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L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.
Librement vôtre - Faisons ensemble la liberté, la Liberté fera le reste.
Sommaire:
A) La solidarité avant l’État-providence - Joshua Fulton - Mises Institute.
B) Solidarité de Wikiberal
C) La solidarité, la vrai ! - Xavier COLLET - Xavier Prégentil
E) A propos de la solidarité et d'un libertarianisme minarchiste de gauche - Adrien Faure - Utopies concrètes - Le Blog d'un amateur de philosophie politique
F) Face à la grande précarité : le point de vue libertarien - Jean-François Nimsgern - Parti Libertarien
G) Libéralisme et solidarité - Koz toujours
A) La solidarité avant l’État-providence
À écouter les étatistes, l’État-providence est une nécessité. Pourtant, le passé récent montre qu’une société sans État-providence peut très bien fonctionner, même pour les moins favorisés.
Beaucoup de gens pensent que sans l’État-providence la vie serait le
chaos. Selon eux, personne ne viendrait en aide aux moins fortunés et il
y aurait des émeutes dans les rues. Peu savent que les gens avaient
trouvé des moyens innovants de se soutenir les uns les autres bien avant
que l’État-providence n’existât. L’un des plus importants était les
sociétés de secours mutuel.
Le secours mutuel, aussi connu sous le nom de fraternité, désigne les
organisations sociales qui récoltaient des cotisations et finançaient
des prestations à ceux de leurs membres qui affrontaient des
difficultés. Selon David Beito dans From Mutual Aid to the Welfare State, il y avait au cours des 18e et 19e
siècles une “stigmatisation importante” à l’encontre de ceux qui
acceptaient les aides gouvernementales ou les dons privés. Une
stigmatisation que l’on ne retrouvait pas en revanche pour le secours
mutuel qui était basé sur la réciprocité : les bénéficiaires du secours
mutuel d’aujourd’hui étaient les potentiels donneurs de demain, et vice
versa.
Le secours mutuel était particulièrement populaire chez les classes
pauvres et ouvrières. Par exemple, à New York en 1909, 40 % des familles
gagnant moins de 1 000 $ par an, soit un peu plus que le « salaire de
subsistance », avaient des membres qui participaient à des sociétés de
secours mutuel. Cependant, l’ethnicité était un facteur plus important
de l’adhésion au secours mutuel que le revenu. Les « nouveaux
immigrants » tels que les allemands, les bohémiens et les russes, dont
la plupart étaient juifs, participaient aux sociétés de secours mutuel
environ deux fois plus que les blancs natifs et six fois plus que les
irlandais. Cela peut s’expliquer par le besoin plus élevé qu’avaient les
immigrés d’un filet de protection sociale.
Dans les années 1920, plus d’un homme sur trois était membre d’une
société de secours mutuel. Les membres de telles sociétés détenaient
plus de 9 milliards de dollars d’assurance-vie en 1920. À la même
période, « les loges dominaient le domaine des assurances santé ». De
nombreuses loges offraient des allocations chômage. Des loges
fraternelles noires, tenant compte de la nature sporadique du chômage
des Afro-Américains à l’époque, distribuaient des allocations chômage à
leurs membres, même si ils n’étaient pas à jour de cotisation depuis
plus de six mois.
Dans les loges médicales, le prix de l’assurance maladie était
faible. Typiquement, les membres payaient 2 $, soit environ un salaire
journalier, pour bénéficier d’un accès annuel aux soins d’un médecin
(les chirurgies mineures étaient fréquemment comprises dans cette
cotisation). Ceux qui à cette époque n’étaient pas membres des loges
payaient de leur côté environ 2 $ par consultation médicale.
Les prix bas pour rejoindre les loges ne signifiaient cependant pas
forcément une mauvaise qualité des soins. L’Independent Order of
Foresters, l’une des plus importantes sociétés de secours mutuel, se
targuait fréquemment que le taux de mortalité de ses membres était de
6,66 pour mille, bien plus bas que les 9,3 pour mille du reste de la
population.
Les loges étaient aussi incitées à conserver des prix bas. Par
exemple, la Ladies Friends of Faith Benevolent Association, une société
de femmes noires, payait ses membres en arrêt maladie 2$ par semaine si
ils avaient vu le médecin de la loge, et 3$ sinon. Un comité de visite
contrôlait le demandeur pour veiller aux demandes frauduleuses. Les
membres qui échouaient à la visite devaient payer 1$ de contravention.
Les sociétés de secours mutuel renforçaient également les codes
moraux. En 1892, le Bureau of Labor Statistics du Connecticut constatait
que ces sociétés obéissaient à la « règle invariable » de refuser les
prestations « pour toute maladie ou autre incapacité consécutive à
l’intempérance, ou à une conduite vicieuse ou immorale ». Beaucoup de
sociétés refusaient les prestations pour toute blessure survenue au
cours de la « participation à une émeute ». Certaines loges refusaient
même l’adhésion aux personnes qui travaillaient dans la production
d’explosifs ou faisaient du football en professionnel.
De nombreuses sociétés de secours mutuel se diversifièrent et
fondèrent leurs propres hôpitaux et sanatoriums. La Securities Benefit
Association, ou SBA, facturait 21$ pour un séjour de 11 jours dans son
hôpital du Kansas, alors que la moyenne sur 100 hôpitaux privés était de
72$. Encore une fois, la qualité n’était pas forcément sacrifiée pour
le prix. Au sanatorium de la SBA, le taux de mortalité était de 4,5 %,
alors que la moyenne historique pour les sanatoriums était de 25 %. Cela
semble particulièrement impressionnant quand on sait que 30 à 50 % de
tous les cas admis au sanatorium de la SBA étaient « avancés ».
Un grand nombre de sociétés Afro-Américaines créèrent également leur propre hôpital. Au début du 20e
siècle, on pouvait difficilement dire que les Afro-Américains étaient
admis dans la plupart des hôpitaux. Quand ils l’étaient, ils devaient
fréquemment faire face à des traitements indignes comme être forcés
d’apporter leurs propres couverts, draps et brosses à dents et de payer
une infirmière noire s’il n’y en avait pas parmi le personnel. Lorsque
les Knights and Daughters of Tabor dans le Mississippi, une société
fraternelle noire présente seulement dans quelques comtés, ouvrit le
Taborian Hospital en 1942, le nombre de ses adhérents doubla presque en
trois ans pour atteindre les 47 000.
Les sociétés de secours mutuel fondèrent 71 orphelinats entre 1890 et
1922, quasiment sans aucune subvention étatique. Le plus important fut
peut-être Mooseheart, fondé en 1913 par le Loyal Order of Moose. Il
accueillit à une époque des centaines d’enfants. Il possédait un journal
étudiant, deux équipes de débats, trois organisations de théâtre et une
petite station de radio. La réussite de ceux qui avaient vécu à
Mooseheart était remarquable. Ils avaient quatre fois plus de chances
que le reste de la population de fréquenter des établissements d’études
supérieures. Les hommes gagnaient plus de 71 % de plus que la moyenne
nationale et les femmes 63 %.
Évidemment, la multiplication des services apportés par le secours
mutuel ne manquât pas de pousser certains groupes à faire du lobbying
auprès de l’État pour obtenir sa destruction.
Le premier coup majeur porté au fraternalisme eut lieu lorsque
l’American Medical Association obtint le contrôle des licences des
écoles de médecine. En 1912, plusieurs commissions médicales des Etats
formèrent la Federation of State Medical Boards qui acceptait les
notations des écoles de médecine faites par l’AMA comme faisant
autorité. L’AMA ne tarda pas à noter de nombreuses écoles comme
« inacceptables ».
C’est ainsi que le nombre d’écoles de médecine en Amérique chuta de
166 en 1904 à 81 en 1918, soit une baisse de 51 %. L’augmentation des
coûts médicaux rendit impossible pour de nombreuses loges de conserver
les services d’un médecin. Les commissions médicales se mirent également
à menacer les médecins de leur retirer leur licence s’ils pratiquaient
pour des loges.
