septembre 29, 2018

Ludwig von Mises

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Ludwig von Mises (29 septembre 1881 Lemberg (aujourd'hui, Lviv) — 10 octobre 1973 New York) est le représentant le plus éminent de l'École autrichienne d'économie. Il est considéré comme un des leaders de l'école autrichienne d'économie qui défend le capitalisme et le libéralisme classique. D'autres économistes notables, comme Friedrich Hayek ou Murray Rothbard ont clarifié, élargi et continué les enseignements de leur mentor.  


Né en Autriche-Hongrie, il obtient en 1906 son diplôme en droit canon (car l'économie était alors uniquement enseignée en faculté de Droit). À la même époque il participe au séminaire organisé par Eugen von Böhm-Bawerk. Puis il enseigne à l'université de Vienne de 1913 à 1934, tout étant conseiller économique du gouvernement autrichien. Il quitte l'Autriche en 1934 lors de la montée en puissance du nazisme ; il enseigne à l'université de New York de 1945 à 1969 (il obtient la nationalité américaine en 1946). Durant à peu près 20 ans Ludwig von Mises organise des séminaires, en plus de ses cours à l'université de New York. Les membres sont issus de l'université et de l'extérieur. Ils se réunissent tous les jeudis de 19h15 à 21h15. Parmi les participants les plus assidus, on trouve les 4 étudiants qui ont soutenu une thèse avec Ludwig von Mises : Israel Kirzner, Louis M. Spadaro, George Reisman et Hans Sennholz. Et on compte un grand nombre d'étudiants ayant fait une brillante carrière par la suite : Bettina Bien [Greaves], Paul Cantor, Percy L. Greaves, Henry Hazlitt, Joseph Keckeissen, George Koether, Tashio Murata, Sylvester Petro, Robert G. Anderson, Mary Homan Sennholz, Richard L. Fruin[1], ainsi que d'autres plus anonymes[2].

Sa pensée méthodologique et épistémologique

La théorie économique de Ludwig von Mises a un fondement épistémologique réaliste et non pas positiviste. Partant de prémisses générales, elle procède d'une analyse praxéologique et thymologique de la nature humaine et du concept de l'action humaine qui en découle. L'individualisme méthodologique a un caractère de présupposé irréductible qui conduit à une solution scientifique.
Ludwig von Mises poursuit la position de la plupart des économistes et des philosophes classiques qui l'ont précédé, mais il s'agit d'un individualisme méthodologique avec des particularités, différent d'un individualisme métaphysique. Pour lui, le monde s'analyse à partir de l'individu. C'est-à-dire que les éléments constitutifs de l'univers sont des individus. Cette position contraste avec le holisme méthodologique. Car les marchés, les États ou les institutions n'existent que parce que des individus les composent. Les entités holistiques mentionnées dans le discours ordinaire (ou scientifique) peuvent toutes être éliminées en faveur des individus et de leurs inter-relations. Les comportements intentionnels, en particulier dans les phénomènes économiques, sont explicables à partir des désirs et des finalités de chacun des agents. L'être humain dispose d'une capacité instinctive à aspirer à des objectifs ou à des fins supérieurs. C'est la même affirmation de dire que l'homme agit parce qu'il désire remplacer un état de satisfaction par un autre davantage satisfaisant. L'insatisfaction permanente est la signification même de l'action humaine.
Dans la vision particulière de Ludwig von Mises, l'homme peut être défini comme un homo sapiens agens ou un homo agens sapiens. Les deux termes sont coextensifs. L'homme est tel qu'il agit de façon rationnelle et sa rationalité se manifeste dans sa manière d'agir. Ludwig von Mises ajoute donc à la définition classique des économistes de la structure des préférences individuelles, une explication de la nature humaine à agir. La théorie de l'action nommée praxéologie diffère de l'action psychologique en ce sens où cette dernière étudie les facteurs (psychologiques) qui produisent l'action ; tandis que la praxéologie étudie la structure de l'action, c'est-à-dire l'utilisation par l'être humain de moyens rares pour atteindre des objectifs supérieurs.
Ludwig von Mises souligne le dualisme méthodologique par la différence entre science naturelle et science humaine. Dans le premier cas, il est possible de formuler des lois en raison de la constance des connexions entre les facteurs et les effets, ce qui n'est pas possible de prouver dans le second cas. Toutefois, Ludwig von Mises introduit même du scepticisme dans l'inductivisme pour justifier les lois de régularité dans les sciences naturelles et physiques. Car, précise-t-il, ce type d'expérience est toujours une expérience passée ou présente, il n'y a aucune expérience des phénomènes naturels du futur. Par conséquent, même les lois naturelles peuvent échouer. Il n'y a aucune raison logique pour affirmer leur vérité, seulement la croyance pragmatique que le futur restera comme le présent le prévoit.
Ludwig von Mises a introduit le concept de la praxéologie en première place dans le champ scientifique des sciences sociales. La praxéologie étudie l'action humaine en tant que telle. L'économie est une branche de la praxéologie. En tant que partie de celle-ci, les lois économiques sont valables pour toute action humaine sans tenir compte des motifs, des causes ou des fins. L'objet de la praxéologie est d'étudier les moyens, et non les fins. La praxéologie est théorique, formelle et systématique. Sa portée vise à étudier l'action humaine indépendamment de la situation individuelle des actes.
Les énoncés de la praxéologie ne découlent pas de l'expérience, ils sont a priori comme les énoncés de la logique et des mathématiques. Ils ne font pas l'objet d'une vérification ou d'une falsification fondée sur l'expérience. Les énoncés praxéologiques sont logiques et existent temporellement avant toute compréhension des faits historiques. Mais alors que l'histoire applique la procédure thymologique de la compréhension, le cognition praxéologique est conceptuelle. La praxéologie est la recherche de la connaissance des universaux et des catégories, qui détermine ce qui est nécessaire dans l'action humaine.
Les énoncés a priori de la praxéologie sont vrais par auto-évidence. Ils s'appuient sur une capacité spéciale, une connaissance directe comme la "Verstehen" (compréhension), appelée traditionnellement intuition chez Aristote et l'introspection. La connaissance par auto-évidence a les caractéristiques suivantes : elle est complète, elle est nécessaire et elle est une disposition réelle dans chaque esprit humain. La première vérité auto-évidente est que l'individu est dirigé vers des fins.
Critique de la macroéconomie traditionnelle, qui analyse des grandeurs statistiques, des agrégats et des moyennes, Mises souligne le rôle prépondérant de la subjectivité en économie. Il insiste sur l'importance des opinions subjectives des individus dans la formation des phénomènes sociaux, sur les déséquilibres qui en découlent, et sur le rôle central de l'entreprise.
En accord avec la théorie de l'utilité marginale décroissante, il définit la valeur comme le degré d'importance attribué par un sujet à une quantité donnée d'un bien, dans les circonstances du moment.
En 1912, il publie sa Théorie sur la monnaie et le crédit, l'une de ses principales contributions à la pensée économique qui installe sa réputation en Europe. Il met déjà en garde contre la manipulation catastrophique de la masse monétaire, qui a conduit par la suite au Krach de 1929. Il explique que la loi de l'offre et de la demande s'applique aussi au pouvoir d'achat d'une monnaie, et lui confère son « prix ». Il était précautionneux de bien distinguer la monnaie de la quasi-monnaie (ou substitut à la monnaie)[3].
En 1922, dans Socialisme, il prédit la chute du communisme, et explique pourquoi tout système de planification centrale est non seulement moins efficace que le libre-marché, mais doit nécessairement finir par s'écrouler. Selon Mises, le marché, non entravé par des interventions étatiques, produit un ordre spontané optimal qu'aucune organisation ou planification ne saurait atteindre. La « planification individuelle » est supérieure à toute planification collective.
Son œuvre théorique vise à réfuter le collectivisme et l'étatisme sous toutes leurs formes, tant modérées comme le keynésianisme, qu'anti-libérales : socialisme, communisme ou nazisme (il remarque à ce propos que le premier gouvernement européen a avoir appliqué presque toutes les mesures économiques d'urgence prônées par le Manifeste du Parti communiste est celui de Hitler). Mises n'en est pas moins minarchiste.
Mises est un partisan de l'étalon-or, parce qu'il soustrait la monnaie au contrôle de la politique et aux tendances inflationnistes de tous les gouvernements.
Friedrich Hayek et Murray Rothbard sont ses élèves les plus éminents. 

Notes et références

  1. Richard L. Fruin fut médecin et chirurgien dans les forces armées américaines.
  2. William Burdick, Edward Facey, Paul Fair, Richard Guarnieri, Ronald Herz, Isidore Hodes, Robert H. Miller, Frank Dirson et Wayne Holdman
  3. Le Traveler chèque, par exemple, est une quasi-monnaie.

Principales oeuvres

Pour voir la liste presque complète des publications de Ludwig von Mises : Ludwig von Mises (bibliographie)
  • 1912, Theorie des Geldes und der Umlaufsmittel, Munich and Leipzig: Duncker & Humblot
    • seconde édition révisée en 1924, avec une nouvelle introductionde de Ludwig Mises, Munich & Leipzig: Duncker & Humblot
    • Traduction en anglais en 1934, de la seconde édition par H.E. Batson, introduction de Lionel Robbins, London: Jonathan Cape
      • Réimpression en 1953, élargie avec un nouvel essai sur la reconstruction monétaire, New Haven: Yale University Press
      • Edition US, N,Y.: Harcourt, Brace & Co., 1935.
    • Traduit en anglais en 1953, "Theory of Money and Credit", Yale University Press
    • Traduction en espagnol en 1936, par Antonio Riaño, "Teoría del Dinero y del Crédito", Madrid: M. Aguilar
      • Traduction en espagnol en 1961, par José Ma et Claramunda Bes, de la réimpression anglaise élargie de 1953, "Teoría del Dinero y Crédito"., édité par Hermilo Larumbe Echávarri, Barcelona: Ediciones Zeus
      • Traduction en espagnol en 1953, par Gustavo R. Velasco de l'essai de 1953, "Monetary Reconstruction", Revista Bancaria, 4:2, July-August, pp418-429
        • Réimpression sous forme de livret en 1961, "Reconstrucción Monetaria", Buenos Aires: Centro de Estudios sobre la Libertad
      • Traduction en espagnol en 1997, par Juan Marcos, de l'édition anglaise de 1953, "La Teoría del Dinero y Del Crédito", Madrid: Union Editorial
    • Traduction en japonais en 1949, par Yoneo Azuma, "Kahei oyobi Ryütüjshudan no Riron", Tokyo: Jitsugyo no Nipponsha
      • Réimpression en 1980, Tokyo: Nihon Hyöron-Sha
    • Traduction en chinois en 1969, par H. P. Yang, Taïwan (Republic of China): Taiwan Bank, Economic Research Department
  • 1920, Die Wirtschaftsrechnung im Sozialistischen Gemeinwesen, [Economic Calculation in the Socialist Commonwealth], Archiv fur Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, vol 47, pp86-121
  • 1924, "Eugen von Böhm-Bawerk: In Memory of the Tenth Anniversary of His Death", Neue Freie Presse, August 27, p9
  • 1930, Nationalization of Credit?, Journal of National Economics, vol. I
  • 1935, "Economic Calculation in the Socialist Commonwealth", In: Friedrich A. Hayek, dir., Collectivist Economic Planning: Critical Studies on the Possibilities of Socialism, London: George Routledge & Sons, Ltd.,
  • 1936, The Austrian Theory of the Trade Cycle,
  • 1938 : Les hypothéses de travail dans la science économique, en Hommage à Cournot, Venecia, faculté de Commerce, pp 99-122
  • 1942, "Social Science and Natural Science", Journal of Social Philosophy and Jurisprudence, Vol 7, n°3, April
  • 1943 : Elastic Expectations and the Austrian Theory of the Trade Cycle, Economica august: 251-252
  • 1945, “The Clash of Group Interests”
    • Repris en 1990, In: Richard M. Ebeling, dir., "Money, Method and the Market Process: Essays by Ludwig von Mises", Norwell, Mass.: Kluwer Academic Press, pp202–214
  • 1947, "Planned Chaos"
    • Traduction en polonais en 2005, par L. S. Kołek, "Planowany chaos", Instytut Konserwatywno-Liberalny i Fijor Publishing
  • 1956, The Anti-Capitalistic Mentality [La mentalité anti-capitaliste]
    • Traduction en polonais en 1991, par J. M. Małek, Mentalność antykapitalistyczna, Niepodległość
      • Nouvelle édition en polonais en 2000, Arcana
  • 1967, Du caractère atavique de quelques idées économiques, In: Emil M. Claassen, dir. Les fondements philosophiques des systèmes économiques, Paris: Payot, pp337-319
  • 1969, "The Historical Setting of the Austrian School of Economics", Arlington House
    • Repris en 2004, In: Richard M. Ebeling, dir., "Economic Theories and Controversies", Hillsdale: Hillsdale College Press, Champions of freedom Vol 31, ISBN 0916308529, pp159ss
  • 1979, Margit von Mises, dir., "Economic Policy. Thoughts for Today and Tomorrow", Regnery/Gateway, Inc., Chicago
  • 1980, “Planificación para la libertad”, Centro de estudios sobre la libertad, Buenos Aires, Argentina
  • 1996, "Austrian School of Economics", In: Bettina Bien Greaves, dir. "Austrian Economics: An anthology", Irvington on Hudson, NY: Foundation for Economic Education, (conférence prononcée par Ludwig von Mises, au New York University Faculty Club, le 2 mai 1962)
    • Repris en 2000, "Austrian School of Economics", In: Richard M. Ebeling, dir., "Human Action: A 50-Year Tribute", Hillsdale, Mich.: Hillsdale College Press, pp299-305

Pour aller plus loin

Citations

  • L'impôt progressif est un mode exagéré d'expropriation .
  • À la base de toutes les doctrines totalitaires se trouve la croyance que les gouvernants sont plus sages et d'un esprit plus élevé que leurs sujets, qu'ils savent donc mieux qu'eux ce qui leur est profitable.
  • Il n'y a aucun moyen de soutenir durablement un « boom » économique résultant d'une expansion du crédit. L'alternative est ou bien d'aboutir à une crise plus tôt par arrêt volontaire de l'expansion monétaire, ou bien plus tard par l'effondrement complet de la monnaie qui est en cause.
  • Croire en la démocratie implique que l'on croie d'abord à des choses plus hautes que la démocratie.
  • Si les membres du gouvernement se considèrent comme les représentants non plus des contribuables, mais des bénéficiaires de traitements, appointements, subventions, allocations et autres avantages tirés des ressources publiques, c'en est fait de la démocratie.
  • Les gens qui se battent pour la libre entreprise ne défendent pas les intérêts de ceux qui se trouvent aujourd'hui être riches.
  • Du fait de la destruction du système des prix, le paradoxe de la « planification » tient à ce qu'il est impossible d'y faire un plan, faute de calcul économique. Ce que l'on dénomme économie planifiée n'est pas une économie du tout. C'est tout juste un système de tâtonnements dans le noir.
  • Le marxisme et le national-socialisme ont en commun leur opposition au libéralisme et le rejet de l'ordre social et du régime capitaliste. Les deux visent un régime socialiste.
  • L'homme devient un être social non pas en sacrifiant ses propres intérêts à un Moloch mythique appelé Société, mais en cherchant à améliorer son propre bien-être.
  • La quantité de monnaie disponible dans l'économie est toujours suffisante pour permettre à chacun tout ce que la monnaie fait et peut faire. (The quantity of money available in the whole economy is always sufficient to secure for everybody all that money does and can do)
  • L'économie de marché n'a pas besoin d'apologistes ni de propagandistes. (...) Si vous cherchez son monument, regardez autour de vous.
  • La prédilection du libéralisme pour la paix n'est pas un sport de bienfaisance qui s'accommode fort bien de toute sorte de convictions. Elle répond à l'ensemble de sa théorie sociale où elle s'insère harmonieusement. (...) Le pacifisme libéral est un produit logique de la philosophie sociale du libéralisme. Lorsqu'il entend protéger la propriété et rejeter la guerre, ce sont là deux expressions d'un même principe.
  • Le marxisme a arbitrairement réduit à un tel point le concept "État", que l'État socialiste n'y pouvait être inclus. On ne doit appeler "États" que les États et les formes d'État qui déplaisent aux publicistes socialistes ; ils repoussent avec indignation pour leur État futur cette appellation ignominieuse et dégradante. L'État futur s'appellera : société. C'est ainsi qu'on a pu voir d'un côté la social-démocratie marxiste donner libre cours à ses fantaisies sur la "débâcle" de la machine étatique, sur "l'agonie de l'État", et de l'autre combattre avec acharnement toutes les tendances anarchiques, et poursuivre une politique qui mène en droite ligne à l'omnipotence de l'État.
Beaucoup d'autres citations classées par thèmes dans l'ouvrage The Quotable Mises édité par Mark Thornton (disponible gratuitement en ebook).

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Sur l' Institut économique Molinari







La seule solution possible vers le progrès économique et social
 
De nos jours, il n'est plus suffisant non plus d'étudier les écrits des grands fondateurs pour se former une idée du libéralisme. Le libéralisme n'est pas une doctrine complète ou un dogme figé. Au contraire : il est l'application des enseignements de la science à la vie sociale des hommes. Et tout comme l'économie, la sociologie et la philosophie ne sont pas restées immobiles depuis l'époque de David Hume, d'Adam Smith, de David Ricardo, de Jeremy Bentham et de Guillaume de Humboldt, de même la doctrine du libéralisme est différente aujourd'hui de ce qu'elle était de leur temps, même si ses principes fondamentaux n'ont pas bougé. Depuis plusieurs années, personne n'a entrepris de donner une présentation concise de la signification essentielle de cette doctrine. Ceci peut servir de justification à notre présent essai, qui cherche précisément à offrir un tel travail.
http://Mises.org

This is from a radio broadcast made during intermission of the U.S. Steel Concert Hour, May 17, 1962; the transcript (reprinted below) was first published in The Freeman, May 1988. Mises had been asked to respond to the question: "Are the interests of the American wage earners in conflict with those of their employers, or are the two in agreement?"

Transcript from http://mises.org/efandi/ch15.asp

To answer that question we must first look at a little history. In the pre-capitalistic ages a nation's social order and economic system were based upon the military superiority of an elite. The victorious conqueror appropriated to himself all the country's utilizable land, retained a part for himself and distributed the rest among his retinue. Some got more, others less, and the great majority nothing. In the England of the early Plantagenets [the line of British kings, descended from French Normans, who reigned from 1154 to 1399], a Saxon was right when he thought: "I am poor because there are Normans to whom more was given than is needed for the support of their families." In those days the affluence of the rich was the cause of the poverty of the poor.

