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octobre 26, 2014

Sur la page pour une démocratie libérale 9/21 (la Justice) et la critique

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Un pouvoir judiciaire indépendant

Des juges indépendants et professionnels sont le fondement d'un système loyal, impartial et constitutionnellement garanti de tribunaux appelé le système judiciaire. Cette indépendance n'implique pas que les juges peuvent prendre leurs décisions en fonction de leurs idées et préférences personnelles mais qu'ils sont libres de prendre des décisions conformes à la loi, mêmes si elles sont contraires aux intérêts du gouvernement ou de puissantes parties impliquées dans l'affaire jugée.

Dans les démocraties, l'indépendance des juges par rapport aux pressions politiques que peuvent être tentés d'exercer des élus ou dirigeants, garantit leur impartialité. Les jugements rendus doivent être impartiaux, être basés sur les faits et circonstances de l'affaire, être argumentés juridiquement et se fonder sur les lois en jeu, sans la moindre restriction ni influence abusive des parties intéressées. Ces principes assurent l'égalité de tous devant la loi.

Le pouvoir des juges d'examiner publiquement les lois et, le cas échéant, de les déclarer contraires à la constitution du pays constitue un moyen de contrôle fondamental contre d'éventuels abus de pouvoir des gouvernants, abus toujours possibles même lorsque ceux-ci ont été élus par la majorité de la population. Pour que les juges puissent exercer ce pouvoir de contrôle, il faut que les tribunaux soient considérés comme indépendants et capables de fonder leurs jugements sur la loi et non sur des considérations ou intérêts politiques.

Qu'ils soient élus ou nommés, les juges doivent jouir d'une sécurité de leur emploi ou de leur charge pendant la durée de leur mandat, garantie par la loi, afin de pouvoir trancher les affaires sans se soucier de pressions ou de mises en cause de la part des gouvernants. Une société civile reconnaît l'importance de juges professionnels et veille à ce qu'ils aient reçu la formation voulue et soient correctement rémunérés.

La confiance en l'impartialité du système judiciaire est fondée sur la perception qu'il n'est pas un pouvoir " politique ». C'est la principale source de sa force et de sa légitimité.

Ceci étant, les tribunaux d'un pays ne doivent pas - pas plus que les autres institutions publiques - être à l'abri de tout examen public, de commentaires et de critiques. La liberté de parole appartient à tous : aux juges comme à leurs détracteurs.

Pour assurer leur impartialité, l'éthique judiciaire exige que les juges se récusent dans les cas où ils ont un conflit d'intérêt.

Dans une démocratie, les juges ne peuvent être révoqués pour des motifs mineurs ou en raison de critiques politiques. Ils ne peuvent être destitués que pour des délits ou infractions graves et qu'au terme d'une procédure longue et difficile de mise en accusation et d'un procès soit devant le parlement soit devant un tribunal distinct.

Un pouvoir judiciaire indépendant assure la population que les jugements des tribunaux se fondent sur les lois et la constitution du pays, sans fluctuer au gré des changements de majorité et sans être soumis aux pressions d'une majorité temporaire. Jouissant de cette indépendance, le système judiciaire d'une démocratie est une sauvegarde qui garantit les droits et libertés du peuple. 

Justice

De Wikiberal
En tant que principe moral la justice est définie comme le fait de rendre à chacun son dû en rétablissant la vérité et la raison, c'est à dire, à attribuer à chacun le sien.
Dans l'optique libérale classique, la justice est rendue par une institution judiciaire qui veille à l'application des lois.
Dans l'optique libertarienne, la justice est rendue par un arbitre (qui peut être privé) dans le but de régler pacifiquement un conflit entre individus ou groupes d'individus (associations, entreprises).

Deux concepts

Selon Aristote, puis Saint Thomas d'Aquin[1], il existe deux concepts de Justice : la justice commutative et la justice distributive.
La justice commutative se préoccupe des relations entre individus dans une même communauté (elle préconise l'échange, le contrat, et tend vers le principe : à chacun selon son mérite).
La justice distributive se préoccupe des relations de la communauté considérée comme un tout à l'individu (elle tend vers la redistribution autoritaire selon le principe : à chacun selon ses besoins). La question difficile du choix du critère de distribution n’est pas tranchée, ou plutôt est tranchée de façon arbitraire.

Justice libérale

Le libéralisme fait de la justice le point central de ses réflexions : qu'est-ce qu'une société juste, où ne règne pas la loi du plus fort et où les droits de chacun soient respectés ? On peut dégager deux tendances :

 La privatisation du système judiciaire : une option inéluctable ?

Pourquoi l'État devrait-il avoir un rôle fondamental dans la création, la production et l'organisation des institutions en charge de faire respecter le droit? Pour beaucoup de juristes et même d'économistes se poser une telle question est incongrue. La justice serait un attribut de la souveraineté de l'État par excellence.

Mais alors pourquoi tout le monde se plaint-il de la justice, de ses lenteurs, des mauvais jugements, de son absence d'indépendance, de ses biais idéologiques? La réponse de l'économiste est simple. On s'en plaint parce que le monopole de la justice est similaire à celui de l'éducation nationale ou des postes. C'est là que le raisonnement économique entre en jeu. La justice ne se différencie pas fondamentalement des autres biens et services. Prétendre que la justice est un bien ou un service différent des autres tient plus de l'art de la rhétorique que de l'argumentation raisonnée. Les dysfonctionnements que l'on observe dans la justice ne diffèrent pas de ceux de l'éducation nationale.

Comme dans l'éducation nationale, où les étudiants viennent à l'université sans vocation particulière pour les études, des litiges, qui ne valent pas un procès, encombrent les tribunaux. Comme dans l'éducation nationale, la justice est au service de ceux qui produisent le droit, le législateur, et non pas au service de ceux qui demandent justice, les victimes qu’il s’agisse d'un crime de sang, d’un délit ou d’un dommage civil.

Comme pour l'éducation nationale les services fournis par la justice sont gratuits. Faute d'un système de prix, personne ne sait dans quel domaine judiciaire il faut investir ses efforts ou ses ressources. Le refus de faire payer les consommateurs des services de justice crée une demande excédentaire et des files d'attente. Les procès durent des mois. Cette attente crée de l'incertitude et est à la source d'une mauvaise qualité du droit.

Les magistrats, à l'abri de la compétition, au nom de leur indépendance, comme pour les professeurs de l'enseignement supérieur, peuvent poursuivre leurs intérêts et idéaux personnels sans à avoir à rendre des comptes. Ils imposent leur conception de la justice indépendamment des autres conceptions du droit que peuvent avoir les plaignants ou des magistrats étrangers ou encore des professeurs de droit.

On recrute les magistrats par concours, on les forme à l'abri de la compétition dans une école nationale: celle de la magistrature. Il suffit de contrôler l'enseignement de cette école pour former des générations de juges qui auront le pouvoir d'imposer une vision particulière de la justice tout au long de leur vie ! La protection des juges contre l'arbitraire d'un pouvoir politique ne protège pas le consommateur de justice contre l'arbitraire des juges.

Les juges eux-mêmes méconnaissent ou font semblant de méconnaître les inconvénients majeurs de la cooptation par des pairs qui est source constante de haine et de conflits dans la profession. Enfin, les auxiliaires de la justice ont maintenu, comme au temps des corporations, des privilèges et des parts de marché en cloisonnant les spécialités et le territoire. Il faut une bonne dose d'inconscience pour venir se plaindre du mauvais fonctionnement de la justice devant une telle structure institutionnelle

Peut-on attribuer à cette nationalisation de la justice sa pauvreté, sa rigidité sa mauvaise qualité ainsi que le mauvais fonctionnement de la justice ? La réponse est positive. Le refus de privatiser la justice et de mettre en compétition les diverses sources du droit reste le meilleur moyen de maintenir une justice injuste et inefficace dans notre pays. C'est ce que nous voudrions démontrer dans cet essai.

Un tel débat sur la privatisation de la justice en rappelle un autre particulièrement vif chez les économistes: celui de la concurrence des monnaies. Faut-il produire la monnaie de manière hiérarchisée et centralisée avec une banque centrale indépendante et une constitution monétaire ou au contraire laisser la compétition s'instaurer entre les monnaies? Banque libre et concurrence monétaire assurent-ils mieux la stabilité monétaire qu'un monopole de la banque centrale soumis au pouvoir politique ou au pouvoir de quelques individus inamovibles et indépendants du législateur[1]?

L'analogie est plus profonde qu'il n'y paraît à première vue. L'usage d'une certaine monnaie comme d'un certain droit est une coutume qui émerge spontanément de l'interaction individuelle sans qu'il soit dans les intentions des gens de la faire émerger. Comme le droit, la monnaie résout des problèmes liés aux transactions, elle facilite les échanges et contribue à l'expansion du marché. Comme le droit, plus il y a de gens à adopter le même moyen de paiement (ou les mêmes normes de droit), plus elle rend des services. Plus il y a de gens à s'en servir plus elle économise des coûts de transaction et plus elle s'impose d'elle-même.

La majorité des économistes ne prêtent pas une attention aussi sérieuse qu'ils le devraient à la possibilité d'une justice privée et d'une concurrence entre les sources de droit, non pas parce qu'ils méconnaissent les vertus de la compétition et de la privatisation, mais parce qu'on leur enseigne, sans réflexion critique, que le droit ne pourrait être produit sans l'usage de la contrainte publique, que le droit présente des caractéristiques propres tel qu'il est indispensable d'avoir une institution qui arbitre en dernier ressort les conflits pour faire respecter de façon ultime les décisions de justice. Dans un tel cas d'espèces, seul l'État serait en mesure de produire de manière efficace le droit. Pourquoi les hommes d'État refusent la concurrence des monnaies et leur privatisation ? Parce que le monopole de la monnaie est un moyen de prélever l'impôt d'inflation et le monopole de la justice un moyen pour les hommes politiques de se mettre "légitimement" hors la Loi ou au dessus des Lois si nécessaire.

Paradoxalement le juriste et l'historien sont plus familiers avec les notions de justice privée ou de compétition entre les diverses sources du droit. L'histoire des institutions juridiques démontre, en effet, amplement l'existence et l'efficacité de cette privatisation et de cette compétition. Les meilleurs exemples historiques que l'on puisse proposer sont la loi des marchands du XII e siècle et le droit islandais[2] qui s'est développé pendant trois siècles sans État, le droit maritime international en matière de cabotage ou le droit religieux juif en matière de mariage et divorce contemporain. Pour démontrer quels bénéfices nous pourrions tirer d’une privatisation de la justice, nous allons organiser cet essai de la manière suivante.

Dans un premier temps nous allons rappeler les chiffres et faire un constat d'échec sous le titre les raisons fondamentales de la faillite du système judiciaire français : monopole, nationalisation, centralisation bureaucratique, gratuité du service.

La structure institutionnelle du système judiciaire français : monopole, nationalisation et bureaucratisation engendre des effets pervers bien connus: file d’attente, mauvaise qualité des services, gaspillage des deniers publics, hiérarchisation qui ossifie les doctrines juridiques, perte de crédibilité, justice parallèle, injustice des jugements, corruption des juges etc. A cela s’ajoute, dans le cadre d’un régime politique particulier, la démocratie, une production du droit et de la législation sous l’influence d’une variété de groupes de pression aux intérêts antagonistes qui rend les jugements, sur le fond, incohérents et déstructurés.