La règlementation la plus néfaste qui suivit fut la Mobile Law. La
Mobile Law imposa aux sociétés de secours mutuel de posséder un nombre
croissant de réserves. Auparavant, elles avaient tendance à conserver
peu de réserves pour offrir le plus de prestations possibles à leurs
membres. Cette obligation de conserver beaucoup de réserves rendit
difficile pour ces sociétés d’être moins chères que les compagnies
d’assurance traditionnelles. La Mobile Law imposa également une visite
médicale pour tous les membres de loges et leur interdit toute pratique
« spéculative » comme l’octroi de crédit aux membres. En 1919, la Mobile
Law avait été promulguée dans 40 États.
L’obligation de visite médicale pour tous les membres bloqua de façon
effective l’accès des sociétés de secours mutuel au marché grandissant
de l’assurance collective. L’assurance collective est l’assurance
apportée à un large groupe de personnes, comme les employés d’une
entreprise, sans visite médicale.
De 1915 à 1920, le nombre de personnes dans les assurances
collectives grandit de 99 000 à 1,6 million. Certaines loges, comme
l’Arkansas Grand Lodge of the Ancient Order of Workmen, essayèrent de
contourner l’obligation de visite médicale en proposant une assurance
collective à un prix plus élevé que les prestations normales de loge,
mais cela les mit dans une situation de désavantage compétitif. Le
secours mutuel fut entravé d’autres manières. On interdit aux loges de
couvrir les enfants. Cela ouvrit la porte à des entreprises commerciales
qui fournirent des polices industrielles où la couverture des enfants
était standard. Le nombre de polices industrielles augmenta de 1,4
million en 1900 à 7,1 millions en 1920. En 1925, les polices
industrielles dépassèrent les polices fraternelles. Les assurances
collectives furent finalement défiscalisées, alors que les programmes
privés tels que ceux proposés par les loges ne le furent pas.
Les hôpitaux fraternels furent aussi la cible d’attaques. Au cours
des années 1960, la régulation des hôpitaux s’intensifia. Le Taborian
Hospital du Mississippi fut accusé d’« espaces de rangements et de lits
inadéquats, manquement à l’installation de portes pouvant s’ouvrir dans
les deux directions, et une utilisation excessive de personnel non
certifié. » Un régulateur étatique des hôpitaux expliqua au Taborian
Hospital, « Nous sommes constamment avertis que vous n’avez pas les
fonds nécessaires à cela [à faire des améliorations], si vous souhaitez
opérer en tant qu’hôpital, il va falloir que vous fassiez quelque chose
pour atteindre les Normes Minimales d’Opération pour les Hôpitaux du
Mississippi. »
Le Hill-Burton Hospital Construction Act de 1946 porta également
préjudice aux hôpitaux fraternels, particulièrement les hôpitaux des
noirs. Cette loi imposait aux hôpitaux recevant des fonds fédéraux à en
utiliser une partie pour soigner les indigents et cela « sans
discrimination sur des critères de race, de croyance ou de couleur ».
Même si cela permit à de nombreux noirs d’obtenir un service gratuit
dans des hôpitaux qui leur étaient auparavant inaccessibles, cela se
traduisit par une réduction de la base d’adhérents des hôpitaux
fraternels noirs. Par ailleurs, certains hôpitaux comme le Taborian
Hospital et la Friendship Clinic dans le Mississippi ne recevaient pas
de subventions alors que leurs concurrents à proximité recevaient des
millions.
L’avènement de Medicare précipita le déclin des hôpitaux fraternels.
L’économiste du MIT Amy Finkelstein estime que Medicare a entrainé une
augmentation de 28% des dépenses hospitalières entre 1965 et 1970 en
encourageant les hôpitaux à adopter des nouvelles technologies
médicales. Les plus petits hôpitaux, comme de nombreux hôpitaux
fraternels, incapables d’adopter ces nouvelles technologies aussi vite
que les plus gros hôpitaux, furent écartés du marché, un fait également
constaté par Finkelstein. Certaines sociétés fraternelles parvinrent à
échapper aux attaques de l’État en se convertissant en société
d’assurances traditionnelles. Prudential et Metropolitan Life ont toutes
les deux des origines dans le fraternalisme. Cependant, beaucoup de
sociétés disparurent tout bonnement.
Même si des millions d’Américains sont toujours membres de sociétés
fraternelles comme Masons ou Oddfelows, ces organisations n’ont plus
l’importance dans la société qu’elles avaient auparavant. L’histoire du
fraternalisme nous rappelle le pouvoir de la coopération humaine dans
une société libre.
Par Joshua Fulton, depuis les États-Unis.
Un article du Mises Institute.
Article original.
Traduction GB/Contrepoints.
B) Solidarité
La solidarité, dans sa forme primaire, a un sens très large
qui peut inclure la notion d'entraide et d'assistance, par nécessité,
esprit grégaire ou sentiment moral. La solidarité peut être décrite
comme une dépendance mutuelle entre les êtres humains, due au besoin
qu'ils ont les uns des autres, et d'où peut découler une responsabilité mutuelle. Cette communauté d'intérêt, sans nécessairement idée d'altruisme, et qui existe aussi chez les animaux, (voir par exemple Lessons from Geese), peut s'exprimer aussi bien dans le domaine associatif, mutualiste, que dans l'entreprise, les échanges économiques, la division du travail...
Il est indispensable de séparer deux notions de solidarité :
- la solidarité volontaire où vouloir agir soi-même à l'égard d'autrui contribue à un enrichissement mutuel ;
- la solidarité forcée, d'origine plutôt politique et idéologique,
doctrine de la "solidarité" en tant que système reposant sur la
croyance que le social et l'économique doivent être contraints par la
loi à une forme de solidarité redistributive.
Dans une économie de marché,
les richesses produites sont en un premier temps réparties entre les
différents agents - on parle alors de répartition primaire -, sous
forme, par exemple, de profits ou de salaires.
Une logique de redistribution peut par la suite être mise en œuvre afin
de venir en aide aux individus exclus de cet effort productif.
Pour les libéraux, il existe une différence bien définie entre la
solidarité fondée sur la réciprocité volontaire, et celle telle qu'elle
est mise en œuvre de nos jours par l'Etat-providence qui est une vaste supercherie politique.
En effet, la solidarité en tant que système social recevant
l'approbation et le soutien de l’État, se résumant aux aides, primes et
allocations (par exemple une sécurité sociale
monopolistique obligatoire), par leur place dominante laisse croire que
la seule et unique forme de solidarité ne peut se développer sans les
ressources publiques, d'où une obligation imposée afin de la financer.
Le système actuel de solidarité est instauré par la contrainte étatique, en d'autres termes, par la force (l'État
ne connaît que la solidarité forcée, qui est à la vraie solidarité ce
que le viol est à l'amour). Les individus sont obligés d'y souscrire, ce
qui va à l'encontre des principes libéraux fondamentaux que sont la liberté, la propriété et la non-agression, définitivement établis par la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.
À qui profite la solidarité ?
La solidarité - qui prétend pourtant conduire à une redistribution
des richesses - ne profite pas exclusivement aux pauvres, loin s'en
faut. Les entreprises tentent, via les subventions versées par l'État, de récupérer ce qui leur est pris sous forme d'impôts ;
les riches, majoritaires à fréquenter les lieux culturels - théâtres
par exemple - ainsi que les universités, profitent eux aussi du système
au moyen des aides et des diverses subventions versées par l'État aux
organismes suscités. L'observation du monde politique
et des résultats sur le terrain montrent qu'en réalité, tout le monde
tente de s'enrichir aux dépens de tout le monde ; l'ensemble sous
l'égide des hommes politiques et de certains fonctionnaires - payés avec
des impôts prélevés sur les citoyens -, les hommes politiques se
chargeant de justifier ces activités par des prétextes tels que "la
lutte contre la pauvreté" ou encore "la justice sociale"
alors qu'en réalité le jeu qu'ils défendent est tout à fait différent
de ce que proposent les associations constituées volontairement qui,
elles, aident vraiment les plus démunis d'entre nous, sans fanfare ni
trompette.
