novembre 20, 2015

Le désastre de la recherche et développement en France

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.




Sommaire: 

A) Alain Prochiantz, Collège de France : "Les choix budgétaires en matière R&D publique et privée sont désastreux" - Le Nouvel Economiste - Propos recueillis par Patrick Arnoux

B) Innovation de Wikiberal

C) Power to the user: comment l’innovation remet la technologie dans les mains des utilisateurs - Philippe Silberzahn






A) "Les choix budgétaires en matière R&D publique et privée sont désastreux"




Pour le chercheur-enseignant-patron de cette institution atypique, il faut créer les conditions matérielles et financières pour que la recherche en France reste une activité valorisée et attractive. Nous n’en prenons pas le chemin

Cénacle de beaux esprits, loin des paillasses et des souris, les vastes bureaux et salons de boiseries blondes de l’administrateur du Collège de France viennent d’accueillir, il y a quelques semaines, un biologiste intime de ces labos travaillant sur les organismes vivant. Il est le nouveau “patron” d’un ensemble choisi de professeurs à la carrière prestigieuse enseignant dans toutes les disciplines scientifiques ou littéraires dans des amphithéâtres où se côtoient l’homme de la rue et le super-chercheur distingué. Au-delà du rayonnement de cette institution qu’il veut démultiplier grâce au numérique, c’est l’état actuel de la recherche en France qui suscite de sa part une véritable alarme. Indigné par la situation matérielle “catastrophiques” accordée aux chercheurs, au nom de la compétitivité de l’économie et des stratégies d’innovation, il plaide avec fougue pour une amélioration sensible de leur traitement et moyens. Tous les pays qui ont l’intention d’exister dans les années qui viennent augmentent leur investissement en recherche et développement (R&D). Ainsi, l’Allemagne l’a fait passer ces 20 dernières années de 2,25 % à 3 % de son PIB. La France, contrairement aux recommandations du traité de Lisbonne de 2000, en est restée au même pourcentage ,très insuffisant, de 2,25 %. Conséquence : nos voisins allemands investissent 30 % de plus que nous dans le secteur global de la R&D (public et privé), soit un différentiel de 16 milliards par an pour un PIB français de 2000 milliards. 

“Nos voisins allemands investissent 30 % de plus que nous dans le secteur global de la R&D (public et privé), soit un différentiel de 16 milliards par an ” 

Ces 2,25 % se répartissent à peu près en 1,4 % pour le secteur privé et 0,8 % pour le secteur public. Il serait nécessaire que la part du public passe à 1 % – soit environ 4 milliards de plus – et celle du privé à 2 %, soit à 12 milliards supplémentaires. Ce déficit d’investissement est préoccupant, car l’innovation, que précède la recherche, est indispensable pour que l’offre des entreprises ait un contenu adapté à une demande de plus en plus avide de technologie. La baisse de compétitivité de notre industrie est donc en partie explicable par la politique de R&D menée en France depuis au moins 1995. 

Les relations Recherche publique et privée
Les relations entre la recherche publique et celle du privé, en principe fondamentale pour l’une et appliquée pour l’autre, sont très importantes. Pour la recherche publique, une très grande liberté est nécessaire car la programmation y est difficile, voire illusoire. D’expérience, nous savons que des découvertes qui peuvent sembler ésotériques et sont d’un coût minime, se révèlent parfois sources d’innovations révolutionnaires d’intérêt sociétal et économique important. 

“Des découvertes qui peuvent sembler ésotériques et sont d’un coût minime, se révèlent parfois sources d’innovations révolutionnaires d’intérêt sociétal et économique important” 

Pour le privé, les grands groupes mènent toujours ou presque une recherche forte, mais elle peut être localisée, dans des proportions variées, en France ou à l’étranger. Par exemple, Sanofi a considérablement investi dans la région de Boston, un des grands sites mondiaux aujourd’hui pour la biologie, et ce n’est pas uniquement pour des raisons fiscales, même si ces raisons peuvent compter. Les investissements des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE) sont aussi très utiles pour augmenter la technicité de leur offre. Un exemple important de TPE est celui fourni par les start-up souvent créées par des chercheurs ou anciens chercheurs à partir de brevets pris par les laboratoires publics. Cela représente toutefois une goutte d’eau et ces initiatives, de plus en plus fréquentes, ne sont pas assez aidées, en particulier au niveau de ce qu’on appelle la preuve du concept ; d’autres disent la “vallée de la mort”. 

Le fléchage du crédit d’impôt recherche
On doit donc plaider pour un crédit impôt recherche (CIR) concentré sur les PME, TPE et start-up, plus les grands groupes, français ou étrangers, qui investissent en France dans le secteur R&D. En revanche, on ne voit pas à quel titre des groupes qui n’investissent pas en France, voire s’en désengagent pour investir à l’étranger, pourraient en être bénéficiaires. Le résultat global est que le passage du CIR à près de 7 milliards par an n’a pas fait bouger d’un dixième de pour cent les investissements en R&D, malheureusement. 

“Le passage du CIR à près de 7 milliards par an n’a pas fait bouger d’un dixième de pour cent les investissements en R&D, malheureusement” 

Cela a été rappelé par la Cour des comptes et n’est pas acceptable, sauf à dire ouvertement que le CIR est un outil d’optimisation fiscale avant d’être une incitation à l’investissement en R&D. Pour comparaison, la dotation d’État au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est de 2,5 milliards, plus 1 milliard de fonds propres toutes disciplines confondues, avec les salaires des 24 300 agents permanents et 9 400 contractuels inclus. 

Les rapports entre le monde académique et économique
Les liens entre le monde académique et celui de l’entreprise sont essentiels. Pas seulement parce que les recherches fondamentales sont le plus souvent en amont des innovations industrielles, mais surtout parce que les industriels préfèrent investir là où il y a un milieu intellectuel très riche et du personnel très bien formé grâce à une recherche académique de très haut niveau. 

“On ne favorisera pas le rapprochement nécessaire entre les deux mondes – la recherche et l’innovation – en asséchant financièrement la recherche publique” 

Dans la région de Boston, on trouve le MIT et Harvard, et des centres de recherche industrielle et de jeunes entreprises en particulier de biotechnologies y poussent comme champignons à l’automne. Une recherche académique d’excellence crée un milieu intellectuel attractif (les industriels ne sont pas des idiots) et forme une main-d’œuvre extrêmement qualifiée qui trouve des débouchés dans le secteur de l’innovation. On ne favorisera pas le rapprochement nécessaire entre les deux mondes – la recherche et l’innovation – en asséchant financièrement la recherche publique, espérant qu’elle va ainsi se mettre à travailler pour le secteur du développement. Cette politique a été menée par tous les gouvernements français, indépendamment leur couleur politique. Cela ne marche pas comme ça ! Les relations entre recherche et développement sont beaucoup plus intimes quand d’anciens doctorants formés par les laboratoires publics vont travailler dans un laboratoire privé. Voilà comment l’on fait des rapprochements fructueux, pas en provoquant des mariages forcés fondés sur la pénurie. 

Les universités et les Grandes écoles
En comparaison avec la plupart des grands pays, en France, le diplôme de Docteur d’université est peu valorisé et peine à être pris en compte dans les conventions collectives. Sans oublier le problème des élites, les recrutements se faisant souvent par relation, via des associations d’anciens élèves (polytechniciens, normaliens, énarques,...) plutôt que sur le CV d’un docteur ayant fait une thèse dans un bon laboratoire. Tant que cela durera, on aura beaucoup de mal à rapprocher la recherche académique de l’industrie privée et à faire entrer une culture de la R&D dans l’une comme dans l’autre. Ce qui ne justifie pas les discours plaidant pour la suppression des grandes écoles ou leur mise sous tutelle universitaire. Il est vrai que les grandes écoles devraient avoir un secteur recherche beaucoup plus développé. Mais ce ne sont pas leurs 80 000 étudiants qui empêchent le développement d’une recherche universitaire, et surtout sa prise en compte par l’industrie. Il est clair que l’on n’investit pas assez dans l’université. Mais on ne résoudra pas le problème en supprimant les grandes écoles qui ont fait la preuve de leur efficacité, même si y introduire plus de recherche est une urgence. 

Le politique et la recherche
Pour les politiques français, à l’exception du général De Gaulle, la recherche n’est jamais une priorité budgétaire, alors qu’elle devrait l’être pour tout gouvernement qui a le souci des générations futures. Tout autant que le CIR, le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) aurait pu être assujetti à un certain niveau d’investissement dans le développement. Des exemples démontrent ce manque d’intérêt. On abandonne 900 millions en supprimant les portiques de l’écotaxe, on réduit la TVA des restaurateurs à 5 % – 3,5 milliards de manque à gagner pour l’État – pour la remonter à 10 % ensuite, abandonnant ainsi 2 milliards, chiffres à comparer aux 2,5 milliards de dotation du CNRS. On doit s’affliger de ces choix de court terme, parfois dictés par la crainte des lobbys ou favorisant des professions “vecteurs d’opinion”. Les chercheurs sont des gens bien élevés peu enclins aux actions violentes dont on sait qu’ils n’arrêteront jamais de travailler, mais le problème est surtout qu’ils puissent continuer leur travail. Ces choix budgétaires sont désastreux, car vous ne ferez jamais venir des chercheurs ambitieux en leur disant qu’ils vont jouer en ligue 2. Ils partiront ailleurs, vers d’autres métiers ou à l’étranger, même s’ils ont été formés, excellemment et à grands frais, en France. L’importance de la recherche pour la production de connaissances nouvelles et ses interactions avec le système éducatif doit faire comprendre que ce qui est ici en jeu, c’est notre existence symbolique, économique, voire à plus long terme politique. 

Rappel: “On ne favorisera pas le rapprochement nécessaire entre les deux mondes – la recherche et l’innovation – en asséchant financièrement la recherche publique” 

Ils partiront, car nous constatons déjà des départs. Le milieu scientifique est un milieu extraordinairement international. Il ne s’agit pas là de chauvinisme car il est sain que des Français partent, à la condition qu’ils reviennent ou que des étrangers de talent arrivent, attirés par notre excellence. Les chercheurs qui peuplent nos laboratoires font face à une compétition internationale qui prend en compte la formation, les salaires et la qualité de l’outil de travail. Si l’on veut que les jeunes formés dans de très bons laboratoires en France – encore cinquième ou sixième puissance scientifique au niveau mondial selon les chiffres de l’Observatoire des Sciences et des Techniques (2014) – y fassent carrière, il faut non seulement leur donner accès aux outils de recherche les plus performants, mais aussi les payer correctement. Tel n’est pas le cas. Dix ans après le début de leur travail de thèse, s’ils ont de la chance, les jeunes chercheurs auront un poste dans un organisme de recherche ou dans une université avec un salaire de 2 000 à 2 500 euros nets par mois, puis une carrière de fonctionnaire. Le format classique d’une carrière de chercheur, c’est : une thèse dans un laboratoire en France, un stage postdoctoral de plusieurs années (entre 2 et 5 ans), le plus souvent à l’étranger, puis le parcours du combattant pour trouver un poste dans un grand établissement de recherche comme le CNRS, à l’université ou dans l’industrie, dont j’ai rappelé à quel point elle était frileuse pour l’embauche de Docteurs d’université. Pourtant, ils sont recherchés dans le monde entier. Pas plus que la plupart de mes collègues, je n’ai de problème pour placer mes anciens étudiants dans les meilleurs laboratoires aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Suisse. Mais quand ils ont comme perspective de démarrer à trente-cinq ans avec les salaires indiqués, on comprend qu’ils peuvent choisir l’exil ou un autre métier. Les chercheurs comme les professeurs sont moins bien payés en France que dans nombre de pays développés, dont l’Allemagne, notre référence européenne. Or ils ont l’habitude de voyager et sont partie prenante d’une société scientifique internationale. Ils vont là où ils peuvent s’épanouir et se réaliser, dans une activité fondée pour une grande part sur la curiosité et la passion. Une fois partis, on peut espérer qu’ils reviennent, mais il faut créer les conditions matérielles et financières pour que la recherche en France reste une activité valorisée et attractive. Nous n’en prenons pas le chemin. 

