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novembre 09, 2014

DU BON USAGE DES IDEES COMMUNAUTARIENNES EN MILIEU LIBERAL - Le Débat

L'Université Liberté, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Sans rentrer dans le fond de la discussion, et sans poser la question de leur valeur objective, je voudrais parler du bon usage des idées communautariennes en milieu libéral,. Un peu à la manière de Pascal qui parlait du bon usage des maladies. Il y a un usage homéopathique qui permet de guérir le mal libertarien par le mal communautarien. Cet usage curatif des idées communautariennes peut s’observer à trois niveaux. 

Du fait que les communautariens n’ont pas la même répulsion que les libéraux devant ce qui est collectif, public et étatique - en milieu libéral, la seule prononciation de ces mots provoque un malaise - ils nous invitent à une conception un peu moins primitive du rôle de l’Etat et à admettre une certaine légitimité étatique qu’un trop long combat contre le socialisme ou l’excès d’Etat a fait perdre de vue à la plupart des libertariens. 

Premier aspect donc : une certaine relégitimation du rôle de l’Etat dont les libertariens ont, à mon sens, bien besoin. 

Deuxième niveau : les idées communautariennes invitent les libertariens à une révision épistémologique déchirante, puisqu’il s’agit d’intégrer dans leur champ scientifique les phénomènes collectifs. Là aussi, il y a des mots qu’il est difficile de prononcer en milieu libéral. J’ai même vu des gens se reprendre lorsqu’ils prononçaient le mot société parce qu’il ne renvoie pas nécessairement à une réalité estampillée par tous les douaniers libertariens. A cause de cette difficulté à employer certains mots, on est sur le point de créer une novlangue libérale alors que la novlangue n’appartient pas a priori à la terre libérale. 

Troisième niveau : les communautariens invitent les libertariens à réinvestir une plus juste conception des rapports entre l’individu et la société, entre l’intérêt général et l’intérêt particulier, entre le bien propre et le bien commun dans la ligne d’une théorie politique classique. Sur le premier point je voudrais prendre un exemple qui nous incite à adopter une vison plus juste de l’Etat. 
Je cite un libertarien, James Bidinotto qui révise un peu ses conceptions sur l’Etat. Dans la revue The Freeman de décembre 1994, il a écrit un petit article intitulé « The real enemy of liberty » :  

« Selon les sondages, la criminalité est une des principales préoccupations du public, mais curieusement le problème a été peu examiné par les tenants d’un système de libre marché. A lire des journaux libertariens, on aurait l’impression que les problèmes de criminalité seraient créés artificiellement par l’intervention des réglementation étatiques et l’illégalité de la drogue. En l’absence de telles interventions, le crime disparaîtrait. » 

 Il précise que  

« les gens ne commettent pas de crimes à cause de lois stupides qui les forcent à les commettre ou à cause de facteurs environnementaux. La criminalité est la simple conséquence de valeurs choisies et, aujourd’hui, les vagues de crimes sont le résultat de décades de destruction des valeurs culturelles et morales fondamentales. » 

Pourquoi avons-nous si peu de libertariens qui examinent le problème du crime ? Selon Bidinotto, la raison tient au fait qu’ils appliquent à l’examen de la violation des droits individuels un double standard. Les partisans du libre marché pensent le gouvernement comme l’ennemi des droits individuels et de la liberté. Bien sûr, un Etat illimité est certainement le pire ennemi des droits individuels (comme l’histoire sanglante du XXème siècle l’a prouvé), mais à dénoncer avec véhémence les violations gouvernementales du droit, les libertariens en viennent à ignorer les maux mêmes que les gouvernements ont pour objet d’éradiquer, à savoir les violations individuelles des droits privés. Il ajoute : 

 « Comme les Pères Fondateurs le savaient, le gouvernement a un rôle légitime, c’est de répondre à la force à toute tentative de coercition. Mais beaucoup de partisans du laissez-faire, habitués à voir le gouvernement comme l’ennemi en soi, n’ont pu admettre qu’il y avait place pour une forte intervention gouvernementale contre les violations privées des droits individuels. »  

C’est l’usage des idées communautariennes que je voulais citer : il s’agit d’aider les libéraux à admettre une légitimité du rôle de l’Etat. D’autant plus légitime qu’il sera concentré sur ses missions fondamentales et qu’il sera moins corrompu dans son fonctionnement. 

La novlangue libertarienne
Deuxièmement, d’un point de vue épistémologique, on a assisté en milieu libertarien à une certaine dérive, parce que les libertariens ont rendu absolu un principe vrai relativement. Je fais référence au libéralisme ontologique d’une certaine pensée libertarienne qui va au-delà de l’individualisme méthodologique. Elle en est venue à défendre une conception tronquée du réel qui vise à substituer au langage habituel, même philosophique, une quasi novlangue. Des termes sont proscrits, d’autres sont tolérables ou ne le sont pas selon l’oukase du censeur libéral. Je cite les mots « social », « collectif », « société », « entreprise » (il n’y a pas d’entreprises, il n’y a que des entrepreneurs, entend-on volontiers). La société n’existerait pas plus que l’entreprise, la ville, la rue, la France (toutes ces expressions étant prises dans un sens métonymique). Le marché lui-même d’ailleurs serait alors une fiction, tandis qu’il est une réalité, non pas substantielle, mais collective par définition. Je dirais même qu’il représente le collectif libéral à l’état pur. Si on exclut du champ épistémologique toutes ces entités collectives, on ne voit pas comment il pourrait y avoir un objet de la psychologie collective : comment Le Bon pourrait analyser la psychologie des foules (1895) ?
N’ayant pas peur des mots « famille », « communauté », « religion », « sentiment », « nation », qui renvoient à l’expérience sociale de l’individu, les communautariens invitent à leur réintégration dans le domaine de l’admissible et à l’adoption d’une pensée plus subtile que celle de certains libéraux contemporains. Ces derniers sont en cela des infidèles héritiers d’une tradition aristotélo-thomiste à laquelle ils empruntent néanmoins le principe de l ’individualisme méthodologique. Certes, l’individu est le « proton on » (l’être premier) chez Aristote (selon, cette fois, sa Métaphysique), c’est-à-dire qu’il existe d’abord et certes, pour Saint-Thomas, il n’est pas de société qui existe en dehors des individus, mais pour les deux philosophes, la société existe ... sous la catégorie « accidentelle » de la relation, comme réseau de relations dans lequel l’individu n’est qu’un noeud, dont l’existence est plus passagère que le tout dans lequel il s’insère. 

La société existe
En ce sens, je tiens à affirmer que la société existe, mais pas substantiellement comme l’individu. Les libéraux doivent appréhender la réalité plus subtilement : il y a des entités morales et collectives, des réseaux relationnels et nous ne pouvons nous concevoir en dehors de ces réalités. L’entreprise existe : il y a donc un bien commun de l’entreprise en dehors du bien de son dirigeant. La nation existe et son intérêt ne se confond pas avec celui de General Motors. De ce fait, les communautariens réintégrant le social spontané (par exemple la famille très nécessaire à l’individu) et le social artificiel (par exemple l’association) donnent un autre aperçu sur l’excès contemporain d’Etat. Les communautariens ont une explication de ce phénomène qui me parait intéressante en milieu libéral. J’en donne un exemple à partir d’un autre article de Klein tiré du Freeman de la même date qui s’intitule « Du libertarianisme comme communautarisme ». (Entre nous, il n’y a pas de meilleur modèle libéral que le monastère en fait puisqu’il est une organisation fondée sur l’engagement volontaire par lequel on se soumet librement à une discipline stricte, voire très stricte. Le modèle libéral que je propose à mes amis libéraux et libertariens, c’est le monastère. C’est un modèle libéral (bien que communiste) parce que volontaire, beaucoup plus permanent que Woodstock ou l’assemblée générale de la Société du Mont Pèlerin. 

Etzioni, cité par Klein, dit : « le lien des membres d’une communauté lui permet de rester indépendante de l’Etat. » L’ancrage des individus - l’encastrement est peut-être une traduction un peu forte d’ « embeddedness » - dans des familles viables, les réseaux d’amitié, les communautés de foi, les réseaux de voisinage, bref dans des communautés concrètes, les soutient et leur permet de résister aux pressions de l’Etat. C’est peut-être l’absence de ces fondements sociaux qui isole les individus et les soumet à des pressions totalitaires. Cette explication nous renvoie effectivement à la pensée des corps intermédiaires des contre-révolutionnaires qui analysent une réalité qu’ils ont sous les yeux - la destruction du monde des corporations par le décret d’Allarde et l’interdiction des associations par la loi Le Chapelier - et donc ils voient des individus désolidarisés, en déshérence sociale, perdus. On verra par la suite, et à cause de cette destruction, les liens communautaires se reconstituer artificiellement par l’intermédiaire du socialisme. Je pense qu’on ne peut rejeter leur analyse sous le seul prétexte de leur engagement contre- révolutionnaire au XIXème siècle ; la preuve en est que le terme de corps intermédiaires qui était considéré il y a quinze à vingt ans comme réactionnaire a été incorporé dans toute la sociologie positive contemporaine. 

L’homme comme animal politique
Le troisième niveau du bon usage des idées communautariennes consiste en ce qu’elles invitent les libertariens à la réappropriation d’une théorie politique plus classique fondée sur une définition de l’homme comme animal politique. Ce n’est pas parce que qu’elle est classique que cette théorie est plus intéressante ; mais parce qu’elle est plus juste, plus profonde et plus explicative de la réalité si on se place d’un point de vue phénoménologique - c’est-à-dire tel que nous pouvons la vérifier nous-mêmes expérimentalement. Un retour sur la réalité de l’essence de l’homme, des rapport des individus à la société, de l’intérêt général et de l’intérêt particulier - qui sont les termes modernes du bien commun et du bien propre - nous invite à dépasser l’opposition un peu sommaire de modèles de philosophie politique eux-mêmes un peu primaires, que sont l’individualisme d’une part et le collectivisme d’autre part : philosophies qui mènent à cette confrontation un peu stérile du libéralisme et du socialisme comme doctrines politiques. 

Pour le collectivisme, modèle de philosophie politique sous-jacente au socialisme, seule la société existerait réellement et l’individu n’existerait pas ou ne devrait pas exister. L’intérêt individuel est donc absorbé par l’intérêt général. Pour l’individualisme ontologique, le seul qui vaille, seuls les individus existeraient, en conséquence de quoi l’intérêt général se ramène à la somme des intérêts individuels. Si on prend au sérieux la définition de l’homme comme animal politique, ces constructions ne résistent pas à la critique. Si l’homme est un animal politique et social (la traduction de Saint-Thomas de l’animal politique d’Aristote est l’animal politique et « civil »), ma perfection individuelle passe par « l’épanouissement » social de ma personne. L’homme se réalise dans son essence individuelle lorsque toutes ses potentialités d’animal social sont actualisées, à savoir lorsqu’il est bon fils, bon mari, bon patron, bon ouvrier, bon professionnel, bon dirigeant politique, etc. En revanche, l’individu ne se réalise pas pleinement indépendamment, et comme à l’écart de tous ses rôles, de toutes ses dimensions sociales et de toutes ses communautés, y compris de la société politique dans laquelle s’insèrent et dont dépendent d’une certaine manière toutes les collectivités d’ordre inférieur, lesquelles sont influencées par les lois positives déterminées au niveau de la société politique. 