La solidarité comme prétexte à l'étatisme
La solidarité est pour les étatistes le prétexte idéal pour instaurer règlementations, impôts, cotisations sociales, lois liberticides, faux droits, etc, et augmenter tant que faire se peut l'emprise de l'État
sur les "administrés" et les "assujettis". Celui qui proteste est alors
montré du doigt comme un déviant : il est "contre la solidarité". Dans
une société "normale", la solidarité ne concerne qu'une très petite
partie de la population (personnes en difficulté temporaire, handicapés)
et peut être prise en charge soit par des associations, soit par des
mécanismes d'assurance classiques (assurance maladie, chômage,
etc.), soit directement par les familles concernées. Dans une société
fortement étatisée (socialiste ou social-démocrate), les besoins de
solidarité, de par l'appauvrissement général causé par l'État, sont
tellement immenses que la seule solution est de faire appel à nouveau à
l'État, qui est pourtant la cause-même du problème. La solidarité privée
disparaît pour laisser place à l'assistanat étatique.
Au delà du fait que la "solidarité" étatique soit moralement
condamnable malgré les vertus dont elle se pare, elle est par ailleurs
contre-productive et inefficace. La solidarité telle qu'elle est mise en
oeuvre décourage les sources de richesse : le travail, en taxant les travailleurs et en subventionnant ceux qui ne travaillent pas, et l'épargne, puisque plus on est riche plus on est taxé. Les agents économiques — individus mais aussi entreprises — sont plus tentés par la possibilité de s'enrichir sur le dos des autres en captant telle ou telle subvention
à leur profit plutôt que de s'associer entre individus et d'innover
pour produire de nouvelles richesses. La solidarité étatique sonne donc
la fin de la civilisation.
Solution libérale
La solution libérale est l'abolition des systèmes de "solidarité" étatique. Seuls les actes de charité
volontaire peuvent être considérés comme étant solidaires. De manière
générale, si aujourd'hui les citoyens sont honnêtement attachés à la
lutte contre la pauvreté, la situation n'a pas raison de changer dans une société libérale ; les hommes, responsabilisés,
ont la possibilité et la capacité de s'organiser volontairement sous
forme de mutuelles - comme c'est d'ores et déjà le cas - ainsi que sous
forme d'associations d'aides aux plus démunis, dont la plupart sont
d'essence privée. Les problèmes liés à la nature d'un système public
sont alors éliminés ; le système étant privé, il est impossible de
tenter de s'enrichir aux dépens des autres individus ; par ailleurs,
l'organisation est alors beaucoup plus flexible et efficace à la
différence d'un système étatisé - puisque responsabilisé. Se reposer sur
l'Etat
pour combattre la pauvreté est une façon d'évacuer le sujet en le
confiant à l'organisation qui a le moins intérêt à cela. La pratique
montre que les pays les moins étatisés sont aussi ceux où les fondations
et les associations d'assistance sont les plus développées.
Objections courantes
La solidarité est impossible sans l'État
Une objection courante (que font fréquemment les collectivistes) est que l'État est nécessaire pour pourvoir à la solidarité : la solidarité non obligatoire se traduirait toujours par une non-responsabilité des uns envers les autres.
Les libéraux expliquent que la solidarité ne se décrète pas, elle
ne peut être que volontaire, sinon toujours spontanée. Tant que l'État
ne s'est pas mêlé de décréter la solidarité, celle-ci ne s'est
absolument pas traduite par une "non-responsabilité". Pendant des
millénaires, les solidarités familiales, paroissiales, locales, les
aumônes, les dons, les fondations des riches (comme des pauvres
d'ailleurs) ont permis d'assurer, dans les meilleures conditions
possibles compte tenu de l'état des connaissances et des techniques, le
soin des malades, la vieillesse de ceux qui y parvenaient, l'éducation
des enfants. En France, la Révolution française n'a pas nationalisé tout
cela, elle l'a purement et simplement détruit en confisquant les biens
dont les revenus permettaient de l'assurer ; d'où un siècle de grande
misère des pauvres, d'autant que cent quinze ans plus tard, l'État a de
nouveau confisqué les biens d'un grand nombre d'oeuvres caritatives,
sous prétexte de laïcité. Puis ce fut l'apparition et la croissance continue de l'État-providence". Mais "l'État-providence", ce n'est pas la solidarité : c'est l'impôt,
sous un nom ou un autre. Et cela décourage la solidarité : à quoi bon
donner, puisque d'une part l'État y pourvoit (par l'impôt) et que
d'autre part, quand l'État constate que la solidarité a fourni de
l'argent pour une bonne cause, il diminue d'autant sa contribution ?
L'État n'est pas une condition nécessaire (ni suffisante) à
l'exercice de la solidarité, celle-ci existerait même en l'absence de
l'Etat, qui ne fait que la confisquer à son profit.
La solidarité doit être rendue obligatoire, pour des raisons morales
Cet argument, qui appelle l'éthique
à la rescousse, se rencontre très fréquemment à tous les niveaux des
sphères politiques, sociales, voire religieuses. Par exemple :
« J'estime que c'est le devoir de l’État de corriger les
excès de l'économie de marché afin de garantir le bien commun en
obligeant les plus fortunés à se montrer solidaires des plus démunis. »
— archevêque André-Joseph Léonard, le 24/12/2011, cité par Le Spectacle du Monde de mai 2012
Malheureusement cet argument, qui est en fait une variante éloignée
du bien connu "la fin justifie les moyens", est sans valeur d'un point
de vue moral : il n'est pas moral de forcer les personnes à être
"solidaires", pas plus qu'il n'est moral de donner à un pauvre le
produit d'un vol (définition du vol : prendre ce qui appartient à autrui
sans son consentement). La solidarité forcée, résultant d'un acte de coercition,
ne peut se prévaloir d'une quelconque vertu. Elle est hypocrite, car
elle prétend être généreuse en distribuant le bien d'autrui, en
considérant comme égoïste celui qui refuse de se faire prendre ce qu'il a
produit. Celui qui est contraint de contribuer le fait sans conviction,
celui qui en bénéficie reçoit ce "don" sans reconnaissance, comme un
dû. La solidarité étatique, loin de toute prétention éthique, dépouille
les uns du fruit de leur travail et installe les autres dans l'assistanat.
Elle a aussi pour résultat d'instaurer deux classes distinctes : celle
des contributeurs nets, et celle des bénéficiaires nets, d'où une
nouvelle forme de lutte des classes qu'elle entretient.
Le libéral reconnaît la légitimité de la solidarité, mais il veut
choisir pour qui, et dans quelles conditions, il peut faire preuve de
solidarité, autrement il ne s'agit que d'une spoliation déguisée.