Le décrochage irréversible
C’est aussi une question de culture. Du fait de sa culture scientifique très forte et très ancienne, la France garde un excellent niveau. Mais si nous décrochons sur le plan culturel, celui de la qualité et du nombre des enseignants et des chercheurs qui non seulement produisent le savoir mais le transmettent, il n’y aura pas de retour possible. Le décrochage sera irréversible. Or quand une génération de chercheurs part à la retraite, si entre-temps, de jeunes talents n’ont pas été attirés dans la recherche, on perd le fil culturel. On ne remonte pas aisément cette pente-là. Il est urgent d’embaucher dans la recherche académique des chercheurs plus jeunes à des salaires plus élevés. Soit deux ou trois ans après la soutenance de leur thèse, au lieu des 5 à 10 ans aujourd’hui. À des salaires plus élevés, soit autour de 3 000 euros de salaire net par mois, ce qui, à 30 ans et à ce niveau de compétence, est raisonnable, mais cesse de l’être quelques années plus tard. Créer cet appel d’air vers les métiers de la recherche est une priorité. 

“Si nous décrochons sur le plan culturel, celui de la qualité et du nombre des enseignants et des chercheurs qui non seulement produisent le savoir mais le transmettent, il n’y aura pas de retour possible” 

Les politiques, surtout les ministres de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en conviennent, mais répondent “on n’a pas d’argent”, ou plus exactement “Bercy ne veut pas” ! Cela prêterait à rire si ce n’était si grave, car cela ne coûte pas grand-chose à l’échelle du budget d’un grand pays. Un jeune chercheur aujourd’hui coûte 55 000 euros par an, charges comprises. 1 000 chercheurs de plus ne coûteraient jamais que 55 millions par an. 

Les idées fausses sur la recherche académique
Il faut rendre une grande liberté à la recherche publique, non seulement parce que la plupart des découvertes importantes ne sont pas programmables, mais aussi parce que c’est le moyen le plus efficace pour attirer les meilleurs chercheurs. Cette liberté a été rognée récemment par deux idées fausses. La première est qu’en incitant la recherche publique à s’orienter vers les applications, on va la rapprocher de l’industrie. En réalité, c’est tout le contraire, les industriels préférant investir dans les régions où la recherche fondamentale est forte. La deuxième est que la recherche académique doit répondre à la demande sociale dans des délais courts. Logique qui a conduit l’Agence nationale de la recherche (ANR) à aligner ses objectifs sur ceux de l’agenda 2020 de la Communauté européenne. Cette démarche, dont la logique est celle d’un “business plan”, défavorise des domaines qui ne semblent pas rapidement “porteurs d’avenir sociétal” aux décideurs. 

“En incitant la recherche publique à s’orienter vers les applications, on va la rapprocher de l’industrie. En réalité, c’est tout le contraire” 

Pire, elle ne marche pas pour les domaines qu’elle voudrait favoriser. Certes, si les scientifiques constatent que le pays décroche dans des domaines importants par exemple, en France aujourd’hui, la biologie synthétique –, il est nécessaire d’inciter les recherches dans ces directions. Mais pour le reste, il faut prendre le risque de la curiosité et de l’intelligence. Quel “plan cancer”, quel “plan Alzheimer” aurait financé des travaux sur la variation des couleurs des grains d’un épi de maïs ou des pétales du pétunia ? Et pourtant, ces recherches ont conduit à la découverte de l’instabilité des génomes et à celle des ARN interférents aux conséquences incalculables dans le domaine des pathologies. Voilà pourquoi l’essentiel des recherches doit être laissé à l’appréciation des scientifiques, à partir du moment où ils sont bons. C’est comme cela qu’on avance ! Ce n’est pas cher (20 milliards d’euros si on atteint 1 % du PIB), et à plus ou moins long terme, c’est indispensable à notre existence symbolique, notre compétitivité économique, notre survie politique. 

La programmation contractuelle de la recherche
L’Agence de financements de projets de recherche -ANR- a été créée dans le contexte d’une méfiance vis-à-vis des grands établissements publics comme le CNRS, en dépit du rôle décisif qu’ils ont joué dans notre maintien dans la cour des grands pays scientifiques. Elle répond à une logique de programmation contractuelle de la recherche qui n’a pas bonne presse à gauche, mais qui s’est révélée très utile dès lors que les 2/3 des contrats étaient “blancs”, non ciblés sur des objectifs sociétaux. Elle est la sœur jumelle de la DFG allemande dotée de 2 milliards d’euros. La très récente réduction de son budget de 800 millions à 500 millions et son alignement sur l’agenda 2020 de la Communauté européenne sont donc une catastrophe. 

Non compensée par les financements pérennes, cette réduction a mis certaines équipes à l’os ! Beaucoup se sont félicités de la mise en cause de l’ANR. À gauche, à cause son côté contractuel, à droite par crainte de son aspect équitable. Aujourd’hui, la recherche est très souvent organisée en instituts, centres ou départements, constitués de plusieurs équipes indépendantes recrutées sur appel d’offres international par des jurys internationaux, et utilisant des plateformes technologiques mutualisées. Ces centres sont dirigés par des responsables d’équipe, le plus souvent un chercheur qui a un peu de “bouteille”. L’avantage de l’ANR est qu’une partie du financement ne passe plus par ce seul directeur, mais par des appels d’offres compétitifs. Donc pour 50 à 75 % de leur budget de fonctionnement, toutes les équipes sont à égalité, sans dépendance vis-à-vis du directeur qui lui aussi doit être compétitif. Ce mécanisme casse le mandarinat tout en étant élitiste, ce qui évidemment explique l’hostilité réunie des mandarins et des syndicats qui ont poussé à la réduction des crédits de l’ANR, avec en prime – du fait de la politique gouvernementale la réduction des programmes blancs. 

“Beaucoup se sont félicités de la mise en cause de l’ANR. À gauche, à cause son côté contractuel, à droite par crainte de son aspect équitable” 

Ce côté élitiste n’est réel que si le budget est faible. Supposons qu’il soit de 1,5 milliard d’euros permettant de sélectionner chaque année 20 % à 25 % des demandes pour des contrats de 3 à 4 ans, on voit immédiatement qu’à l’équilibre, 60 à 80 % des équipes sont financées. Les autres peuvent avoir recours à d’autres financements ou bénéficier de la solidarité des équipes financées. Et si certaines doivent disparaître très peu – du fait d’une qualité insuffisante, qui s’en plaindra ? On voit donc que ce financement, s’il est “blanc”, assure la liberté et l’équité et permet une solidarité et des échanges ouverts entre les équipes. A contrario avec un taux de succès divisé par 3 – les 500 millions d’euros actuels – et des programmes ciblés, c’est non seulement la fin de l’équité – le directeur pèse de tout son poids dans la distribution des crédits – et de la liberté, mais aussi l’installation de la guerre au sein d’un même centre. 

Le caractère unique du Collège de France
Le Collège de France n’est pas une maison comme les autres. Créé en 1530, il recrute à la fois des professeurs dont l’élection est l’aboutissement d’une carrière extraordinaire, mais aussi d’autres, certes excellents, mais qui pensent un peu “à la marge”. Un risque, mais le Collège de France n’est pas l’Institut de France dont la coupole abrite les cinq académies, et ce risque assumé est nécessaire. Sinon, le Collège pourrait se transformer en assemblée de “notables” ; ce ne serait pas honteux, mais ce n’est pas sa vocation. Cette tradition n’empêche pas l’introduction de changements importants. L’un d’entre eux a consisté à créer des chaires annuelles ou pluriannuelles de professeurs invités. L’enseignement qu’elles prodiguent permet d’agrandir et de diversifier notre offre intellectuelle au-delà de celle des chaires pérennes, dont les contraintes sont incompatibles avec l’activité “hors Collège” des titulaires de chaires temporaires. Sans parler de la difficulté, du fait des conditions matérielles actuelles de l’exercice de nos métiers, d’attirer des chercheurs étrangers de haut niveau. L’année dernière, par exemple, nous avons reçu le sculpteur Tony Cragg sur une chaire de création artistique, et nous avons actuellement dans nos murs Thomas Sterner, un économiste suédois qui enseigne dans le cadre de la chaire “Développement durable - Environnement, énergie et société” soutenue par le groupe Total. En janvier, nous accueillerons pour un an le Professeur Sahel, titulaire la chaire annuelle “Innovation technologique” subventionnée par la Fondation Bettencourt-Schueller. Une chaire annuelle “Informatique et sciences numériques” accueille aussi chaque année un spécialiste éminent du domaine, avec l’aide de l’Inria. 

“Créé en 1530, il recrute à la fois des professeurs dont l’élection est l’aboutissement d’une carrière extraordinaire, mais aussi d’autres, certes excellents, mais qui pensent un peu “à la marge” 

Professer ici est difficile, car il faut le faire au plus haut niveau tout en étant compréhensible par tous. En effet, notre enseignement, non diplômant, est ouvert à tout public, depuis le chercheur spécialisé dans le domaine, jusqu’à “l’homme de la rue” ; ce public exigeant, qui suit les cours dans les amphithéâtres mais aussi, et de plus en plus, sur Internet, veut savoir ce qui a été découvert très récemment. C’est le fabuleux défi d’enseigner la recherche “en train de se faire”, avec une liberté totale du contenu de l’enseignement mais l’obligation de le changer tous les ans, ce qui représente une difficulté extrême. 

Le grand défi numérique
Nous avons énormément investi dans le numérique afin de donner la possibilité de suivre les cours du Collège de France par Internet. Tout est filmé, traduit en anglais pour la plupart des cours, en chinois pour certains d’entre eux. Mais cet outil numérique n’est pas encore à son optimum. Nous avons l’ambition de fabriquer des objets numériques – pas simplement des cours filmés qui ne sont pas pensés pour le numérique. Un cours, c’est du théâtre vivant, du spectacle. Nous allons y travailler afin de fabriquer ces objets et les mettre à la disposition de tous les publics, les curieux, mais aussi ceux qui voudraient les utiliser à des fins variées, culturelles évidemment, mais aussi pédagogiques. Bref, il s’agit de produire des contenus de la plus haute exigence intellectuelle et de les mettre à la disposition de tous, en France comme à l’étranger, et pas seulement des auditeurs qui fréquentent les amphithéâtres. Cela correspond à notre mission, mais demande des compétences nouvelles et des financements considérables. Actuellement, les téléchargements se comptent en millions. Mais nous avons initié une étude plus analytique de l’écoute sur Internet pour affiner notre politique. Quel genre de cours intéresse le plus le public ? Quelle est la durée de visionnage ou d’écoute ? Les traductions en anglais sont-elles suivies ? Quels sont les publics en termes de tranche d’âge, de nationalité, de catégorie sociale, etc. ? Seul l’administrateur connaît la fréquentation réelle des cours. Et cette information ne sera jamais divulguée. Car le Collège de France ne se dirige pas à l’audimat. 

La recherche au Collège de France
Si notre enseignement est fondé sur la recherche, notre mission est aussi de développer cette dernière. Certains professeurs peuvent mener leurs travaux à l’extérieur du Collège de France, même s’ils y enseignent. Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie, a son laboratoire à Strasbourg ; Claude Cohen-Tannoudji, prix Nobel de physique, a longtemps travaillé à l’École normale, tout comme Serge Haroche, lui aussi prix Nobel de physique. Jadis François Jacob et Jaques Monod, prix Nobel de médecine, aujourd’hui Philippe Sansonetti, Christine Petit et Jean-Pierre Changeux, sont à l’Institut Pasteur, Alain Fisher à Necker, Stanislas Dehaene au CEA, Edith Heard à l’Institut Curie. Mais il y a aujourd’hui du nouveau dans le domaine des sciences expérimentales : grâce à d’importants travaux de rénovation, nous avons ouvert en 2009 près de 8 000 m2 de laboratoire en biologie, qui s’ajoutent à un autre bâtiment en cours de restauration, et nous venons d’ouvrir encore 10 000 m2 de laboratoires en physique et en chimie. Du côté des sciences humaines et sociales, le Collège mène d’importants travaux de rénovation de l’Institut des civilisations qui vont démarrer pour une période de 3 ans, ce qui permettra aux professeurs et à leurs équipes de travailler dans d’excellentes conditions, avec des postes de travail nouveaux, d’accueillir de nouvelles équipes dans des bibliothèques agrandies et mutualisées, et de développer une politique active de numérisation des ouvrages et de développement des humanités numériques. Cette opération est soutenue par l’État, la région Île-de-France et le Collège, qui lui-même y engage 8 millions de fonds propres dont une part est recueillie à travers sa fondation. Les nouveaux bâtiments de biologie, chimie et physique ont nécessité des investissements de l’ordre de 60 millions d’euros de la part de l’État, mais avec une contribution du Collège, une participation de la région et l’apport de dons privés, non seulement pour la rénovation des bâtiments, mais aussi pour l’équipement des laboratoires. 