Conditions in the capitalist society are different. In the market economy the only way left to the more gifted individuals to take advantage of their superior abilities is to serve the masses of their fellowman. Profits go to those who succeed in filling the most urgent of the not-yet-satisfied wants of the consumers in the best possible and cheapest way. The profits saved, accumulated, and plowed back into the plant, benefit the common man twice. First, in his capacity as a wage earner, by raising the marginal productivity of labor and thereby real wage rates for all those eager to find jobs. Then later again, in his capacity as a consumer when the products manufactured with the aid of the additional capital flow into the market and become available at the lowest possible prices.

The characteristic principle of capitalism is that it is mass production to supply the masses. Big business serves the many. Those outfits that are producing for the special tastes of the rich never outgrow medium or even small size. Under such conditions those anxious to get jobs and to earn wages and salaries have a vital interest in the prosperity of the business enterprises. For only the prosperous firm or corporation has the opportunity to invest, that is, to expand and to improve its activities by the employment of ever better and more efficient tools and machines.

The better equipped the plant is the more can the individual worker produce within a unit of time, the higher is what the economists call the marginal productivity of his labor and, thereby, the real wages he gets. The fundamental difference between the conditions of an economically underdeveloped country like India and those of the United States is that in India the per head quota of capital invested and thereby the marginal productivity of labor and consequently wage rates are much lower than in this country. The capital of the capitalists benefits not only those who own it but also those who work in the plants and those who buy and consume the goods produced.

And then there is one very important fact to keep in mind. When one distinguishes, as we did in the preceding observations, between the concerns of the capitalists and those of the people employed in the plants owned by the capitalists, one must not forget that this is a simplification that does not correctly describe the real state of present-day American affairs. For the typical American wage earner is not penniless. He is a saver and investor. He owns savings accounts, United States Savings Bonds and other bonds and first of all insurance policies. But he is also a stockholder. At the end of the last year [1961] the accumulated personal savings reached $338 billion. A considerable part of this sum is lent to business by the banks, savings banks and insurance companies. Thus the average American household owns well over $6000 that are invested in American business.

The typical family's stake in the flourishing of the nation's business enterprises consists not only in the fact that these firms and corporations are employing the head of the family. There is a second fact that counts for them, to wit that the principal and interest of their savings are safe only as far as the American free enterprise is in good shape and prospering. It is a myth that there prevails a conflict between the interests of the corporations and firms and those of the people employed by them. In fact, good profits and high real wages go hand in hand.




 
Le libéralisme est une doctrine entièrement consacrée au comportement des hommes dans ce monde. En dernière analyse, il n'a rien d'autre en vue que le progrès de leur bien-être extérieur et matériel : il ne se préoccupe pas directement de leurs besoins intérieurs, spirituels et métaphysiques. Il ne promet pas aux hommes le bonheur et la satisfaction intérieure, mais uniquement de répondre de la manière la plus efficace possible à tous les désirs pouvant être satisfaits par les choses concrètes du monde extérieur. 

1. Le libéralisme
Les philosophes, sociologues et économistes du XVIIIesiècle et du début du XIXesiècle ont formulé un programme politique qui, en politique sociale, servit de guide, tout d'abord pour l'Angleterre et les États-Unis, ensuite pour le continent européen, et finalement aussi pour toutes les autres régions habitées du globe. On ne réussit cependant nulle part à l'appliquer dans sa totalité. Même en Angleterre, qu'on a dépeint comme la patrie du libéralisme et comme le modèle du pays libéral, les partisans des politiques libérales n'ont jamais réussi à faire entendre toutes leurs revendications. Dans le reste du monde, seules certaines parties de ce programme furent adoptées, tandis que d'autres, tout aussi importantes, furent soit rejetées dès le départ, soit écartées après peu de temps. Ce n'est qu'en forçant le trait que l'on peut dire que le monde a traversé une époque libérale. On n'a jamais permis au libéralisme de se concrétiser pleinement. 

Néanmoins, aussi brève et limitée que fut la suprématie des idées libérales, elle fut suffisante pour changer la face du monde. Il se produisit un formidable développement économique. La libération des forces productives de l'homme multiplia les moyens de subsistance. A la veille de la [Première] Guerre Mondiale (qui fut elle-même la conséquence d'une longue et âpre bataille contre l'esprit libéral et qui inaugura une ère d'attaques encore plus virulentes dirigées contre les principes libéraux), le monde était bien plus peuplé qu'il ne l'avait jamais été, et chaque habitant pouvait vivre bien mieux qu'il n'avait jamais été possible au cours des siècles précédents. La prospérité que le libéralisme avait créée avait considérablement réduit la mortalité enfantine, qui constituait le lamentable fléau des périodes précédentes, et avait allongé l'espérance de vie moyenne, grâce à l'amélioration des conditions de vie. 

Cette prospérité ne concernait pas seulement une classe particulière d'individus privilégiés. A la veille de la [Première] Guerre Mondiale, l'ouvrier des nations industrialisées d'Europe, des États-Unis et des colonies anglaises vivait mieux et avec plus d'élégance que le noble d'un passé encore proche. Il pouvait non seulement manger et boire comme il le voulait, mais il pouvait aussi donner une meilleure éducation à ses enfants et prendre part, s'il le désirait, à la vie intellectuelle et culturelle de son pays. De plus, s'il possédait assez de talent et d'énergie, il pouvait sans difficulté monter dans l'échelle sociale. C'est précisément dans les pays qui appliquèrent le plus loin le programme libéral que le sommet de la pyramide sociale était composé en majorité non pas d'hommes qui avaient bénéficié, depuis le jour de leur naissance, d'une position privilégiée en vertu de la richesse ou de la position sociale élevée de leurs parents, mais d'individus qui, dans des conditions défavorables et initialement dans la gêne, avaient gravi les échelons par leurs propres forces. Les barrières qui séparaient autrefois les seigneurs et les serfs avaient été supprimées. Il n'y avait désormais plus que des citoyens bénéficiant de droits égaux. Personne n'était handicapé ou persécuté en raison de sa nationalité, de ses opinions ou de sa foi. Les persécutions politiques et religieuses avaient cessé et les guerres internationales commençaient à être moins fréquentes. Les optimistes saluaient déjà l'aube d'une ère de paix éternelle. 

Mais les événements n'ont pas tourné de la sorte. Au XIXesiècle, surgirent de forts et violents adversaires du libéralisme, qui réussirent à éliminer une grande partie des conquêtes libérales. Le monde d'aujourd'hui ne veut plus entendre parler du libéralisme. En dehors de l'Angleterre, le terme « libéralisme » est franchement proscrit. En Angleterre, il demeure encore certainement des « libéraux », mais la plupart ne le sont que de nom. En réalité, il s'agit plutôt de
socialistes modérés. De nos jours, le pouvoir politique est partout dans les mains des partis antilibéraux. Le programme de l'antilibéralisme a engendré les forces qui conduisirent à la Grande Guerre mondiale et qui, en raison des quotas à l'exportation et à l'importation, des tarifs douaniers, des barrières aux migrations et d'autres mesures similaires, menèrent les nations du monde à une situation d'isolement mutuel. Il a conduit au sein de chaque nation à des expériences socialistes dont les résultats furent une réduction de la productivité du travail et une augmentation concomitante de la pauvreté et de la misère. Quiconque ne ferme pas délibérément les yeux sur les faits, doit reconnaître partout les signes d'une catastrophe prochaine en ce qui concerne l'économie mondiale. L'antilibéralisme se dirige vers un effondrement général de la civilisation. 

Si l'on veut savoir ce qu'est le libéralisme et quel est son but, on ne peut pas simplement se tourner vers l'histoire pour trouver l'information en se demandant ce que les politiciens libéraux ont défendu et ce qu'ils ont accompli. Car le libéralisme n'a jamais réussi nulle part à mener à bien son programme comme il le voulait. 

Les programmes et les actions des partis qui se proclament aujourd'hui libéraux ne peuvent pas non plus nous éclairer sur la nature du véritable libéralisme. Nous avons déjà signalé que, même en Angleterre, ce qui est appelé libéralisme de nos jours est bien plus proche du socialisme et du torysme que du vieux programme des libre-échangistes. S'il se trouve des libéraux qui considèrent comme compatible avec leur libéralisme le fait de souscrire à la nationalisation des chemins de fer, des mines et d'autres entreprises, et même de soutenir les tarifs protectionnistes, on peut facilement voir qu'il ne reste actuellement plus du libéralisme que le nom. 

De nos jours, il n'est plus suffisant non plus d'étudier les écrits des grands fondateurs pour se former une idée du libéralisme. Le libéralisme n'est pas une doctrine complète ou un dogme figé. Au contraire : il est l'application des enseignements de la science à la vie sociale des hommes. Et tout comme l'économie, la sociologie et la philosophie ne sont pas restées immobiles depuis l'époque de David Hume, d'Adam Smith, de David Ricardo, de Jeremy Bentham et de Guillaume de Humboldt, de même la doctrine du libéralisme est différente aujourd'hui de ce qu'elle était de leur temps, même si ses principes fondamentaux n'ont pas bougé. Depuis plusieurs années, personne n'a entrepris de donner une présentation concise de la signification essentielle de cette doctrine. Ceci peut servir de justification à notre présent essai, qui cherche précisément à offrir un tel travail. 

2. Le bien-être matériel
Le libéralisme est une doctrine entièrement consacrée au comportement des hommes dans ce monde. En dernière analyse, il n'a rien d'autre en vue que le progrès de leur bien-être extérieur et matériel : il ne se préoccupe pas directement de leurs besoins intérieurs, spirituels et métaphysiques. Il ne promet pas aux hommes le bonheur et la satisfaction intérieure, mais uniquement de répondre de la manière la plus efficace possible à tous les désirs pouvant être satisfaits par les choses concrètes du monde extérieur.
On a souvent reproché au libéralisme cette approche purement externe et matérialiste, tournée vers ce qui est terrestre et éphémère. La vie de l'homme, dit-on, ne consiste pas uniquement à boire et à manger. Il existe des besoins plus élevés et plus importants que la nourriture et la boisson, que le logement et les vêtements. Même les plus grandes richesses de la terre ne peuvent pas apporter le bonheur à l'homme : elles laissent vides et insatisfaits son être intime, son âme. La plus grande erreur du libéralisme serait de ne rien avoir à offrir aux aspirations les plus profondes et les plus nobles de l'homme. 

Les critiques qui parlent de cette façon ne font que montrer qu'ils ont une conception très imparfaite et matérialiste de ces besoins plus élevés et plus nobles. La politique sociale, avec les moyens qui sont à sa disposition, peut rendre les hommes riches ou pauvres, mais elle ne réussira jamais à les rendre heureux ni à répondre à leurs aspirations les plus profondes. Aucun expédient extérieur n'y peut rien. Tout ce qu'une politique sociale peut faire, c'est d'éliminer les causes externes de la souffrance et de la douleur : elle peut favoriser un système permettant de
 nourrir l'affamé, d'habiller l'homme nu, de loger les sans-abri. Le bonheur et la satisfaction intérieure ne dépendent pas de la nourriture, des vêtements et du logement mais, avant tout, de ce qu'un homme aime au fond de lui. Ce n'est pas par mépris pour les biens spirituels que le libéralisme ne s'occupe que du bien-être matériel de l'homme, mais en raison de la conviction que ce qui est le plus élevé et le plus profond en l'homme ne peut pas être atteint par une décision extérieure, quelle qu'elle soit. Le libéralisme ne cherche à produire que le bien-être matériel parce qu'il sait que les richesses spirituelles intérieures ne peuvent pas parvenir à l'homme de l'extérieur, qu'elles ne peuvent venir que de son propre cœur. Il ne cherche pas à créer autre chose que les conditions extérieures nécessaires au développement de la vie intérieure. Et il ne peut y avoir aucun doute que l'individu relativement prospère du XXesiècle
 peut plus facilement satisfaire ses besoins spirituels que, par exemple, l'individu du Xesiècle,
  qui devait sans cesse se soucier d'économiser juste assez pour survivre, ou de lutter contre les dangers dont ses ennemis le menaçaient. 
Certes, à ceux qui, comme les adeptes de nombreuses sectes asiatiques ou chrétiennes du Moyen Âge, acceptent la doctrine d'un ascétisme total et qui considèrent la pauvreté et l'absence de désir des oiseaux de la forêt et des poissons des mers comme l'idéal de la vie humaine, à ceux-là nous ne pouvons rien répondre quand ils reprochent au libéralisme son attitude matérialiste. Nous ne pouvons que leur demander de nous laisser tranquilles, de même que nous les laissons aller au ciel à leur façon. Laissons-les en paix s'enfermer dans leurs cellules, à l'écart des hommes et du monde. 

L'écrasante majorité de nos contemporains ne peut pas comprendre cet idéal ascétique. Mais dès que l'on rejette le principe du mode de vie de l'ascète, on ne peut pas reprocher au libéralisme de rechercher le bien-être extérieur. 

3. Le rationalisme
On reproche par ailleurs habituellement au libéralisme d'être rationaliste. Il chercherait à tout régler d'après la raison et ne réussirait donc pas à reconnaître que les affaires humaine laissent, et en fait doivent laisser, une grande latitude aux sentiments et à l'irrationnel en général ― c'est-à-dire à ce qui ne relève pas de la raison. 

Cependant, le libéralisme est parfaitement conscient du fait que les hommes agissent de manière déraisonnable. Si les hommes agissaient toujours de manière raisonnable, il serait superflu de les exhorter à se laisser guider par la raison. Le libéralisme ne dit pas que les hommes agissent toujours intelligemment, mais plutôt qu'ils devraient, dans leur propre intérêt bien compris, toujours agir intelligemment. Et l'essence du libéralisme est précisément qu'il souhaite que, dans le domaine de la politique sociale, on accorde à la raison le même rôle que celui qu'on lui accorde sans discussion dans les autres sphères de l'action humaine. 

Si, son médecin lui ayant recommandé un certain mode de vie raisonnable ― i.e. hygiénique ― quelqu'un répondait : « Je sais bien que vos conseils sont raisonnables, mais mes sentiments m'empêchent de les suivre. Je veux faire ce qui nuit à ma santé même si cela est déraisonnable,» quasiment personne ne considèrerait son comportement comme recommandable. Quoi que nous choisissions de faire dans la vie, quand il s'agit d'atteindre le but que nous nous sommes nous-mêmes fixé, nous nous efforçons de le faire raisonnablement. La personne qui souhaite traverser une ligne de chemin de fer ne choisira pas le moment précis où un train est en train de passer. Celui qui veut coudre un bouton évitera de piquer son doigt avec l'aiguille. Pour toute activité pratique, l'homme a développé une technique lui indiquant comment procéder si l'on souhaite éviter de se comporter de manière déraisonnable. On accepte généralement le fait qu'il est souhaitable d'acquérir les techniques dont on peut se servir dans la vie, et on traite d'incompétent celui qui met son nez dans un domaine dont il ne maîtrise pas les techniques. 

Ce n'est que dans le domaine de la politique sociale qu'il devrait en être autrement, pense-t- on. Ici, ce ne serait pas la raison mais les sentiments et les pulsions qui décideraient. La question : Comment arranger les choses afin de fournir un bon éclairage pendant les heures
d'obscurité ? n'est généralement discutée qu'avec des arguments logiques. Mais dès que la discussion en vient à savoir s'il convient de faire gérer l'industrie d'éclairage par des personnes privées ou par la municipalité, la raison n'est plus considérée comme pertinente. Dans ce cas, les sentiments, la vision du monde ― bref, la déraison ― devraient être les facteurs déterminants. Nous demandons en vain : Pourquoi ? 

L'organisation de la société humaine d'après le modèle le plus favorable à la réalisation des fins envisagées est une question concrète assez prosaïque, qui n'est pas différente, par exemple, de la construction d'une ligne de chemin de fer ou de la production de vêtements ou de meubles. Les affaires nationales ou gouvernementales sont, il est vrai, plus importantes que toutes les autres questions pratiques du comportement humain, car l'ordre social constitue les fondations de tout le reste, et qu'il n'est possible à chacun de réussir dans la poursuite de ses fins personnelles qu'au sein d'une société propice à leur réalisation. Mais aussi élevée que puisse être la sphère où se situent les questions politiques et sociales, celles-ci se réfèrent à des sujets qui sont soumis au contrôle humain et doivent donc être jugés selon les critères de la raison humaine. Dans de tels domaines, comme dans toutes les autres affaires de ce monde, le mysticisme n'est qu'un mal. Nos pouvoirs de compréhension sont très limités. Nous ne pouvons pas espérer découvrir un jour les secrets ultimes et les plus profonds de l'univers. Mais le fait que nous ne pourrons jamais saisir le sens et le but de notre existence ne nous empêche pas de prendre des précautions afin d'éviter les maladies contagieuses, ni d'utiliser les moyens adéquats pour nous nourrir et nous vêtir. Il ne devrait pas non plus nous empêcher d'organiser la société de façon à pouvoir atteindre de la manière la plus efficace possible les buts terrestres que nous poursuivons. L'État et le système légal, le gouvernement et son administration ne sont pas des domaines trop élevés, trop bons ou trop vastes, pour ne pas faire l'objet de délibérations rationnelles. Les problèmes de politique sociale sont des problèmes de technique sociale, et leur solution doit être cherchée de la même façon et avec les mêmes moyens que nous utilisons pour résoudre les autres problèmes techniques : par le raisonnement rationnel et par l'examen des conditions données. Tout ce qui constitue la nature de l'homme et l'élève au-dessus des animaux, il le doit à sa raison. Pourquoi devrait-il renoncer à l'usage de la raison dans le seul domaine de la politique sociale, et ce pour faire confiance à des sentiments ou des pulsions vagues et obscurs ? 