Devant les défaillances du système judiciaire la question de se tourner vers des modes alternatifs de résolution des conflits, arbitrage privé, médiation, etc., est à l’ordre du jour. Cette solution doit être mise en parallèle avec des solutions d'externalisation de la justice en autorité administrative indépendante, en service délégué ou en concession sans abandon du monopole. Cette attitude réformiste ne peut résoudre le problème fondamental posé par le monopole lui-même qui est issu, comme pour la monnaie, la police ou l’armée, d’une volonté politique de concentrer dans les mains d’une seule personne (ou d’un petit nombre de personnes) le pouvoir d’arbitrer de façon ultime les conflits entre les individus. Ces pouvoirs sont nécessaires et complémentaires pour « légitimer la souveraineté » de la faction politique qui exerce son pouvoir de taxation sur un territoire donné[3].

La solution révolutionnaire ou contre révolutionnaire consiste à abandonner le monopole de la justice et revenir à la justice privée et concurrentielle. Mais une telle solution est–elle viable dans une grande société ouverte où des individus, anonymes, poursuivent des objectifs multiples et différents souvent incompatibles entre eux pour reprendre l’argument de F. Hayek (1973)[4]?

La méthode que nous adopterons sera la suivante : nous proposerons une théorie pure du droit en absence d’État, c'est-à-dire une théorie pure du droit aux antipodes de celle de Hans Kelsen(1953)[5]. Pour cela, nous développerons les concepts fondamentaux d’émergence spontanée des droits de propriété et de l'échange volontaire de ces droits comme de leur évolution par division, mutation et création. Les sources de conflits que l'on peut attendre de la définition ou de l’échange volontaire de ces droits donne naissance à une demande d'arbitrage pour les résoudre. Cette demande génère, en retour, une offre de procédures de résolution des conflits qui va engendrer un système de justice privé concurrentielle. Celle-ci donne naissance à un ordre juridique spontané et stable dont la caractéristique essentielle est qu’il ne souffre pas, par définition, des défauts du système public et monopolisé de la justice contemporaine. Ce qui ne veut pas dire que cette offre privée de procédures de résolution des conflits est sans défaut, la perfection n’est pas de ce monde. Comme le rappelle Bruno Léoni (1961)[6] :
« Substituer la législation aux règles de droit qui émergent spontanément de l’interaction individuelle n’est pas défendable à moins qu’il soit prouvé que ces dernières sont incertaines ou insuffisantes ou qu’elles engendrent des maux que la législation pourrait éviter tout en maintenant les avantages de celles-ci »
En revanche, un tel système de justice privée implique une transformation du droit ou des doctrines juridiques qui s’aligne sur les intérêts des victimes et ou de leurs ayant droit. Il bouleverse notre conception du droit. Il bouleverse aussi notre conception de l’État puisqu'à l’abandon de la souveraineté monétaire s’ajoute la disparition d’un autre pouvoir régalien : celui de la justice. 


[1] Question d’une brûlante actualité puisque le monopole d’émission de la monnaie et la manipulation des taux d’intérêt à la baisse par les autorités politiques américaines, pour faciliter l’accès à la propriété des ménages pauvres, a engendré une crise financière mondiale jugée particulièrement importante compte tenu du poids des activités financières dans les économies contemporaines. Depuis la suppression de l’étalon Or par les gouvernements occidentaux, pour ne pas respecter la discipline monétaire qu’il imposait à tous, nous vivons dans une société où on ne peut plus éteindre ses dettes. En effet, le papier monnaie était lui-même une dette ayant pour contrepartie réelle une monnaie marchandise appelée « Or ».
[2] David Friedman (1979) « Private Creation and Enforcement of Law: A Historical Case” The Journal of Legal Studies (march)
[3] Ceci est bien illustré par l’indépendance de la Banque Centrale Européenne. La perte de la souveraineté monétaire, c’est-à-dire du pouvoir de détruire la valeur nominales des dettes publiques par l’inflation et donc de spolier les prêteurs, empêche les gouvernants d’emprunter plus qu’ils ne peuvent taxer.
[4] Friedrich Hayek, (1973),  Law , Legislation and Liberty, Vol 1,2 and 3, Routledge and Kegan Paul, London
[5] Hans Kelsen (1953) Théorie pure du Droit, Editions de la Baconnière, Neuchatel, collection « Etre et penser » Cahier de philosophie.
[6] Bruno Léoni (1961), Freedom and the Law, Nash Publishing Los Angeles.



  
De la justice privée

1) La législation, négation et caricature du droit
          Il y a quelques années (en 2000), les politiciens français, « de gauche » et « de droite », se sont déchirés autour d'une loi « sur la présomption d'innocence ». En fait de débat d'idée, il n'y a eu qu'insultes, invectives et appels corporatistes, et les Français ignorent toujours tout du contenu de cette loi. Derrière le simulacre démocratique, les simples citoyens sont complètement dépossédés de la gestion de leur propre sécurité, effectuée en leur propre nom mais en dépit de leurs opinions. Leurs droits élémentaires peuvent être discutés, aménagés ou jetés aux orties, sans qu'ils n'en sachent ni ne comprennent jamais rien. Là comme ailleurs, la législation a pour principe l'oppression des faibles par les puissants, qui imposent arbitrairement leurs règles au nom d'une « majorité » parlementaire qui ne fait que cacher le fait que l'écrasante majorité des citoyens sont impuissants.

          La législation n'est en fin de compte qu'un travestissement par lequel les escrocs politiques donnent à leur prédation l'apparence du Droit pour tromper le public plus facilement. C'est bien la conclusion de Christian Michel qui dans son essai Faut-il obéir aux lois de son pays? distingue brillamment quatre catégories de règles de conduite trop souvent confondues: morales, contrats, Droit, et législation. Toutes les « lois » émises par les États ne peuvent ni créer, ni modifier, ni complémenter, ni même préciser le Droit, mais seulement le contredire. Elles ne sont que des moyens détournés que les puissants d'aujourd'hui ont d'exercer un pouvoir usurpé et de s'enrichir.

          En effet, le Droit consiste à respecter la vie, la liberté et la propriété d'autrui. Le Droit reconnaît que chacun est propriétaire de son propre corps et de son propre esprit, et possède légitimement tout ce qu'il n'a pas pris de force ou par ruse à autrui, y compris tout ce qu'il a créé ou obtenu par un échange mutuellement consenti. Le Droit consiste donc à bannir le meurtre, l'asservissement, le vol, qu'ils soient accomplis par violence ou par tromperie. Dès lors, que peut donc décréter l'État qui ne soit pas une violation patente de cette vie, liberté et propriété?

          Toute déviation entre le Droit et la législation est une violation du droit des personnes que la législation oblige à agir contre leurs préférences. Toute interdiction d'une action honnête, d'une transaction consensuelle, etc., viole le droit de tous ceux qui voient leur action prohibée. Toute obligation viole de même le droit de ceux qui se voient forcer à agir, à parler, à payer, à l'encontre de leur conscience. [1]

          Même lorsque par hasard la législation coïnciderait avec le Droit, non seulement cette législation serait inutile car redondante, elle serait néfaste car le décret d'un texte grossier et immuable empêche la découverte dynamique des véritables et subtiles règles du Droit. Le principe même d'une législation comme règles imposées par un corps d'êtres supérieurs est incompatible avec les principes du Droit comme règles de découvertes par les citoyens égaux pour vivre ensemble paisiblement.[2]
 
2) Pacification contre réglementation
          Car quel est donc le but de la justice? De permettre aux hommes de vivre ensemble en paix, de résoudre leurs différends et de rétablir cette paix quand elle a été troublée. Une véritable justice est donc une entreprise de pacification de la société, qui cherche à résoudre les conflits existants, en évitant d'en introduire de nouveaux. 
C'est ainsi que le meilleur système de justice possible est un système de justice privée: celui où les individus sont libres et responsables des choix relatifs à leur propre sécurité et à la résolution des conflits qui les concernent. Cette liberté-responsabilité, ou propriété, à la fois leur permettra de rechercher et les poussera à recherche les moyens de régler leurs différends au moindre coût. Et ce moindre coût sera dans l'arbitrage par un juge respecté par toutes les forces de police privées en présence, qui accepteront de faire respecter ses décisions plutôt que de se battre inutilement.[3]

          Un tel système de justice privée n'est pas une chimère utopique, mais une réalité plus que millénaire. Depuis plus loin que le Moyen-Âge, l'arbitrage par des tribunaux privés librement consentis est une pratique commerciale courante dans les pays libres (où le monopole et autres privilèges n'empêchent pas leur émergence) et tout particulièrement dans le commerce international (où il n'y a fort heureusement pas d'État mondial pour imposer un monopole). Voir par exemple des entreprises et associations actuelles comme l'AAA, le BCICAC, ou le BBB.

          À l'opposé, le mythe d'une « justice » venant « d'en haut » signifie qu'en fin de compte il y aura bien un tel « en haut »: un establishment de politiciens, bureaucrates, chefs de grandes entreprises, syndicalistes, journalistes et universitaires s'empare des rênes du pouvoir et fait valoir ses préférences et ses intérêts au détriment de ceux du public désorganisé et impuissant, en écrasant tout dissident.

          Derrière les beaux prétextes du bien commun, de l'ordre public, etc., invariablement avancés pour justifier leur usage, réglementation, administration et « justice » d'État sont des agressions qui violent la paix publique. Le moyen même sur lequel elles reposent trahit leur nature réelle de contrainte imposée aux uns en faveur des autres:
          Il se rappela qu'il y a à Paris une grande fabrique de lois. Qu'est-ce qu'une loi? se dit-il. C'est une mesure à laquelle, une fois décrétée, bonne ou mauvaise, chacun est tenu de se conformer. Pour l'exécution d'icelle, on organise une force publique, et, pour constituer ladite force publique, on puise dans la nation des hommes et de l'argent. – Frédéric Bastiat
          Pire encore, la possibilité même de législation favorable ou défavorable jette tous les citoyens les uns contre les autres dans une bataille politique permanente et sans merci de tous contre tous pour le contrôle de la législation, faisant de chaque électeur à chaque instant l'ennemi de tous les autres, troublant ainsi la paix civile.

          Enfin, comme le résume fort humoristiquement la loi d'escalade éristique, et comme le démontre formellement la loi de Bitur-Camember, toute tentative d'imposer un ordre artificiel venu d'en haut n'aboutit en fin de compte qu'à créer un désordre plus grand, auquel s'ajoute toutes les souffrances dues à cette imposition. 

3) La collectivisation de la justice
          Dans un système de justice privée, il n'existe pas de crime sans victime « contre la société ». S'il n'y a pas de victime, alors il n'y a pas de crime; s'il y a des victimes, alors c'est à elles, et non à « la société » qu'il faut apporter réparation, faire amende honorable, etc., et c'est aux causeurs de tort, et non pas à des tiers innocents, d'apporter ces réparations. La seule conception de la justice compatible avec le Droit, c'est donc la justice rétributive: ceux qui ont causé du tort sont tenus de le réparer, dans la mesure de leurs moyens, quitte à s'endetter, à vie s'il le faut. Il s'agit d'une relation interpersonnelle privée entre des causeurs de tort et leurs victimes.[4]

          Au contraire, la législation crée de toute pièce de nombreux « crimes » et « délits » qui ne sont que les actions innocentes d'individus tous volontaires. La fausse notion de crime « contre la société » fait que l'on condamne des gens pour des faux crimes dont ils sont innocents, tout en laissant les vrais coupables impunis des crimes qu'ils commettent effectivement – contre d'autres individus. Le monopole « public » confisque aux victimes et les moyens d'obtenir justice, et les réparations que leur doivent les coupables. Les coupables mêmes sont dépossédés de leur liberté et de leur responsabilité et ainsi traités en sous-humains; loin d'être réhabilités, ils sont avilis et entraînés dans un cycle de violence et de criminalité. Quant aux innocents condamnés, ils sont les victimes les plus complètes du système. Toute cette soi-disant justice pénale n'est qu'une collectivisation de la justice au détriment de tous les individus concernés.

