de son évolution, économiquement,
socialement et culturellement. Sa situation, entre l’Orient et l’Occident, peut l’expliquer : elle subit le
joug de l’Orient mais ne suit pas son modèle car elle reste toujours sous la pression militaire de
l’Occident. Cependant, elle bénéficie de ce que Trotsky appelle le développement combiné, qui
découle justement de l’inégalité des rythmes d’évolution.
En ce qui concerne l’industrie, en particulier, la Russie n’est pas passée par toutes les étapes de
l’évolution économique de l’Europe capitaliste, elle s’y est insérée au fur et à mesure que celleci
débordait des frontières nationales. Elle a ainsi profité d’effets de rattrapage. Une des conséquences en
est que, de 1905 à la Première Guerre mondiale, la production industrielle a doublé. Cependant,
l’économie russe reste handicapée par sa faible productivité du travail, et l’industrie reste très
minoritaire : l’écrasante majorité de la population est paysanne et travaille encore comme les paysans
français ou anglais du XVIIe siècle. Par contre, le développement brusque de l’industrie a donné
naissance à des entreprises gigantesques comptant des milliers d’ouvriers. Ainsi les entreprises de plus
de 1000 salariés emploientelles 42 % des ouvriers, alors qu’elles en rassemblent seulement 18 % aux
ÉtatsUnis par exemple. De plus, l’industrie russe est presque entièrement aux mains des banques,
ellesmêmes contrôlées par la finance européenne, par l’intermédiaire de tout un réseau de banques
auxiliaires et intermédiaires. En tout, 40 % des capitaux investis en Russie sont étrangers, et la
proportion est encore plus forte dans l’industrie lourde (métaux, charbon, pétrole).
Cette situation économique a déterminé profondément la physionomie sociale et politique de la
bourgeoisie russe : celleci est numériquement faible et s’en remet politiquement au tsar, donc à
l’aristocratie et à la bureaucratie largement corrompue — ce régime politique étant d’ailleurs soutenu
également par les bourgeoisies européennes, notamment française. En 1905, la bourgeoisie russe s’est
ainsi montrée veule, incapable de se battre pour le renversement du tsar ou même l’instauration d’un
régime parlementaire, tétanisée notamment par sa peur des ouvriers soulevés...
Un prolétariat puissant, dont la conscience se constitue rapidement
En effet, si la bourgeoisie russe n’est pas assez puissante pour prétendre au pouvoir, la classe ouvrière
l’est ellemême déjà trop. Le prolétariat russe n’est pas lui non plus passé par toutes les phases de
l’évolution occidentale, il n’a pas connu les corporations d’artisans, son développement à partir du
vivier des masses paysannes, se fait par bonds, suivant les besoins de l’industrie. D’un côté, ce
prolétariat, directement prélevé au village, a conservé des liens et des contacts avec ses origines
sociales. Mais, d’un autre côté, lui aussi bénéficie du développement combiné de l’industrie russe : il
est très concentré dans de grands établissements de quelques grandes villes, ce qui est facteur
d’organisation et de culture ; de plus, sa conscience de classe s’enrichit rapidement, se nourrissant à la
fois de l’histoire du prolétariat européen (notamment du développement du marxisme) et de sa propre
expérience, où la révolution de 1905 et les soviets occupent évidemment une place fondamentale.
La guerre, meurtrière et grosse de révolte
La guerre impérialiste débutée en 1914 a pour cause la concurrence interimpérialiste pour la
domination mondiale. Mais cet enjeu global dépasse les possibilités de la Russie : ses propres buts de
guerre (détroit de Turquie, Galicie, Arménie...) doivent impérativement correspondre aux intérêts des
principaux États en guerre, c’estàdire de ses alliés (la France et l’Angleterre). Pour cela, la Russie est
en quelque sorte condamnée à payer ses alliances avec ces pays plus avancés : elle est contrainte
d’importer leurs capitaux et de leur verser les intérêts ; comme l’écrit Trotsky, elle a « le droit d’être
une colonie privilégiée de ses alliés »... Ainsi, même si elle a dans cette guerre des intérêts
impérialistes de niveau mondial, la bourgeoisie russe peut être considérée comme à demi
« compradore », dépendante de la finance étrangère et d’États plus puissants.
L’armée russe, fournie en hommes par le service militaire obligatoire, connaît les mêmes
antagonismes sociaux que l’ensemble de la société. Les officiers ont les mêmes tares que les classes
dominantes dont ils sont issus : passéisme, bureaucratisme, corruption, etc. Les soldats sont des
paysans sont envoyés au front sans réelle instruction, sans avoir pu assimiler la technique militaire
moderne importée des pays avancés... Comme l’industrie, l’armée russe dépend de ses alliés... qui sont
trop éloignés pour pouvoir l’aider efficacement.
De là ses défaites rapides sur le front allemand. Or ces défaites entraînent la démoralisation, des désertions... et beaucoup de réflexion parmi les
soldats. Les années passent et, sur le front comme à l’arrière, se fait sentir la lassitude de la guerre.
Les classes les plus pauvres et les campagnes en ont assez de se faire prélever de la chair pour les
canons. Dans le même temps, les industriels se mobilisent pour les besoins matériels de l’armée, ils
leur consacrent jusqu’à 50 % de la production industrielle nationale, accroissant l’exploitation des
ouvriers... et réalisant ainsi d’énormes bénéfices...
Tensions entre les classes La guerre à son début a mis momentanément fin à un cycle montant de grèves. Les ouvriers sont eux
aussi mobilisés pour le front : à Petrograd jusqu’à 40 % de la main d’œuvre est renouvelée. Mais les
grèves reprennent à partir de 1915 et montent en puissance, changeant progressivement de nature,
acquérant un caractère de plus en plus antiguerre et politique. Pendant toute l’année 1916, avec la
dégradation des conditions de vie des masses, les meetings se multiplient, les ouvriers, poussés à bout,
sont nerveux et combatifs, ils se lancent dans des grèves dont les revendications ne sont plus
simplement économiques, mais aussi politiques. Or, si le prolétariat russe est largement minoritaire,
ses liens avec la paysannerie lui permettent de rencontrer un puissant appui parmi les masses
paysannes, dont les forces actives et la jeunesse connaissent au front un bouleversement de leurs
conditions d’existence et un brassage qui sont sources d’expériences et de réflexions. Les ouvriers
avancés les aident à prendre conscience de la nature du tasrisme, clé de voûte de l’aristocratie foncière
qui les pille, et de la veulerie de la bourgeoisie, incapable de conquérir le pouvoir et donc de régler la
question agraire en donnant la terre aux paysans.
La monarchie comme la bourgeoisie tremblent devant les défaites militaires et les tensions intérieures.
Pour essayer de contrôler la situation sans s’embarrasser de la Douma (Parlement croupion octroyé
après la révolution de 1905), le tsar décide d’ajourner celleci. Les ouvriers répliquent par des grèves.
Partagés entre sa peur panique des ouvriers et ses propres aspirations politiques, l’opposition
bourgeoise réaffirme son soutien à la politique du tsar, tout en décidant d’utiliser la Douma pour
critiquer en parole la monarchie — mais sans poser la question du pouvoir : de fait, ses critiques en
restent à la question du ravitaillement des troupes, dont la désorganisation mène au désastre...
En ce qui concerne enfin les partis qui se réclament du socialisme, le début de la guerre a montré leurs
faiblesses. Les socialistes révolutionnaires (parti paysan) et la plupart des mencheviks (sociaux
démocrates) ont refusé de combattre contre la guerre, beaucoup tombant dans le social chauvinisme, comme l’écrasante majorité des partis sociauxdémocrates et des syndicats européens. Après la
répression terrible dont il a été victime suite à la défaite de la révolution en 1905, le parti bolchevik
s’est reconstitué sous la direction des émigrés, et il a beaucoup progressé notamment dans les années
qui ont précédé la guerre. Mais il est infiltré de partout par la police : à Petrograd, par exemple, 3 des
membres du comité du parti sur 7 sont des agents de l’Okhrana, la police secrète du tsarisme !
Politiquement, le parti bolchevik est le seul à avoir dénoncé et combattu la guerre dès 1914. Pendant la
guerre, la police, qui suit de très près la politique et la pratique du parti bolchevik, écrit dans un
rapport : « L’élément le plus énergique, le plus allègre, le plus capable de lutter infatigablement, de
résister et de s’organiser constamment, se trouve dans les groupements et les individus qui se
concentrent autour de Lénine ».
Cependant, la politique des bolcheviks n’a pas été sans ambiguïté dans certains cas, les conditions de
la guerre s’ajoutant à celles de la clandestinité pour désorganiser le parti, et conduisant parfois à des
prises de position opportunistes : c’est ainsi que, à la Douma, la fraction bolchevik a voté avec les
mencheviks une motion s’engageant à défendre « les biens culturels du peuple contre toutes atteintes,
d’où qu’elles vinssent »... Lénine, quant à lui, s’est battu pendant toute la guerre suivant une
orientation connue sous le nom de « défaitisme révolutionnaire » : chaque parti marxiste national doit
se battre avant tout pour la défaite de son propre impérialisme, pour la transformation de la guerre
impérialiste en guerre civile...
Les journées du 23 au 27 février En février 1917, ni le parti bolchevik, ni personne ne s’attendaient à ce que la journée internationale
des femmes, prévue pour le 23, soit la première journée d’une révolution. Nul n’a la moindre idée de
ce qui se prépare, et les bolcheviks déconseillent la grève...
Pourtant, les ouvrières cessent le travail et manifestent massivement, allant d’usine en usine pour
appeler les travailleurs à les suivre et à les soutenir. Les bolcheviks, comme les mencheviks et les
socialistes–révolutionnaires emboîtent le pas à cette mobilisation spontanée des masses. Ces ouvrières
du textile, pour une grande part femmes de soldats, constituaient certainement la fraction la plus
exploitée du prolétariat. Ce sont elles qui déclenchent la révolution : la grève qu’elles ont impulsée
s’étend, devient générale. Une gigantesque manifestation est convoquée...