On pourrait dire que « je » va bien lorsque sa vocation sociale est accomplie sous toutes ses facettes et que, privé de cet accomplissement « je » s’étiole et se déssèche. « Je » est bien avec autrui lorsque cela va bien avec autrui. 

Comment peut-on dépasser ce double modèle primaire de l’individualisme et du collectivisme ? En voyant que le bien commun et le bien propre, loin de s’exclure et de s’opposer, s’incluent et se complètent. Le bien commun est au coeur de mon bien propre et j’ai besoin de la satisfaction du bien commun de toutes les sociétés auxquelles je participe, pour être bien moi- même. Cela donne du sens à mon action : mon perfectionnement apporte aux sociétés auxquelles je participe : leur perfectionnement concourt à mon propre bien. Bien propre et bien commun sont (réciproquement) solidaires (même si
nous ne le voulons pas). A défaut de cette compréhension, individualisme et collectivisme apparaissent comme deux erreurs par excès, symétriques et inverses. Et libéralisme absolu et socialisme peuvent encore longtemps continuer leur débat hémiplégique. 

Le bien commun et l’intérêt général
Dernière remarque hérétique : le bien commun et l’intérêt général existent-ils ? En milieu libéral, cette question est audacieuse, la réponse, toute prête, fuse immédiatement: l’intérêt général n’existe pas. Je pense au contraire que l’intérêt général existe à sa manière (et donc pas comme une chose) et que l’on doit critiquer son dévoiement par un certain nombre d’intérêts particuliers qui en font une interprétation innocemment ou volontairement trompeuse ou abusive. Le bien commun et l’intérêt général, qui est sa formulation moderne, existent. La preuve en est que si une critique libérale d’une société et de son organisation positive est menée, c’est bien parce qu’elle présuppose que le droit positif existant prive la société d’un bien supérieur qu’elle pourrait atteindre et dont, pour les raisons déjà invoquées, « je » pourrait profiter et d’autres aussi et la société française tout entière. C’est pour cela que les libéraux entrent légitimement en « politique » et non seulement pour maximiser leur intérêt individuel et leur profit personnel (ou bien je n’en suis plus). Voilà ce que je voulais dire du bon usage homéopathique des idées communautariennes en milieu libéral, à mes risques et périls.
 
Par Bernard CHERLONNEIX


Dans mon métier je m'occupe de "noter" les entreprises, nous sommes en effet une grande agence de rating, je prends le pouls de l'économie locale chaque mois et je m'occupe des difficulté financières des particuliers. A la croisée des mondes banques, administrations, organismes publics comme OSEO,entreprises,consulaires, nous sommes idéalement placés pour créer de la valeur par la mise en relation des acteurs et la valorisation de nos informations statistiques.

Je suis universitaire et chercheur en économie à temps partiel, conférencier et auteur d'articles pour des revues d'économie ou des revues d'idées (Commentaire, Sociétal, Revue Politique et Parlementaire).

Je viens d'écrire plusieurs chroniques politiques dans La Croix autour du thème du principe de subsidiarité par exemple, mais aussi sur le sujet du désendettement et de la place de l'éthique dans une bonne gouvernance.


Mon Blog : http://bernardcherlonneix.wordpress.com/ 


LE DEBAT 

Philippe NATAF :
J’ai été intrigué par ce qu’a dit Bernard Cherlonneix à l’instant au sujet de Bidinotto. Il se trouve que je connais très bien Bidinotto, et il n’est certainement pas communautarien. C’est un libéral classique qui critique le libertarianisme à tendance anarchiste. A part cela, Bidinotto est aussi libertarien que les autres. Il ne faut pas croire qu’il est communautarien. 

Alain de BENOIST :
Dans cette discussion il y a un fond philosophique que l’on ne va pas aborder, car cela nous entraînerait trop loin. Alain Laurent disait à juste titre qu’il ne faut pas caricaturer le libéralisme. Il est possible que certains auteurs communautaristes l’aient fait. Pour moi, qui ne suis pas un libéral, le problème est souvent celui du vocabulaire ou de l’orientation. Il est vrai que « libéral » aux Etats-Unis signifie pratiquement le contraire du « libéral » au sens européen. C’est un paradoxe, mais il y a à cela des raisons historiques. 

D’autre part, comme l’a remarqué Alain Laurent, il y a des nuances et des écoles libérales ; l’utilitarisme par exemple n’est qu’une variante parmi d’autres qui n’est pas identique aux autres, tant s’en faut. De ce point de vue, notre discussion est riche d’enseignements car, sauf erreur de ma part, j’ai entendu au moins trois variétés de libéralisme ce soir, rigoureusement antagonistes les unes par rapport aux autres. Je ne prends qu’un exemple : la nature humaine existe ou n’existe pas ; les deux points de vue ont été défendus. Le discours réconciliateur de Bernard Cherlonneix a introduit encore d’autres nuances dans l’affaire. 

Lorsqu’on voit les différentes variétés de libéralisme qui existent, l’on se demande qu’est-ce qui permet de considérer que, en dépit de leur variété, ils sont tous des libéralismes ? Quel est le point commun ? 

Il ne faut pas tomber dans la démarche inverse et caricaturer le communautarisme en le rapprochant indûment de toute une série de phénomènes d’apparence communautaire que l’on rassemblerait sous le paradigme du holisme, pour reprendre la distinction excellente de Louis Dumont. On peut le faire, bien entendu, au sens de l’idéal-type pour voir comment le macro-modèle du holisme s’oppose à celui de l’individualisme. Cela dit, une fois qu’on le rapporte à l’histoire, on se rend compte qu’il y a des différences considérables. Si l’on fait une catégorie fourre-tout où l’on met l’Ancien Régime, les camps du communisme stalinien, la Contre-révolution française et les communautariens américains, l’ensemble ne sera pas très pertinent au plan de sa signification politico-historique concrète. 

Ainsi, lorsque Alain Laurent dit que le communautarisme n’est pas nouveau, il a raison. Or l’on ne peut pas dire que ce soit la même chose qui revient tout le temps. On a cité les noms de Bonald, de Maistre, de Maurras ... La comparaison est justifiée lorsqu’il s’agit des contre-révolutionnaires français ; dans le cas de Maurras, cela me paraît beaucoup plus douteux. Maurras est surtout un nationaliste. Or ce qui frappe dans le communautarisme tel que nous le discutons aujourd’hui, c’est qu’il est fondamentalement anti- nationaliste. A certains égards, il rejoindrait même certains libertariens. 

Prenons un exemple de l’actualité politique française immédiate. Question : doit-on reconnaître officiellement l’existence d’un « peuple corse » ? Un communautarien répond oui, un nationaliste non. Autre exemple : la communauté maghrébine en France doit-elle se voir reconnaître une existence en tant que telle dans la sphère publique (et non seulement sa différence culturelle, ethnique, religieuse, etc) ? Un communautarien répond oui, un nationaliste non. Faisons attention à ne pas transposer des exemples que nous connaissons, et ne croyons pas non plus que le communautarisme est de droite. Il est possible de trouver des éléments proches du communautarisme dans le marxisme, par exemple. Et n’oublions pas que le communautarisme dont nous parlons est américain. Toute cette discussion n’a de sens que rapportée dans une large mesure à la problématique américaine : problème du multiculturalisme, des communautés aux Etats-Unis, la discussion extraordinaire suivant la publication de l’ouvrage de John Rawls dont l’ampleur n’est pas bien perceptible en Europe, puisque nous n’en avons eu qu’un écho relativement abouti. 

En ce qui concerne les communautariens américains, il ne faudrait pas non plus caricaturer leur discours. D’abord, les communautés américaines ne sont pas nécessairement des communautés d’origine. C’est là une grande différence par rapport à la pensée sociologique européenne qui a souvent été une pensée à forte impregnation historico-ethnique. Aux Etats-Unis, ce sont des communautés d’habitat qui à bien des endroits sont parfaitement multiraciales. En second lieu, représenter l’idée communautarienne, ou même l’idée de communauté tout court, comme porteuse d’une sorte de menace castratrice d’assignation à résidence, ou d’alignement obligatoire, ne correspond pas à la réalité. 

Je suis autant qu’Alain Laurent attaché à l’esprit critique et hostile à la morale de troupeau. Les communautariens américains admettent parfaitement que l’on parte de sa communauté ou que l’on soit en dissidence avec elle. Les communautariens ne prétendent pas que nous sommes enfermés dans nos appartenances et que la dimension individuelle n’existe pas. Ils disent simplement qu’il existe une pondération forte de ce contexte dans lequel nous sommes pris. Je peux parfaitement dire que j’exècre la France, que c’est un pays peuplé d’imbéciles et que je préfère de loin les Italiens ou les Anglais ; or les communautariens vont dire que je tiens ce discours en tant que Français. L’idée communautariste est que nous avons trop mis l’accent sur l’individu, que la dimension de l’appartenance collective est devenue indiscernable et qu’il faut la réhabiliter parce qu’elle répond à un besoin humain. 

André BERTEN :
Le communautarisme américain est lié à des orientations idéologiques et politiques importantes. Un article récent de Ronald Dworkin concernant la jurisprudence de la Cour Suprême fait état de deux tendances : l’une, libérale, vise à donner une extension de plus en plus universelle à la notion de droits (exemple des droits civiles, ou des droits des homosexuels) ; l’autre, soutenu par les communautariens, i fait appel à la tradition des Pères fondateurs. Je ne pense pas que ce soit simplement la reconnaissance de communautés de quartier etc, mais cela touche les questions telles que l’avortement, le divorce, les minorités.
Dworkin a fait une série d’articles sur la pornographie, et l’on peut évidemment discuter du rôle des féministes, mais quelles que soient les positions prises, l’argument communautaire consiste à dire que la pornographie ne fait pas partie de notre culture, et que par conséquent elle ne doit pas être autorisée. 

Alain de BENOIST :
C’est vrai que les communautariens sont probablement un peu moins pernicieux. Cela dit, certains auteurs se bornent à dire que, si une communauté décide qu’elle ne veut pas de pornographie pour une raison ou une autre, elle a le droit de la bannir. A l’inverse, si une autre communauté veut autoriser la pornographie, pourquoi pas ? Le point fort de l’argumentation communautarienne est le désir de reconnaissance d’une identité collective en tenant compte évidemment de la multi-appartenance. Alain Laurent donnait un exemple très judicieux en parlant de la Nation : est-ce que ma nation a toujours raison ? Quoique sympathisant avec les communautariens, je réponds non. 

Alain LAURENT :
Il y a certainement dans l’histoire des idées des « pré- communautariens » de gauche. Je pense à Pierre Leroux, inventeur de la notion de communisme. Il faudrait sans doute s’intéresser aux interférences entre communisme et communautarisme ; je me demande parfois si le dernier n’est pas une forme résurgente du premier. 

En ce qui concerne la Corse, il est évident qu’un nationaliste français ne sera pas d’accord avec les revendications des Corses. Or les nationalistes corses seraient alors des communautariens, puisqu’ils sont prêts d’expulser tous les malheureux qui ne sont pas « indigènes ». 

Sur les communautariens américains, il est vrai que le terme « community » renvoie à une appartenance de base, mais avec des aspects terrifiants, notamment le contrôle social et le conformisme qui peuvent exister. Pour les Américains, dans la tradition, oser dissimuler quoi que ce soit de la vie familiale aux autres est quelque chose d’odieux : il doit y avoir un regard communautaire et une transparence. Au point de se demander si la vie privée et
l’individualisme existent réellement aux Etats-Unis. 

Alain de BENOIST :
Oui, mais une communauté traditionnelle de Calabre ne répond pas à la définition de « community » américaine, par exemple. 