          Bien sûr, dans les cas où un causeur de tort n'est pas attrapé, ou a dilapidé ses biens mal acquis, il n'est pas possible d'obtenir de lui réparation. Dans un système de justice privée, les victimes potentielles ont donc intérêt à s'assurer; mais l'assurance est là encore une affaire privée entre les assurés qui se prémunissent des risques et les éventuels assureurs qui les couvrent – rôles confondus dans les mêmes personnes dans le cas de mutuelles, ou séparés dans le cas de compagnies d'assurances.[5] À l'opposé, dans un système de monopole « public », les victimes se retrouvent souvent sans compensation même quand le coupable est pris; et quand compensation il y a, c'est souvent le reste du public qui se retrouve comme autant de victimes innocentes forcées de payer à la place des coupables, en sus de devoir financer le fonctionnement de ce système inique. 

4) Le monopole de la justice
          Les hommes de l'État se sont assurés le monopole de la justice, en absorbant ce qui était autrefois des systèmes de justice privés et en réprimant violemment toute concurrence émergente. Ainsi, les règlements privés par des juges librement consentis sont réprimés, leurs décisions bafouées au profit des parties en tort. Même les juges de paix, les prud'hommes et autres tribunaux d'arbitrage civils, autrefois institutions privées librement choisies par les parties, sont maintenant des monopoles territoriaux d'État, jouets dans les mains des syndicats et autres groupes de pression politiques.

          Ce monopole de la justice est non pas au service des citoyens, mais au service du pouvoir politique. Les dossiers ouverts ou clos au gré de l'administration sont autant de dénis de justice envers ceux que l'on ne protège pas, et de privilèges en faveur de ceux que l'on protège. Ceux mêmes auxquels ont dénie la justice doivent payer grassement en impôts pour la protection des privilégiés du pouvoir politique.

          Si on entend beaucoup de critiques vagues du système judiciaire, on entend par contre rarement parler de cas concrets: c'est parce que la « justice » censure systématiquement toute contestation d'une décision, toute mise en cause de ses membres, toute remise en question du système, avec des pseudo « délits » tels que diffamation envers un fonctionnaire, un dépositaire de l'autorité publique ou un citoyen chargé d'un service public par parole, image, écrit ou moyen de communication audiovisuelle, atteinte à l'autorité judiciaire par discrédit jeté sur une décision de justice. Les maîtres du système sont juges et partie, toute dissidence est impossible.

          D'ailleurs le monopole ne cherche absolument pas à faire régner la justice. Dans un réel système de justice, la justice privée, l'objet d'un jugement est la pacification des relations entre les parties engagées, aussi bien les éventuelles victimes et que les coupables. Avec la justice « publique », l'objet d'une condamnation est une déclaration de guerre de « la société » contre le coupable désigné.

          Dans les médias français, les avocats parlent du tribunal comme un lieu non pas pour faire régner la justice, mais pour « faire éclater la vérité » et permettre aux familles des victimes de faire leur deuil. Bref, dépenser les millions des contribuables en frais de justice, à nourrir des parasites d'avocats, juges et greffiers, pour faire le travail de l'église et de la religion, plutôt que celui de la justice, dont on admet que les institutions ne la recherchent pas. L'État a créé sa nouvelle religion officielle, son opium du peuple athée: la recherche d'une « vérité » officielle. 

5) Choisir ses propres juges
          Les juges sont choisis par l'État, irresponsables, inamovibles. Ils ne sont pas impartiaux; ils ne sont pas indépendants; ils ne sont pas compétents (aux sens commun autant que juridique du terme); ils ne sont pas librement consentis. Les lois qu'ils font respecter sont des fausses lois. La soi-disant « indépendance » des juges vis-à-vis du pouvoir n'est que leur irresponsabilité, leur impunité.[6] En fait d'indépendance, les juges sont nommés par le pouvoir politique. Grimpent dans la hiérarchie ceux qui plaisent, ou du moins, qui ne déplaisent pas. Ceux qui déplaisent sont poussés plus ou moins fermement vers la sortie, ou sinon rangés dans un placard. De toute façon, ne sont admis que ceux qui acceptent le système, ne restent que ceux qui s'en accommodent.

          Parmi les mythes de la « démocratie », on fait souvent valoir un jury populaire comme solution de rechange aux juges d'un monopole. Mais si un jury populaire est le plus souvent plus impartial que juge d'État, n'étant manipulé qu'indirectement par l'État via l'Éducation nationale et les mass-médias, il est aussi plus ignorant, plus incompétent, et tout aussi irresponsable. Et il reste « guidé » par un juge de monopole qui présidera à ce que le jury pourra entendre ou ne pas entendre, et interprétera le verdict à sa guise.
« La législation n'est en fin de compte qu'un travestissement par lequel les escrocs politiques donnent à leur prédation l'apparence du Droit pour tromper le public plus facilement. »
Seul le libre choix de ses propres juges garantit que chacun aura affaire à des juges compétents, responsables, et surtout, respectés par les deux parties. C'est une condition nécessaire de toute pacification.

          Dans un système de justice libre, où les parties se mettent d'accord sur un juge, quid si une partie refuse de se soumettre à l'arbitrage, ou de se mettre d'accord sur un juge acceptable? Alors, elle doit alors faire face à des représailles. Ceux qui refuseraient les procédures admises pour régler pacifiquement les conflits perdraient le concours de leur police privée, qui ne voudra pas couvrir des forcenés: les contrats de défense par des polices privées contiendront des clauses spécifiant les juges dont la police s'engage à respecter et faire respecter les jugements. Dans le cas où une partie joue le jeu et l'autre ne le joue pas, les rapports de force donneront immédiatement raison à celle qui se montre honnête, via les forces de police. Dans le cas plus épineux où chacune des deux parties pense honnêtement jouer le jeu, mais rejette le principe de jeu de l'autre partie, alors, il y aura guerre, froide ou chaude.

          Encore une fois, aucun de ces cas épineux n'est éliminé par le monopole de la justice, qui ne fait dans chacun de ces cas qu'imposer le choix du politiquement plus fort sur le plus faible.
 
6) Prescription naturelle vs prescription artificielle
          Dans un système de justice privée, il y a une prescription naturelle, qui n'est pas autre chose que l'application du principe de présomption d'innocence: quand, les témoignages ayant disparu, il devient impossible d'établir avec certitude un crime, ou, ce qui revient au même, quand il n'est plus possible d'avoir confiance en ces témoignages qui sont encore disponibles, parce qu'on ne peut plus les recouper avec des données sûres, alors il devient ipso facto impossible qu'aucune poursuite aboutisse. Les coupables n'en sont pas moins coupables, mais il est devenu impossible de les identifier à coup sûr pour les faire payer.

          Bien sûr, si un élément nouveau apparaît auquel on ne s'attendait pas, qui permet de relier une personne identifiée à un acte établi comme ayant causé un dommage mesuré à une autre personne non moins identifiée, alors il est possible qu'une agression qu'on croyait naturellement prescrite s'avère réparable. C'est encore une fois une chose naturelle qui ne dépend pas de la moindre législation, ni du bon vouloir d'un parquet possédant le monopole de la réouverture de poursuites.

          La prescription artificielle, celle décrétée législativement, qui amnistie certains crimes, n'est rien d'autre qu'un déni de justice envers ceux qui sont privés d'une juste réparation. À moins que, quand les « crimes » amnistiés sont de faux crimes créés de toute pièce par l'appareil étatique, il ne s'agisse de l'affranchissement de victimes promises du système judiciaire. Dans les deux cas, c'est le signe d'un grave dysfonctionnement du monopole du système judiciaire vis-à-vis de son objectif avoué de faire régner la justice.

          Mais en fait, ce dysfonctionnement apparent n'est que le fonctionnement normal de cet appareil judiciaire dont la réalité effective est d'opprimer les individus au bénéfice de la classe des privilégiés de l'État. En matière de justice comme ailleurs, la réalité n'est pas dans le discours, mais dans les faits. Le discours, qui n'est pas nécessairement véridique, même s'il est le plus souvent sincère (car le bon escroc croit à son boniment), est là pour manipuler les autres individus vers une collaboration passive ou active avec le système que défendent les discoureurs à leur profit (ou du moins ce qu'ils pensent être leur profit). 

7) Le mythe d'une justice préventive
          De prohibitions en soi-disant « principe de précaution », le monopole d'État se réclame souvent d'une soi-disant justice préventive. Or, la prévention ne relève pas de la justice, mais de la police.

          Prévenir des crimes qui n'ont pas été commis, cela ne peut pas être du ressort de la justice, car la seule vraie justice est rétributive. Dans un système privé cette prévention n'est donc pas du ressort de la justice, mais de la police et de l'assurance: c'est une affaire de police que d'arrêter les forcenés qui mettent la vie d'autrui en danger; c'est une affaire d'assurance que certaines personnes apportent des garanties de non-nuisance, ou de solvabilité en cas de nuisance, à d'autres personnes qui exigent une telle assurance comme préalable pour traiter avec ces premières en confiance. Ainsi, si des criminels préparent un mauvais coup, il n'y a rien là du ressort de la justice, puisqu'aucun crime n'a été commis; mais il y a tout du ressort de la police, pour éviter qu'un crime ne le soit.

          Bien sûr, l'action de la police pourra elle-même faire l'objet d'un règlement en justice, si elle fait objet d'une objection valable de la part des personnes improprement arrêtées par la police, ou dans le cas contraire de la part des citoyens que la police a omis de protéger comme elle s'y engageait. Mais il s'agit alors d'une affaire différente, d'une éventuelle contestation au regard de ce qui est reconnu comme étant du domaine de la police.

          Même la police la plus honnête et la plus efficace fera des erreurs, et paiera des réparations, à l'amiable ou après jugement, réparations qui entreront sur la facture des usagers, qui seront incités à rechercher la police commettant le moins d'erreurs et d'abus (voir mon article précédent sur les polices privées). A fortiori, les criminels notoires, les personnes peu fiables, etc., verront leur police d'assurance augmenter. Ils devront, pour pouvoir commercer avec autrui, donner des garanties, se soumettre volontairement à la prison, à la surveillance, ou toute autre mesure qui rassurera toutes les honnêtes gens qui sans cela refuseront d'avoir à faire à eux. Et ce sont ces criminels eux-mêmes qui paieront ce service, et non pas les contribuables!

          A posteriori, il est évident que tout ceci n'a aucun rapport avec la justice. Mais justement, le pouvoir de l'État repose non seulement sur la confusion entre police et justice, mais sur l'incapacité généralisée des citoyens à faire la distinction conceptuelle entre justice et injustice. Avec leurs faux concepts « sociaux » et leurs sophismes, les étatistes empêchent les citoyens de penser clairement la police, la justice et tout autre « bien public » monopolisé par l'État; les puissants peuvent alors subordonner ces « biens publics » à leurs propres intérêts privés et en déposséder ainsi le véritable public sans que celui-là ne soit capable d'articuler une opposition. 