4. L'objectif du libéralisme
Il existe une opinion répandue selon laquelle le libéralisme se distingue des autres mouvements politiques en ce qu'il placerait les intérêts d'une partie de la société ― les classes possédantes, les capitalistes, les entrepreneurs ― au-dessus des intérêts des autres classes. Cette affirmation est totalement fausse. Le libéralisme a toujours eu en vue le bien de tous, et non celui d'un groupe particulier. C'est cela que les utilitaristes anglais ont voulu dire avec leur célèbre ― mais pas très appropriée, il faut bien l'avouer ― formule : « le plus grand bonheur pour le plus grand nombre ». Historiquement, le libéralisme fut le premier mouvement politique qui ait cherché à promouvoir le bien-être de tous, et pas seulement celui de groupes spécifiques. Le libéralisme se distingue du socialisme, qui professe lui aussi la recherche du bien de tous, non par le but qu'il poursuit mais par les moyens qu'il choisit pour atteindre ce but. 

Si l'on prétend que la conséquence de la politique libérale est, ou doit être, de favoriser les intérêts particuliers de certaines couches de la société, c'est une question qui mérite d'être discutée. L'une des tâches du présent essai est de montrer qu'un tel reproche n'est en aucun cas justifié. Mais on ne peut pas, a priori, soupçonner de malhonnêteté la personne qui soulève cette question ; il se peut qu'elle soutienne cette affirmation ― selon nous erronée ― avec la meilleure bonne foi du monde. En tout cas, ceux qui attaquent le libéralisme de cette façon concèdent que ses intentions sont pures et qu'il ne veut rien d'autre que ce qu'il dit vouloir. 

Il en va assez différemment des critiques qui reprochent au libéralisme de chercher à favoriser non pas le bien-être général mais les intérêts particuliers de certaines classes. De tels critiques sont à la fois malhonnêtes et ignorants. En choisissant ce type d'attaque, ils montrent qu'ils sont au fond d'eux bien conscients de la faiblesse de leur propre cause. Ils utilisent des armes empoisonnées parce qu'ils ne peuvent sinon espérer l'emporter. 
Si un médecin montre la perversité de son désir à un patient qui a un besoin maladif d'une certaine nourriture préjudiciable à sa santé, personne ne sera assez fou pour dire : « Ce médecin ne se soucie pas du bien de son patient ; celui qui veut le bien de ce patient ne doit pas lui refuser le plaisir de savourer des plats si délicieux. » Tout le monde comprendra que le docteur ne conseille au patient de renoncer au plaisir que lui procure la nourriture nocive qu'afin de lui éviter de détruire sa santé. Mais dès qu'il s'agit de politique sociale, il faudrait considérer les choses autrement. Lorsque le libéral déconseille certaines mesures populaires parce qu'il en attend des conséquences néfastes, il est dénoncé comme ennemi du peuple, et l'on applaudit les démagogues qui, sans égard pour les maux qui s'en suivront, recommandent ce qui semble être indiqué à l'heure actuelle. 

L'action raisonnable se distingue de l'action déraisonnable en ce qu'elle implique des sacrifices provisoires. Ceux-ci ne sont des sacrifices qu'en apparence, car ils sont plus que compensés par les conséquences favorables qui en découleront. Celui qui renonce à un mets savoureux mais malsain fait simplement un sacrifice provisoire, un prétendu sacrifice. Le résultat ― l'absence de tort causé à sa santé ― montre qu'il n'y a rien perdu, mais qu'il y a gagné. Agir de cette façon réclame toutefois de prévoir les conséquences de son action. Le démagogue tire avantage de ce fait. Il s'oppose au libéral, qui demande des sacrifices provisoires et qui n'en sont qu'en apparence, et le présente comme un ennemi sans-cœur du peuple, tout en se présentant lui comme un ami du genre humain. En soutenant les mesures qu'il défend, il sait bien comment toucher les cœurs de son auditoire et comment leur faire monter les larmes aux yeux par des allusions à la pauvreté et à la misère. 

Une politique antilibérale est une politique de consommation du capital. Elle recommande de créer davantage de biens actuels au détriment des biens futurs. C'est exactement comme dans le cas du patient dont nous avons parlé. Dans les deux cas, un inconvénient assez grave s'oppose à une satisfaction momentanée relativement importante. Parler comme si le problème se résumait à une opposition entre l'insensibilité et la philanthropie est franchement malhonnête et mensonger. Ce ne sont pas seulement les habituels politiciens et la presse des partis antilibéraux à qui l'on peut adresser un tel reproche. Presque tous les auteurs de l'école de la Sozialpolitikont utilisé cette méthode sournoise de combat. 

Qu'il y ait de la pauvreté et de la misère dans le monde n'est pas un argument contre le libéralisme, comme le lecteur moyen des journaux n'est que trop enclin à le croire, par paresse d'esprit. C'est précisément la pauvreté et la misère que le libéralisme cherche à éliminer, et il considère que les moyens qu'il propose sont les seuls adaptés pour atteindre cet objectif. Que ceux qui pensent connaître un meilleur moyen, ou même un moyen différent, en apportent la preuve. L'affirmation selon laquelle les libéraux ne se battent pas pour le bien de tous les membres de la société, mais uniquement pour celui de certains groupes particuliers, ne constitue nullement une telle preuve. 

Même si le monde menait aujourd'hui une politique libérale, le fait qu'il existe pauvreté et misère ne constituerait pas un argument contre le libéralisme. On pourrait toujours se demander s'il n'y aurait pas plus de pauvreté et plus de misère en poursuivant d'autres politiques. Étant donné toutes les méthodes mises en œuvre par les politiques antilibérales pour restreindre et empêcher le fonctionnement de l'institution de la propriété privée, et ceci dans tous les domaines, il est manifestement assez absurde de chercher à déduire quoi que ce soit contre les principes libéraux du fait que les conditions économiques ne sont pas de nos jours celles que l'on pourrait espérer. Afin d'apprécier ce que le libéralisme et le capitalisme ont accompli, il faudrait comparer les conditions actuelles avec celles du Moyen Âge ou des premiers siècles de l'ère moderne. Ce que le libéralisme et le capitalisme auraient pu accomplir si on ne les avait pas entravés, seule une analyse théorique permet de le déduire. 

5. Libéralisme et capitalisme
On appelle habituellement société capitaliste une société où les principes libéraux sont appliqués, et capitalisme la situation correspondant à cette société. Comme la politique économique libérale n'a partout été que plus ou moins fidèlement mise en pratique, la situation du monde d'aujourd'hui ne nous donne qu'une idée imparfaite de ce que signifie et de ce que
peut accomplir un capitalisme totalement épanoui. Néanmoins, on a parfaitement raison d'appeler notre époque l'âge du capitalisme, parce qu'on peut faire remonter toute la richesse de notre temps aux institutions capitalistes. C'est grâce aux idées libérales qui restent encore vivantes dans notre société, à ce qui persiste encore du système capitaliste, que la grande masse de nos contemporains peut connaître un niveau de vie bien plus élevé que celui qui, il n'y a encore que quelques générations, n'était accessible qu'aux riches et aux privilégiés. 

Certes, dans la rhétorique usuelle des démagogues, ces faits sont présentés assez différemment. A les entendre, on pourrait penser que tous les progrès des techniques de production ne se font qu'au bénéfice exclusif de quelques privilégiés, alors que les masses s'enfonceraient de plus en plus dans la misère. Il ne suffit pourtant que d'un instant de réflexion pour comprendre que les fruits des innovations techniques et industrielles permettent de mieux satisfaire les besoins des grandes masses. Toutes les grandes industries produisant des biens de consommation travaillent directement pour le bénéfice du consommateur ; toutes les industries qui produisent des machines et des produits semi-finis y travaillent indirectement. Les grands développements industriels des dernières décennies ― comme ceux du XVIIIesiècle et que l'on désigne de façon peu heureuse par l'expression de « Révolution industrielle » ― ont conduit avant tout à une meilleure satisfaction des besoins des masses. Le développement de l'industrie d'habillement, la mécanisation de la production des chaussures et les améliorations dans la fabrication et la distribution des biens d'alimentation ont, par leur nature même, bénéficié au public le plus large. C'est grâce à ces industries que les masses actuelles sont mieux vêtues et mieux nourries qu'auparavant. Cependant, la production de masse ne fournit pas seulement la nourriture, des abris et des vêtements, mais répond aussi à de nombreuses autres demandes d'une multitude de personnes. La presse est au service des masses presque autant que l'industrie cinématographique, et même le théâtre ou d'autres places fortes similaires des arts font chaque jour davantage partie des loisirs de masse.

Néanmoins, en raison de la propagande zélée des partis antilibéraux, qui inversent les faits, les peuples en sont venus de nos jours à associer les idées du libéralisme et du capitalisme à l'image d'un monde plongé dans une pauvreté et une misère croissantes. Certes, même la plus forte dose de propagande et de reproches ne pourra jamais réussir, comme l'espèrent les démagogues, à donner aux mots « libéral » et « libéralisme » une connotation totalement péjorative. En dernière analyse, il n'est pas possible de mettre de côté le fait que, en dépit de toute la propagande antilibérale, il existe quelque chose dans ces termes qui suggère ce que tout un chacun ressent quand il entend le mot « liberté ». La propagande antilibérale évite par conséquent d'utiliser trop souvent le mot « libéralisme » et préfère associer au terme « capitalisme » les infamies qu'il attribue au système libéral. Ce mot évoque un capitaliste au cœur de pierre, qui ne pense à rien d'autre qu'à son enrichissement, même si cela doit passer par l'exploitation de ses semblables. 

Il ne vient presque à l'idée de personne, quand il s'agit de se faire une idée du capitaliste, qu'un ordre social organisé selon d'authentiques principes libéraux ne laisse aux entrepreneurs et aux capitalistes qu'une façon de devenir riches : en offrant dans de meilleures conditions à leurs semblables ce que ces derniers estiment eux-mêmes nécessaire. Au lieu de parler du capitalisme en le rattachant aux formidables améliorations du niveau de vie des masses, la propagande antilibérale n'en parle qu'en se référant à des phénomènes dont l'émergence ne fut possible qu'en raison des restrictions imposées au libéralisme. Il n'est nulle part fait référence au fait que le capitalisme a mis à la disposition des grandes masses le sucre, à la fois aliment et luxe délicieux. Quand on parle du capitalisme en liaison avec le sucre, c'est uniquement lorsqu'un cartel fait monter dans un pays le prix du sucre au-dessus du cours mondial. Comme si une telle chose était même concevable dans un ordre social appliquant les principes libéraux. Dans un pays connaissant un régime libéral, dans lequel il n'y aurait pas de tarifs douaniers, des cartels capables de faire monter le prix d'un bien au-dessus du cours mondial seraient presque impensables. 

Les étapes du raisonnement par lequel la démagogie antilibérale réussit à faire porter sur le libéralisme et le capitalisme la responsabilité de tous les excès et de toutes les conséquences funestes des politiques antilibérales, sont les suivantes : On part de l'hypothèse selon laquelle les principes libéraux viseraient à promouvoir les intérêts des capitalistes et des entrepreneurs
aux dépens des intérêts du reste de la population et selon laquelle le libéralisme serait une politique favorisant le riche au détriment du pauvre. Puis on constate que de nombreux entrepreneurs et de nombreux capitalistes, dans certaines conditions, défendent les tarifs protecteurs, tandis que d'autres ― les fabricants d'armes ― soutiennent une politique de « préparation nationale » ; et on saute alors sommairement à la conclusion qu'il doit s'agir de politiques « capitalistes ». En réalité, il en va tout autrement. Le libéralisme n'est pas une politique menée dans l'intérêt d'un groupe particulier quelconque, mais une politique menée dans l'intérêt de toute l'humanité. Il est par conséquent erroné d'affirmer que les entrepreneurs et les capitalistes ont un intérêt particulierà soutenir le libéralisme. Il peut y avoir des cas individuels où certains entrepreneurs ou certains capitalistes cachent leurs intérêts personnels derrière le programme libéral ; mais ces intérêts s'opposeront toujours aux intérêts particuliers d'autres entrepreneurs ou d'autres capitalistes. Le problème n'est pas aussi simple que l'imaginent ceux qui voient partout des « intérêts » et des « parties intéressées ». Qu'une nation impose des tarifs sur le fer, par exemple, ne peut pas être expliqué « simplement » par le fait que cela favorise les magnats du fer. Il se trouve dans le pays d'autres personnes, avec des intérêts opposés, et ceci même au sein des entrepreneurs ; et, en tout cas, les bénéficiaires des droits de douane sur le fer ne représentent qu'une minorité en diminution constante. La corruption ne peut pas non plus constituer une explication, car les personnes corrompues ne sont également qu'une minorité ; de plus, pourquoi seul un groupe, les protectionnistes, se livre-t-il à la corruption et pas leurs adversaires, les libre-échangistes ? 

En réalité, l'idéologie qui rend possible l'existence de tarifs protecteurs n'a été créée ni par les « parties intéressées » ni par ceux qu'elles auraient achetés, mais par les idéologues qui ont mis au monde les idées qui gouvernent toutes les affaires humaines. A notre époque, où prévalent les idées antilibérales, presque tout le monde pense en conséquence, tout comme il y a cent ans la plupart des gens pensaient en fonction de l'idéologie libérale alors dominante. Si beaucoup d'entrepreneurs défendent aujourd'hui les tarifs protectionnistes, ce n'est rien d'autre que la forme que prend l'antilibéralisme dans leur cas. Cela n'a rien à voir avec le libéralisme. 

6. Les racines psychologiques de l'antilibéralisme
L'objet de cet ouvrage ne peut pas être de traiter du problème de la coopération sociale autrement que par des arguments rationnels. Mais les racines de l'opposition au libéralisme ne peuvent pas être comprises en ayant recours à la raison et à ses méthodes. Cette opposition ne vient pas de la raison, mais d'une attitude mentale pathologique ― d'un ressentiment et d'un état neurasthénique qu'on pourrait appeler le complexe de Fourier, d'après le nom de ce socialiste français. 

Il y a peu à dire au sujet du ressentiment et la malveillance envieuse. Le ressentiment est à l'œuvre quand on déteste tellement quelqu'un pour les circonstances favorables dans lesquelles il se trouve, que l'on est prêt à supporter de grandes pertes uniquement pour que l'être haï souffre lui aussi. Parmi ceux qui attaquent le capitalisme, plusieurs savent très bien que leur situation serait moins favorable dans un autre système économique. Néanmoins, en pleine connaissance de cause, ils défendent l'idée d'une réforme, par exemple l'instauration du socialisme, parce qu'ils espèrent que les riches, dont ils sont jaloux, souffriront également dans ce cas. On entend toujours et encore des socialistes qui expliquent que même la pénurie matérielle serait plus facile à supporter dans une société socialiste parce que les gens verront que personne n'occupe une meilleure situation que son voisin. 

En tout état de cause, on peut s'opposer au ressentiment par des arguments rationnels. Il n'est après tout pas très difficile de montrer à quelqu'un qui est plein de ressentiment, que la chose importante pour lui est d'améliorer sa propre situation, pas de détériorer celle de ses semblables qui occupent une meilleure position. 

Le complexe de Fourier est bien plus difficile à combattre. Dans ce cas, nous avons à faire face à une maladie grave du système nerveux, une névrose, qui est plus du ressort du psychologue que du législateur. On ne peut pourtant pas la négliger quand il s'agit d'étudier les problèmes
de la société moderne. Malheureusement, les médecins se sont jusqu'ici peu préoccupés des problèmes que constitue le complexe de Fourier. En fait, ces problèmes ont à peine été notés, même par Freud, le grand maître de la psychologie, ou par ses successeurs dans leur théorie de la névrose, bien que nous soyons redevables à la psychanalyse de nous avoir ouvert la voie de la compréhension cohérente et systématique des désordres mentaux de ce type. 
 
A peine une personne sur un million réussit à réaliser l'ambition de sa vie. Les résultats de notre travail, même si l'on est favorisé par la chance, restent bien en deçà de ce que les rêveries de la jeunesse nous laissaient espérer. Nos plans et nos désirs sont ruinés par un millier d'obstacles et notre pouvoir est bien trop faible pour réaliser les objectifs que nous portions dans notre cœur. L'envol de ses espoirs, la frustration de ses plans, sa propre insuffisance face aux buts qu'il s'était fixé lui-même ― tout ceci constitue l'expérience la plus pénible de tout homme. Et c'est, en fait, le lot commun de l'homme. 

Il y a pour un homme deux façons de réagir à cette expérience. On trouve l'une dans la sagesse pratique de Goethe : 

Voulez-vous dire que je devrais haïr la vie
Et fuir vers le désert
Parce que tous mes rêves bourgeonnants n'ont pas fleuri ? 

crie son Prométhée. Et Faust reconnaît au « moment le plus important » que « le dernier mot de la sagesse » est : 

Personne ne mérite la liberté ou la vie S'il ne les conquiert chaque jour à nouveau. 

Une telle volonté et un tel esprit ne peuvent pas être vaincus par la malchance terrestre. Celui qui accepte la vie pour ce qu'elle est et ne se laisse pas submerger par elle, n'a pas besoin de chercher refuge dans la consolation d'un « mensonge salvateur » pour compenser une perte de confiance en soi. Si la réussite espérée n'est pas au rendez-vous, si les vicissitudes du destin démolissent en un clin d'œil ce qui avait été péniblement construit au cours d'années de dur labeur, alors il multiplie simplement ses efforts. Il peut regarder le désastre en face sans désespérer. 

Le névrosé ne peut pas supporter la vie réelle. Elle est trop grossière pour lui, trop ordinaire, trop commune. Pour la rendre supportable, il n'a pas, contrairement à l'homme sain, le cœur de « continuer en dépit de tout. » Ce ne serait pas conforme à sa faiblesse. A la place, il se réfugie dans un fantasme, une illusion. Un fantasme est, d'après Freud, « quelque chose de désiré en soi, une sorte de consolation » ; il se caractérise par sa « résistance face à la logique et à la réalité ». Il ne suffit pas du tout, dès lors, de chercher à éloigner le patient de son fantasme par des démonstrations convaincantes de son absurdité. Afin de guérir, le malade doit surmonter lui-même son mal. Il doit apprendre à comprendre pourquoi il ne veut pas faire face à la vérité et pourquoi il cherche refuge dans ses illusions. 