Citations
-
« Il m'est tout à fait impossible de séparer le
mot fraternité du mot volontaire. Il m'est tout à fait impossible de
concevoir la Fraternité légalement forcée, sans que la Liberté soit
légalement détruite, et la Justice légalement foulée aux pieds. »
— Frédéric Bastiat
-
« Il ne faut pas étendre artificiellement la
Solidarité de manière à détruire la Responsabilité ; en d'autres termes,
il faut respecter la Liberté. »
— Frédéric Bastiat
-
« La solidarité obligatoire, par mesure
coercitive, est une régression morale ; car elle veut comprendre dans la
loi des actes qui appartiennent à la morale. Elle aboutit à remplacer
le sentiment de la solidarité par deux autres sentiments : celui de la spoliation
pour ceux qui veulent profiter du bien des autres ; celui de la révolte
et de la dissimulation pour ceux qui sont menacés d'être dépouillés. »
— Yves Guyot
-
« À notre époque, il faut être « solidaire ». Il y a une rage vraiment comique d'user de ce terme […] En France, tout discours officiel doit renfermer une ou plusieurs fois le terme de « solidarité ». »
— Vilfredo Pareto, Les systèmes socialistes, 1903
-
« Étant donné l'état actuel des choses, je ne crois pas que les progrès du socialisme
d'État puissent s'arrêter. Si vous relisez Taine, vous serez frappé de
l'analogie entre l'état d'esprit des classes dirigeantes, à la fin du
XVIIIe siècle, et leur état d'esprit
présent. Ces classes sont en train de se suicider maintenant comme elles
se suicidèrent alors. C'est une immense veulerie de gens qui savent, à
n'en point douter, qu'on veut les dépouiller et qui, au lieu de
résister, chantent les louanges de la "solidarité", de la "morale
sociale", qui est à proprement parler l'injustice et l'iniquité. Tous
ces beaux discours
ne les empêchent pas, d'ailleurs, de donner le mauvais exemple et de
tâcher de spolier ceux qui, un jour, les spolieront à leur tour. »
— Vilfredo Pareto
-
« Il paraît que la solidarité n’est bonne que
pour prendre, elle est exécrable quand il s’agit de donner. Elle sert de
prétexte aux gens qui veulent jouir du fruit du labeur d’autrui, aux
politiciens qui ont besoin de se recruter des adhérents aux frais des
contribuables ; c’est tout simplement un nouveau nom donné à un genre d’égoïsme des plus malsains. »
— Vilfredo Pareto
-
« De même qu'on ne saurait parler de morale devant les pièces solidaires d'une mécanique, il n'y a pas de place pour la morale dans la solidarité forcée sociale-démocrate. La morale se situe dans l'engagement personnel, et la solidarité s'y appelle alors amour et charité. »
— Christian Michel
-
« L’homme de gauche n’annonce la société
solidaire que comme la prostituée promet l’amour. L’un et l’autre ne
peuvent offrir que des simulacres (ivresse passagère et frustration).
Ils instaurent le règne du faire-semblant, de la pornographie
généralisée. »
— Christian Michel, Le Socialisme, pornographie de la Solidarité
-
« La solidarité échappe au politique. Elle n’est
pas imposable. Elle procède d’un mouvement intérieur, non calculé et
imprévisible (spontanéité effrayante pour le socialisme qui ne se
reconnaît que dans la planification et le contrôle) … C’est dans le vide
du règlement que naît la solidarité. C’est dans le respect des Droits,
et donc l’absence d’impositions légales, que peuvent se densifier les
relations humaines. »
— Christian Michel
-
« La solidarité des démocrates-sociaux,
c’est le vol. Il n’y a aucune solidarité entre le voleur et le volé, ne
serait-ce que parce que si le voleur a besoin du volé, le volé, lui,
n’a pas besoin de son voleur. »
— François Guillaumat
-
« Les hommes de l'État,
pour dépouiller les autres avec des airs arrogants de vertu outragée,
ont perverti la charité et la générosité en altruisme collectiviste.
Leurs vols, ils les appellent « humanisme », « solidarité » ou « justice sociale ». »
— François Guillaumat
-
« La solidarité est une belle idée lorsqu'elle relève de l'initiative d'individus libres, elle engendre ce que Mises appelait le destructionnisme lorsqu'elle devient obligatoire. Pauvreté, pénurie et effondrement moral, voilà la « solidarité ». »
— Marc Grunert
-
« Seul celui qui est responsable de soi est vraiment solidaire des autres. »
— Alain Laurent
-
« La solidarité, c’est tout mettre en oeuvre pour ne pas être à la charge des autres. »
— Jean-Louis Caccomo
-
« SOLIDARITÉ : se dit du processus par lequel un
groupe de pression contrôlant tout ou partie de l'appareil d'État
parvient à extorquer des ressources du reste de la société, pour son
propre profit. »
— Zek, Dictionnaire de Novlangue
-
« Celui qui est contraint de se montrer
solidaire en devant constamment s'acquitter d'impôts, de redevances et
de taxes croissants, ne deviendra sans doute pas plus social, mais de
plus en plus rebelle et égoïste. Ce n'est pas par hasard que dans les
pays de l'Est communistes avec leur prétendue « justice sociale »,
on trouvait un égoïsme individuel difficilement égalable. Ce n'est pas
non plus par hasard si, dans les sociétés plus ou moins libérales, les
dons récoltés pour des œuvres de charité sont les plus abondants. »
— Christoph Blocher
-
« On ne peut qu’être frappé par l’importance de
la générosité privée dans des pays libéraux comme les Etats-Unis. On l’a
un peu oublié en Europe, à cause de l’État-providence. On y devient
égoïste, parce que c’est à l’État de s’en occuper et qu’on paie
suffisamment d’impôts pour cela… L’État détruit tout, même les
sentiments altruistes. »
— Pascal Salin
C) La solidarité, la vrai !
Ainsi,
non seulement je refuse de compter parmi mes amis des individus durs aux faibles
et serviles aux puissants, mais j'ai tendance à me rapprocher de ceux que je
juge injustement défavorisés, que ce soit par le sort ou par la situation qui
leur a été faite.
Si
tous adoptaient cette même inclination notre monde serait peut-être plus juste,
mais si je voulais faire de ce que je considère comme vertu une obligation alors
je retirerais toute vertu à ce précepte de vie. Et cela car je laisserai à d'autres
le soin de me faire contribuer à réparer ce qu'eux jugent être injuste sans
que je n'ai aucune responsabilité dans ces situations considérées comme injustes.
Je deviendrai alors passif, incapable de choix moraux personnels car on m'aurait
dispensé de cette peine au nom de la solidarité obligatoire. Or la solidarité
obligatoire n'a pas créé un monde plus juste : non seulement elle a brisé les
liens entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent, mais elle a créé des droits
perpétuels au lieu de reconnaissance ponctuelle, tout en substituant l'assistanat
qui exclut au coup de pouce qui permet de s'en sortir.
La
solidarité obligatoire est donc une insulte à la vraie solidarité du cœur.
Pire,
cette solidarité à laquelle nul ne saurait se soustraire consiste aussi à être
" solidaire " envers ceux que l'on juge ne pas être méritants, alors que seule
une solidarité véritable nous permet d'épauler ceux qui ont perdu la ressource
de réclamer.
En
ce sens il est impropre de continuer à parler de solidarité pour faire référence
aux politiques développées par l'État-Providence en matière d'exclusion. Ce
pompier pyromane de la misère, à vouloir justifier son rôle à partir de l'injustice
des " lois économiques ", a institué un racket déresponsabilisant les assistés
et asséchant les générosités. En effet il faut être libéral pour ne pas croire
que l'importance du racket que nous subissons serait capable de soulager les
véritables misères, pour les autres ce racket est un alibi de leur " solidarité
" les dispensant de toute générosité personnelle. Pour ces autres l'échec de
la "solidarité obligatoire" ne fait que prouver que le racket ne s'est pas encore
assez étendu, qu'on ne prend pas encore suffisamment aux autres, c'est-à-dire
à ceux qui s'enrichissent par leur travail plutôt que par leurs droits acquis.
Ces autres là n'ont pas compris que la solidarité ne découle pas d'un arbitraire,
qu'elle est volontaire et que nul ne saurait user du beau mot de solidarité
pour évoquer une contribution obligatoire.
Parler
de "journée de solidarité" pour faire référence au retour de la corvée en faveur
du financement de la Sécu est odieux, parler de solidarité pour évoquer la prestation
d'un service sous l'empire d'un service public qui profite indifféremment à
tous est un non-sens, enfin parler de solidarité pour le remboursement d'une
IVG alors même que des solidaires contraints en rejettent la pratique comme
non-conforme à leur éthique montre que cette société est très malade.
D) Solidarité
Si l’Homme était parfait, s’il était infaillible,
la société offrirait une harmonie toute différente
de celle que nous devons y chercher.
La nôtre n’est pas celle de Fourier.
Elle n’exclut pas le mal ;
elle admet les dissonances ;
seulement nous reconnaîtrons qu’elle ne cesse pas d’être harmonie,
si ces dissonances préparent l’accord et nous y ramènent.
Nous avons pour point de départ ceci :
L’homme est faillible, et Dieu lui a donné le libre arbitre ;
et avec la faculté de choisir, celle de se tromper,
de prendre le faux pour le vrai, de sacrifier l’avenir au présent,
de céder aux désirs déraisonnables de son cœur, etc.
