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avril 05, 2015

Christian Michel son entretien avec Grégoire Canlorbe

L'Université Liberté, un site de réflexions, analyses et de débats avant tout, je m'engage a aucun jugement, bonne lecture, librement vôtre. Je vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.




Grégoire Canlorbe : Philosophe anarcho-capitaliste, vous ne faîtes pas mystère de votre intérêt pour la pensée de Karl Marx, ce que d’aucuns verront sans doute comme un paradoxe. Pourriez-vous revenir sur cette affinité avec les idées essentielles du théoricien du matérialisme dialectique ?

Christian Michel : La contribution essentielle de Marx, pour moi, est son analyse de l’histoire. L’Histoire de toute société est celle de la lutte des classes, ça ne me paraît pas discutable. Seuls changent les acteurs, selon les moyens de production à leur disposition. Marx a compris le premier comment la technique transforme les relations économiques, qui à leur tour modifient les structures politiques. Il est vrai qu’avant la Révolution industrielle les techniques progressaient lentement, et leur influence sur les structures de production ne se voyaient guère. Marx en plus a été leurré par les travaux d’Adam Smith et de Ricardo, qui voyaient dans le travail le fondement de la valeur. Sa théorie de la confiscation par les capitalistes du surplus de valeur que l’ouvrier produit ne convainc pas – même pas lui-même, il n’a cessé de reformuler la question.

Il existe une confiscation, bien plus directe, qu’effectue la classe au pouvoir. C’est l’impôt. Les hommes de l’Etat forment clairement une classe, avec ses intérêts corporatistes, ses reflexes, sa solidarité autour du « service public », et cette classe entretient ses « laquais », les subventionnés de tout poil, depuis les banquiers et les agriculteurs, jusqu’aux artistes et ONG – exactement comme décrit dans le modèle marxiste.

L’ampleur de cette exploitation était bien moindre au temps de Marx qu’aujourd’hui – peut-être une autre raison pour laquelle elle ne lui est pas apparue. Elle reste encore imperceptible à beaucoup de nos contemporains, malgré la violence qu’elle déploie. Marx et ses successeurs ont bien saisi comment la classe dirigeante masque sa prédation par un discours (auquel elle croit elle-même, c’est pourquoi il est si convaincant), et qui rationalise le rapport de domination : l’impôt est le marqueur de la civilisation ; sans « services publics », les pauvres mourraient dans la rue ; seuls les plus riches des malades seraient soignés ; les jeunes resteraient illettrés ; le pays ne seraient pas défendu, etc. Il faut beaucoup de perspicacité pour déjouer ces sophismes.


Il existe un moment, cependant, quand la réalité se déplace trop loin du discours idéologique pour qu’il puisse encore tromper son monde. Nous en sommes là.

Lorsqu’on veut faire croire qu’on est saint, riche ou puissant, il faut de temps de temps manifester les signes de ces qualités, faire un miracle, ou bien rouler en Rolls. La classe dominante n’a plus les moyens de faire croire à son discours. Son dernier argument est « Nous ne sommes pas parfaits, mais ne nous jetez pas dehors. Vous n’avez pas d’alternative. » Le rôle des libéraux aujourd’hui est de montrer qu’il existe une alternative. L’asphyxie n’est pas notre destin.

Grégoire Canlorbe : Michel Foucault est souvent encensé par la gauche universitaire pour avoir suggéré que la philosophie libérale, loin d’être un discours émancipateur à l’égard de l’Etat, constituerait dans les faits un outil de contrôle de la population. Foucault utilise le terme de « biopouvoir » pour caractériser la politique des Etats sensibles aux idées libérales. L’Etat libéral c’est celui qui vise à obtenir l’expansion et la santé de la population par l’asservissement des individus aux forces du marché – que l’Etat laisse jouer. Le marché est une construction permanente qui doit son existence à la limitation et à la frugalité du gouvernement, quoique celui-ci soit de temps en temps contraint d’intervenir dans la vie marchande pour assurer le bon fonctionnement de la concurrence ainsi que la qualité des infrastructures.

Vous ne faîtes pas mystère là non plus de votre intérêt pour Foucault. Pourriez-vous développer les raisons de cette affinité ?

 Christian Michel : Ce serait trop long de développer ici les raisons de mon intérêt pour Michel Foucault. Sa pensée est foisonnante, et comme de tous les grands auteurs, on peut tirer des arguments pour des positions divergentes. Pour lui la vertu du libéralisme est le pluralisme. J’aime cette analyse. Le marché est le lieu où peuvent coexister les êtres humains dans leur plus grande diversité. Tout le monde se fiche de savoir si vous êtes homme, femme, trans, gay ou bi ; athée ou religieux, et de quelle religion ; de quelle nationalité ; noir ou jaune ou blanc ; riche ou pauvre… Seule compte votre capacité de rendre service à quelqu’un. Et plus la diversité est grande, plus augmentent vos chances de trouver des gens qui apprécieront assez vos services spécifiques pour les payer.

Grégoire Canlorbe : Sous quelles circonstances et pour quelles raisons avez-vous rejoint les rangs de la philosophie anarcho-capitaliste ? Avez-vous toujours été un anarcho-capitaliste, fût-ce sans le savoir ?
 
Christian Michel : La politique ne m’intéressait guère avant 1981, quand une coalition socialo-communiste a pris le pouvoir en France. Ça fait réfléchir. Habitant Genève à l’époque, je n’étais pas directement concerné par les décisions de ce nouveau gouvernement, mais j’ai voulu comprendre à quoi aspiraient mes compatriotes avec leurs slogans : « changer la vie », « rompre avec le capitalisme », etc. Ne connaissant rien à la philosophie politique, j’ai décidé d’écrire un livre. L’écriture oblige au sérieux, à la rigueur de la pensée et de la documentation. J’ai découvert les auteurs libéraux les plus accessibles. Hayek et Rothbard m’ont guidé à cette époque. François Guillaumat, qui lisait mon manuscrit pour le compte de feu l’Institut Economique de Paris, m’a aiguillé vers Ayn Rand (qui ne m’a impressionné que quelques semaines). Après la parution du livre, La Liberté, deux ou trois choses que je sais d’elle, j’ai compris toutes les demi-mesures, les compromissions, les incohérences, du libéralisme classique que je défendais. Un peu de ceci, mais pas trop ; un peu de cela, mais avec ceci… Qui décide de ce qui est « trop », ou « pas assez » ? A ce moment mon libéralisme spontané et irréfléchi est devenu cohérent, c’est-à-dire radical. J’avais viré vers l’anarchisme.