8) Les hors-la-loi
          Il y aura toujours des gens malhonnêtes, des psychopathes et autres forcenés, qui ne respectent pas autrui, et ne cherchent pas à résoudre et éviter les conflits mais au contraire s'entêtent à les aggraver et à en créer de nouveaux. Ces hors-la-loi ne seront pas plus arrêtés par une « justice » publique que par la justice privée. Seule une action de police les arrêtera, et comme nous l'avons vu précédemment (voir mon article sur les polices privées), la police privée serait plus efficace.

          Or, refuser de se plier aux sanctions, agresser des innocents pour obtenir leur soumission par la force, etc., c'est déclarer la guerre à la société. Et déclarer la guerre à une société d'hommes libres et armés, c'est la perdre, car ces hommes s'organiseront librement en de nombreuses associations qui rivaliseront d'efficacité jusqu'à mettre l'ennemi public hors d'état de nuire.

          Par contre, une fois les hommes soumis et désarmés par l'État, il devient possible à des criminels de prospérer, dans les zones de « non-droit » délaissées par la justice et la police. L'État est donc un facteur majeur de criminalité, par la désorganisation qu'il induit chez les citoyens.

          Pire encore, en collectivisant la justice, le monopole d'État transforme des conflits privés en conflits publics. Nombreux sont les criminels qui se justifient comme rebelles « contre la société », alors que chacune de leur victime est un individu privé.

          Un véritable système de justice privée ne permettrait pas la création de cette caste de criminels. Tous les conflits resteraient délimités; les agresseurs prendraient nécessairement conscience du caractère interpersonnel de leurs actes; une agression ne transformerait pas le transgresseur en criminel, mais en débiteur. 

9) La prison, école du crime
          En prison, les criminels en herbe deviennent des criminels patentés. Entre les prisonniers, c'est la loi du crime qui règne. C'est la loi du crime qu'apprennent les incarcérés. Les faibles sont victimes des sévices des criminels.

          Empêcher les prisonniers de travailler, c'est les priver des moyens d'acquérir et de préserver leur dignité. Le principe du système carcéral est l'humiliation des coupables: les maintenir moins qu'humains. Ce principe est en contradiction totale avec leur réhabilitation, qui consiste à les rendre humains à nouveau. La prison et les autres peines du système de « justice pénale » répondent à la violence illégale par la violence institutionnelle.

          Avec la justice rétributive, les coupables ne seraient pas sortis de la société pour devoir y rentrer de nouveau. Ils seraient plus complètement intégrés qu'ils ne l'étaient auparavant (à moins d'être des hors-la-loi forcenés, qui seront mis hors d'état de nuire). Ils ne seraient pas ennemis de la société entière, mais des causeurs de torts devenus débiteurs de leurs victimes. Ils seraient confrontés au mal qu'ils ont fait, et n'auraient pas de prétexte pour se retourner contre des tiers innocents. Leur condamnation aurait pour but et pour effet de faire retrouver la paix aux parties engagées et de diminuer la violence de la société. 

10) La peine de mort
          En l'absence de justice pénale, il n'y aurait pas de peine capitale, pas plus qu'aucune autre peine. La mort, la peine, n'a jamais rien réparé. Tuer ne peut donc jamais être un acte de justice. Dans un système de justice libre, une peine de mort ne peut pas être prononcée. Par contre, tuer peux être un acte de police, ou peut être un acte de guerre – d'ailleurs les deux activités ne se distinguent que par le consensus censé entourer la première, tel que l'implique sa dénomination. Dans un système libre, il n'y a pas de distinction de droit entre police et guerre; la seule distinction de droit se trouve entre action violente légitime (arrêter un agresseur, neutraliser un hors-la-loi) et action violente illégitime (s'en prendre à des innocents, abuser de sa force, commettre une bavure, faire des victimes collatérales, etc.).

          Ainsi, face à un agresseur et autre ennemi qui refuse de faire la paix, voire face à un hors-la-loi forcené qui nie le Droit lui-même, il n'y a parfois pas d'autre moyen que d'user de violence. Et compte tenu de la résistance de l'ennemi, tuer est parfois nécessaire. Il n'est pas forcément choquant qu'un assassin soit exécuté, si rien d'autre ne l'empêche immédiatement et durablement à la fois de commettre ses forfaits. Plus tôt un assassin récidiviste forcené comme Marc Dutroux ou Saddam Hussein est mis hors d'état de nuire, plus de vies innocentes sont sauvées. Plus longtemps on le laisse agir sans résister, plus de vies innocentes sont perdues.

          Cependant quand apparaît la triste nécessité de tuer un ennemi autrement irréductible, la justice est orpheline. Il n'y a aucune justice à supprimer un être humain; les victimes n'ont été en aucune mesure compensées par le coupable. Cette mesure de police pourra éviter bien des désagréments, et bien des crimes futurs envers des victimes potentielles; mais la justice ne peut sanctionner que des faits avérés, et présume un homme comme innocent jusqu'à preuve du contraire – preuve qui ne peut pas exister pour un crime futur qui est forcément virtuel. 

11) Le monopole procédurier
          Les procédures sont un outil par lequel est censément garanti le respect des droits des individus confrontés à l'appareil policier et judiciaire. Le problème est qu'il y a actuellement un monopole; ce qui implique qu'il n'y a pas d'ajustement dynamique des procédures et de leur application aux besoins du public, mais un contrôle de ces procédures à l'avantage des puissants.

          Ainsi, lors d'une poursuite judiciaire, les procédures alourdissent un processus qui pourrait sinon être simple, et rendent la justice peu rentable. C'est un déni de justice envers les victimes et les agresseurs qui auraient pu chercher une solution si elle avait été moins chère; c'est aussi une lourde charge pour le contribuable, innocent écrasé par l'impôt. Pire encore, un vice de forme annule actuellement toute la procédure, unique du fait du monopole, et constitue alors un déni de justice envers les victimes qui ne sont pas responsables des fautes des agents de l'« ordre » qui ont commis le vice de forme.

          Dans une justice libre, il n'y a pas de monopole de la justice, ni de monopole pour définir les procédures et les imposer à des parties non consentantes. Par contre, il y a un marché libre de la justice, qui punira ceux qui useront de moyens universellement réprouvés, et refusera toute validité aux preuves obtenues dans le mépris des formes reconnues comme nécessaires pour établir leur authenticité.

          Ainsi, un policier brutal, un avocat malhonnête, un procureur indélicat, sera poursuivi en justice et devra réparer les conséquences de ses abus ou délits. D'ailleurs, les désagréments imposés sans brutalité excessive et de bonne foi à des personnes avérées innocentes seront aussi l'objet de réparations. Un innocent pourra réclamer compensation pour le temps perdu; un coupable même pourra réclamer compensation pour toutes mesures excessives et inutiles prises à son encontre.

          Ainsi, un agent de l'ordre verra sa police d'assurance augmenter au point que s'il est trop brutal ou malhonnête, ou simplement peu perspicace dans le choix des personnes qu'il importune, il sera inemployable comme agent de l'ordre. Chaque entreprise de police, chaque assurance spécialisée pour policiers, pourra définir des règles de procédure dans le sein desquelles elle s'engage à défendre et couvrir ses employés ou souscripteurs, même s'ils sont reconnus « coupables » au cours d'opérations respectant ces règles. Le coût de cette couverture retombera bien sûr sur les souscripteurs du service de police, et ne sera donc pas externalisée sur les victimes de bavures, comme c'est le cas actuellement. Enfin, chaque propriétaire pourra aussi définir des règles de police auxquelles se soumettre pour la traverser de son domaine, pour éviter de rendre des coûts de police trop élevés.

          Les droits des individus faisant face aux forces de l'ordre seront donc préservés de façon efficace. Et en même temps, cela n'aboutira pas à relâcher le moindre criminel pour vice de forme. Car si un abus policier, un vice de forme judiciaire, etc., peut mener à des réparations envers un prévenu (coupable ou innocent) ou à l'annulation d'une procédure à son encontre, cela ne mènera pas forcément à l'annulation de toute procédure à son encontre. Comme il n'y a pas monopole de la procédure, une autre procédure peut concurremment être lancée, contenant toutes les pièces sauf celles invalidées. L'agent de l'ordre incriminé devra répondre de ses actes, mais le criminel n'échappera pas à sa responsabilité parce qu'un agent de l'ordre aura mal fait son travail.

          Ainsi, dans un système de justice libre, chacun peut financer les actions qu'il juge utile, en en assumant les conséquences; alors que dans un monopole de la justice, il y a nécessairement abus policiers impunis et criminels notoires relâchés. 

12) Le clientélisme des hommes de « loi »
          Le monopole de la justice donne l'occasion à toute une clique de parasites de s'installer dans les coulisses du pouvoir et de vendre leur influence à ceux qui ont les moyens et l'absence de scrupule nécessaires pour les acheter. Ce sont des notables (non, pas « les » notables) qui fréquentent les mêmes écoles et les mêmes cercles sociaux que les avocats, les juges, les législateurs, et leurs syndicats et bénéficieront d'un traitement de faveur, ne fût-ce que par la familiarité que les uns auront pour la cause des autres, leur façon de penser, leur intérêt.

          « Indépendants », c'est-à-dire irresponsables, les hommes de loi sont payés non plus pour réconcilier les intérêts des parties, mais pour les opposer. Ils ne servent aucun autre intérêt que le leur propre, celui de l'idéologie qu'ils font leur, et par laquelle ils sont sélectionnés. Les juges d'un monopole peuvent être aussi partiaux, iniques et incompétents qu'ils le souhaitent, et ne s'en priveront pas, tant que cela ne nuit pas au pouvoir en place.

          Dans un système de justice privée, au contraire, chaque juge, chaque avocat (il n'y aurait pas de procureur), chaque greffier, etc., serait directement responsable devant ses clients. Ainsi par exemple, un juge prendrait-il des décisions non respectables, elles ne seraient pas respectées, car il y aurait un appel; les parties ne prendraient même pas la peine de consulter un juge réputé peu fiable sur le sujet qui les concerne, car ce ne serait que perte de temps et d'argent. Un mauvais juge perdrait bientôt ses clients, pour faire place à de meilleurs juges. Comme l'application de leurs décisions dépend du bon vouloir de forces de police privées, elles-mêmes contrôlées par les usagers qui choisissent de les financer, les juges ne pourraient pas se contenter de donner des opinions arbitraires, mais devraient pouvoir les articuler de façon assez convaincante pour qu'il n'y ait pas appel. Étant pleinement responsables de leurs décisions, ils pourraient eux-mêmes être jugés et condamnés si au cours d'un appel, d'une révision du procès, ou d'une plainte ultérieure, ils ont mal fait leur travail.

          Dans le système de monopole public, les hommes de « loi » sont des prédateurs, juges et parties pour créer toujours davantage de lois, de réglementations, de conflits artificiels qu'ils seront payés à la fois à créer et à réparer, dans un immense racket légal. Un exemple « patent » des résultats de ce lobbying législatif, les brevets, piège dont le seul effet économique certain est d'engraisser les avocats spécialistes en propriété industrielle aux dépens du public. Dans un système de justice privé, il n'y aurait pas de législation, et donc pas de la création possible de tels conflits artificiels, pas d'inflation réglementaire, pas de rente légale; les hommes de loi devraient gagner leur vie honnêtement à résoudre les problèmes des gens plutôt qu'à les prolonger. 