L’homme se trompe.
Mais tout acte, toute habitude a ses conséquences.
Par la Responsabilité, nous l’avons vu,
ces conséquences retombent sur l’auteur de l’acte ;
un enchaînement naturel de récompenses ou de peines
l’attire donc au bien et l’éloigne du mal.
Si l’homme avait été destiné par la nature à la vie et au travail solitaires,
la Responsabilité serait sa seule loi.
Mais il n’en est pas ainsi, il est sociable par destination.
Il n’est pas vrai, comme le dit Rousseau,
que l’homme soit naturellement un tout parfait et solitaire,
et que la volonté du législateur ait dû le transformer
en fraction d’un plus grand tout.
La famille, la commune, la nation, l’humanité
sont des ensembles avec lesquels l’homme a des relations nécessaires.
Il résulte de là que les actes et les habitudes de l’individu
produisent, outre les conséquences qui retombent sur lui-même,
d’autres conséquences bonnes ou mauvaises qui s’étendent à ses semblables.
— C’est ce qu’on appelle la loi de solidarité,
qui est une sorte de Responsabilité collective.
Cette idée de Rousseau, que le législateur a inventé la société,
— idée fausse en elle-même, —
a été funeste en ce qu’elle a induit à penser
que la solidarité est de création législative ;
et nous verrons bientôt les modernes législateurs se fonder sur cette doctrine
pour assujettir la société à une Solidarité artificielle,
agissant en sens inverse de la Solidarité naturelle.
En toutes choses, le principe de ces grands manipulateurs du genre humain
est de mettre leur œuvre propre à la place de l’œuvre de Dieu,
qu’ils méconnaissent.
Constatons d’abord l’existence naturelle de la loi de Solidarité.
Dans le dix-huitième siècle, on n’y croyait pas ;
on s’en tenait à la maxime de la personnalité des fautes.
Ce siècle, occupé surtout de réagir contre le catholicisme,
aurait craint, en admettant le principe de la Solidarité,
d’ouvrir la porte à la doctrine du Péché Originel.
Chaque fois que Voltaire voyait dans les Écritures
un homme portant la peine d’un autre,
il disait ironiquement :
« C’est affreux, mais la justice de Dieu n’est pas celle des hommes. »
Nous n’avons pas à discuter ici le péché originel.
Mais ce dont Voltaire se moquait
est un fait non moins incontestable que mystérieux.
La loi de Solidarité éclate en traits si nombreux
dans l’individu et dans les masses,
dans les détails et dans l’ensemble,
dans les faits particuliers et dans les faits généraux,
qu’il faut, pour le méconnaître,
tout l’aveuglement de l’esprit de secte
ou toute l’ardeur d’une lutte acharnée.
La première règle de toute justice humaine
est de concentrer le châtiment d’un acte sur son auteur,
en vertu de ce principe : Les fautes sont personnelles.
Mais cette loi sacrée des individus
n’est ni la loi de Dieu, ni même la loi de la société.
Pourquoi cet homme est-il riche ?
parce que son père fut actif, probe, laborieux, économe.
Le père a pratiqué les vertus, le fils a recueilli les récompenses.
Pourquoi cet autre est-il toujours
souffrant, malade, faible, craintif et malheureux ?
parce que son père, doué d’une puissante constitution,
en a abusé dans les débauches et les excès.
Au coupable les conséquences agréables de la faute,
à l’innocent les conséquences funestes.
Il n’y a pas un homme sur la terre
dont la condition n’ait été déterminée
par des milliards de faits auxquels ses déterminations sont étrangères ;
ce dont je me plains aujourd’hui a peut-être pour cause
un caprice de mon bisaïeul, etc.
La solidarité se manifeste sur une plus grande échelle encore
et à des distances plus inexplicables,
quand on considère les rapports des divers peuples,
ou des diverses générations d’un même peuple.
N’est-il pas étrange que le dix-huitième siècle
ait été si occupé des travaux intellectuels ou matériels
dont nous jouissons aujourd’hui ?
N’est-il pas merveilleux que nous-mêmes nous nous mettions à la gêne
pour couvrir le pays de chemins de fer,
sur lesquels aucun de nous ne voyagera peut-être ?
Qui peut méconnaître la profonde influence de nos anciennes révolutions
sur ce qui se passe aujourd’hui ?
Qui peut prévoir quel héritage de paix ou de discordes
nos débats actuels légueront à nos enfants ?
Voyez les emprunts publics.
Nous nous faisons la guerre ;
nous obéissons à des passions barbares ;
nous détruisons par là des forces précieuses ;
et nous trouvons le moyen de rejeter
le fléau de cette destruction sur nos fils,
qui peut-être auront la guerre en horreur
et ne pourront comprendre nos passions haineuses.
Jetez les yeux sur l’Europe ;
contemplez les événements qui agitent
la France, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne,
et dites si la loi de la Solidarité est une loi chimérique.
Il n’est pas nécessaire de pousser plus loin cette énumération.
D’ailleurs il suffit que l’action d’un homme, d’un peuple, d’une génération,
exerce quelque influence
sur un autre homme, sur un autre peuple, sur une autre génération,
pour que la loi soit constatée.
La société tout entière n’est qu’un ensemble de solidarités qui se croisent.
Cela résulte de la nature communicable de l’intelligence.
Exemples, discours, littérature, découvertes, sciences, morale, etc.,
tous ces courants inaperçus par lesquels correspondent les âmes,
tous ces efforts sans liens visibles dont la résultante cependant
pousse le genre humain vers un équilibre,
vers un niveau moyen qui s’élève sans cesse,
tout ce vaste trésor d’utilités et de connaissances acquises,
où chacun puise sans le diminuer, que chacun augmente sans le savoir,
tout cet échange de pensées, de produits, de services et de travail,
de maux et de biens, de vertus et de vices
qui font de la famille humaine une grande unité,
et de ces milliards d’existences éphémères
une vie commune, universelle, continue,
tout cela c’est la Solidarité.
Il y a donc naturellement et dans une certaine mesure
Solidarité incontestable entre les hommes.
En d’autres termes,
la Responsabilité n’est pas exclusivement personnelle,
elle se partage ;
l’action émane de l’individualité,
les conséquences se distribuent sur la communauté.
Or il faut remarquer qu’il est dans la nature de chaque homme
de vouloir être heureux.
— Qu’on dise tant qu’on voudra que je célèbre ici l’égoïsme ;
je ne célèbre rien, je constate,
— je constate ce sentiment inné, universel, qui ne peut pas ne pas être :
— l’intérêt personnel, le penchant au bien-être,
la répugnance à la douleur.
Il suit de là que l’individualité est portée à s’arranger de telle sorte
que les bonnes conséquences de ses actes lui reviennent
et que les mauvaises retombent sur autrui ;
autant que possible, elle cherche à répartir celles-ci
sur un plus grand nombre d’hommes,
afin qu’elles passent plus inaperçues et provoquent une moindre réaction.
Mais l’opinion, cette reine du monde,
qui est fille de la solidarité, rassemble tous ces griefs épars,
groupe tous ces intérêts lésés en un faisceau formidable de résistances.
Quand les habitudes d’un homme sont funestes à ceux qui l’entourent,
la répulsion se manifeste contre cette habitude.
On la juge sévèrement, on la critique, on la flétrit ;
celui qui s’y livre devient un objet de défiance, de mépris et de haine.
S’il y rencontrait quelques avantages,
ils se trouvent bientôt plus que compensés
par les souffrances qu’accumule sur lui l’aversion publique ;
aux conséquences fâcheuses qu’entraîne toujours une mauvaise habitude,
en vertu de la loi de Responsabilité,
viennent s’ajouter d’autres conséquences plus fâcheuses encore
en vertu de la loi de Solidarité.
Le mépris pour l’homme s’étend bientôt à l’habitude, au vice ;
et comme le besoin de considération est un de nos plus énergiques mobiles,
il est clair que la solidarité,
par la réaction qu’elle détermine contre les actes vicieux,
tend à les restreindre et à les détruire.