Grégoire Canlorbe : J’aimerais me pencher le temps de quelques questions sur votre principal article en philosophie politique, à savoir « End of the Warriors ». Je cite l’idée essentielle de votre texte. 

« Producers embody the values of life and nature; warriors are on the side of culture, they must resist the natural urge to flee in the face of mortal danger. The producer acts out of self-interest, the warrior does what is right. The debt owed by society to those who accept to lay their lives for its protection is infinite. It cannot be repaid in the producers’ currency (money), but only in terms of prestige and power. But in accomplishing their mission, warriors must resort to all the methods forbidden to producers, killing, deceiving, coercing. Warriors were kept outside of society, even physically, in barracks and camps, so that their values would not infect the producers caste, nor would the bourgeois values of comfort, family life, and legitimate fear of death diminish the warriors’ morale. The state bureaucracy today has usurped the debt owed by society to its warriors. »

Pourriez-vous revenir ici sur le sens profond de cette assertion ?

 Christian Michel : Je ne sais pas si ce texte est le « principal » que j’ai commis en philosophie politique. Vous l’avez trouvé dans la traduction d’une amie, mais l’original est en français, publié sur mon ancien site Liberalia.

Vous mettez entre guillemets des phrases qui ne se trouvent pas dans le texte (je les ai cherchées pour les citer en français). Elles réflètent bien cependant mon propos. Il ne me paraît pas réclamer plus d’explication. Contrairement au bourgeois, motivé par l’intérêt personnel, le guerrier est celui qui accepte le sacrifice. Mais il vit dans un paradoxe. Pour être bon à ce qu’il fait, le guerrier doit être mauvais, dans le sens original de méchant. Il doit se livrer à tout ce que la société interdit: tuer, piéger, tromper, mentir… De tels gens sont nécessaires ; on leur doit des honneurs, on accepte qu’ils aient du prestige, mais on sait qu’ils sont dangereux. On les cantonne dans les casernes. On les tient à part dans la société.
Le phénomène nouveau est l’appropriation de ce prestige du guerrier par la classe des hommes de l’Etat. Eux aussi prétendent avoir sacrifié leur intérêt personnel à celui du « service public ». Ils ne viseraient que le bien commun. Ils méprisent les riches, les capitalistes, les égoïstes. La supériorité morale qu’ils se confèrent, usurpée des guerriers, leur donnerait le droit de pratiquer la même morale invertie, de justifier la violence, la tromperie, le vol, puisque c’est pour la bonne cause. Ils sont dangereux, comme les guerriers. Mais les guerriers meurent pour la cause qu’ils défendent. Les hommes de l’Etat en vivent. C’est toute la différence.

Grégoire Canlorbe : Vous écrivez : 

« En termes dutilité pour la société, les métiers dagriculteur, charpentier, marin ou banquier, sont essentiels. La fierté de les exercer ne devrait-elle pas être chantée dans les récits et lart universels ? Nous savons que ce nest pas le cas. Les héros sont les guerriers, parfois ce sont des saints et des artistes ; les vilains sont dans les affaires. Quelle raison pourrait expliquer cette déconsidération ? Les libéraux, encore moins que dautres, ne possèdent la réponse. Tout comportement humain est pour eux le résultat de lintérêt personnel, ce qui nest pas faux, mais ils ont tendance à mesurer cet intérêt en termes de gains et de pertes monétaires. Or très peu de gens utilisent cet unique critère dans leurs décisions. »

Pourquoi, selon vous, ce caractère inepte de la figure homo economicus ?

 Christian Michel : J’apporte une réponse dans le texte auquel vous vous référez. Homo economicus n’est pas vraiment « inepte ». Il présente l’avantage d’éviter les dangereuses utopies du XIXème siècle, où les hommes naturellement bons travailleraient pour le bien de tous, sans considération pour leur propre bien-être. Ça ne se passe pas comme ça. La connaissance que nous avons de nous-même et de nos frères humains nous le prouve assez. L’expérience des phalanstères, des kibboutzim, de l’Union Soviétique, ne fait que le confirmer.

Homo economicus n’explique pas tous les comportements humains, celui du guerrier, par exemple, et celui des nombreux individus, qui ne sont pas motivés en premier lieu par des gains monétaires. Si l’on parle d’intérêt personnel dans leur cas, il faut élargir la notion au point de lui faire perdre son sens habituel. Le prêtre a conscience de faire le travail de Dieu sur terre, voilà ce qui le motive principalement – est-ce de « l’intérêt personnel » ? La gratification de l’instit’ n’est pas tant le salaire (il gagnerait plus dans une entreprise), mais la réussite de ses élèves (peut-être aussi la sécurité de l’emploi, la peur de la vie hors de l’école, etc. Rien dans les trajectoires humaines n’est assignable à une cause unique). Ce sont des exemples simplistes. La complexité des motivations individuelles dépasse celle du modèle homo economicus. Mais il reste le moins mauvais outil que nous ayons pour analyser nos interactions.

 Grégoire Canlorbe : Votre article s’achève en ces termes. 

« L’émergence de l’État a exacerbé les conflits entre sociétés et les a rompues intérieurement en classes antagonistes. Cette division reflète les trois fonctions que chacun de nous peut et doit exercer soi-même, la relation au spirituel, le service à autrui, véritable fonction du guerrier, et la transformation de la matière. Ainsi réconciliées dans l’économie, ces trois fonctions nont plus lieu de fracturer le corps social. Lhumanité peut réaliser, mais à un stade plus avancé de son évolution, lidéal anarchique des Primitifs. »

Pourriez-vous expliciter votre pensée à fond sur ce point ?

 Christian Michel : Je pars de l’analyse marxiste (Engels, plutôt), qui fait de l’Etat l’instrument de l’exploitation d’une classe par une autre. Très schématiquement une minorité contrôle les structures du pouvoir politique, qui lui donnent les moyens physiques de confisquer le surplus de valeur créé par la majorité. Cela n’implique pas que tous les membres de cette minorité dominante se vautrent dans le luxe. Il y avait de petits propriétaires d’un ou deux esclaves et des aristocrates pauvres. Ce qui caractérise une classe est la conscience de ses membres d’en faire partie, et la nature de leur revenu individuel, non pas son montant. Si généreusement traité qu’il soit, un esclave reste un esclave, même s’il vit plus confortablement que beaucoup d’hommes libres. Le bourgeois de Molière a plus de bien que l’aristocrate à qui il destine sa fille, il n’en est pas moins un roturier. Il le sait, et les gentilshommes savent qu’il n’est pas l’un des leurs. L’Etat contemporain fracture la société avec la même brutalité – ceux qui ont le pouvoir de taxer les autres et vivent du produit de cette confiscation, et ceux qui sont soumis à cette prédation.

