novembre 13, 2014

Rapport d'octobre 2014 sur les finances publiques locales

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Voici ici la présentation de ce rapport comme sa conclusion. En ce qui concerne le détail du rapport comme les différentes réactions, décisions des présidents locaux, voire leurs non-participations respectives cliquez le lien: Télécharger
 
Pour la deuxième année consécutive, la Cour des comptes présente un rapport public consacré aux finances publiques locales. Fruit d’un travail commun de la Cour et des chambres régionales des comptes, ce rapport vise à analyser la situation financière des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ainsi que les enjeux qui s’y attachent. 

Chaque année, la Cour publie des rapports sur la gestion du budget de l’État, sur la sécurité sociale et sur la situation et les perspectives des finances publiques prises dans leur ensemble. La publication en outre d’un rapport annuel spécifique sur les finances publiques locales se justifie pleinement au regard de leur importance. 

Selon les données de la comptabilité nationale, les dépenses des administrations publiques locales (APUL)1 se sont élevées à 252 Md€ en 2013, soit 21 % des dépenses des administrations publiques alors que celles des administrations centrales (principalement l’État) en ont représenté 32 %, et celles des administrations sociales 47 %.

1 Le champ des administrations publiques locales (APUL) est constitué à 90 % des collectivités territoriales (communes, départements, régions) et des groupements de communes à fiscalité propre (communautés urbaines, communautés d’agglomération, communautés de communes). Cependant, il inclut aussi les syndicats intercommunaux et les syndicats mixtes chargés de services administratifs. Il s’y ajoute également des organismes divers d’administration locale (ODAL), correspondant à diverses catégories d’organismes à compétence spécialisée sur le territoire d’une commune ou d’un département, et aux chambres consulaires. Les APUL ne couvrent pas la totalité du secteur public local : celui-ci comprend en outre des organismes classés en sociétés non financières, tels que les régies à autonomie financière et dotées de la personnalité morale, les syndicats intercommunaux relevant du secteur marchand, les offices publics de l’habitat (ex-offices publics d’aménagement et de construction et offices publics d’habitations à loyer modéré) ou encore les caisses de crédit municipal.


Poids respectif des dépenses des administrations publiques

Administrations publiques locales 21 %
Administrations sociales 47 %
Administration centrale (principalement État) 32 %
 
À la différence de l’État et des organismes de sécurité sociale, les collectivités locales ne peuvent recourir à l’emprunt que pour financer leurs investissements et non leurs dépenses de fonctionnement. La dette locale (182,3 Md€ en 2013) représente 9,5 % de la dette totale des administrations publiques, constituée en outre de celle des administrations centrales dont principalement l’État (79,5 %), et de la sécurité sociale (11 %). 

Poids respectif de la dette des administrations publiques
 
Administrations sociales 11 %
Administrations publiques locales 9,5 % 
Administration centrale (principalement État) 79,5 % 

Les transferts financiers annuels de l’État aux collectivités territoriales dépassent 100 Md€.
Enfin, les impôts locaux représentent environ 12,7 % des prélèvements obligatoires à côté des impôts nationaux (34 %) et des prélèvements sociaux (52 %)2.
2 Le solde est perçu par les organismes divers d’administration centrale (ODAC). 
 
Ces données mettent en évidence le poids des finances publiques locales et, en conséquence, la nécessité de les associer à l’effort de redressement des comptes publics. 

1 - Les finances locales : un enjeu majeur du redressement des comptes publics
Le secteur public local a vocation à prendre sa part dans l’effort de réduction des déficits publics. Autant que l’État et la sécurité sociale, il est concerné par les engagements européens de la France, inscrits notamment dans le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) du 2 mars 2012, qui prévoit le retour à l’équilibre des comptes publics nationaux pris dans leur ensemble. Traduction en droit national de ce traité, la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques s’applique aux administrations publiques locales. 
 
Dans son prolongement, la loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012, puis le programme de stabilité pour la période 2013-2017 transmis en avril 2013 à la Commission européenne et celui de mai 2014 pour la période 2014-2017, ont prévu des trajectoires de redressement des comptes publics impliquant l’évolution des dépenses, des recettes, du solde et de la dette des collectivités locales. 

L’évolution de la situation financière d’ensemble des collectivités territoriales trouve sa traduction en comptabilité nationale dans les comptes des administrations publiques locales (APUL), qui constituent une partie des administrations publiques (APU). Ces données permettent de mesurer leur contribution aux déficits publics et à la dette publique, notifiés au titre des engagements européens de la France. 

En 2013, les dépenses des APUL ont progressé de 3,4 % et leurs recettes de 1,1 %. Leur déficit est passé de 3,7 Md€ en 2012 à 9,2 Md€ en 2013. En conséquence, il a représenté l’année dernière 10,4 % de l’ensemble des déficits publics contre 3 % l’année précédente, et 0,4 % du produit intérieur brut (PIB) au lieu de 0,15 %. La dette des APUL a augmenté de 6,2 Md€ (+ 3,5 %) mais sa part (9,5 %) dans le total de la dette publique n’a pas varié. 

Du fait de ces évolutions, les collectivités territoriales n’ont pas apporté en 2013 la contribution attendue à la réduction des déficits publics, comme l’a déjà relevé la Cour en juin 2014 dans son rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques.
La trajectoire des finances publiques, définie par le programme de stabilité 2013-2017 d’avril 20133, prévoyait, pour les APUL, un déficit de 0,2 % du PIB en 2013 et en 2014, puis un retour à l’équilibre à compter de 2015. En fait le solde des APUL s’est écarté de cette trajectoire puisqu’il s’est creusé à 0,4 % du PIB en 2013. Il a ainsi contribué pour un tiers au retard pris dans la réduction des déficits publics de la France, qui se sont établis à 4,3 % du PIB alors que l’objectif fixé était de 3,7 % du PIB. 

Cette évolution de la situation financière des collectivités locales est très préoccupante car elle rend plus difficile le respect par la France de ses engagements européens en venant limiter la portée des efforts de maîtrise de leurs dépenses accomplis par l’État et les organismes de sécurité sociale. 


3 Programme adopté en Conseil des ministres le 17 avril 2013, soumis le 23 avril à l’Assemblée nationale et le 24 avril au Sénat, puis adressé à la Commission européenne à la fin du mois d’avril 2013.

2 - Des limitations pour l’analyse des finances locales4

4 Sur la problématique d’ensemble de la fiabilité des comptes locaux, voir, Cour des comptes, Rapport public thématique : Les finances publiques locales, Chapitre III, p. 105 et suivantes, La Documentation française, octobre 2013, 475 p., disponible sur www.ccomptes.fr 

L’analyse des finances locales se heurte à un certain nombre de limitations qui résultent de l’imparfaite fiabilité des données comptables et de l’absence d’outils de prévision.
- L’imparfaite fiabilité des données comptables
L’agrégation nationale des données financières locales repose sur la seule centralisation des comptes de gestion des comptables publics, effectuée par la direction générale des finances publiques. Dans le cadre d’un accord conclu avec la Cour des comptes, la direction générale des finances publiques (DGFiP) met à sa disposition les balances comptables des collectivités territoriales et des établissements publics locaux, extraites de son infocentre. Des requêtes appropriées ont ainsi pu être effectuées sur les données de 2013 et des années antérieures5.