La Solidarité est donc, comme la responsabilité,
une force progressive ;
et l’on voit que, relativement à l’auteur de l’acte,
elle se résout en responsabilité répercutée,
si je puis m’exprimer ainsi ;
— que c’est encore un système de peines et de récompenses réciproques,
admirablement calculé pour circonscrire le mal, étendre le bien
et pousser l’humanité dans la voie qui mène au progrès.
Mais pour qu’elle fonctionne dans ce sens,
— pour que ceux qui profitent ou souffrent d’une action
qu’ils n’ont pas faite réagissent sur son auteur
par l’approbation ou l’improbation, la gratitude ou la résistance,
l’estime, l’affection, la louange, ou le mépris, la haine et la vengeance,
— une condition est indispensable :
c’est que le lien qui existe entre un acte et tous ses effets
soit connu et apprécié.
Quand le public se trompe à cet égard, la loi manque son but.
Un acte nuit à la masse ;
mais la masse est convaincue que cet acte lui est avantageux.
Qu’arrive-t-il alors ?
C’est qu’au lieu de réagir contre cet acte,
au lieu de le condamner et par là de le restreindre,
le public l’exalte, l’honore, le célèbre et le multiplie.
Rien n’est plus fréquent, et en voici la raison :
Un acte ne produit pas seulement sur les masses un effet,
mais une série d’effets.
Or il arrive souvent que le premier effet est un bien local,
parfaitement visible,
tandis que les effets ultérieurs
font filtrer insensiblement dans le corps social
un mal difficile à discerner ou à rattacher à sa cause.
La guerre en est un exemple.
Dans l’enfance des sociétés
on n’aperçoit pas toutes les conséquences de la guerre.
— Et, à vrai dire, dans une civilisation
où il y a moins de travaux antérieurs exposés à la destruction,
moins de science et d’argent sacrifiés à l’appareil de la guerre, etc.,
ces conséquences sont moins funestes que plus tard.
— On ne voit que la première campagne,
le butin qui suit la victoire, l’ivresse du triomphe ;
alors la guerre et les guerriers sont fort populaires.
Plus tard on verra l’ennemi, vainqueur à son tour,
brûler les moissons et les récoltes, imposer des contributions et des lois.
— On verra, dans les alternatives de succès et de revers,
périr les générations, s’éteindre l’agriculture, s’appauvrir les deux peuples.
— On verra la portion la plus vitale de la nation
mépriser les arts de la paix,
tourner les armes contre les institutions du pays,
servir de moyen au despotisme,
user son énergie inquiète dans les séditions et les discordes civiles,
faire la barbarie et la solitude chez elle
après les avoir faites chez ses voisins.
On dira : La guerre c’est le brigandage agrandi…
— Non, on verra ses effets sans en vouloir comprendre la cause ;
et comme ce peuple en décadence aura été envahi à son tour
par quelque essaim de conquérants, bien des siècles après la catastrophe,
des historiens graves écriront :
Ce peuple est tombé parce qu’il s’est énervé dans la paix,
parce qu’il a oublié la science guerrière
et les vertus farouches de ses ancêtres.
Je pourrais montrer les mêmes illusions sur le régime de l’esclavage…
Cela est vrai encore des erreurs religieuses…
De nos jours le régime prohibitif donne lieu à la même surprise…
Ramener, par la diffusion des lumières,
par la discussion approfondie des effets et des causes,
l’opinion publique dans cette direction intelligente
qui flétrit les mauvaises tendances et s’oppose aux mesures funestes,
c’est rendre à son pays un immense service.
Quand la raison publique égarée
honore ce qui est méprisable, méprise ce qui est honorable,
punit la vertu et récompense le vice,
encourage ce qui nuit et décourage ce qui est utile,
applaudit au mensonge et étouffe le vrai sous l’indifférence ou l’insulte,
une nation tourne le dos au progrès,
et n’y peut être ramenée que par les terribles leçons des catastrophes.
Nous avons indiqué ailleurs
le grossier abus que font certaines écoles socialistes du mot Solidarité…
Voyons maintenant dans quel esprit doit être conçue la loi humaine.
Il me semble que cela ne peut faire l’objet d’un doute.
La loi humaine doit abonder dans le sens de la loi naturelle :
elle doit hâter et assurer la juste rétribution des actes ;
en d’autres termes, circonscrire la solidarité,
organiser la réaction pour renforcer la responsabilité.
La loi ne peut pas poursuivre d’autre but
que de restreindre des actions vicieuses
et de multiplier les actions vertueuses,
et pour cela elle doit favoriser
la juste distribution des récompenses et des peines,
de manière à ce que les mauvais effets d’un acte
se concentrent le plus possible sur celui qui le commet…
En agissant ainsi, la loi se conforme à la nature des choses :
la solidarité entraîne une réaction contre l’acte vicieux,
la loi ne fait que régulariser cette réaction.
La loi concourt ainsi au progrès ;
plus rapidement elle ramène l’effet mauvais sur l’auteur de l’acte,
plus sûrement elle restreint l’acte lui-même.
Prenons un exemple.
La violence a des conséquences funestes :
chez les sauvages la répression est abandonnée au cours naturel des choses ;
qu’arrive-t-il ?
C’est qu’elle provoque une réaction terrible.
Quand un homme a commis un acte de violence contre un autre homme,
une soif inextinguible de vengeance s’allume dans la famille du dernier
et se transmet de génération en génération.
Intervient la loi ;
que doit-elle faire ?
Se bornera-t-elle à étouffer l’esprit de vengeance, à le réprimer, à le punir ?
Il est clair que ce serait encourager la violence
en la mettant à l’abri de toutes représailles.
Ce n’est donc pas ce que doit faire la loi.
Elle doit se substituer, pour ainsi dire, à l’esprit de vengeance
en organisant à sa place la réaction contre la violence ;
elle doit dire à la famille lésée :
Je me charge de la répression de l’acte dont vous avez à vous plaindre.
— Alors la tribu tout entière se considère comme lésée et menacée.
Elle examine le grief, elle interroge le coupable,
elle s’assure qu’il n’y a pas erreur de fait ou de personne,
et réprime ainsi avec régularité, certitude,
un acte qui aurait été puni irrégulièrement…
Frédéric Bastiat - http://bastiat.org/ - Sources: Harmonies économiques, 2e éd. - Œuvres complètes, vol. 6, p. 559.
Cette ébauche se termine ici brusquement ;
le côté économique de la loi de solidarité n’est pas indiqué.
On peut renvoyer le lecteur aux chap. X et XI,
Concurrence,
Producteur et Consommateur.
Au reste, qu’est-ce au fond que l’ouvrage entier des Harmonies ;
qu’est-ce que la concordance des intérêts, et les grandes maximes :
La prospérité de chacun est la prospérité de tous,
— La prospérité de tous est la prospérité de chacun, etc. ;
— qu’est-ce que l’accord
de la propriété et de la communauté,
les services du capital, l’extension de la gratuité, etc. ;
— sinon le développement au point de vue utilitaire
du titre même de ce chapitre : Solidarité ?
E) A propos de la solidarité et d'un libertarianisme minarchiste de gauche
«
Les gens qui se battent pour la libre entreprise ne défendent pas les
intérêts de ceux qui se trouvent aujourd'hui être riches. »
Ludwig von Mises
Les
libertariens anarchistes conséquentialistes (en éthique normative)
affirment qu'une société sans État est davantge favorable aux plus
pauvres qu'une société avec État. Dans Vers une société sans État,
David Friedman met en évidence un certain nombre d'effets pervers qui
font que des mécanismes étatiques censés être en faveur des plus pauvres
finissent par péjorer leurs intérêts. En dehors de ces effets pervers,
on peut noter que l'argumentation libertarienne (conséquentialiste)
s'axe autour de trois axes.
1. La suppression de l’État entraîne
un enrichissement généralisé (entre autres) par la suppression des
monopoles et des cartels étatiques, par la suppression des limitations
de la libre concurrence (subventions, privilèges, réglementations, etc.)
par les politiciens, par la suppression des rentes politiciennes et
gouvernementales, et par la supériorité du fonctionnement des
entreprises privées sur les entreprises étatiques.