13) Conclusion: la justice privée est la justice responsable
          Un système de « justice » dit « public » n'est rien d'autre que le monopole des services de justice; et en matière de justice comme en toute autre matière, le monopole c'est la déresponsabilisation des fournisseurs et la spoliation de tous les usagers. Les fournisseurs de service sont alors incités à se montrer incompétents et à suivre leur propre intérêt au détriment du public qu'ils prétendent servir, mais dont le monopole a précisément pour effet de l'empêcher d'être servi selon sa propre volonté. La véritable justice émerge de la liberté pour chacun de choisir quelles lois il veut faire respecter; liberté qui rend à chacun la liberté-responsabilité de ses actes, c'est-à-dire sa propriété de soi-même comme agent moral et légal.

[1]: Toute intervention dans la vie d'autrui se fait forcément au détriment des préférences des citoyens opprimés, que le principe même de l'intervention consiste à écraser – à commencer par les citoyens taxés pour payer la coûteuse intervention dont ils se seraient bien passés (preuve en étant que la législation doit les forcer à payer). Toute réglementation économique n'est que le moyen pour les politiciens de donner un avantage aux grands groupes industriels établis au détriment des concurrents potentiels et des petits entrepreneurs, la réglementation du travail servant surtout à enfermer la majorité dans le carcan du salariat. Tout « sauvetage » financier n'est que le transfert direct de richesse dépouillant les travailleurs productifs pour engraisser les actionnaires « sauvés » et donner du pouvoir aux administrateurs « publics » qui vont gérer la manne.
[2]: On lira utilement ce court mais éclairant texte de Pierre Lemieux, Why Should We Follow Rules? From shaving in the morning to restraining Leviathan. Pour une étude approfondie du sujet, La liberté et le Droit de Bruno Leoni explique comment le Droit fonctionne largement en absence de législation, et comment la législation contredit les autres principes du Droit. Si ce livre ne tente pas de réfuter complètement toute légitimité à la législation, il n'en sape pas moins tous les prétextes habituels par lesquels celle-ci est présentée comme la source du Droit.
[3]: Comme théoricien de la justice comme équilibre de forces notamment Émile Faguet.
[4]: Voir, de Christian Michel, Faut-il punir les criminels? et autres articles sur liberalia.com.
[5]: Au sujet de la mutualisation des risques, et de ce progrès qu'est la spécialisation des tâches dans la couverture des risques, voir Des salaires de Bastiat.
[6]: Lire par exemple de Claude Reichman Il faut en finir avec l'impunité des magistrats.

octobre 21, 2014

Friedrich August von Hayek, économiste libéral et sa critique.

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.

Friedrich August von Hayek (1899-1992) a été le penseur le plus profond et le leader international du libéralisme économique durant le vingtième siècle. Il est aujourd'hui la principale référence des adeptes comme des adversaires de cette doctrine et de ses réalisations.




Vie et oeuvres
Né à Vienne en 1899, docteur en droit et science politique, il fonde en 1927, avec Ludwig von Mises, autre grand économiste autrichien de ce temps, l’Institut autrichien de recherche économique et le dirige jusqu’en 1931. Il commence à enseigner à l’Université de Vienne en 1929, au moment où éclate la grande crise de l’entre-deux-guerres, et, s’étant rapidement acquis une grande notoriété, il est recruté dès 1931 par la célèbre London School of Economics où il enseignera jusqu’en 1950. En 1947, il est à l’origine de la fondation de la fameuse Société du Mont Pèlerin (du nom du lieu suisse de sa première réunion) qui réunit aujourd’hui les économistes défenseurs de l’économie de marché et du libéralisme économique du monde entier. De 1950 à 1961, il occupe la chaire de sciences sociales et morales à l’Université de Chicago, puis de 1962 à 1977 une chaire d’économie politique à l’Université de Fribourg en Allemagne, devenue l’un des haut-lieux de la pensée économique libérale en Europe, ainsi qu’à l’Université de Salzbourg en Autriche. En 1974, il obtient le prix Nobel de sciences économiques. Il décède à Fribourg en 1992.
 
Hayek a publié jusqu’à la fin de sa vie de très nombreux et importants livres et articles de théorie économique et de doctrine politique et économique ainsi que de philosophie sociale et morale. Ses ouvrages les plus connus  traduits en français sont:  Prices and Production  1931 ( Prix et production 1975) -  The Road to Serfdom 1944 ( La route de la servitude   1946) - The Conter-Revolution of Science: Studies on the Abuse of Reason 1952 (Scientisme et sciences sociales: essai sur le mauvais usage de la raison 1986) -Constitution of Liberty 1960 (La constitution de la liberté 1994) - Law, Legislation and Liberty, 3 tomes,1973-1979 ( Droit, législation et liberté 1980-1983) - The Fatal Conceit: The Errors of Socialism 1988 ( La présomption fatale: les erreurs du socialisme 1993).
 

Critique de l'étatisme et du constructivisme

La démarche intellectuelle de
Hayek s'est caractérisée par un approfondissement continu de sa pensée, de la théorie jusqu'à la philosophie. Il s’est d’abord fait connaître dans les années trente par sa théorie des crises et des fluctuations économiques qui a constitué  la principale alternative totalement contradictoire à la vision que  le grand économiste anglais de l’Université de Cambridge John Maynard Keynes a présentée en 1936 dans sa fameuse Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. Alors que pour Keynes la cause fondamentale de la crise et du chômage est l’insuffisance actuelle de l’investissement due à un manque de demande, pour Hayek c’est au contraire un excès d’investissement financé par une expansion monétaire inflationniste et une déformation de la structure des prix et de l’offre dans la phase de croissance accélérée antérieure à la crise. Les conclusions de politique économique sont évidemment diamétralement opposées. C’est la théorie de Keynes et la politique d’expansion budgétaire et monétaire, que Hayek considérait comme une sorte de drogue sociale créant euphorie et accoutumance puis inévitablement nouvel effondrement économique, qui a triomphé dans les années 40 et 50. Mais l’inflation croissante des années 60  suivie de la nouvelle crise mondiale à partir des années 70 ont redonné tardivement toute sa pertinence à la vision hayekienne, qui a connu dès lors un regain d’intérêt spectaculaire dans la théorie économique contemporaine.

Au-delà de la critique de l’interventionnisme keynésien, Hayek a contesté de manière encore plus déterminée la planification et le socialisme collectiviste. Il a d’abord démontré la nécessaire défaillance technique de la direction étatique de l’économie en raison de l’extraordinaire complexité des évolutions et relations économiques dans une économie quelque peu évoluée. Même dotée des ordinateurs les plus puissants, la planification est hors d’état de connaître l’ensemble des données psychologiques et techniques extrêmement variées intervenant dans la production, la distribution et la consommation et plus l’économie est développée plus elle est incapable d’assurer la rationalité à laquelle elle prétend. Si elle tente néanmoins d’imposer ses vues, elle ne peut y parvenir qu’en établissant un régime totalitaire et c’est inévitablement alors la route de la servitude politique et tôt ou tard aussi du chaos économique et social.

Approfondissant toujours davantage sa contestation de l’action de l’Etat dans la société, Hayek mène finalement une croisade contre la philosophie sous-jacente à cette action, ce qu’il appelle le rationalisme constructiviste. Autant celui-ci lui paraît parfaitement applicable au domaine de la nature, autant il considère comme une erreur intellectuelle fondamentale de vouloir le transposer au domaine de la société. Si les savants et les ingénieurs sont capables de transformer la nature pour le bien de l’humanité, les intellectuels et les dirigeants politiques sont hors d’état de réunir la somme des connaissances, des informations et des prévisions qui permettraient d’établir un ordre social satisfaisant. Aucun cerveau humain, écrit-il, ne peut concevoir toute la complexité sociale. Aucune organisation sociale artificielle, construite par les hommes selon des plans prédéterminés, n’est capable de se substituer à l’ordre social spontané, fruit de l’action collective de l’humanité au cours de son histoire sans être pour autant le résultat d’un projet humain précis. La présomption rationaliste Hayek, à Hobbes et à Rousseau et peut-être même déjà à Descartes et trouve naturellement son point culminant dans le scientisme social de Marx et de ses innombrables disciples. 
 
Evolutionnisme et libéralisme
Renouant quant à lui avec la conception empirique et évolutionniste des philosophes écossais du 18è siècle, en particulier
Ferguson, Hume et Smith, Hayek considère que les principales institutions et règles de comportement les plus aptes à assurer la coopération sociale sont nées, comme le marché, la monnaie, le langage, la morale, par sélection naturelle au cours d’une évolution sociale millénaire sans que personne ne les ait consciemment et volontairement construites. Les institutions, écrit-il, sont le produit de l’action des hommes et non de leurs desseins . Elles ne sont certes jamais parfaites et ne doivent pas cesser d’évoluer, mais, parce qu’elles sont le produit de toute l’expérience humaine, elles organisent la vie sociale de manière beaucoup plus efficiente et satisfaisante que les institutions et régulations artificielles prétendument rationnelles. 

Nous ne devons jamais perdre de vue, écrit-il, que c’est le fait même de notre irrémédiable ignorance de la plupart des faits particuliers déterminant les processus sociaux qui est la raison pour laquelle la plupart de nos institutions sociales ont pris la forme qu’elles ont .

Les institutions, ajoute Hayek, ont pour mission de promouvoir et d'organiser la coopération sociale des hommes et elles sont donc fondamentalement des mécanismes d'information. C’est en particulier le cas du marché. Adam Smith avait montré qu’il assurait par une sorte de main invisible la concordance des intérêts particuliers et de l’intérêt général et donc le fonctionnement automatique d’une économie même extrêmement complexe. Hayek démontre que cette supériorité en quelque sorte génétique du marché sur le plan ou tout autre instrument de direction étatique tient au fait qu’il est un extraordinaire synthétiseur et transmetteur d’ informations, de savoirs et d’anticipations dispersées et fragmentées entre des millions d’individus et d’entreprises. Il démontre aussi, à l’encontre de certains libéraux attachés à l’intensité de la concurrence, que même imparfait, le marché continue d’assumer ce rôle essentiel de procédure d’information et de découverte et aussi de mécanisme impitoyable de sélection, pourvu que soit assurée la liberté de concurrence. Il appuie ainsi une vision particulièrement libérale de l'économie de marché.   

La vision hayekienne du devenir des sociétés va constituer finalement le nouveau fondement philosophique d’un projet de libération des sociétés modernes, dans lequel Hayek donne à l’Etat essentiellement  le rôle d’assurer la liberté individuelle et la spontanéité de l‘évolution sociale. Cette position se traduit notamment dans la promotion du droit coutumier face à la législation contraignante et au positivisme juridique, de la loi générale face à la réglementation, de l’état de droit face à la démocratie, etc. Il est impossible de résumer brièvement la richesse et l’originalité des analyses philosophiques, juridiques, politiques, économiques et sociologiques qui se trouvent principalement dans les trois tomes de Droit, législation et liberté, auxquels on ne peut que renvoyer le lecteur intéressé aux questions de société.
 