Angelo PETRONI :
Cela dépend ; il y a tellement de Calabrais aux Etats-Unis ... La Calabre est effectivement un modèle excellent de communauté (autodéfense etc) ... 

Alain LAURENT :
Prenons le fait qu’on parle désormais de la « communauté homosexuelle » ou de la « communauté des Beurs ». Cela signifie qu’à partir d’une certaine particularité (ethnique ou sexuelle par exemple) l’individu est tenu comme solidaire d’un ensemble artificiellement constitué. Si j’étais homosexuel ou Beur, je protesterais avec la dernière énergie contre le fait de vouloir m’assigner à priori tel comportement ou telle solidarité uniquement à partir d’un trait particulier qui existerait par hasard. On sait d’ailleurs que pour un certain nombre de jeunes immigrés, le fait d’être catalogués comme « Beurs » les fait réagir d’une façon négative. Ils se veulent comme libres individus et ne désirent pas traîner telle ou telle étiquette à vie derrière eux. 

Alain de BENOIST :
En effet, le milieu maghrébin déteste l’appellation de « Beurs ». L’exemple est très bon, car il existe des Maghrébins qui ne se reconnaissent pas dans cet ensemble et qui veulent en sortir, ce qui est leur droit. Mais il s’agit de savoir si l’on est prêt à reconnaître l’existence collective de ceux qui ont fait le choix inverse. 

Alain LAURENT :
Et comment va-t-on reconnaître dans la rue les « immigrés communautaires » ? Le langage actuel revient à les assimiler tous de force comme appartenant à cette communauté. A partir du moment où l’on pose comme préalable la liberté de l’individu de se déterminer, le fait de jouer sur une particularité quelconque, affectée d’autorité de l’extérieur, revient à une assignation. Lorsqu’on parle de la « communauté maghrébine de France », de qui parle-t-on ? 

Alain de BENOIST :
Prenons un exemple où l’appartenance n’est pas visible, celui de la communauté juive. Celle-ci regroupe des gens qui se reconnaissent comme membres d’une communauté. D’autres, aussi juifs que les premiers, ne veulent rien savoir de cette communauté, ce qui est leur droit le plus strict. Il y a donc deux démarches, mais le fait est que certains juifs français veulent appartenir et se déclarer solidaires d’une appartenance à la communauté juive ; c’est également leur droit le plus strict. Il ne s’agit d’aucune façon d’enfermer qui que ce soit ou d’assigner de force à quelqu’un une appartenance. C’est de reconnaître - et la reconnaissance est le fond du raisonnement de Taylor - à tort ou à raison le droit de ces gens de se sentir solidaires d’une communauté. 

Alain LAURENT :
En quoi la société libérale empêche-t-elle ce phénomène ? 

Alain de BENOIST :
Je dirais - et ce n’est pas une boutade - que ce qui empêche les communautariens de s’organiser aussi facilement que l’on voudrait, ce sont peut-être les mêmes contraintes de structure qui empêchent les libertariens aux Etats-Unis d’en faire autant. 

Angelo PETRONI :
Je suis d’accord qu’il y a probablement tant de communautariens que l’on peut choisir les significations que l’on veut. Mais il ne faut pas non plus pousser le relativisme. Monsieur Berten a parfaitement raison. Vous faites de la communauté un concept trop simpliste, car transversale et sans territoire. Or il existe des territoires communs. C’est tout le problème de la vaine pâture : je ne veux pas de pornographie dans ma communauté, soit. Mais si je veux bannir la pornographie de mon quartier ou de ma région, d’autres problèmes vont se poser. Et il en va de même pour la ségrégation ou l’intégration raciale. 

Alain de BENOIST :
Oui, mais nous connaissons le résultat en ce qui concerne les Etats- Unis : il y a des quartiers blancs et des quartiers noirs. Ce n’est pas l’assignation : c’est le résultat soit du choix volontaire, soit du poids de facteurs sociologiques. Il y a un habitat préférentiel. Il ne faut pas envisager les choses d’une manière nécessairement antagoniste. 

Lorsque ce débat a démarré aux Etats-Unis, on avait l’impression d’observer deux camps tout à fait tranchés. Or dans les ouvrages publiés actuellement, avec une qualité de débat que l’on aurait du mal à trouver en France, très souvent ces livres essaient de trouver des voies de dialogue et de dire que les libéraux, les libertariens et les communautariens ont des points communs et des ennemis communs. Certains communautariens s’ouvrent aux arguments libéraux ; certains libertariens s’interrogent pour savoir s’il y a des éléments communautariens à retenir. Je ne voudrais pas essayer de masquer l’existence de divergences philosophiques fortes, mais rapporté à l’état actuel du débat l’on se rend compte qu’il ne s’agit pas de deux camps qui s’opposent d’une façon rigoureuse. 

Angelo PETRONI :
Tout à fait d’accord. Il existe des ouvrages montrant que le libéralisme est mieux à même de défendre des communautés, comme la communauté indienne aux Etats-Unis, par exemple. 

André BERTEN :
Un des grands reproches faits aux libéraux par les communautariens est que leur définition de la justice est purement formelle, qu’elle manque de substance. Alain Laurent a dit que les libéraux avaient au contraire une conception substantielle de la liberté et de la justice ; mais il a ajouté que le bien commun consiste pour chacun à pouvoir choisir sa propre définition de la vie bonne. Or, les communautariens rétorquent que cette possibilité de choix est justement formelle et non pas substantielle. J’ai été par la suité intrigué par ce qu’a dit Bernard Cherlonneix sur le bon père de famille, le bon patron, le bon ouvrier etc, car ces catégories supposent l’existence d’un modèle concret. Ainsi, je ne vois pas comment les libéraux peuvent revendiquer la notion d’une liberté substantielle. 

Alain LAURENT :
Il me semble que les communautariens interprètent le terme « substantiel » trop à la manière d’un contenu bien déterminé. J’aurais tendance à prendre le mot « substance » au sens étymologique, c’est-à-dire quelque chose qui se tient d’une manière ferme sous les apparences. Par conséquent, une valeur forte me paraît être en elle-même substantielle : elle n’est pas vide de contenu. Elle n’est pas non plus purement procédurale. 

De même, je ne suis pas d’accord avec le procès intenté contre Kant par les communautariens : la philosophie kantienne me paraît être en elle-même substantielle. Kant, comme les libertariens, pose que l’être humain par nature est une fin en soi. La querelle porte sur l’interprétation du terme « substantiel » que je trouve être beaucoup trop déterminant dans la phraséologie communautarienne. Dans le monde libéral ou libertarien, le fait que l’individu dispose du droit de s’autodéterminer a une consistance substantielle. 


Individu

De Wikiberal
 
L'individu est un être considéré comme une unité distincte, indépendante (un "in-dividu" ne peut être ni partagé ni divisé).
L'individualisme libéral met l'individu au centre de l'éthique, du droit et de l'économie, comme primordial par rapport à toute formation sociale. L’individu doit être considéré comme un fin en soi et non comme un moyen, ce qui minimise l’action possible de l’État ; la pleine propriété de soi donne alors à la responsabilité toute son effectivité.
Même les socialistes reconnaissent à présent le rôle primordial et l'importance qu'il faut donner à l'individu. Dans un forum intitulé "les socialistes et l'individu"[1], ils écrivent que l’individu « ne peut s’entendre comme un atome isolé mais un être social, fraternel ». Constatant « l’aspiration indéniable à une plus grande prise en compte des situations personnelles dans les politiques publiques », les rapporteurs soulignent que « le libéralisme ne conteste ni l’importance du lien social ni la nécessité d’une régulation politique de l’économie de marché » et opèrent un distinguo avec « le néolibéralisme, destructeur ». Bien que cette distinction soit inopérante, il s'agit tout de même d'une évolution notable de la part d'un parti précédemment collectiviste

Objection fréquente

La notion d'individu, disent les critiques, est une abstraction vide de sens. L'homme réel est nécessairement toujours le membre d'un ensemble social. Il est même impossible d'imaginer l'existence d'un homme séparé du reste du genre humain et non relié à la Société. L'homme, comme homme, est le produit d'une évolution sociale. Son caractère éminent entre tous, la raison, ne pouvait émerger qu'au sein du cadre social de relations mutuelles. Il n'est pas de pensée qui ne dépende de concepts et de notions de langage. Or le langage est manifestement un phénomène social. L'homme est toujours le membre d'une collectivité. Comme le tout est, tant logiquement que temporellement, antérieur à ses parties ou membres, l'étude de l'individu est postérieure à l'étude de la société. La seule méthode adéquate pour le traitement des problèmes humains est la méthode de l'universalisme ou collectivisme.
Il s'agit d'une objection étudiée, et réfutée, par Ludwig von Mises dans L'Action humaine (Première partie — L'Agir humain, Chapitre II — Les problèmes épistémologiques des sciences de l'agir humain) :
Tout d'abord nous devons prendre acte du fait que toute action est accomplie par des individus. Une collectivité agit toujours par l'intermédiaire d'un ou plusieurs individus dont les actes sont rapportés à la collectivité comme à leur source secondaire. C'est la signification que les individus agissants, et tous ceux qui sont touchés par leur action, attribuent à cette action, qui en détermine le caractère. C'est la signification qui fait que telle action est celle d'un individu, et telle autre action celle de l'État ou de la municipalité. (...) Si nous examinons la signification des diverses actions accomplies par des individus, nous devons nécessairement apprendre tout des actions de l'ensemble collectif. Car une collectivité n'a pas d'existence et de réalité, autres que les actions des individus membres. La vie d'une collectivité est vécue dans les agissements des individus qui constituent son corps. Il n'existe pas de collectif social concevable, qui ne soit opérant à travers les actions de quelque individu. La réalité d'une entité sociale consiste dans le fait qu'elle dirige et autorise des actions déterminées de la part d'individus. Ainsi la route pour connaître les ensembles collectifs passe par l'analyse des actions des individus.
Comme être pensant et agissant l'homme émerge de son existence préhumaine déjà un être social. L'évolution de la raison, du langage, et de la coopération est le résultat d'un même processus ; ils étaient liés ensemble de façon indissociable et nécessaire. Mais ce processus s'est produit dans des individus. Il a consisté en des changements dans le comportement d'individus. Il n'y a pas de substance dans laquelle il aurait pu survenir, autre que des individus. Il n'y a pas de substrat pour la société, autre que les actions d'individus.
Le fait qu'il y ait des nations, des États et des églises, qu'il existe une coopération sociale dans la division du travail, ce fait ne devient discernable que dans les actions de certains individus. Personne n'a jamais perçu une nation sans percevoir ses membres. En ce sens l'on peut dire qu'un collectif social vient à l'existence par la voie des actions d'individus. Cela ne signifie pas que l'individu soit antécédent dans le temps. Cela signifie seulement que ce sont des actions définies d'individus qui constituent le collectif.
Il n'est pas besoin de discuter si le collectif est la somme résultant de l'addition de ses membres ou quelque chose de plus, si c'est un être sui generis, et s'il est ou non raisonnable de parler de sa volonté, de ses plans, de ses objectifs et actions, et de lui attribuer une « âme » distincte. Ce langage pédantesque est oiseux. Un ensemble collectif est un aspect particulier des actions d'individus divers et, comme tel, une chose réelle qui détermine le cours d'événements.
Il est illusoire de croire qu'il est possible de visualiser des ensembles collectifs. Ils ne sont jamais visibles ; la connaissance qu'on peut en avoir vient de ce que l'on comprend le sens que les hommes agissants attachent à leurs actes. Nous pouvons voir une foule, c'est-à-dire une multitude de gens. Quant à savoir si cette foule est un simple attroupement, ou une masse (au sens où ce terme est employé dans la psychologie contemporaine), ou un corps organisé ou quelque autre sorte d'entité sociale, c'est une question dont la réponse dépend de l'intelligence qu'on peut avoir de la signification que les gens assemblés attachent à leur présence. Et cette signification est toujours dans l'esprit d'individus. Ce ne sont pas nos sens, mais notre entendement — un processus mental — qui nous fait reconnaître des entités sociales.