“La dotation du Collège de France n’ayant pas augmenté pour faire face à ces nouvelles charges, il nous faut aller chercher les financements auprès des donateurs privés” 

Cela nous a permis de développer la recherche sur le site du Collège de France avec l’arrivée de Serge Haroche, Jean Dalibard et Antoine Georges en physique, de Marc Fontecave, Clément Sanchez et Jean-Marie Tarascon en chimie, de Hugues de Thé et moi-même en biologie. Tous réinvestissent ces locaux et montent des instituts de recherche attirant de jeunes équipes recrutées sur appel d’offres international et par des jurys internationaux. C’est ainsi que la physique vient de recruter 3 jeunes équipes et que la biologie en a accueilli 18 depuis 2011. Mais l’investissement de 60 millions en surface de laboratoire et bibliothèque suppose un coût annuel d’entretien, sans compter le coût de la recherche, d’environ 3 millions d’euros. La dotation du Collège de France n’ayant pas augmenté pour faire face à ces nouvelles charges, il nous faut aller chercher les financements auprès des donateurs privés, et certains sont très généreux, en premier lieu la Fondation Bettencourt-Schueller. Mais ce n’est pas là une tradition française et ces dons, très insuffisants, ne peuvent se substituer à une augmentation de notre budget récurrent qui doit financer notre mission de service public. Ce n’est pas le cas du seul Collège de France, mais parce qu’il se considère comme le navire amiral de la recherche et de l’enseignement en France, celui-ci a le devoir, par-delà ses propres difficultés financières, de rappeler que le financement de la recherche et de l’enseignement ne constitue pas une dépense, mais bien un investissement. Faute d’un véritable sentiment d’urgence, on tarde à en tirer les conséquences budgétaires. Sans changement de politique, nous finirons par perdre notre rang et remonter la pente sera difficile, voire impossible. 

 Alain Prochiantz

Bio express Savant, prof et patron
Diplômé de l’École normale supérieure, Alain Prochiantz choisit après sa thèse la neurobiologie, puis devient directeur de recherche au CNRS. Il prend ensuite la direction du département de Biologie de l’École normale supérieure, puis devient titulaire de la chaire “Processus morphogénétiques” du Collège de France en 2007, dont il est élu administrateur en 2015. Auteur de nombreux articles et d’une dizaine de livres sur le cerveau, ce neuro-scientifique réputé est aussi membre de l’Académie des sciences, et préside le comité de la recherche de la Fondation pour la recherche médicale (FRM).



B) Innovation de Wikiberal

L'innovation est un concept qui est malheureusement largement confondu dans le langage grand public avec celui de l'invention. Or, ces deux termes complémentaires sont strictement bien différents. L'invention se rattache à la création d'un produit ou d'une idée. L'invention technologique est brevetable, celle des idées ne l'est pas. Depuis Joseph Schumpeter, dans son ouvrage, "Capitalisme, socialisme et démocratie", nous savons que ce ne sont pas les inventions mais les innovations qui engendrent le développement économique. L'innovation peut être interprétée comme l'application économique et discursive[1] d'une invention ou d'une novation d'idées. Ainsi, l'innovation est un concept beaucoup plus large que celui de l'invention.

La théorie évolutionniste de l'innovation

Selon la théorie évolutionniste du sentier de dépendance, le développement de la science et de la technologie est intégré dans des contextes d'utilisation spécifiques qui déterminent la direction et le calendrier de l'innovation. Les inégalités entre les chemins d'apprentissage dans les différents domaines d'expertise technologiques génèrent différentes structures de coûts et, a fortiori, produit de l'incertitude dans l'adoption et le développement des nouvelles technologies. La littérature économique sur l'innovation[2] a identifié le phénomène du processus de l'innovation, qui tout en se développant, s'inscrit comme un « modèle dominant ».
E. Rogers considère que la diffusion d’une innovation dans une population suit le tracé d'une loi normale. Le segment des récepteurs précoces est essentiellement composé de leaders d’opinion. En général, les premiers "early adopters" correspondent à 16 % de la population. Il y a alors de fortes pressions à la conformité avec celui-ci qui s'exercent sous formes de fortes pressions psychologiques (initié par des groupes dominants) et par des pressions sociales (acquisition de légitimité de l'innovation). Les théoriciens néo-institutionnels de l'organisation (Paul DiMaggio et Walter Powell[3]) indiquent qu'il existe des pressions vers un isomorphisme, c'est à dire une similarité de comportements et de stratégies au sein des entreprises qui composent l'industrie. Trois types de forces occasionnent cette similarité.
  • L'isomorphisme coercitif : les sanctions sociales ou les lois ont un effet exogène qui imposent une certaine forme de structure et de stabilité. Les entreprises au sein de l'industrie adoptent des structures et des comportements similaires en réponse à cette coercition partagée.
  • L'isomorphisme mimétique : les entreprises observent la structure et la performance de l'autre (par exemple, par une analyse comparative). Les entreprises qui réussissent au sein de l'industrie adoptent des structures et des comportements similaires parce qu'elles tentent de copier les succès de leurs rivaux, souvent en réponse à des environnements avec des incertitudes élevées.
  • L'isomorphisme normatif : les valeurs sont socialisées à travers les organisations en dehors des entreprises (par exemple, par les associations professionnelles) pour encourager l'adoption de caractéristiques structurelles sélectionnés. Les entreprises au sein de l'industrie adoptent des structures et des comportements similaires parce que leurs gestionnaires adhèrent aux valeurs et aux normes professionnelles partagées par les responsables d'autres entreprises (fournisseurs, clients, concurrents, et les organismes publics et para-public de réglementation).

Les formes de l'innovation

Selon Joseph Schumpeter, l'innovation est un processus de destruction créatrice, donnant l'impulsion fondamentale au développement économique. Il a fourni les cinq cas suivants du concept de l'innovation :
  • (1) Un nouveau bien ou une nouvelle qualité d'un produit
  • (2) De nouvelles méthodes et procédés de production et de distribution
  • (3) L'ouverture d'un nouveau marché
  • (4) De nouvelles ressources
  • (5) De nouvelles formes d'organisation
L'innovation est un processus de création destructrice. Elle a un effet déstabilisant sur l'économie et sur l'emploi en affaiblissant l'attractivité d'autres produits ou services. Jean Fourastié, en 1963, dans son livre, le grand espoir du XXè siècle, tout comme Alfred Sauvy[4], présentant sa théorie du déversement, montrèrent que le progrès technique est la source de la croissance économique et de la création d'emplois. L'innovation fait certes disparaître des entreprises, des procédés de production et des métiers qui y sont liés. Mais, en même temps, elle fait apparaître de nouvelles entreprises, de nouveaux procédés, de nouveaux métiers et de nouveaux emplois[5]. Dans l'histoire de l'humanité, l'innovation a toujours été globalement créatrice nette d'emplois. L'innovation est un moteur très important lors de la naissance des technologies du XXe siècle.
Dans le cas de l'innovation de rupture (par exemple, les fibres synthétiques, les lampes à incandescence, le micro-ordinateur), une véritable création est à l'origine de l'innovation. Mais, dans d'autres cas, il peut s'agir d'une simple modification d'un produit ou d'un procédé. certaines innovations proviennent d'une transposition et d'une adaptation d'une technologie appliquée dans une autre industrie. Par exemple, le système de freinage de la navette spatiale européenne fut adaptée à l'industrie automobile pour la conception des freins ABS. Alliée à une politique marketing, l'innovation permet de relancer un produit voire un métier. Par exemple, la société Microsoft lance sur le marché tous les deux ans une nouvelle version d'exploitation Windows.
La recherche de l'innovation, pour un entrepreneur, est une recherche d'un avantage concurrentiel durable en saisissant des opportunités. Sur un marché en concurrence, voire en hypercompétition, l'innovation fournit à l'entreprise un monopole provisoire. Ce monopole est temporaire car le marché en concurrence va faire émerger tôt ou tard, un autre entrepreneur qui va mettre au point, à son tour, une innovation pour attirer les mêmes acheteurs. Il serait illusoire de considérer que l'origine de l'innovation provient toujours du côté de l'entreprise et des ingénieurs. Eric Von Hippel a montré l'importance des consommateurs et des groupes de communautés utilisateurs qui ont un rôle important dans l'innovation.
Empiriquement, on observe que l'innovation débouche sur un raccourcissement de la durée de vie des produits et à la prolifération des segments d'un même produit. Par exemple, l'entreprise ne fabrique plus un meuble pour s'asseoir, elle fabrique des canapés, des fauteuils, des chaises, des poufs, etc, en différentes couleurs et en différents designs. La production se complexifie sur des unités de produits de plus en plus nombreuses posant des problématiques sur l'effet d'expérience, les économies d'échelle et l'effet d'apprentissage.

Les efforts d'investissement pour l'innovation

L'innovation repose généralement sur un effort de recherche et développement (R & D) dépendant de la recherche fondamentale (nouvelles connaissances théoriques), de la recherche appliquée (application nouvelle de connaissances théoriques) et du développement (prototypage de produits). Au niveau d'un pays, on prend souvent l'habitude d'analyser le niveau d'innovation prospective en fonction de certains critères (dépenses de recherche en pourcentage du PIB, nombre de chercheurs pour 1000 actifs ou nombre de brevets déposés).
La part des dépenses de recherche en pourcentage du PIB se situe pour les pays développés entre 2 et 3 % du PIB. La France est située légèrement au-dessus du niveau de 2%, devancée par l'Allemagne, les Etats-Unis et loin derrière le Japon caracolant en tête avec presque 3% du PIB consacré aux dépenses de recherche. En comparaison, également, le nombre de chercheur varie de 5 à 10 pour mille pour l'ensemble des pays développés. La France et l'Allemagne ont presque le même niveau (6 pour 1000), largement dépassés par les Etats-Unis ou le Japon (entre 9 et 10 pour mille). En ce qui concerne les brevets, les japonais déposent 30 fois plus de brevets que les français.
La réussite de l'innovation dans une organisation implique la présence de ressources de capacités ce qui en fait un avantage concurrentiel durable. Ces ressources proviennent de la flexibilité des structures, donc de la complémentarité ou de la substituabilité du capital, l'efficacité de ses systèmes d'information et de décision et de son organisation entrepreneuriale (mise en confiance des intrapreneurs).
Le financement de l'innovation est avancé souvent comme le premier obstacle à l'innovation. Quelquefois, le regroupement d'entreprises en coopétition (entreprises en concurrence directe) ou des alliances inter-entreprises avec des partenaires verticaux (clients, fournisseurs) permet une coopération en recherche et développement afin de partager des charges qui ne seront rentabilisées qu'à moyen terme. Certaines entreprises collaborent avec les laboratoires de recherche financés par les impôts. Diverses solutions sont présentes pour faire face au coût de l'innovation. En France, l'ANVAR a pour mission de faciliter l'innovation en apportant aux entreprises des financements avantageux. Les aides régionales et les autres aides publiques sont généralement assez présentes dès l'amorce de l'innovation. L'Etat encourage l'innovation par sa politique de crédit d'impôt-recherche en défiscalisant les charges dues à la recherche. Mais, d'autres moyens financiers, dans le secteur privé, comme les fonds de capital risque ou les sociétés d'amorçage, peuvent intervenir. Cette préoccupation des charges financières sur la pratique de l'innovation est, certes, légitime, mais elle fait oublier qu'il n'existe pas d'innovation sans une organisation entrepreneuriale et une mémoire organisationnelle, c'est à dire sans un esprit d'innovation créé et maintenu au sein de l'organisation pour maintenir sans cesse en place des innovateurs..