Les victimes ne se vivent pas comme telles. Je l’ai dit plus haut, Marx et ses disciples ont révélé le travail de l’idéologie, qui nous présente le pouvoir au dessus de nous comme nécessaire, sinon bienfaisant. Tant que l’idéologie masquera la prédation des hommes de l’Etat la société restera brisée en deux classes d’oppresseurs et d’exploités. Le projet libertarien, comme le projet marxiste, est de déchirer le voile de l’idéologie, rendre visible l’exploitation, et mettre fin à la lutte des classes.

Alors sans Etat, sans armée, sans fonctions régaliennes, chacun de nous sera à la fois prêtre et roi, guerrier, et producteur.

Grégoire Canlorbe : Charles Baudelaire écrit dans Mon Cœur mis à nu :

 « Il n’existe que trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer, créer. Les autres hommes sont taillables et corvéables, faits pour l’écurie, c’est-à-dire pour exercer ce qu’on appelle des professions. »
 
Que répondriez-vous à Baudelaire ?

 Christian Michel : Que répondre à un homme, qui se place parmi les seuls êtres respectables, sans apporter le moindre étai à son affirmation ? Ceux qui tuent ne m’inspirent guère ; les prêtres ne sont pas les seuls détenteurs de savoir, et les poètes ne sont pas les seuls créateurs.

Pour que cette phrase ait un sens, qui n’est pas celui que l’auteur voulait lui donner, il faudrait déclarer que chaque être humain entre en relation avec l’invisible – la fonction du prêtre ; chaque être humain lutte contre le mal – le devoir du guerrier ; et chacun est créateur de richesses, matérielles et spirituelles, à l’instar du poète.

 Grégoire Canlorbe : Au Moyen Âge un condottiere dont l’Histoire n’a pas retenu le nom, sauva la ville de Sienne d’un agresseur étranger. Il devint alors le saint patron de la ville, mais en contrepartie, il fut décapité sur la place publique par les habitants. Beaucoup de grands condottieri du Moyen Âge et de la Renaissance subirent un sort similaire au saint patron de Siennes : on craignait qu’ils ne devinssent trop puissants, orgueilleux et exigeants.

En un sens, ne réserve-t-on pas de nos jours le même sort aux entrepreneurs ? Tout en témoignant de leur gratitude pour les produits nouveaux ou meilleur marché qui leur sont mis à disposition par les entrepreneurs qui réussissent, la plupart des gens ne redoutent-ils pas le pouvoir (financier, publicitaire, politique) des businessmen, au point de demander qu’on les « assassine » en les accablant de taxes ou de réglementations ?

 Christian Michel : Celui qui nous rend service exerce un pouvoir sur nous. C’est la nature du pouvoir économique. Le patron qui me paie, parce que j’ai besoin de ce salaire, peut exiger que je pointe chaque matin ouvrable à 8h, et que j’effectue un nombre de tâches dans la journée. Les entreprises, qui nous rendent beaucoup de services par la qualité des produits qu’elles nous offrent, ont ce pouvoir de nous réclamer de l’argent en contrepartie. Mais la limite de ce pouvoir est le désir que nous avons du service rendu. Au moment où un autre patron me propose un travail plus attrayant, ou une entreprise m’offre un produit plus conforme à mes goûts, le pouvoir économique qu’exerçaient les premiers s’efface.

Tout autre est le pouvoir politique. Il se déploie même lorsque nous n’avons pas besoin de lui. Je n’ai pas besoin du douanier. Il ne m’apporte qu’une nuisance. A la limite, je le paierai pour qu’il reste chez lui. Mais il a le pouvoir d’ouvrir ma valise, fouiller mes poches, inspecter mes documents, me questionner… et le pouvoir politique exige que tous ceux qu’il importune ainsi le salarient (à vie).

Le danger qu’identifiaient les Siennois dans votre anecdote, et que craignent nos contemporains, est la collusion entre les pouvoirs économique et politique. Car lorsque les gens sont laissés libres d’offrir de nouveaux services, ce qui caractérise un marché, les entreprises établies risquent le déplacement de leur clientèle vers des nouveaux venus, mieux à l’écoute des désirs des gens. Les grands patrons vont alors se tourner vers les hommes de l’Etat. Ils les connaissent bien. Ils sortent des mêmes écoles, fréquentent les mêmes milieux, et finalement partagent les mêmes intérêts de classe. Ces patrons vont obtenir plus de régulation et des règlementations tatillonnes (car la complexité des règlements favorise principalement les grosses boîtes, qui ont les moyens de s’y conformer), ils vont se gaver de subventions, de commandes publiques, et ils s’accommodent des impôts, qui détruisent les capacités d’investissement des concurrents plus petits (car on sait que seule une multinationale peut délocaliser des centres de profit).

Le danger n’est donc pas l’entreprise, mais le pouvoir politique, qui accorde des faveurs aux uns qu’il refuse aux autres (ce qui est dans la nature même du pouvoir politique). Parce qu’il existe une telle confusion de ces pouvoirs économique et politique, les gens sont dans la même situation que cet ivrogne que décrivait Bertrand Russel, que le whisky et soda rendait malade, qui passa au gin et soda, avec le même effet, puis à la vodka et soda, etc., et qui conclut avec une logique imparable qu’il ne supportait pas le soda.

Pas plus que le soda, le pouvoir économique n’est le problème. Mais il faut chercher au delà des apparences de l’activité économique pour le comprendre.

Grégoire Canlorbe : Il existe une longue tradition de pensée hostile à démocratie. A cet égard permettez-moi de citer ces quelques vers de Pierre Corneille :

 « Mais quand le peuple est maître ou n’agit qu’en tumulte,
La voix de la raison jamais ne se consulte ;
Les hommes sont vendus aux plus ambitieux,
L’autorité livrée aux plus séditieux. […]
Le pire des Etats, c’est l’Etat populaire. »
Cinna, II II.