Le comité central des bolcheviks hésite, avant d’appeler finalement à la grève générale le 25. Le
comité de Petrograd est arrêté, mais c’est bien spontanément que la grève est devenue générale,
tendant rapidement à se transformer en insurrection, car la masse prend conscience de sa force. Le
gouvernement s’est préparé à la répression, mais les cosaques sont passifs et prennent parfois la
défense des manifestants lorsque la police tire sur la foule. Les ouvriers interpellent les soldats et
s’efforcent de fraterniseren les invitant à se joindre à eux. Lorsque la police intervient, les
manifestants décident de résister et d’aller jusqu’au bout...
Malheureusement, aucun parti ne sait prendre la direction révolutionnaire, aucun n’appelle à
l’organisation de l’insurrection armée. La direction bolchevik de Petrograd (Staline, Kamenev)
manque d’initiative. Les dirigeant retardent considérablement sur les ouvriers, qui s’organisent eux
mêmes, mais manquent de direction politique. Le 26, c’est l’affrontement général dans la capitale. Les
ouvriers se heurtent à la police et à l’armée. Tout va dépendre de l’attitude des soldats. Vers le soir,
des mutineries éclatent. L’armée se soulève enfin. Dès lors, c’en est fini de la monarchie, privée de
son bras armé : elle s’effondre, presque facilement. La capitale est conquise par les ouvriers et les
soldats. Les prisons sont ouvertes. Les mencheviks se précipitent à la Douma pour négocier une
solution politique avec les partis bourgeois ; les bolcheviks se rendent dans les casernes et les usines...
Le soir du 27, les soldats, les étudiants, les ouvriers et les habitants des quartiers populaires convergent
vers le palais de Tauride dans lequel un étatmajor révolutionnaire s’est établi. En fait, cet état major
s’est autoproclamé après l’insurrection et ne dirige rien : les dirigeants véritables de la révolution sont dans la rue et se montrent méfiants à l’égard de cette première tentative d’institutionnalisation : ce sont
des ouvriers et des soldats de la base, qui ont cependant souvent un expérience de la lutte des classes
et notamment la mémoire de 1905 et une culture révolutionnaire, qui leur permettent d’être l’avant
garde consciente de toute la classe. En fait, beaucoup d’entre eux ont été formés directement par les
bolcheviks, qui se trouvent bien sûr parmi eux.
Double pouvoir et affrontement entre les classes. Les paradoxes de février
Pendant l’insurrection la bourgeoisie apporte son soutien au tsar et appelle la monarchie à la
répression; elle tente de négocier pour instaurer une dictature qui lui soit favorable. Mais
l’insurrection triomphe et les soviets (conseils d’ouvriers et de soldats) se constituent. À Petrograd en
particulier, le soviet de 1905 renaît de ses cendres : très vite, il concentre la réalité du pouvoir et
devient le centre nerveux de la révolution. À la tête des soviets sont élus majoritairement des
socialistes révolutionnaires et des mencheviks, partis « socialistes » majoritaires dans le mouvement
révolutionnaire et ouvrier russe d’avant guerre. Les masses leur font confiance et leur remettent le
pouvoir.
Or c’est là que gît le « paradoxe de février » : ces « socialistes » ne veulent pas du pouvoir ! Alors que
la situation est révolutionnaire, ils prônent, au nom de la légalité, une orientation qui se ramène à
l’abandon de leurs revendications de toujours : la paix, la république, la journée de 8 heures, la
répartition des terres... ! Ils ne demandent plus que la liberté d’expression ! Pratiquement, ils cherchent
à remettre le pouvoir entre les mains de la bourgeoisie, qui na pourtant joué aucun rôle dans
l’insurrection et espérait sa défaite ! De fait, la bourgeoisie ne voulait pas non plus du pouvoir et aurait
voulu rétablir la monarchie ! Mais cette solution n’est plus possible : les masses ne veulent
évidemment pas du retour du tsar honni qu’elles viennent de faire chuter si facilement. Finalement, les
cadets (parti bourgeois libéral), les socialistesrévolutionnaires et les mencheviks se mettent d’accord
pour un gouvernement provisoire dirigé par le prince Lvov, reposant fondamentalement sur Milioukov,
chef du parti cadet, véritable axe politique de ce gouvernement, et disposant d’une caution
« socialiste » en la personne de Kerensky, nommé à la justice.
Le comité exécutif du soviet de Petrograd, dirigé par les socialistesrévolutionnaires et les mencheviks,
impose le soutien des ouvriers et des soldats au nouveau pouvoir bourgeoislibéral. Ce comité exécutif
n’est pas né de la lutte ellemême, comme il était apparu en 1905 pour déclencher et diriger
l’insurrection : il s’est constitué pour contrôler et canaliser le mouvement des masses. Mais les
différentes fractions des masses révoltées n’ont pas toutes le même niveau de conscience, et il manque
de toute façon une réelle direction marxiste révolutionnaire qui ait une influence massive. Les soldats,
en particulier, qui sont très majoritairement d’origine paysanne, élisent comme représentants des
tribuns petits bourgeois : les « socialistesrévolutionnaires », dont le programme est de rendre la terre
aux paysans, obtiennent de loin la majorité des délégués. Le parti cadet n’a en revanche aucun succès.
Quant aux partis ouvriers, le parti menchevik a une réelle influence parmi les ouvriers de base. Le
parti bolchevik n’a de succès que dans l’avantgarde, et il subit la pression : sous la direction de
Staline et Kamenev (Lénine n’est pas encore rentré en Russie), au lieu de combattre fermement sur
une ligne révolutionnaire, contre la canalisationliquidation de la révolution, pour le pouvoir aux
soviets, il se rapproche du parti menchevik, se contente d’une lutte de type parlementaire dans le
soviet et apporte même dans un premier temps son soutien au gouvernement provisoire ! Sur le terrain
des luttes, cependant, les bolcheviks sont sans conteste à l’avantgarde, notamment dans leur bastion
du grand quartier ouvrier de Vyborg, et ils se renforcent. En effet, ils sont les seuls à ne pas
abandonner les revendications du mouvement ouvrier, notamment la journée de huit heures — laquelle
est finalement imposée par les ouvriers au gouvernement provisoire...
Situation de double pouvoir : tout est possible... La situation politique réelle est donc celle d’un double pouvoir : dans les faits, il y a une concurrence
tendancielle entre le gouvernement provisoire, pouvoir officiel et légal, dominé par la bourgeoisie
libérale avec une caution « socialiste », d’une part, et le pouvoir du soviet de Petrograd, d’autre part. Si
le comité exécutif du soviet, refusant le pouvoir des ouvriers et des soldats, assure dans un premier
temps la mise en place du gouvernement provisoire bourgeois, la situation est profondément ambiguë
et instable : les masses n’ont aucune intention de quitter la scène politique sur laquelle elles viennent
de s’engouffrer avec une telle puissance et de tels succès. D’autant que la conquête de la journée de
huit heures libère un temps précieux pour l’action et la réflexion politiques : on se met à se réunir
partout, à discuter de tout, à lire ensemble les journaux... C’est une véritable explosion de l’activité et
de la conscience politique du peuple...
Mais, pendant ce tempslà, la guerre continue. Partout, les soldats désertent en masse, les troupes se
retournent contre leurs propres officiers, l’aspiration à la paix immédiate et sans conditions se
déchaîne... Or le gouvernement provisoire, avec le soutien des dirigeants ouvriers et « socialistes »,
décide de poursuivre la guerre et d’ajourner en conséquence la réalisation des revendications : il veut
épuiser la révolution.
La révolution russe de 1917, deuxième partie
Caractère paradoxal de la représentation au soviet Nous avons vu que, malgré la victoire de la révolution sur le tsarisme, le comité exécutif du soviet
soutient le gouvernement provisoire, gouvernement bourgeois qui continue la guerre et refuse de
satisfaire les revendications du peuple. Mais la réalité du pouvoir est déjà aux mains du soviet, dans
lequel se reconnaissent les soldats et les ouvriers, bien que les dirigeants du soviet ne pensent qu’à
soutenir le gouvernement provisoire. C’est ainsi que le double pouvoir tend à se met en place : deux
pouvoirs se font face, représentant deux classes opposées, la bourgeoisie et le prolétariat. Mais à la tête
du soviet se trouvent encore « les lieutenants de la bourgeoisie dans le camp du prolétariat », comme
dit Lénine. Ces conciliateurs ont peur des ouvriers, et ils influent sur la composition du soviet : à
Petrograd, il y a quatre fois plus d’ouvriers que de soldats, et pourtant il n’y a au soviet que deux
délégués d’ouvriers pour cinq délégués de soldats. Et, parmi les civils, tous ne sont pas élus par des
ouvriers : les aventuriers et tribuns de toutes sortes, les journalistes et les avocats démocrates, les
étudiants et les petits bourgeois radicaux, marquent de leur influence les décisions du soviet et surtout
ses débats, face aux ouvriers silencieux et aux soldats irrésolus. Mais même si les soldats sont souvent
surreprésentés et majoritaires dans les soviets, ils n’expriment pas, bien souvent, l’état d’esprit
véritable des casernes : les dirigeants favorisent les officiers. — Or cette composition des soviets
explique à ce moment une partie de leurs atermoiements patriotiques.
Errements dans la direction bolchevique Mais le socialpatriotisme n’infecte pas seulement les soviets et les conciliateurs. Les dirigeants
bolcheviques euxmêmes, notamment Kamenev et Staline, se rapprochent de l’aile gauche des
mencheviques et penchent dangereusement vers la défense nationale, ligne qui domine dans la Pravda,
au détriment du défaitisme révolutionnaire prôné par Lénine, lequel ne rentra d’émigration que le 3
avril.