Toutefois, les écritures censées rendre compte des différents transferts intervenant soit entre un budget principal et des budgets annexes, soit entre des communes et leur groupement, manquent encore de fiabilité. Par ailleurs, des manquements ou des anomalies affectant le rattachement à l’exercice sont encore fréquemment constatés par les chambres régionales des comptes. Il en va de même en ce qui concerne les dotations aux amortissements des immobilisations. Une méconnaissance des principes de constitution de provisions a pu être observée. Des imputations comptables erronées sont régulièrement relevées. 

L’imparfaite qualité et fiabilité des données comptables
La connaissance par les collectivités de leur patrimoine apparaît souvent lacunaire, voire inexistante. Les travaux des chambres régionales des comptes conduisent à relever l’insuffisance des inventaires physiques voire, dans certains cas, leur inexistence. Le rapport de la Cour des comptes de juillet 2011 sur la gestion de la dette publique locale a rappelé combien il était important, pour les assemblées délibérantes, de disposer d'informations complètes et intelligibles sur la nature des contrats en cause et sur l’ampleur des risques encourus. Il a parfois été relevé que les éléments relatifs à la dette et décrits dans le compte administratif ne concordaient pas avec le compte de gestion, pour des montants significatifs.
En dépit de la référence réaffirmée aux règles de comptabilité générale, les comptes des collectivités territoriales ne disposent pas d’une annexe unique et indissociable de l’information comptable, telle que le prévoit le plan comptable général et qui recenserait notamment les engagements hors bilan. L’information actuellement délivrée dans les annexes budgétaires, par la complexité de sa présentation et son absence d’exhaustivité, n’est pas en mesure de satisfaire à cette exigence.

5 Le périmètre retenu, qui est identique à celui utilisé par l’administration pour ses analyses et ses publications, ne prend pas en compte les opérations imputées sur des budgets annexes. L’analyse est conduite à partir des opérations réelles en recettes et en dépenses, c’est-à-dire celles ayant donné lieu à encaissement ou décaissement. 

Par ailleurs, les données de comptabilité générale ne rendent pas compte des dépenses associées aux politiques publiques, ce qui limite l’analyse des déterminants de la dépense locale. Les collectivités territoriales disposent de deux modalités d’adoption de leur budget : par nature de dépenses ou de recettes ou par grandes fonctions. Si l’adoption du budget par fonctions est retenue par la quasi-totalité des régions, elle reste peu développée pour les départements et le secteur communal. En outre, la répartition fonctionnelle des dépenses n’étant pas homogène entre les collectivités qui y recourent, la centralisation de ces données présente un caractère peu fiable qui en limite l’utilisation. 

La qualité, l’exhaustivité et la lisibilité de l’information financière, tout au long du cycle budgétaire et comptable, sont en effet essentielles à la transparence de la gestion et fondent l’ensemble des travaux en cours. À cet égard, le Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP), aux travaux duquel participe la Cour des comptes, développe une réflexion, d’une part, sur l’articulation entre la comptabilité générale et la comptabilité budgétaire des entités du secteur public local et, d’autre part, sur les perspectives d’amélioration de la lisibilité de leurs états financiers. Une charte nationale relative à la fiabilité des comptes locaux a par ailleurs été signée le 21 mars 2014 par les ministres concernés, les présidents des associations d’élus locaux et la Cour des comptes. Cette charte formalise la méthodologie et précise les objectifs poursuivis par les signataires dans la perspective d’un renforcement de la fiabilité des comptes locaux. Des résultats concrets en sont attendus. 

- La nécessité d’élaborer des prévisions fiables d’évolution des finances locales
Les lois de programmation des finances locales mentionnent des objectifs indicatifs se rapportant aux finances locales. La fixation d’objectifs en ce qui concerne l’évolution des recettes, des dépenses, du solde et de la dette des administrations publiques locales, dans le cadre de la trajectoire de redressement des comptes publics, nécessite la construction d’outils d’analyse et de prévision de ces différentes composantes qui soient plus précis que ceux dont disposent actuellement l’administration, d’une part, et les collectivités territoriales, d’autre part. À titre d’exemple, ces outils n’ont pas permis d’anticiper la forte croissance annuelle de l’investissement local entre 2003 et 2008, son ralentissement entre 2009 et 2011 et sa forte reprise en 2012 et 2013. 

Une meilleure connaissance des déterminants de l’investissement des collectivités territoriales et de son impact sur l’évolution des dépenses de fonctionnement, de même que l’identification des facteurs exogènes et des causes endogènes de la croissance des dépenses contribueraient à une meilleure programmation des finances locales. 

Le besoin d’outils de prévision plus précis en matière de recettes et de dépenses est d’autant plus nécessaire que l’évolution de la situation financière des collectivités territoriales et de leurs groupements est de plus en plus différenciée selon les catégories de collectivités et au sein d’une même catégorie. En conséquence, l’amélioration de la prévision passe par l’élaboration d’analyses prospectives par catégorie, voire même par strate de collectivités. 

3 - Un travail commun de la Cour et des chambres régionales des comptes
Le présent rapport a été élaboré dans le cadre d’une formation commune à la Cour et aux chambres régionales des comptes. Les travaux de cette formation ont été alimentés notamment par les rapports d’observations produits par les chambres régionales au terme des contrôles exercés sur les collectivités locales de leur ressort. Au total, 136 collectivités ont été concernées :
  • −  15 régions d’une population totale de 38 891 000 habitants ;
  • −  12 départements d’une population totale de 10 665 000 habitants ;
  • −  42 groupements à fiscalité propre d’une population totale de 4 691 000 habitants ;
  • −  et 67 communes d’une population totale de 4 262 000 habitants.
Le présent rapport résulte aussi d’enquêtes conduites auprès des administrations centrales de l’État et d’échanges avec cinq associations nationales d’élus locaux6.
Il a été rédigé alors que ne sont pas encore effectifs les changements de l’organisation territoriale introduits par la loi MAPTAM7 qui, en particulier, crée de nouvelles métropoles et reconnaît le rôle de chefs de file des régions, et que sont engagées d’autres réformes majeures à travers le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTR) et le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. 

Le premier chapitre présente la situation financière des collectivités locales en 2013, par catégorie (communes, intercommunalités, départements et régions) et prises dans leur ensemble. 