L'innovation entrepreneuriale au sens autrichien

L'innovation entrepreneuriale ne se produit pas nécessairement à cause de divergences entre la quantité demandée par les consommateurs et la quantité fournie par les entreprises sur le marché de façon globale et agrégative. L'innovation se produit parce que certains entrepreneurs estiment qu'il existe des opportunités encore inexploitées comme par exemple des écarts de prix entre produits substituables, par combinaison de produits complémentaires ou par l'apport de technologies[6] ou de nouveaux designs à certains produits ou services. Ces lacunes sont potentiellement précieuses et sont considérées avoir de la valeur aux yeux des acheteurs. Les entrepreneurs créent de la valeur en comblant ces lacunes. Cette notion se distingue de l'invention car un inventeur re-combine des connaissances anciennes et crée de nouvelles connaissances. L'innovateur n'a pas obligatoirement conscience de convertir des connaissances dans une forme d'économiquement utile. Sa problématique n'est pas d'ordre épistémologique même si elle en induit des conséquences. L'entrepreneur ne se considère pas comme un révolutionnaire qui a inventé une idée géniale. Il peut l'exprimer, certes, mais c'est en appliquant son idée qu'il devient génial, non pas en l'imaginant. Bien souvent, l'entrepreneur innovant se contente de combiner des idées existantes, de tester des expériences banales, et de saisir les connaissances locales pour créer des biens économiques, sans se comporter comme Archimède, criant "eureka" dans son bain.
La théorie de l'innovation autrichienne[7] intègre la connaissance, l'expérience et l'importance de la liberté dans la création de toutes nouvelles catégories conceptuelles et dans les initiatives entrepreneuriales fondamentalement innovantes. Pour Friedrich Hayek, l'être humain est capable de voir plus ce qu'il ne voit. On est capable de voir ce que l'on est prêt à voir, c'est à dire que nous pouvons percevoir des phénomènes sensoriels, seulement si nous avons classé préalablement les données dans des catégories abstraites et souvent implicites qui nous sont parvenues physiologiquement. Il s'agit du processus d'apprentissage par l'utilisation de catégories préalablement créées. Cependant, l'être humain est aussi génétiquement doté d'une capacité d'innovation par la création de nouvelles catégories ou par le déplacement des données d'une catégorie à une autre, ce qui est souvent le cas lorsqu'on tente de résoudre des anomalies ou des énigmes ou lorsqu'on se pose la question si un nouveau produit rencontrera son public. La nouvelle conscience perceptive nécessaire pour les nouvelles pistes de découverte créent, à leur tour, une nouvelle catégorisation et de nouveaux horizons de perception. Cette innovation nécessite souvent non seulement la liberté de curiosité épistémique, mais aussi la liberté d'action afin d'être en mesure d'essayer différentes possibilités perceptives, d'une quantité numériquement infinie.
Dans la plupart des modèles théoriques de l'innovation, la structure temporelle des processus d'innovation est systématiquement ignorée. La production et l'innovation semblent être des actes simultanés. Pour l'École autrichienne, la dimension temporelle et évolutionniste de l'innovation est très importante. L'innovation suppose un processus séquentiel d'apprentissage, d'essais et d'erreurs, de plans de révisions, d'échecs de coordination et d'ajustement dynamique des processus. L'innovation est fondamentalement un processus de découverte et de création de ressources.

Erreur courante : l'innovation accroît le chômage

Cette erreur est largement répandue, y compris chez les "élites" dirigeantes. Par exemple un homme politique a déclaré ceci :
« Notre économie connaît des problèmes structurels attribuables au fait que beaucoup d’entreprises ont compris qu’elles peuvent être plus efficaces avec moins de travailleurs. Quand on va à la banque, on utilise le guichet automatique, on ne va pas au comptoir. À l’aéroport, on utilise la billetterie électronique plutôt que de s’enregistrer au comptoir. » (Barack Obama sur NBC en juin 2011)
Les innovations font disparaître certains emplois (en général peu qualifiés), mais elles en créent d'autres : il faut des ingénieurs pour les concevoir, des usines pour les produire et des travailleurs pour les mettre en œuvre. Refuser le progrès, c'est refuser que la productivité puisse être améliorée, et par conséquent que les coûts et les conditions de vie des gens puissent s'améliorer (une pensée aussi rétrograde est d'ailleurs une des motivations du protectionnisme : la volonté de maintenir coûte que coûte la situation présente). 



C) Power to the user: comment l’innovation remet la technologie dans les mains des utilisateurs

Une des caractéristiques de l’innovation est de simplifier et de rendre plus accessible des technologies qui autrefois nécessitaient des experts pour les manipuler. J’ai évoqué dans un article précédent le cas des tests de grossesse qui illustrent bien ce phénomène: alors que dans les années 60 il fallait faire appel à un médecin pour effectuer un tel test, celui-ci est désormais disponible dans n’importe quelle pharmacie pour 5 euros. L’évolution pour une technologie donnée se traduit donc par deux facteurs: un abaissement des coûts, et une simplification. Dit autrement, parce que la technologie se simplifie et devient de moins en moins chère, l’utilisateur a de moins en moins besoin d’un expert pour résoudre son problème.

C’est évidemment vrai dans le domaine informatique: il y a encore quelques années, développer un site Web marchand nécessitait d’engager un projet avec un budget conséquent. Aujourd’hui, avec des services comme Amazon Web Service, de nombreuses briques sont disponibles qui permettent d’abaisser considérablement le niveau technique nécessaire, et d’accélérer la vitesse de développement. Le développement d’outils, de briques prêtes à l’emploi, est un facteur supplémentaire d’abaissement des coûts et de simplification.
La disponibilité croissante d’outils puissants et peu chers a été a l’origine d’un premier phénomène, que les américains ont appelé « BYOD », ou « Bring your own device », apportez votre propre machine, une pratique qui consiste à apporter ses outils personnels pour les utiliser dans un contexte professionnel. Une telle pratique a plusieurs origines: d’une part, le fait que la « Police de l’équipement », c’est à dire le département informatique, soit toujours en retard d’une guerre frustre les utilisateurs à la pointe de la technologie. On met du temps à certifier des tablettes, à accepter les Macs, à accepter d’autres téléphones que les Blackberry, etc. La tension existe parce que là encore, les utilisateurs sont eux-mêmes souvent devenus experts dans certains domaines, et veulent avancer plus vite que ne le peut le service informatique. Ce dernier est contraint de respecter des protocoles et dans un univers de plus en plus normalisé obligé de respecter ces normes. Le développement de la cybercriminalité accentue encore la lenteur de l’informatique de plus en plus focalisée sur la sécurité et la conformité aux normes au dépend du service aux utilisateurs. Lorsque ce service est engagé dans une migration vers une nouvelle application ou une nouvelle plate forme, c’est encore pire.

Mais les utilisateurs ne peuvent attendre. C’est en particulier vrai des unités opérationnelles qui sont en contact avec les clients et qui n’en peuvent plus d’attendre pendant des semaines la mise à jour d’une page Web demandée au service informatique.

A la limite se développe un second phénomène que certains ont appelé le « shadow IT », c’est à dire un système informatique développé par les unités opérationnelles de façon autonome, et qui constitue donc une ombre du système informatique officiel, généralement englué dans des procédures très complexes. Le shadow IT constitue sans nul doute un risque, car il est développé par des amateurs, mais les entreprises doivent penser ce risque au regard des avantages qu’il procure: vitesse de développement, innovation guidée par les unité opérationnelles, pertinence des solutions,… en bref tous les avantages de l’innovation guidée par les besoins des utilisateurs, et pour cause, car cette innovation est réalisée par eux-mêmes. Le shadow IT est ainsi un vrai facteur d’agilité.

Une telle évolution ne laisse naturellement jamais les experts, qui se voient privés de leur pouvoir, et au final de leur utilité, insensibles. La dimension politique d’une telle évolution n’est donc pas à sous-estimer. L’entreprise elle fait face à un dilemme: un système échappant aux règles et méthodes validées, donc potentiellement dangereux, mais qui répond immédiatement aux besoin des unités opérationnelles. Cela étant dit il n’est pas évident que faire appel aux services d’Amazon, par exemple, soit plus dangereux qu’utiliser une application développée en interne… La vertu des outils et des briques est d’avoir été testée par beaucoup d’autres gens lorsqu’on les utilise. On bénéficie là de l’aspect de factorisation de l’outil standard.

Au final le shadow IT est une rupture parce qu’il redistribue les cartes au sein de l’organisation entre un service informatique dépositaire de l’autorité et de l’expertise mais qui cesse de plus en plus de répondre aux besoins des utilisateurs, et ces derniers qui disposent de plus en plus des outils et des connaissances pour résoudre simplement et rapidement leurs besoins. Il est également une rupture parce que son développement est une source d’opportunité pour tous les fournisseurs de technologie et de services qui sauront comprendre cette évolution en cours. Les fournisseurs traditionnels de systèmes et solutions informatiques se sont structurés pour répondre aux demandes de services informatiques, c’est à dire d’experts techniques. Répondre aux besoins d’amateurs nécessite des compétences et un état d’esprit tout à fait différents.


Sur la démocratisation de la technologie, lire mon article « Quand la technologie est source de rupture: le cas des tests de grossesse« . Sur l’importance des outils dans cette démocratisation, lire « Innovation: la démocratisation des outils est le vrai facteur de rupture« . Sur le shadow IT, voir l’article de Wikipedia: Shadow IT. Soir également « Bring your own device« .




Indépendance de l’Union européenne et technologies de souveraineté. Plaidoyer pour une Europe de la recherche.

Eric BIO-FARINA , le 1er décembre 2005.
Pertinence recherche 114
Le contrôle des technologies, qu’elles soient militaires, duales ou purement civiles, est l’un des enjeux essentiels des affrontements à venir. Pour être crédible et en mesure de (...) Lire la suite.



novembre 17, 2015

Dossier terrorismes et trafic d'armes

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Remerciement notamment à M. le Directeur, P. Verluise





Sommaire:

A) Trafic d’armes, l’étude des filières est une démarche majeure dans la compréhension des crises géopolitiques - Par Jean-Charles ANTOINE, le 14 novembre 2015 - Diploweb

B) Géopolitiques des terrorismes - Pierre VERLUISE, le 13 novembre 2015.

C) Terrorisme de Wikiberal

D) Droit au port d'armes de Wikiberal

E) L'attentat du 13 novembre 2015,La guerre est la santé de l'Etat - Par Bertrand Lemennicier



A) Trafic d’armes, l’étude des filières est une démarche majeure dans la compréhension des crises géopolitiques

Le trafic d’armes à feu est devenu emblématique de la marche d’une société. L’analyse géopolitique du trafic d’armes constitue le sujet d’étude transverse qui permet le mieux d’éclairer les véritables enjeux et désirs non dissimulés des acteurs de la géopolitique moderne.
IL y a de nombreux avantages à passer au crible les différentes opérations judiciaires, en France ou à l’étranger, visant à démanteler des filières illégales d’approvisionnement en armes au profit du grand banditisme ou de ce que nous pourrions nommer des « terroristes de voie publique  » [1]. Le premier avantage réside dans le fait de saisir des armes à feu et des munitions susceptibles de tuer des citoyens ou de commettre des actes criminels. La deuxième plus-value de ce type d’opération est la mise hors d’état de nuire des détenteurs illégaux eux-mêmes qui auraient probablement été sur le point d’agir dans l’illégalité (actes terroristes, braquages, réglements de comptes). Pourtant, il existe un troisième avantage souvent ignoré mais pourtant particulièrement crucial : celui de comprendre les mécanismes illicites et les enjeux qui sous-tendent l’action de ces individus dangereux. Cette dernière approche, plus sociétale, devient essentielle.