À son retour, Lénine préconise le mot d’ordre « tout le pouvoir aux soviets », contre le gouvernement
provisoire, pour mettre fin à la guerre et distribuer la terre aux paysans. Il est mis en minorité et même
complètement isolé pour un moment, on qualifie ses thèses de « trotskystes », parce qu’il soutient que
la révolution socialiste peut commencer en Russie avant l’Occident. Confiant en son parti, Lénine
combat la direction droitière en s’appuyant sur les ouvriers du parti, qui avaient été formés pendant
des années dans l’objectif de la prise du pouvoir par le prolétariat allié à la paysannerie. À la base, les
militants combattent sur le front des revendications élémentaires, montrant que le gouvernement
provisoire et les mencheviques refusent de les satisfaire malgré la situation révolutionnaire. À ce
momentlà, le Parti bolchevique compte 79 000 membres dont 15 000 à Petrograd, notamment dans le
quartier de Vyborg où les ouvriers bolcheviques se sont déjà opposés à Staline et Kamenev, allant
jusqu’à les menacer d’exclusion...
A la conférence du Parti des 28 et 29 avril, Lénine parvient à faire passer sa ligne, l’opposition de
droite est mise en minorité, Kamenev et Staline ne sont pas élus au bureau. Cela ne signifie pas que
Lénine fut le grand démiurge de la révolution, mais qu’il sut s’insérer dans la chaîne des forces
historiques où, comme le dit Trotsky, il fut un grand anneau... Quant au Parti bolchevique de l’époque,
forgé dans et par le marxisme vivant pendant des années avant la guerre, son caractère démocratique
est prouvé par ces débats animés et ces luttes politiques internes provoqués par la pression des
événements.
Crise généralisée du pays et des rapports sociaux, collaboration de classe des
mencheviques et des socialistesrévolutionnaires
En avril, trois solutions sont possibles : la reprise en main de la situation par la bourgeoisie — mais
cela aurait provoqué une guerre civile que celleci n'était pas en mesure de remporter ; le passage de
tout le pouvoir aux soviets — mais les conciliateurs ne le veulent évidemment pas et ils bénéficient
encore de la confiance des masses (la résolution des bolcheviques proposant de donner tout le pouvoir
aux Soviets est passée inaperçue) ; la coalition reste donc la seule solution : les mencheviques et les
socialistesrévolutionnaires (S.R.) entrent au gouvernement, avec le soutien des soviets — seuls les
bolcheviques et les mencheviques internationalistes s’y opposent.
Cependant, la situation en Russie ne cesse d’empirer et la guerre s’éternise. Bien que l’armée soit dans
un profond état de décomposition, le gouvernement provisoire poursuit la guerre contre les Allemands.
Les défaites sont cuisantes et ne font que renforcer à la fois la déliquescence généralisée et les
motivations révolutionnaires des soldats. Du côté de la paysannerie, on assiste à une perte de
confiance envers le gouvernement provisoire, qui refuse de lui donner la terre, bien que ce soit
officiellement le nerf du programme du parti S.R., principale force populaire de soutien au
gouvernement. Les paysans passent alors à l’offensive, en décidant de réaliser euxmêmes
l’expropriation de l’aristocratie foncière et le partage des terres... Enfin, la situation des villes est
catastrophique, le ravitaillement n’est plus assuré, le coût de la vie monte en flèche, la production
industrielle est au plus bas, d’autant plus que les patrons mettent en œuvre un lockout larvé. Au même
moment, les plus grosses entreprises travaillant pour la guerre engrangent des bénéfices énormes. La
colère des ouvriers ne cesse de croître...
Le comité exécutif du soviet préconise en parole la réglementation de l’économie par l’étatisation,
l’organisation rationnelle de la production et la fixation des prix de l’industrie par l’État. Mais jamais
il ne va jusqu’à l’affrontement avec le gouvernement, qui doit toute son existence à ce soutien. Et,
lorsque la cible des manifestations commence à devenir le gouvernement, le comité exécutif du soviet
de Petrograd décide de ne plus manifester... Pendant ce tempslà, les forces de la contrerévolution se
regroupent et se disposent pour passer à l’offensive contre les ouvriers et la révolution...
Évolution des rapports de force dans les soviets
À partir de juin, les rapports de force politiques dans les soviets commencent à changer. Les
bolcheviques deviennent majoritaires au soviet de Moscou et dans la section ouvrière du soviet de
Petrograd. Les ouvriers prennent conscience qu’ils ne peuvent compter que sur euxmêmes,
radicalisent leur perspective politique et commencent à s’armer pour défendre et approfondir la
révolution. Même dans l’armée, dont la composition est pourtant majoritairement paysanne,
l’influence des bolcheviques se développe, grâce à leurs mots d’ordre liant les revendications
élémentaires à la nécessité de la prise du pouvoir par les soviets. Dans la forteresse de Cronstadt, au
large de Petrograd, le soviet décide de prendre en main tout le pouvoir : les officiers sont emprisonnés.
Quant aux usines, la montée de l’influence bolchevique y est très puissante et rapide...
Cette influence reste cependant moindre que celle des mencheviques — qui restent très implantés dans les milieux ouvriers — et surtout que celle des S.R., qui ont le soutien d’une majorité de paysans et
des petits bourgeois des villes, qui participent de plus en plus aux soviets. C’est ainsi que, lorsque le
congrès panrusse des soviets se réunit, sur 777 délégués, on compte 105 bolcheviques, 248
mencheviques et 285 socialistes révolutionnaires. La situation dans la capitale, Petrograd, est
cependant plus avancée que dans le reste du pays : la conférence des comités de fabriques et d’usines
adopte ainsi une résolution disant que seul le pouvoir des soviets peut sauver le pays. La situation tend
à devenir explosive : dans le quartier ouvrier de Vyborg, la villa de Dournovo, dignitaire du Tsar, est
prise et occupée par les organisations ouvrières ; mais le comité exécutif du soviet de Petrograd exige
qu’ils quittent le lieu ; les bolcheviques, majoritaires dans le quartier, lancent un appel à manifester —
qu’ils annulent finalement après la décision du congrès des soviets saisi de l’affaire, et face à laquelle
ils jugent opportun de s’incliner, malgré la fureur des ouvriers de Vyborg, déjà prêts à en découdre
avec les collaborateurs, mais encore minoritaires dans la capitale...
L’épisode de la villa Dournovo conduit le gouvernement et ses collaborateurs qui dirigent les soviets à
la conclusion qu’il est temps de désarmer les masses et de lancer une offensive d’envergure contre les
bolcheviques. L’influence des bolcheviques continue de se développer, comme le montre le succès de
ses mots d’ordre massivement soutenus et repris dans les manifestations et la multiplication
d’initiatives d’ouvriers et de soldats défiant la direction des soviets et reprenant à leur compte de plus
en plus massivement l’exigence de la prise du pouvoir.... C’est alors un acharnement général contre le
Parti bolchevique, qui est déclaré horslaloi, plusieurs de ses dirigeants étant arrêtés et ses journaux
saisis...
Avec l’été, une nouvelle alternative se dessine en Russie : le gouvernement provisoire soutenu par les
dirigeants collaborateurs des soviets est de moins en moins capable de gérer la situation militaire,
sociale, économique et politique ; dès lors, la situation se polarise, deux issues possibles se font jour :
liquidation de la révolution par un coup d’État de type fasciste — ligne de la réaction et de la
bourgeoisie, représentées par Kornilov —, ou transcroissance socialiste de la révolution à travers la
prise du pouvoir par les soviets — ligne de la dictature du prolétariat, défendue par les bolcheviques...
La révolution russe de 1917, troisième partie
Les journées de juillet
La période de fin juindébut juillet est marquée par une impatience grandissante des masses. La guerre
coûte cher, les conditions économiques sont déplorables, sans compter le coût humain d’offensives
hasardeuses. Le gouvernement, qui compte dix ministres bourgeois, est irrésolu et de plus en plus
rejeté par le peuple.
À Petrograd, cette agitation est avivée par les anarchistes. Le Parti bolchevik considère que les
ouvriers et les soldats les plus avancés de la capitale doivent attendre un soutien plus large des
masses ; certains bolcheviks toutefois acceptent mal que leur rôle soit de réfréner l’ardeur de la
population. Pour les bolcheviks, toute manifestation aurait dans les prochains jours un caractère
nettement révolutionnaire, or les conditions ne sont pas prêtes.
Le 3 juillet, effectivement, sur l’initiative des régiments de mitrailleurs, des ouvriers et soldats en
armes manifestent à Petrograd, sous des mots d’ordres révolutionnaires : tout le pouvoir aux soviets,
départ des ministres bourgeois, non à l’offensive contre le prolétariat allemand, la terre aux paysans,
pour le contrôle ouvrier. Les bolcheviks, dont la prudence n’est pas acceptée par ces masses les plus
radicalisées, changent de tactique et encadrent les manifestations. Cellesci recommencent le
lendemain, encore plus puissantes. Les seules forces armées dont dispose le gouvernement sont les
cosaques et les junkers, la plupart des autres régiments observant, dans le meilleur des cas pour le
gouvernement, la neutralité. Ces forces, insuffisantes pour mater le mouvement, se livrent à des
provocations : il y a des morts et des blessés. Le soir du 4 juillet, les manifestants font le siège du
palais de Tauride, où sont rassemblés les comités exécutifs des soviets, ils réclament tout le pouvoir
pour les soviets. Les conciliateurs continuent leurs atermoiements, et refusent le pouvoir que les
masses veulent leur offrir. Cellesci, découragées, cessent alors les manifestations.
