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Sommaire:
A) Le libéralisme intégral veut-il la fin de toute communauté humaine ? par Charles Beigbeder
B) CINQ ATTITUDES LIBERTARIENNES
ESSENTIELLES - QL - par Martin Masse
A) Le libéralisme intégral veut-il la fin de toute communauté humaine ?
On aurait tort de regrouper sous
l’étiquette « libérale » tous ceux qui défendent la liberté
d’entreprendre contre l’omniprésence de l’État dans la vie économique et
la multiplication des règles en tout genre. Beaucoup de ceux qui
souhaitent libérer l’économie française de sa tutelle étatique ne sont
pas, loin s’en faut, les adeptes d’un libéralisme politique absolu où
l’État est réduit à une instance de promotion des désirs individuels de
chacun. Ils assignent, au contraire, à l’État la mission de perpétuer la
France et de garantir le bien commun de la nation.
Seule une minorité de « libéraux »
prétend limiter le rôle de l’État à la satisfaction des désirs
individuels. Parmi eux, le jeune philosophe Gaspard Koenig, président du
think thank Génération libre, qui, dans sa chronique du 16 décembre publiée pour L’Opinion,
défend une vision du droit qui se rattache directement à
l’individualisme libéral, dans le droit fil des théories du contrat
social de Hobbes, Locke et Rousseau.
Il affirme en effet que « c’est en
se mettant au service de l’individu et de sa liberté de choix, et non en
fantasmant un projet de société holiste, que l’État se trouve dans son rôle légitime »,
le holisme consistant justement à appréhender la société dans son
ensemble, indépendamment de la simple addition de chaque individu.
De même que l’intérêt général n’est pas
la somme des intérêts particuliers, il est dangereux de mettre la
société au seul service de « l’individu et de sa liberté de choix »,
sans référence à un projet de société qui dépasse les contingences de
chacun. Affirmer que la société n’existe que pour satisfaire les désirs
individuels de chacun revient en effet à tuer tout esprit public,
limiter tout sens du bien commun et affaiblir tout projet national.
D’abord, une telle idéologie part du
principe que la finalité des hommes n’existe qu’au niveau qu’individuel,
la société n’étant qu’un moyen de permettre un épanouissement relevant
avant tout de la sphère privée, dans la droite ligne de Benjamin
Constant pour qui « notre liberté à nous doit se composer de la jouissance paisible de l’indépendance privée ».
Or, l’homme n’a-t-il qu’une finalité individuelle ? N’est-il pas aussi
et avant tout un être social ? Notre liberté ne consiste-t-elle donc pas
à désirer communier avec nos semblables autour d’un esprit public ? En
réduisant le rôle de l’Etat à un gendarme, gardien des intérêts privés
de chacun, Gaspard Koenig montre qu’il n’assigne à l’homme qu’une
finalité individuelle, la sociabilité n’étant chez lui qu’une fonction
accidentelle de l’homme et non sa nature ontologique.
Par ailleurs, soumettre toute règle
sociale au désir individuel et passager de chacun, c’est oublier
l’inscription de l’homme dans le temps et son enracinement dans une
histoire qui l’a façonné et dont il est pétri, même quand il souhaite
s’en affranchir. Ce long travail du temps a forgé des institutions et
des mentalités qu’un caprice individuel ne peut balayer au moindre
prétexte. De même qu’une nation n’est pas composée uniquement des
vivants mais qu’elle s’étend aussi à tous les morts (« La terre et les morts »
selon Maurice Barrès), il est illusoire de vouloir gouverner en se
fondant sur les seuls désirs fugitifs d’une majorité de circonstance,
sans tenir compte du poids de l’histoire dans la constitution de notre
propre identité. Cela n’exclut nullement une évolution du droit ; cela
signifie simplement que l’Etat ne doit pas se situer uniquement sur le
registre de l’instantanéité d’une décision et de l’immédiateté du temps
présent, sans se soucier des bouleversements que cela peut impliquer.
L’Etat est aussi le gardien d’une mémoire collective, il ne gère pas que
des intérêts particuliers.