Rappelons que les filières du trafic d’armes - quels que soient leurs pays d’origine et mises à part quelques tentatives anecdotiques de fabrication artisanale d’armes comme l’a tenté l’ETA dans les années 1980 en désirant copier le pistolet mitrailleur Uzi – proviennent toutes sans exception des marchés légaux. Une arme à feu sort obligatoirement d’une usine de fabrication qui est elle-même le fruit d’une politique industrielle nationale ou privée légale à 99,99%. Il existe par conséquent une volonté réelle de faire « basculer » des armes des marchés légaux (dits « blancs ») vers les marchés illégaux (dits « noirs »), parfois en les faisant transiter par des marchés officieux voire clandestins mais encadrés par des Etats (dits « gris »).

Partant de ce constat, l’analyse des filières illégales, leur suivi, leur cartographie, bref l’étude complète du trafic d’armes à travers le monde, présente un intérêt tout particulier. Il laisse la possibilité de comprendre non seulement les mouvements officiels, officieux et clandestins d’armes et de munitions, mais également les différences entre les discours politiques et les actes sur le terrain par les Etats ou les groupes humains. Il permet de prendre en compte les filières illicites locales qui permettent aux populations de s’armer pour s’organiser en milices devenues des acteurs majeurs lors de tentatives de stabilisation post-conflits de régions entières. Mais plus généralement, comprendre le trafic d’armes oblige tout simplement à lancer les analyses dès la production légale, avec le suivi de ses évolutions techniques qui répondent à la fois aux besoins des combattants des armées et à ceux des Etats eux-mêmes dans leur recherche de puissance.

Les spécialistes actuels ont plutôt tendance à vouloir décrypter l’actualité par le prisme des discours et des actes. Et dans ce cadre, les transactions d’armes sont censées refléter les volontés des acteurs. Or, les situations sont de plus en plus brouillées depuis la fin du monde bipolaire, avec l’émergence d’un certain terrorisme de masse, depuis la création de l’Etat islamique présenté comme le califat sunnite qui renaît de ses cendres tel le Phénix sur fond de conflit israélo-palestinien sans fin prévisible. Les crises géopolitiques sont, nous le savons tous, un ensemble de paramètres évolutifs et complexes qu’il demeure difficile d’appréhender. Et à l’heure de la démultiplication du nombre d’acteurs dans les crises et à différentes échelles, lancer les analyses par le prisme des filières illégales d’armes permet de remonter jusqu’aux acteurs afin de mieux saisir tout l’enchevêtrement des facteurs de ces crises, et des groupes humains qui y interagissent, comme un jeu de piste pour lire le « dessous des cartes ».

Afin de mieux comprendre cette méthode quelque peu inversée par rapport aux études traditionnelles, partons des trois grands types de marchés pour faire ressortir toute l’importance de ces réseaux d’armement dans la marche du monde. Considérons successivement le marché « blanc » de l’armement, ou la recherche traditionnelle de puissance par les Etats-nations (I) ; puis les marchés « gris » des armes à feu et des munitions ou le désir d’influer sur l’évolution du monde sans en prendre la responsabilité (II) ; enfin le marché « noir » des armes, ou le renforcement permanent des acteurs non étatiques (III).

I. Le marché « blanc » de l’armement, ou la recherche traditionnelle de puissance par les Etats-nations

Les Etats-nations ont opéré, depuis les deux conflits mondiaux du XXème siècle, de profonds changements dans leur manière de faire interagir les décisions politiques et les forces armées. Alors qu’auparavant les hommes devaient s’adapter aux progrès techniques pour défendre la nation, depuis le début de la Seconde Guerre mondiale principalement, les usines de fabrication développent des programmes de recherches pour adapter les armements aux besoins des territoires d’engagement et des combattants eux-mêmes.

L’exemple du fusil d’assaut AK 47 illustre pleinement à ce titre cette évolution permanente. Lorsque Mikhaïl Kalachnikov, ingénieur soviétique blessé en convalescence pendant la Seconde Guerre mondiale, reprend en partie le mécanisme du fusil allemand Sturmgewehr 44 (le Stg 44), il fait évoluer l’arme et invente le fusil automatique Kalachnikov sous le nom « Avtomat Kalachnikov  » fabriqué officiellement dès 1947 d’où son appellation « AK 47 ».

Plus d’une décennie plus tard, afin de rationnaliser sa production, d’en réduire son coût et d’alléger son poids, Moscou lance officiellement la nouvelle version de ce fusil sous la forme de l’AKM 59, signe d’une commercialisation plus étendue de cette arme et d’une volonté d’exportation de son produit, donc également de son idéologie. En 1974, dans le but de répondre à un besoin des troupes soviétiques sur les champs de bataille asiatiques et africains, la firme soviétique Izmash lance une version plus courte tirant des munitions de calibre plus petit que le célèbre 7,62 mm. Naît alors l’AK 74 au calibre 5,45 mm afin de rivaliser avec le M16 américain.

Enfin, parallèlement à ce nouveau modèle, afin de répondre une fois de plus à un besoin opérationnel – dans ce cas la nécessité pour les troupes aéroportées soviétiques de se projeter rapidement sur des théâtres d’opérations avec un poids minimum – la même firme se met à produire l’AKS-74U de même calibre mais en version plus compacte et munie d’une crosse repliable [2]. Plus pratique, plus facilement transportable et dissimulable, ce fusil d’assaut devient l’arme d’assaut la plus efficace et verra son utilisation renforcée lors de la guerre en Afghanistan durant la décennie 1980.

Tout au long des quatre décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les chercheurs en armement léger ont su faire évoluer l’arme de départ dans le but d’adapter la réponse opérationnelle aux besoins des troupes armées, donc de la politique des Etats. Lorsqu’un Etat acquiert surtout des armes compactes il est à penser que ses dirigeants cherchent avant tout à privilégier les forces de projection rapide.


Comprendre la production légale d’un Etat permet de saisir à la fois les besoins propres de ses forces armées ou de ses forces de l’ordre, mais également de comprendre comment risquent d’évoluer les Etats acquéreurs, y compris à l’autre bout du monde, même sans réelle garantie de succès opérationnel. La volonté politique de projeter ses forces sur un théâtre particulier laisse donc transparaître tout un ensemble de données techniques qui sont posées sur le papier lors des cahiers des charges. Ainsi en va-t-il du fusil d’assaut français FAMAS. Alors que la France s’engageait plus en profondeur dans le froid des hivers balkaniques, et afin de correspondre aux exigences des normes OTAN, a été conçu le FAMAS G2 à partir de 1994. Il est reconnaissable par la suppression de l’arcade de ponter, qui protège la détente et le sélecteur de tir dans la première version de l’arme, et celle-ci est remplacée par une garde bien plus large censée protéger la main entière et permettre de tirer sans ôter son gant. Un tel fusil d’assaut modifié montre à quel point la France désire pouvoir projeter ses forces par grand froid (Bosnie-Herzégovine, Kosovo et par la suite Afghanistan) mais également lors de missions subaquatiques au moyen des troupes de commandos de marine.

Plus généralement, le choix du type d’armes et de sa production sont également particulièrement significatifs en politique internationale. Lorsque dans la lignée de la Division Internationale du Travail en 1961, Moscou confie à la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie et la Pologne le soin de fabriquer des armes légères, les seuls aspects de proximité géographique avec l’Europe occidentale et de positionnement face à la mer Noire pour exporter par voie maritime l’idéologie communiste à travers le monde ne suffisent à expliquer ce choix. Le manque de confiance envers ces peuples « frères » considérés par le Kremlin comme insuffisamment développés par rapport à la Biélorussie et l’Ukraine, et prompts à trahir, oblige les dirigeants du PCUS à laisser à ces peuples est-européens et balkaniques la fabrication d’armes simples et non stratégiques contrairement au nucléaire ukrainien et russe ou aux armes conventionnelles. Scruter le marché légal de l’armement léger laisse par conséquent la possibilité de détecter certains pans de la géopolitique mondiale ainsi que certaines représentations et idées reçues.

Au-delà de ces choix politiques, la production réelle en armement léger demeure une donnée significative des capacités budgétaires d’un Etat et de sa volonté à accorder ou non de l’importance à la défense de son territoire et des ses intérêts supérieurs. Les budgets alloués sont la marque la plupart du temps d’un désir ou non de se positionner comme une nation indépendante ou à défaut de se protéger sous un parapluie stratégique d’une autre nation plus puissante. Pour autant, il est important de ne pas exagérer cet aspect parce qu’un pays peut réduire son industrie d’armement léger et vouloir continuer à peser sur la marche du monde. La France a notamment fait ce choix il y a maintenant plus de deux décennies et ne possède plus d’industrie de fabrication d’armes d’assaut. Ses forces armées et ses forces de l’ordre s’arment auprès de firmes étrangères souvent européennes, comme ce fut le cas avec le Beretta italien ou le Sig Sauer SP2022 germano-suisse.

Mais de manière générale, lorsqu’un pays décide d’abandonner sa production d’armes, il accepte de faire passer le message selon lequel il met de côté certaines ambitions de puissance au moins régionales et se consacre à d’autres priorités. Le fusil Kalachnikov, qui aura connu de multiples versions à travers le monde, demeure le symbole inaltérable à l’heure actuelle du combat rebelle en général, du faible face au fort, du guerillero contre le soldat étatique, bref du « combattant de la liberté ». Ce symbole aura perduré à travers les décennies de la Guerre Froide jusqu’à nos jours, à tel point que de nombreux criminels se percevant comme rebelles face aux Etats centraux s’arment de tels fusils de nos jours.

Enfin, et pour conclure sur l’importance de déchiffrer les détails qu’offre la production mondiale d’armement léger afin de mieux saisir l’évolution de la marche du monde, il est nécessaire d’examiner les chaines d’approvisionnement « gris » pour analyser les enjeux des acteurs. De telles supply chains montrent soit le soutien apporté, et par conséquent le pays qui est à l’origine de l’armement de forces rebelles, soit le niveau de confiance des forces non conventionnelles dans la technologie choisie ou offerte. L’URSS pouvait se permettre de transporter son idéologie et augmenter son influence à travers le monde durant la Guerre Froide parce qu’elle savait pertinemment qu’elle pouvait s’appuyer sur une technologie fiable, solide, robuste, rustique et endurante des fusils d’assaut Kalachnikov et Dragunov longue portée. Laurent-Désiré Kabila, ex-Président de la République Démocratique du Congo, ne disait-il pas qu’il était « possible de mettre une Kalachnikov dans la boue puis dans l’eau et le sable et de la donner ensuite à un enfant pour qu’il tire  » ?

Signe d’adaptation à tous les milieux naturels, cette arme a véhiculé plus qu’une technologie. Le fusil d’assaut AK-47 a toujours emporté avec lui et exporté une véritable manière d’être, une idéologie de la résistance et du combat, et un témoignage de la confiance dans le matériel léger soviétique comme levier d’influence politique à travers le monde.

II. Les marchés « gris » des armes à feu et des munitions, ou le désir d’influer sur l’évolution du monde sans en prendre la responsabilité

Les distributions discrètes d’armes légères et de petit calibre, ainsi que de leurs munitions respectives par millions [3] au profit d’entités non nationales, ont toujours été un signe plus ou moins masqué de l’aide apportée, par un pays ou un groupe d’Etats, à des forces rebelles. Les filières ni totalement légales ni totalement illégales ont plusieurs buts pour un Etat : faire pression indirectement sur un pays tiers sans devoir se dévoiler officiellement pour pouvoir arriver à une table des négociations en situation favorable, jouer sur la marche du monde en montrant ses capacités de puissance à différentes échelles et finalement instiller ou projeter ses propres valeurs politiques à l’étranger. La Guerre Froide a connu de très nombreux exemples dans ce domaine. Mais cette technique n’a pas disparu depuis 1991, même si elle a su se renouveler dans ses méthodes de communication.