Seule la théorie de la névrose peut expliquer le succès du Fouriérisme, produit fou d'un cerveau sérieusement dérangé. Ce n'est pas ici l'endroit pour démontrer la preuve de la psychose de Fourier en citant des passages de ses écrits. De telles descriptions ne présentent d'intérêt que pour le psychiatre, ou pour ceux qui tirent un certain plaisir à la lecture des produits d'une imagination lubrique. Mais c'est un fait que le marxisme, quand il est obligé de quitter le domaine de la pompeuse rhétorique dialectique, de la dérision et de la diffamation de ses adversaires, et qu'il doit faire quelques maigres remarques pertinentes sur le sujet, n'a jamais pu avancer autre chose que ce que Fourier, « l'utopiste », avait à offrir. Le marxisme est de même également incapable de construire une image de la société socialiste sans faire deux hypothèses déjà faites par Fourier, hypothèses qui contredisent toute expérience et toute raison. D'un côté, on suppose que le « substrat matériel » de la production, qui est « déjà présent dans la nature sans effort productif de la part de l'homme, » est à notre disposition dans une abondance telle qu'il n'est pas nécessaire de l'économiser. D'où la foi du marxisme dans une « augmentation pratiquement sans limite de la production. » D'un autre côté, on suppose que dans une communauté socialiste le travail se transformera « d'un fardeau en un plaisir » ― et qu'en réalité, il deviendra « la première nécessité de la vie ». Là où les biens abondent et le
travail est un plaisir, il est sans aucun doute très facile d'établir un pays de Cocagne. 
 
Le marxisme croit que du haut de son « socialisme scientifique » il est en droit de regarder avec mépris le romantisme et les romantiques. Mais sa propre procédure n'est en réalité pas différente des leurs. Au lieu d'enlever les obstacles qui se dressent sur la route de ses désirs, il préfère les laisser simplement disparaître dans les nuages de ses rêves. 

Dans la vie d'un névrosé, le « mensonge salvateur » possède une double fonction. Il ne le console pas seulement des échecs passés, mais lui offre aussi la perspective de succès futurs. En cas d'échec social, le seul qui nous concerne ici, la consolation consiste à croire que l'incapacité d'atteindre les buts élevés auxquels on aspirait n'est pas due à sa propre médiocrité mais aux défauts de l'ordre social. Le mécontent attend du renversement de cet ordre la réussite que le système en vigueur lui interdit. Par conséquent, il est inutile d'essayer de lui faire comprendre que l'utopie dont il rêve n'est pas possible et que le seul fondement possible d'une société organisée selon le principe de la division du travail réside dans la propriété privée des moyens de production. Le névrosé s'accroche à son « mensonge salvateur » et quand il doit choisir entre renoncer à ce mensonge et renoncer à la logique, il préfère sacrifier cette dernière. Car la vie serait insupportable à ses yeux sans la consolation qu'il trouve dans l'idée du socialisme. Elle lui dit que ce n'est pas lui, mais le monde, qui est responsable de son échec : cette conviction accroît sa faible confiance en lui et le libère d'un pénible sentiment d'infériorité.

Tout comme le dévot chrétien peut plus facilement supporter le malheur qui lui tombe dessus sur terre parce qu'il espère poursuivre une existence personnelle dans un autre monde, meilleur, où les premiers seront les derniers et vice versa, de même le socialisme est devenu pour l'homme moderne un élixir contre l'adversité terrestre. Mais alors que la croyance dans l'immortalité, en tant que récompense dans l'au-delà, et dans la résurrection constituait une incitation à se conduire de manière vertueuse dans la vie terrestre, l'effet de la promesse socialiste est assez différent. Cette promesse n'impose aucun autre devoir que d'apporter son soutien politique au parti du socialisme, tout en augmentant en même temps les attentes et les revendications. 

Ceci étant la nature du rêve socialiste, il est compréhensible que chaque adepte du socialisme en attend précisément ce qui lui a été jusque-là refusé. Les auteurs socialistes ne promettent pas seulement la richesse pour tous, mais aussi l'amour pour tous, le développement physique et spirituel de chacun, l'épanouissement de grands talents artistiques et scientifiques chez tous les hommes, etc. Récemment, Trotski a affirmé dans un de ses écrits que dans la société socialiste « l'homme moyen se hissera au niveau d'un Aristote, d'un Goethe ou d'un Marx. Et de nouvelles cimes s'élèveront à partir de ses sommets » . Le paradis socialiste sera le royaume de la perfection, peuplé par des surhommes totalement heureux. Toute la littérature socialiste est remplie de telles absurdités. Mais ce sont ces absurdités qui leur apportent la majorité de leurs partisans. 

On ne peut pas envoyer tous ceux qui souffrent du complexe de Fourier aller voir un médecin pour un traitement psychanalytique, le nombre des malades étant bien trop grand. Il n'y a pas d'autre remède possible dans ce cas que le traitement de la maladie par le patient lui-même. Par la connaissance de soi, il doit apprendre à supporter son sort dans la vie, sans chercher de bouc émissaire sur lequel il puisse rejeter toute la responsabilité, et il doit s'efforcer de saisir les lois fondamentales de la coopération sociale.







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Turgot et la devise de Ludwig von Mises. Par Benoît Malbranque

Tout le monde connait la formule de Virgile, reprise comme devise par Ludwig von Mises et à sa suite par le Ludwig von Mises Institute : « Tu ne cede malis sed contra audentior ito » (Ne cède pas au mal mais co... LIRE LA SUITE

Le calcul économique en régime collectiviste. Par Ludwig von Mises

Ce qui caractérise le socialisme, c’est que la répartition des biens de consommation doit être indépendante de la production et de ses conditions économiques. Par essence, la propriété collective des biens de production est inconciliable avec le fait de fonder la répartition – même partiellement – sur l’imputation économique du produit à chacun des facteurs de la production.








 MISES (1881-1973) 
Écrit par Jacques Garello  ALEPS

Science économique, science du comportement 
Ludwig von Mises appartient à « l’école autrichienne d’économie » fondée par Carl Menger, dont il reprend les deux idées majeures : l’individualisme méthodologique (on ne peut comprendre l’économie qu’à partir des décisions prises par les individus), la subjectivité de la valeur (la valeur attribuée à un bien ou service varie avec chaque individu et chaque contexte).
Allant plus loin que son maître de Vienne, Mises fait de la science économique une branche de la « praxéologie », science de « l’agir humain » : comment les hommes se comportent-ils dans les choix qu’ils ont à faire dans la vie ? Obéissent-ils à une logique immuable et quantifiable (position des purs rationalistes et des inventeurs néo-classiques de l’homo oeconomicus) ? Sont-ils conditionnés par l’histoire (position des historicistes allemands qui entretiennent une violente querelle avec les économistes autrichiens) ? Ou sont-ils simplement guidés par ce qu’ils pensent être leur intérêt, compte tenu des multiples paramètres qui entrent dans leur calcul ? Ceci est la position des classiques libéraux depuis Adam Smith, c’est celle des économistes autrichiens.

La dynamique économique : l’économie du temps et du savoir
Pour les Autrichiens, il ne fait aucun doute que chaque décideur effectue ses choix grâce à une grille de lecture qui lui est propre. Il porte en lui son passé, son présent et son avenir. Son passé est son expérience : l’action humaine est éclairée par les erreurs commises ou les essais réussis. Le présent se reflète dans le prix que l’on attache au temps ; le temps est lui-même subjectif, il y a des minutes qui durent des heures, et inversement. Le futur est dominé par l’incertitude radicale, un concept de Menger : on ne peut même pas probabiliser les évènements futurs, parce que les projets de chacun vont devoir s’adapter à tous les projets de tous les autres. 

Le jeu de la catallaxie
En dépit de cette difficulté majeure, les choix s’opèrent, et chaque jour. C’est qu’ils se combinent entre eux, ils s’agrègent et débouchent sur des solutions que l’on ne pouvait entrevoir dans le cadre d’un décideur unique. Ce jeu, cette alchimie, s’appelle la catallaxie (un mot inventé par Richard Whateley en 1831, et abondamment repris par Hayek) : la confrontation avec les autres, l’échange d’informations nécessaires à parvenir à un accord. Concrètement la catallaxie débouche sur des signaux visibles sur un marché : les prix et les profits, qui indiquent quelles sont les bases possibles d’un échange entre individus, et qui vont donc guider leurs décisions.  

La catallaxie rejetée par le socialisme
Mises dénonce toutes les fausses manoeuvres des gouvernements de son époque de nature à fausser la catallaxie et à déboucher sur des signaux mensongers : interventionnisme fiscal, restriction de la production, détermination ou limitation des prix, manipulation de la monnaie et du crédit, confiscation et redistribution, syndicalisme et corporatisme. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de voir les crises se succéder : ce sont des crises de la désinformation économique. Cependant, la pire des désinformations est celle que les socialistes veulent mettre en place avec la planification. Mises, avec à ses côtés Hayek, démontre à la fin des années 1930, l’impossibilité du calcul économique en économie planifiée socialiste. Le planificateur, même équipé d’une batterie d’ordinateurs, est-il en mesure de reconstituer le jeu des échanges nés de la liberté de choisir et d’agir ? Certainement pas, et la seule solution pour réaliser un « équilibre macro-économique » (une autre farce) en accord avec les artifices des planificateurs est de supprimer cette liberté. Mises se révolte contre la présomption des socialistes de construire un monde nouveau et parfait. En réalité ils sont inconscients des dégâts qu’ils commettent « Après nous le déluge » a toujours été et sera toujours la vraie devise du socialisme, écrit Mises. Ce défenseur du marché et pourfendeur de la planification n’aura pas vécu assez longtemps pour se réjouir de la pertinence de ses analyses avec la chute de l’URSS, et pour saluer une des victoires éclatantes du libéralisme sur le socialisme. Mais le socialisme n’a visiblement pas disparu. On peut relire Mises !


Ludwig von Mises

Ludwig von Mises (prononciation allemande : ˈluːt.vɪç fɔn ˈmiː.zəs) (29 septembre 1881 - 10 octobre 1973) est un économiste autrichien puis américain qui a eu une influence importante sur le mouvement libéral et libertarien moderne. Il enseigne d'abord à Vienne puis à Genève jusqu'en 1940. Fils d'une famille juive de Galicie (Ukraine) et inscrit sur la liste noire des nazis, il fuit aux États-Unis où il enseigne à l'université de New York de 1945 à 1969. Naturalisé américain en 1946, il meurt à New York en 1973.
Auteur majeur de l'école autrichienne d'économie qui défend le capitalisme et le libéralisme classique, il est particulièrement connu pour son magnum opus, L'Action humaine, traité d'économie publié pour la première fois en anglais en 1949. Il y expose en particulier les positions épistémologiques et méthodologiques qui caractérisent l'école autrichienne : conception subjective de la valeur, individualisme méthodologique et praxéologie.
Son nom reste également attaché à la critique théorique du socialisme, que Mises considère voué irrémédiablement à l'échec en raison de l'absence des mécanismes de fixation des prix par le marché. Friedrich Hayek, Murray Rothbard et Israel Kirzner comptent parmi ses élèves les plus éminents.
Naissance 29 septembre 1881 (Lemberg (maintenant Lviv), Autriche-Hongrie)
Décès 10 octobre 1973 (New York)
École/tradition École autrichienne d'économie, Libéralisme
Principaux intérêts philosophie, économie, droit
Idées remarquables Praxéologie, Catallaxie, Calcul économique, dualisme méthodologique
Influencé par Aristote, Kant, Menger, Böhm-Bawerk, Brentano, Say, Bastiat, Turgot
A influencé Hayek, Rothbard, Kirzner, Hoppe, Schumpeter, Friedman, Buchanan, Robbins, Hülsmann, Simons, Hicks, Lachmann, Rand, Rockwell, Hazlitt, Reisman, Bauer, Paul, Smith

Biographie

  Jeunesse et formation

Ludwig Heinrich Edler von Mises nait à Lemberg en Autriche-Hongrie le 29 septembre 1881. Il voit le jour dans une famille de marchands juifs germanophones, anoblie la même année et résidant depuis des siècles en Galicie, dans l'actuelle Ukraine. Son père, Arthur von Mises est ingénieur en travaux publics et sa mère Adèle l'élève avec son frère Richard, né en 1883 et qui deviendra mathématicien. Ils ont un troisième frère, Karl, qui meurt pendant l'enfance. Ils déménagent à Vienne dans les années 1890. L'empire Austro-hongrois est alors le deuxième plus grand empire d'Europe et est constitué d'une mosaïque de peuples et de cultures.
En 1892, il entre à l'Akademische Gymnasium de Vienne, où il étudie avec Hans Kelsen. De 1900 à 1906[1], il étudie à l'université de Vienne, d'où il sort docteur en droit canon et romain, l'économie n'étant alors enseignée qu'à l'université de droit[2].
L'enseignement qu'il suit à l'université de Vienne est dominé par l'historicisme, en particulier dans les cours de Karl Grünberg. Si Mises rejette rapidement cette école, il est dans ses premières années d'université partisan de l'interventionnisme étatique. Il écrivit ainsi : « Quand j'entrai à l'université, j'étais moi aussi profondément étatiste »[3]. C'est à partir de 1903-1904 qu'il se rapproche des théoriciens de l'école autrichienne d'économie comme Carl Menger, dont il lit durant ces années les Principes d'économie, et Eugen von Böhm-Bawerk, dont il suit le séminaire privé entre 1904 et 1914[4]. Mises déclara que c'est de la lecture des Principes de Menger que naquit sa vocation d'économiste[5].

  Vienne (1906 - 1934)

En 1907, il devient conseiller officiel du gouvernement autrichien[2], tout en remplissant quelques postes d'enseignement ou en travaillant dans un cabinet d'avocats. À partir de 1909 ou 1911[6], il devient conseiller économique de la chambre de commerce de Vienne. Il décide alors de s'attaquer à la question soulevée par l'économiste Karl Helferrich, qui avait pointé l'absence de théorie de l'école autrichienne d'économie sur la monnaie[7]. Il fera de ses travaux sur la question sa thèse d'Habilitation[8]. Il en sortira en 1912 la Théorie de la monnaie et du crédit, dans laquelle il soutient que l'étalon-or est le seul système monétaire viable.
À la suite de la publication de son ouvrage, il obtient en 1913 un premier poste d'enseignement non rémunéré à l'université de Vienne; il devient privatdozent. À l'exception de la période de guerre, il y enseignera sans discontinuer jusqu'en 1934, toujours sans être payé. Pour Earlene Craver, professeur à l'Université de Los Angeles, ce refus de l'université de Vienne de le nommer à l'une des trois chaires rémunérées est dû à trois raisons : Mises était libéral dans un monde ou l'interventionnisme socialiste et fasciste montait en puissance, juif dans une ville de plus en plus antisémite et il refusait de céder sur ses principes[9]. Dans le même temps, il reste conseiller économique de la Chambre de Commerce de Vienne; c'est de ce poste qu'il tire ses revenus[7]. Ses idées et plus globalement celles du courant autrichien restent en effet minoritaires dans les universités face à, principalement, l'historicisme.
« Ceux que le monde appelaient « économistes autrichiens » étaient dans les universités autrichiennes des exclus, tolérés avec difficulté »
— Ludwig von Mises
Lors de la Première Guerre mondiale, il est mobilisé comme capitaine d'artillerie dans l'armée autrichienne, sur le front de l'Est. Atteint par la typhoïde en 1917, il doit rentrer à Vienne et est affecté au quartier général, où il travaille comme conseiller économique jusqu'à la fin de la guerre[10]. Il s'occupe de la politique monétaire ukrainienne à la fin de l'année 1918. Il finit la guerre avec plusieurs médailles[11].
Dans la foulée il dirige la délégation autrichienne à la commission des réparations de la Société des Nations. En 1919 il réintègre l'université de Vienne comme « professeur extraordinaire »[2]. Il publie la même année Nation, Staat und Wirtschaft (Nation, État et économie), où il rend responsable de la Première Guerre mondiale l'adoration générale des États-nation et défend une plus grande liberté pour les minorités ethniques et culturelles.
Dans l'entre-deux guerres, il continue à conseiller le gouvernement autrichien; il est ainsi nommé par ce dernier pour des négociations commerciales avec le gouvernement communiste hongrois de Béla Kun. Dans l'immédiat après-guerre, il défend étonnamment l'émission de papier-monnaie, considérant que c'est le seul moyen de sauver le gouvernement[12].
Il lance également une campagne anti-inflation, en particulier dans des chroniques dans le journal Neues Wiener Tagblatt. Peu après, il est chargé avec Wilhelm Rosenberg de combattre l'inflation généralisée de l'après-guerre, en particulier avec les problèmes de reconversion de l'économie autrichienne. Il n'y sera que partiellement et temporairement vainqueur : si la couronne autrichienne est stabilisée en 1922, cela n'empêcha pas la crise du système bancaire en 1931[13].
De plus en plus reconnu, il organise un premier séminaire privé, bimensuel, qui durera de 1920 à 1934. Il y aura comme « élève » Friedrich Hayek, Fritz Machlup, Alfred Schütz, Gottfried Haberler et bien d'autres. Ses idées restent cependant minoritaires au sein de l'université autrichienne et Mises déclara ainsi par la suite[14] :
C'est durant ces années, quelques année seulement après la révolution d'Octobre, qu'il développe sa thèse selon laquelle le socialisme est voué à l'échec et irrationnel car ne disposant pas de l'indicateur des prix fixés par l'offre et la demande sur le marché. Après plusieurs articles dont Die Wirtschaftsrechnung im sozialistischen Gemeinwesen (Le calcul économique en régime collectiviste), il écrit en 1922 Die Gemeinwirtschaft (Socialisme) où il approfondit cette thèse. Il rencontra alors un écho certain chez plusieurs jeunes auteurs comme Friedrich Hayek et Wilhelm Röpke en Allemagne ou Lionel Robbins en Angleterre[15].
À l'automne 1925, il rencontre pour la première fois celle qui allait devenir sa femme, Margit Sereny[16]. Il effectue en 1926 une tournée des universités américaines. En janvier 1927, il fonde l'Institut Autrichien de la conjoncture (Österreichische Konjunkturinstitut). Friedrich Hayek, le plus connu de ses élèves et qui obtint le Prix Nobel d'économie en 1974, le dirigea jusqu'en 1931. En 1929, il publie Kritik des Interventionismus (Critique de l'interventionnisme) où il réfute l'interventionnisme étatique, qui pour Mises échoue à résoudre les problèmes auxquels il tente de répondre et en crée de nouveaux en ajoutant de l'instabilité.
Mises jouit alors d'une solide réputation parmi les économistes en Europe, en particulier à cause de sa Théorie de la monnaie et du crédit (1912), du Calcul économique en économie socialiste (1920), de Socialisme (1922) et de Libéralisme (1927).