Le deuxième chapitre étudie les conditions d’une meilleure maîtrise des finances publiques locales au regard des tendances d’évolution de leurs dépenses et de leurs recettes, en tenant compte notamment du mouvement de baisse du montant annuel des dotations de l’État de 1,5 Md€ dans la loi de finances pour 2014 puis de 11 Md€, prévu au terme de la période 2015-2017, soit une réduction supplémentaire de 3,67 Md€ par an à compter de 2015. 

Le troisième chapitre examine les perspectives de rationalisation financière au sein du «bloc communal», c’est-à-dire de l’ensemble formé par les communes et leurs intercommunalités. Ces dernières constituent désormais un échelon supplémentaire d’administration locale dont l’extension à l’ensemble du territoire a eu pour effet non de ralentir mais au contraire d’accélérer les dépenses du « bloc communal ».

6 L’Association des maires de France (AMF), l’Assemblée des départements de France (ADF), l’ Association des régions de France (ARF), l’ Assemblée des communautés de France (AdCF) et l’Association des communautés urbaines de France (ACUF)..
et d'affirmation des métropoles.



7 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale 

Le quatrième chapitre examine les conditions de l’équilibre financier des régions compte tenu de la modification de la structure de leurs dépenses et de leurs recettes, sous l’effet des transferts de compétences décidés en 2004 et de la réforme de la fiscalité locale de 2010. 
Enfin, le cinquième chapitre insiste sur la nécessité de simplifier et de développer la péréquation financière, compte tenu notamment de l’accélération de la réduction des dotations de l’État aux collectivités territoriales, pour accompagner l’instauration d’une meilleure maîtrise des finances publiques locales.




Conclusion générale 

Les finances publiques locales sont étroitement liées à celles des autres administrations publiques. Pour plus de 40 %, les ressources des collectivités locales sont constituées de dotations de l’État sous la forme de subventions sur crédits budgétaires ou de fiscalité transférée. Le niveau des impôts locaux affecte la situation d’ensemble des ménages et des entreprises. L ’ augmentation des dépenses des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale participe de la hausse généralisée des dépenses publiques qui entraîne des déséquilibres importants des comptes publics. Dans ce contexte, l’État a engagé une baisse significative de ses dotations aux collectivités territoriales qui, en 2017, devraient être inférieures de 11 Md€ à leur montant de 2014. 

Le deuxième rapport public que la Cour et les chambres régionales des comptes consacrent aux finances publiques locales analyse en premier lieu l’évolution de la situation financière des collectivités territoriales en 2013, à la veille de cette baisse inédite des concours financiers de l’État. Il apparaît que cette évolution a contrarié l’effort national de redressement des comptes publics. 

Globalement, la baisse modeste (- 0,6 %) des concours financiers de l’État en 2013 n’a pas eu d’effet modérateur sur l’évolution des dépenses des collectivités locales qui ont continué de progresser plus vite que leurs recettes, entraînant une diminution de leur épargne brute. Malgré la baisse de l’autofinancement qui en a résulté, les communes et leurs groupements, en fin de cycle électoral, ainsi que les régions ont accru leurs investissements en puisant dans leur trésorerie mais aussi en augmentant leur endettement. 

Comme déjà relevé par la Cour en juin 2014 dans son rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, les collectivités territoriales n’ont pas apporté en 2013 la contribution attendue à la réduction des déficits publics. En comptabilité nationale, le déficit des APUL est passé de 3,7 Md€ en 2012 à 9,2 Md€ en 2013. Il a atteint 10,4 % de l’ensemble des déficits publics contre 3 % en 2012. La dette des APUL s’élevait à 182 Md€ à la fin de 2013 en hausse de 3,5 %. 

En deuxième lieu, le rapport s’efforce de prévoir l’impact de la baisse des dotations de l’État de 11 Md€, inscrite dans le programme de stabilité 2014-2017 afin de provoquer un infléchissement du même montant des dépenses des collectivités locales.


La Cour relève d’abord qu’en 2014, la réduction de 1,5 Md€ des dotations de l’État stricto sensu devrait finalement être sans effet car elle a été compensée par l’octroi de ressources nouvelles aux départements et aux régions. En revanche, du fait de son ampleur et de sa durée, la baisse de 3,7 Md€ par an, répétée sur trois ans, peut modifier la trajectoire financière des collectivités locales. Appliquée au « bloc communal », par exemple, dans les mêmes conditions qu’en 2014, elle équivaudrait à un recul de 20 % de sa DGF en 2017. 

Cette baisse risque d’abord de se traduire par un recul de l’investissement public local. Pour autant, son impact va dépendre de plusieurs facteurs. Les communes et intercommunalités et, dans une moindre mesure, les départements peuvent bénéficier de rentrées fiscales supplémentaires grâce au dynamisme des bases des impôts « ménages » ou au relèvement des taux, même si l’évolution de la fiscalité indirecte est plutôt orientée à la baisse. Pour maintenir leur niveau d’investissement, les collectivités locales peuvent aussi choisir d’emprunter davantage, l’offre de crédit étant redevenue particulièrement attractive. 

Le risque existe donc que la baisse des dotations de l’État n’ait qu’un impact atténué sur l’évolution des dépenses du secteur public local alors que, comme la Cour l’a déjà relevé dans son rapport public d’octobre 2013, des pistes d’économies existent en ce qui concerne les dépenses de rémunération et les autres charges de gestion. Aussi, il paraît souhaitable d’instaurer de nouvelles conditions de gouvernance des finances locales, partagées entre l’État et les collectivités territoriales, dans le respect de leur libre administration. Dans cette perspective pourrait être adoptée par le Parlement une loi de financement des collectivités territoriales retraçant l’ensemble de leurs relations financières avec l’État.
Pour une large part, les marges d’économies permettant d’accompagner la baisse des dotations de l’État devraient être trouvées dans la rationalisation administrative et financière du « bloc communal ». 

La carte des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) s’étend désormais à l’ensemble du territoire mais sa rationalisation n’est pas terminée. Il reste à rehausser la taille critique des communautés de communes (comme prévu dans le projet de loi OTR) et surtout à réduire l’enchevêtrement des différentes formes d’intercommunalités en supprimant une partie des syndicats (10 000 syndicats intercommunaux et 3 000 syndicats mixtes) dont les compétences doivent être reprises par les EPCI. 

Encore trop faible, l’intégration du « bloc communal » doit être renforcée. La mutualisation administrative doit être poursuivie, intensifiée, mieux ciblée et évaluée. Les compétences transférées aux EPCI doivent cesser d’être parcellaires et partagées avec leurs communes-membres. Elles doivent être transférées par champ entier d’intervention afin que les EPCI aient la pleine maîtrise des politiques publiques relevant de leur responsabilité sur leur territoire. Compte tenu de l’importance croissante des flux croisés et des liens entre leurs impôts directs, des pactes de gouvernance financière et fiscale doivent être conclus au sein des EPCI. Dans le cadre de la réforme de la DGF, il conviendrait de créer une DGF unique pour le « bloc communal », perçue par les intercommunalités puis répartie entre leurs communes-membres. Sans attendre les effets de ces mesures structurelles, des mesures de gestion doivent être prises à court terme. Le « bloc communal » doit infléchir dès 2015 l’évolution de ses dépenses de fonctionnement, prioritairement de personnel, afin de s’adapter à la baisse des dotations de l’État (plus de 2 Md€ par an pendant trois ans). 