Dans la région du Biafra, dans la partie sud-est du Nigeria particulièrement riche en pétrole, du 30 mai 1967 au 15 janvier 1970 s’est développé un mouvement sécessionniste. Dirigé par le chef des Ibos, Odumegwu Emeka Ojukwu, les sécessionnistes ont abouti à une déclaration d’indépendance en 1967 qui avait pour finalité de décrocher la région du Biafra de l’ensemble de l’Etat fédéral nigerian. Les Ibos majoritairement chrétiens ou animistes éprouvaient le désir de s’émanciper largement de l’ethnie des Haoussas majoritairement musulmans. De très nombreux témoignages ont par la suite montré l’aide indirecte de la France, via le Portugal et Sao Tomé, dans l’appui en armes et mercenaires (dont les célèbres Bob Denard et Roger Faulques) au profit des Ibos dans le contexte de Guerre Froide de l’époque. La France désirait de son côté « affaiblir le géant nigerian  » selon les propres termes de Pierre Messmer alors ministre des Armées, en réponse aux protestations du gouvernement du Nigeria face aux essais nucléaires français à Reggane dans le Sahara algérien.

Trois décennies plus tard, durant la guerre en Bosnie-Herzégovine de 1992 à 1995, des livraisons d’armes officieuses ont été dénoncées par le journal américain le Los Angeles Time, lorsque les Etats-Unis auraient facilité de tels transferts à partir de l’Iran au profit des combattants bosniaques, ce que le président Bill Clinton avait démenti le 9 avril 1996. Toutefois, selon une étude du GRIP, à la fin du conflit, un responsable saoudien a confirmé que l’Arabie Saoudite avait financé à hauteur de 300 millions $ une opération d’approvisionnement en armes et munitions à destination des combattants bosniaques. Ces livraisons se seraient effectuées par voie routière à travers la Croatie et par voie aérienne par l’aéroport de Tuzla [4].

Dans le cadre du conflit actuel en Syrie, depuis l’hiver 2012-2013 et jusqu’à l’été 2013, des livraisons du même type, et officiellement déclarées par des Etats rassemblés au sein du groupe des Amis de la Syrie [5] sous l’égide du gouvernement qatari, ont été menées au profit des éléments de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Ces approvisionnements « gris », puisque non inscrits dans des accords commerciaux bilatéraux entre Etats reconnus, sont ciblés et ont pour finalité d’armer les rebelles syriens anti-Assad pour renverser le régime en place.

Ces livraisons « grises » du groupe des Amis de la Syrie marquent à ce titre un véritable tournant dans le domaine de la circulation « grise » des armes et munitions. En effet, alors que quelques décennies auparavant ces démarches étaient clandestines, elles sont désormais totalement assumées lorsqu’elles ont pour but d’apporter un modèle politique démocratique aux pays en guerre.

Cette évolution a pour but de donner une sorte de vernis philosophique et politique à des ambitions de puissance d’Etats désireux d’intervenir dans la marche du monde. Ces ambitions de puissance ont de leur côté pour corollaire une recherche d’équilibre des forces, qui pourrait amener un statu quo et éventuellement un arrêt des hostilités et par conséquent une baisse des décès sur le terrain.

Inversement, ces marchés « gris » sont parfois perçus par les populations comme déstabilisateurs. Pour une partie du peuple syrien, notamment les pro-Assad, ces livraisons interviennent comme des obstables de taille dans ce qu’ils considèrent comme une lutte anti-terroriste à l’intérieur de leur territoire, de la même manière que le ressentaient les troupes allemandes face aux Résistants durant la Seconde Guerre mondiale ou l’armée française face aux indépendantistes algériens jusqu’en 1962. Il est par conséquent intéressant de considérer les deux aspects de la question de ces livraisons, non pour y apporter un quelconque jugement de valeur, mais pour saisir tous les paramètres que ces livraisons d’armes et de munitions permettent d’expliquer ou engendrent.

Soutenir politiquement un mouvement rebelle indépendantiste au moyen de discours est une chose. L’aider en lui enjoignant des cargaisons entières d’armes à feu en est une autre. Et le pas franchi dans ce cas montre à quel point l’Etat (ou le groupe d’Etats) désire(nt) faire aboutir ses (ou leurs) ambitions. Le marché « gris » des armes légères et de petit calibre ainsi que celui des munitions est donc un prisme, une sorte de monoculaire, qui permet à la fois de connaître en détails les intentions des Etats, mais également de voir toute l’implication dont ils font preuve, ou pas, pour faire aboutir leurs ambitions.

Un dernier point dans ce domaine ne doit cependant pas être négligé. Contrairement à d’autres produits dont il peut être fait trafic, les armes ne sont pas à usage unique. Leur durée de vie est la plupart du temps très longue à partir du moment où leur entretien est assuré. Le renouvellement des marchés de l’armement léger, qui concernent des centaines de milliers d’emplois selon les pays, est toujours pris en compte par les gouvernements des Etats.

Ainsi, lorsque les anciens pays du Pacte de Varsovie ont effectué à partir de 1991 leurs transitions politiques, et que leur positionnement désormais sous le parapluie de l’OTAN les obligeait à adapter leurs armes à feu du calibre 7,62 mm au calibre 5,56 mm, des quantités astronomiques d’armes issues des anciens stocks militaires soviétiques ont pris le chemin des conflits africains. Ces mouvements ont permis d’une part un renouvellement des stocks mais également un renouveau de la production pour maintenir un emploi stable dans ces usines de fabrication. L’inverse aurait déstabilisé des pans entiers de ces économies nationales et aurait risqué de pousser les populations à vouloir revenir à la situation ante, à savoir le régime communiste.

Les filières clandestines existaient auparavant puisque des pays comme la Bulgarie, la Hongrie ou la Roumanie avaient déjà pour mission pendant la Guerre Froide de produire – depuis la Division Internationale du Travail en 1961 – et de fournir aux mouvements communistes révolutionnaires des armes et des munitions pour mener à bien leurs combats sur le terrain. Ces filières « grises » préexistantes ont donc tout naturellement facilité ces fournitures.

Les mouvements « gris » d’armement léger et de munitions sont donc un symptôme, celui de la volonté franche ou non des Etats de soutenir des entités politiques plus ou moins reconnues, mais également celui d’une situation sociale infra-étatique significative à un moment donné. Les embargos sont des décisions politiques susceptibles de freiner les livraisons d’armes, mais les contours définis de ces embargos sont les meilleurs atouts pour pouvoir les contourner à des fins politiques ou macroéconomiques.
L’analyse géopolitique du trafic d’armes, le suivi des filières illicites d’approvisionnement en armes légères et en munitions, ainsi que la compréhension du mécanisme global qui régit ce marché « noir » sont des fondamentaux de la géopolitique moderne.

III. Le marché « noir » des armes, ou le renforcement permanent des acteurs non étatiques

Par marché « noir » des armes et des munitions, il faut comprendre l’acquisition et la revente d’armes de différentes origines entre particuliers ou groupes de particuliers en dehors de toute légalité et de toute décision politique. A dire vrai, il est vraisemblable qu’aucun pays au monde n’est à l’abri de ce type de criminalité, quelles que soient les motivations des acheteurs. Les lois et les réglements étatiques étant par nature très différents d’un pays à l’autre, les filières du trafic d’armes à feu jouent de ces différences en traversant les frontières pour répondre à des besoins criminels ou d’autoprotection. Les filières d’approvisionnement ne sont alors en réalité que la concrétisation manifeste du désir de s’armer. Désir qui perdurera sans cesse si les Etats cherchent avant tout à éteindre les filières illicites plutôt que d’éteindre l’envie de les faire naitre.

D’anecdotique, le trafic d’armes à feu est devenu emblématique de la marche d’une société. Sur des théâtres d’opérations, de telles filières totalement clandestines et criminelles existent toujours. Cet état de fait est dû à l’absence de structures étatiques suffisamment fortes pour faire régner l’ordre et l’absence d’application d’un code pénal ayant cours sur ces territoires. Pour autant, même dans des zones totalement démocratisées et stables où un code pénal est appliqué, il arrive que des filières entièrement illicites prennent corps au profit des membres du grand banditisme local. Sans nécessairement établir un lien direct permanent entre ces deux types de territoires, il est absolument indéniable que les premiers d’entre eux – les territoires où les Etats sont faillis ou en guerre – servent de manière conséquente par la suite aux livraisons d’armes et de munitions à destination des seconds – les territoires aux structures nationales fortes – et l’actualité le met en exergue de plus en plus depuis deux décennies.

Divers acteurs non étatiques ont émergé au fil des décennies autour de ce thème du trafic « noir » d’armes. Leurs motivations étaient et demeurent totalement différentes les unes des autres : certains pour l’analyser et le comprendre, d’autres pour l’utiliser.

Des ONG toujours plus nombreuses sont nées du désir de combattre à travers le monde ces filières illégales d’approvisionnement. C’est le cas de Small Arms Survey (programme de recherche indépendant basé à Genève au sein de l’Institut Universitaire des Hautes Etudes Internationales depuis 1999) , dans la foulée d’autres ONG précédentes comme OXFAM (OXford committee for FAMine relief créée en 1942) ou Amnesty International (créée en 1961) qui avaient développé des départements internes pour analyser cette circulation des armes illégales au sein des conflits. Des groupes de chercheurs comme le GRIP (Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la sécurité créé à Bruxelles en 1979) en ont également fait un de leurs sujets majeurs de recherche.

Face à ces combats menés par des chercheurs ou des acteurs de la société civile, des trafiquants ont émergé à la suite de l’effondrement des deux blocs politiques majoritaires en 1991. Ces trafiquants se sont enrichis et certains même ont fait fortune en armant illégalement, à l’échelle d’un conflit entier ou uniquement au profit de simples membres des grands banditismes européens, des acteurs criminels en farouche opposition avec leurs Etats centraux. Les buts de ces acteurs sont soit l’enrichissement (trafic de drogues, d’êtres humains, de véhicules, d’organes…), soit la destruction des structures étatiques (le terrorisme de différentes religions ou idéologies). De manière exceptionnelle, une petite minorité de ces acteurs non étatiques sont parvenus, grâce à l’armement qu’ils avaient amassé et dont ils se servaient dans les combats sur le terrain, à constituer des Etats autoproclamés. Ce fut le cas de la République Autoproclamée de Transnistrie (1992), mais quelques années plus tard le Kosovo (17 février 2008) et de nos jours l’Etat Islamique (DAECH, 29 juin 2014).

Sans aucune reconnaissance étatique initiale, les responsables des groupes identitaires décidés à se « détacher » territorialement, politiquement et parfois religieusement de leur centre d’origine, sont parvenus à leurs fins grâce à la terreur qu’ils ont su instaurer au sein des populations, ou encore des batailles armées qu’ils ont su gagner face aux forces en présence. Le trafic d’armes leur a permis de constituer de manière durable de véritables armées, et par conséquent de pouvoir décider eux-mêmes, sans aucune approbation internationale, de la création d’un Etat. L’utilisation de la violence armée est donc (re)devenue constitutive de la création d’Etats.

L’enjeu du trafic d’armes et de sa compréhension est par conséquent de taille et nettement plus pesant qu’il ne pourrait y paraître : appréhender en profondeur ce phénomène consiste à regarder les outils de puissance des acteurs, quels qu’ils soient, par le prisme de leurs armes illégalement acquises. Car c’est bien de la puissance de feu qu’il est question, celle de l’adversaire en mesure ou non de mener les protagonistes d’un combat à la table des négociations avec plus ou moins d’avantages. Un adversaire sans grande puissance de feu et sans forte capacité d’approvisionnement durable et de mobilisation de ses forces est à coup sûr moins considéré et pris au sérieux qu’un acteur surarmé. Rappelons à ce sujet la célèbre phrase de J. Staline le 13 mai 1935 en réponse à une question du ministre français P. Laval portant sur le respect du catholicisme en Russie : « Le Pape, combien de divisions ?  ».