Citations

« J'ai toujours haï toute nation, profession et communauté ; et tout mon amour va aux individus. »
    — Jonathan Swift
« L'individu ne supporte pas de n'être considéré que comme une fraction un tantième de la société, parce qu'il est plus que cela : son unicité s'insurge contre cette conception qui le diminue et la rabaisse. »
    — Max Stirner
« Si je suis finalement devenu sociologue (comme l’indique mon arrêté de nomination) c’est essentiellement afin de mettre un point final à ces exercices à base de concepts collectifs dont le spectre rôde toujours. En d’autres termes, la sociologie, elle aussi, ne peut procéder que des actions d’un, de quelques, ou de nombreux individus séparés. C’est pourquoi elle se doit d’adopter des méthodes strictement "individualistes". »
    — Max Weber, Lettre à l’économiste marginaliste Lietman, 1920 (citée en exergue du Dictionnaire critique de la sociologie)
« L’historicisation de la notion d’individu est une idée qui semble étrange dès qu’on prend la peine de s’y arrêter, bien qu’elle soit fort répandue. L’être humain n’a-t-il pas le souci de soi et des siens dans toute société ? Le grand sociologue français Durkheim n’éprouve aucun doute sur ce point : « L’individualisme ne commence nulle part », écrit-il : il est de tout temps. Ce qui signifie simplement que les hommes ont de tout temps jugé les institutions (au sens large du terme) à un trébuchet : leur contribution au bien-être des individus. »
    — Raymond Boudon

Relativisme

De Wikiberal
 
Le relativisme est une position philosophique qui soutient qu'il n'existe pas de vérité absolue.

Relativisme et philosophie

Friedrich Nietzsche est considéré comme le type-même de philosophe relativiste. On lui doit les deux formules suivantes :
  • Ce qui a besoin d'être démontré ne vaut pas grand chose.
  • Il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations.
Il faut noter que le relativisme est une opinion paradoxale, si ce n'est auto-contradictoire : l'affirmation que toute vérité est relative est-elle elle-même relative, ou absolue ? Luc Ferry[1] dénonce le "double discours" des relativistes, que leur relativisme n'empêche pas par ailleurs d'énoncer certaines vérités ou de porter des jugements moraux.
Karl Popper souligne que l'attrait du relativisme tient à ce qu'on le confond souvent avec une vérité importante : la faillibilité ("l'erreur est humaine"), qui a joué un rôle important d'un point de vue historique et épistémologique dans la connaissance humaine. Mais du point de vue de la recherche de la vérité, la faillibilité en aucune manière ne peut justifier le relativisme.

Applications du relativisme

La position relativiste s'applique à différents domaines de la connaissance :
  • philosophie et épistémologie (sophistique grecque, scepticisme, criticisme, empirisme, pragmatisme) : il n'existe pas de vérité préexistant à toute théorie scientifique ; ou bien, aucune vérité définitive ne peut être connue ;
  • culture et sociologie (relativisme culturel, historicisme) : il n'y a pas de culture meilleure qu'une autre, ni de comportement ou d'action meilleurs que les autres ; la morale n'est ni absolue ni universelle, elle émerge de coutumes sociales et d'autres institutions humaines ; toutes les opinions se valent ;
  • ethnologie : toutes les civilisations se valent, même le nazisme aurait pu apparaître comme une grande civilisation (Lévi-Strauss) ; "le barbare, c'est l'autre" ;
  • logique : la rationalité n'existe pas, le mode de raisonnement dépend de la personne (polylogisme)
  • morale : toutes les valeurs morales sont équivalentes ("à chacun sa vérité").

Relativisme et politique

Le relativisme ne doit pas être confondu avec la tolérance, car il ne tolère aucune critique ni aucun argument rationnel, puisqu'il les réduit à des assertions elles-mêmes relativistes. Tout énoncé n'est plus que le reflet de la situation sociale, du milieu, de la culture, des préjugés, etc., de la personne qui le formule.
De cette façon, le relativisme ouvre paradoxalement la voie à l'interventionnisme politique. Par exemple, la liberté d'expression peut être réprimée : puisque tous les arguments se valent, on peut en interdire certains, il suffit de décréter que celui qui les émet est motivé par la "haine". Puisqu'une opinion en vaut une autre, la seule chose qui compte finit par être les rapports de force et la loi du plus fort, et sa traduction politique du moment.
Le relativisme se présentant comme une théorie irréfutable, qui n'apporte rien et qui n'explique rien, il ouvre la voie à l'irrationnel et à l'arbitraire politique tel qu'il existe dans les sociétés collectivistes : « la fin justifie les moyens », « tout est politique ». Il n'y a pas de vérité unique, mais des façons de penser différentes : c'est le polylogisme, qui implique que l'on puisse attribuer a priori, à différents individus, différents modes de raisonnement, divers processus rationnels, ou d'inégales capacités logiques, selon leur appartenance à des catégories déterminées. Mises explique comment le marxisme procède de ce genre d'idées (ce qui n'empêche pas les marxistes d'affirmer que leurs "enseignements" sont objectivement vrais) :
« Marx et les marxistes et au premier rang d'entre eux le philosophe prolétaire Dietzgen ont enseigné que la pensée est déterminée par la situation de classe de celui qui pense. Ce que la pensée produit n'est pas la vérité, mais des idéologies. Ce mot signifie, dans le contexte de la philosophie marxiste, un déguisement de l'intérêt égoïste de classe à laquelle appartient l'individu qui pense. C'est pourquoi il est inutile de discuter quoi que ce soit avec des personnes d'une autre classe sociale. Les idéologies n'ont pas besoin d'être réfutées par un raisonnement déductif ; elles doivent être démasquées en dénonçant la situation de classe, l'arrière-plan social de leurs auteurs. Ainsi les marxistes ne discutent pas les mérites des théories physiques ; ils dévoilent simplement l'origine « bourgeoise » des physiciens. Les marxistes ont eu recours au polylogisme parce qu'ils ne pouvaient pas réfuter par des méthodes logiques les théories développées par les économistes bourgeois ou des déductions tirées des théories démontrant le caractère impraticable du socialisme. Ne pouvant démontrer rationnellement la solidité de leurs propres thèses ou la fragilité des idées de leurs adversaires, ils ont dénoncé les méthodes logiques acceptées. Le succès de ce stratagème marxiste fut sans précédent. Il a servi de preuve contre toute critique rationnelle aux absurdités de la soi-disant économie et la soi-disant sociologie marxistes. Ce n'est que par supercherie logique du polylogisme que l'étatisme pouvait s'implanter dans les esprits modernes. »
    — Ludwig von Mises,
Le Gouvernement omnipotent, De l'État totalitaire à la guerre mondiale, Troisième partie — Le nazisme allemand, VI. Les caractéristiques particulières du nationalisme allemand, 6. Polylogisme
Mises explique que les Nazis utilisent de la même façon le polylogisme, préparé pour eux par les marxistes. Les opinions qu'ils rejettent sont dites fausses, parce que juives ou non-aryennes, de même que pour les marxistes est faux ce qui est "bourgeois" ou non-prolétaire. Les dissidents appartiennent à deux catégories : les étrangers (membres d'une classe non prolétaire, ou d'une race non aryenne) et les traîtres (à leur classe, ou à leur race).
Le relativisme poussé à l'extrême aboutit ainsi au nihilisme et au totalitarisme :
« C'est une attitude de fanatiques bornés, qui ne peuvent imaginer que quelqu'un puisse être plus raisonnable ou plus intelligent qu'eux-mêmes. »
    — Mises

Libéralisme et relativisme

Une conséquence du relativisme moral est que "tout est permis", puisqu'il n'y a pas de critère fiable permettant d'apprécier une action.
Le libéralisme n'est en aucune façon un relativisme moral, contrairement à ce que prétendent certains qui se fondent sur l'individualisme qui est à la source du libéralisme pour en tirer des conclusions hâtives.
Tout comportement, toute action peuvent être jugés comme conformes ou non à l'éthique libérale, qui repose sur l'axiome de non-agression, et un tel jugement s'applique à n'importe quel type de culture ou de société. Pour les libéraux et les libertariens, il s'agit bien d'un critère objectif, qui permet de juger aussi bien une politique donnée, qu'une religion ou une philosophie, non pas en elles-mêmes (le libéralisme n'a pas cette prétention), mais dans les rapports sociaux qui en découlent.
En revanche, le libéralisme accepte profondément la différence, et, tant que l'axiome de non-agression est respecté, il n'a aucun problème à reconnaître la diversité des cultures, des moeurs, des religions, des éthiques personnelles, des opinions, etc.
Les libertariens jusnaturalistes sont les plus grands adversaires du relativisme, qui pour eux règne dans les sociétés contemporaines à travers le positivisme juridique et le droit positif.

REPENSER L’INDIVIDUALISME avec Alain LAURENT; LE COMMUNAUTARISME : POUR QUOI FAIRE ? d' Angelo PETRONI

L'Université Liberté, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.


De nombreux ouvrages parus en France aussi bien qu’aux Etats-Unis depuis quelques années le proclament à l'envi : nous vivons à l'ère de l'individu « incertain », « zappeur » invétéré, d'une part vulnérable, paumé, déboussolé - et de l'autre replié sur lui-même, reclus dans son petit bonheur privé. Avec à la clé une société aussi anomique qu'anémique, « atomisée », vide ou en quête de « sens ». Pour ces publications assurément intéressées à le faire accroire, pas de doute possible : cet état de choses a pour cause majeure le plein règne de l' « individu-roi », d’un individualisme effréné et forcément forcené, et de 1’ « argent-roi », donc d'un capitalisme « sauvage » et débridé. Bref, le plein règne du nouveau « grand satan » de la post-modemité : l'ultra-libéralisme, comme « ils » disent.. 

Au regard des critères rigoureux et classiques qui circonscrivent les réquisits de l'idée d'individualisme (le libre jeu d'acteurs caractérisés par leur indépendance individuelle de décision et d'action, par une autonomie réfléchie et responsable, par leur singularité et enfin par la poursuite de leur intérêt propre), un tel diagnostic apparaît largement dénué de toute pertinence. Les « zombies » et autres clones grégaires à pseudo-autonomie assistée et avides de sécurité, effrayés par la solitude et fuyant leur responsabilité propre, n'ont rien à voir ni avec les rudes Individus souverains, entreprenants et confiants en eux-mêmes, animés d'estime de soi et comptant d'abord sur leur propre force de la vraie tradition individualiste, ni avec les valeurs avérées de celui-ci : effort, mérite, fierté. On en est bien plutôt au degré zéro de l'individualisme, ou du moins réduits à un individualisme alors purement forrnel, dégénéré et caricatural. 