Les régions, quant à elles, sont au cœur d’importantes réformes visant à étendre leurs attributions (loi MAPTAM du 27 janvier 2014 et projet de loi OTR) et à accroître leur taille (projet de loi de délimitation des régions). Dans ce contexte, elles doivent faire un effort accru de maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement (+ 10 % en quatre ans). 

La structure des dépenses et des recettes des régions a beaucoup évolué depuis dix ans. Leurs dépenses ont fortement augmenté du fait principalement des transferts de compétences issus de la loi de 2004 relatives aux responsabilités locales. Sous le coup de la réforme de la fiscalité économique locale en 2010 et du gel des dotations de l’État, leurs ressources de fonctionnement sont devenues moins dynamiques et moins modulables. Elles ne connaissent en moyenne qu’une faible érosion de leur épargne brute depuis 2010 mais leurs situations individuelles des régions se sont fortement différenciées. 

Désormais, les régions doivent se recentrer sur leur « cœur de métier ». En particulier, des marges d’économies existent sur les dépenses afférentes aux compétences non « exclusives » (ou issues de la clause générale de compétences), décelables au vu de la grande disparité des coûts moyen par habitant, traduisant des niveaux différents d’intervention. À cet égard, en cas de regroupement des régions, il conviendra de veiller à ce que l’alignement « par le haut » des modes de gestion interne et des politiques publiques ne compromette pas la recherche des gains d’efficience. 

La priorité doit en effet être donnée à l’inflexion de l’évolution des dépenses en évitant d’affaiblir l’effet de levier de la baisse des dotations de l’État. Le transfert de nouvelles compétences aux régions lié à la réforme de l’organisation territoriale pourrait justifier de réexaminer leur structure de financement à prélèvements obligatoires constants. 

Enfin, il apparaît que la péréquation financière doit être renforcée dans un double objectif d’efficacité et d’équité de l’effort de redressement des comptes publics. 

D’une grande complexité, les dispositifs de péréquation sont actuellement inefficaces. Face aux inégalités de ressources et de charges au sein de chaque catégorie de collectivités locales, des mécanismes ont été superposés sans cohérence d’ensemble. Si un effet de réduction des inégalités de situation est observé, il découle non des mécanismes de péréquation mais de la part forfaitaire de la DGF. 

La refonte de l’ensemble des mécanismes de péréquation apparaît indispensable pour accompagner la baisse des dotations de l’État qui devrait prendre davantage en compte les capacités contributives des collectivités territoriales. Dès lors, l’ensemble des dispositifs de péréquation (près de 10 Md€ au total) devrait être revu afin de veiller à sa cohérence avec les critères de répartition de la baisse des concours financiers de l’État. L’ampleur de la baisse des dotations comme de la réforme du système de péréquation devrait rendre inéluctable une réforme d’ensemble de la dotation globale de fonctionnement.
*
Les dépenses des collectivités locales, prises dans leur ensemble, ont continué de progresser à un rythme rapide ces dernières années. Pourtant, le respect des engagements européens de la France en matière de retour à l’équilibre budgétaire et de réduction de sa dette publique est un impératif auquel doit se soumettre l’ensemble des administrations publiques. La décision de l’État d’abaisser de 11 Md€ en trois ans les dotations qu’il verse chaque année aux collectivités locales contribuera à atteindre les objectifs du programme de stabilité 2014-2017 à condition qu’elle se traduise par un infléchissement à due proportion de leurs dépenses. 

Ce ralentissement indispensable de l’évolution des dépenses des collectivités territoriales et de leurs groupements ne sera obtenu qu’au prix d’un important effort d’adaptation des structures administratives, des méthodes de gestion et sans doute aussi des représentations collectives du rôle de la dépense publique locale. Pour y parvenir, les collectivités locales doivent rationaliser leur organisation, faire progresser leur management et définir des priorités plus strictes d’intervention et d’investissement. Cette nouvelle donne budgétaire s’inscrit en outre dans un ambitieux mouvement de réforme de l’organisation territoriale de la République qui, une fois parvenu à son terme, devrait permettre, en supprimant l’enchevêtrement des compétences entre différents niveaux de collectivités, de rendre à la fois plus efficace et plus efficient l’exercice des responsabilités locales. 

Liste des recommandations 

En ce qui concerne les perspectives de maîtrise des finances publiques locales :
  1. adopter des modalités de répartition, entre catégories de collectivités (régions, départements, bloc communal), de la baisse des dotations de l’Etat qui prennent mieux en compte l’existence de marges de manœuvre plus importantes au sein du bloc communal ;
  2. répartir la baisse des dotations de l’Etat, au sein d’une même catégorie, dans une logique de péréquation, en tenant compte de l’ensemble des ressources et des charges des collectivités ;
  3. adopter une loi de financement des collectivités territoriales retraçant l’ensemble de leurs relations financières avec l’État, fixant à titre prévisionnel des objectifs d’évolution des recettes, des dépenses, du solde et de la dette des différentes catégories de collectivités et comportant des dispositions prescriptives, notamment en matière de péréquation, de règles budgétaires et comptables et de contrôle ;
En ce qui concerne la rationalisation administrative et financière du « bloc communal » :
  1. poursuivre le regroupement des établissements publics de coopération intercommunale et la réduction du nombre des syndicats intercommunaux et des syndicats mixtes ;
  2. opérer les transferts de compétences des communes aux intercommunalités par champ entier d’intervention et non plus de façon parcellaire ;
  3. développer la mutualisation des services intercommunaux, prioritairement ceux des fonctions supports, au bénéfice des communes membres ;
  4. engager la stabilisation des dépenses de personnel du «bloc communal » par des réductions d’effectif, une pause des mesures de revalorisation indemnitaire, une meilleure maîtrise des déroulements de carrière et le respect de la durée légale du travail ;
     8. rendre obligatoire pour l’ensemble des groupements à fiscalité propre la conclusion        d’un pacte de gouvernance financière et fiscale prenant en compte les différents dispositifs d’intégration, de solidarité et de péréquation au sein du « bloc communal » ; 
 