Enfin, si l’Etat n’est qu’une
institution destinée à arbitrer les désirs individuels de chacun, rien
n’interdit que soient légalisées des pratiques que la morale commune ou
que le simple bon sens réprouvent. C’est ainsi que Gaspard Koenig plaide
en faveur de l’assouvissement des désirs les plus fous, pourvu qu’ils
soient libres et ne lèsent personne, par exemple la gestation pour
autrui,« une pratique qui ne nuit à personne, repose sur le libre
consentement d’individus majeurs, et reste dissociée des questions de
filiation » (sic).
Sans entrer dans la contestation de ses
allégations (la GPA ne nuit-elle vraiment à personne ? Est-elle
réellement dissociée des questions de filiation ?), il est fondamental
de comprendre les dangers d’une telle vision du droit qui se rattache
directement à l’article 4 de la déclaration des droits de l’Homme et du
citoyen selon lequel « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »,
sans autre forme de régulation que ce soit. Si les frontières de la
liberté sont aussi vastes, alors, le droit peut tout autoriser tant
qu’on ne porte pas préjudice à autrui.
Mais ce seul critère est-il suffisant ?
Le droit ne peut-il être défini que négativement, ses seules limites se
situant dans les dommages potentiels de son application à autrui ? Le
restreindre ainsi, c’est construire une société a minima, fondée non
plus sur un héritage commun et un idéal partagé mais sur une ligne de
front séparant deux ennemis potentiels. Cela revient à considérer que
les hommes n’ayant d’aspirations qu’individuelles, le droit n’existe que
pour trouver un modus vivendi entre des individus aux intérêts
potentiellement antagonistes, animés chacun par un hubris démesuré que
vient encadrer une législation qui ne fait que fixer des balises
extérieures à l’action des hommes. La définition de l’Etat-gendarme en
somme.
Prôner une telle vision du droit, c’est
partir implicitement d’un constat d’échec, c’est avoir renoncé à toute
forme de communion supérieure entre les hommes, c’est organiser
juridiquement la société en partant du principe que chacun ne cherche
que son seul intérêt, sans aucun idéal transcendant. Certes, le droit
n’est pas la morale mais il est plus vaste qu’un simple fil barbelé
entre les hommes. Pour Celse (IIème siècle ap. JC), le droit est ce qui est bon et équitable (« jus est ars boni et aequi »), pour saint Thomas d’Aquin (XIIIème siècle), il est ce qui est juste (« jus est id quod justum est »).
Il est toujours la recherche d’une certaine perfection. Ce n’est que
lorsque la société est complètement délitée qu’il se limite au tracé des
frontières.
Au final, adopter une telle définition
du droit, c’est rêver d’une société où chacun se contente d’habiter chez
soi, sans communion réelle avec ses semblables, sans racines et sans
histoire. Une société qui procède du contrat librement conclu par les
citoyens, librement révocable à chaque instant, où chacun est
interchangeable. La société de l’individu-roi, où tout désir peut
trouver une forme de consécration juridique. Le contraire d’une société
enracinée.
par
Charles Beigbeder
Source: Le libéralisme intégral veut-il la fin de toute communauté humaine ?
B) CINQ ATTITUDES LIBERTARIENNES
ESSENTIELLES
Le libertarianisme n'est pas qu'une théorie économique. C'est
aussi une philosophie de l'évolution humaine, une éthique
des rapports entre les individus et une attitude générale
devant la vie. C'est aussi une « psychologie »
différente de celles qui caractérisent les socialistes, les
conservateurs, les réactionnaires et les collectivistes de tout
acabit.
On peut devenir libertarien pour des motifs purement logiques, parce qu'on
a compris la validité des préceptes économiques de
libre marché ou l'importance cruciale de la liberté individuelle
dans le développement de la civilisation. Mais ces explications
rationnelles, aussi convaincantes soient-elles, n'ont souvent aucun effet
sur certains individus parce que ceux-ci ont une attitude générale
face à la vie, face à leur propre personne et aux autres,
qui en bloque l'appréciation rationnelle. À l'inverse, de
nombreux lecteurs du QL nous ont témoigné avoir découvert
qu'ils étaient libertariens en nous lisant, même s'ils ne
connaissaient rien jusque-là de la philosophie libertarienne, parce
qu'ils trouvaient simplement que cela correspondait à leur personnalité
ou à leur manière d'appréhender les choses de façon
intuitive.