 J’imagine que vous souscrivez à l’idée générale de ces alexandrins. Pourriez-vous en toucher quelques mots ?

Christian Michel : Ce dernier alexandrin de votre citation était salué par des applaudissements à la Comédie Française au moment du Front Populaire. L’attaque contre la démocratie partait alors des fachos, de l’establishment, de ceux qui méprisaient les initiatives individuelles (le marché), pour lui préférer l’énergie du chef et l’expertise de l’élite. On n’en est plus là. (Ou bien, on n’en est pas encore là – je veux dire que le danger n’est pas nul dans un pays paralysé par l’incurie de ses politiciens et la faillite de son économie de voir un grand braillard à la tête de brutes promettre un ordre nouveau, une prospérité reconquise, pourvu qu’on lui laisse tout pouvoir).

La critique actuelle de la démocratie porterait plutôt sur ses deux présupposés idéologiques, le socialisme et le nationalisme.

On connaît des régimes socialistes sans démocratie, mais on ne connaîtra jamais de régimes démocratiques sans redistribution socialiste des revenus et interventionnisme erratique de la puissance publique. Le simple bon sens des électeurs nous le garantit. Les libéraux classiques, qui généralement prônent la démocratie, doivent en convenir, eux qui pensent que les hommes sont mus par leur intérêt matériel. Il est dans mon intérêt de voter pour le parti qui m’accordera tel ou tel avantage financier. C’est un comportement d’homo economicus. Si le gouvernement a le droit de détrousser Pierre et Paul pour me payer, je me fabriquerai un discours pour rationaliser cette spoliation de mes concitoyens. « Ils sont si riches, ça ne leur coûte pas grand chose de subvenir à mes besoins ». « C’est un acte de justice sociale ». « Ça crée du lien, il faut diminuer les inégalités », etc. Mais ce qu’une majorité accorde, la majorité suivante peut le reprendre. L’instabilité juridique ne favorise pas les projets à long terme, or ils sont nécessaires au développement économique et humain.

Et quand je mentionne que la redistribution « crée du lien », je souligne combien elle est nationaliste, en plus d’être socialiste. L’un ne va pas sans l’autre. Si ceux qui mangent au gâteau de la « justice sociale » sont trop nombreux, la part de chacun tend vers zéro. Il faut limiter les bénéficiaires, et on le fait par la nationalité. L’argent des Français va aux Français. Il ne va pas aux plus pauvres, aux réfugiés qui ont tout perdu dans les conflits, ou aux Haïtiens, aux Malgaches et autres Erythréens. Le privilège de la naissance, aboli par la Révolution de 1789, nous revient avec la démocratie sociale. N’avoir pas pris d’autre peine que de naître Français vous donne le droit à toutes sortes d’allocations, voire même un revenu à vie.

Ces failles du régime démocratique sont connues. Elles expliquent pourquoi les premiers démocrates se souciaient tant de limiter constitutionnellement le pouvoir des majorités, pourquoi ils hésitaient à universaliser le suffrage, préférant limiter le droit de vote à ceux qui n’auraient pas la tentation de vivre aux crochets d’autrui. Ces précautions n’ont pas suffi. La citoyenneté d’aujourd’hui est une activité subventionnée. Le « lien social » n’est plus une reconnaissance mutuelle de gens vivant dans une même communauté, mais c’est la relation du parasite avec son hôte, l’exploitation des uns par les autres, à travers la médiation des hommes de l’Etat.

La bonne nouvelle est que les développements technologiques irréversibles, qui sous-tendent la mondialisation, ont simplement causé la faillite de ces deux idéologies du XIXème siècle, le nationalisme et le socialisme.

 Grégoire Canlorbe : De nos jours la démocratie est souvent présentée comme le régime politique qui permet le mieux de régler par la « négociation » les conflits sociaux. L’Etat démocratique ne vise pas à éliminer les conflits, mais à mettre au point les procédures leur permettant de s’exprimer et de trouver un compromis.

En toile de fond de cette vision de l’Etat démocratique on trouve l’idée très en vogue d’après laquelle les intérêts des entrepreneurs et des salariés tendent naturellement à être antagoniques, à moins d’une intervention de l’Etat dans l’économie pour « équilibrer » les relations entre ces deux groupes sociaux. L’argument généralement avancé est que les entrepreneurs tendent spontanément à payer les travailleurs à un simple salaire de subsistance, condition à laquelle ils peuvent maximiser leur profit. Qui plus est, il existerait un complot permanent des entrepreneurs pour organiser de concert un sous emploi de masse, en sorte d’avoir tout pouvoir sur la main-d’œuvre.

La démocratie permettrait d’apporter une réponse pacifique à ces conflits d’intérêt et d’équilibrer par la législation les rapports de force entre patrons et salariés. A ce prix la paix sociale est acquise. Quel est votre sentiment sur cette analyse couramment avancée ?

 Christian Michel : Dans le schéma marxiste de lutte des classes, qu’encore une fois je crois pertinent, l’Histoire est linéaire. Chaque phase de développement est nécessaire au progrès suivant. On n’aurait pas pu concevoir une société libertarienne au XVIIème siècle, alors que les connaissances et les techniques acquises aux siècles suivants, la séparation des pouvoirs temporel et spirituel, l’émergence d’une société civile, la prospérité apportée par la révolution industrielle, etc. n’avaient pas encore informé la conscience morale des gens. Cette évolution n’est pas achevée. Nous ne sommes pas à la fin de l’Histoire.

Or dans cette évolution, nous sommes passés par un stage hobbesien, où il fallait du pouvoir politique. Il fallait un Souverain, qui fasse régner l’ordre, qui tranche les conflits, comme celui que vous citez entre patrons et ouvriers. La question s’est seulement déplacée au cours des générations sur la détention de ce pouvoir souverain : monarque héréditaire, absolu ou constitutionnel, chef charismatique, parti unique, ou représentants élus du peuple… Aujourd’hui il faut se demander pourquoi diable nous aurions besoin d’un Souverain. Il nous faut des compétences, c’est certain. Je me soumets volontiers à certaines autorités dans des situations spécifiques et temporaires, mon toubib, un avocat, l’équipage de l’avion…

 Mais pourquoi faudrait-il obéir en tout à un pouvoir unique ?