En régions :
ce qui concerne les conditions de l’équilibre structurel des
  1. recentrer les interventions des régions sur leurs politiques publiques prioritaires ;
  2. à champs de compétences inchangés, stabiliser les dépenses de personnel ;
  3. en cas de regroupement des régions, veiller à ce que l’alignement des modes de gestion interne et des politiques publiques ne compromette pas la recherche des gains d’efficience ;
  4. allouer aux régions, à prélèvements obligatoires constants, une part plus importante de fiscalité, à l’occasion de la réforme de l’organisation territoriale ;
En ce qui concerne le développement de la péréquation financière :
  1. revoir les dispositifs de péréquation « verticale » et « horizontale » afin d’en réduire le nombre et de les faire reposer sur un nombre limité d’indicateurs de richesse, procédant de logiques cohérentes d’évaluation des niveaux de ressources et de charges des collectivités et veiller à poursuivre la montée en puissance des dispositifs de péréquation « horizontale » ;
  2. corrélativement à la baisse des concours financiers de l’État, réformer la dotation générale de fonctionnement afin de lui conférer une dimension péréquatrice plus marquée ;
  3. dans le cadre de la réforme de la DGF, créer une DGF unique pour le « bloc communal », perçue par les intercommunalités, à charge pour elles de la répartir entre leurs communes-membres selon des critères qu’elles déterminent.
 Source: FRANCE. Cour des comptes

novembre 11, 2014

La grande peur de la « défaillance du marché » François-René Rideau et Jean-Louis Caccomo

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Pour justifier l'intervention de l'État, les étatistes de tout poil, à commencer par les fonctionnaires chargés de la propagande officielle, inventent des scénarios-catastrophes du genre « que se passe-t-il si les fournisseurs de tel type de service font tous faux bond et ne satisfont pas le public? » Ces ratiocinations suivent un modèle standard, et on peut leur donner une réponse standard. 

L'exemple repose systématiquement sur la supposition que la défaillance d'un acteur est une catastrophe irréparable, qu'il n'y a pas un marché national pour pallier les déficiences locales, que toute solution au problème devrait avoir pour base la reconduction des acteurs défaillants et de leurs comportements, etc. Il repose aussi sur des évaluations fantaisistes de ce qui serait économiquement possible, par des personnes qui se veulent extérieures et supérieures au marché. Mais aussi et surtout, ces arguments posent en pétition de principe que l'État est à même de faire mieux et de corriger ces « défaillances du marché » [1]

Or, si un problème est isolé, s'il ne concerne que les frustrations vites oubliées de quelques personnes, franchement, il ne vaut pas la peine d'en parler. Nul ne doit à ces personnes la satisfaction de leurs désirs sinon elles-mêmes. Mais à mesure qu'un problème concerne plus de personnes pendant plus de temps, à mesure que davantage de personnes sont prêtes à allouer davantage de ressources à résoudre ce problème, alors les sommes en jeu croissent, alors la concurrence devient d'autant plus rude pour satisfaire cette demande; aussi, il se trouvera promptement quelqu'un pour remplacer tout acteur défaillant. Ainsi, si par hasard dans un quartier donné tous les acteurs se révélaient insuffisants pour remplir une mission à forte demande, cela serait dans un marché libre une opportunité pour l'émergence d'un nouveau concurrent ou l'implantation d'un concurrent extérieur au quartier. [2]
 
Mais par delà ces considérations de théorie économique, voici selon moi la bonne façon de présenter le principe du marché libre, en termes pratiques. 

Pensez-vous, personnellement, que dans tel quartier, il y a vraiment une forte demande sans réponse? Ma foi lancez-vous! Plutôt que de demander que d'autres résolvent le problème à votre place, qui plus est avec de l'argent prélevé de force sur autrui, ce qui est l'attitude passive d'un esclave ou l'attitude active d'un tyran, prenez vos responsabilités, mettez vos actes en accord avec vos paroles — appuyez vos affirmations putatives par des actions effectives [3]

Si, le premier, vous réagissez et faites une offre qui réponde à la demande, votre entreprise sera couronnée de succès, et cette réussite sera à la fois la reconnaissance de votre talent d'entrepreneur, la récompense des services rendus à tous vos clients, un encouragement à continuer, et la mise à votre disposition de ressources pour exercer davantage votre talent, ici ou ailleurs. Si au contraire, vous n'étiez qu'un arrogant affabulateur, vous ferez faillite, et cette faillite sera à la fois le témoin de votre erreur, l'assurance que vous n'aurez plus les moyens de mettre votre bêtise à l'œuvre, une désincitation à imiter votre erreur pour tous vos émules potentiels. Et si votre faillite était due à l'influence de mauvaises idées ou pratiques qui n'excluent pas que vous ayez eu quelques bonnes idées ou pratiques dans le lot, ma foi, d'autres que vous seront libres de suivre votre exemple sur les points qu'ils croient bons en changeant ceux qu'ils croient mauvais; et vous-mêmes serez libre de trouvez de nouveaux investisseurs pour une nouvelle entreprise amendée, si vous savez les convaincre. Avec un peu de chance, les pertes financières vous seront une sonnette d'alarme et vous permettront de vous corriger avant la sanction finale de la faillite. 

Ainsi, en l'absence d'un monopole ou de réglementations élevant une barrière à l'entrée du marché, il n'y a que des lâches et des hypocrites pour prétendre qu'une demande n'est pas satisfaite. Si vous avez le courage d'une opinion sincère, lancez-vous: le marché libre n'est pas, comme l'État chéri de vos fantasmes, une divinité supérieure de laquelle attendre passivement la salvation; vous faites partie de ce marché libre: si vous voyez mieux que les autres une opportunité, c'est à vous et à nul autre de la saisir [4]; et si vous ressentez plus que les autres un besoin, c'est à vous de rendre attractive l'entreprise de le satisfaire. Et plus la demande est « criante » et plus la solution est « évidente », qui plus est « pour tout le monde », plus vous êtes un lâche, un hypocrite ou un affabulateur de le prétendre et de ne pas vous lancer dans l'entreprise d'y répondre. 

Et si « vous n'avez pas le temps » car votre activité actuelle est tellement plus productive et plus sûre pour vous-même que celle dont vous vous faites le chantre, eh bien engagez les ressources que vous gagnez par ailleurs pour les investir dans cette autre activité que vous prétendez si utile [5]; si comme vous le prétendez tant d'autres personnes ressentent le même besoin que vous, vous n'aurez aucun mal à susciter un fournisseur à votre besoin commun. À défaut de trouver un entrepreneur parmi vous, recrutez-en un. Et s'il faut pour cela fournir des garanties d'investissement à un entrepreneur potentiel, déposez vos fonds et promesses de fonds chez un notaire, avec engagement de les investir ou de les dépenser auprès d'un fournisseur qui satisferait à vos critères, en agréant un juge réputé impartial pour tout litige à ce sujet; si vous collectez assez de fonds assortis de conditions raisonnables, il se trouvera bien quelqu'un pour relever le défi; dans le cas contraire, ce sera la preuve que votre évaluation était erronée, que la valeur accordée par vous et ceux qui ressentent ce « besoin » à la satisfaction de celui-ci ne suffit pas à couvrir les frais de production d'une telle satisfaction, et que vos ressources seront mieux employées ailleurs. 