Cela étant, et sans pour autant ramener tout l'actuel jeu de société à ces traits débilitants, il est malheureusement exact que l'ère du soi-disant « individualisme démocratique de masse » se caractérise entre autres par trois tendances dégénérescentes dominantes : 

Un narcissisme hédoniste qui sonne creux : la soumission boulimique aux caprices et pulsions immédiats étant souvent devenue la seule norme, l'individu se trouve alors en proie à l'envie (jouir passivement de tous les « droits » et ne surtout pas voir une tête qui dépasse), à l'ennui et à la peur de ne pas être aimé des autres ; dans ces conditions, « être soi-même » se ramène au culte d'un ego surgonflé par du ... vide car en «manque» de reconnaissance et d'assurance, inapte à la sereine estime de soi et à la vertu (l'effort vers le meilleur) - et aboutit donc à la stérilité intérieure et à l'impasse. 

Un relativisme erratique qui ne mène nulle part: dès lors que s'imposent le bon plaisir et le subjectivisme d'un sujet dépourvu de véritable consistance et de repères objectifs intérieurs, le libre arbitre raisonné disparaît au profit du ... libre arbitraire : tout est bon, tout est vrai et rien ne l'est, tout se vaut (bien que rien ne vaille, ce que je préfère...). 

Le nihilisme contemporain surgit de cette calamiteuse combinaison de narcissisme souffreteux et de relativisme désabusé, de cet effacement de la vertu et d'une hiérarchie lucide des valeurs. Il n'y a effectivement plus de « sens » ... commun lorsque prévalent la haine de soi et l'absence d'un « soi » fort et créateur. Il n'y a plus d'individu digne de ce nom, non plus. Et pas davantage de fructueuse coopération possible ... 

Tout le problème est de savoir comment on en est arrivé là, sans encore une fois sombrer dans l'apocalyptisme. Et s'il faut croire la nouvelle complainte qui monte, accusant l'individualisme libéral et son « laissez-faire » d'être les vecteurs principaux de cette déliquescence des plus paradoxales, puisqu'elle les contaminerait eux-mêmes. 

I - LA FAUSSE PISTE COMMUNAUTARIENNE
Que l'individualisme libéral soit le principal auteur des maux dont souffrirait la modemité, ce fut là longtemps le cheval de bataille enfourché par les socialistes et gauchistes de tous poils, par les tenants de l'extrême-droite et les diverses expressions du catholicisme. L'antienne est désormais reprise et développée avec insistance par le courant communautarien né aux Etats-Unis il y a une dizaine d'années, et qui commence à essaimer sur le vieux continent. Mais on ne résistera pas en passant au plaisir de rappeler à ceux qui ont la mémoire courte, que de 1920 à 1944 déjà, le salut conjoint dans l'anti- individualisme et la réinvention de la communauté fut le leitmotiv du maurrassisme, du personnalisme. .. « communautaire » à la Mounier puis du pétainisme ... A priori, donc, rien de nouveau sous le soleil : tout cela risque d'avoir un sérieux goût de déjà-vu...et se trouve fortement marqué et connoté sur le plan des tropismes idéologiques. 

1 - Le communautarisme comme remède providentiel à la subversion individualiste/libérale
Pour les communautariens, ce qui fait l'identité humaine, c'est le lien social entendu de manière à la fois très traditionnaliste et très sociologiste : pratiques sociales partagées, contexte historique, traditions communes. Le propre de l'être humain est d'être situé, enraciné, enchâssé dans un groupe ontologiquement premier et érigé en véritable sujet collectif autosubsistant, auquel il appartient (au double sens du terme) corps et âme : l'individu ne s'appartient donc pas et n'existe pas comme entité fondamentalement distincte et autonome. De ce même groupe de référence, il reçoit déjà toute constituée la substance de sa conception du bien, de la « vie bonne » et de la vertu. Sa personne n'est pas autre chose que l'ensemble de ses rôles sociaux constitutifs définis par la communauté. Son identité personnelle et ses fins dépendent avant tout de préconditions sociales et d'une intersubjectivité matricielle initiale. 

L'individu ne possède par suite que secondairement des « droits » par rapport à cette communauté homogène et solidaire. S'il peut « techniquement » s'en émanciper en transcendant contexte et rôles sociaux, il ne doit moralement surtout pas le faire car ce n'est qu'en son sein qu'il peut trouver consistance et épanouissement - et s'en affranchir relèverait d'une perversion subversive nuisant à sa personne et à celle des autres. L'homme du communautarisme n’a le choix qu'entre une apostasie coupable et dissolvante - et le dévouement quasiment oblatif à la conservation d'un bien commun qui l'absorbe. 

On imagine ainsi aisément que dans l'optique communautarienne, l'individualisme libéral incarne un repoussoir radical et soit tenu pour directement responsable de la supposée désintégration sociale ambiante. Censée professer une « neutralité axiologique » et une approche purement « procédurale » des affaires humaines, la société libérale ne pourrait que générer une privatisation généralisée de l'existence qui « atomise », fragmente, isole et déracine les êtres. D'essence séparatiste et dissociatrice, elle saperait et dissoudrait les allégeances et encastrements naturels. Elle induirait des individus désengagés ne pouvant connaître la vie bonne puisque vertu et identité substantielle leur seraient de fait interdits. Foncièrement transgressive, la société libérale agresserait la santé morale des personnes et des communautés - et il conviendrait par conséquent d'en finir avec le type de vie artificielle et pathologique qu'elle impose : donc avec l'ordre libéral lui-même. Pour reconstituer un monde tissé de communautés juxtaposées ou emboîtées. 

2 - Un néo-tribalisme paternaliste et hyper...relativiste
Le projet et le diagnostic communautariens « pèchent » sur deux points majeurs : une présentation intellectuelle falsificatrice des fondements de la société libérale, et l'incapacité à éviter de resombrer dans un retour aux schèmes sociologiques et éthiques de la vie tribale.
Tout d'abord, il est manifestement erroné de prétendre que la société libérale est axiologiquement « neutre », qu'elle se résume à une simple addition de préférences subjectives où tout se réduirait à une quête utilitariste. Si, en première analyse, elle renvoie à une méta-éthique d'apparence neutre seulement chargée d'assurer la coexistence d’une pluralité de conceptions du bien, il est fort clair qu'en impliquant ainsi le respect d'une égalité en droit des individus et en privilégiant leur liberté à la fois comme fin en soi et comme moyen d'accéder au bien, elle pose des valeurs suprêmes et instaure un ... bien commun (condition commune de possibilité d'un accès personnel à un bien singulier) qui sont rien moins que neutres ou dissolvants. Si favoriser des conduites individuelles responsables, justes et tolérantes est réputé « neutre » sur le plan moral, c'est que les mots n'ont plus de sens. Liberté, responsabilité, justice et tolérance sont d'éminents « biens » substantiels - et ils le sont tellement que ce sont eux qui définissent communément ce qu'on appelle une vie civilisée - et qu'ils sont les premiers à être supprimés et niés par les despotismes (ce qui ne paraît jamais être un problème pour les communautariens...). 

On ajoutera en outre que dans la société libérale, rien n’empêche qui que ce soit de s'associer volontairement à d’autres pour vivre de manière communautaire pour leur propre compte. Et que les tendances relativistes/nihilistes relevées au début ont certainement plus pour cause l'emprise de l'étatisme et la persistance d'une culture collectiviste préjudiciables à l'exercice raisonné d'une véritable responsabilité individuelle. 

Quant au modèle communautarien, il apparaît à un tel point véhiculer des anti-valeurs ... dissolvantes (de la liberté responsable) et des anti-concepts cognitifs qu'on se demande comment à l'orée du troisième millénaire des esprits avisés peuvent oser proposer une aussi triviale réédition du vieux holisme tribal (à moins que ce ne soit une expression supplémentaire de la débâcle millénariste ?). 

Les excellentes raisons de lui récuser toute validité sociologique, éthique et politique - et ceci au nom des valeurs cardinales dont s'est nourrie la civilisation occidentale dans son évolution historique vers la société ouverte (Bergson, Popper, Hayek ...) - ne manquent pas. On peut les articuler comme suit : 

Sacralisation de l'héritage social collectif, ce qui implique une conception ultra-déterministe de l'être humain ainsi réduit à l'état de « produit social », une assignation à résidence forcée et surveillée dans le groupe d'origine et un recours à un conditionnement extorquant le « consentement » (?) à cet enfermement. 

Viol des fondements de la nature humaine à laquelle est déniée le droit élémentaire de librement user de sa capacité d'autodétermination ; l'encastrement d'autorité dans la communauté est une ... castration de l'individu, dont l'issue logique est le sacrifice de soi au groupe. 

Contravention aux réquisits les plus évidents de l'éthique, laquelle, si elle va sans s'asseoir sur une liberté de choix, se trouve dès lors dépourvue de tout sens véritable et devient proprement immorale. 

Flou total dans la réponse à la simple question : de quelle communauté concrète parle-t-on toujours ? Quelle est donc ma prétendue communauté d'assignation ? Le clan familial ? Le quartier ou le village où je vis ? La corporation professionnelle ou l'entreprise où je travaille ? Mon (?) ethnie ou, pendant qu'on y est, ma race ? Ma religion (et si je n'en ai pas ?) ? La nation ? Ou tout cela à la fois ? Quel encerclement ! Et si d'aventure toutes ces appartenances se contredisaient ? 

Confusionnisme latent : avoir quelque chose en commun (des valeurs, par exemple), que ce soit d'ailleurs choisi ou non, n'entraîne pas nécessairement une vie communautaire ni l'appartenance à une communauté assimilable à une entité. 

Réification animiste de la communauté dissociée de ses membres et hypostasiée, dans la plus pure tradition holiste, en entité autonome surplombant les êtres humains agissants et seuls vivants, on n'appartient pas par nature à une communauté, on la constitue. 

Dérive vers un hyper-relativisme de groupe : sans aucun souci critique de rechercher une vérité universelle, les traditions et coutumes d'un groupe toujours historiquement contingentes sont érigées en « vérités » locales de fait. C'est la mort de la liberté rationnelle de l'esprit. 

Impérialisme idéologique sous-jacent dans la référence à un « bien commun » substantiel qui, compte tenu de la diversité naturelle des conceptions du bien, ne peut qu'être que l'imposition coercitive d'une d'entre elles par certains et parce que cela satisfait leurs fantasmes ou leurs rêves de pouvoir paternaliste. 

Mise en place obligée de fantastiques dispositifs de contrôle social inquisitoriaux afin de prévenir ou de sanctionner désobéissances, insoumissions, déviances et dissidences : dans le micro-despotisme quotidien du communautarisme, la chasse aux esprits libres et autres hérétiques est ouverte en permanence .Il faudra bien rééduquer les nouveaux asociaux. 

En définitive et globalement parlant, la solution communautarienne ne peut pas aboutir à autre chose qu'à une retribalisation du vivre-ensemble ainsi qu'à une sorte de communisme culturel et moral. Derrière cet idéal du « kibboutz » se tapit la nostalgie de la société close et le désir d'y faire régresser tout le monde. Il suffit de substituer « classe » ou « race », ces autres collectifs à fixation jouisseuse, pour découvrir un schème sociologique bien connu à l'oeuvre. Autant dire qu'avec le communautarisme et la tentation totalitaire douce qui l'anime, la communauté des hommes libres chère à Aristote n'est pas en vue. 