Pour ceux et celles que les multiples courants d'idées laissent
confus et qui ne sont pas certains d'avoir des atomes crochus avec la pensée
libertarienne, ou pour ceux qui demeurent indécis et voudraient
s'assurer qu'ils en ont bien, voici cinq attitudes essentielles à
la psychologie libertarienne. Si vous vous reconnaissez dans chacune d'elle,
bravo, il y a de forte chance que vous soyez un libertarien ou une libertarienne
dans l'âme; si vous les trouvez idiotes, fausses ou non pertinentes,
pas de chance, vous pataugez encore dans les marécages idéologiques
où l'humanité s'est embourbée depuis des millénaires;
si toutefois vous les trouvez intéressantes mais que vous êtes
forcé d'admettre que vous tendez souvent vers le contraire à
cause de vieux réflexes ou des pressions de votre entourage, ne
désespérez pas! En ce début d'année, c'est
le temps de prendre de bonnes résolutions, et ces attitudes méritent
d'être cultivées par tous: non seulement parce qu'elles sont
adaptées à l'esprit libertarien, mais plus simplement à
cause de leur valeur universelle comme source de bonheur et d'équilibre
psychologique.
Les voici donc, sans ordre particulier, et bien sûr sans aucune prétention
à offrir une liste exhaustive:
1- assumer ses choix et cesser de rejeter
la responsabilité de ses actions sur les autres
| |
On pourrait difficilement trouver une attitude psychologique plus représentative
de l'esprit individualiste libertarien que celle-ci. Les libertariens croient
fermement qu'au-delà des influences du milieu et des déterminismes
de tout genre, les individus sont ultimement responsables des choix qu'ils
font et de la situation dans laquelle ils se trouvent. Ils doivent en assumer
les conséquences, bonnes ou mauvaises, sans se plaindre ni en rejeter
la faute sur les autres. Bref, la liberté individuelle ne peut pas
être dissociée de la responsabilité individuelle.
Au contraire, ceux qui, dans leur vie personnelle, ont toujours tendance
à se sentir victime, à justifier leurs problèmes en
invoquant une situation spéciale, à chercher des boucs émissaires,
à se fabriquer des excuses, à rejeter la faute sur «
le système », sont des étatistes
en puissance et des candidats idéaux pour un Prix béquille.
Comme les multiples pleurnichards et losers qui peuplent notre société,
cette attitude les conduit naturellement à chercher des responsables
ailleurs pour expliquer leurs propres échecs et à demander
des compensations, des rectifications, des reconnaissances de leur situation
particulière, de l'aide et des privilèges spéciaux.
Nul doute que c'est d'abord et avant tout à l'État, ce sauveur
universel responsable de tout – puisque les individus ne sont, de ce point
de vue, responsables de presque rien – qu'il reviendra de rectifier les
choses et de s'occuper d'eux.
2- voir l'aventure humaine avec optimisme
Les libertariens ont confiance dans l'ingéniosité et le sens
de l'initiative des humains. Ils croient que si on laisse les gens libres
d'agir dans leur propre intérêt pour trouver des solutions
aux multiples défis et problèmes auxquels ils sont confrontés,
si les bonnes mesures incitatives sont présentes, la grande majorité
s'empresseront de le faire de façon dynamique, productive et souvent
astucieuse. Toutes les périodes de l'histoire caractérisées
par le progrès l'ont été parce que les individus étaient
libres de mener à bien leurs rêves et leurs désirs
sans entraves majeures. Et si l'on observe l'évolution humaine depuis
la révolution agricole du Néolithique il y a 10 000
ans, on se rend compte que la seule constance est la capacité des
membres de notre espèce à inventer de nouvelles choses et
à faire face aux multiples obstacles que la nature et – il faut
le dire aussi – la stupidité et l'ignorance d'autres hommes placent
devant eux. |
Au contraire, les réactionnaires de gauche ou de droite, les misanthropes
et les pessimistes croient que plus les humains sont libres, plus ils risquent
de causer du trouble et de s'enfoncer dans le chaos. Pour eux, le progrès
est une menace, la stagnation est préférable et doit être
imposée parce que chaque innovation risque de défaire le
fragile équilibre qui a permis à la civilisation de survivre
jusqu'ici. La technologie, la croissance économique, la création
de nouveaux produits de consommation ou de nouvelles idées et modes
culturelles, tout cela est néfaste et porteur de trouble. Pour ces
pessimistes, il y a toujours une catastrophe à l'horizon, qu'il
s'agisse du bogue de l'an 2000, du réchauffement de la planète,
de la pollution et du surpeuplement, de l'informatisation et de la mondialisation
économique, des aliments transgéniques, et quoi encore, qui
mérite qu'on impose une fin à toute expérimentation
et qu'on revienne à un mode de vie plus « naturel »
et drastiquement simplifié, comme celui de nos ancêtres. Évidemment,
il revient toujours dans cette perspective à un gouvernement fort
de s'opposer au changement et de réprimer les innovateurs pour éviter
ces catastrophes et imposer l'ordre idéal.