D'aucuns étatistes mettront en avant l'objection d'un « manque de ressources » des « victimes »: selon eux, les pauvres et faibles « exploités » par les capitalistes, n'ont pas les moyens de créer des concurrents à ces compagnies établies, et seraient ainsi « obligés » de payer « beaucoup plus » à ces fournisseurs « dominants » voire à ce « monopole » que ce que ces services ne coûtent réellement. Si vraiment des consommateurs sont forcés de payer « beaucoup plus » que ce que coûte « réellement » une prestation, c'est donc bien que ce « plus » représente autant de ressources grâce auxquelles ils pourraient non seulement payer le fonctionnement d'un concurrent moins cher, mais aussi financer l'établissement de ce concurrent, et ce d'autant plus vite et avec d'autant plus de bénéfices que ce « beaucoup plus » est « outrageusement » élevé. Bref, si vraiment le scandale était énorme, alors par définition, les ressources pour le faire cesser ne manquent pas; et si un grand nombre de personnes en était conscient, alors l'émergence d'un remplaçant serait facile et rapide. À ce moment, les socialistes mettent en avant « l'impérieuse nécessité » dans laquelle se trouvent les « pauvres » qui n'auraient « pas le choix », pris à la gorge, soumis à leurs besoins immédiats. Mais comment ces pauvres seraient-ils soudain dans le besoin? Sont-ils vraiment aux portes de la mort? N'y a-t-il rien qu'ils puissent sacrifier? Ne peuvent-ils pas se priver qui d'une bière, qui d'une place au cinéma, qui d'un vêtement neuf, qui d'un magnétoscope, qui d'une voiture plus récente, qui d'un appartement plus grand, etc., bref, épargner, le temps qu'il faut pour réunir les fonds nécessaires? Ne peuvent-ils pas emprunter à un taux d'autant plus élevé que l'exploitation est outrageuse et que sa fin les libérera? Si vraiment exploitation outrancière il y avait, les moyens ne manqueraient pas de la faire cesser. Et encore une fois, plus grande la « rente de monopole » supposée, plus urgente cette alarme, plus les victimes seront prêtes à sacrifier pour la faire cesser, et plus rapide sera sa fin. Dans un marché libre, il n'est donc aucunement possible qu'un monopole quelconque puisse rançonner le public et subsister. Dès que le prix d'un fournisseur est « trop » élevé ou que ses prestations sont défaillantes, et à mesure que l'insatisfaction du public est grande, ce fournisseur, sur un marché libre, est condamné à devoir s'améliorer ou disparaître — et vite. 

La « solution » des étatistes est de confier à l'État le soin de « protéger » les faibles. Les socialistes vont jusqu'à réclamer que l'État se fasse fournisseur exclusif. Voilà bien une conclusion absurde fondée sur des hypothèses autocontradictoires autant que sur des sophismes flagrants. Qu'est-ce donc que l'État régulateur, sinon la domination des pouvoirs établis, et le frein à l'émergence de concurrents? Qu'est-ce donc que l'État fournisseur, sinon précisément le monopole, ce cas le pire dont on avait peur que le marché le suscite peut-être? Cette « solution » est précisément le pire possible de tous les maux que l'on prétend écarter. Qui protège contre les prix outrageux et le service désastreux de la part du monopole d'État? Personne. Les citoyens étaient supposés imprévoyants et incapables de s'organiser; comment se défendront-ils alors contre l'État tout-puissant? Pire encore, là où un libre marché reconnaît à une minorité prévoyante le droit de s'organiser pour établir un concurrent au bénéfice de tous, la régulation et le monopole de l'État consistent précisément en l'empêchement et l'interdiction de toute concurrence, en l'emploi de la force pour prévenir toute tentative d'organisation pour faire cesser l'exploitation. 
 
Ce que proclament vraiment les étatistes, c'est qu'ils sont des êtres supérieurs, source de bienveillance, de prévoyance, d'autorité, d'organisation, d'intelligence, dont le commun des mortels est dépourvu; ce qu'ils revendiquent, c'est qu'il faut leur conférer le pouvoir (absolu, dans le cas des socialistes) sur la masse des inférieurs. Derrière toutes les pseudo-justifications, il n'y a rien d'autre que cette revendication aristocratique (et totalitaire, pour les socialistes). Ceux qui voient un problème potentiel dans le marché libre et refusent de voir le même problème en pire dans l'État font deux poids deux mesures. En prétendant que l'État est une solution, ils font une pétition de principe; plus encore, quand on examine en détail le fonctionnement social et sa dynamique, on voit qu'ils vont à l'opposé de la raison. Ce n'est pas qu'ils raisonnent à l'envers — c'est qu'ils ne raisonnent pas, mais croient par superstition, superstition alimentée par la propagande des véritables exploiteurs, les privilégiés de l'État. 

Ceux qui justifient l'intervention politique par des scénarios catastrophes ne comprennent pas plus la nature d'un marché libre que celle de l'État; ils en restent à la pensée magique.[6] La grande peur des « défaillances du marché » n'est autre chose que cette névrose de ceux qui ont peur de la liberté et sa réalité duale, la responsabilité, et qui se cherchent désespérément en l'État un parent, un tuteur, pour les soulager d'avoir à se comporter en adultes [7] — peur alimentée par les voyous qui n'hésitent pas à s'en servir pour étendre leur pouvoir sur tous les hommes, via une majorité d'esclaves volontaires, soumis grâce à leur croyance en Dieu-l'État. 

Par  François-René RIDEAU

Cet article est issu du remaniement d'un billet paru sur mon blog en février 2004. Il a été publié au QL #146 du 15 septembre 2004. 