C’est pendant cette retraite qu’arrivent enfin des renforts armés pour le gouvernement, venant
principalement du front. Ces régiments ont été convaincus, «preuves» à l’appui, que les
manifestations de Petrograd étaient un complot des bolcheviks, à la solde de l’Allemagne. Comme
l’histoire l’a plusieurs fois montré (en France en 1848 et 1870, en Allemagne en 1919...), cette poussée
révolutionnaire non menée à son terme (ce qui était inévitable selon l’analyse bolchévique, une grande
partie des masses se faisant encore des illusions sur les conciliateurs) est suivie d’une période de reflux. Les insurgés sont désarmés, les calomnies se propagent contre les bolcheviks, accusés d’être à
la solde du Kaiser, beaucoup sont arrêtés (dont Trotsky, Kamenev...) et Lénine doit se réfugier en
Finlande.
La contre-offensive réactionnaire Une fois la peur du soulèvement populaire passée, la période qui s’ouvre est pour les bourgeois de tout
poils et leurs alliés conciliateurs l’occasion de réaffirmer leur pouvoir. Les conciliateurs ont qualifié le
mouvement de juillet de contrerévolutionnaire (car dressé contre le pouvoir issu de la révolution de
Février, aux mains d’une alliance de partis ouvriers et bourgeois). Les cadets profitent de cette aubaine
pour réclamer une politique toujours plus libérale, voire réactionnaire : répression suite aux journées
de juillet (dissolution des régiments les plus révolutionnaires, désarmement des ouvriers), soutien aux
grands propriétaires fonciers contre les réquisitions de terre, allégeance guerrière envers les alliés
impérialistes, rétablissement de la peine de mort pour les soldats réfractaires, rendus responsables de
l’échec des offensives militaires... Les cadets posent aussi leurs conditions pour la constitution d’un
nouveau gouvernement de coalition et, le 24 juillet, les comités exécutifs des soviets (toujours dominés
par les conciliateurs) remettent intégralement le pouvoir à un nouveau gouvernement, plus proche de
la juxtaposition de deux cliques (conciliatrice et militairebourgeoise) que d’une véritable coalition.
Les cadets ont en particulier imposé le réactionnaire Kornilov comme nouveau généralissime, gage de
discipline sur le front et d’émancipation visàvis du pouvoir issu de Février. Quant aux conciliateurs,
quoique numériquement majoritaires dans ce nouveau gouvernement, ils en sont réduits aux
lamentations devant les mesures de plus en plus réactionnaires imposées par leurs alliés bourgeois
sous prétexte de lutter contre l’anarchie (relaxe des commandos monarchistes des CentNoirs par
exemple). Kerensky, le président de ce nouveau gouvernement, est raillé de toutes parts, mais semble
être le seul capable de servir de trait d’union entre ces deux cliques alliées qui se craignent.
Vers la crise politique
Pour se donner une légitimité, le gouvernement convoque une conférence nationale à Moscou pour le
13 août. Il s’agit d’ « états généraux » de la nation tout entière, mais sans aucun pouvoir et dont le
gouvernement fixe la composition : pour moitié des représentants des classes possédantes, pour moitié
des délégués des soviets. Les bolcheviks, à qui le droit d’expression est dénié pour cette conférence,
décident de la boycotter. Cette réunion est organisée à Moscou pour l’éloigner de Petrograd, considéré
comme un îlot anarchique au milieu d’un pays qui réclame l’apaisement. Elle est l’occasion pour les
couches les plus réactionnaires (clergé, aristocrates...), effrayées par Février et plus encore par les
journées de juillet, de relever la tête. Cependant, la conférence provoque l’hostilité des ouvriers
moscovites qui, avec l’appui de leurs syndicats, paralysent la ville pour entraver son déroulement.
D’autres villes de province sont touchées par la grève générale. Mais, échaudés par les journées de
juillet, les ouvriers n’organisent pas de manifestations, pour éviter une confrontation avec des troupes
réactionnaires prêtes à en découdre. La conférence de Moscou se déroule finalement dans une
atmosphère théâtrale, chacun des deux camps présents — les démocrates conciliateurs d’un côté, les
bourgeois et les réactionnaires de l’autre — jouant son rôle et défendant ses positions tout en
maintenant l’apparence d’une coalition. Son principal effet est de cristalliser l’existence des deux
cliques, personnifiées respectivement par Kerensky et par le généralissime Kornilov. Celuici n’hésite
pas à recourir à des mouvements de troupes, à tel point que les conciliateurs moscovites font appel aux
bolcheviks pour créer un comité de défense, craignant un coup d’État militaire de Kornilov,
ostensiblement soutenu par les bourgeois et les réactionnaires.
L’impatience de la bourgeoisie est fortement aiguisée dans les jours qui suivent. La chute de Riga face
à l’armée allemande, « prédite » par Kornilov, rapproche le front de Petrograd. C’est un bon prétexte
pour masser des troupes « sûres » (notamment les cosaques), au nom de la défense de la capitale. En fait, la conspiration contrerévolutionnaire se prépare : le Grand Quartier Général (étatmajor) déclare
que la désorganisation de l’armée est la cause de la défaite de Riga, et prévient que tout nouveau
désordre dans la capitale sera sévèrement réprimé. De son côté, Kerensky, conscient de l’impasse dans
laquelle se trouve le régime de Février, se fait complice de Kornilov, avec lequel il décide de négocier
en mettant à sa disposition de nouvelles troupes pour préparer une marche sur Petrograd. La
perspective d’une dictature de la bourgeoisie, sous la forme d’un directoire associant Kerensky et
Kornilov, est envisagée. Pendant ce temps, les bolcheviks mettent en garde contre toute provocation et
tout soulèvement prématuré.
Le putsch de Kornilov et le soulèvement ouvrier et populaire À partir du 26 août, l’alliance fragile entre les deux cliques vole en éclats. Kornilov passe à
l’offensive : il envoie ses troupes sur Petrograd dans le but d’un putsch. Kerensky, qui comprend qu’il
ne serait d’aucune utilité dans le cas d’un écrasement des Soviets, joue lui aussi sa carte personnelle :
il destitue Kornilov de son poste de généralissime et demande à son gouvernement les pouvoirs
personnels spéciaux pour contrer l’offensive. Mais les libéraux du gouvernement, par l’intermédiaire
de Milioukov, lui font comprendre que la force est du côté de Kornilov. Celuici prélève encore de
nouvelles troupes du front (la défense du pays contre l’envahisseur allemand lui importe peu en ce
moment...). Kerensky et les conciliateurs prennent peur face à l’attitude de leurs alliés bourgeois, ils
demandent alors l’appui des masses, ainsi que des bolcheviks qui sont majoritaires à Petrograd, pour
défendre la capitale. Mais la base n’a pas attendu : les ouvriers prennent les armes, les cheminots
détournent les convois korniloviens, les soldats se mobilisent, les matelots de la forteresse de
Cronstadt (sur la mer baltique, au large de Petrograd) se dressent contre leurs officiers et libèrent les
prisonniers de juillet... Le 30 août, Kornilov est défait, celuici et les principaux généraux
conspirateurs sont arrêtés, abandonnés par le reste de la bourgeoisie après avoir été encouragés par
elle...
Cette défaite de Kornilov par les masses ellesmêmes sera le point de départ d’une nouvelle
radicalisation de cellesci, et d’une montée en puissance des bolcheviks, qui ont été à l’avantgarde
pour défendre la révolution de Février, participant au front uni contre la réaction (alors même que
leurs principaux dirigeants étaient toujours contraints à l’exil ou maintenus en prison par le
gouvernement provisoire), tout en préservant leur indépendance politique visàvis des conciliateurs.
Leur ascension sera dès lors irrésistible : ils gagneront rapidement la confiance de la majorité des
soviets dans les semaines suivantes, jusqu’à la prise de pouvoir d’octobre. C’est ce que nous verrons
dans le prochain numéro.
La révolution russe de 1917, quatrième partie
Montée en puissance des bolchéviks Temporairement freinée par les calomnies dont ils ont été l’objet en juillet, l’influence des bolchéviks
va de nouveau en s’accroissant à partir de fin août. Le putsch raté de Kornilov a entraîné une
radicalisation des masses, due à une perspicacité accrue à l’égard des conciliateurs, qui continuent à
affirmer que la coalition avec la bourgeoisie est indispensable, alors que celleci n’hésite pas à
encourager un mouvement contrerévolutionnaire pour mettre fin aux soviets. L’attitude des
bolchéviks pendant la crise d’août, comparée à celle des « patriotes » qui les avaient calomniés en
juillet, met fin aux soupçons de beaucoup. Dans les soviets, les bolchéviks prennent de plus en plus
d’importance, par le nombre croissant de leurs délégués, mais aussi, dans les régions où ils ne sont pas
présents, par le caractère radical des décisions prises : malgré les moyens limités du parti (manque
d’imprimerie, et d’orateurs hors des grandes villes), les idées bolchéviques circulent dans l’ensemble
du pays. Ils reprennent également leur activité sur le front : le nouveau rapport de forces leur permet
enfin de prendre la parole lors des meetings de soldats, ce qui leur était interdit de fait auparavant.
Début septembre, les conciliateurs, plombés par leur indéfectible soutien au gouvernement Kérensky
haï des masses, doivent abandonner la direction des soviets de Pétrograd et de Moscou aux bolchéviks.
S’ouvre une courte période où le parti, Lénine en tête, croit en la possibilité d’une transition pacifique
vers un gouvernement des soviets. À la suite des journées de juillet, les bolchéviks avaient renoncé au
mot d’ordre de « pouvoir aux soviets », ceuxci étant dirigés par les conciliateurs dont la seule
perspective était clairement de confier ce pouvoir à un gouvernement de coalition avec les bourgeois.
Maintenant, il est de nouveau adéquat de réclamer le pouvoir pour les soviets, même si les
conciliateurs refusent toujours une union avec les bolchéviks à l’intérieur de ces soviets.