Dans le cas que vous mentionnez, il appartient aux représentants des actionnaires de négocier avec les représentants des employés pour résoudre leur différend. L’intervention de la puissance publique, quel que soit son mode de désignation, hérédité, élection, tirage au sort… est nuisible. Les employés ne sont pas désarmés. Ils disposent d’un pouvoir immense – rompre unilatéralement leur contrat de travail et paralyser l’entreprise. Si elle est sur le point d’enlever un gros contrat, ou si elle se trouve période faste, les patrons paieront. Si les employés sont trop gourmands, l’entreprise périclitera. L’exemple des copains, qui ont trop tiré sur la corde, servira d’avertissement aux autres. Toute activité sociale est un apprentissage.

Il faut à une société libérale des syndicats puissants, revendicatifs, bien organisés. Ils ne le sont pas, car depuis les années 1930, ils ont trahi la classe ouvrière. Au lieu de se battre contre les patrons, front contre front, ils ont demandé des lois sociales. Mais ceux à qui ils les demandaient, les hommes de l’Etat, étaient aussi à l’écoute des patrons. Ils ont légiféré, mais pas trop dans le sens des prolétaires. Du coup les syndicats ont tout perdu. Ils n’ont plus d’adhérents, car pourquoi payer des cotisations, alors que les syndicalistes eux-mêmes ont transféré aux gouvernants le pouvoir de défendre les employés ? Et parce qu’ils ont préféré l’action législative à l’action revendicative, les syndicalistes ont tout simplement encouragé les patrons à délocaliser l’activité là où la législation était favorable. Regardez l’implantation des sociétés de service, firmes d’avocats, cabinets d’audit, publicitaires, experts… Ils ont suivi leurs clients partout dans le monde. Pas les syndicats. Les syndicats auraient pu déclencher un mouvement revendicatif dans toutes les usines d’un groupe sur les cinq continents. Ça, c’est puissant. Mais au lieu de devenir multinationaux comme leurs clients, les syndicalistes ont criaillé chez les ministres de leur pays. Résultat : ils se sont rendus superflus.

Grégoire Canlorbe : A l’heure de la mondialisation capitaliste, il n’est pas rare d’entendre dire que celle-ci sonnerait le glas des démocraties ; et ce, au détriment des intérêts des petites gens. La mondialisation impliquerait une perte du pouvoir du citoyen lambda sur sa vie, celui-ci pouvant de moins en moins contrôler (indirectement) les flux économiques, humains et financiers, via l’action des représentants élus au suffrage universel. Le pouvoir des gouvernements d’agir au nom des intérêts du peuple s’éroderait au fur et à mesure que la libéralisation des échanges gagnerait du terrain.
Les vrais décideurs politiques ce serait désormais les grandes firmes capitalistes ainsi que les banques et les sociétés de notation. Les gouvernements seraient devenus le valet du grand capital et non plus le serviteur légitime des citoyens. Ces derniers sont privés, du coup, de tout pouvoir sur eux-mêmes. Pour faire court, la mondialisation libérale c’est l’ennemi du peuple ; et la démocratie c’est l’expression de la volonté populaire.
Que vous inspirent ces dires qui ont le vent en poupe ?

Christian Michel : L’argument pèserait lourd si la prémisse était juste – que les gouvernements élus représentent l’intérêt des petites gens. Il n’existe aucune raison pour que les gouvernants s’y emploient. Comme je l’ai dit plus haut, les hommes et les femmes qui exercent le pouvoir politique, en France comme ailleurs, qu’ils soient élus ou appartiennent à l’administration étatique, forment une classe soudée, attachée à la défense de ses privilèges, sociologiquement alliée au patronat. Les pauvres n’ont pas grand soutien à attendre de ces gens-là.

En plus, en quoi consiste l’intérêt des petites gens ? Avoir, par exemple, un salaire minimum garanti faible, ou bien un emploi mieux rémunéré, mais sans garantie de l’occuper toute sa vie ? Vivre dans une société prospère, qui peut financer la science de demain et les biens culturels d’aujourd’hui, mais qui exige pour cela un engagement fort de tous ses membres, ou une autre société, relaxe, qui demande peu de ses membres, mais crée peu de richesses – et cette société stagnante est-elle soutenable à long terme ?

Il existe deux formes de pouvoir, comme je l’ai dit plus haut. Le pouvoir de rendre service, c’est celui de l’économie, et le pouvoir de coercition, le pouvoir politique. Pour exercer du pouvoir sur moi, une firme doit me séduire, elle doit me faire désirer ce qu’elle veut me faire payer, ou me faire aimer travailler pour elle. C’est le mode capitaliste du pouvoir. Il émerge à la fin du XVIIIème siècle et se développe au cours du XIXème siècle, curieusement, en même temps que le féminisme, de Mary Wollstonecraft et Olympe de Gouges, jusqu’au suffragettes. Pendant des millénaires les sociétés avaient vécu sous l’emprise de la testostérone, le règne de la force brute et de la lutte armée. Avec le capitalisme les sociétés embrassent un mode de gouvernance plus associé avec le féminin, celui de la séduction. Je ne te menace pas de coups de bâton pour obtenir ce que je veux de toi, je te le fais désirer. Séduire est un pouvoir. Mais il a l’avantage de ne pas tuer. C’est un progrès.

La mondialisation étend cette gouvernance par la séduction à des régimes qui ne respectaient que la force. Tant mieux. Le règne des multinationales n’est pas parfait, mais il a l’avantage sur la démocratie de nous laisser décider avec qui nous voulons traiter. Je ne veux rien avoir à faire avec la majorité qui nous gouverne, mais puisque je suis dans la minorité, elle m’impose sa réglementation. Dans le marché capitaliste, il n’y a pas de minorités. Elles sont passées chez les concurrents. Si je ne veux pas traiter avec Peugeot, comme client, fournisseur, employé ou actionnaire, je me tourne vers Toyota ou Renault. Ça paraît très simple, et le plus extraordinaire est que c’est la réalité.
 