Notes

[1]: Sur le sophisme de la défaillance de marché (market failure), voir par exemple cet article The Market Failure Myth de D.W. MacKenzie.
[2]: Bien sûr, des réglementations strictes et autres lois protectionnistes peuvent empêcher ou ralentir considérablement cette implantation; mais dans un tel cas, la permanence de la pénurie n'est évidemment pas due à la concurrence (c'est-à-dire à la liberté), mais bien à l'absence de concurrence (c'est-à-dire à l'intervention coercitive de l'État).
[3]: Les américains ont cette excellente expression: put your money where your mouth is, littéralement « mettez votre argent là où se trouve votre bouche »; bref, appuyez vos dires par un engagement concret.
[4]: Dans son article Are Bubbles Efficient?, Robert Blumen raconte cette blague connue, dans laquelle des « économistes » discutant de l'économie en termes de marchés magiquement en équilibre permanent trouvent par terre un billet de cent dollars, et passent leur chemin en disant que si ce billet avait vraiment de la valeur, le marché aurait déjà escompté cette valeur. La morale de l'histoire est que contrairement à ce que suppose l'approche classique, l'équilibre des marchés ne se fait pas magiquement, et n'est pas l'objet fondamental de la science économique. Au contraire, comme l'avance l'approche « autrichienne » de l'économie, l'objet fondamental de la science économique est bien l'action humaine de ceux qui voient et saisissent les opportunités d'amélioration pour eux-mêmes et leurs congénères. Et cette action humaine constitue la force dont la résultante est de s'approcher d'un point d'équilibre dynamique (quand cette force est en rétroaction négative) ou au contraire de faire évoluer la société vers le progrès (quand cette force est en rétroaction positive), voire les deux à la fois selon la projection choisie. En fin de compte, il n'y a pas d'équilibre, il y a que des opportunités qui sont autant d'incitations à l'action; l'équilibre n'est qu'un point mouvant où tendent momentanément ces actions, dans l'approximation rarement pertinente où l'information se découvrirait et circulerait beaucoup plus vite que ne se déroule l'action.
L'erreur des économistes classiques et autres étatistes est donc de voir en l'économie un phénomène déshumanisé qui se déroulerait sans l'homme, malgré lui, comme une malédiction qui le détourne de la « vie vraie », alors qu'au contraire, vue correctement comme domaine de l'Action Humaine, elle est un phénomène consubstantiel à la nature humaine, elle est la vraie vie.
[5]: Là encore, les américains, qui comprennent mieux que nous le principe de fonctionnement d'une économie libre, ont cette expression: money talks — « l'argent parle ». Le seul moyen sincère et honnête pour signifier que l'on attribue vraiment de la valeur à quelque chose que l'on n'a pas la compétence pour faire avancer soi-même, c'est de dépenser son argent en conséquence.
Pour prévenir la réaction outragée des détesteurs de l'argent, les américains ont encore cette expression time is money, « le temps c'est de l'argent ». L'argent, c'est ce que rapporte l'usage le plus productif de votre temps, mis au service de ceux qui savent le mettre au plus grand profit d'autrui, en combinant votre spécialité à celles complémentaires d'autres personnes. Ensuite, vous pouvez à votre tour employer cet argent, qui peut se concevoir comme la concrétisation d'une « dette sociale » à votre égard, pour employer des spécialistes capables d'effectuer les tâches qui vous tiennent à cœur. Souvent pour réparer une plomberie défectueuse, il vaut mieux travailler trois heures et payer une heure de travail de plombier que d'essayer soi-même et passer six heures en essais et erreurs, achat de pièces et énervement; de même pour aider les nécessiteux, il vaut souvent mieux travailler quelques heures en plus et faire une donation du produit de ce travail à une charité spécialisée dans une telle entreprise, que de passer un temps bénévole à faire maladroitement ce que d'autres feront mieux à votre place.
Bien sûr, en fin de compte, chacun est seul juge de la meilleure façon de passer son temps. Mais l'emploi judicieux de l'argent, cet intermédiaire universel, loin d'être un signe de « matérialisme », est au contraire un signe d'efficacité dans l'usage de ressources matérielles, au service des causes qui sont celles des hommes, qu'elles satisfassent des appétits matériels ou des aspirations spirituelles — si tant est qu'on pusse délimiter pertinemment le matériel et le spirituel.
[6]: Sur les sophismes utilisés pour justifier l'État, et sur la pensée magique sous-jacente à ces sophismes, lire mon essai L'État, règne de la magie noire.
[7]: Pour l'analyse d'un cas particulièrement aigu de cette névrose, voir mon article Schizophrénie socialiste, commentaires sur la pièce « Dans la solitude des champs de cotons » de Bernard-Marie Koltès.






Comment imputer le déséquilibre constaté aux défaillances d’un marché qu’on empêche précisément de fonctionner ?


Les théoriciens de la concurrence imparfaite, en banalisant l’adjectif « imparfaite », considèrent que l’on ne peut décidément pas faire confiance en la concurrence pour concilier les intérêts nécessairement divergents (à court terme en tout cas) des protagonistes du marché. La « concurrence imparfaite » est cependant un concept dérivé du modèle de « concurrence pure et parfaite » auquel il prétend se substituer en l’affinant. Pourtant, le modèle, même affiné, n’est sans doute pas une représentation fiable de la réalité des processus de marché. 

Si la plupart des manuels d’économie proposent des présentations détaillées et abondamment illustrées des modèles de concurrence imparfaite, ils éludent le plus souvent une telle question qui implique de revenir sur les fondements philosophiques du principe même de concurrence. Considérons l’exemple du marché du travail pour illustrer ce propos. Il est clair que le monde réel, dans lequel nous vivons tous, est loin d’être parfait. Il est clair aussi que la concurrence telle qu’elle existe, dans le monde réel, est quelque chose d’autre que la « concurrence pure et parfaite ». Pourtant, l’origine des défaillances constatées est loin d’être établie clairement. 

Si une grande partie des économistes se montrent favorables à l’idée d’encadrer la concurrence par des instances extérieures au marché, c’est soit qu’ils ont une conception néoclassique de la concurrence, soit qu’ils ne reconnaissent aucunement les vertus du marché libre (keynésiens, marxistes, régulationnistes…). En agrégeant tous ces courants de pensée, on obtient finalement la majorité des économistes qui considèrent qu’il y a des imperfections qu’il faut – et que l’on doit corriger. Mais, si les développements récents vont dans le sens de la législation de la concurrence, c’est notamment en raison de l’impossibilité de se rapprocher, dans la réalité, des conditions de la concurrence pure et parfaite telles qu’elles ont été définies par la théorie. Pourtant, sommes-nous certains de la pertinence des références en ce domaine ? 

La question est loin d’être anodine car, si la référence est fausse, alors les conclusions le sont tout autant et ce que nous appelons « défaillance » est alors tout autre chose 

Le marché du travail en France est caractérisé aujourd’hui par la coexistence, d’un côté, d’un nombre important de chômeurs de longue durée et de chômeurs diplômés, et d’un autre côté, par une pénurie croissante de personnel dans un nombre important de secteurs, que ce soit de personnel qualifié ou non. Le moins que l’on puisse observer est donc une grande défaillance dans la quête d’un équilibre du marché du travail. Face à ce constat, on en appelle généralement aux pouvoirs publics. Pour autant, le marché du travail en France est-il l’exemple d’un marché libre ou d’un marché perturbé à force de réglementations et de collectivisation des processus de négociation qui empêchent tout ajustement fin des offres et des demandes ? 

Il suffit de mentionner l’existence du S.M.I.C., de la complexité du droit du travail, du poids des charges sociales, des nouvelles réglementations, du poids de l’État dans l’éducation et la formation pour constater qu’il n’existe pas, dans les faits, un réel marché du travail sur le dos duquel on pourrait imputer la responsabilité du chômage. Sans avoir la prétention de trancher une question si complexe, l’économiste n’a pas le droit de s’interdire de se poser la question inverse. N’est-ce pas plutôt les tentatives constantes et maladroites de régulation forcée et de manipulation de l’offre et de la demande de travail, par des mécanismes réglementaires et administratifs (telles les conventions collectives qui se substituent de plus en plus au contrat de travail dont le fondement est individuel) qui neutralisent toutes possibilités d’ajustement fin, qu’il soit quantitatif ou qualitatif. 