II - LA VOIE ROYALE DE L 'OBJECTIVISME RANDIEN ... ‘AMELIORE’
Alors qu'Ayn Rand est désormais exclusivement connue comme « prophète » d'une éthique et d'une épistémologie objectivistes centrées sur l'affirmation de la vertu de l'égoïsme rationnel, la première période de sa carrière littéraire et intellectuelle (1934-1948) a été essentiellement placée sous le signe d'une revendication et d'une célébration de l'individualisme. C'est à celle-ci qu'il faut revenir pour comprendre en quoi l'objectivisme qui s'est ensuite greffé dessus pour en approfondir et mieux cadrer le sens peut offrir la solution de juste mesure permettant de dépasser les débordements antagonistes mais complices des relativismes du subjectivisme irrationnel d'une part, et du communautarisme néo-tribal de l'autre. 

1 - L'individualisme selon Ayn Rand
« Je crois que l'homme sera toujours un individualiste, qu'il le sache ou non, et je désire faire mon devoir de le lui faire comprendre », « Je peux dire que tous les livres que j'écrirai jamais seront toujours voués à la défense de la cause de l'individu » (Ayn Rand Letters, 28/7/1934 et 5/7/1943) : comme le répète de plus aussi par ailleurs Ayn Rand tout au long de cette période, la vocation de son oeuvre est d'être une dense et permanente profession de foi individualiste. A tel point qu'entre 1940 et 1944, son grand projet est d'écrire un pamphlet intitulé The Individualist Manifesto ou The Individualist Credo ou encore The Moral Basis of Individualism - qui finira par être publié sous forme de digest dans le ... Reader’s Digest de janvier 1944 sous le titre The Only Path to Tomorrow. 

La conception randienne en la matière se déploie à partir d'une alternative paradigmatique fondatrice : « le conflit entre l'individualisme et le collectivisme » - une question qui concerne d'abord « la relation de l'homme aux autres hommes ». Si le collectivisme renvoie bien sûr au primat du groupe sur l'individu et a naturellement partie liée avec l'altruisme et le tribalisme - ces bêtes noires randiennes - l'individualisme selon Ayn Rand est un « code moral basé sur le droit inaliénable de l'homme de vivre pour lui-même et pour son propre compte » (Letters, 17/4/1947). 

Si elle insiste d'emblée sur la nature foncièrement éthique de l'individualisme (« L'individualiste absolu est l'homme moral par excellence » - précepte illustré dans le célèbre plaidoyer pro domo d'Howard Roark dans The Fountainhead, « L'individualisme, qui signifie un genre de vie basé sur des droits individuels inaliénables, ne peut qu'être bien »), il s'ensuit que tout ce qui se réfère à un collectif quelconque - groupe ou ... communauté - est proprement immoral. Car « chaque homme existe de par son propre droit et non pour le compte du groupe» (17/4/47). Raison pour laquelle l'individualisme, en exprimant le propre de la nature humaine et de ses plus hautes exigences, vaut par lui-même et non pour ses conséquences positives (démocratie, prospérité). 

2 - L'éthique objectiviste : la vertu de l'égoïsme rationnel
Bien que cet approfondissement s'amorce dès The Fountainhead, ce n'est qu'à partir du début des années 50 qu'Ayn Rand commence à vouloir préserver l'individualisme de toute dérive subjectiviste en le « calant » sur le socle objectif des exigences d'une nature humaine définies par l'usage nécessaire et privilégié de la raison ainsi que par l'inhérence immanente de droits naturels. 

Dès 1946, elle note que « c'est seulement sur la base de la morale de l'individualisme (dont la raison est le critère fondamental - la morale a un fondement objectif) que chaque homme est libre de décider de ce qui est bien pour lui et seulement pour lui ». Et il est revenu à Nathaniel Branden d'expliciter ainsi ce recentrement de l'individualisme sur l'éthique de l'égoïsme rationnel : « Un homme qui cherche à fuir la responsabilité de conduire sa vie par sa propre pensée et ses propres efforts, et qui souhaite survivre en conquérant, gouvernant et exploitant les autres, n'est pas un individualiste. Un individualiste est un homme qui vit pour son propre compte et par son propre esprit. ..Un individualiste est avant tout et en tout un être de raison.. la rationalité est la précondition de l'indépendance et de la confiance en soi » (The Objectivist Newsletter, avril 1962). 

Au fondement anthropologique et ontologique de la perspective
objectiviste, il y a la double reconnaissance de l'existence, objective et universelle, d'une nature humaine et de son individuation radicale et première. Dans la réalité, il n'existe que des individus, chacun d'entre eux devant s'efforcer d'actualiser à sa manière singulière cette nature commune qui les pourvoit originellement d'une capacité spécifique de réflexion (conscience + raison) et du droit d'en librement user afin de réaliser la fin de tout être humain : d'abord (sur)vivre, puis mais corrélativement accéder au bonheur dans l'accomplissement de soi. 

Pour Ayn Rand, vivre en tant qu'être humain - individuellement et rationnellement - c'est entreprendre de vivre pour soi et donc par soi, en propriétaire responsable de soi. Cette finalité éminemment « égoïste », qui fait de chaque individu une fin en soi, implique le déploiement de vertus et la définition d'un code de valeurs propres à en permettre la réalisation. Ce que seule la raison peut assurer dans un contexte de liberté de choix et d'intégrité créatrice de l'individu. 

L'éthique objectiviste fait ainsi de la pratique de l'égoïsme « rationnel » puisqu'il découle logiquement des spécificités de la nature humaine et ne peut opérer efficacement que dans la prise en compte cohérente et rigoureusement conceptualisée du réel) une vertu, où self-interest et self-esteem s'enrichissent interactivement. Ce qu'Aristote, dont Ayn Rand se recommande explicitement, a fort magistralement exposé dans le livre IX de l'Ethique à Nicomaque. 

3 - Une contribution aristotélicienne à l'édification d'une communauté d'hommes libres
Interdisant logiquement de faire de l'individu un animal social sacrificiel livré aux calculs utilitaires et hédonistes des prédateurs et autres prècheurs d'altruisme, l'éthique objectiviste offre le meilleur point d'appui possible pour amener les individus à entretenir des relations de respect et d’estime mutuels ainsi qu'une fructueuse coopération volontaire et contractuelle. L'égoïsme vertueux qu'elle prône se révèle fondamentalement bienveillant pour autrui : plus et mieux je poursuis mon intérêt rationnel propre, et plus et mieux les autres s'en trouvent. Et « négativement », car exempts de toute spoliation- coercition, et « positivement », car ils bénéficient des résultats de ma confiance et de ma créativité communes ou à un bien commun minimal et « ouvert » définissant une méta-éthique permettant d'accorder ensemble les souverainetés individuelles. 

Pour la première fois dans l'histoire de l’Humanité les individus sont potentiellement libres et responsables du choix de leur conception du bien - ce qui contrarie évidemment aussi bien ceux qui préfèrent demeurer cloîtrés dans un statut de mineurs ou de grands enfants devant être pris en charge, et ceux, les prédateurs paternalistes, qui risquent d'être privés de l'occasion d'exercer leurs talents de tuteurs hypocritement « égoïstes ». 

L'alternative est donc claire : 

- Ou bien, armés des principes venant d'être énoncés et qu'une éducation appropriée à la responsabilité de soi devrait instiller précocement dans les esprits, on s'efforce résolument d'entrer dans un monde vraiment civilisé, où L’égoïsme randien implique le déploiement de vertus et la définition d’un code de valeurs propres à en permettre la réalisation une civilité raisonnée et ouverte sert de matrice à la coexistence et la coopération des individualités singulières ... 
 
- Ou bien l'on régresse soit dans une sorte d'anarchie erratique (subjectivisme, nihilisme, relativisme), soit dans une franche retribalisation juxtaposant une multiplicité de communautés chacune bien close sur l'arbitraire collectivisé des appartenances et des coutumes. 

Dans ces deux derniers cas, rien ne pourra empêcher les vrais hommes libres (l'inverse de l'animal social) de faire sécession, d'entrer en dissidence et de se constituer en .. communauté discrète et éclatée de rebelles civilisés refusant de se laisser aller à la facilité comme d'appartenir et de communier en rond ... 

Par Alain LAURENT



Alain Laurent

De Wikiberal
 
Alain Laurent, né en 1939, est un philosophe, sociologue et essayiste français, aux positions libertariennes et libérales-conservatrices.

Présentation

Il a une formation de sociologue, avec une thèse sur les clubs de vacances menée sous la direction de Georges Friedmann et soutenue en juin 1971. Il en tira un livre, Libérer les vacances. Il a ensuite enseigné la philosophie dans des lycées de la région parisienne.
Il a également une importante activité d'éditeur : il a été ainsi directeur de la collection « Iconoclastes », co-dirigée avec Pierre Lemieux, aux éditions Les Belles Lettres. Depuis 2004, il dirige une nouvelle collection aux Belles Lettres: La Bibliothèque classique de la liberté, où sont rééditées des œuvres connues et moins connues de Wilhelm von Humboldt, Frédéric Bastiat, Ludwig von Mises, etc. Chaque texte est introduit par une présentation consistante (15 à 20 pages) signée par un spécialiste confirmé de l’auteur et suivi à la fois d’une notice bio-bibliographique et d’un index minimal.
Il a fondé et il anime la société de pensée Raison, Individu, et Liberté, ainsi que la French Ayn Rand Society. Il travaille d'ailleurs sur une biographie intellectuelle d'Ayn Rand, ainsi que sur une Anthologie des textes libéraux à paraître chez Robert Laffont (Collection Bouquins).
Il a été nominé pour le Prix libéraux.org 2008.

 

Individualisme

De Wikiberal
 
L'individualisme est une conception politique, sociale et morale qui tend à privilégier les droits, les intérêts et la valeur de l'individu par rapport à ceux du groupe et de la communauté. Son principe est que l'individu est la seule entité sur laquelle peut se mesurer la valeur morale d'une action.
Ceci implique que les jugements de valeur portés sur des actions sont fondés sur la nature de l'homme. L'individualisme est donc une éthique rationaliste qui ne se fonde pas sur les religions en tant que sources morales. Par ailleurs, dans toute réflexion, et notamment politique, l'individualisme rejette la substitution de l'individu par le groupe, procédé souvent employé injustement pour promouvoir les sacrifices individuels au profit d'autrui. Par exemple, la notion d'intérêt général d'une société est trompeuse et invalide, car elle n'est pas définissable à partir de concepts réels.
L'individualisme vise à ériger en norme suprême l'individu, quel qu'il soit : l'individu forme une réalité autonome, particulière et distincte de toute communauté politique. L'individualisme tend à reconnaître la prééminence tant axiologique que chronologique de l'individu sur la société ainsi que sur l'État. Toute organisation sociale relevant, en effet, clairement de l'artifice, une nation, par exemple, ne peut imposer un empire excessif sur la vie des individus qui la composent. La nation, dans une optique individualiste, est assimilable à une simple série d'individus associés en vue de vivre plus heureusement. L'individualisme est un humanisme dans l'exacte mesure où cela revient, à la fois, à affirmer sans ambages et à défendre la primauté de l'individu sur la multitude.
Dans le domaine de la philosophie politique, le représentant de l'individualisme est le libertarianisme, qui ne tolère pas l'initiation de la violence, sauf dans le but de se protéger de l'agression. La propriété privée, issue du travail mêlé à des ressources matérielles, est l'autre aspect important de la pensée libertarienne et correspond au besoin humain naturel d'agir sur son environnement pour le rendre favorable au maintien de sa vie et à la réalisation de son bonheur.
Dans La Vertu d'Egoisme, la philosophe et romancière américaine Ayn Rand propose et formalise l'égoïsme en tant qu'éthique. Il s'agit d'un courant de pensée individualiste. Parmi les valeurs défendues par Ayn Rand, la justice, la responsabilité et l'indépendance, matérielle et intellectuelle, sont caractéristiques de l'individualisme.