Grégoire Canlorbe : Un argument courant en faveur de la démocratie consiste à affirmer que celle-ci substitue la transition pacifique entre les gouvernements aux révoltes douloureuses et sanglantes.
Ecoutons Ludwig von Mises à ce sujet : 

« La fonction de la démocratie est d’établir la paix et d’éviter tous les bouleversements violents. Même dans les États non démocratiques un gouvernement ne peut finalement se maintenir que s’il peut compter sur l’assentiment de l’opinion publique. La force et la puissance de tous les gouvernements ne reposent pas dans les armes, mais dans l’esprit d’acquiescement qui met ces armes à leur disposition. […] Dans les États non démocratiques un changement de personnes ou de système dans le gouvernement ne peut s’opérer que par la violence. Un bouleversement violent écarte le système ou les personnes, qui ont perdu les racines qui les rattachaient à la population, et à leur place il met d’autres personnes et un autre système. […]

Les pertes matérielles et les ébranlements moraux qui accompagnent tout changement violent de la situation politique, c’est par la réforme constitutionnelle que la démocratie les évite. La démocratie garantit l’accord de la volonté d’État, s’exprimant par les organismes d’État, et de la volonté de la majorité, parce qu’elle place les organismes de l’État dans la dépendance juridique de la majorité du moment. Elle réalise, dans le domaine de la politique intérieure, ce que le pacifisme s’efforce de réaliser dans le domaine de la politique extérieure. »

Que penser, selon vous, de cet argument ?


Christian Michel : Mises naquit dans l’Empire d’Autriche-Hongrie, quand aucun pays n’avait de suffrage universel, quand la plupart vivaient sous des régimes autoritaires. Au cours de sa vie, la situation n’a fait qu’empirer. Même si Mises a vécu assez vieux pour voir la fin du fascisme, on comprend son indulgence pour la démocratie libérale. Elle représente un immense progrès dans l’histoire de l’humanité. On ne saurait le souligner assez. Mais elle n’annonce pas, quoi qu’on en ait dit, la fin du film.

Les gouvernants des pays développés aujourd’hui n’ont pas d’autre projet que de durer. Il n’ont plus de vision, n’offrent plus d’aspirations, pas plus d’avenir. L’imagination politique est en coma. Nos chefs légitiment leur pouvoir par la simple absence d’alternative. « Peut-être que nous sommes nuls, mais que proposez-vous d’autre ? »
Tout l’enjeu pour le salut du monde réside dans la réponse à cette question. Sommes-nous condamnés à l’existant – ce qui est franchement désespérant ? Ou bien pouvons-nous évoluer vers une société plus douce, plus chaleureuse, plus poétique – telle que les libertariens la conçoivent ?

 Grégoire Canlorbe : Quelle serait à vos yeux une manière pertinente d’organiser la transition de nos Etats démocratiques actuels vers la société anarcho-capitaliste ? Avez-vous confiance en l’avenir de la liberté ?

Christian Michel : Nous sommes les acteurs de l’Histoire, mais nous n’écrivons pas le scénario. Elle ne se déroule jamais comme nous l’avons prévu. Que pourrais-je donc vous annoncer sur la société nouvelle anarcho-capitaliste ?
Ma seule confiance réside dans l’analyse marxiste. Nous vivons un changement des modes de production, avec internet, les réseaux, la mondialisation, et tout ça. Ces avancées déstabilisent les structures de pouvoir établies au 19ème siècle. Je crois que le seul régime compatible avec la nouvelle économie est l’anarcho-capitalisme. C’est à ce fil ténu que mon espoir d’un monde meilleur se raccroche.

Grégoire Canlorbe : Hans Hermann Hoppe a défendu naguère l’idée que la transition des démocraties vers l’anarcho-capitalisme pourrait se faire seulement au prix d’un renoncement aux idéaux qu’il décrit comme « alternatifs ». Selon lui la démocratie est intrinsèquement hostile au conservatisme culturel et le lit de toutes sortes de mœurs qu’il juge « déviantes. » L’avènement de l’anarcho-capitalisme doit nécessairement coïncider avec celui d’une société résolument intolérante envers les modes de vie « hédonistes » et en rupture avec le chaos moral de la démocratie. Le conservatisme culturel fait partie intégrante de l’ADN d’une société anarcho-capitaliste.

Je laisse la parole à Hans Hermann Hoppe : 

« Dès que des membres de la société expriment avec régularité l’acceptation ou même le soutien aux sentiments égalitaires, que ce soit sous forme démocratique (règle de la majorité) ou communiste, il devient essentiel que les autres membres et en particulier les élites sociales naturelles, soient prêts à agir de façon décisive et, en cas de non-conformité qui perdure, excluent et in fine bannissent ces membres hors de la société. Dans une convention conclue entre un possesseur et des résidents communautaires avec pour but la protection de leur propriété privée, il n’existe rien de tel que la liberté (illimitée) de parole, pas même le droit illimité de parole sur sa propre propriété de résident. […]

Il ne saurait y avoir de tolérance envers les démocrates ou les communistes au sein d’un ordre social libertarien. Il leur faudra être physiquement séparés et bannis de la société. De même, au sein d’une convention fondée pour la protection des familles et des proches, il ne peut y avoir de tolérance envers ceux qui promeuvent régulièrement des styles de vie incompatibles avec cet objectif. Ils – les avocats des styles de vie alternatifs, non familiaux et « entre eux », tels que par exemple, l’hédonisme individuel, le parasitisme, l’adoration de la nature-environnement, l’homosexualité, ou le communisme – devront être physiquement retirés de la société, aussi, si on veut pouvoir maintenir un ordre libertarien. »



Quel est votre avis sur cette analyse ?
Ce raisonnement contient une contradiction interne. Dans un monde où la violence contre les innocents ne reste pas impunie – c’est à dire un monde sans Etat – les individus peuvent se regrouper en communautés et mettre en pratique tous les modes de vie qui assurent, selon eux, leur épanouissement – religieux, démocratique, hédoniste, culte du chef, etc. Un tel groupe, cependant, contrairement aux systèmes politiques contemporains, n’a pas de légitimité pour contraindre un individu, assigné à ce groupe par sa naissance, ou par un choix antérieur mal avisé, à y rester et à s’y soumettre.

J’avais cette discussion lorsque je trainais en Russie à l’époque de Gorbatchev et Eltsine. De vieux Soviétiques larmoyaient : « Dans la guerre entre le capitalisme et le socialisme, nous avons perdu. » Je leur faisais remarquer que le capitalisme n’est jamais opposé au socialisme. Dans le plus radical régime capitaliste (disons ‘anarcap’), tous ceux qui veulent mettre en commun leurs moyens de production, renoncer à leur héritage, partager également leur revenu, sont parfaitement libres de le faire. Et si en le faisant ils se montrent heureux, apaisés, créatifs, d’autres viendront les rejoindre, et le socialisme se répandra sur le globe. Mais les socialistes ne croient pas qu’ils rendent les gens heureux. Il leur faut s’emparer du pouvoir pour instaurer le socialisme. Si les capitalistes laissent ceux qui le veulent être socialistes entre eux, la réciproque n’est donc pas vraie. La guerre ne fut pas entre le capitalisme et le socialisme, mais fut une résistance contre le socialisme imposé.