A l’inverse, à la table des négociations, un protagoniste bien armé et solide fait peur. Sa puissance de feu impressionne et possède plus de chances d’imposer ses exigences au potentiel vaincu. L’idée même des rapports de force et des luttes d’influence réside dans ce concept. En cela, l’analyse géopolitique du trafic d’armes, le suivi des filières illicites d’approvisionnement en armes légères et en munitions, ainsi que la compréhension du mécanisme global qui régit ce marché « noir » sont des fondamentaux de la géopolitique moderne.

Il serait même assez logique et cohérent de définir le marché « noir » d’armes à feu comme un des « thermomètres » du niveau de refus par les populations du modèle politique existant sur le territoire d’un Etat, mais également du niveau de confiance des populations dans ce même modèle politique censé les défendre. Si certains habitants s’arment illégalement par choix de la rivalité envers leur Etat central, cet acte signifie qu’ils ne lui reconnaissent plus aucune légitimité politique. Pour d’autres, par peur des acteurs illégaux versés dans les trafics juteux, s’armer illégalement constitue une sorte d’acte de courage car ils ne reconnaissent plus dans leur Etat la capacité à les défendre au quotidien. Des milices naissent alors, des caches d’armes conséquentes se constituent. Mais dans les deux cas, le fait d’acquérir une arme en dehors de la loi est le symptôme d’une forte rivalité naissante, voire d’un désir de changement de modèle politique, quand celui-là même est imposé de l’extérieur.

Au risque de verser dans une quelconque « lapalissade », la possession illégale d’une arme à feu est le fruit d’une volonté de détenir un outil de puissance de nature à faire peur à son adversaire. Cet adversaire peut être l’Etat, et par conséquent les différentes forces publiques qui le servent et font rêgner les lois et réglements, mais également l’adversaire commercial lors de transactions douteuses, ou encore l’oppresseur ou le groupe ressenti comme tel.

Quoiqu’il en soit, le trafic d’armes et son augmentation doivent être considérés comme des symptômes d’un changement, ou à défaut, d’une volonté de changement. Le marché « noir » des armes et de leurs munitions, issu nécessairement du marché « blanc » puisque, rappelons-le, chaque arme est fabriquée dans une usine légale, est une thématique qui permet de comprendre les volontés de puissance des divers acteurs géopolitiques à travers le monde. Plus encore que cela, l’analyse géopolitique du trafic d’armes constitue le sujet d’étude transverse qui permet le mieux d’éclairer les véritables enjeux et désirs non dissimulés des acteurs de la géopolitique moderne.

Avant de déterminer des solutions adéquates pour lutter contre le trafic mondial d’armes légères et de petit calibre, il convient de saisir toute l’ampleur de ce trafic, mais également de le considérer non comme un sujet d’étude en marge de la géopolitique classique, mais bien comme un thème susceptible d’éclairer toutes les facettes de la géopolitique mondiale actuelle : les désirs de puissance, les besoins de protection, le poids des actions officielles, officieuses ou clandestines, mais également de comprendre les tactiques utilisées. S’imaginer « faire » de la géopolitique sans prendre en compte les outils qui offrent de la puissance à ses acteurs risque de devenir désormais et pour longtemps un véritable non sens.

Il est plus que probable qu’une nouvelle forme de sécurité est en passe d’émerger sur l’échiquier mondial, sorte de compromis permanent entre les forces publiques et privées de sécurité ou une superposition entre les Etats et différents acteurs s’arrogeant un certain monopole de l’usage de la force armée. L’acquisition illégale d’armement léger renforce la puissance de ces acteurs non étatiques criminels. L’heure est peut-être venue de d’appréhender ce nouveau modèle sécuritaire en gestation sous ses aspects géopolitiques en développant une « géopolitique de la sécurité publique ». Ce nouveau prisme intellectuel permettrait d’analyser ce potentiel équilibre des forces mais également la répartition des acteurs de la sécurité ou de l’insécurité sur la voie publique, ainsi que les enjeux forts qui y sont liés.

Par Jean-Charles ANTOINE, le 14 novembre 2015

Docteur en géopolitique de l’Institut Français de Géopolitique Paris 8. Il est spécialisé sur le thème du trafic mondial d’armes légères et de petit calibre. Ses recherches actuelles portent sur l’adaptation de la méthode géopolitique aux missions des forces armées et des forces de l’ordre, et plus particulièrement sur le thème de la sécurité publique.





B) Géopolitiques des terrorismes

Sommaire:

Géopolitiques des terrorismes 
Contre-radicalisation : que faire ?
Westgate Shopping Mall à Nairobi, Kenya : une attaque contre un lieu emblématique d’une Afrique mondialisée
L’Iran face à la crise syrienne  
Djihadistes : quelles actions ?
De la torture  
La Direction du Renseignement Militaire (DRM)
Les défis du renseignement militaire  
D’Al Qaida à AQMI, de la menace globale aux menaces locales
Premières rencontres européennes sur la menace terroriste et la lutte contre le terrorisme
Crime organisé : géopolitique d’un phénomène criminel  
La dimension géopolitique des opérations spéciales  
La guerre iranienne contre le terrorisme. Le cas du Jundallah  
Assassinats par drones : un cadre juridique ambigu
Lutte contre l’Etat Islamique : ambiguïtés, faux semblants et opportunités
Non, les Occidentaux ne doivent pas intervenir militairement au Moyen- Orient
Le Yémen en crise. Essai d’analyse géopolitique  
Géopolitique des risques. Jean-François Fiorina s’entretient avec Xavier Raufer
Al Qaida au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d’une menace complexe  
A-C Larroque, "Géopolitique des islamismes", Puf

Afin de lire ces différents chapitres de multiples auteurs spécialistes, merci de cliquer ICI
Géopolitiques des terrorismes
La Compil’ 1. Géopolitiques des terrorismes
Voici un livre pdf composé de 19 contributions, dont G. Chaliand, P. Conesa, B. Puga... ISBN : 979-10-92676-01-3

Pierre VERLUISE, le 13 novembre 2015.




C) Terrorisme de Wikiberal

Le terrorisme consiste en la pratique, par une personne, un groupe ou un État, de crimes violents destinés à produire sur leur cible (la population) un sentiment de terreur, souvent bien supérieur aux conséquences réelles de l'acte. Le terrorisme vise la population civile en général ou une de ses composantes, une institution ou les structures d'un État. L'objectif peut être d'imposer un système politique, de causer des destructions à un ennemi ou de déstabiliser une société, d'obtenir la satisfaction de revendications politiques, religieuses, racistes, séparatistes, etc.
Raymond Aron définit le terrorisme ainsi :
Une action violente est dénommée terrorisme lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques.
Partout et de tout temps, on observe que le terrorisme est le meilleur allié de l'accroissement de la coercition du pouvoir d'Etat ; il est d'autant plus nécessaire, en période de tension, de ne pas fléchir sur les principes de base des sociétés libérales.

Origine

Le mot terrorisme (ainsi que terroriste et terroriser) est apparu pour la première fois au XVIIIe siècle, durant la Révolution française, pendant le régime de la Terreur, lorsque le Comité de salut public dirigé par Robespierre exécutait ou emprisonnait toutes les personnes qui étaient considérées comme contre-révolutionnaires.
Le mot a plus tard évolué pour désigner aujourd'hui les actions violentes visant spécifiquement les populations civiles, faites dans le but de détruire, tuer et de mutiler. Les terroristes privilégient en effet les cibles civiles plutôt que les opposants armés.
Ces attaques ont pour but de promouvoir des messages à caractère politique ou religieux par la peur, ce qui différencie le terrorisme des actes de résistance visant à se libérer d'une occupation en détruisant les institutions politiques des occupants ou en assassinant ses représentants.

Les différents types de terrorisme

Il existe trois grands types de terrorisme :
  • le terrorisme individuel (nihiliste)
  • le terrorisme organisé (extrême-gauche, extrême-droite, islamisme)
  • le terrorisme d'État.
La terreur d'État a fait dans l'histoire beaucoup plus de victimes que la terreur d'en bas, celle du faible contre le fort.
Le premier épisode terroriste connu, rapporté par Flavius Josèphe, est celui des Zélotes, qui luttent en Palestine au Ier siècle après J.-C. contre l'occupant romain. La secte ismaïlienne des Assassins se fait connaître par ses actions violentes en Iran et en Syrie du XIe au XIIIe siècle. Autour de 1860, les mouvements nihilistes développent des actions terroristes en Russie. 


Terrorisme intellectuel 

Le terrorisme intellectuel est la pratique qui, au moyen d'arguments et de procédés intellectuels (conformes en général à la liberté d'expression), vise à intimider pour empêcher la formulation d'idées gênantes. C'est une censure idéologique qui vise à empêcher de parler de tout ce qui ne rentre pas dans les grilles de l’idéologie, et qui sera dénoncé par le politiquement correct comme étant un dérapage. C'est un moyen de favoriser ses propres idées et donc soi-même en tant qu'incarnation de ces idées (intellectuel défendant son statut, parti visant la conquête du pouvoir). La politique est un des domaines privilégiés du terrorisme intellectuel, mais la culture, l'enseignement, etc. n'en sont pas exempts.
« Le terrorisme intellectuel, ce sont les moyens que mettent en œuvre ceux qui savent très bien qu'ils ont tort pour empêcher que les objections les atteignent. Ils n'ont pas d'autres méthodes. »
    — Jean-François Revel
« Qu'appelle-t-on terrorisme intellectuel ? Le fait de vouloir déconsidérer une personne qui exprime des opinions au lieu de les réfuter par des arguments. »
    — Jean-François Revel
« C'est un système totalitaire. Mais d'un totalitarisme patelin, hypocrite, insidieux. Il vise à ôter la parole au contradicteur, devenu une bête à abattre. À abattre sans que coule le sang : uniquement en laissant fuser des mots. Les mots de la bonne conscience. Les mots des grandes consciences. Les mots qui tuent. »
    — Jean Sévillia, Le terrorisme intellectuel : De 1945 à nos jours, éd. Perrin, 2004
Parmi les procédés habituels qui sont au cœur du terrorisme intellectuel : l'emploi de la censure, de sophismes, le relativisme, le polylogisme (l'opinion ne compte pas, c'est la situation sociale de celui qui parle qui compte), la diabolisation, l'emploi de motvirus ("ultra-libéralisme", "néolibéralisme" ), les obstacles moraux au consentement, la dénonciation d'un "complot libéral", etc.
En France, il existe plusieurs procédés de terrorisme intellectuel utilisables facilement pour éviter tout débat :
  • le classique "point Godwin" qui consiste à mettre son adversaire sur le même plan que les Nazis (argument ad hominem utilisé quand l'adversaire est à bout de ressources) ;
  • spécifiquement français, le "point Poujade" permet de clore tout débat sur la fiscalité ou le rôle de l'État : "tu n'es qu'un égoïste ordinaire, tu veux seulement payer moins d'impôts" ;
  • le "point fasciste" est souvent une conséquence logique du "point Poujade" : "tu es contre la solidarité et pour le darwinisme social". George Orwell observait (déjà à l'époque du fascisme) que « le mot fascisme n’a plus aucun sens, si ce n’est dans la mesure où il recouvre quelque chose d’indésirable ».
  • le "point c-u-l" ("c'est ultralibéral") : quand les procédés précédents apparaissent trop datés et trop usés, l'accusation inusable d'"ultra-libéralisme" permet de qualifier l'adversaire d'extrémiste, comme si la liberté (confondue avec l'anomie) relevait d'une idéologie arbitraire, tolérable tant qu'elle ne serait pas "extrémiste".
Voir aussi La gauche en France

D) Droit au port d'armes de Wikiberal 

Pour la plupart des libéraux, le droit de porter des armes relève de la liberté individuelle et du droit à l'auto-défense. Il serait absurde, pour un libéral, de défendre le droit à la vie, et en même temps d'empêcher les personnes de se défendre comme elles l'entendent.
Comme dans le cas de l'interdiction de la drogue, la prohibition ne profite qu'à ceux qui ne la respectent pas (marché noir, trafics), tandis que ceux qui se conforment docilement à la loi sont les premières victimes. 