Erreurs courantes

L'individualisme libéral ne nie pas la nature sociale de l'homme, comme le prétend parfois le collectivisme. Il affirme cependant que :
  • l'homme "précède" toute entité sociale, quelle qu'elle soit (famille, nation...) ; les phénomènes sociaux n'existent que par les individus qui y participent, et les entités sociales n'ont d'existence qu'en raison de la nature sociale de l'homme ;
  • l'homme seul, en tant qu'agent moral qui opère des choix, est une fin et non un moyen ; toute institution sociale doit être jugée non pas pour son intérêt en soi ou selon sa finalité, mais sur l'effet qu'elle a sur chaque individu.
Le libéralisme ne fait pas primer l'individu sur la "société", puisque cette société est précisément constituée d'individus ; il s'oppose simplement à une forme d'organisation coercitive de cette société, qui ne respecte pas les droits individuels.
L'homme est par nature un animal social. La spécificité de sa socialisation, c'est de permettre l'émergence de son individualité. C'est parce qu'il vit en société que l'homme est un individu. Le processus d'individuation par lequel la personne acquiert son indépendance, sa différenciation, son autonomie et son développement personnel, s'élabore dans la relation à autrui.
La société n'est que l'ensemble des relations que l'être humain entretient avec ses semblables. La forme de cette société, donc de ces liens entre individus, est ce qui intéresse le libéral, car certains de ces liens, liens de coopération volontaire, respectent l'individu et ses droits, d'autres non (liens de sujétion et de coercition).
L'accusation d'atomisation de la société que certains portent à l'égard de l'individualisme libéral est infondée, puisque le libéral est favorable à toute forme d'association volontaire (qu'il s'agisse d'association, de syndicat, de mutuelle, d'entreprise, de club, etc.). Les collectivistes ne comprennent pas qu'il puisse y avoir une différence entre association volontaire et association coercitive (en revanche ils comprennent très bien les avantages qu'ils peuvent retirer de ce dernier type d'"association").

Citations

  • « L'individualiste absolu est l'homme moral par excellence. » (Ayn Rand)
  • « Le monde avance grâce à des individus qui poursuivent leur propre intérêt. Les grandes réalisations de la civilisation ne sont pas sorties des administrations étatiques. » (Milton Friedman)
  • « L'individualiste conclut qu'il faut laisser, à l'intérieur de limites déterminées, l'individu libre de se conformer à ses propres valeurs plutôt qu'à celles d'autrui, que dans ce domaine les fins de l'individu doivent être toutes-puissantes et échapper à la dictature d'autrui. Reconnaître l'individu comme juge en dernier ressort de ses propres fins, croire que dans la mesure du possible ses propres opinions doivent gouverner ses actes, telle est l'essence de l'individualisme. » (Friedrich von Hayek, La Route de la servitude[1])
  • « L'individualiste affirme : "Je ne vivrai pas la vie d'un autre, ni ne laisserai un autre vivre ma vie. Je ne dominerai personne, ni ne serai dominé. Je ne serai pas un maître, ni un esclave. Je ne me sacrifierai pas pour les autres, ni ne sacrifierai les autres pour moi." » (Ayn Rand)
  • « L'individualisme n'est pas un repli égocentrique sur soi, pas plus qu'il n'est sacrifice des autres à mon intérêt personnel. En satisfaisant mon intérêt, j'œuvre souvent dans l'intérêt des autres. Inversement, l'individualiste qui ne tiendrait pas compte de la liberté et des intérêts des autres risquerait fort de ne pas survivre très longtemps. » (Gisèle Souchon, Les grands courants de l'individualisme)
  • « L'individualisme, bien entendu, n'est pas l'égoïsme, mais la pitié et la sympathie de l'homme pour l'homme et que je mets au défi qu'on nous propose une autre fin que celle-là. (...) L'individualisme ainsi entendu, c'est la glorification, non du moi, mais de l'individu en général. Il a pour ressort non l'égoïsme, mais la sympathie pour tout ce qui est homme. N'y a-t-il pas là de quoi faire communier toutes les bonnes volontés ? (...) Non seulement l'individualisme n'est pas l'anarchie, mais c'est désormais le seul système de croyances qui puisse assurer l'unité morale du pays. » (Émile Durkheim, L'Individualisme et les intellectuels[3])
  • « Je vois dans la tradition étatique et sociale un obstacle à l'individuation, mais si l'on souhaite des hommes ordinaires et égaux, c'est parce que les faibles redoutent l'individu fort et préfèrent un affaiblissement général à un développement dirigé vers l'individuel. » (Friedrich Nietzsche)
  • « L'individu est quelque chose d'entièrement nouveau et créateur de nouveauté, quelque chose d'absolu auquel toutes ses actions appartiennent en propre. Il n'emprunte qu'à lui-même les valeurs qui règlent ses actions, car lui aussi doit interpréter de façon toute individuelle les mots d'ordre reçus. Même s'il n'invente pas la formule ; il en a au moins une interprétation personnelle : en tant qu'interprète il est encore créateur. » (Friedrich Nietzsche, La Volonté de Puissance, § 767)
  • « L'individualisme n'est pas la morale. Il est seulement la plus forte méthode morale que nous connaissons, la plus imprenable citadelle de la vertu et du bonheur. » (Han Ryner, Le Petit manuel individualiste[4])
  • « Individualisme : toujours forcené. » (Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert, revu par Alain Laurent) (humour)
  • « L’individualisme : ce mot désigne pour eux (les gens de l’État) le cauchemar suprême, le soupçon qu’il subsiste quelque part un fragment de l’esprit humain qui échapperait à la sphère politique, au collectif, au communautaire, au domaine public : le leur ». (Jean-François Revel, Le Regain démocratique, 1992)
  • « Si tu te fais ver de terre, ne te surprend pas si on t'écrase avec le pied. » (Emmanuel Kant)
  • « L'individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même » (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique II[5])
  • « Quand on veut vivre parmi les hommes, il faut laisser chacun exister et l'accepter avec l'individualité, quelle qu'elle soit, qui lui a été départie. » (Arthur Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse dans la vie)
  • « Le moteur du progrès a dû être dans quelque révolte de l’individu, dans quelque libre penseur qui fut sans doute brûlé. Or la société est toujours puissante et toujours aveugle. Elle produit toujours la guerre, l’esclavage, la superstition, par son mécanisme propre. Et c’est toujours dans l’individu que l’humanité se retrouve, toujours dans la société que la barbarie se retrouve. » (Alain)
  • « L’Individualisme est la doctrine politique d’après laquelle l’Individu est la fin et l’État le moyen. L’Individualisme remplace l’ancienne formule : « l’individu pour l’État » par celle-ci : L’État pour l’individu. L’Individualisme n’admet pas qu’on puisse imposer une contrainte à un individu qui ne fait de mal à per­sonne. » (Yves Guyot, La démocratie individualiste)
  • « L’historicisation de la notion d’individu est une idée qui semble étrange dès qu’on prend la peine de s’y arrêter, bien qu’elle soit fort répandue. L’être humain n’a-t-il pas le souci de soi et des siens dans toute société ? Le grand sociologue français Durkheim n’éprouve aucun doute sur ce point : « L’individualisme ne commence nulle part », écrit-il : il est de tout temps. Ce qui signifie simplement que les hommes ont de tout temps jugé les institutions (au sens large du terme) à un trébuchet : leur contribution au bien-être des individus. » (Raymond Boudon, Pourquoi les intellectuels n'aiment pas le libéralisme ?
 

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Je voudrais commencer en reprenant les propos d’Alain Laurent, à savoir que le débat est sérieux. Il suffit de revenir au livre remarquable du sociologue Robert Nisbet intitulé «The Sociological Tradition » qui a été traduit aux éditions PUF dans la collection de Boudon. On trouve toujours la question qui s’est posée avec les deux révolutions du début du XIX siècle : Fustel de Coulanges, Tocqueville, et après bien sûr, Durkheim, Tarde. Peut- être ne vaut-il pas la peine de revenir sur ces éternelles questions ? Peut-être a- t-on fait des progrès depuis le début du XIXème siècle ? La connaissance a progressé et des choses que l’on tenait pour vraies se sont révélées fausses. 

Une réaction contre la raison
Je voudrais commencer par Joseph de Maistre et les « Soirées de Saint- Pétersbourg », car je crois qu’il exprime une des tendances de fond des communautariens. Il écrit : « La famille est sans doute composée d’individus qui n’ont rien de commun suivant la raison. Mais suivant l’instinct de la persuasion universelle toute famille est une .» C’est l’opposition instinct de la persuasion universelle contre raison qui me semble revenir aujourd’hui chez les communautariens. Je suis professeur de philosophie des sciences et comme tel je trouve qu’il faut bien considérer un personnage communautarien : Richard Rorty. Il vient d’une tradition analytique très rationaliste et aujourd’hui en vient à s’interroger sur la définition à donner à la raison. Pour lui, chaque communauté a ses règles rationnelles. Si vous croyez que c’est le soleil qui tourne autour de la terre, cela relève des croyances de votre communauté. Il n’y a pas de faits objectifs mais des règles procédurales et contextuelles de convalidation des hypothèses ; c’est de l’hyper-pragmatisme. 

Aujourd’hui, avec le communautarisme nous sommes confrontés à une réaction contre la raison. De Maistre est, de ce point de vue, un père remarquable du communautarisme contemporain parce qu’il avait une conception très claire de la raison : les règles qui existent dans nos sociétés ne sont pas basées sur la raison. Evidemment, on pourrait dire que Hume et Hayek sont en ce sens des anti-rationalistes. Hayek cite souvent la célèbre phrase de son prédécesseur : « Nos règles morales ne sont pas la conclusion de notre raison ». Par là, il oppose une raison absolue qui prétend pouvoir tout prouver à une raison évolutive. Hume et Hayek s’inscrivent donc dans la tradition libérale qui dit que les règles sociales sont justifiées dans la mesure où elles donnent des résultats souhaitables, même si nous n’arrivons pas à les justifier explicitement. Dans la vision réactionnaire de de Maistre, les 
règles sont respectables en tant que telles. On trouve la même conception de la raison chez les communautariens. Le communautarisme est en général le fils du positivisme. Les positivistes ont connu leur déception à la fin des années 50 et 60 quand on a réfuté la vision selon laquelle la science est un accroissement continu de la vérité dont on ne met jamais en discussion les résultats. De là, ils sont tombés dans l’idée que la raison universelle ou commune n’existe pas. 

Communauté et nation
Je voudrais aussi citer un autre personnage communautariste intéressant : Michael Walzer. Sa thèse est que le libéralisme est une théorie autodestructrice. Donc le libéralisme a besoin d’une correction périodique communautaire. « Nous avons nécessité de liens humains ; en leur absence, toute garantie et toute liberté, toute indépendance du jugement et surtout la créativité ne signifieraient qu’anarchie et menace politique ». Voilà une thèse à laquelle Walzer pourrait souscrire. Mais elle est celle de Carl Schmitt en défense de la politique de Hitler. Bien sûr, Schmitt était un communautaire, en faveur de la Gemeinschaft. C’est la raison pour laquelle le terme communauté en allemand n’est plus d’un emploi « politiquement correct » ; aujourd’hui même en allemand on dit « community ». Permettez-moi encore de lire Walzer : « La communauté politique est probablement le point le plus proche d’un monde de significations communes qu’on puisse atteindre. La langue, l’histoire et la culture s’unissent ici plus qu’ailleurs pour former une conscience collective. » C’est le nationalisme éternel. Il est vrai qu’aujourd’hui on trouve, comme Alain de Benoist l’a bien remarqué, une opposition entre nation et communauté, mais les arguments restent exactement les mêmes. 