Les thèses de Hayek ne sont naturellement pas restées sans critiques et contestations d’ordre philosophique, épistémologique ou théorique. On lui a reproché notamment d’avoir sous-estimé, dans son explication de la genèse des institutions et régulations sociales par la sélection naturelle, le rôle parfois décisif des conceptions scientifiques et idéologiques et de la volonté humaine dans ce processus historique d’apprentissage. On a contesté sa tendance à considérer automatiquement la survie d’une institution dans le processus de sélection naturelle comme une présomption d’efficacité sociale. On a relevé une certaine incohérence entre sa conception évolutionniste ainsi que son insistance sur les limites de la connaissance humaine et la formulation de certaines de ses propositions de réforme politique et économique. Et il a naturellement subi les critiques de tous les adversaires du libéralisme économique, sans que ceux-ci aient toujours lu attentivement ses ouvrages.
Il n’empêche que Hayek a énormément enrichi la perception et l’interprétation des faits économiques et sociaux, qu’il a largement anticipé et expliqué les défaillances du keynésianisme, qu’il a été l’un des tout premiers économistes à annoncer et à prévoir les causes de l’inévitable effondrement du système communiste et enfin qu’il a contribué puissamment à la défense et illustration de l’économie de marché. Il demeurera incontestablement comme l’un des grands penseurs sociaux du vingtième siècle.


Aussi commentaire de François Bilger:

Dans le même esprit, il y a une apostrophe bien connue de Jacques Rueff: " Soyez libéraux, soyez socialistes, mais soyez honnêtes ". Il voulait dire: on a parfaitement la possibilité d'établir tel "avantage social" ou telle "protection sociale", mais il faut avoir l'honnêteté de reconnaître qu'ils ont un coût et qu'en définitive ce coût est toujours supporté - toutes choses restant égales par ailleurs - par les salariés eux-mêmes, au mieux par une réduction de leur revenu direct, au pire par le chômage pour un certain nombre d'entre eux.
 
Un dernier mot  se méfier des théoriciens en politique.  Hegel constatait au début du 19è siècle: " L'étude théorique, je m'en persuade chaque jour davantage, est en définitive plus déterminante pour le monde que le travail pratique; lorsque la révolution a été portée dans le royaume des idées, elle suit rapidement dans celui des réalités". Prédiction hélas remarquablement illustrée peu après par son grand disciple, Karl Marx. Dans le même registre, le grand adversaire de Hayek, John Maynard Keynes, écrivait à la fin de sa "Théorie Générale": "Nous sommes convaincu qu'on exagère grandement la force des intérêts constitués par rapport à l'empire qu'acquièrent progressivement les idées". Prévision là aussi tout à fait vérifiée par l'énorme influence exercée par les propositions keynésiennes sur la politique économique d'un grand nombre de pays au 20è et même encore au 21è siècles. Oui, il faut se méfier des théoriciens, ils sont capables de vous faire agir, pour le meilleur...ou le pire!

Esclandre à Stockholm. Quand Hayek recevait son prix Nobel il y a 50 ans.

via Damien Theillier

Friedrich Hayek et Gunnar Myrdal ont reçu leur prix Nobel d’économie en 1974, il y a tout juste 40 ans. Chez eux, tout s’opposait : leurs personnalités et leurs convictions.

Source : Jean-Philippe Bidault, Si l’argent m’était conté…, 2012.

 

Friedrich Hayek

De Wikiberal
 
Friedrich Hayek, né Friedrich August von Hayek, (Vienne, Autriche, 8 mai 1899 - Fribourg-en-Brisgau, Allemagne, 23 mars 1992) est un économiste et philosophe de l'école autrichienne, promoteur du capitalisme contre le socialisme ou toute forme d'étatisme trop entreprenante et qui ne respecterait pas la Rule of Law. Il a reçu le Prix Nobel d'économie en 1974 pour ses travaux sur la théorie de la conjoncture.
Il s'est intéressé à de nombreux champs de la connaissance humaine, comme l'économie, le droit, la psychologie[1], la philosophie ou la science politique. Il reste en particulier très connu pour ses ouvrages de philosophie sociale comme La Constitution de la liberté (1960) ou Droit, législation et liberté (1973-1979), ouvrages fondateurs du libéralisme contemporain et dans lesquels il défend la notion d'ordre spontané. Il a également écrit l'ouvrage à succès La Route de la servitude en 1945
Il naît à Vienne au tournant du siècle, dans une famille d'intellectuels. Son père était médecin et botaniste, son grand-père maternel professeur de droit constitutionnel et il était cousin de Ludwig Wittgenstein par sa mère. Esprit précoce, il est surnommé par ses camarades Lex comme Lexicon pour ses connaissances extrêment larges[2]. Il se fait cependant mal au climat rigide du Gymnasium autrichien.
Il sert comme soldat lors de la première guerre mondiale à partir de 1917 sur le front italien puis rejoint en 1918 l'université de Vienne. Il y obtient son doctorat en droit en 1921 et en sciences politiques en 1923. Il est déjà intéressé par de nombreux domaines de la connaissance et étudie l'économie et la psychologie. Il conservera ce souci d'éclectisme toute sa vie et écrivit dans La Route de la servitude : « personne ne saurait être un grand économiste en étant seulement économiste et je suis même tenté d'ajouter qu'un économiste qui n'est qu'économiste peut devenir une gêne, si ce n'est un danger. » C'est dans ces années là qu'il se rapproche des idées libérales, par la fréquentation du fameux séminaire privé du principal économiste autrichien de l'époque, Ludwig von Mises, aux côtés de Fritz Machlup. Il suit également les enseignements de Friedrich von Wieser et lit sous la direction de Mises les principaux ouvrages de Carl Menger et d'Eugen von Böhm-Bawerk.
Il commence à travailler auprès de Ludwig von Mises puis rejoint l'université de New-York où il effectue des recherches post-doctorales[3]. Il y rencontre son compatriote Joseph Schumpeter ou l'économiste américain Irving Fisher.
De retour en Autriche, il travaille pour le gouvernement autrichien, l'aidant à résoudre les questions économiques afférentes au traité qui met fin à la Première Guerre mondiale. Il se marie en 1926. En 1927, il fonde avec Ludwig von Mises l'institut autrichien de la conjoncture (Österreichische Konjunkturinstitut). Il le dirigera jusqu'en 1931. En 1929, il devient professeur en économie à l'université de Vienne et publie Geldtheorie und Konjunkturtheorie. Il acquiert par là une certaine notoriété.
Remarqué par le directeur du département d'économie de la London School of Economics, Lionel Robbins, il est invité par ce dernier à y donner une série de quatre conférences en 1931. Le succès est tel qu'il se voit offrir en 1932 la Tooke Chair of Economic Science and Statistics à la LSE[4]. Il poursuit pendant les années 1930 ses travaux sur la théorie du cycle, dans lesquels il approfondit la position autrichienne. Il s'oppose avec force sur ce sujet avec la théorie défendue par John Maynard Keynes à Cambridge, mais c'est la vision keynésienne qui l'emporte, au moins temporairement, dans l'opinion publique.
Il publie en 1931 Prices and Production. Sur les conseils de Gottfried Haberler, il s'intéresse aux idées de Karl Popper, qu'il fait en partie siennes. En 1935, il réfute les arguments des tenants du socialisme de marché (Oskar Lange) dans le débat sur le calcul économique en régime socialiste avec la parution du recueil Collectivist Economic Planning: Critical Studies on the Possibilities of Socialism.
Il acquiert en 1938 la nationalité britannique. La même année, il participe au Colloque Walter Lippmann qui réunit à Paris de nombreux intellectuels libéraux, désireux de « refonder » le libéralisme.
Face à la montée du socialisme, du planisme et du militarisme, il écrit plusieurs articles dans lesquels il dénonce les dangers que cette route représente[5]. Il synthétise sa réflexion sur la question dans son ouvrage majeur de 1944, La Route de la servitude. Dans ce manifeste du libéralisme du XXe siècle qui est encore un best-seller aujourd'hui, il montre comment l'emballement totalitaire qui ravage l'Europe des années 1940 est la conséquence directe des idées collectivistes qui ont prévalues durant l'entre-deux guerres, à rebours des explications du totalitarisme comme nécessaire dégénérescence du capitalisme. Pour Hayek, la socialisation de l'économie et l'intervention massive de l'État sur le marché débouchent sur la suppression des libertés individuelles; il n'existe pas de différence de nature mais seulement de degré entre le communisme et son imitateur le nazisme, entre socialisme et totalitarisme. C'est un succès commercial traduit en 20 langues et ayant connu plus de 30 rééditions aux États-Unis. Son édition abrégée dans le Readers' Digest en 1945 toucha environ 600 000 lecteurs américains et une édition en images est même réalisée[6].
Dans la dynamique de son engagement « politique », il fonde en 1947 la Société du Mont-Pèlerin, dont il sera le président jusqu'en 1961, passant le relais à l'ordolibéral Wilhelm Röpke. En 1950, il quitte la LSE pour l'université de Chicago. Refusé au département d'économie, il enseigne finalement les « social thoughts ». Sa position n'était pas rémunérée mais il était financé par des mécènes comme le Liberty Fund.
Après le succès médiatique (essentiellement aux USA) de La Route et la notoriété de propagandiste qui lui colle à la peau, Hayek essaye de regagner l'estime du monde universitaire et se concentrera sur des questions psychologiques en 1952, l'Ordre sensoriel ou épistémologiques, The Counter-revolution of science, après le « virage » poppérien de 1936 ("Economics and Knowledge", dans Individualisme et ordre économique), développeront ses idées de limitation de la raison individuelle, dans la filiation des Lumières écossaises.
En 1960, La Constitution de la liberté reprend de manière plus positive le cadre normatif (Rule of Law, état de droit) qui sous-tend un ordre politique libéral.
De retour en Europe, il enseigne à Fribourg-en-Brisgau de 1962 jusqu'à sa retraite. Il profite de ces années pour écrire la trilogie des Droit, législation et liberté, tout en intégrant pleinement le paradigme évolutionniste (troisième terme entre nature et culture) que les articles des Studies... avaient préparé, lui permet d'affiner son vocabulaire (catallaxie, kosmos et taxis, nomos/thesis, démarchie) et de constituer une sorte de somme de sa pensée; son dernier ouvrage, La Présomption fatale, est une variation sur le thème de la réfutation du socialisme.
En 1974, il reçoit le Prix Nobel en économie (en même temps que le socialiste Gunnar Myrdal), pour ses travaux des années 1930 sur la théorie du cycle. De plus en plus reconnu, il reçoit en 1991 la Presidential Medal of Freedom, plus haute récompense civile américaine. 


 

Pensée 

Epistémologie

Son refus de la planification est également enrichi et étayé par ses réflexions psychologiques sur l'ordre sensoriel. D'après Friedrich Hayek, la perception du monde que capte chaque individu est nécessairement idiosyncrasique. Chaque individu ne peut pas saisir la réalité dans toute sa complexité, il la perçoit en fonction des circonstances de temps et de lieu. De ce fait, comment des gouvernants pourraient-ils légitimement et scientifiquement intervenir dans les choix économiques des individus ?
Contre les constructivistes de gauche et de droite, le philosophe et économiste a livré un combat qui se situe également sur le plan juridique et institutionnel. A la suite d'Adam Ferguson et des autres auteurs phares des Lumières écossaises, Hayek a montré sa préférence pour des instances "résultant de l'action des hommes, mais non de leurs desseins". Selon lui, la meilleure garantie pour la préservation de la liberté et le maintien d'une société civilisée réside dans la défense d'un ordre spontané qui permet "la mise en ordre de l'inconnu", et n'émanant pas d'un cerveau planificateur - sans pour autant se confondre avec une sorte d'organisme naturel. Hayek s'inscrit donc dans une logique évolutionniste, qu'il oppose au constructivisme socialiste et conservateur. C'est aussi pourquoi il considère que l'ordre juridique ne peut découler du droit public, mais ne peut être que la forme évolutive prise par le droit privé dans son continuel processus d'essais et d'erreurs.