3- refuser de s'en remettre à des
abstractions collectives
Les libertariens s'intéressent d'abord à l'individu et le
voient comme l'ultime réalité sociale. Pour eux, les entités
collectives n'ont de sens que lorsqu'elles s'incarnent dans l'individu,
et pas en elles-mêmes. Ça ne veut pas dire que la culture,
l'identité nationale, le patrimoine, la langue, et autres phénomènes
collectifs, ne sont pas pertinents. Ils le sont, mais seulement parce qu'ils
répondent à un besoin des individus. Celui-ci est d'ailleurs
toujours à la croisée de nombreuses caractéristiques
collectives et ne peut être réduit à une simple pion
sur un échiquier collectif unidimensionnel.
Les libertariens sont donc toujours sceptiques devant les revendications
de nature collectiviste et les ramènent nécessairement aux
intérêts individuels de ceux qui s'en réclament et
prétendent parler au nom du groupe. Pour chaque situation, ils seront
plus intéressés à voir non pas quelles seront les
conséquences pour « la nation »,
« les femmes », « les
Noirs », « les gais »,
« les autochtones », ou quelque autre
groupe, mais bien de comprendre comment des individus qui peuvent se définir
de multiples façons dans un monde pluraliste pourront faire des
choix librement et sans avoir à cadrer dans un modèle collectif
rigide. C'est la subjectivité de l'individu qui importe, pas son
appartenance à des entités collectives abstraites. Et lorsqu'il
est question de réaliser quelque chose, ils comptent d'abord sur
leurs propres moyens en collaboration volontaire avec d'autres individus
qui y trouvent leur compte pour y arriver, pas sur une « mobilisation
» collective.
L'attitude contraire conçoit plutôt la société
humaine comme essentiellement composée de groupes qui se côtoient
et s'opposent, avec des individus qui n'ont de réalité que
comme membres d'un groupe précis. Pour ceux qui voient les choses
ainsi, la vie collective est la seule référence et ils ramènent
tous les aspects de leur vie à la situation du ou des groupes qu'ils
privilégient. C'est l'individu qui doit s'adapter pour correspondre
à un idéal collectif, et non les caractéristiques
attribuées au groupe qui doivent être relativisées
pour faire place à la diversité des individus.
Ces gens carburent à la fierté collective, aux drapeaux et
à la solidarité, aux victoires politiques, légales
ou militaires du groupe (c'est-à-dire des organisations qui prétendent
le représenter) contre l'ennemi collectif, etc. C'est l'atteinte
d'une position idéale pour le groupe qui colore leur vision du monde
et les motive à agir, et ils voudraient que tout le monde embarque
dans leur croisade. Ils ne comprennent pas pourquoi plusieurs autour d'eux
ne sont pas « conscientisées » aux mêmes
problèmes sociaux, et ils considèrent ceux qui préfèrent
rester à l'écart ou s'opposer à leur démarche
comme des égoïstes ou des traîtres. L'État, qui
incarne la « volonté nationale »
et qui arbitre les relations et conflits entre les multiples groupes, est
évidemment au centre des préoccupations de ces collectivistes,
puisque tout converge vers lui.
4- viser une amélioration constante
à long terme plutôt qu'une perfection statique à court
terme
Les libertariens conçoivent la vie comme une suite ininterrompue
d'adaptations et de remises en question dans un monde en perpétuel
changement. Ils ne croient pas en la possibilité d'un monde parfait
et utopique, comme la société sans classe de Marx où
tous seraient égaux et verraient leurs besoins et désirs
comblés à jamais sans conflit. Même dans une société
fondée sur des principes libertariens, il y aurait toujours des
changements et des problèmes, des conflits et des catastrophes.