Après une période où Kérensky détient de fait le pouvoir, à la tête d’un directoire de cinq personnes,
s’ouvre le 14 septembre une « conférence démocratique », à l’initiative des conciliateurs, qui refusent
le pouvoir aux soviets, mais qui veulent en même temps réfréner l’ambition de Kérensky. La
composition de cette conférence doit assurer la majorité aux conciliateurs, les bolchéviks ont une
représentation minoritaire mais non négligeable, des groupements petitbourgeois sont également
représentés. Mais cette conférence ne montre une fois de plus que son incapacité : ainsi se prononcet
elle à la majorité pour une nouvelle coalition entre bourgeois et partis soviétistes, tout en ajoutant un
amendement qui exclut de toute nouvelle coalition le parti cadet, parti bourgeois représentatif. La
seule issue est la création d’une nouvelle instance, le Soviet de la République (ou Préparlement),
constitué sur la base des forces présentes à cette conférence, auxquelles s’ajoutent des représentants
des classes possédantes et des cosaques. Le Comité central du Parti bolchévique est divisé sur la
participation à ce Préparlement, mais le congrès du parti se prononce finalement pour la participation,
contre l’avis de Trotsky et Lénine qui y voient une manière de repousser la question de la prise de
pouvoir révolutionnaire. Toutefois, cette décision du congrès est souvent contestée par les résolutions
des organisations locales.
Il est également sorti de la « conférence démocratique » un nouveau gouvernement de coalition,
caractérisé par les bolchéviks comme un gouvernement de guerre civile contre les masses. Mais cette
lutte pour le pouvoir gouvernemental ne s’accompagne bien sûr d’aucune mesure pour mettre fin à une
situation économique désastreuse. Dans les villes, beaucoup d’ouvriers se mettent en grève, mais les plus avancés considèrent déjà ce mode d’action comme dépassé et se rallient à l’objectif de
l’insurrection.
Frustrations et combat des paysans et des peuples opprimés Dans les campagnes, les mois de septembre et octobre marquent le summum de la révolte paysanne,
qui touche l’ensemble du pays. Les paysans s’emparent des terres des grands propriétaires, il y a des
violences et des destructions. Les masses les plus pauvres sont aussi les plus radicales, et les
représentants locaux de l’État n’osent pas s’opposer à ce mouvement, malgré les plaintes des
propriétaires qui voient dans l’anarchie la trace de l’influence des bolchéviks. En fait, ces derniers sont
peu présents dans les campagnes, mais le mouvement échappe aussi largement aux socialistes
révolutionnaires, leur programme agraire ayant été abandonné de manière opportuniste pour cause de
coalition. En revanche, par l’adéquation de leurs mots d’ordre aux revendications des paysans les plus
pauvres, les bolchéviks parviennent à s’implanter peu à peu dans les campagnes, moins directement
que par l’influence des soldats revenant du front, où ils ont été éduqués politiquement.
Au même moment, les différentes peuples opprimés de l’empire tsariste déchu se soulèvent eux aussi.
Le renversement de la monarchie n’a pas impliqué pour eux de révolution nationale. La domination du
pouvoir grandrusse, sous la pression de la bourgeoisie impérialiste, est toujours à l’œuvre. Les
peuples opprimés ont simplement acquis une égalité des droits civiques, non l’indépendance qu’ils
réclament. Dans les territoires les plus arriérés, où la domination grandrusse a pris les formes de la
colonisation, les conciliateurs locaux, proches de la population, vont souvent plus loin dans les
revendications que ne le veut le pouvoir central. Le Parti bolchévique est peu implanté parmi les
peuples opprimés de l’exempire tsariste, mais la faillite des gouvernements de coalition sur la
question nationale comme sur les autres, provoque le plus souvent de la bienveillance à son égard,
d’autant plus quand il y a coïncidence des antagonismes sociaux et nationaux.
Les préparatifs de l’insurrection Sous la pression des événements et de la radicalisation des masses, les bolchéviks ont rapidement
évolué à gauche. Malgré l’opposition de Kamenev, il est décidé une sortie démonstrative du
Préparlement (7 octobre), Trotsky y dénonçant la représentation exagérée des possédants, la politique
économique du gouvernement, et en appelant au peuple pour la défense de la révolution et
l’instauration du pouvoir des soviets. Ce Préparlement se montre de toute façon incapable de trancher
les questions les plus graves selon lui, comme celle des moyens de rendre à l’armée son ardeur
combative. Les bolchéviks consacrent leur énergie à l’agitation en faveur du pouvoir aux soviets. Les
orateurs manquent (Lénine est toujours réfugié en Finlande, Kamenev et Zinoviev s’opposent à la
perspective de l’insurrection qui se dessine...), mais l’agitation est efficace dans les masses.
Un congrès des soviets est convoqué pour le 20 octobre. Pour les bolchéviks, ce congrès doit marquer
l’instauration du pouvoir des soviets. Les conciliateurs, qui s’étaient tout d’abord ralliés à ce congrès,
le désavouent ensuite ; cette attitude ne fait qu’accélérer le ralliement à la ligne bolchévik des soviets
les plus retardataires.
Après s’être battu pendant plusieurs semaines contre le Comité central du parti bolchévik (tout comme
en avril), Lénine parvient enfin, le 10 octobre, à rallier une majorité à une motion qui met à l’ordre du
jour immédiat la préparation de l’insurrection. Les conditions politiques sont maintenant mûres pour
cette insurrection (en particulier grâce à l’attitude des paysans), il est donc urgent de s’atteler à la
tâche.
Les opposants à cette perspective parmi les bolchéviks, principalement Kamenev et Zinoviev, mais qui
se retrouvent à tous les échelons du parti, ont encore des illusions sur une transition institutionnelle
vers un pouvoir des soviets : ils veulent attendre le Congrès des soviets, voire l’Assemblée constituante — dont les élections sont en préparation, le gouvernement les ayant longtemps repoussées, mais ayant
décidé de les convoquer pour essayer de sauver le régime. Zinoviev et Kamenev, allant jusqu’à rompre
la discipline du parti, parlent d’ « aventurisme », craignant qu’une insurrection fasse perdre aux
bolchéviks la confiance des masses.
L’insurrection est malgré tout programmée, prévue initialement pour le 15 octobre, et en tout cas
avant que ne se réunisse le congrès des soviets : forts de l’expérience historique de la Commune de
Paris, les bolchéviks savent parfaitement que la bourgeoisie, toute démocratique qu’elle se prétende,
ne se laissera pas prendre le pouvoir sans y être contrainte par la force. En outre, l’attitude des
conciliateurs depuis février, refusant de rompre avec la bourgeoisie même quand celleci affichait le
plus son caractère réactionnaire, montre qu’ils devront eux aussi être mis au pied du mur pour
éventuellement accepter que les soviets prennent enfin tout le pouvoir.
Les antagonismes dus à la dualité des pouvoirs s’accentuent. Le soviet de Pétrograd décide la création
d’un Comité militaire révolutionnaire (avec à sa tête un jeune socialisterévolutionnaire de gauche,
Lasimir), dans le but de contrôler la défense de la capitale (notamment pour empêcher la dispersion
des troupes révolutionnaires par le gouvernement). Il est également créé une section de la garde rouge
(ouvriers armés), placée avec la garnison sous la direction du Comité militaire. Le gouvernement
s’inquiète de ces démonstrations de force, comprenant ce qui se prépare. Il réclame les troupes de
Pétrograd pour le front, mais la délégation du soviet tient tête et refuse ce prélèvement.
Le Comité militaire poursuit ses préparatifs, avec en particulier des mesures préventives contre les
forces contrerévolutionnaires (junkers, cosaques, centnoirs). Pendant les jours qui précèdent le
congrès des soviets (finalement repoussé au 25 octobre pour des raisons techniques), la presse
bourgeoise annonce des manifestations des bolchéviks. Mais ceuxci ne font que recenser leurs troupes
en vue de l’insurrection, ils s’assurent que les masses de Pétrograd et des alentours leur sont acquises.
Les meetings renforcent à la fois les masses et leurs dirigeants dans l’idée que tout est prêt pour
l’insurrection. La dernière étape est la conquête politique, suite à un meeting de Trotsky, des soldats de
la forteresse PierreetPaul, jusquelà réfractaire à l’autorité du Comité militaire.
Le déroulement de l’insurrection Le 23 octobre, l’étatmajor de l’armée officielle est définitivement relevé de son commandement sur
les troupes de Pétrograd. Le Parti bolchévik n’attend plus que le gouvernement fasse le premier geste
d’offensive comme signal de départ pour l’insurrection, qui sera d’autant plus efficace et suivie qu’elle
se parera des couleurs de la défensive...
Dans la nuit du 23, le gouvernement décide des poursuites judiciaires contre le Comité militaire, et la
mise sous scellés des imprimeries bolchéviques. Mais les ouvriers et soldats se mobilisent et font
paraître les journaux, et ils demandent des ordres pour la défense du palais de Smolny (siège du
Comité militaire). Le croiseur « Aurore » se met aussi à disposition.
La journée du 24 est occupée à la répartition des tâches pour les bolchéviks. Pendant ce tempslà, les
défections de troupes continuent parmi celles qui étaient jusquelà contrôlées par le gouvernement,
comme par exemple le bataillon de motocyclistes. Au Préparlement, Kérensky décrète des mesures
contre les bolchéviks, mais les troupes qu’il a encore à sa disposition (junkers, cosaques) sont trop
faibles par rapport à l’adversaire pour les exécuter.
Dans la nuit du 24, le Comité militaire fait occuper les centres névralgiques de Pétrograd. Des troupes
de junkers et des officiers sont arrêtés et désarmés. Parfois, les bolchéviks font preuve d’une trop
grande indulgence envers les ennemis : sûrs de leur force, ils espèrent le moins de violence possible ;
ils auront plus d’une fois à le regretter par la suite, pendant la guerre civile. Quant aux conciliateurs du
Comité exécutif des soviets, ils ne peuvent que constater l’insurrection ; ils n’ont désormais plus de
place propre dans le conflit direct entre la bourgeoisie et le prolétariat.