Dans la communauté anarcap qu’imagine Hans-Hermann Hoppe, les hédonistes, démocrates et autres communistes n’auront pas leur place. Pas besoin pourtant de les exclure. Eux-mêmes sentiront que ce style de vie ne leur convient pas. En conséquence, ils formeront d’autres communautés plus conformes à leurs vœux. Il me semble que cette association des gens entre eux en fonction de leur choix de vie satisfait l’éthique mieux que l’imposition d’une norme unique à tout le monde par un chef ou par une majorité.

Hoppe est dogmatique. Pour ma part, je laisserai l’Histoire décider des modes de vivre ensemble (il y en a plus d’un) appropriés aux êtres humains dans leur diversité. Il est possible que des hédonistes, communistes et homosexuels, qui ne seraient pas à l’aise dans la communauté que Hoppe idéalise, en forment une autre, peut-être moins prospère si leur préférence temporelle leur fait renoncer aux investissements à long terme, mais fort plaisante pour ses membres.

Les deux écueils sont ceux-ci. Il faut que chaque communauté séduise de nouveaux membres, et traite assez généreusement ceux qui s’y trouvent, pour n’être pas dépeuplée. Et il faut que chaque communauté renonce à razzier les richesses d’une voisine plus prospère. Le problème n’est pas nouveau. C’est exactement celui que la coexistence des Etats nous pose depuis plusieurs millénaires. Puisque les Etats n’ont pas su le résoudre par la violence, cherchons par des moyens pacifiques à réussir mieux qu’eux.

Grégoire Canlorbe : Le passage du positif au normatif, de la description du monde tel qu’il est aux prescriptions sur ce que le monde devrait être, est un problème épistémologique bien connu. Au sein de la tradition libérale, les auteurs jus-naturalistes, tels que Locke, Bastiat et Rothbard, tiennent la propriété privée légitime (i.e. acquise sans violence) pour un droit naturel, i.e. qui se déduit de la nature humaine.

Il est souvent argué que cette position philosophique n’est pas valable en ce sens qu’elle infère un devoir-être sur la base de l’être, ce qui constitue une aberration logique. En tant que libéral anarcho-capitaliste et jusnaturaliste, que répondriez-vous à cette critique récurrente ?

 Christian Michel : Jusnaturaliste ? Pas moi. Je n’ai rien observé dans la nature qui nous enseignerait le Juste, le Bien, le Droit. En revanche, tout système – donc une société – pour fonctionner, obéit à des règles. On ne peut simplement pas imaginer une société qui déclarerait : « C’est ok chez nous de tuer, de battre les gens, de violer, de voler, de tromper autrui… ». Chacun se terrerait chez soi, ou se réfugierait au plus profond des forêts. Chaque société ajoute à ces prohibitions d’autres règles qui lui sont propres, mais ces prohibitions sont communes à toutes. On peut les enclore dans le concept de propriété. On peut dire qu’il est dans la nature de toute société de reconnaître et de faire appliquer le droit de propriété de chacun sur son corps, sur ce qu’il produit grâce à son corps et ses facultés intellectuelles, et sur ce qu’il acquiert par échange ou par don, c’est à dire en respectant un droit identique de propriété chez autrui. Le droit n’est donc pas attaché à l’être humain pris individuellement. La notion de droit n’a aucun sens pour Robinson dans son île. Il en appellerait au droit contre qui ? Les éléments ? Les animaux ? En revanche, le droit de propriété existe nécessairement dès que l’on fait société, à deux ou à plusieurs, et avec l’humanité entière. C’est une nécessité inscrite dans la nature même d’une société pour qu’elle fonctionne.

L’objection courante signale que toutes les sociétés historiques et présentes ont fonctionné avec un taux plus ou moins élevé de meurtres, viols, pillages et tromperies. C’est vrai. Mais l’intuition ne nous dit-elle pas que ces sociétés eussent fonctionné mieux encore si elles n’avaient pas souffert ces violations du droit ?

Et nul ne viole plus allègrement ces prohibitions que les hommes de l’Etat. C’est la fonction même de la politique, son but unique, que de désigner une classe dans la société qui jouit de l’impunité pour les crimes qu’elle commet. Nul n’a le droit de tuer – sauf les guerriers, nommés par les hommes de l’Etat. Nul n’a le droit de voler – sauf les hommes de l’Etat, qui prélèvent l’impôt. Nul n’a le droit de mentir et tricher – sauf pour une raison d’Etat. L’avenir que souhaitent les anarcaps consiste tout uniment à appliquer à tous une identité de droits. On ne peut pas justifier moralement que certains membres de la société puissent commettre impunément des crimes, pour lesquels n’importe qui d’autre est condamné. Abolir cette injustice, pratiquer l’identité des droits pour tous, c’est réaliser la société sans distinction de classe, une société anarcap.

 Grégoire Canlorbe : Il est de bon ton de reprocher au libéralisme d’annihiler le lien social et de réduire les êtres spontanément sociaux que nous sommes à des atomes isolés.
L’argument généralement invoqué peut se formuler comme suit : 

« La vie en société implique nécessairement que chacun soit dépossédé de sa liberté naturelle (i.e. la liberté intégrale que possède tout homme qui ne vit pas en société). La vie en société implique que le droit en vigueur soit en mesure de contraindre les individus à pratiquer ou à éviter certains comportements, et ce, dans l’intérêt même des membres de la société. En effet, tout un chacun consent implicitement, dès lors qu’il vit en société, à ce que certains comportements soient prohibés et d’autres rendus obligatoires. S’il y consent c’est dans son propre intérêt – car aucune société ne serait être ni agréable à vivre ni utile pour l’épanouissement des individus qui la composent, si tout y est facultatif et si rien n’y est interdit.

Ce consentement implicite est précisément l’acte fondateur et le ciment de la société. S’ils conservent intacte leur liberté dite naturelle, les individus ne forment pas une société : ils sont isolés les uns des autres, ils mènent chacun une existence séparée ; ils n’ont pas, à proprement parler, quitté l’état de nature. »

Que rétorqueriez-vous à ces dires en vogue ?