  Genève (1934-1940)

En 1934, il reçoit une offre de William Rappard pour occuper la chaire de relations économiques internationales à l'Institut Universitaire des Hautes Études Internationales de Genève. Hitler est depuis un an au pouvoir en Allemagne et, acceptant la proposition de Rappard, Mises part s'installer à Genève le 3 octobre 1934 rejoindre Louis Rougier, Hans Kelsen, Wilhelm Röpke ou Paul Mantoux dans le corps professoral de l'école[17],[18]. Il enseigne alors en français.
Pendant l'Anschluss, il est à Genève mais, la nuit même où les nazis pénètrent à Vienne, son appartement est vidé par les soldats allemands car ses écrits sont jugés subversifs. Ses documents, ses écrits et sa bibliothèque sont saisis et évacués en 38 valises[19]. Inscrit sur la liste noire des nazis comme de l'URSS[20], il est dépossédé de ses biens. Il est considéré comme un ennemi politique du nazisme pour ses origines juives, et du socialisme pour ses écrits opposés à toute forme d'étatisme[21]. À la suite de l'application du nouveau code du 31 mai 1938 mis en place par les nazis, on lui retire le 29 juillet 1938 son poste de conseiller économique de la chambre du commerce de Vienne[22].
Il reste à Genève où le rejoint la même année sa future femme, Margit Sereny. Ils se marient le 6 juillet 1938 à Genève, avec Hans Kelsen et Gottfried Haberler comme témoins de mariage.
Mises rencontre régulièrement Hans Kelsen, professeur de droit qu'il avait rencontré à de nombreuses reprises dans ses études, Wilhelm Röpke, le théoricien allemand de l'ordolibéralisme, ou Louis Rougier, le philosophe français à l'origine du Colloque Walter Lippmann en 1938. A son invitation, il se rend à ce colloque organisé à l'occasion de la parution en français de La Cité libre de Lippmann. Mises se trouve en désaccord avec Lippmann sur de nombreux points mais prend finalement part à la création du Centre international pour la rénovation du libéralisme. L'existence de ce dernier sera éphémère, il disparait en 1940 avec l'occupation allemande.
En 1940, il achève à Genève la rédaction de Nationalökonomie, ouvrage dans lequel il aborde les grands thèmes développés plus tard dans L'action humaine. Le livre est écrit dans une période de guerre, en allemand, sans même pouvoir toucher le public allemand. Le livre ne suscite alors que très peu de réactions[18]. Alors que l'interventionnisme prend de plus en plus d'ampleur à la faveur de la Grande Dépression et des besoins de l'économie de guerre, Mises continue à défendre ses principes, en s'appuyant sur la devise de Virgile qu'il avait choisie : « Tu ne cede malis sed contra audentior ito » (Ne cède pas au mal mais affronte-le avec courage).
L'invasion par l'Allemagne des Pays-Bas, de la Belgique et de la France convainc Mises de la nécessité de fuir le continent européen et, le 4 juillet 1940, sa femme et lui fuient de Genève vers Lisbonne en autocar. Ils y attendent un bateau pour effectuer la liaison transatlantique pendant plusieurs semaines pendant lequel Mises rencontre régulièrement Bensabat Amzalak, le ministre portugais des finances[23].

  États-Unis (1940-1973)

Il arrive à New York le 2 août 1940. Il y est accueilli par Alfred Schütz, qui avait participé au séminaire de Ludwig von Mises à Vienne[24]. La reconnaissance qu'on lui accordait en Europe n'est cependant pas aussi forte aux États-Unis et sa théorie de la monnaie et du crédit n'avait ainsi été traduite qu'en 1934 sous l'impulsion de Lionel Robbins. Les débuts de sa nouvelle vie sont difficiles, même si la langue n'est pas un obstacle majeur, Mises étant à l'époque quasiment trilingue allemand-français-anglais.
Même s'il n'a pas encore de poste d'enseignement, il participe à la vie intellectuelle et fréquente par exemple Henry Hazlitt dont il est très proche et qui l'aidera à être publié par la Yale University Press. Il rencontre l'économiste Joseph Schumpeter, avec les idées duquel il est cependant souvent en désaccord[25]. Il retrouve également Louis Rougier qui a dû lui aussi fuir l'Europe avec sa femme à l'arrivée de la Wehrmacht. Il est invité en 1942 pour deux mois de conférence à l'Université de Mexico au Mexique.
La situation financière de Mises s'améliore à partir de 1941 quand il reçoit une bourse du National Bureau of Economic Research. Il y travaille jusqu'en 1945. L'année suivante, en janvier 1946, il est naturalisé américain, comme sa femme.
En 1942-1943, il écrit une série de neuf articles dans The New York Times dans lesquels il peut développer sa pensée et se faire connaître dans le pays. Ses articles traitent alors des problèmes monétaires (« Inflation and money supply », « A New World Currency »), de la reconstruction future (« The Problems of a Post-War Union of the Democratic Unions », « British Post-War Problems ») ou de la guerre (« Hitler's Achilles Heel », « The Nazis under Blockade »). À la suite de ces articles, de 1943 à 1954 il collabore avec la National Association of Manufacturers (NAM), dans la commission économique de l'association.
Il commence à être reconnu aux États-Unis et prononce plusieurs conférences. Le 15 mars 1943, il prononce ainsi une conférence sur The Aspects of American Foreign Trade Policy au Faculty Club de la New York University. Mises y déclare[26]:
« Le nationalisme économique est la cause à la racine de tous les conflits internationaux qui ont débouché sur deux guerres mondiales. C'est le nationalisme économique qui, d'une part, conduisit les nations « dynamiques » à l'agression et, d'autre part, dissuada les nations pacifiques de mettre en place une barrière contre une nouvelle agression allemande. Tous les plans pour un meilleur ordre mondial après la guerre sont inutiles s'ils ne réussissent pas à éliminer le protectionnisme et à instaurer le libre-échange. »
— Ludwig von Mises
La même année, il finit d'écrire Omnipotent Government (Le gouvernement omnipotent), son premier ouvrage en anglais, publié en 1944 par la Yale University Press avec Bureaucracy (Bureaucratie).
En 1945, il obtient un poste de Visiting professor à l'Université de New York, université dans laquelle il restera jusqu'en 1969, année de ses 78 ans. L'année suivante, Leonard Read fonde la Foundation for Economic Education (FEE) dont il devient président et à laquelle il associe Ludwig von Mises. Il y animera un séminaire pendant de nombreuses années.
Entre 1948 et 1969, Mises organise à la Graduate School de l'université le séminaire privé qu'il avait mis en place à l'Université de Vienne. Pendant ces 21 ans, il comptera parmi ses « élèves » Murray Rothbard ou Israel Kirzner (qui fera sa thèse de doctorat sous la direction de Mises). Des jeunes encore lycéens comme George Reisman (qui avait 15 ans alors) ou Ralph Raico participèrent également à ce séminaire hebdomadaire où Mises invita entre autres Hazlitt ou Ayn Rand. Il fut financé par le Volker Fund jusqu'en 1962, année où le fonds disparait[27]. Plusieurs donateurs proches du mouvement libertarien américain financèrent le séminaire jusqu'à la retraite de Mises en 1969[18].
De 1947 à 1965, il assiste aux réunions de la Société du Mont Pèlerin, une association de penseurs libéraux; il avait été l'un des quarante « pères fondateurs » de l'organisation à sa création à Vevey en 1947, de même qu'il avait participé neuf ans plus tôt au colloque Walter Lippmann.
En 1949, il met la touche finale à la rédaction de son magnum opus, L'action humaine, sur lequel il travaillait depuis 1942. Il s'agit d'une version anglaise, révisée et largement adaptée de son précédent livre Nationalökonomie de 1934. L'ouvrage connait un grand succès et six tirages en sont faits.
Il publie encore quelques essais importants par la suite, comme Profit and Loss (Profit et perte), sur le rôle de l'entrepreneur et le marché. En 1957, il publie Theory and History (Théorie et histoire), dans lequel il développe les relations entre praxéologie et histoire de l'humanité. Il s'y livre par ailleurs à une critique virulente du marxisme, de l'historicisme et du scientisme.
À la fin des années 1960, il réduit progressivement ses activités. Son dernier ouvrage important, The Ultimate foundation of economic science (Les fondements ultimes de la science économique), est publié en 1962. Il y développe sur un ton très polémique ses idées sur la nature et les méthodes de la science économique. Il abandonne son séminaire en 1969, à l'âge de 88 ans. Il s'éteint quatre ans plus tard au St. Vincent's Hospital de New York, le 10 octobre 1973, âgé de 92 ans.

  Pensée

  Présentation générale

Sa théorie économique a un fondement réaliste ; partant de prémisses empiriques générales, elle procède d'une analyse de la nature humaine et du concept d'action humaine qui en découle.
Aux antipodes de la macroéconomie, qui analyse des grandeurs statistiques, des agrégats et des moyennes, von Mises souligne le rôle prépondérant de la subjectivité en économie. Il insiste sur l'importance des opinions subjectives des individus dans la formation des phénomènes sociaux, sur les déséquilibres qui en découlent, et sur le rôle central de l'entreprise.
En accord avec la théorie de l'utilité marginale décroissante, il définit la valeur comme le degré d'importance attribué par un sujet à une quantité donnée d'un bien, dans les circonstances du moment (Paradoxe de l'eau et du diamant : un verre d'eau dans le désert n'a pas la même valeur que le même verre d'eau dans une région où l'eau est abondante - mais le deuxième et le troisième verres auront sans doute moins de valeur que le premier). Il écrivit par exemple que :
« La valeur n'est pas intrinsèque, elle n'est pas dans des choses. Elle est en nous ; elle est la façon dont l’homme réagit aux conditions de son environnement. »
— Ludwig von Mises
Selon Mises, le marché, non entravé par des interventions étatiques, produit un ordre spontané optimal qu'aucune organisation ou planification ne saurait atteindre. La « planification individuelle » est supérieure à toute planification collective.
Son œuvre théorique réfute le collectivisme et l'étatisme sous toutes leurs formes, tant modérées comme le keynésianisme, qu'anti-capitalistes comme le socialisme et le communisme, ou encore le nazisme. Les principes élémentaires que sont la propriété privée, la division du travail et la liberté des échanges sont pour Mises le fondement même de la civilisation. Ce sont eux qui ont permis pour Mises la prospérité de nos sociétés :
« L'économie de marché n'a pas besoin d'apologistes ni de propagandistes. […] Si vous cherchez son monument, regardez autour de vous »
— Ludwig von Mises, L'action humaine, 1949
Mises est un partisan de l'étalon-or, parce qu'il soustrait la monnaie au contrôle de la politique et aux tendances inflationnistes de tous les gouvernements.

  Théorie sur la monnaie

En 1912, il publie sa Théorie sur la monnaie et le crédit, l'une de ses principales contributions à la pensée économique qui assied sa réputation en Europe. Il s'attache dans ce texte à unifier l'économie comme analyse de l'agir humain, luttant contre la division entre macro et microéconomie[7]. Réfutant les conclusions de Karl Helferrich, il réintègre dans ce texte la monnaie dans la théorie marginaliste en montrant qu'il s'agit d'un produit comme un autre et non d'un simple « voile » comme dans la théorie ricardienne.
Il y approfondit l'analyse de la monnaie, en soulignant tout d'abord que toutes ses fonctions « ne sont que des aspects particuliers de sa fonction primaire et unique, celle de moyen d'échange[28] »[29]. Il propose également une typologie des « monnaies », en distinguant la monnaie au sens strict et au sens large. Il montre également que l'augmentation de la masse monétaire ne se contente pas d'augmenter uniformément l'échelle des prix mais introduit des distorsions. Il explique que la loi de l'offre et de la demande s'applique aussi à la monnaie, et lui confère son « prix », qui est son pouvoir d'achat. Dès lors, établir une équation de la monnaie est impossible. Il insiste enfin sur l'origine spontanée et non étatique de la monnaie.
Il y met en garde contre les processus inflationnistes, sources de redistribution et non de création de richesses. Il souligne également le danger de la manipulation catastrophique de la masse monétaire, qui conduisit par la suite au krach de 1929. Il soutient que l'étalon-or est le seul système monétaire viable, que l'inflation est la cause du déficit de la balance des payements et non l'inverse et que les crédits bancaires ne devaient pas être ajustés en fonction de cette variation du commerce.
Il développe enfin une analyse du système de création monétaire par réserves fractionnaires et propose une théorie du cycle économique.

  Le calcul économique et l'économie socialiste

En 1920 dans un article, Le calcul économique en régime collectiviste, puis en 1922 dans son livre Socialisme, il prédit quelques années après la révolution d'octobre la chute du communisme, et explique pourquoi selon lui tout système de planification centrale est non seulement moins efficace que le libre-marché, mais doit nécessairement finir par s'écrouler, une économie ne pouvant pas fonctionner sans prix de marché qui transmette l'information aux acteurs. Il écrit ainsi que :
« Du fait de la destruction du système des prix, le paradoxe de la « planification » tient à ce qu'il est impossible d'y faire un plan, faute de calcul économique. Ce que l'on dénomme économie planifiée n'est pas une économie du tout. C'est tout juste un système de tâtonnements dans le noir. »
— Ludwig von Mises, Socialisme
Sans marché, pas de calcul économique et donc pas d'« économie ».
Dans Socialisme, il souligne également que dans un système capitaliste, les propriétaires des moyens de production ne sont pas uniquement les propriétaires légaux mais également l'ensemble des consommateurs. Le capital accumulé leur bénéficie directement. Pour Mises, le système socialiste ne peut assurer le même bien-être aux individus, toujours en raison de l'absence de calcul économique.
Dans la seconde partie de l'ouvrage, il insiste sur l'aspect militaire de la planification, système dans lequel l'individu est privé de sa liberté et doit obéir aux ordres des planificateurs centraux. Il écrit ainsi[30]:
« La communauté socialiste est une grande association autoritaire dans laquelle des ordres sont émis et appliqués. C'est ce que signifie les termes « économie planifiée » et « abolition de l'anarchie de la production ». La structure d'une communauté socialiste est bien résumée dans la comparaison avec une armée. »
Élargissant les travaux de David Ricardo, il écrit que, grâce aux bienfaits de la division du travail, les hommes ont intérêt à s'associer. L'échange libre et non entravé par l'État entre les différents acteurs économiques permet selon Mises une économie efficace et surtout est source de paix[31] : « La plus grande productivité du travail grâce à la division du travail [..] fait que les hommes se regardent comme des camarades dans un effort commun pour le mieux-être et non comme des concurrents dans une course à la survie. Des ennemis, elle fait des amis, de la guerre, la paix, et des individus, une société. »

  L'Action humaine

En 1949, Ludwig von Mises publie la première édition de ce qui restera comme son ouvrage majeur, L'Action humaine. À travers plus de mille pages, il entend couvrir l'ensemble des questions liées à l'action humaine, en présentant une analyse originale de l'économie et de toutes ses questions fondamentales. Comme il l'écrivit lors de la publication de l'ouvrage :
« L’économie ne se laisse pas décomposer en branches spécialisées. Elle traite invariablement de l'interconnexion de tous les phénomènes de l'action économique. Tous les faits économiques se conditionnent mutuellement. Chacun des divers problèmes économiques doit être traité dans le cadre d'un système complet qui assigne sa juste place et son juste poids à chaque aspect des besoins et des désirs humains. Toutes les monographies restent fragmentaires si elles ne sont pas intégrées dans un traitement systématique du corps entier des relations sociales et économiques.
Fournir une telle analyse complète est l’objet de mon livre L’action humaine, un traité d’économie. C'est la consommation d'études et d'investigations perpétuelles, le précipité d’un demi- siècle d'expérience. »
Dans l'Action humaine, il précise en particulier sa conception de l'économie, qui doit s'intéresser avant tout à l'action humaine, comme l'illustre le titre de son ouvrage. Mises écrit ainsi : « Le sujet de l’économie, ce n'est pas les biens et les services, c’est les actions des hommes vivants. Son but n’est pas de s’étendre sur des constructions imaginaires telles que l'équilibre. Ces constructions ne sont que des outils de raisonnement. La seule tâche de l’économie, c’est d’analyser les actions des hommes, d'analyser des processus. » En particulier, il refuse toute mathématisation de l'économie, à l'opposé de l'école néoclassique : « La méthode mathématique doit être rejetée non seulement à cause de sa stérilité. C’est une méthode tout à fait vicieuse, partant d’hypothèses fausses et conduisant à des inférences fallacieuses. Ses syllogismes sont non seulement stériles ; ils détournent l'esprit de l'étude des problèmes réels et déforment les relations entre les divers phénomènes. » C'est donc le « dualisme méthodologique » qui doit prévaloir : la méthode de raisonnement applicable à l’économie est de partir de notre connaissance de nous-mêmes en tant qu'êtres humains agissants pour en dériver par simple déduction logique les lois qui régissent les phénomènes. Cette méthode « a priori » soutenue par la logique, est semblable à celle des mathématiques. Elle s’oppose à la méthode expérimentale ou hypothético-déductive des sciences physiques.
Il expose en détails les concepts qui deviendront fondamentaux dans la pensée autrichienne : la praxéologie ou analyse de l'action humaine, la catallactique, la conception subjective de la valeur, le rôle des prix et l'importance du marché.