Le matin du 25, le Comité militaire annonce qu’il a pris le pouvoir et que le gouvernement est démis.
En fait, celuici siège toujours au Palais d’hiver, dont la prise a été retardée (le comité a bien des
lacunes dans la science militaire). Dans la journée, le Préparlement est évacué sans arrestation. La
prise de la capitale s’est globalement déroulée dans le calme, comme un relèvement de la garde...
La seule tâche qui reste est donc la prise du Palais d’hiver. Parmi les bolchéviks, on commence à
s’agacer du retard : il faut que l’action soit menée avant l’ouverture du Congrès des soviets, afin de
mettre les conciliateurs devant le fait accompli. Le dispositif de défense du Palais d’hiver est en
déliquescence, les junkers et les cosaques ne savent pas quelle attitude adopter. Dans la nuit, suite à
une canonnade purement démonstrative de l’ « Aurore », le Palais d’hiver tombe sans combat, et le
gouvernement est arrêté sans effusion de sang, à l’exception de Kérensky qui a réussi à s’enfuir vers le
front.
Ouverture du Congrès des soviets Le Congrès des soviets est déjà réuni depuis le matin du 25, et les conciliateurs ne représentent qu’un
quart des délégués. La première journée est consacrée aux réunions de fractions. Tous attendent le
dénouement du siège du Palais d’hiver avant de commencer les discussions. Un bureau du Congrès est
formé, avec 14 bolchéviks et 7 socialistesrévolutionnaires de gauche. Lénine, présent, n’apparaît pas
encore publiquement.
Les conciliateurs refusent la proposition d’un front unique de la démocratie soviétique. Après
l’annonce de la prise du Palais d’hiver, il ne reste au Congrès que les bolchéviks, les socialistes
révolutionnaires de gauche et les mencheviks internationalistes.
Le Congrès apprend que les troupes du front qui avaient été désignées par Kérensky pour réprimer
l’insurrection se rangent du côté de celleci. Le matin du 26 octobre, on peut annoncer que le pouvoir
est désormais aux mains des soviets.
Les premières mesures politiques du nouveau pouvoir sont prises par le Congrès luimême, dans la
nuit du 26 au 27. Il s’agit « d’édifier l’ordre socialiste », déclare Lénine, qui peut enfin apparaître
publiquement, à la tribune. Les premières mesures prises par le Congrès sont donc un appel à tous les
pays belligérants pour mettre fin à la guerre et discuter d’une paix juste et démocratique, un décret qui
reconnaît que la terre appartient aux paysans, et la création du nouveau gouvernement : le « soviet des
commissaires du peuple »...
Russie, 19171918 : les Bolchéviks au pouvoir, premières mesures d'un gouvernement authentiquement révolutionnaire
L’écriture et la réécriture de l’histoire n’occupent pas la dernière place parmi les instruments utilisés
pour perpétuer l’exploitation et l’oppression de l’immense majorité qui va nécessairement de pair
avec le capitalisme. Depuis longtemps, mais avec une vigueur redoublée depuis une quinzaine
d’années, la bourgeoisie s’efforce de discréditer la révolution d’Octobre et par là le communisme en
général. À l’école comme dans les médias, la première révolution prolétarienne victorieuse est sans
cesse présentée comme un coup d’État aussi sanguinaire qu’inutile. Cette déformation de l’histoire est
la poursuite sous une forme adaptée à l’époque présente de la lutte que tous les États bourgeois ont
menée pour anéantir le premier État ouvrier en appuyant la guerre civile engagée par les classes
dominantes déchues et leurs flancsgardes de gauche, et en envoyant autant que possible leurs propres
troupes pour s’efforcer de renverser la République soviétique naissante. Quelle était donc cette
politique que la bourgeoisie voulait à tout prix abattre ? Quelles furent les premières mesures prises
par le gouvernement révolutionnaire élu par le congrès panrusse des soviets en octobre 1917 ? En
quoi la politique du Conseil des commissaires du peuple dirigé par les bolchéviks à partir d’Octobre
se distinguaitelle de celle menée par les menchéviks et socialistesrévolutionnaires (SR) entre février
et octobre ?
Pour bien comprendre cette différence, il faut rappeler d’abord que, au lendemain de la révolution de
Février 1917, les menchéviks et les socialistesrévolutionnaires étaient majoritaires dans les soviets
(conseils) qui surgirent dans tout le pays, à la ville et à la campagne. Le soulèvement des ouvriers et
des soldats les avait portés au pouvoir : aucun ordre n’était exécuté par les ouvriers ou les soldats,
s’il n’était contresigné par le soviet. Pourtant, les menchéviks et les SR remirent le pouvoir à la
bourgeoisie, en soutenant la formation d’un gouvernement provisoire dominé par les partis bourgeois.
Après les journées d’avril, ils devinrent également majoritaires dans le gouvernement provisoire. Ils
ne pouvaient dès lors plus se cacher derrière ce dernier pour justifier leur capitulation devant la
bourgeoisie : la politique menée était, même formellement, de leur entière responsabilité. Il faut
ajouter que, jusqu’aux journées de juillet, les bolchéviks, encore minoritaires, promettaient leur
soutien aux menchéviks et aux SR contre la bourgeoisie, si ceuxci rompaient avec elle, c’estàdire
s’engageaient sur la voie d’une politique conforme aux intérêts du prolétariat, fûtelle insuffisante.
Ces faits ont été présentés et expliqués dans les quatre précédents numéros du CRI des travailleurs,
retraçant le cours des événements de l’année 1917 jusqu’à la prise du pouvoir par les soviets sous la
direction des bolcheviks en Octobre. Nous présentons ici les premières mesures prises par le nouveau
gouvernement, un gouvernement des travailleurs, par les travailleurs et pour les travailleurs
(ouvriers et paysans) : le gouvernement soviétique dirigé par les bolcheviks.
Le combat pour la paix
La toute première mesure fut de lancer un appel « aux peuples et aux gouvernements de toutes les
nations belligérantes » en vue d’une « paix démocratique juste », c’estàdire « immédiate, sans
annexions (...) et sans réparations ». Le texte précise que « par annexion (...), le gouvernement
entend (...) toute incorporation à un État, grand ou puissant, d’une nationalité petite ou faible, sans le
consentement et le désir formel, clairement exprimé, de cette dernière ». Il rejette tous les prétextes
habituellement utilisés pour justifier de telles pratiques : ancienneté de l’annexion, retard économique,
archaïsme politique, etc. En effet, « le gouvernement estime que continuer cette guerre pour savoir
comment partager entre les nations fortes et riches les peuples faibles conquis par elles serait
commettre le plus grand crime contre l’humanité». L’appel précise encore la décision du
gouvernement soviétique d’abolir la diplomatie secrète et de « mener les pourparlers au grand jour,
devant le peuple entier ».
Le texte inclut aussi une proposition d’armistice immédiat, afin de rendre possibles des négociations
immédiates. Rédigé par Lénine, il est délibérément souple, précisant que le gouvernement accepterait
d’«examiner toutes autres conditions de paix»: en cas de poursuite de la guerre, l’entière
responsabilité devait en incomber aux rapaces impérialistes. Le gouvernement révolutionnaire
comptait ouvertement avant tout sur l’initiative révolutionnaire du prolétariat des principaux pays
impérialistes d’Europe (Angleterre, France, Allemagne) pour atteindre ces objectifs. L’expérience
russe confirmait en effet que seule la conquête du pouvoir par le prolétariat, c’estàdire la
transformation de la guerre impérialiste en guerre civile entre le prolétariat et la bourgeoisie, pouvait
permettre de mettre un terme à cette guerre. Pour leur part, les mencheviks et les SR au pouvoir
avaient continué d’envoyer ouvriers et paysans se faire tuer pour agrandir le territoire russe vers le Sud
et sauvegarder les intérêts des brigands impérialistes français et anglais. Par contre, les bolchéviks,
fidèles au socialisme, ont constamment refusé de soutenir la guerre impérialiste, expliquant
patiemment aux travailleurs qu’on ne pouvait mettre fin à la guerre sans prendre le pouvoir. Et, après
avoir conquis le pouvoir, ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour réaliser ce programme, en
s’appuyant sur les masses. En refusant les propositions du gouvernement ouvrier et paysan et en
poursuivant la grande boucherie, toutes les bourgeoisies ont montré que leurs discours sur les horreurs
de la guerre, les droits de l’homme et la paix ne sont faits que pour tromper le peuple ; la réalité, c’est
l’appétit sans limite des patrons et de leurs États.
Les libertés démocratiques La libération des nationalités de l’oppression grandrusse
Appliquant à la Russie ellemême ce qu’il exigeait formellement de tous les pays (c’estàdire en
réalité ce qu’il appelait tous les prolétariats et paysanneries d’Europe à réaliser par leur lutte
révolutionnaire), le gouvernement soviétique décréta « l’égalité et la souveraineté de tous les peuples
de Russie », c’estàdire le « droit des peuples de Russie à disposer librement d’euxmêmes, y compris
le droit de sécession et de formation d’un État indépendant », « l’abolition de tout privilège et
restriction de caractère national ou religieux » et « le libre développement des minorités nationales et
groupes ethniques peuplant le territoire russe». En conséquence, la Finlande proclame son
indépendance le 6 décembre 1917, l’Ukraine le 22 janvier 1918, la Pologne le 11 novembre 1918. On
objecte souvent que le gouvernement soviétique a accordé l’indépendance à des peuples à peu de frais,
car il n’occupait plus ces territoires du fait de l’avance allemande. Mais, si l’indépendance (même
formelle) de la plupart de ces pays a été reconnue à la fin de la guerre par les puissances impérialistes,
c’est avant tout par la crainte que la frustration du sentiment national de ces peuples ne donne un
nouveau souffle à la vague révolutionnaire qui déferle sur l’Europe à partir d’octobre 1917. Par
ailleurs, le gouvernement ouvrier et paysan supprima totalement à l’intérieur même de ses frontières
toute discrimination en fonction de la nationalité ou de la religion — alors qu’à cette époque, dans
bien des États bourgeois , de telles restrictions étaient encore légales, y compris les restrictions pour
l’accès à certains métiers pour les Juifs par exemple.