2. Cet
enrichissement généralisé provoque un accroissement de l'entrepreneuriat
et une décroissance du nombre d'employés. La valeur (le prix) de la
force de travail (des salaires) des employés augmente en conséquence (du
fait de sa plus grande rareté).
3. Si malgré les points 1 et 2,
il subsistait de la pauvreté, alors un certain nombre de mécanismes
existent pour la juguler. D'abord, les individus ont la possibilité de
s'assurer contre les mauvais jours (assurance chômage, assurance
maladie, etc.). Ensuite, il peut exister des systèmes de mutualisation
(comme les sociétés de secours mutuels, les associations ouvrières, les
syndicats, etc.) qui peuvent assister et soutenir les individus en cas
de difficultés. Par ailleurs, les individus peuvent faire le choix de
vivre dans des communautés (kibboutzs, phalanstères, etc.) qui assurent à
leurs membres une prise en charge (plus ou moins) complète en cas de
problème. Enfin, les libertariens anarchistes comptent sur la solidarité
spontanée et volontaire (des familles, proches, amis, mais aussi
d'institutions d'entraide organisées comme les associations caritatives,
les églises, etc.).
« C’est le fond de la
psychologie humaine. A moins que les Hommes soient affolés sur le champ
de bataille, ils « ne peuvent pas y tenir », d’entendre appeler au
secours et de ne pas répondre. Le héros s’élance ; et ce que fait le
héros, tous sentent qu’ils auraient dû le faire aussi. Les sophismes du
cerveau ne peuvent résister au sentiment d’entraide, parce que ce
sentiment a été nourri par des milliers d’années de vie humaine sociale
et des centaines de milliers d’années de vie pré-humaine en sociétés. »
Pierre Alekseïevitch Kropotkine
Et
pourtant, malgré tous ces éléments (qu'il conviendrait de développer
davantage dans le détail évidemment), bon nombre de gens craignent
qu'une société sans État laisse les pauvres au bord de la route. Je
pense que nous devons donner comme réponse aux gens qui bloquent sur
cette crainte que de la même manière que nous considérons comme
libertariens ceux qui souhaitent un État minimal chargé de la justice,
de la police, de l'armée et de la diplomatie, nous pouvons tout aussi
bien accepter comme libertariens ceux qui souhaitent un État minimal
chargé de collecter par l'impôt des sommes nécessaires à assurer la
survie des plus pauvres (un peu sur le modèle de l'Hospice Générale à
Genève). La somme devrait être suffisamment basse pour inciter les gens à
préférer trouver un emploi que de continuer à toucher l'allocation et
elle devrait varier pour permettre aux individus de préférer prendre un
petit emploi et de toucher encore une petite somme de soutien plutôt
que de ne pas prendre d'emploi. Une telle position est une position
libertarienne minarchiste de gauche d'après-moi, et elle devrait
rassurer beaucoup de gens. Et si une
société sans Etat échouait à éradiquer la pauvreté, alors cela
signifierait simplement que la position libertarienne minarchiste de
gauche est corroborée. A
noter enfin qu'un libertarien qui serait favorable à un État minimal en
charge des fonctions régaliennes et d'une fonction d'assistance aux
plus pauvres serait simplement un libéral classique, c'est à dire un
libertarien modéré.
Adrien Faure
http://adrienfaure.blog.tdg.ch/
F) Face à la grande précarité : le point de vue libertarien
Michael Bloomberg et Lawrence DePrimo. Tous deux sont
New-yorkais, et leur action dans le domaine de l’aide aux sans-abris au
début de cette période de grands froids leur a valu l’attention de la
presse. Ce sont toutefois leurs seuls points communs.
Michael Bloomberg est maire de New York, et supervise à ce titre une armada d’administrations municipales. Il est très sensible aux questions nutritionnelles,
et estime qu’il est de sa responsabilité que ses administrés mangent
sainement. Ceci l’a conduit début novembre à prendre un arrêté
interdisant les dons d’aliments cuisinés par les donateurs eux-mêmes aux
refuges de sans-abris car l’inspection sanitaire municipale ne peut en
vérifier la teneur en sel, matières grasses et fibres. L’homme qui a
fait connaître l’affaire, Glenn Richter, livrait des bagels de
sa confection depuis plus de vingt ans à un centre pour sans-abris
proche de chez lui, mais cette année, ils ont été refusés. Les
sans-abris se passeront de bagels, tant pis pour eux.
Dérapage d’un fonctionnaire zélé d’une administration connue
pour sa finesse – elle avait déjà infligé une amende à des pompiers
servant à manger à des sinistrés de l’ouragan Sandy au motif qu’ils
portaient un casque et non la charlotte réglementaire ? Pas même.
Monsieur Bloomberg, politicien milliardaire, assume. Pour lui, le
véritable scandale est que ces donations aient été acceptées par le
passé.
Lawrence DePrimo est un simple policier, employé par la
ville de New York. Un soir de grand froid, repérant un sans-abri pieds
nus, il n’a rien demandé à personne. Il n’a pas rempli de formulaire, il
n’a pas requis l’avis d’un comité d’experts, il n’a pas sollicité une
subvention. Il a simplement, avec son propre argent, été acheter une
paire de bottes et des chaussettes à cet homme, et l’a aidé à les
enfiler, puis a repris sa patrouille. Sans un touriste photographiant la
scène par hasard, à l’insu des protagonistes, personne n’en aurait
jamais rien su.
Ces deux histoires illustrent à merveille la différence
entre l’intervention publique et l’intervention individuelle, en termes
d’efficacité, mais aussi en termes de nature.
Lorsque l’État décide de tenter d’aider les sans-abris,
avant que le moindre sou ne leur soit effectivement consacré, la
première chose qui naît est une administration. Celle-ci, pour justifier
son existence, édicte des normes, inspirées par l’idée qu’elle se fait
du bien, et conformes aux lubies politiquement correctes du temps. Elle
veille aussi à protéger soigneusement son périmètre de compétences.
Ainsi, se combinent en Belgique un Service Public de « lutte
contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale », une
compétence régionale de coordination, des compétences communautaires –
l’accueil des populations précaires relève des communautés – et
communales via les CPAS. Ceci donne lieu à de savants observatoires et
colloques, de précieux groupes de coordination, une inflation de la
règlementation, sans oublier les innombrables groupes de projets
transversaux.
Et pendant ce temps, près de 20.000 personnes vivent dans la rue en Belgique. À Bruxelles, elles seraient de 3 à 4.000.
Pour bénéficier d’une place d’hébergement d’urgence, le
sans-abri doit la réserver par téléphone avec, selon les témoignages,
des temps d’attente que même le pire service client n’oserait infliger.
Parfois, c’est la règlementation elle-même qui exclut. Un
décret de la COCOF oblige toutes les maisons d’accueil agréées à définir
un projet pédagogique de réinsertion, qui doit être signé par la
personne accueillie. L’intention est peut-être bonne, mais l’obligation
systématique a pour effet pervers d’en exclure les plus précarisés, peu
susceptibles de concevoir un tel projet. Et malheur à qui voudrait
s’affranchir des fourches caudines de l’administration : son espace
d’accueil se verrait alors désigné par l’infamant sigle de SHNA
(structure d’hébergement non agréée). Inutile de préciser que leur
éradication semble être une des priorités du service concerné de la
COCOF.
Face à la défaillance de l’État, il reste les individus. De
leur propre initiative, comme Lawrence DePrimo, ou dans le cadre
d’associations caritatives ou religieuses, à petite, moyenne ou grande
échelle, en fonction de leurs moyens financiers ou humains, les
individus agissent pour apporter une aide concrète à ceux qui en ont
besoin. Cette aide ne consiste pas en l’affirmation d’un pseudo « droit
à » dont la mise en œuvre se perd dans les méandres administratifs, mais
est immédiate et réelle : un repas chaud, un abri, une paire de
chaussures.