La différence majeure est que les individus seraient mieux équipés
pour y faire face et pour atteindre leurs buts dans une plus grande harmonie.
Les libertariens ont donc une attitude généralement réaliste
et pragmatique et sont réconciliés avec le monde tel qu'il
est, même s'ils souhaitent bien sûr eux aussi voir des changements
pour le mieux. Ils ne sont pas constamment désespérés
de constater que nous ne vivons pas dans un monde parfait, qu'il y a des
inégalités, des problèmes sociaux, de l'ignorance,
de la pauvreté, de la pollution et toutes sortes d'autres situations
déplorables dans le monde. Ils croient que seul l'effort, la créativité
et l'apprentissage individuels à long terme permettent de changer
les choses et qu'il n'y a pas de solution magique pour tout régler.
De toute façon, la vie comme processus biologique et la société
comme processus d'interaction humaine sont des systèmes en perpétuel
déséquilibre et en perpétuel mouvement de rééquilibrage,
et il n'y a donc aucune raison de se désoler du fait que nous ne
soyons pas encore parvenus à créer un monde parfait. Un tel
monde serait de toute façon synonyme de stagnation et de mort.
Pour les aliénés de la vie qui sont « conscientisés
» à toutes les bonnes causes et qui ressentent à
chaque heure du jour le spleen de ne pas se trouver au paradis, l'imperfection
du monde est au contraire une source constante de souffrance psychologique.
Ceux-là ne veulent pas admettre qu'il n'y a pas de solution immédiate
à tous les problèmes de l'univers. Comme on l'entend constamment
dans la bouche des militants, ils trouvent que la situation est «
inacceptable » et qu'il faut « intervenir
sans délai ». Même s'ils prétendent
se préoccuper des problématiques à long terme, ces
frustrés ne visent qu'une seule chose: un bouleversement social
et politique immédiat qui apportera un progrès instantané
et leur enlèvera le poids de cette conscience intolérable.
Mais quoi qu'il arrive, ils sont de toute façon difficilement capables
de se défaire de cette attitude. Dès qu'un problème
semble se régler ou devenir moins urgent, ils se dépêchent
à se conscientiser et à s'impliquer dans une autre cause,
question de ne pas se laisser aller à ce qu'ils croient être
de « l'indifférence » devant la souffrance
du monde, c'est-à-dire une attitude saine et réaliste devant
le peu d'influence qu'on peut avoir sur le sort du monde et une préoccupation
première pour son propre sort. Les révolutions, les utopies
abstraites et farfelues qui passent par un changement radical de régime
– par l'État, donc – leur paraissent bien sûr la seule solution
ultime pour régler une fois pour toutes ces problèmes urgents.
5- être tolérant et accepter
la diversité
Les
libertariens ne sont pas des relativistes moraux; ils considèrent
que la liberté est une valeur fondamentale et, comme croyants ou
partisans d'autres philosophies particulières, ils peuvent professer
des principes plus ou moins stricts concernant la bonne conduite et le
sens de la vie. Toutefois, ils sont unis par une attitude bien précise:
leur acceptation de la diversité des opinions et des croyances et
leur refus d'imposer les leurs aux autres. Pour les libertariens, tout
est acceptable dans la mesure où quelqu'un ne porte pas préjudice
à autrui ou à sa propriété. Les gens peuvent
donc faire ce qu'ils veulent avec leur propre corps et entre eux si c'est
de façon volontaire. Ils peuvent se droguer, se prostituer, ou consacrer
leur vie et leur fortune à la vénération des petits
hommes verts venus d'autres planètes. Personne n'a moralement le
droit d'empêcher quiconque de vivre comme il l'entend s'il ne fait
de tort à personne d'autre, même si la presque totalité
de la population désapprouve son comportement particulier.