Abolition des ordres et des grades, égalité entre hommes et femmes Le gouvernement soviétique prit toutes les mesures démocratiques radicales dans le domaine
politique, assurant l’égalité formelle parfaite de tous les citoyens : les ordres (noblesse, clergé, etc.) et
les privilèges qui y étaient liés sont abolis, ainsi que tous les titres nobiliaires et qualifications ; les
biens de ces cidevant privilégiés sont immédiatement confisqués. La loi accorde exactement les
mêmes droits aux femmes qu’aux hommes, y compris le droit de vote (alors que, dans la plupart des
pays capitalistes, cela ne viendra qu’après la révolution russe, voire après la Seconde Guerre mondiale,
comme en France...) et égalité totale des droits dans le mariage (alors que, en France, par exemple, les
inégalités de droits entre la femme et l’homme ne seront intégralement supprimées que dans les
années soixante !).
Enseignement général obligatoire, laïque et gratuit La Russie est un pays dans lequel, en 1917, l’écrasante majorité de la population ne sait ni lire, ni
écrire. C’est évidemment un obstacle considérable à la mise en place d’une démocratie authentique et
à tout développement économique moderne. C’est pourquoi le gouvernement décide la mise en place
d’un enseignement général, obligatoire et gratuit. Il supprime toutes les barrières légales à l’accès des
enfants d’ouvriers et de paysans à l’enseignement supérieur général et technique.
Les bolchéviks sont bien sûr parfaitement conscients que ces mesures en ellesmêmes ne sauraient
assurer l’égalité réelle entre tous les citoyens. Lénine explique inlassablement cette vérité essentielle,
par exemple à propos de la question de l’égalité entre hommes et femmes : « Naturellement, les lois ne
sont pas suffisantes, et nous ne nous contentons pas de décrets. Mais, dans le domaine législatif, nous
avons fait tout le nécessaire pour élever la femme au niveau de l'homme et nous pouvons en être fiers.
La situation de la femme dans la Russie des Soviets peut servir d'idéal aux États les plus avancés.
Pourtant, ce n'est encore là qu'un commencement. La femme dans le ménage reste encore opprimée.
Pour qu'elle soit réellement émancipée, pour qu'elle soit vraiment l'égale de l'homme, il faut qu'elle
participe au travail productif commun et que le ménage privé n'existe plus. Alors seulement, elle sera
au même niveau que l'homme (...). La femme a beau jouir de tous les droits, elle n'en reste pas moins
opprimée en fait, parce que sur elle pèsent tous les soins du ménage (...). Nous créons des institutions
modèles, des restaurants, des crèches, pour affranchir la femme du ménage. Il faut reconnaître qu'à
l'heure présente en Russie ces institutions, qui permettent à la femme de sortir de sa condition
d'esclave domestique, sont très rares. Leur nombre est infime et les conditions militaires et
alimentaires actuelles sont un obstacle à leur accroissement. Il convient cependant de dire qu'il en
surgit partout où s'offre la plus petite possibilité. Nous disons que l'émancipation des travailleurs doit
être l’œuvre des travailleurs euxmêmes. De même, l'émancipation des travailleuses sera l’œuvre des
travailleuses ellesmêmes. Les travailleuses doivent veiller ellesmêmes au développement de ces
institutions ; elles arriveront ainsi à changer du tout au tout le sort qui leur était fait dans la société
capitaliste. » (1)
Les mesures économiques
La terre aux paysans Le décret sur la terre fut la deuxième mesure prise par les bolchéviks. La propriété privée du sol est
abolie (la terre ne peut être ni vendue, ni achetée, ni hypothéquée), le sol et le soussol (minerai,
pétrole, charbon, etc.) deviennent propriétés de l’État soviétique, les domaines des grands propriétaires
fonciers et de l’Église, avec tous leurs bâtiments et dépendances, ainsi que le cheptel mort ou vif sont
confisqués sans indemnités, mais non les terres ni le cheptel des simples paysans ou cosaques. Le
décret prévoit déjà que les grands domaines ne seront pas partagés en petites parcelles mais devront
être cultivés de façon collective.
La loi du 6 février 1918 sur la socialisation de la terre précise les conditions de la jouissance égalitaire
du sol : « Dans les limites de la République Fédérative Soviétique de Russie, peuvent jouir de lots de
terre en vue d'assurer les besoins publics et personnels : A) pour les œuvres éducatives culturelles : 1.
l’État représenté par les organes du pouvoir soviétique (...). 2. Les organisations publiques (sous le
contrôle et avec l'autorisation du pouvoir soviétique local). B) Pour l'exploitation agricole : 3. Les
communes agricoles. 4. Les associations agricoles. 5. Les communautés rurales. 6. Les familles ou
individus... » (Art. 20). Elle dispose que la gestion des terres sous la direction du pouvoir soviétique a
pour objet de « développer les exploitations agricoles collectives plus avantageuses au point de vue de
l'économie du travail et des produits, par absorption des exploitations individuelles, en vue d'assurer la transition à l'économie socialiste » (Art. XI, paragraphe e).
On entend souvent dire que les bolchéviks auraient « volé » leur programme agraire aux SR. Cela est
absolument faux, pour au moins trois raisons. Premièrement, lorsque les SR ont été au pouvoir de
février à octobre, ils n’ont pas procédé au partage égalitaire des terres ; car, pour cela, il leur aurait
fallu exproprier (et donc affronter) les 30 000 propriétaires fonciers qui possédaient à eux seuls autant
de terres que les 10 millions de familles paysannes ; en fait, les SR se sont même opposés aux paysans
autant qu’ils le pouvaient : ils étaient révolutionnaires en paroles, mais des valets de la noblesse
féodale et de la bourgeoisie en fait. Deuxièmement, ce sont dans la plupart des cas (70 % des
provinces) les paysans euxmêmes qui ont conquis les terres par leur lutte de classes en expropriant les
propriétaires fonciers : les bolchéviks ont légalisé un état de fait. Troisièmement, les mesures prises
par les bolchéviks dans le domaine agraire sont certes, en leur essence, simplement démocratiques
bourgeoises radicales (en effet, si la propriété privée du sol est abolie, la production en revanche reste
pour l’essentiel privée, car les petits paysans auxquels les terres sont louées par l’État soviétique
produisent pour vendre sur le marché) ; cependant, la bourgeoisie russe s’était révélée incapable de
réaliser même partiellement une telle réforme, en raison de sa faiblesse et de ses liens avec
l’aristocratie foncière. En fait, il était inévitable d’en passer par là, car « l'idée et les revendications de
la majorité des travailleurs, ce sont les travailleurs eux mêmes qui doivent les abandonner : on ne
peut ni les "annuler", ni "sauter" par dessus » (2). Pourtant, ces mesures démocratiquesbourgeoises
radicales prises par le nouveau gouvernement soviétique étaient déjà, autant que le permettaient les
rapports de force entre les classes, orientées vers le socialisme, c’estàdire l’exploitation collective du
sol dans de grandes fermes modernes selon un plan fixé par les travailleurs euxmêmes réunis dans
leurs conseils : le gouvernement refuse la division des grands domaines, prévoit de privilégier la
culture du sol par des communautés au lieu d’individus et décide de développer des exploitations
modèles pour convaincre pratiquement les paysans de la supériorité de cette forme d’agriculture.
L’industrie : nationalisation des grandes entreprises et contrôle ouvrier
La principale mesure prise par les bolchéviks pour assurer un bon fonctionnement de l’industrie fut la
légalisation et la généralisation du contrôle ouvrier dès le 27 octobre 1917. Il portait sur la production,
la conservation, l’achat et la vente de tous les produits et de toutes les matières premières dans toutes
les entreprises employant au moins 5 salariés et réalisant un bénéfice d’au moins 10 000 roubles. Il
devait être exercé, selon la taille de l’entreprise, soit directement par les ouvriers, soit par
l’intermédiaire de leurs représentants. Le décret précisait que « tous les livres de comptabilité et les
documents, sans exception, ainsi que tous les stocks et dépôts de matériaux, outils et produits, sans
aucune exception, doivent être ouverts aux représentants élus par les ouvriers et les employés » et que
« les décisions des représentants élus par les ouvriers et les employés sont obligatoires pour les
propriétaires des entreprises et ne peuvent être annulées, sauf par les syndicats et par les congrès
syndicaux ». L’objectif de ces mesures est double : d’une part, il s’agit pour le gouvernement
soviétique d’assurer le plus vite possible le fonctionnement le plus efficace possible de l’économie, ce
qui implique avant tout de se doter de tous les moyens nécessaires pour combattre le sabotage probable
de la part des capitalistes et de nombreux spécialistes liés à la bourgeoisie ; d’autre part, le but est de
permettre aux ouvriers de se former ainsi peu à peu à la gestion d’une entreprise. En ce sens, la
contrôle ouvrier est une mesure transitoire dirigée vers la gestion ouvrière directe.
Ensuite, peu à peu, au cours de l’année 1918, le gouvernement nationalise les principaux trusts et les
grandes entreprises : elles deviennent la propriété de l’État soviétique ; leur gestion est assurée par les
représentants élus des ouvriers de l’usine en question, sous la direction du pouvoir soviétique. À cet
effet est créé un organisme spécial, le Conseil supérieur de l’économie nationale, composé
essentiellement de délégués des syndicats ouvriers. Cette institution a pour but d’organiser
rationnellement la production à l’échelle de l’ensemble de la République selon les décisions politiques
prises par le pouvoir soviétique. Un institut national de statistiques est mis en place pour contribuer à la réalisation de cette tâche.