  Influence

L'école autrichienne d'économie dont Mises fut en son temps le plus célèbre représentant est une école de pensée hétérodoxe. À ce titre, l'influence directe de Mises a été bien moindre que celle de, par exemple, Milton Friedman quelques années plus tard. Cependant Mises a influencé de nombreux étudiants, organismes ou écoles économique comme, plus généralement, le mouvement libéral et libertarien moderne.
Le Ludwig von Mises Institute fut créé en 1982 aux États-Unis. Dès le 12 juin 1943, Mises avait exprimé dans une lettre à Leonard Read sa conviction qu'il fallait d'abord mener le combat sur le terrain des idées et en direction des intellectuels : « Les masses, ces millions de votants qui sont souverains dans une démocratie, doivent apprendre qu'ils sont manipulés par de fausses doctrines et que seule une société fondée sur le marché et la libre-entreprise peut leur apporter ce qu'ils désirent : la prospérité. Mais pour convaincre la foule, il faut d'abord convaincre les élites, les intellectuels et les hommes d'affaires eux-mêmes. ». Antony Fisher qui fonda plusieurs think tanks libertariens écrivit ainsi dans une lettre à sa femme : « Tous mes efforts ont pour source les enseignements de Ludwig von Mises, ses écrits et ses activités. Les idées ont des conséquences. »
Il a influencé l'école autrichienne d'économie de façon générale et en particulier une partie de la pensée de Friedrich Hayek ou de Murray Rothbard, son élève le plus proche. Pascal Salin s'en revendique également dans Libéralisme.
Au delà de ces aspects il est nécessaire de définir une économie moderne dans un cadre autrichien, telle qu'aurait pu la définir Ludwig Von Mises. Une économie moderne est un ensemble d'individus ou de groupes d'individus guidés par des désirs, des besoins, des impulsions qui constituent autant de projets, de plans que chacun cherche à réaliser en puisant dans le pool commun mais limité des ressources rares de la collectivité. Le contenu de ces projets qu'il s'agisse des projets de production d'une entreprise ou de consommation d'un individu dépend avant tout des informations dont chacun dispose sur son environnement. Il dépend par exemple de la structure relative des prix des diverses ressources nécessaires à la réalisation de ces projets. Mais ce type d'informations est par définition constitué par des données dont le caractère est fondamentalement subjectif.
En effet dans une société complexe comme la nôtre où personne n'est en mesure d'appréhender l'ensemble des données qui constituent l'univers socio-économique dans lequel il se situe, lorsqu'un individu prend une décision, qu'il programme un certain type d'actions, il agit en fonction d'un ensemble de connaissances qui lui est largement personnel car déterminé en grande partie par des facteurs tels que : 1/ L'interprétation qu'il donne aux faits qui l'entourent, 2/L'expérience qu'il a acquise de la fiabilité des informations que lui communique son environnement, 3/ la nature de son tempérament, optimiste ou pessimiste, prudent ou risqué.
Moyennant quoi ce que nous oublions systématiquement c'est que ce sont ces connaissances qui constituent le moteur de la vie sociale et économique puisque ce sont elles qui déterminent les comportements des agents économiques. Dans ce cadre le marché n'est pas seulement un lieu anonyme et inter-temporel où s'échangent des biens et des services mais un circuit, un processus au cours duquel se créent, se diffusent, s'ajustent des informations, des connaissances, des anticipations éparses et partielles. Un processus qui progressivement, par des mécanismes et d'apprentissage amène les agents à modifier leurs projets et leurs plans pour les rendre d'avantage compatibles entre eux. L'économie de marché n'est pas la caricature des marxistes, des keynésiens ou des néo-classiques dont l'individu a disparu ne laissant place qu'à des agrégats qui ne décrivent en rien l'économie. Il n'est pas étonnant de voir l'état de l'économie mondiale actuelle à la lumière de l'analyse autrichienne, seule analyse à partir des faits et des conséquences de l'action humaine.

  Reconnaissance internationale

En 1956, il reçoit le William Volker Distinguished Service Award[32]. Trois ans plus tard, le magazine américain Fortune dit de lui que « le communisme n'a pas eu de plus ardent opposant sur le plan des idées », en faisant référence à ses écrits de 1922 sur le calcul en économie socialiste. En 1962, il reçut la Médaille d'honneur autrichienne des arts et des sciences (Oesterreichisches Ehrenzeichen fuer Wissenschaft und Kunst) pour « son travail reconnu internationalement en sciences politiques et en économie »[33]. En 1963, il est fait docteur honoris causa de l'Université de New York, pour son « exposition de la philosophie du marché libre et son plaidoyer pour une société libre ». L'année suivante, il est également fait Doctor rerum politicarum (docteur en sciences politiques) de l'Université de Fribourg-en-Brisgau[2]. Le 4 décembre 1969, Winston Duke publie un article à son sujet dans la revue de la Harvard University Business School, intitulé The Man who should have received the Nobel Prize in Economics (L'homme qui aurait dû recevoir le Prix Nobel d'économie)[34]. La même année, il est fait Distinguished fellow de l'American Economic Association[35].

  Œuvres

  • Theorie des Geldes und der Umlaufsmittel, 1912 (The Theory of Money and Credit, « Théorie de la monnaie et du crédit »), [lire en ligne]
  • Die Gemeinwirtschaft, 1922 (Socialism, Le socialisme : analyse économique et sociologique), [lire en ligne]
  • Liberalismus, 1927 (Liberalism), [lire en ligne]
  • Grundprobleme der Nationalökonomie, 1933 (Epistemological problems of Economics, Les problèmes fondamentaux de l'économie politique), [lire en ligne]
  • Nationalökonomie, 1940
  • Omnipotent Government, 1944 (Le gouvernement omnipotent : état totalitaire et guerre totale), [lire en ligne]
  • Bureaucracy, 1944 (La Bureaucratie), [lire en ligne]
  • Planned Chaos, 1947 (Le Chaos du planisme), [lire en ligne]
  • Human Action a Treatise on Economics, 1949, L'Action humaine, traité d'économie, 1985), [lire en ligne]
  • Planning for Freedom, and Other essays, 1952 (« Planifier la liberté et autres essais »), [lire en ligne]
  • The Anti-capitalistic Mentality, 1956 (« La mentalité anti-capitaliste »), [lire en ligne]
  • Theory and History, 1957 (Théorie et histoire : une interprétation de l'évolution économique et sociale), [lire en ligne]
  • The Ultimate Foundation of Economic Science, 1962 (« Le Fondement ultime de la science économique »), [lire en ligne]

  Notes et références

  1. Pendant un an entre 1902 et 1903 il remplit ses obligations militaires
  2. a, b, c et d Ludwig von Mises & Gérard Dréan, Abrégé de l'action humaine, traité d'économie, Les Belles Lettres, 2004, p. 204-208
  3. Ludwig von Mises, The historical setting of the Austrian school of economics, 1984
  4. Murray Rothbard, Ludwig von Mises: Scholar, Creator, Hero, 1988, chap. 1 : the young scholar
  5. Jörg Guido Hülsmann, The last knight of liberalism, 2007, Mises Institute, ISBN 978-1-933550-18-3, p. 87
  6. Hülsmann parle de 1909, Rothbard de 1911
  7. a, b et c Murray Rothbard, Ludwig von Mises: Scholar, Creator, Hero, 1988, chap. 2 : The Theory of Money and Credit
  8. Jörg Guido Hülsmann, ibid, p. 177
  9. Murray Rothbard, Ludwig von Mises: Scholar, Creator, Hero, 1988, chap. 3 : The Reception of Mises and of Money and Credit
  10. Margit von Mises, My years with Ludwig von Mises, Arlington House publishers, New York, 1976, ISBN 0-87000-368-2, p. 26
  11. Hülsmann, ibid, p. 268
  12. Par exemple dans Der Wiedereintritt Deutsch-Österreichs in das Deutsche Reich und die Währungsfrage en 1919
  13. Murray Rothbard, Ludwig von Mises: Scholar, Creator, Hero, 1988, chap. 4 : Mises in the 1920s: Economic Adviser to the Government
  14. Austrian Economics: An Anthology, Foundation for Economic Education, 1996, Bettina Bien Greaves
  15. On peut se référer au discours de Friedrich Hayek lors du banquet tenu en l'honneur de Mises à New York en 1956, reproduit dans My life with Ludwig von Mises par Margit von Mises, pages 189 et suivantes
    1. Margit von Mises, ibid, p. 21
    2. Margit von Mises, ibid, p. 32-33
    3. a, b et c Murray Rothbard, Ludwig von Mises: Scholar, Creator, Hero, 1988, chap. 7 : Exile and the New World
    4. Ces documents ont été retrouvés en 1993 dans les archives soviétiques à Moscou, comme le relate Hülsmann dans The last knight of liberalism
    5. Margit von Mises, ibid, p. 35
    6. Hülsmann, ibid, p. xi
    7. Margit von Mises, ibid, p. 110
    8. Margit von Mises, ibid, p. 60
    9. Margit von Mises, ibid, p. 62
    10. Margit von Mises, ibid, p. 64
    11. Margit von Mises, ibid, p. 88
    12. Margit von Mises, ibid, chap. 9
    13. L'Action Humaine, ch. XVII, 3
    14. « Bien qu'il soit habituel de parler de la monnaie comme instrument de mesure de la valeur et des prix, cette notion est totalement fausse. » (Théorie de la monnaie et du crédit, ch. 2, § 1)
    15. Ludwig von Mises, Socialism, p. 163
    16. Ludwig von Mises, Socialism, p. 261
    17. Margit von Mises, ibid, p. 154
    18. Margit von Mises, ibid, p. 165
    19. Margit von Mises, ibid, p. 179-180
    20. Margit von Mises, ibid, p. 166

      Annexes

      Bibliographie

      Livres

  16. Robert Leroux, Ludwig von Mises, vie, œuvres, concepts, Ellipses, 2009.
  17. Jörg Guido Hülsmann, The last knight of liberalism, 2007, Mises Institute, ISBN 978-1-933550-18-3, [lire en ligne]
  18. Ludwig von Mises (trad. Raoul Audouin), L’action humaine : Traité d’économie, Paris, PUF, coll. « Libre échange », 1985 (ISBN 2-13-038598-2)
  19. Ludwig von Mises (trad. R. Florin et P. Barbier), La Bureaucratie, Paris, Institut Charles Coquelin, 2003 (ISBN 2-915909-00-8)
  20. Ludwig von Mises, Le Libéralisme : La seule solution possible vers le progrès économique et social, Paris, Institut Charles Coquelin, 2006 (ISBN 2-915909-10-5)
  21. Ludwig von Mises, Politique Économique : Réflexions pour aujourd’hui et pour demain, Paris, Institut Charles Coquelin, 2006 (ISBN 2-915909-05-9)
  22. Ludwig von Mises, Les problèmes fondamentaux de l’économie politique : Études sur la méthode, l’objet et la substance de l’économie politique et de la sociologie, Paris, Institut Charles Coquelin, 2006 (ISBN 2-915909-04-0)
  23. Ludwig von Mises, Le Socialisme : Étude Économique et Sociologique, Paris, Librairie de Médicis, 1938
  24. Murray Rothbard, Ludwig von Mises: Scholar, Creator, Hero, 1988, Mises Institute, [lire en ligne]
  25. Margit von Mises, My life with Ludwig von Mises, 1976, Arlington House publishers, New York, ISBN 0-87000-368-2
  26. Collectif, Toward Liberty: Essays in Honor of Ludwig von Mises on the Occasion of his 90th Birthday, 1971
  27. Stéphane Longuet, Hayek et l'école autrichienne, Nathan, coll. Circa, 1998, 192 p, ISBN 2-09-190115-6
  28. Thierry Aimar, Les apports de l'école autrichienne d'économie : Subjectivisme, ignorance et coordination, Vuibert, 2005, 315 p, ISBN 2-7117-7519-4
  29. Renaud Fillieule, L'école autrichienne d'économie. Une autre hétérodoxie, Septentrion, 2010, 239 p, ISBN 978-2-7574-0163-7

  Articles

  • Israel M. Kirzner, « Between Mises and Keynes: An Interview with Israel M. Kirzner », dans The Austrian Economics Newsletter, vol. 17, no 1, 1997 [texte intégral (page consultée le 10 juin 2012)]
  • « Portrait : Ludvig von Mises (1881-1973) », dans La nouvelle lettre, no 1078, 14 mai 2011, p. 8 [texte intégral (page consultée le 12 mai 2012)]
  • Murray N. Rothbard, « Mises’ “Human Action”: Comment », dans The American Economic Review, vol. 41, no 1, mars 1951, p. 181-185 [texte intégral (page consultée le 12 mai 2012)]

  Articles connexes

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 Source

 

 

Mises: The Last Knight of Liberalism

Here is a magisterial book for today and the ages, one that inspires awe for both the subject and the author who accomplished the seemingly impossible: a sweeping intellectual biography, constructed from original sources, of the 20th century's most astonishing dissident intellectual. It has the apparatus of a great scholarly work but the drama of a classic novel.
Ludwig von Mises’s colleagues in Europe called him the “last knight of liberalism” because he was the champion of an ideal of liberty they consider dead and gone in an age of central planning and socialism of all varieties. During his lifetime, they were largely correct. And thus the subtitle of this book.
But he was not deterred in any respect: not in his scientific work, not in his writing or publishing, and not in his relentless fight against every form of statism. Born in 1881, he taught in Europe and the Americas during his century, and died in 1973 before the dawn of a new epoch that would validate his life and ideals in the minds of millions of people around the world. The last knight of liberalism triumphed.
Jorg Guido Hulsmann, professor of economics at the University of Paris (Angers), tells the full story of his dramatic and inspiring life and contributions – and in the course of it, provides not only a reconstruction of the history of the Austrian School of economics of which Mises was the leading expositor, and not only of the entire history of economic thought on the Continent and the United States, but also of the political and intellectual history of the 20th century.
Virtually everything in this book is new, a result of ten years of combing archives in five countries but of an unprecedented access to the voluminous Mises’s papers and to those of Mises’s colleagues, written by an author who himself is a master of the discipline and all the  languages involved (German, English, and French). And though the book is huge (1,200 pages) it reads like a great novel, with a fast pace and high drama.
"This a magnificent work of scholarship," writes historican Ralph Raico, "not only definitive on Mises's life and works, but also brilliantly delineating the Vienna of the time, the development of the Austrian school, the place of other thinkers like Hayek, and Mises's contributions to American and world libertarianism."
Even for those who believe they know something of Mises’s life, it is a story told here for the first time. We learn of Mises’s background from a newly ennobled Jewish family, his comprehensive early education, his war experiences and how he was nearly sent to his death, his revolutionary monetary treatise, his struggles as a young academic, his turn against socialism, his fights with colleagues, his love for ideas, his stand against national socialism, his flight from Vienna and Geneva, his life in the United States, and legacy.
As Robert Higgs wrote the author:
"I have finally finished reading your great book about Mises. When I use the word 'great,' I mean not simply that it weighs at least a kilo and contains more than 1,000 pages. I mean most of all that it is a magnificent scholarly achievement. I can't remember when I have taken more pleasure from a book. It is a joy to read, in every way. The English is precise and polished, and everything is put just right. The research is amazingly broad, yet deep, too. The judgments are sensible and mature. The coverage--from the personal details to the content of Mises's ideas to the context in which he lived and worked--is extraordinary, and the organization puts everything into comprehensible order. The bibliography is more than impressive. All in all, the book is simply an amazing accomplishment, and a fitting tribute to its great subject.
The Mises Institute deserves great credit, too, not only for its support of your work on this project, but also for producing a book that is a fine example of the publisher's art: the typeface is clean and clear, and large enough to permit effortless reading; the layout is spacious and proper; the footnotes are where they should be, and they, too, are large enough to be read without a magnifying glass; the illustrations are splendid complements to the text; and the indexes are terrific. The work is thus not simply beautiful intellectually, but beautiful physically, as well.
If I had ever written anything half so wonderful--and I recognize that I lack the abilities to do so--I would consider my career a complete success, and feel myself justified in taking my ease, to rest on my laurels. I do not perceive that you have this plan in mind for yourself, and therefore the world will be the better, not only for your great book on Mises, but also for all the great achievements that lie in your future. I salute you, my friend, not without a touch of envy, but with my whole heart."
What’s remarkable is how little has been previously known about life in Europe before 1940, and the author writes 800 thrilling pages on this topic alone. These were the critical years in which the doctrines that would dominate the century would be hatched and debated. Mises stood against inflationism, socialism, positivism, and interventionism and did so nearly alone. The author shows that in many ways Mises made so many expansions of the original liberal idea that he ought to be considered the founder of a new school.
And so herein we gain the first accurate and detailed account of the origin and development of the Austrian School, which up until now has been muddled and incomplete and has led to a gross misunderstanding  and one-sided judgment of Mises's intellectual evolution and contributions, even among many of his contemporary followers. Within the narrative we also have first-rate mini-biographies of the most notable figures of his epoch: Menger, Boehm-Bawker, Weiser, Schumpeter, Meyer, Strigl, Robbins, Hayek, Keynes, and many more.
But more than that, we have here the first full and detailed revisionist intellectual history of the 20th century, one that accounts for the failures of central planning and the positivist project in the social sciences, in all countries, and reinterprets them in light of Mises’s warnings and positive contributions.
The treatise divides Mises's life into six main stages: his youth, his early academic period, the war years, his intellectual prime, his Geneva years, his time in America, and his last years. Each section covers the biographical details and provides a full discussion of the evolution of his ideas as evidenced in his published writings and private correspondence. The author discusses and evaluates Mises's strategic decisions in politics and in his personal life.
The apparatus alone is mind-boggling, from its ten thousand footnotes to its bibliography that covers the world’s libraries to its massive name and subject indexes. Here we have intellectual machinery the likes of which we rarely see in the modern age, one that compares to the great biographies in the history of ideas.
The binding is terrific, the paper quality excellent, the price is a bargain for a book of this scholarly status, and it even comes with a place-holding ribbon.
We took bids on the manuscript from prestigious academic publishing houses, but none could offer this high a quality edition at anywhere near this low a price. This is not just a book for libraries but everyone.
It is large, so make room on your bookshelf, and, more than that, prepare to stop whatever you are reading to enter into a deeply informative tour of a world of a thinker and an age we've not known.
"This is work that is outstanding...starting with the volume itself. The type face is pleasing, the binding is sturdy, the bibliography is exhaustive: 31 pages, including 73 Mises citations. There are separate subject and name indices, and notes placed where the Lord intended: at the foot of the pages. (While some footnotes are just citations, many are worthwhile amplifications.) Photographs, many never seen before, are sprinkled conveniently through the text, not bunched in the middle.... his book is a major contribution, one that will inform both newcomers to Mises and veteran students." LIBERTY MAGAZINE
"A true masterpiece!" ​—Bettina Bien Greaves
"This masterpiece on the life of Mises is a great achievement! Its contents and scope surpass all economic biographies." —Jesus Huerta de Soto
"The first 300 pages of this big book were so fascinating that I promptly read the remaining 800 or so. I am delighted with the work. I applaud the author's summaries of various theories, his sketches of cultural and political backgrounds, his resourceful use of the archives, and his sketches of various personalities (which were especially interesting to me because I was personally acquainted in one degree or another with many of the persons involved or knew them from their writings and reputations)." —Leland B. Yeager
"Jorg Guido Hulsmann's tribute to Ludwig von Mises is a broadly and deeply researched scholarly accomplishment. Written with effortlessly readable prose, this biography will be of enduring interest to intelligent laymen unfamiliar with Mises's writings as well as to academicians and others already familar with the life and legacy of this intellectual giant." —Edward Younkins, The New Individualist










septembre 23, 2018

Catherine Audard, « Le « nouveau » libéralisme »

Ce site n'est plus sur FB (blacklisté sans motif), alors n'hésitez pas à le diffuser au sein de différents groupes ( notamment ou j'en étais l'administrateur), comme sur vos propres murs respectifs. 
D'avance merci. 