Raisons de l'interdiction du port d'armes

L'État trouve intérêt à réprimer le droit au port d'armes pour des raisons de "sécurité publique". Quand bien même l'État aurait légitimité à protéger les gens d'eux-mêmes (un paternalisme que les libertariens refusent), force est de constater sa défaillance quotidienne à protéger les citoyens des délits et crimes. L'État, qui est le plus grand acheteur (ou vendeur) d'armes, bombes, missiles, avions de chasse, etc., est mal placé d'un point de vue moral pour défendre une telle interdiction. La prohibition du port d'armes participe à la réduction des libertés, l'histoire montre qu'il s'agit là d'une des premières décisions que mettent en œuvre les dictatures (par exemple le nazisme en 1933[1]).
La raison cachée de l'interdiction du port d'armes est le risque de rébellion de la population (ou d'une partie de la population) contre l'oppression étatique. La propagande étatique dissimule cette vraie raison en invoquant le prétexte du risque d'une augmentation de la criminalité si le port d'armes était libre. L'examen du droit positif au fil de l'histoire montre clairement cette raison cachée, comme le prouve l'interdiction de port d'armes uniquement pour la population noire des États-Unis au XIXe siècle, ainsi que pour les Indiens en Inde sous la colonisation britannique.

Objections courantes 

  • Le port d'armes n'est défendu que par quelques « fêlés de la gâchette ».
C'est un argument ad hominem classique : n'osant pas attaquer un droit légitime, on attaque ceux qui défendent ce droit. Les policiers et les soldats sont-ils des "fêlés de la gâchette" ? On peut retourner l'argument contre ceux qui l'emploient en procédant comme eux à une attaque ad hominem : ils souffrent d'hoplophobie, peur irrationnelle des armes à feu et des personnes armées.
  • Légaliser la vente, la détention et le port d'armes, c'est accepter que les gens se fassent justice eux-mêmes.
La légitime défense n'a rien à voir avec le fait se faire justice soi-même. Elle consiste à utiliser la force en dernier recours pour empêcher ou stopper une agression. "Cette loi dit que tout moyen est honnête pour sauver nos jours, lorsqu'ils sont exposés aux attaques et aux poignards d'un brigand et d'un ennemi : car les lois se taisent au milieu des armes ; elles n'ordonnent pas qu'on les attende, lorsque celui qui les attendrait serait victime d'une violence injuste avant qu'elles pussent lui prêter une juste assistance" (Cicéron).
  • Le port d'armes libre profite aux criminels (ou aux déséquilibrés).
Les criminels se soucient peu de la loi et pourront toujours être armés (dans tous les pays où le port d'armes est limité, il y a un marché noir des armes très actif et assez facile d'accès[2]) ; en réalité la prohibition profite avant tout aux criminels, leurs victimes étant désarmées. Aux États-Unis, la logique qui interdit le port d'armes sur un campus quand n'importe qui peut y pénétrer et tirer sur des gens désarmés (« tueries scolaires ») est criminelle. Il faut noter que dans l'esprit des révolutionnaires de 1789, établir un contrôle des armes revenait à instaurer de nouveau des privilèges :
« Il est impossible d’imaginer une aristocratie plus terrible que celle qui s’établirait dans un État, par cela seul qu’une partie des citoyens serait armée et que l’autre ne le serait pas ; que tous les raisonnements contraires sont de futiles sophismes démentis par les faits, puisque aucun pays n’est plus paisible et n’offre une meilleure police que ceux où la nation est armée. »
    — Assemblée nationale, séance du mardi 18 août 1789,, Le Moniteur universel, n° 42, p. 351
Mirabeau était d'avis d'inscrire ce droit dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen, il avait même proposé l'article 10 suivant (article 11 dans les Mémoires de Mirabeau) :
« Tout citoyen a le droit d’avoir chez lui des armes et de s’en servir, soit pour la défense commune, soit pour sa propre défense, contre toute agression illégale qui mettrait en péril la vie, les membres ou la liberté d’un ou plusieurs citoyens. »
Cependant, les membres du Comité des Cinq[3] considérèrent que « le droit déclaré dans l’article 10 non retenu était évident de sa nature, et l’un des principaux garants de la liberté politique et civile que nulle autre institution ne peut le suppléer »[4]
  • Le port d'armes libre augmente la criminalité.
On constate que la légitime défense a un effet dissuasif, les pays (États-Unis, Suisse…) où règne une relative liberté de port d'armes, sont aussi des pays plus avancés que le reste du monde du point de vue du respect des libertés individuelles et n'ont pas une criminalité supérieure, au contraire. D'après Pierre Lemieux, les taux de crimes violents sont 81% plus élevés dans les États restreignant plus sévèrement le port d’armes[5].
Il est en fait très difficile d'établir une corrélation entre la quantité d'armes à feu en circulation et le taux d'homicide. Des pays où les armes à feu sont interdites ont des taux d'homicide bien supérieurs à celui des États-Unis. En Suisse, le port d'armes est resté libre de 1848 à 1998, et la première fusillade de masse n'est survenue qu'en 2001 (14 morts le 28/09/2001 au parlement de Lucerne) deux ans après la prohibition du port d'armes passée au niveau fédéral en 1999. On estime qu'il y a encore dans ce pays de 4 à 6 millions d'armes à feu pour une population de 8 millions d'habitants. 
  • Puisque la fonction d'une arme à feu est de tuer, elle devrait être interdite.
Cette conception souvent avancée est erronée. Une arme à feu peut également avoir comme fonction de menacer un agresseur dans le but de se défendre (ou seulement de le blesser pour le mettre hors d'état de nuire). Un usage passif, à but défensif, de l'arme à feu est parfaitement légitime, n'enfreint les droits de personne et permet au contraire de protéger ceux de son propriétaire. Tuer n'est en réalité qu'une des fonctions possibles d'une arme à feu au même titre que pour les voitures par exemple (on peut se servir d'une voiture pour écraser quelqu'un, mais les voitures ne sont pas prohibées pour autant). Si les armes à feu devraient être interdites parce qu'elles permettent de tuer des gens, on ne voit pas pourquoi cette interdiction ne concernerait pas également les policiers, les gendarmes et les militaires, qui doivent souvent tuer des malfaiteurs ou des ennemis.
  • Les gens armés menacent l'ordre en réduisant l'efficacité d'intervention de la police.
C'est plutôt l'inverse qui se passe. Il y a moins de raisons pour la police d'intervenir dans un environnement auto-dissuasif, où les malfaiteurs savent qu'ils ne sont pas mieux armés que leurs victimes potentielles. Ensuite, cela rétablit un certain équilibre des forces : la police ne peut plus devenir un instrument de coercition et d'arbitraire.
  • Le port d'armes entraîne de la part de l'État une surveillance accrue des citoyens, car la population devient alors une menace bien plus importante pour la sûreté de l'État en cas de troubles ; ainsi si le libre port d'armes augmente la liberté individuelle, il entraîne la réduction d'autres libertés.
Ce point de vue est infirmé par les divers classements mondiaux (dont Reporters Sans Frontières) des pays du point de vue du respect des libertés individuelles ou du point de vue de l'indice de démocratie de The Economist Group. Le port d'armes s'intègre de façon cohérente dans l'ensemble des libertés individuelles ; dès lors qu'il est autorisé, il serait incohérent de voir les libertés restreintes sur d'autres plans d'importance égale. 

 
E) L'attentat du 13 novembre 2015, la guerre est la santé de l'Etat

L’État d'urgence, le Congrès de Versailles, les prémisses d'une déclaration de guerre "officielle" à Daech ? A quoi cela sert-il de déclarer la guerre à des groupes privés qui ne sont pas des États ?

Alger 1957, autres temps, mais même problème, même sauvagerie et les islamistes étaient déjà là avec le FLN, mais comme le disait Yacef Saadi, c'était pour la bonne cause: l'indépendance et la sécession d'avec l’État français.

La nature profonde des États est de faire la guerre. Cela permet d'étendre les pouvoirs des hommes qui nous gouvernent et de les concentrer dans les mains de quelques uns d'entre eux. De toute façon, ils font constamment la guerre soit aux autres États et s'il n'y en a pas ils la font à leurs propres concitoyens (la guerre, la drogue, le tabac, les armes, les trafiquants en tous genres, le chômage, les hauts revenus etc.). Paradoxalement au lieu d'emporter ces divers combats, ils ne font que les accroître. Ce qui fait dire à beaucoup de gens que l’État moderne n'est pas la solution mais le problème.

Dans leur quête du pouvoir absolu, les gouvernants nous privent de nos vies soit en nous tuant massivement et brutalement (dictatures), soit en taxant massivement nos moyens de vivre (démocraties). En fait entre Bashar al Assad et François Hollande, la différence n'est pas si sensible qu'on veut nous fe faire croire puisque l'un tue par les armes une fraction de sa population au profit d'une autre pour préserver son pouvoir et celui de son clan (les Alouites) et l'autre vole une fraction de sa population (les riches) au profit de sa clientèle électorale, ils ont en commun de commettre tous deux des actes politiques qui constituent une violation flagrante des droits naturels et imprescriptibles de l'homme : "Article II du préambule de la constitution de la V ième République :

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme, ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression").

Le problème du terrorisme contemporain au moyen orient, et dans le reste du monde, est le produit de l’État moderne occidental. Il est donc illusoire d'attendre de cette institution une solution. Il est ironique qu'un groupe privé religieux, dit islamique, aux idéaux universalistes, s'empare de territoires et y installe sa loi mettant en échec les frontières des États locaux modernes issus des accords secrets "Sykes-Picot" de 1916 entre anglais et français. Ces entités n'ont jamais été des États-nations, en dépit de la volonté de certains (Lawrence d'Arabie) de créer une nation arabe. Tant que les occidentaux refuseront l'émergence spontanée d'une fragmentation par sécession des États du Moyen Orient en plus petits États, homogènes à la fois religieusement, culturellement et politiquement, (la République Alaouite de Bachard el Assad avec le soutien des Russes, s'il n'arrive pas à reprendre le contrôle des grandes villes comme Aleps, Oms et Damas -le reste de la Syrie n'est qu'un grand désert-. L'autre formule, fragile, est celle du Liban avec une forme de partage politique du pouvoir entre les diverses communautés religieuses qui font de cet État un État qui n'a rien d'occidental, les islamistes vaincront. 
 
Le Djihad est une guerre juste du point de vue des islamistes "ad Bellum" et injuste "in Bello" car son arme essentielle est de tuer un maximum de tiers innocents. Les occidentaux répondent par une guerre injuste "ad Bellum" (en voulant exporter par les armes, s'il le faut, un régime politique démocratique, comme si la démocratie majoritaire était le meilleur des régimes politiques) et une guerre juste "in Bello" en évitant le plus possible de frapper des tiers innocents. Cette asymétrie n'est pas à l'avantage des occidentaux car une guerre doit être juste à la fois "ad Bellum" et "in Bello). Le terrorisme paradoxalement renforce chez les hommes politiques la prétention de faire une guerre juste en utilisant les concepts de droit naturel de" légitime défense et de droit de suite (intervention au sol en Syrie), concepts dont ils interdisent l'utilisation à leurs propres concitoyens en contrôlant le droit de porter et d'utiliser les armes et en décidant eux-mêmes, si vous utilisez votre arme légalement obtenue, pour vous défendre, si vous étiez vraiment en état de légitime défense et si votre riposte est proportionnelle au dommage attendu ! 
 
Le plus simple semble-t-il, mais c'est sans doute trop tard, eut été de laisser ces États locaux régler leurs problèmes entre eux sans intervention occidentale.
 
Bertrand Lemennicier
 
La lutte contre le terrorisme par Bertrand Lemennicier, janvier 2013
Guerre et Politique étrangère par M. Rothbard, 1978
La notion de guerre juste par Bertrand Lemennicier, mars 2003
Le terrorisme et le 11 septembre 2001 par Bertrand Lemennicier 2001
Légitime défense et droit de porter des armes par Pierre Lemieux 1993



 
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