Economie

Ses thèses sur le malinvestissement et le rôle du crédit dans le développement des crises économiques s'opposent au keynésianisme : il cherche à montrer comment les politiques keynésiennes de croissance économique, basées sur l'utilisation du budget public et des agrégats, produisent sur le long terme à la fois inflation, stagnation économique et chômage (telle la stagflation des années 1970).
Développant la théorie des fluctuations économiques (vision « autrichienne » des cycles) déjà esquissée par Ludwig von Mises, il soutient que les crises économiques sont provoquées par les politiques monétaires expansionnistes des banques centrales et que la seule façon d'en sortir est de laisser jouer les forces du marché. L'économie se trouve comparée dans cette théorie à la nature, son fonctionnement repose alors sur des lois, comme dans les sciences dures. La meilleure solution pour Hayek sera donc de laisser l'économie suivre sa tendance naturelle qui fonctionnne parfaitement seule.
Il s'oppose aux intellectuels socialistes ou constructivistes, qui croient que l'on peut refaire le monde à partir d'un projet de société théorique. Plus généralement, il combat toutes les idées affirmant qu'il est possible et souhaitable d'agir sur l'économie au nom de l'intérêt général, dont il récuse l'existence (cf. Droit, législation et liberté, vol. II). Il cherche à expliquer notamment comment l'intervention étatique dans le marché ne génère qu'inflation, chômage, récession ou dépression.
Friedrich Hayek a eu une influence considérable sur de nombreux économistes et chercheurs en sciences sociales, comme par exemple Israel Kirzner. En France, il est représenté par l'école libérale aixoise (Jacques Garello, Jean-Pierre Centi, Gérard Bramoullé) et l'école libérale parisienne (Pascal Salin, Henri Lepage, Bertrand Lemennicier). A Montpellier, le regretté professeur de Droit, Christian Mouly présenta son apport scientifique.

Politique

 Comme la plupart des libéraux depuis Tocqueville, Hayek considère que la démocratie est un moyen, et non une fin en soi : « Que dans le monde occidental, le suffrage universel des adultes soit considéré comme le meilleur arrangement, ne prouve pas que ce soit requis par un principe fondamental » (dans Constitution de la liberté). Elle a uniquement l'avantage de permettre l'alternance politique sans violence. Elle se doit cependant d'éviter la démagogie et l'atteinte aux droits individuels qui résulterait d'un débordement inconsidéré de la démocratie hors du champ restreint où elle doit s'appliquer.

Définissant ce qui sépare le régime démocratique du libéralisme, il note :
Le libéralisme exige que tout pouvoir - et donc aussi celui de la majorité - soit soumis à des limites. La démocratie conduit au contraire à considérer l'opinion de la majorité comme la seule limite aux pouvoirs gouvernementaux. La différence entre les deux principes apparaît avec évidence si l'on envisage ce à quoi ils s'opposent respectivement : le gouvernement autoritaire pour la démocratie, le totalitarisme pour le libéralisme.
Il ajoute que la démocratie couplée à l'étatisme, tend à devenir totalitaire. Il considère que les citoyens des sociétés occidentales ont cessé d'être autonomes en devenant dépendants des bienveillances de l'État. Il est néanmoins à noter que Hayek ne s'est jamais considéré comme un chantre de l'État minimal. Tout critique qu'il fut envers les politiques interventionnistes, il estimait que l'État était habilité à contrôler les poids et mesures, à lever des impôts, à garantir la construction et l'entretien des routes, etc. De même, il était favorable à un revenu minimum !
Pour éviter la dérive totalitaire inhérente à la démocratie illimitée, Hayek propose un système baptisé « démarchie ». A côté d'une assemblée parlementaire uniquement chargée d'exécuter les vœux de la population (mais restreinte à la représentation des personnes ne dépendant pas de l'État), il juge indispensable d'instituer une sorte de Sénat, qui détiendrait l'exclusivité de la fonction législative (celle-ci étant réservée à l'élaboration de règles de conduite générales). Cette Chambre haute serait composée de "nomothètes" âgés de 45 à 60 ans, dont un quinzième serait renouvelable annuellement. Par ailleurs, une Cour constitutionnelle composée d'anciens membres de l'Assemblée législative couronnerait cette architecture institutionnelle.

Éthique

L'éthique semble étrangement absente de la pensée de Hayek, tout du moins si on tient compte de l'importance qu'elle revêt pour d'autres libéraux ou libertariens (Kant, Rothbard, Hoppe, etc.). La raison en est que Hayek refuse une approche constructiviste et fait davantage confiance à la "morale traditionnelle". Pour lui, l'éthique ne peut être une création intellectuelle, c'est le produit catallactique d'une évolution culturelle. Pour cette raison, les règles de conduite que la "morale traditionnelle" incorpore sont économiquement les plus efficaces.[7]



 Critique du Réseau Voltaire

« Démocratie de marché »

Friedrich von Hayek, pape de l’ultra-libéralisme

 L’économiste autrichien Friedrich von Hayek s’est appliqué à discréditer toute forme de régulation de l’économie au motif que celle-ci est trop complexe pour que l’on prétende l’organiser. Sa théorie de « l’État minimal » est devenue la religion du Parti républicain états-unien en opposition aussi bien au « New Deal » des démocrates qu’au marxisme des soviétiques. Son école, financée par les fondations des grandes multinationales, s’est structurée autour de la Société du Mont-Pèlerin, et a obtenu sept fois le prix Nobel d’économie. Elle a inspiré les gouvernements de Pinochet, Reagan et Thatcher.

La pensée économique et politique de Friedrich A. von Hayek s’est imposée comme fondement idéologique de l’ordre libéral. Elle est à la fois le produit d’une histoire particulière et d’un réseau relationnel qui s’est développé à l’ombre des grandes fondations états-uniennes.
Hayek est né à Vienne, en 1899. Sa jeunesse autrichienne est marquée par un climat politique difficile, des grèves massives paralysent le pays. Il assiste à la désorganisation du régime doublement menacé par le populisme, souvent antisémite, et par le socialisme révolutionnaire radicalisé par l’introduction des thèses marxistes. Dans ce contexte, il se passionne pour les thèses de la Société fabienne, un courant réformiste et socialiste anglais, créé par Béatrice et Sidney Webb, et préconisant une révolution spirituelle. Parallèlement, il est initiée à la philosophie de Ludwig Wittgenstein, principal « animateur » du Cercle de Vienne.
Hayek participe aux séminaires de l’économiste Ludwig Von Mises qui réunit autour de lui des disciples qui contribueront à diffuser la bonne parole libérale en France (Jacques Rueff, conseiller du général de Gaulle), en Italie (Luigi Einaudi), en Allemagne (Wilhelm Röpke, Ludwig Erhard), et dans une moindre mesure aux États-Unis (Murray, Rothbard).
À l’époque, Mises défend des idées à contre-courant des thèses dominantes de l’intelligentsia autrichienne, Hayek le qualifie de « libéral intransigeant isolé ». Il est l’initiateur de la critique du planisme qui, selon lui, ne peut constituer une solution économique adéquate en raison de la complexité des calculs économiques et du manque d’information. Dans son ouvrage majeur, Socialism, il prédit l’échec des expériences socialistes : la planification ne peut conduire qu’au chaos ou à la stagnation. Professeur à Vienne (1913-1938), puis à New York (1945-1969), Mises est le fondateur du courant néo-autrichien qui se développe durant les années soixante-dix. Proche des réseaux états-uniens en Europe de l’ouest (la Fondation Rockefeller et le National bureau of economic research ont financé deux de ses livres publiés en 1944, Omnipotent Government : the Rise of the Total State and Total War et Bureaucraty). Cherchant à diffuser ses théories, appuyé par des industriels et des fondations, Mises a construit une organisation officieuse, une ébauche de la Société du Mont-Pèlerin, représentée par ses élèves dans plusieurs pays d’Europe de l’ouest.

La théorie politique néo-libérale

Hayek, dans la continuité de la tradition libérale initiée par Adam Smith, défend une conception minimale de l’État. Son apport particulier correspond à la critique radicale de l’idée de « justice sociale », notion dissimulant, selon lui, la protection des intérêts corporatifs de la classe moyenne. Il préconise la suppression des interventions sociales et économiques publiques. L’État minimal est un moyen d’échapper au pouvoir de la classe moyenne qui contrôle le processus démocratique afin d’obtenir la redistribution des richesses par la fiscalité.
Son programme est exposé dans Constitution de la liberté (1960) : déréglementer, privatiser, diminuer les programmes contre le chômage, supprimer les subventions au logement et les contrôles des loyers, réduire les dépenses de la sécurité sociale, et enfin limiter le pouvoir syndical. L’État n’a pas le droit d’assurer la redistribution, surtout en fonction d’un quelconque critère de « justice sociale ». Son rôle est réduit à la fourniture d’un cadre juridique garantissant les règles élémentaires de l’échange. En 1976, il va jusqu’à proposer la dénationalisation la monnaie, c’est-à-dire la privatisatisation des banques centrales nationales pour soumettre la création monétaire aux mécanismes du marché. D’autres prises de positions semblent nuancer la radicalité de son libéralisme, il préconise par exemple la création d’un revenu minimum, mais cette proposition doit être pensée comme une réhabilitation de la loi anglaise des indigents et non comme la marque d’un « socialisme hayèkien » [1] .
La théorie développée par Hayek est fondée sur une croyance partagée par tous les libéraux, des classiques jusqu’aux partisans des thèses autrichiennes. La métaphore de la « main invisible », qui assure dans la pensée d’Adam Smith l’adéquation de l’offre et de la demande sur les différents marchés, illustre parfaitement ce présupposé commun qu’ils cherchent tous à démontrer à partir de différents postulats : équilibre général de Walras, redéveloppé par Pareto ; ordre spontané du marché ou catallaxie pour l’école autrichienne. Celle-ci est le résultat d’actions non concertées et non le fruit d’un projet conscient. L’ordre du marché n’est pas voulu, pas planifié, il est spontané. Cette conception de l’économie sert de justification à la critique de l’interventionnisme qui génère des déséquilibres, des perturbations dans la catallaxie. Hayek considère que les keynésiens font de l’État un « dictateur économique ».
La philosophie politique de Hayek est finalement très proche des thèses développée par Locke. L’État défend le droit naturel de propriété et est limité par les clauses individualistes d’un hypothétique contrat-fondateur. Le droit devient alors l’instrument de protection de l’ordre spontané du marché. Ce qui importe donc principalement, c’est la défense du libéralisme économique. Le libéralisme politique est absorbé. Les idées démocratiques sont reléguées à un rang secondaire. Cela a poussé Hayek à des déclarations aux allures de provocation. D’après lui, la démocratie ne constitue pas un système politique infaillible : elle « est essentiellement un moyen, un procédé utilitaire pour sauvegarder la paix intérieure et la liberté individuelle » [2] . Mieux vaut un régime non-démocratique garantissant l’ordre spontané du marché qu’une démocratie planificatrice. Ce raisonnement justifiera la présence des « Chicago boys » au Chili. La pensée de Hayek est un mélange de conservatisme (critique de la démocratie inspirée de la dénonciation de la Révolution française d’Edmund Burke) et de libéralisme (Adam Smith). Il met en garde contre la démocratie illimitée qui conduit irrémédiablement au règne de la démocratie totalitaire [3]. En fait Hayek est obsédé par les classes moyennes qui contrôlent les régimes démocratiques : « Il y a une grande part de vérité dans la formule d’après laquelle le fascisme et le national-socialisme seraient une sorte de socialisme de la classe moyenne » [4] . De plus, il craint les pauvres dont les réactions sont imprévisibles. Il réclame un revenu minimum « ne serait-ce que dans l’intérêt de ceux qui entendent être protégés contre les réactions de désespoir des nécessiteux » [5] . Bien que refusant d’adhérer à l’idée de justice sociale, Hayek développe une conception particulière de la justice, libérale mais aussi conservatrice, même s’il s’en défend dans un article intitulé Pourquoi je ne suis pas conservateur ?.
Les idées radicales de Hayek, ses attaques contre l’interventionnisme économique ne peuvent être comprises sans un retour au contexte historique de l’après-guerre : l’élaboration d’un nouvel avatar du libéralisme correspond à une critique totale du keynésianisme triomphant. Hayek, inspiré par la pensée économique de Mises, rejette aussi bien le collectivisme préconisé par le marxisme d’État que l’intervention économique dans les sociétés capitalistes. Reprenant les idées de Mises, il critique la possibilité de planifier l’économie dont la complexité s’oppose à tout calcul rationnel. Ces prises de position contre la « troisième voie démocratique et sociale » symbolisée par le New deal rooseveltien et le travaillisme anglais expliquent la marginalisation des ultra-libéraux au début des années 50, notamment au sein de la plus puissante des organisations d’intellectuels anti-communistes, le Congrès pour la liberté de la culture.