Permettez-moi de citer Ludwig von Mises à l’encontre de cette vision de la nation fondée sur une conscience collective. Dans son ouvrage La nation, l’Etat et l’économie, il se pose la question de la nation. La nation, c’est la langue. Ce n’est pas original. Mais Mises ajoute que des personnes qui parlent plusieurs langues appartiennent à plusieurs nations. Cette idée des nationalités qui peuvent se superposer, s’assimiler, se mélanger est intéressante et humaniste par rapport à celle de Schmitt et de Walzer. Revenons à ce dernier. Il défend le droit pour toute communauté d’interdire l’immigration. Mais toujours selon lui, aucune communauté n’a le droit d’empêcher l’émigration. Je trouve qu’il y a là une incohérence remarquable. Permettez-moi de rappeler que la question des communautés avait déjà été posée par Tocqueville. Ce dernier est un libéral, mais certains passages de ses livres pourraient être interprétés comme communautaires. Pour un libéral cependant, le point central reste le caractère volontaire de l’association communautaire. Il est vrai qu’on naît dans une certaine communauté, que l’on ne choisit pas sa langue, sa culture ; mais d’un point de vue libéral il est également vrai qu’on a par la suite le droit de les choisir. 

Tocqueville déjà avait perçu le danger de la Révolution française qui laissait un vide entre l’individu et l’Etat, après l’élimination des corps intermédiaires. C’est une question importante que l’Eglise catholique a soulignée avec le principe de subsidiarité. Ainsi, il est difficile de comprendre pourquoi l’Eglise catholique qui a toujours été universaliste et antinationaliste au XIXème siècle - je pense au mot de de Maistre : « Je meurs pour le Pape et pour l’Europe » - semble revenir, surtout les catholiques de gauche, au concept de communauté. Peut-être veulent-il éliminer l’Etat et doit-on analyser ce phénomène comme un antiétatisme ? 

Existe-t-il une nature humaine ?
Le communautarisme présente deux côtés, l’un politique, l’autre anthropologique. Le plus souvent, ce sont des néo-aristoteliciens qui croient qu’il y a une « nature humaine » et que cette nature peut être connue. Mais y aurait-il donc encore quelqu’un pour croire à la nature humaine ? Peut-on encore parler d’une détermination métaphysique définissant la bonne vie ? Je pense qu’après Kant, la tâche est complètement impossible. Et pourtant, on continue de parler comme si on pouvait trouver ce qui est objectivement bon pour l’homme. D’ailleurs, s’il y a une nature humaine, c’est la sociobiologie qui peut nous le dire, et non pas la métaphysique. Peut-être avons-nous une nature biologique mais là aussi il faut faire attention : qu’est-ce qu’une nature biologique ? Le débat entre « nature » et « nurture » continue d’être aigu. Les sciences biologiques et du comportement de ces cinquante dernières années nous ont montré certains traits biologiques de notre caractère. Or Hayek nous a rappelé que la civilisation existe justement pour réprimer nos instincts naturels. Pourtant, je n’arrive pas à comprendre comment on peut parler d’une nature humaine, qui existerait au-delà de notre nature biologique, que l’on peut découvrir à priori ou par voie métaphysique. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais été non plus d’accord avec les libertariens du courant néo- aristotélicien. 

En lisant les libertariens qui parlent des droits naturels de l’homme, j’avoue que je suis dépassé. Je suis pour une approche pragmatique de la question. Je ne crois pas que les hommes aient des droits, ni qu’ils en sont dépourvus. On peut raisonner sur la base des conséquences des concepts et se passer de cette métaphysique. Ainsi, dans l’hypothèse où on n’attribue pas à l’individu certains droits, le résultat est un certain état des choses. Si on veut éviter pareil état des choses, alors on peut raisonner comme si les hommes avaient des droits. Mais l’idée qu’on possède un droit naturel sur son corps ou les objets qu’on a travaillés me dépasse complètement. Je suis peut-être un positiviste. Je crois pourtant à la vérité et au fait que certains principes vous mènent à la richesse, d’autres non. 

Les communautariens ainsi que beaucoup de libertariens aiment dire que la société doit être fondée sur la réalisation des « buts véritables » de l’homme. Quelqu’un peut-il me dire quel est le but véritable de l’homme ? J’attends aussi une liste d’actions bonnes pour l’homme et une définition de la bonne vie. J’ai lu bien de philosophie allemande portant sur la « philosophie de la pratique ». Elle n’a cessé de nous conseiller sur la voie à suivre pour mener une bonne vie: il vaut mieux avoir de bons amis que des amis infidèles, il vaut mieux entretenir de bons rapports avec sa famille plutôt que d’être isolé, etc. On est parfaitement d’accord. Seulement, en quoi ces recommandations sont-elles intéressantes et nouvelles ?
A quoi bon le communautarisme ? 

Aujourd’hui, nous appartenons tous à des communautés multiples. Je suis italien, je parle français, j’ai fait un doctorat en Belgique, je travaille surtout avec des Américains. C’est une grande chance que les hommes puissent sortir du tribalisme intellectuel. D’un point de vue normatif, où le mal réside-t-il ? Certains pensent que les hommes effrayés vont se replier sur eux- mêmes et se faire la guerre. Il ne me semble pas que cela soit vrai. Les démocraties libérales qui échangent énormément ne se font jamais la guerre. Ce sont les régimes des années 30, les idées de patrie et de nation, qui nous ont conduits à la guerre. Là où il y a échange culturel, économique, intellectuel, il n’y a pas de guerre, ni d’agression psychologique. 

Je pense donc que le communautarisme n’a ni base intellectuelle ou épistémologique, ni base morale. Je reconnais qu’il présente des exigences vraies et que les libéraux doivent fournir des réponses à certaines (mais pas toutes) les questions des communautaires. Mais dans ses réponses, je ne vois pas en quoi le communautarisme rend service au monde moderne. 

Par Angelo PETRONI

 

Angelo Petroni

De Wikiberal
 
Angelo M. Petroni est professeur à l'Université de Turin et Directeur de la Scuola Superiore della Pubblica Amministrazione. Il est membre du Conseil scientifique de l'Institut Turgot et du bureau éditorial du Journal of Libertarian Studies.
C'est un spécialiste de de l'épistémologie et de l'éthique, particulièrement la bio-éthique.

Bibliographie

  • 1981, "Karl R. Popper: il pensiero politico", Firenze : Le Monnier
  • 1983, Complex Phenomena and Simple Explanations, Rapport XII I.C.U.S, Chicago
  • 1984, Explanations or Microreductions ?, Rapport XIII I.C.U.S., Washington
  • 1986, Compte-rendu du livre de Raymond Boudon, `La place du désordre', L'année sociologique, N°60, pp. 357 -381
  • 1986, avec S. Monti-Bragadin, "Introduzione", In: Friedrich von Hayek, Legge, legislazione e libertà, Milano, Il Saggiatore, traduction de la trilogie de Friedrich Hayek, Law, Legislation and Liberty, London, Routledge and Kegan Paul
  • 1987, "Comments on Opp’s Essay" (Karl-Dieter Opp: The Individualistic Research Program in Sociology), In: Gerard Radnitzky, dir., Centripetal Forces in the Sciences, Vol II, New York: Paragon House
  • 1989, L’individualismo metodologico, In: A. Panebianco, dir., L’analisi della politica, Il Mulino, Bologna
  • 1990, "Note on von Hayek's Theory", In: M. Alonso, dir., "Organization and Change in Complex Systems", New York, Paragon House - An ICUS Book
  • 1992,
    • a. "L’impossibilità di redistribuire la libertà degli uomini", «L’Opinione», giugno
    • b. "Sullo stato presente di uno concetto inattuale : la liberta", Filosofia politics, Vol VI, n°1, pp55-64
  • 1995, “What is Right with Hayek's Ethical Theory”, Revue européenne des sciences sociales, 33, 100, pp89-126
1998, Is There a Morality in Redistribution?, In: Hardy Bouillon, dir., "Libertarians and Liberalism. Essays in Honour of Gerard Radnitzky", Suffolk, Gran Bretaña: Ipswich Book Company, pp195-210

Angelo Maria Petroni - Wikipedia

it.wikipedia.org/wiki/Angelo_Maria_Petroni

Bonus:
 
Bioéthique et politique de la santé : les dérives de l'Union Européenne
par Angelo Petroni


L'Europe est-elle libérale ou socialiste ? 

Bien malin qui saurait le dire. L'Union Européenne cultive l'ambiguité. Elle est clairement libérale lorsqu'elle s'occupe de démanteler l'empire des anciens monopoles publics. Nul ne saurait en douter. Son objectif appartient au pur credo libéral : libérer l'entrée sur les marchés traditionnellement contrôlés par les firmes de "service public". Mais, paradoxalement, lorsqu'il s'agit des marchés privés, l'action des autorités communautaires s'exerce en sens exactement inverse : sa politique d'harmonisation réglementaire aggrave les coûts d'entrée de nouvelles firmes et réduit d'autant la concurrence effective. L'inverse même de ce qui est en principe recherché.

Angelo Petroni est un universitaire italien bien connu - et apprécié - des anciens étudiants d'I.H.S.-Europe, ainsi que des habitués de l'Université d'été de la Nouvelle Economie à Aix en Provence. Membre de l'Etat-major de Forza Italia, il vient d'être nommé Directeur de la Scuola Superiore della Pubblica Amministrazione, l'équivalent italien de l'ENA française. Invité aux Etats-Unis par le professeur Tristram Engelhard à faire un exposé pour décrire l'attitude européenne par rapport aux problèmes de bioéthique et en matière de politiques de la santé, Angelo Petroni a rédigé un texte qui nous offre une remarquable synthèse de la manière dont les procédures de décision au sein de l'Union Européenne conduisent souvent les responsables européens à trahir les propres règles qu'ils s'étaient pourtant imposées. 

Alors que s'engagent les travaux de la grande Convention sur l'avenir des institutions européennes, ce texte illustre à partir d'exemples politiques concrets comment les procédures de décision actuellement en vigueur, dans un contexte où chacun s'efforce d'accumuler et d'augmenter son pouvoir, créent des dérives systématiques dans un sens qui contredit non seulement les principes proclamés de l'Union, mais encore les textes mêmes des Traités. Autrement dit, il nous conduit au coeur même des problèmes qui devraient catalyser toute l'attention de la Convention (mais qui y seront sans aucun doute les plus négligés !).

Le professeur Petroni nous rappelle comment, à partir de la fin des années 1980, la Communauté européenne s'est de plus en plus transformée en une machine à re-réglementer les marchés à partir du centre, à réduire la diversité régionale, et finalement à réprimer les choix des individus. Il utilise l'exemple des politiques de la santé pour montrer comment des raisonnements d'une absurdité patente sont systématiquement invoqués pour neutraliser l'application du principe de la subsidiarité. De la même façon, il met à nu les perversions intellectuelles qui permettent d'utiliser le célèbre "principe de précaution" comme instrument pour renforcer la centralisation, de même que l'absurdité des arguments généralement invoqués pour plaider la cause d'une "grande politique scientifique européenne".
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