Certains diront que les libertariens sont pourtant intolérants envers
leurs opposants idéologiques, par exemple envers les socialistes
et nationalistes, et qu'ils n'acceptent donc pas les points de vue qui
divergent de la philosophie libertarienne. Mais cette critique ne tient
justement pas: dans une société véritablement libre,
les individus pourront s'organiser comme ils le voudront, dans la mesure
où ils ne tentent pas d'imposer leur mode de vie à ceux qui
ne le souhaitent pas. Ainsi, les communistes pourront s'acheter un territoire,
fonder une commune, se soumettre volontairement à un gouvernement
local qui les taxera à 90% et qui planifiera leur vie de classe
prolétarienne dans les moindres détails. Ils pourront inviter
le reste du monde à venir les rejoindre dans leur paradis terrestre
mais, comme on l'a vu au cours du XXe siècle, c'est généralement
l'inverse qui se produit. De même, les ultranationalistes et mystiques
de la langue pourront s'imposer à eux-mêmes – volontairement
toujours, et sans que ça affecte ceux qui n'en veulent rien savoir
– une police de la langue qui utilisera des techniques de scanning cérébral
ultrasophistiquées pour déterminer s'ils rêvent en
français ou dans une autre langue, avec des amendes appropriées
pour les contrevenants. Chacun pourra vivre selon son propre idéal
et laisser vivre son voisin selon le sien.
L'attitude des puritains, des paumés, des zélés, des
militants exaltés et des croyants fondamentalistes est tout à
fait à l'opposé. Ces collectivistes n'ont de répit
tant qu'ils n'ont pas imposé à tous leur vision idéale
du monde. Pour eux, la diversité est toujours une menace et la tolérance
doit toujours s'exercer « à l'intérieur
de certaines limites ». Des limites bien sûr déterminées
par les autorités gouvernementales et qui réduisent inévitablement
la liberté de tous ceux qui n'y cadrent pas, même s'ils ne
font de tort à personne. Dans la vision du monde collectiviste,
il n'y a tout simplement pas de place pour ceux qui veulent vivre différemment.
Pour les traditionalistes intolérants par exemple, le simple fait
que les homosexuels existent et puissent jouir de la vie est un affront
à la volonté divine qui doit être corrigé; pour
les égalitaristes coupeurs de têtes qui dépassent,
la simple existence de riches est une injustice flagrante, même si
ces riches ont gagné leur argent de façon honnête et
en rendant des services aux autres dans un marché libre; pour les
nationalistes xénophobes, le fait qu'il existe des citoyens québécois
qui ne parlent pas français à la maison ou sur la rue autour
d'eux, ou qui se foutent de l'identité québécoise
qu'ils exaltent et de la survie du français, est un affront direct
à la Nation, à nos vaillants ancêtres, à eux-mêmes
dans le plus profond de leur moi collectif, et ce même s'ils n'entrent
jamais en contact avec ces gens sauf en constatant des données statistiques;
pour les fascistes de la santé, ce ne sont plus les désagréments
causés par les fumeurs aux non-fumeurs qui sont le problème,
mais bien l'existence même de fumeurs: sinon, pourquoi veulent-ils
interdire la fumée dans tous les bars et restaurants et empêcher
les fumeurs de se retrouver entre eux sans imposer leur fumée à
qui que ce soit?
Quiconque fait preuve d'une forme d'intolérance et de refus de la
diversité qui s'apparente à celles-ci dans quelque domaine
que ce soit n'a évidemment rien d'un libertarien et a tout d'un
partisan de l'autoritarisme et la répression étatique.
Pour conclure, assumer ses choix et cesser de rejeter la responsabilité
de ses actions sur les autres, voir l'aventure humaine avec optimisme,
refuser de s'en remettre à des abstractions collectives,
viser une amélioration constante à long terme plutôt
qu'une perfection statique à court terme et être tolérant
et accepter la diversité sont des attitudes psychologiques essentielles
pour ceux qui souhaitent vivre l'idéal libertarien: quelqu'un qui
les cultive et qui applique systématiquement ces façons de
voir les choses aux situations de la vie a compris l'essentiel. Les arguments
théoriques plus complexes sur le fonctionnement d'une économie
de marché restent cruciaux pour les débats politiques et
économiques mais n'auront jamais le même impact, pour la plupart
des gens qui s'intéressent peu à ces débats, que la
conviction intuitive profonde, fondée sur ces principes généraux,
de vivre moralement et bien.
par Martin Masse édito de QL