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...

Merci de vos lectures, et de vos analyses. Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste. N'omettez de lire par ailleurs un journal libéral complet tel que Contrepoints: https://www.contrepoints.org/ 
 Al, 

PS: N'hésitez pas à m'envoyer vos articles (voir être administrateur du site) afin d'être lu par environ 3000 lecteurs jour sur l'Université Liberté (genestine.alain@orange.fr). Il est dommageable d'effectuer des recherches comme des CC. 
Merci









Le « nouveau » libéralisme

Le libéralisme survivra-t-il à la crise économique et financière ? Les pronostics se multiplient mais il est difficile de percevoir les réalignements idéologiques en cours. Au début du XXe siècle déjà, une autre crise du capitalisme donna naissance à un courant intellectuel et politique, le « nouveau » libéralisme, dont Keynes fut l’un des héritiers. La philosophe Catherine Audard retrace l’histoire de cette refondation.
« La transition de l’anarchie économique vers un régime visant délibérément à contrôler et diriger les forces économiques dans l’intérêt de la justice et de la stabilité sociale présentera d’énormes difficultés à la fois techniques et politiques. Je suggère néanmoins que la véritable mission du nouveau libéralisme est de leur trouver une solution ».
John Maynard Keynes, « Suis-je un libéral ? » (1re éd. 1925), in La Pauvreté dans l’abondance, Paris, Gallimard, 2002 (souligné par nous).
Ce diagnostic de Keynes sonne étonnamment contemporain [1]. Le monde occidental sort de trente ans de politique économique dominée par le néolibéralisme qui ont conduit certes à une plus grande prospérité mondiale, mais aussi à une crise financière d’une très grande gravité, parfaite illustration de l’anarchisme économique que fustige Keynes et qu’il avait expérimenté en première ligne, avec la dépression de 1929. Mais si la dérégulation des forces du marché a conduit le capitalisme au bord du précipice, les modèles alternatifs, communisme et socialisme, ont été, eux, largement frappés de discrédit depuis la chute du mur de Berlin, comme ils l’étaient déjà pour Keynes. Comme les gouvernements sociaux-démocrates actuels, Keynes refusait de voir dans le socialisme un remède aux maux du laissez faire. Quant au retour au protectionnisme, qui, rappelons-le, n’était pas un dogme pour Keynes, même s’il est une tentation, il est un moyen infaillible de transformer la récession en dépression, puisqu’il aggrave l’effondrement de la demande mondiale.
Vers quelle théorie se tourner si l’ultralibéralisme comme le socialisme ont été déconsidérés ? Telle est la question urgente qui se pose à tous les gouvernements modérés en 2009. Mais c’était également la question que se posaient au tournant du XXe siècle les auteurs libéraux progressistes qui, hostiles aussi bien au libéralisme orthodoxe de l’École de Manchester [2] qu’au socialisme, ont influencé Keynes. Ce sont ces auteurs, ainsi que leur politique économique et sociale, qui font l’objet de cette étude de ce qu’on a appelé le New Liberalism en Angleterre. [3]

La naissance du « nouveau » libéralisme au tournant du XXe siècle

D’un libéralisme de parti à un libéralisme d’idées
Le libéralisme connaît des transformations remarquables en Angleterre au tournant du XXe siècle. Il cesse progressivement d’être la formation politique dominante et est évincé après 1922 par le parti socialiste, le Labour Party, devenant de plus en plus minoritaire et éloigné du pouvoir en raison du bipartisme qui caractérise la politique anglaise. Mais il acquiert et développe également, pendant la même période, une influence intellectuelle et une stature morale sans commune mesure avec sa représentation politique. Il passe d’un libéralisme de parti à un libéralisme d’idées, forgeant ce qu’on a appelé le « nouveau » libéralisme qui s’éloigne considérablement des positions du libéralisme classique. Son renouveau intellectuel est animé par des philosophes, des économistes, des politologues, des sociologues, essayistes ou universitaires, mais aussi des journalistes, qui sont parfois également des hommes politiques et qui ont un prestige et une influence considérables auprès des classes dirigeantes. Ces auteurs se confrontent aux textes classiques du libéralisme comme aux positions du parti libéral pour les critiquer et les remanier sous des angles extrêmement variés, donnant son nouveau visage au libéralisme.
Il faut ajouter que ces auteurs ont eu un rayonnement international et que des mouvements comparables au New Liberalism ont existé en France, comme le « solidarisme » de Charles Renouvier (1815-1903), Alfred Fouillée (1838-1912), Léon Bourgeois (1851-1925), Charles Gide (1851-1925) et même Émile Durkheim (1858-1917) [4]. En Italie, le libéralisme classique représenté par le célèbre économiste Vilfredo Pareto [5] (1848-1923) a suscité les réactions d’intellectuels opposés au fascisme comme Benedetto Croce (1866-1952), fondateur du parti libéral italien, l’économiste Luigi Einaudi (1874-1961) et l’historien du libéralisme, Guido de Ruggiero (1888-1948), inspirées par le « nouveau » libéralisme et sa critique du libéralisme économique ou liberismo. Quant au « socialisme libéral » de Carlo Rosselli (1899-1937) [6], il a marqué durablement la tradition politique italienne [7]. En Allemagne, Wilhelm Dilthey (1833-1911) et Max Weber (1864-1920) [8] incarnent les espoirs du libéralisme ainsi que ses échecs et son incapacité à prendre pied dans un contexte idéologique hostile. Aux États-Unis, le « progressisme » américain est l’équivalent du « nouveau » libéralisme et sa nouvelle éthique démocratique et égalitaire s’exprime dans le magazine The New Republic, avec son fondateur Herbert Croly (1869-1930), Walter Lippmann (1889-1974), son publiciste le plus célèbre, ainsi que le philosophe John Dewey (1859-1952) qui, tous, puisent leur inspiration dans la philosophie de William James (1842-1910). Notons que l’un de ses grands intellectuels, Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), professeur de sciences politiques à Princeton, fut président des États-Unis de 1913 à 1921.
Le libéralisme en Angleterre (1870-1920)
Quelle est la situation spécifique du libéralisme en Angleterre ? En 1870, au moment de son apogée, le parti libéral est divisé en deux courants principaux. Le premier courant, plus conservateur, est l’hériter des Whigs des XVIIe et XVIIIe siècles, grands propriétaires terriens alliés à la bourgeoisie d’affaires pour des raisons tactiques afin de défendre leurs privilèges contre la dynastie des Stuarts et la monarchie absolue. Les éléments les plus conservateurs du parti se sont séparés des libéraux en 1832 sur la question du libre-échange, mais aussi de la réforme électorale et de l’élargissement du droit de vote, et rejoignent un nouveau parti qui se substitue aux Tories, le parti conservateur. Les libéraux conservateurs qui restent au parti, dont les représentants sont Richard Cobden, John Bright, et surtout le premier ministre William Gladstone, sont partisans du libre-échange contre les conservateurs protectionnistes et impérialistes, dont le leader est Benjamin Disraeli.
En face d’eux, et en position de plus en plus dominante, les libéraux réformateurs et « radicaux » influencés par l’utilitarisme se préoccupent avant tout d’améliorer le bien-être (welfare) des classes laborieuses et de lutter contre la pauvreté, en intervenant dans des secteurs jusque-là réservés à la charité privée. Ils sont également hostiles à l’impérialisme britannique et au coût des guerres coloniales. Ces préoccupations les amènent à critiquer les dogmes du libéralisme économique et à prôner au contraire l’intervention de l’État dans la vie sociale et économique.
Mais, malgré ces conflits, on peut dire que le consensus libéral résiste aux crises économiques et sociales beaucoup plus longtemps qu’ailleurs. Le libéralisme continue de nourrir une image idéalisée du capitalisme et de son fonctionnement. Il comprend la nouvelle société qu’il voit se former sous ses yeux dans les mêmes termes individualistes que jadis, attribuant le chômage et la misère avant tout à des défauts de « caractère » ou à la malchance. Incapable de saisir les causes de la crise sociale, il cherche à en guérir les symptômes : pauvreté, insécurité, chômage. Il n’établit aucun lien entre la pauvreté croissante du prolétariat et le capitalisme.
C’est la montée du socialisme, sous la forme du travaillisme, qui change la situation et radicalise l’aile réformatrice du parti libéral. Mais le travaillisme, qui donne naissance en 1906 au Labour Party, bien loin d’être influencé par le socialisme révolutionnaire et le marxisme comme en Europe continentale, a ses sources morales dans le libéralisme modéré et dans le protestantisme libéral, le méthodisme en particulier [9]. C’est seulement en 1918 qu’il cesse d’être un allié politique des libéraux et qu’il devient un opposant politique du parti libéral, lui ravissant la première place aux élections en 1922. Entre 1906 et 1911, avec l’aide des travaillistes, les libéraux réformateurs ont fait voter une législation sociale très avancée : indemnités en cas d’accident de travail, repas gratuits dans les écoles, réglementation du travail des enfants, limitation du travail à 8 heures dans les mines, protection des syndicats dont les pouvoirs sont accrus, revenu garanti pour toute personne âgée de plus de soixante-dix ans, début de la démolition des taudis et amélioration des logements ouvriers. Enfin, le National Insurance Act, voté en 1911, met sur pied le premier système d’assurance-chômage et maladie. Les prémisses du Welfare State sont donc l’œuvre des libéraux, appuyés par les travaillistes [10].
Mais cette radicalisation conduit, en 1916, à l’éclatement du parti entre radicaux (comme Lloyd George), modérés (comme Lord Asquith) et conservateurs, partisans de l’Empire au moment de la guerre des Boers. Le parti libéral perd ainsi, au lendemain de la Première Guerre mondiale, la position dominante qu’il occupait dans la vie politique anglaise, au profit du parti travailliste.

Les sources intellectuelles du "nouveau" libéralisme

Derrière les transformations du parti libéral, son éclatement et la naissance du parti travailliste pendant cette période, il faut voir l’action indirecte, mais parfois aussi directement politique, d’un nouveau mouvement intellectuel qu’on a appelé New Liberalism, né dans les universités d’Oxford ou de Cambridge. Ce mouvement a exercé une influence très importante sur les élites et les hommes politiques, mais a su également trouver des journalistes et des écrivains pour diffuser plus largement ses vues.
L’héritage de John Stuart Mill (1806-1873)
Ce « nouveau » libéralisme a, tout d’abord, ses sources intellectuelles dans les écrits de John Stuart Mill. Sous l’influence de Wilhelm von Humboldt (1767-1835), représentant du libéralisme allemand du Sturm und Drang [11], Mill a développé une nouvelle conception de l’individu qui doit beaucoup au concept hégélien et humboldtien de Bildung, terme ambigu qui signifie à la fois la formation de l’individu, son éducation ou ce que Mill appelle « la culture de soi ». Disons qu’à la conception abstraite et non historique de l’individu libéral du XVIIIe siècle, Mill substitue une conception beaucoup plus riche, évolutive et dynamique de l’individu comme résultat d’un processus d’individualisation : l’individualité. Dans De la liberté (1859), le manifeste du libéralisme moderne, il affirme que l’individualité est un des éléments essentiels du bien-être et donc une valeur centrale du libéralisme.
En conséquence, la société a un rôle central à jouer dans la formation de l’individualité et la nature sociale de l’individu est affirmée. Mill refuse toute opposition tranchée entre individu et société. Le but du libéralisme est d’indiquer « la nature et les limites du pouvoir que la société peut légitimement exercer sur l’individu […] ce contrôle extérieur n’étant justifié que pour les actions de chacun qui touchent à l’intérêt d’autrui ». Indiquer clairement les limites de l’action de la société sur l’individu permet de lutter contre les contraintes inacceptables et injustifiées qu’elle risque d’imposer au développement individuel, contre l’autorité abusive qu’elle fait peser sur les individus et leur créativité. Mais le libéralisme ne refuse certainement pas l’idée que la société ait une influence sur la formation de l’individu et « la culture (Bildung) de soi ». Le libre développement de l’individu est un élément essentiel du progrès social, mais, sans l’aide et la contribution des autres, ce développement serait impossible.
Liée à cette conception de l’individualité, Mill développe une conception pluraliste de la société, mais aussi de la connaissance et de l’éthique, là encore en opposition avec les tendances monistes de l’idéologie des Lumières. Il insiste sur le fait que la pluralité des opinions est absolument nécessaire à la découverte de la vérité (De la liberté, chapitre II) comme à la liberté de l’individu de choisir son propre chemin, la voie de son développement personnel.
Mais c’est surtout en tant qu’homme politique – il est candidat socialiste aux élections de 1868 – et économiste – ses Principes d’économie politique de 1848 ont un énorme succès parce qu’il y apparaît plus soucieux de la classe ouvrière qu’aucun économiste avant lui – que Mill inspire l’évolution du mouvement libéral vers une conscience de plus en plus aiguë des questions sociales et ce sont surtout ses derniers écrits sur le socialisme, sur les droits des femmes et sur le gouvernement représentatif qui constituent les sources du nouveau paradigme.
Du « nouveau » libéralisme au travaillisme : T.H. Green, L.T. Hobhouse et John Hobson
Le penseur le plus important du nouveau libéralisme est certainement le philosophe d’Oxford Thomas Hill Green (1836-1882) [12] dont l’enseignement a un rayonnement extraordinaire bien après sa mort sur tout le personnel politique de l’époque, sans oublier sur Keynes lui-même qui, s’il ne le cite pas, s’en inspire [13]. Green développe les idées de Mill, mais va beaucoup plus loin que lui dans la dénonciation de la liberté des contrats et de la liberté économique, et ses thèses sur la nature sociale de l’individu sont très proches de celles de Durkheim dont il est le contemporain [14]. Green est remarquable par sa lecture de Rousseau, qu’il admire, et des philosophes idéalistes allemands, Kant, Hegel, Humboldt, qu’il essaye de concilier avec l’héritage libéral anglais et écossais. Suivant Kant, il rejette l’utilitarisme qui était la doctrine morale préférée des libéraux et affirme, au contraire, que le lien social ne résulte ni d’un contrat à la manière de Locke ni de l’utilité à la manière de Bentham, mais de la reconnaissance par chacun de la personne de l’autre comme d’une fin en soi et des intérêts des autres comme constitutifs de l’intérêt personnel. Il critique ainsi l’individualisme atomiste du XVIIIe siècle et lui substitue la vision, inspirée de celle de Mill, d’une individualité qui se développe et se perfectionne grâce à l’apport constant des autres, fondant ainsi un droit de l’individu vis-à-vis de la société qui lui doit les moyens de la réalisation de son potentiel, réalisation essentielle pour le bien-être et le progrès de tous. Cette idée est notamment reprise dans le « solidarisme » de Léon Bourgeois et son concept de la « dette sociale ». À la suite d’Aristote et de Hegel, Green appelle « bien commun » cette interaction entre intérêt individuel et intérêt commun et en fait le fondement de la morale et de l’obligation politiques [15].
Green est à la source de quatre innovations dans le programme libéral. Tout d’abord, il distingue radicalement la liberté négative du « vieux » libéralisme, celle des droits individuels, et la liberté positive du « nouveau libéralisme », celle des droits-créances, des moyens sociaux et économiques que la société fournit à l’individu pour permettre le développement de ses potentialités. Il amorce ainsi un débat entre liberté positive et liberté négative qui devient central dans l’idéologie libérale du XXe siècle et qui suscite la célèbre défense de la liberté « négative » par Hayek dans La Constitution de la liberté (1960). Ensuite, il réaffirme la nature sociale de l’individu dont le développement est tributaire de l’apport des autres et de la société. Puis, il fait la critique du libéralisme économique en soutenant que le marché est une institution sociale comme une autre qui doit donc être régulée pour fonctionner à l’avantage de tous et non pas seulement de certains. Enfin, il soutient la légitimité de l’intervention de l’État et de la législation dans les domaines de l’éducation, de la santé publique, de la propriété privée et du droit du travail pour neutraliser les effets pervers des excès de la liberté individuelle.
À la suite de Green, Leonard T. Hobhouse (1864-1929) [16] condamne le libéralisme économique qui conduit à creuser l’écart entre riches et pauvres et propose un programme sévère de taxation des profits des entreprises. Il défend le rôle de l’État qui doit réguler la vie sociale et soutient que les réformes sociales peuvent être compatibles avec le respect de l’individu. La nouvelle citoyenneté devrait inclure les droits sociaux et pas seulement les droits politiques. Il se rapproche ainsi du travaillisme naissant et de la Fabian Society. Celle-ci, qui existe toujours, a servi de premier think tank au parti travailliste et compte parmi ses membres fondateurs Béatrice et Sidney Webb, George Bernard Shaw et H. G. Wells. Elle défendait l’intervention de l’État dans la société, grâce à une bureaucratie efficace et honnête, le collectivisme et la méritocratie, tout en se considérant comme l’héritière du libéralisme [17].
Le nouveau libéralisme est également l’œuvre d’économistes, pas seulement de philosophes ou d’essayistes. Ainsi l’harmonie entre efficacité économique et réformes sociales est-elle le credo des travaux de l’économiste Alfred Marshall. Quant à John Hobson, le disciple de Green et Hobhouse et l’auteur de The Evolution of Modern Capitalism (1894) et d’Imperialism (1902), il rejoint, comme Hobhouse lui-même, les rangs du parti travailliste après la Première Guerre mondiale, quand le courant impérialiste du parti libéral rend impossible tout effort de réformes sociales.
John Maynard Keynes (1883-1946)
Il est impossible d’évoquer le « nouveau » libéralisme en Angleterre sans évoquer la figure de Keynes [18]. Confondant Keynes et le keynésianisme, on a souvent présenté Keynes comme antilibéral. En réalité, il est bien l’héritier des idées du « nouveau » libéralisme. Il s’oppose à une certaine version du libéralisme, celle, dogmatique et conservatrice, de l’École de Manchester et du parti libéral au début du XXe siècle, ou celle des conceptions économiques « orthodoxes » du Trésor avec lequel il a tellement de conflits, mais certainement pas au « nouveau » libéralisme dont il est, au contraire, le continuateur [19].
On peut dire, tout d’abord, que Keynes a parachevé le nouveau paradigme libéral en donnant à l’État administratif la dernière justification qui lui manquait encore : celle de l’expertise économique, et non plus seulement sociale, comme c’était le cas pour l’État social allemand de Bismarck. La pauvreté et les problèmes sociaux sont dus, selon lui, à la mauvaise gouvernance économique, à l’incompétence et à la mauvaise gestion de l’économie par les gouvernements, à leur « bêtise », dit-il souvent, se référant à ses innombrables démêlés avec les responsables du Trésor et avec les tenants du free market à tout prix, plutôt qu’aux défauts de caractère des « pauvres ». La nouvelle science économique doit permettre de résoudre les crises économiques en changeant les paramètres et en comptant sur l’intervention de l’État pour les mettre en œuvre, par exemple par une politique de grands travaux dont l’inspiration se trouve, avant Keynes, chez les économistes américains institutionnalistes. Keynes complète, plutôt qu’il ne transforme, le libéralisme pour y faire entrer des idées nouvelles, celles de risque, d’incertitude, d’anticipation, de probabilités ainsi que l’importance des phénomènes macro-économiques. Comme il le fait remarquer, non sans vanité, de même que la théorie de la relativité d’Einstein intègre comme un phénomène particulier valable pour des vitesses inférieures à la vitesse de la lumière les équations de Newton, de même sa théorie générale intègre les conceptions classiques et néo-classiques de l’économie libérale comme des cas particuliers.
On peut constater, ensuite, qu’en raison de son pragmatisme – ne proclame-t-il pas fièrement : « Quand les faits changent, je change d’avis » – Keynes évolue par rapport au « nouveau » libéralisme et trouve une alternative aussi bien au protectionnisme d’une partie de la droite qu’à la politique interventionniste et redistributive de la gauche, à savoir la possibilité de réguler les cycles économiques et les politiques de l’emploi tout en favorisant la croissance économique. Dans sa conférence de 1924, publiée en 1926 sous le titre La Fin du Laissez faire [20], il explique ses positions pragmatiques en faveur de l’intervention de l’État. Ce texte aurait pu servir de point de départ au grand débat avec Hayek qui n’a jamais eu lieu en raison de la mort de Keynes en 1946. Dans un texte de 1925, « Suis-je un Libéral ? » [21], Keynes précise encore davantage sa position à l’égard du « nouveau » libéralisme. Il part d’une théorie non marxiste des étapes du développement économique, proposée par l’économiste américain institutionnaliste J. R. Commons (Institutional Economics, 1934) [22]. Celui-ci distingue trois stades du développement : 1) le stade de la rareté, 2) le stade de l’abondance et de l’individualisme, 3) le stade de la stabilisation et de la régulation, après les grandes crises du capitalisme.
Dans ce dernier stade, la réduction de la liberté individuelle est liée aux interventions gouvernementales, mais surtout à des interventions économiques à partir de l’action concertée secrète ou semi-ouverte, ou d’arbitrage des associations, corporations, syndicats et autres mouvements collectifs des patrons du commerce ou de l’industrie, des banques, mais aussi des syndicats de travailleurs, ouvriers et paysans. À ce stade, les libertés sont menacées par le fascisme et le bolchévisme. Le socialisme n’offre pas d’alternative parce qu’il raisonne comme si l’ère d’abondance existait toujours. L’avenir du « nouveau » libéralisme est de chercher à résoudre les immenses difficultés de cette ère de stabilisation, de contrôle et de régulation des forces économiques en vue de créer la justice et la stabilité sociale. Quant au parti travailliste, bien que « stupide » (« silly », dit Keynes), il devra être attelé au programme du libéralisme. Keynes, comme le « nouveau » libéralisme, soutient la compatibilité entre socialisme et libéralisme. Cependant, il rejette le socialisme comme remède économique aux maux du laissez faire parce qu’il défend des politiques économiques inefficaces, l’interférence avec les libertés individuelles, et qu’il se veut révolutionnaire, défendant une idéologie de classe et un anti-élitisme jugé absurde. Il reste le parti libéral, pourtant clairement incapable de renouvellement en 1925 en raison de ses divisions internes et de ses échecs électoraux. Les « jeunes libéraux », comme William Beveridge, ne reviendront au pouvoir qu’après la guerre, en 1944, avec un programme qui s’inspire des idées de Keynes. Mais « le parti libéral demeure le meilleur instrument de progrès – si seulement il avait une direction forte et un bon programme ».
Dans sa Théorie générale (1936), Keynes développe certes des conceptions assez différentes de celles du « nouveau » libéralisme. Il ajoute la stabilisation macroéconomique au programme libéral d’avant-guerre et lui donne la priorité. L’instabilité à court terme du capitalisme est pour lui un danger plus grand que l’injustice à long terme dans la distribution de la richesse et des revenus. Les plus grands maux économiques sont le risque, l’incertitude et l’ignorance. Le rôle de l’État est de les minimiser grâce à sa politique monétaire et d’investissements en grands travaux, équipements sociaux, etc. Keynes déplace le problème de la justice sociale de la microéconomie vers la macroéconomie. L’injustice devient un problème d’incertitude, la justice une affaire de prédictibilité contractuelle. Contrairement à ce que l’on pense généralement, la redistribution joue un rôle mineur dans sa philosophie sociale, comme une partie de la machinerie de la stabilisation macroéconomique, certainement pas comme un moyen vers une fin idéale. Son étatisme et surtout son élitisme le différencient des « nouveaux » libéraux d’avant-guerre qui valorisaient la démocratie comme une fin en soi, alors que Keynes souhaite plutôt un État gestionnaire et technocrate. Il ne faut pas oublier non plus la différence de style intellectuel entre le « nouveau » libéralisme d’Oxford, teinté d’hégélianisme, et les économistes de Cambridge qui ont été les maîtres de Keynes. À distance des nouveaux libéraux, Keynes en est resté malgré tout un compagnon de route.