Le curé qui ouvre son église le soir par grand froid ne
proclame pas avec Sarkozy un droit au logement opposable. Il n’a pas non
plus attendu les imprécations de Duflot pour le faire (à ce sujet, nous
déplorons le ton employé par icelle, mais constatons que même les plus
féroces collectivistes reconnaissent la supériorité de l’initiative
privée sur l’action de l’État).
Glenn Richter en préparant ses bagels ne proclame
pas un droit abstrait à la nourriture, il apporte un peu de réconfort à
ceux qui, près de chez lui, ne peuvent manger à leur faim. Lawrence
DePrimo ne milite pas pour le droit à la chaussure pour tous, il
accomplit un geste concret pour une personne dont il a constaté la
détresse.
Malgré la crise, et bien que ponctionnés à 50% par l’État,
les Belges donnent plus de 300 millions d’euros par an à des
associations, somme qui ne comprend ni les dons en nature, ni l’aide
directe d’individu à individu. Le bénévolat associatif représente
l’équivalent de 175.000 emplois à taux plein. Que seraient ces chiffres
sans le racket étatique opéré en amont ?
La solidarité telle que mise en avant par l’État est donc
inefficace. Point n’est besoin de démontrer que, reposant sur la
contrainte, elle est aussi immorale. Elle nie l’individu, que ce soit
celui qui est obligé de contribuer ou celui qui est supposé en
bénéficier. Le terme même de solidarité est empreint de cette
idéologie : venant du latin « solidum », qui signifie « pour le tout »,
son emploi était originellement limité au domaine juridique pour
qualifier des condamnations civiles, où l’un des débiteurs peut être
tenu pour la totalité de la dette, sans que les parts de chacun ne
soient différenciées vis-à-vis du créancier.
À la solidarité globalisatrice, nous opposons la motivation
de l’initiative individuelle : la fraternité, le fait de considérer
autrui comme son frère humain, et dès lors de se comporter comme tel
avec lui.
Au tous pour tous, nous opposons le chacun pour chacun.
Le Parti Libertarien
milite pour que la fraternité prenne le pas sur la solidarité,
l’initiative individuelle sur les tracasseries administratives, et pour
que dans ce monde il y ait moins de Bloomberg et plus de DePrimo.
Jean-François Nimsgern
G) Libéralisme et solidarité
On a coutume en France de présenter le libéralisme comme une idéologie intrinsèquement égoïste.
En forçant à peine le trait, les libéraux auraient clairement pris le
parti des riches contre les pauvres. Apôtres du chacun pour soi, ils se
complairaient dans les inégalités, voudraient la mort des services
publics et seraient hostiles au principe même de l’impôt et à toute idée
de redistribution.
Bref, soit on est libéral et on veut moins d’impôts, moins d’Etat et
moins de solidarité, soit on est anti-libéral et on veut plus de tout
cela. A ce compte là, on n’est pas surpris que libéral soit quasiment
devenu une insulte dans le débat politique français.
Il s’agit cependant là d’une confusion nuisible. Les libéraux sont
certes méfiants envers l’Etat à qui ils reprochent d’être inefficace,
mais cela ne signifie pas qu’ils sont contre la solidarité. Le
libéralisme parle d’efficacité, pas de morale. En gros, un libéral est
convaincu que pour atteindre un objectif donné, des acteurs privés en concurrence seront plus efficaces que l’Etat. Cela reste vrai quel que soit l’objectif qu’on s’est fixé : maximiser la croissance économique ou fournir un service public.
J’entends déjà les objections. « Le marché rendre un service
public ? Tu nous prends pour des naïfs. On sait bien que les sociétés
privées discriminent par l’argent. Or un service public doit être
accessible à tous. »
Je vais essayer de vous convaincre. Retenez les tomates encore
quelques minutes le temps de lire ce qui suit. Vous aurez tout le loisir
de m’invectiver après, avec en prime la légitime satisfaction de
m’avoir magnanimement donné ma chance.
***
Je choisis l’éducation, sujet sensible s’il en est. On oppose
artificiellement d’une part l’éducation gratuite forcément dispensée par
l’Etat et d’autre part une éducation privée forcément payante et
discriminatoire. Il y a pourtant une voie moyenne, à la fois libérale et
solidaire.
Imaginons une réforme de l’enseignement primaire et secondaire : on
autoriserait l’ouverture d’un nombre illimité d’établissements privés
dans les conditions suivantes :
- Ils dispensent un enseignement dont la qualité est agréée par des agents de l’Etat ;
- Ils ne facturent rien aux élèves ou à leurs parents ;
- Pour chaque élève scolarisé, l’établissement reçoit de l’Etat un financement égal à 80% du coût d’un élève dans le public.
J’ai mis 80% un peu au pif. Mais mon expérience suggère qu’il est
très facile de réduire de 20% les coûts d’une organisation mal gérée. Et
je pense que c’est le cas de l’Education Nationale depuis des décennies
(ceci n’est pas une attaque contre les profs, la plupart sont innocents
du fait qu’on les utilise mal)
Si j’ai tort, aucun établissement privé ne survivra selon ce modèle
puisqu’ils ne seront pas rentables. La réforme n’aura rien coûté à
l’Etat et aura prouvé que l’Education Nationale n’est finalement pas si
mal gérée que cela.
Dans le cas contraire, on aura augmenté la liberté de choix des
élèves (et des profs) et réduit la dépense de l’Etat sans nuire à la
qualité de l’enseignement.
Le libéralisme n’est pas synonyme de la jungle, du laissez-faire ou de la disparition de l’Etat et des services publics. Il souhaite que l’Etat se focalise sur les fonctions pour lesquelles il est irremplaçable : fixer les règles du jeu.
L’Etat est un mauvais opérateur car il ne subit pas l’influence
bénéfique de la concurrence. Il est d’autant meilleur régulateur qu’il
n’est pas acteur.
***
Libéralisme et solidarité ne s’opposent pas a priori. En fait, si on
regarde les pays voisins, on réalise que le libéralisme se décline à
tous les parfums en terme de niveau de redistribution :
Un libéralisme avec redistribution faible (les
républicains US), un libéralisme avec redistribution moyenne (les
démocrates US, les travaillistes UK), un libéralisme avec redistribution
forte (les scandinaves)
Oui, cela va peut être en faire tousser quelques uns, mais force est
de constater que les pays nordiques sont plus libéraux que nous. Ils ont
fortement réduit leurs dépenses publiques depuis 15 ans ; ils ont moins
d’employés de l’Etat que nous et le fonctionnariat à vie n’y est pas
systématique ; leurs traitements des chômeurs sont infiniment plus
coercitifs qu’en France etc…
Non, le libéralisme n’est pas l’ennemi de la solidarité, le
libéralisme n’est pas l’ami des riches ni l’ennemi des pauvres. Mais ce
message est très difficile à faire passer, en grande partie à cause de
nos politiques de tous bords. D’abord parce que le libéralisme exige
d’eux une forme d’humilité. Il faut accepter l’idée que les agents
économiques sont collectivement plus créatifs, intelligents,
travailleurs, enthousiastes, énergiques et en définitive efficaces que
la lourde organisation hiérarchique de l’Etat. Ensuite parce qu’une
partie de la gauche a un intérêt objectif à caricaturer le libéralisme
pour faire passer la droite pour des salauds. Enfin parce que la droite
française n’a malheureusement pas compris grand-chose non plus au
libéralisme et qu’elle s’entête à prêter niaisement le flanc à la
critique en se débrouillant toujours pour avoir l’air de prendre le
parti des riches.
Pour réconcilier les Français avec le libéralisme, il faut casser
l’idée qu’il favorise les riches. Une mesure phare d’un programme de
droite, libéral et solidaire pourrait par exemple être une baisse des dépenses publiques couplée à une hausse de l’impôt sur le revenu.
Je suis certain que la majorité des électeurs de droite sont prêts à
accepter une hausse d’impôts s’ils sont convaincus que leur argent ne
sera pas gaspillé.
C’est un peu tard pour cette élection mais avouez que ça couperait pas mal l’herbe sous le pied de François « j’aime pas les riches » Hollande, non ?