Dans la mesure où elles restent partielles et se font sur la base d’une économie qui reste capitaliste, ces
mesures reviennent à mettre en place ce que Lénine appelle un « capitalisme d’État ». Il est vrai que, à
la même époque — mais bien plus encore après la Deuxième Guerre mondiale —, les principaux pays
capitalistes européens nationalisent certaines entreprises et s’efforcent de planifier la production (au
moins celle des industries de guerre). Mais les nationalisations réalisées par l’État soviétique, ont un
caractère différent : elles préparent la nationalisation intégrale et l’organisation de toute la production
en fonction des besoins, c’estàdire la planification socialiste ; elles sont donc orientées vers le
socialisme.
La nationalisation des banques Le gouvernement soviétique décide que le système bancaire devient un monopole d’État : « Toutes les
banques privées et tous les comptoirs bancaires existants sont fusionnés dans la Banque d’État », qui
« prend à son compte l’actif et le passif des établissements liquidés ». Le décret précise que « les
intérêts des petits déposants seront entièrement sauvegardés ». Cette mesure a pour objet d’une part de
briser un des instruments décisifs de la domination du grand capital et constitue le préalable à toute
réorganisation de l’économie de façon rationnelle dans l’intérêt de l’immense majorité.
Le système d’assurance sociale Il n’est pas rare d’entendre dire que l’idée d’un système d’assurance sociale est née dans la tête de
quelque grand réformateur bourgeois, dans celle de Beveridge par exemple, ou dans le programme du
Conseil National de la Résistance. En vérité, ces projets ne sont que la réplique bourgeoise du premier
système complet d’assurance sociale, qui a été mis en place par le premier État ouvrier. S’il existe
aujourd’hui dans la plupart des pays impérialistes un tel système d’assurance sociale, les travailleurs
de ces pays le doivent avant tout à la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat russe, ainsi qu’à
celle des autres prolétariats d’Europe entre les deux guerres et surtout au sortir de la Deuxième Guerre
mondiale (lutte qui n’a pas débouché sur la prise du pouvoir par le prolétariat dans ces pays parce
qu’elle a été trahie par les dirigeants réformistes, staliniens et sociauxdémocrates).
Là encore, les menchéviks et les SR au pouvoir n’avaient pas satisfait cette revendication essentielle
des travailleurs. Les grandes lignes de la politique bolchévique en la matière sont exposées dans la
proclamation de Chliapnikov (Commissaire du peuple au travail) : « 1) Extension des assurances à
tous les salariés sans exception, ainsi qu’aux indigents des villes et des campagnes ; 2) Extension des
assurances à toutes les catégories d’incapacité au travail, notamment la maladie, les mutilations,
l’invalidité, la vieillesse, la maternité, la perte du conjoint ou des parents, ainsi que le chômage ; 3)
Obligation pour les employeurs d’assumer la totalité des charges sociales ; 4) Versement d’une
somme au moins égale au salaire intégral en cas d’incapacité de travail ou de chômage ; 5) Gestion
entièrement autonome de toutes les caisses d’assurances par les assurés euxmêmes. » Voilà encore un
exemple de ce que l’école et la presse de la bourgeoisie cachent aux masses d’aujourd’hui.
Là encore, les mesures économiques et sociales prises par le gouvernement dirigé par les bolchéviks
n’impliquent pas encore le socialisme : le prolétariat ayant pris le pouvoir dans un pays attardé, où la
bourgeoisie, pour des raisons sociales et politiques, ne pouvait accomplir sa mission historique (3),
devait inévitablement commencer par accomplir jusqu’au bout les tâches démocratiquesbourgeoises
de la révolution. Mais, à chaque fois, les mesures sont réalisées de façon à préparer l’avenir, c’està
dire précisément le passage du « capitalisme d’État » soviétique au socialisme : en ce sens, elles sont
transitoires. Ce qui distingue donc fondamentalement la Russie soviétique des États capitalistes de
l’époque qui en raison des nécessités de la guerre ont aussi procédé à une série de mesures de
nationalisations, c’est la structure de l’État.
Soviets, comités d’usine, milices ouvrières : l’État Commune
En effet, l’ensemble du pays est gouverné par les soviets d’ouvriers, de paysans et de soldats : ce sont
des conseils regroupant des délégués élus à intervalles réguliers. Les soviets locaux élisent en leur sein
un comité exécutif, ainsi que les délégués formant, avec des délégués d’autres soviets, le soviet de
l’échelon immédiatement supérieur (district, province et région). Les délégués de l’ensemble des
soviets régionaux forment le Congrès panrusse des soviets, qui élit un Comité Exécutif de 200
membres et le Conseil des commissaires du peuple (chaque commissaire est flanqué de cinq adjoints,
qui peuvent faire appel de ses décisions devant le Comité Exécutif). Le système de représentation
donne proportionnellement cinq fois plus de délégués aux ouvriers et aux soldats qu’aux paysans (4).
Les soviets agissent à chaque échelon de façon autonome, dans le cadre fixé par le soviet de niveau
supérieur, sous la direction générale du Conseil des commissaires du peuple.
Entre octobre 1917 et juillet 1918, c’estàdire jusqu’au déclenchement de la guerre entre la Russie et
les principales puissances impérialistes, ainsi que la guerre civile, les ouvriers, les paysans et les
soldats réussirent à organiser quatre congrès panrusses des soviets (octobre 1917, janvier, mars et
juillet 1918) (5). C’est donc à bon droit que les bolchéviks ont affirmé que la démocratie soviétique
était une forme de démocratie supérieure à celle de la république bourgeoise. De fait, ce système de
gouvernement permet aux ouvriers, aux paysans et aux soldats de contrôler de façon permanente
l’activité de ceux qu’ils ont élus pour les représenter : ils ont plusieurs fois par an la possibilité de les
remplacer si leurs positions ne leur semblent plus conformes à leurs intérêts. C’est ainsi que les
bolchéviks, qui n’avaient que 13 % des délégués en juin 1917, obtinrent 51 % des délégués cinq mois
plus tard au IIe congrès panrusse des soviets : entretemps, les masses avaient pu faire l’expérience du
gouvernement des menchéviks et des SR. Les bolchéviks progressent continuellement par la suite : ils
ont 61 % des délégués en janvier 1918, 64 % en mars 1918 et 66 % en juillet 1918. C’est la preuve que
les masses approuvent fondamentalement leur politique. De même, les SR de gauche, c’estàdire
ceux parmi les SR qui ont soutenu la révolution d’Octobre et participent au gouvernement soviétique,
sont majoritaires de façon écrasante sur les SR de droite, qui ont condamné la révolution d’Octobre :
ils obtiennent 125 délégués au Comité exécutif élu par le Congrès des soviets en janvier 1918. Quant
aux SR de droite, qui condamnent la démocratie soviétique, ils n’en bénéficient pas moins de cette
démocratie : ils peuvent librement défendre leurs positions et obtiennent 7 délégués au Comité
exécutif élu par le Congrès.
Parmi les toutes premières mesures du nouveau gouvernement, il y eut également l’appel à la
constitution par chaque soviet d’une milice propre. À l’opposé de l’État bourgeois où l’armée et la
police sont des détachements spéciaux d’hommes armés, servant les besoins de répression du
mécontentement ou du soulèvement populaire, l’État soviétique dirigé par les bolcheviks est
caractérisé par le fait que le pouvoir est détenu par le peuple en armes : c’est la seule garantie sérieuse
que la violence soit toujours utilisée dans l’intérêt des ouvriers et des paysans et non contre eux.
Enfin, un système de Comités d’usine complète le système politique de l’État ouvrier. Ce sont eux qui
assurent le contrôle ouvrier en relation avec les soviets.
Ainsi, les bolchéviks, marxistes fidèles au combat du prolétariat pour son autoémancipation, ontils
agi dès la prise du pouvoir pour briser la machine de l’État bourgeois et la remplacer par un État du
type de la Commune de Paris de 1871, c’estàdire un État dans lequel tout travailleur peut participer
directement et activement à la vie politique.
Voilà quelle fut la réalité de la politique marxiste révolutionnaire des bolchéviks après la prise du
pouvoir. Toutes ces mesures élémentaires, les menchéviks et les SR avaient refusé de les prendre : ils
n’étaient pas des socialistes d’une autre nuance, mais des valets de la bourgeoisie. Comme trotskystes,
c’estàdire bolchéviksléninistes, nous revendiquons la continuité du combat pour l’ÉtatCommune,
la dictature du prolétariat.
Comme le gouvernement soviétique dirigé par les bolchéviks a été l’objet de calomnies sans nombre et de faux procès, nous reviendrons dans nos prochains numéros sur quelquesuns des « arguments »
favoris des ennemis de la révolution d’Octobre, à commencer par la question de la dissolution de
l’Assemblée constituante par le pouvoir soviétique, la signature de la paix séparée avec l’Allemagne
impérialiste à BrestLitovsk, l’attitude des bolchéviks à l’égard des SR de gauche et des anarchistes,
etc.
1) Lénine, Les Objectifs généraux du mouvement féminin, Discours prononcé à la Conférence des
ouvrières sansparti de Moscou (23 septembre 1919).
2) Lénine, La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, « Servilité à l’égard de la bourgeoisie
sous couvert d’ "analyse économique" ».
3) Sur ce point, cf. les deux articles consacrés à la révolution russe de 1905 dans Le CRI des
travailleurs n° 1011 (janvierfévrier 2004) et n° 12 (avril 2004).
4) Nous reviendrons sur la justification politique de cette disposition, que certains jugent critiquable
(attentatoire à la démocratie), dans notre prochain article.
5) Il y avait déjà eu un congrès panrusse des soviets en juin 1917, à une époque où les soviets n’étaient
pas encore la nouvelle forme de l’État.