Une nouvelle conception de la liberté et de l’État

De la liberté négative à la liberté positive
La première transformation accomplie par les libéraux réformateurs concerne la conception de la liberté libérale. Rappelons les termes du débat.
Pour le libéralisme classique, la liberté était essentiellement conçue comme le droit à un espace privé inviolable, comme la protection vis-à-vis des autorités abusives, que ce soit le pouvoir exercé par autrui, par le groupe et la société, la coercition de l’État et des lois ou l’autorité des églises. C’est ce qu’on a appelé la liberté négative ou défensive. Mais, pour le « nouveau » libéralisme, la liberté est également positive : c’est le pouvoir d’agir au mieux de ses intérêts ou de ses valeurs sans en être empêché par quiconque ou par quoi que ce soit, sauf si l’on nuit à autrui. C’est la conception qui était déjà défendue par Mill :
« Personne ne soutient que les actions doivent être aussi libres que les opinions […] Les actes de toute nature qui, sans cause justifiable, nuisent à autrui peuvent être contrôlés […] La liberté de l’individu doit être contenue dans cette limite : il ne doit pas nuire à autrui. Et dès qu’il s’abstient d’importuner les autres et qu’il se contente d’agir selon son inclination et son jugement dans ce qui ne concerne que lui […] il doit être libre de mettre son opinion en pratique à ses propres dépens » (De la liberté, 1861, p. 145-146).
T. H. Green reprend et développe cette distinction entre freedom from, liberté à l’égard des contraintes, et freedom to, liberté active, ou liberté-puissance. Une telle distinction est cruciale puisque les obstacles ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Pour la première, l’obstacle se situe dans l’autorité arbitraire, politique ou religieuse et dans la contrainte. Pour la seconde, l’obstacle est l’absence des moyens d’agir et de réaliser les projets de vie de l’individu. On peut très bien vivre sous le règne des institutions de la liberté et souffrir d’un manque de liberté si l’on ne dispose pas des conditions sociales et économiques nécessaires au développement de son potentiel : éducation, santé, logement, salaire décent, etc. Les droits socio-économiques sont donc aussi importants que les libertés personnelles et politiques pour la liberté. C’est sur ce point que les débats avec le « nouveau » libéralisme vont faire rage pendant tout le XXe siècle. En effet, où se situe dorénavant la différence avec le socialisme ?
Le libéralisme classique avait toujours considéré que les institutions politiques (gouvernement représentatif, séparation des pouvoirs, contrepouvoirs, contrôles de constitutionnalité, décentralisation, etc.) étaient en première ligne pour protéger les droits et les libertés des individus. Pour le socialisme, au contraire, ces institutions ne peuvent pas jouer pas de rôle effectif puisque ce sont les conditions socio-économiques qui sont cruciales pour la « vraie » liberté. La justice sociale est pour le socialisme le seul moyen de l’épanouissement de l’individu et il ne peut y avoir de liberté sans les moyens de la liberté pour tous. Le « nouveau » libéralisme tente de combiner ces deux conceptions. Si l’on comprend les soi-disant droits « naturels » comme des allocations sociales et comme des moyens positifs d’agir, des pouvoirs, et non pas seulement des protections « passives », comme disait Benjamin Constant, la liberté individuelle n’est plus menacée par la justice sociale, elle en résulte, ce qui est un retournement complet des thèses libérales : « La liberté ne devient pas tant un droit de l’individu qu’une nécessité de la société » (Hobhouse, Liberalism, 1911).
Une nouvelle conception de l’État
En 1886, Woodrow Wilson, alors jeune professeur de sciences politiques à Princeton, admirateur de Hegel et de la conception allemande bismarckienne de l’État social, publie son livre L’État, qui argumente en faveur d’un plus grand pouvoir de l’exécutif au sein du gouvernement central. Ce livre, qui devient rapidement un classique des études en sciences politiques, marque un changement total dans l’attitude du libéralisme vis-à-vis de l’État qui, jusque-là, avait été perçu comme un péril pour les libertés individuelles.
Le livre Liberalism de Leonard T. Hobhouse, publié en 1911, représente en Angleterre la meilleure formulation de cette nouvelle approche. Il prône le rôle de l’État pour réguler la vie sociale et mettre en œuvre des réformes compatibles avec le respect de l’individu, une nouvelle citoyenneté qui inclut les nouveaux droits sociaux et qui se fonde sur la croyance dans l’harmonie possible entre liberté individuelle, efficacité économique et réformes sociales, espoir qui n’est pas sans éveiller de nombreux échos pour les libéraux comme les socialistes au début du XXIe siècle…
On peut dater de ce moment la révolution dans la conception de l’État qui substitue aux contrôles traditionnels des contre-pouvoirs, des checks and balances et de la Constitution, le nouvel État administratif, compétent, efficace et tout entier dévoué au bonheur de tous. Sous l’influence de ce « nouveau » libéralisme, un changement de paradigme s’opère et l’on passe de la théorie du gouvernement limité à celle de l’État au service de la société et du bonheur des citoyens. L’un des fondements du libéralisme classique s’écroule alors : la méfiance à l’égard des interventions de l’État.
Les missions nouvelles de l’État
Pour répondre à des crises, à des injustices d’un type et d’une ampleur nouveaux, le « nouveau » libéralisme appelle à l’intervention de l’État dans l’économie après la crise de 1929 et à accepter son rôle pour domestiquer les excès du capitalisme et du marché. Le champ d’action de l’État s’étend maintenant à toutes sortes de domaines qui étaient en dehors de sa juridiction. La tâche de l’État n’est plus seulement « négative » – protéger les individus contre les atteintes à leur liberté –, mais consiste à faire leur bonheur en stabilisant l’économie et en régulant le marché mondial.
Sont également acceptées les interventions dans la sphère privée et la société civile : la famille (politiques démographiques), la santé et l’éducation, le chômage, les entreprises et le monde du travail, le syndicalisme, etc. De menace, l’État devient un vecteur du Bien puisque son rôle est désormais de satisfaire les besoins de ses citoyens. Le welfare devient la responsabilité du gouvernement et non plus de la société civile, des associations privées religieuses ou laïques de charité et de solidarité.
Des moyens nouveaux : l’État administratif
Cette nouvelle conception de l’État justifie l’existence de nouveaux moyens d’action pour l’État administratif, c’est-à-dire le développement d’agences d’experts non élus pour résoudre les problèmes sociaux et économiques. Elle justifie l’abandon du principe fondateur, pour Locke et Montesquieu, de la séparation des pouvoirs puisque le pouvoir administratif devient de plus en plus autonome, un « quatrième pouvoir » sans véritable contrôle. Il dépend seulement indirectement de l’exécutif et il n’est pas responsable devant les citoyens puisque les parlements n’ont plus aucun droit de regard dès qu’une agence administrative est créée. C’est ce point qui est probablement le plus problématique dans le « nouveau » libéralisme. En effet, comme la séparation des pouvoirs est un obstacle à l’efficacité des gouvernements dans leur action sociale, on assiste à l’abandon de la doctrine libérale de la non-délégation des pouvoirs qui permet l’apparition d’agences administratives indépendantes (National Health Service en Angleterre, Sécurité Sociale en France, Security and Exchanges Commission aux États-Unis pour la régulation des marchés financiers, d’autres agences similaires pour contrôler les médias, le commerce, la sécurité intérieure). Il s’agit de pouvoirs non élus et placés sous le contrôle de l’exécutif, sans que les parlementaires puissent les évaluer, sauf en cas de crise. L’accroissement de la taille et de l’influence des bureaucraties d’État non responsables devant les citoyens s’effectue parallèlement à l’augmentation de la bureaucratie dans les gigantesques consortiums multinationaux. Comme l’avait déjà vu Max Weber au début du siècle, la bureaucratie devient la menace la plus sérieuse à l’égard des libertés individuelles [23]. Pour cette raison, le libéralisme a été associé aux États-Unis et en Angleterre au big government et c’est l’un des thèmes sur lesquels, depuis l’administration Reagan, les républicains ont fait campagne contre les idées libérales.

Conclusion

« Le fait que le libéralisme accorde une réelle valeur à l’expérience a entraîné une réévaluation continuelle des idées d’individualité et de liberté, lesquelles idées sont étroitement dépendantes des changements affectant les relations sociales » (John Dewey, « The Future of Liberalism », in Later Works, 1935).
Ce qui frappe dans cet épisode du « nouveau » libéralisme, c’est l’étonnante capacité de réinvention du libéralisme en fonction des transformations sociales, point sur lequel Dewey insiste dans cette citation. L’explication en est certainement que, par rapport aux idéologies concurrentes, socialisme ou conservatisme, le libéralisme est beaucoup moins rigide et doctrinal et que sa « tolérance structurale » et sa « flexibilité diachronique », pour reprendre les termes des brillantes analyses de Michael Freeden, sont remarquables. Malgré ces transformations, en effet, la structure conceptuelle du libéralisme est restée la même. Nous retrouvons dans le « nouveau » libéralisme tous les concepts-clés de souveraineté de l’individu, de liberté des Modernes, de l’État de droit. Mais cette structure a été modifiée parce que la relation entre ses concepts-clés et ses concepts adjacents et périphériques s’est transformée. En particulier, ses concepts adjacents de démocratie, d’égalité, d’État et de bien commun ont influencé en profondeur ses concepts-clés. En définitive, ses valeurs de base –liberté individuelle, esprit d’entreprise, tolérance, refus du système et du dogmatisme, capacité d’autocritique – inspirent un style, une forme intellectuelle qui lui sont spécifiques et qui donnent à sa famille de concepts beaucoup plus de flexibilité et d’ouverture que dans d’autres idéologies. La maison « libéralisme » a certainement ses portes et ses fenêtres plus largement ouvertes sur le monde qu’aucune autre.
En effet, que voudrait dire la doctrine de la liberté si ce projet était compatible avec le dogmatisme et l’esprit de système généralement attribués aux idéologies politiques ? Par définition, le libéralisme ne peut inspirer des doctrines dogmatiques et sectaires. C’est pourquoi, par exemple, le néolibéralisme de Milton Friedman, repris par les gouvernements Thatcher et Reagan, est difficilement intégrable dans le camp libéral car il bascule très vite dans le conservatisme par la forme de son argumentation, souvent sectaire et dogmatique, tout autant que par le contenu de ses idées. Au contraire, en appliquant la tolérance à la philosophie elle-même, pour reprendre la formule de John Rawls (Libéralisme politique, p. 34) le libéralisme contemporain se manifeste dans des constellations d’idées et de valeurs qui, si elles contiennent un noyau dur, sont toujours susceptibles de réorganisations différentes comme celles accomplies par John Stuart Mill ou tous les auteurs du « nouveau » libéralisme que nous avons mentionnés.
On pourra certes objecter que l’éclectisme n’est pas une bonne formule politiquement et qu’intellectuellement c’est en général un signe de faiblesse. En réalité, c’est pour une idéologie politique une force qui lui permet de se rénover, de s’adapter aux circonstances nouvelles de manière remarquable et de permettre la coopération politique entre des forces sociales opposées. Mais ce qui est possible pour un courant intellectuel l’est sans doute beaucoup moins pour un parti politique. C’est pourquoi le rayonnement du « nouveau » libéralisme a plus été celui d’un mouvement intellectuel que d’un programme de parti. Il n’en demeure pas moins que la capacité de transformation, de réinvention et d’adaptation est inscrite dans la nature même du libéralisme, dans sa conscience de soi en tant que doctrine de la liberté humaine en train de s’accomplir.

Aller plus loin

Références bibliographiques
- Michael Freeden, The New Liberalism, Oxford, Clarendon Press, 1978 ; Liberalism Divided, Oxford, Clarendon Press, 1986 ; Ideologies and Political Theory, Oxford, Oxford University Press, 1996.
- le numéro spécial de la revue Social Philosophy and Policy : Liberalism, Old and New, vol. 24, n° 1, hiver, 2007.
- James T. Kloppenberg, Uncertain Victory. Social Democracy and Progressivism in European and American Thought, 1870-1920, Oxford, Oxford University Press, 1986.
- Richard Bellamy, Liberalism and Modern Society, Cambridge, Polity Press, 1992.
- Gilles Dostaler, Keynes et ses combats, Paris, Albin Michel, 2009 (1re éd. : 2005).
- sur le socialisme libéral, voir Serge Audier, Le Socialisme libéral, Paris, La Découverte, 2006, et Monique Canto-Sperber et Nadia Urbinati (dir.), Le Socialisme libéral. Une anthologie, Paris, Esprit, 2003.
- John Rawls, Libéralisme politique, Paris, PUF, 1995 (éd. originale : 1993), traduit de l’américain par Catherine Audard.



 Le « nouveau » libéralisme », La Vie des idées , 29 avril 2009. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Le-nouveau-liberalisme.html  

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