Le moins que l’on puisse constater est que cette tentative de « régulation » se solde par de terribles et coûteux échecs. Si les échecs de la régulation sont plus coûteux que les imperfections de la concurrence qu’elle était censée corriger, n’aurait-on pas plus intérêt à restaurer les conditions du plein épanouissement des lois économiques ? En tout cas, la redoutable question du chômage nous renseigne plus sur les défaillances de l’administration et de sa gestion que sur les prétendues défaillances inhérentes à un marché libre. Car comment imputer le déséquilibre constaté aux défaillances d’un marché qu’on empêche précisément de fonctionner ?

Par Jean-Louis Caccomo
 
http://caccomo.blogspot.fr/2014/07/defaillances-du-marche-ou-defaillances.html

Défaillance du marché

De Wikiberal
 
La justification habituelle « philanthropique » de l'intervention de l'État réside, en autres, pour les étatistes dans le concept vague et un peu passe-partout de défaillance du marché. En fait, il s'agit là d'une justification a posteriori des premières interventions de l'État, une justification de l'augmentation du pouvoir de l'État, et de son emprise, bien éloigné de buts prétendument philanthropiques.
En réalité, on peut soutenir que le marché est toujours imparfait, mais jamais défaillant :
  • imparfait, parce que personne n'est jamais complètement satisfait des biens et services disponibles : ils sont toujours trop chers, en quantité insuffisante, et parfois même pas encore inventés !
  • jamais défaillant, parce qu'une défaillance se définit comme l'incapacité à remplir une obligation, et il est absurde d'assigner des obligations à un marché.

Aspects néfastes de l'intervention de l'État

En réalité, l'emploi par l'État de la coercition lorsqu'il intervient, implique nécessairement des conséquences néfastes, puisque l'État ne vient pas comme un être surnaturel, hors du monde, qui ne fait que, par exemple, modifier les répartitions de richesse. La violence que l'État fait aux hommes induit une agression au sens propre du terme, et une appréhension, qui n'aurait pas eu cours dans une société de liberté où la répartition de la richesse - issue de la création - est spontanée. Il s'ensuit que, dans la plupart des cas, l'intervention conduit à un effet contraire au but recherché par le philanthrope. Les exemples sont nombreux, on pourrait ici citer l'explication rothbardienne de la crise de 1929, prétendument emblématique des faiblesses du capitalisme : elle trouve sa source dans le protectionnisme et l'interventionnisme des années 1920, ainsi que dans les décisions arrêtées par la toute jeune Federal Reserve américaine sur le marché monétaire (voir aussi l'article étalon-or).

La causalité libre

Il advient donc de l'intervention de l'État une série d'aggravations des situations présentes, mais qui ne sauraient être attribuées à l'État qui se caractérise, pour beaucoup d'étatistes, par une sorte d'infaillibilité. Attitude encouragée d'ailleurs par la croyance de suivre des idées progressistes, qui vont "dans le sens de l'Histoire", avec pour objectif d'améliorer sciemment le sort des "classes défavorisées". Sorte d'emprunt à la dialectique matérialiste marxiste. En ce sens, les étatistes ne sont pas conscients de la causalité des effets pervers de l'interventionnisme. Ils s'expliquent, pour eux, par une sorte de "causalité libre", sans source. Cette "causalité libre", à partir de laquelle les étatistes cherchent à élucider l'origine des "effets indésirables ou non souhaités", ne serait alors qu'une propriété d'émergence des interactions individuelles, incapable d'être prévue au niveau microscopique (ou microéconomique), mais qui est observable au niveau de la macroéconomie.

La personnification du marché

Cependant, la pensée est également pervertie par un autre principe, à partir de ce point : le marché, ensemble des actions individuelles, est donc imprévisible, peut conduire à des "dérives", il ne pourrait alors être utilisé comme remède à quelconque situation. L'État s'impose donc comme la solution d'une force personnifiée, et qui s'attribue des objectifs précis. Et on note, en bout de course, une projection de la conception de l'État sur celle du marché, où celui-ci devient personnifié. D'où la matérialisation des multiples "dérives du marché", qui ne pourraient en aucun cas être laissées "à ses forces aveugles indomptables".

Faire payer par tous la folie de quelques-uns

En pratique, l'accusation de défaillance du marché est utilisée par les étatistes pour leur permettre de satisfaire leurs lubies aux dépens des contribuables. Elle permet à l'irrationnel, grâce à la coercition fiscale, de se donner libre cours sans subir la sanction du marché. L’État peut prétendre ainsi jouer un rôle de super-assureur, en assurant l'inassurable, de super-banquier, en finançant à perte le non-rentable, etc.

Citations

  • Si les marchés sont imparfaits, les politiques sont aussi imparfaites que les marchés. (Paul Krugman)

Voir aussi


Défaillance de l'État

De Wikiberal
 
Les défaillances de l'État (government failures) sont les cas dans lesquels l'action des hommes de l'État cause plus de mal qu'elle n'apporte d'éléments positifs. 
Il s'agit d'un des principaux objets études de l'école du Choix Public de James McGill Buchanan et Gordon Tullock. Les étatistes invoquent les défaillances du marché pour justifier l'intervention des pouvoirs publics dans tous les secteurs. Buchanan et Tullock entendent à l'inverse souligner que l'action de l'État est tout aussi défaillante et qu'opposer, comme le font les étatistes, une puissance publique immaculée et un marché toujours défaillant est une erreur grossière.
Les économistes du Public Choice soulignent ces défaillances et proposent plusieurs explications. Ainsi, ils expliquent la croissance de l'État et ses échecs par le fait que les fonctionnaires sont des hommes comme tout les autres; ils cherchent donc à maximiser leur satisfaction, c'est-à-dire par exemple augmenter leur salaire, obtenir un plus grand bureau, etc. Ces buts peuvent souvent entrer en contradiction avec les buts affichés de l'action étatique, à savoir agir en faveur de l'« intérêt général ». Pour l'économiste William Niskanen, l'action étatique est par essence moins efficace, car les droits de propriété ne peuvent s'exercer pleinement et la responsabilité individuelle n'existe donc pas.
Autre exemple, un homme politique à la veille d'une élection sera tenté d'offrir des baisses d'impôts clientélistes à certaines parties de l'électorat, pour assurer sa réélection.
Prenant l'exemple de la crise financière actuelle, l'historien François Garçon dans Le Temps du 19 janvier 2009 souligne que la règlementation étatique, présentée comme la panacée, n'a rien fait pour pallier certaines dérives ou même les percevoir. Et Garçon de mettre en doute la capacité de l'État à mieux réguler le marché, à rebours de l'idéalisation irrationnelle qui en est souvent faite[1].


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