Hayek en marge de la « Guerre froide culturelle »

Hayek est nommé professeur à la London school of economics en 1931, puis à Chicago en 1950. En 1962, il devient professeur d’économie politique en Allemagne fédérale... Ce parcours universitaire ne doit rien au hasard : la London school of economics, financée par la fondation Rockefeller, et l’université de Chicago sont des bastions de l’économie libérale. Il constitue ainsi un réseau politique et intellectuel international. Il a su rassembler des libéraux, des conservateurs britanniques et américains, mais ses théories ont aussi été diffusées dans toute l’Europe de l’ouest. Proche de Raymond Aron [6] qui popularise ses thèses en France, il se veut un « libéral intransigeant » engagé à la fois contre le soviétisme et le fascisme.
La rhétorique de l’anti-totalitarisme constitue une fois de plus l’instrument idéologique privilégié des intellectuels engagés dans le Congrès pour la liberté de la culture, organisation pilotée par la CIA de 1950 à 1967. Cependant, à partir de 1955, les ultra-libéraux menés par Hayek sont marginalisés face aux « travaillistes », représentants d’une « troisième voie » social-démocrate, qui contribuent à redéfinir les orientations idéologiques du Congrès pour la liberté de la culture. Un nouveau programme émerge de la conférence internationale de Milan [7] .
À Paris, Josselson, avec le soutien de la fondation Rockefeller, recrute et finance les participants. La liste des intervenants est approuvée par un comité composé de Raymond Aron, Michel Collinet, Melvin Lasky, Sidney Hook, Denis de Rougemont... Cinq orateurs sont cooptés [8]. Ils sont chargés de donner les lignes directrices de l’idéologie anti-communiste du Congrès pour la liberté de la culture lors de la séance inaugurale. La conférence de Milan va rendre évidente la fracture entre les deux tendances. Les architectes de l’organisation, pour la plupart des intellectuels new-yorkais issus des rangs trotskistes, tentent de rallier des libéraux, mais surtout des hommes de la gauche non-communiste (comme Léon Blum en France). En 1955, le Congrès s’engage ouvertement dans la voie social-démocrate ; le succès du discours inaugural de Hugh Gaitskell, leader travailliste anglais, témoigne de cette orientation. Pour lui, le Welfare state est compatible avec la démocratie politique, thèse en parfaite contradiction avec les théories autrichiennes de Mises. Le quatrième orateur, Hayek, prend la parole au nom des ultra-libéraux et rappelle que la propriété est l’unique droit qui vaille la peine d’être défendu, faisant ainsi référence aux droits sociaux évoqués par Hugh Gaitskell [9]. La conférence de Milan se conclut par la victoire idéologique des « travaillistes » et par la marginalisation des ultra-libéraux qui se replient sur les think tanks, organisations chargées de convertir les élites économiques à la philosophie néo-libérale.

Du colloque Walter Lippman à la Société du Mont-Pèlerin : la naissance d’un think tank international

Le colloque Walter Lippman [10] (1938) auquel participent Mises et Hayek est l’occasion de rassembler des universitaires libéraux hostiles au fascisme, au communisme et à toutes les formes d’interventionnisme économique de l’État. Le livre de Walter Lippman [11]. En 1920, il fonde le New Republic, il devient ensuite éditorialiste au New York Herald Tribune. À partir du début des années 60, il écrit dans Newsweek. Sa pensée politique libérale et conservatrice a influencé les intellectuels du Congrès pour la liberté de la culture.]] , The Good Society, constitue le manifeste temporaire, en attendant La route de la servitude, de ce groupe d’intellectuels relativement marginalisés à l’époque du keynésianisme triomphant. Selon Walter Lippman, le collectivisme est la racine commune des totalitarismes fasciste et communiste. Les gouvernements des démocraties occidentales, en s’engageant dans des politiques économiques de relance, cèdent à la tentation du planisme car il n’existe pas -cette idée constitue la clé de voûte de la philosophie autrichienne initiée par Mises- de « voie moyenne » entre le libéralisme et le collectivisme. Ainsi Louis Rougier [12], professeur de philosophie à l’université de Besançon et principal organisateur de la réunion déclare : « Le drame moral de notre époque, c’est l’aveuglement des hommes de gauche qui rêvent d’une démocratie politique et d’un planisme économique sans comprendre que le planisme implique l’État totalitaire. Le drame moral de notre époque, c’est l’aveuglement des hommes de droite qui soupirent d’admiration devant les régimes totalitaires, tout en revendiquant les avantages d’une économie capitaliste, sans se rendre compte que l’État totalitaire dévore la fortune privée, met au pas et bureaucratise toutes les formes d’activité économique du pays ». Hommes de droite et hommes de gauche sont ainsi renvoyés dos-à-dos suivant un argument unique : le planisme est totalitaire. La pensée de Hayek repose sur le même principe vulgarisé dans le célèbre Route de la servitude. Le raisonnement justifie la construction d’une avant-garde libérale capable de lutter intellectuellement (dans un premier temps) contre l’hégémonie des pratiques inspirées de la pensée de Keynes.
Le colloque Walter Lippman aboutit à un projet international de promotion du libéralisme. Lippman, Hayek et Röpke sont chargés de créer des organisations aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Suisse.
En 1947, dans la logique du plan Lippman, Hayek participe activement à la fondation de la Société du Mont-Pèlerin qui « constitue en quelque sorte la maison-mère des think tanks néo-libéraux » [13]. Un homme d’affaire suisse, Albert Hunold, permet de concrétiser les propositions de Hayek qui désire mettre en place un « forum libéral international » et de Wilhem Röpke qui cherche à lancer une revue internationale. Hunold réunit des industriels et des banquiers suisses afin de financer le think tank libéral [14] . Il rassemble des intellectuels issus de courants variés mais qui partagent la même croyance dans l’équilibre spontané du marché : des monétaristes comme Milton Friedman [15], des membres de l’école du Public choice (James Buchanan) ainsi que des personnalités associées au courant néo-autrichien. Les réunions internationales sont financées, dans un premier temps, par les fondations Relm et Earhart [16]. La Société du Mont-Pèlerin reçoit ensuite le soutien de l’ultra-conservatrice fondation John Olin, Lilly endowment, la fondation Roe, le Scaife family charitable trust et la Fondation Garvey.
La société du Mont-Pèlerin prêche durant vingt-cinq ans dans le désert. Les idéologues néo-libéraux demeurent isolés dans un contexte de consensus interventionniste. Il faudra attendre la crise du keynésianisme pour que les idées de Hayek s’imposent parmi les élites politiques. La Grande-Bretagne constituera le terrain de la mise en pratique des mesures préconisées.
Fondé en 1955, l’Institute of Economic Affairs (IEA) travaille à vulgariser les thèses de Hayek et du monétarisme en ciblant principalement les milieux patronaux (qui restent longtemps méfiants) et financiers. Ralph Harris, qui fut directeur de l’organisation, est anobli dès 1979 par Margaret Thatcher.

La « révolution conservatrice » britannique

À la fin des années soixante, on décèle les premiers signes de la crise de société qui va faire basculer la Grande-Bretagne vers la « révolution conservatrice » orchestrée par Margaret Thachter. La stagflation, combinaison inédite de chômage et d’inflation, conduit à remettre en question le paradigme keynésien (notamment l’équation de Philips qui conclut sur l’arbitrage entre inflation et chômage). Avec la crise, les théories de la Société du Mont-Pèlerin et de l’IEA se développent et reçoivent un accueil de plus en plus favorable dans les cercles patronaux et politiques. Les deux organisations diffusent les idées de la primauté de la lutte contre l’inflation, du caractère utopique des politiques de plein-emploi, de la sur-puissance syndicale, des conséquences nocives des politiques économiques. En 1970, l’IEA publie la thèse quantitative de la monnaie de Milton Friedman qui constitue une condamnation radicale de la politique monétaire keynésienne. Friedman préconise la réduction des déficits de l’État afin de contrôler l’augmentation de la masse monétaire.
Dans les années soixante-dix, qui sont les années de la conversion pour de nombreux hommes politiques britanniques, on assiste à un rapprochement entre les conservateurs et les libéraux, un mariage entre les héritiers de Burke et de Smith.
Afin de soutenir cette dynamique de conversion libérale, des membres du Parti conservateur (dont Margaret Thatcher et Keith Joseph) créent le Centre for Policy Studies, en 1974. En 1977, une autre organisation voit le jour : l’Adam Smith Institute. La Grande-Bretagne entre dans une période de « révolution conservatrice ». La victoire de Thatcher en 1979 consacre la réussite des think tanks néo-libéraux. Des membres de ces organisations tels que Geoffrey Howe et Nicholas Ridley constituèrent les piliers des gouvernements conservateurs [17].
Cette rapide histoire des think tanks néo-libéraux souligne le poids politique des conceptions économiques de Hayek. À partir de la Société du Mont-Pèlerin, il a su imposer son idée de l’État (minimal, sans aucun pouvoir d’intervention économique) et du marché (« laisser-faire »). Preuve de son hégémonie intellectuelle, il reçoit le prix Nobel en 1974, puis le voit attribuer à six de ses amis ultra-libéraux : Milton Friedman (1976), George Stigler (1982), James Buchanan, Maurice Allais (1988), Ronald Coase (1991) et Gary Becker (1992). D’une certaine façon, c’est le programme qu’il avait formulé dans son ouvrage La Constitution de la liberté, qui s’est imposé comme « pensée économique unique » à la fin du XXe siècle.

 


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