 Christian Michel : Que j’y souscris totalement. Comme je l’ai indiqué dans la réponse précédente, je ne sais pas d’où sortirait cette « liberté naturelle », qui serait celle d’êtres humains hors de toute société. Ça n’existe pas. Les ermites et les Robinsons ont eu des éducateurs. Or vivre en société implique des prohibitions et des obligations. Le débat ne concerne pas l’existence de ces contraintes, mais leur légitimité. Si j’ai fait une promesse, signé un contrat, je me suis créé une obligation. Si quelqu’un, sous prétexte de quelque impôt, exige que je paie une somme quelconque, je n’ai pas d’obligation. Je cède (ou pas) à la force.

Loin de vivre les « existences séparées », dont parle l’auteur de la question, les êtres humains en société sont attentifs aux désirs, aux souhaits, aux aspirations d’autrui, puisque leur propre bien-être dépend de leur capacité à les satisfaire – le médecin à soulager ses patients, le prof’ à inspirer ses élèves, l’industriel à présenter des produits désirés. Il me semble que ces relations correspondent à une élévation du niveau de conscience d’autrui par rapport à une société fondée sur des relations politiques, c’est à dire, des prises de pouvoir.

 Grégoire Canlorbe : Supposons que votre enfant de dix ans soit à l’hôpital et atteint d’une maladie incurable. Il lui reste désormais quelques heures à vivre. Sur le chemin de l’hôpital le diable vient à votre rencontre et vous apprend que le socialisme totalitaire est le destin de l’humanité. Aucun pays de la planète ne sera à l’abri. La Terre deviendra la patrie du socialisme totalitaire, sans aucune échappatoire pour l’humanité.

Le diable vous offre le choix entre deux cartes à jouer. La carte rouge sauve votre enfant de la maladie, mais d’ici deux siècles le monde sombrera inévitablement dans une dictature étouffante, cruelle et perpétuelle. La carte bleue est le seul espoir de l’humanité : elle abolit définitivement ce futur de désolation. En contrepartie votre enfant meurt.

Le diable ne vous contraint point. Il vous laisse libre de refuser de prendre l’une ou l’autre de ces deux cartes. Il vous avertit que si telle est votre décision, non seulement votre enfant mourra mais l’humanité sera absorbée par le socialisme totalitaire. A vous de faire un choix entre ces trois options : 1) la carte rouge, 2) la carte bleue, 3) aucune de ces deux cartes.

Où la liberté se situe-t-elle dans votre échelle de valeurs ? Confronté à une telle situation, feriez-vous passer l’amour que vous vouez à votre enfant avant votre attachement à la liberté ? Que ce soit parce que vous refusez de choisir entre les deux cartes à jouer ou parce que votre souci prioritaire est de sauver la liberté, seriez-vous prêt à laisser mourir le petit ?

 Christian Michel : La réalité ne présente jamais des alternatives simples, comme celle entre les cartes rouge ou bleue de votre histoire, ou dans la ‘wagonologie’ de Philippa Foot (un wagon fou dévale le long de la voie et va percuter 5 ouvriers ; vous avez la possibilité de l’aiguiller vers une autre voie, où il ne tuera qu’une personne ; baissez-vous le levier ? Et si cette personne est votre fils ? ou encore un savant, dont les travaux vont sauver des milliers de malades ? etc.).

Les choix ne sont jamais binaires. Comme l’exprimait poétiquement, mais justement, Jacques Prévert « De deux choses l’une – l’autre, c’est le soleil. »

Si vous voulez absolument une réponse à votre question, je sauve mon enfant. D’ici deux siècles, l’humanité aura trouvé le moyen de déjouer les plans de votre méchant démon.

Grégoire Canlorbe : Notre entretien touche à sa fin. Aimeriez-vous ajouter quelques mots ? 

Christian Michel : J’ai été si bavard en répondant à ce questionnaire que je ne saurais rien ajouter de concis. Mais les questions étaient brillantes, pertinentes, et j’ai pris plaisir à les traiter.

Par Christian Michel

A voir également :




Self made man, Christian Michel a fondé en 1975, en Suisse, la société d’investissement Valmet, qui compte aujourd’hui dix filiales dans le monde. À l’aise dans tous les pays du monde, doué d’une excellente plume, il a écrit de nombreux articles en anglais ou en français.
Il est président de Libertarian International, directeur de ISIL et membre du bureau de Libertarian Alliance.


Christian Michel

De Wikiberal
 
Christian Michel, né en 1944, est un self-made man qui a fondé en 1975, en Suisse, la société d'investissement Valmet, qui compte aujourd'hui dix filiales dans le monde. À l'aise dans tous les pays du monde, doué d'une excellente plume, il a écrit de nombreux articles en anglais ou en français. Il animait le site Liberalia. Libéral et scientifique, il faisait partie du bureau éditorial du Journal of Libertarian Studies.  

octobre 29, 2014

Sur la page pour une démocratie libérale (1/21) (fédéralisme)

L'Université Libérale, vous convie à lire ce nouveau message. Des commentaires seraient souhaitables, notamment sur les posts référencés: à débattre, réflexions...Merci de vos lectures, et de vos analyses.



Le fédéralisme

Lorsque des groupes humains libres ayant des langues, des religions, ou des règles culturelles différentes, choisissent d'adopter un cadre constitutionnel commun, ils veulent à la fois un minimum d'autonomie locale et l'égalité des chances au plan économique et social. Un système fédéral - consistant en un partage du pouvoir entre les niveaux local, régional et national - donne les compétences voulues aux responsables élus chargés de concevoir et gérer des politiques à même de répondre aux besoins locaux et régionaux. Ces élus locaux et régionaux s'associent avec le gouvernement national et entre eux pour résoudre les nombreux problèmes auxquels le pays est confronté.
Le fédéralisme est un système de partage de l'autorité et du pouvoir de décision entre plusieurs niveaux de collectivités publiques gérés par des responsables librement élus ayant autorité sur la population d'un même territoire. Il accorde aux collectivités locales et à des collectivités de niveau intermédiaire une capacité de décision sur les affaires pour lesquelles les résultats sont les plus immédiatement ressentis par les populations concernées.
 
Le fédéralisme oblige les responsables publics à rendre des comptes à leur population, suscite la participation des citoyens et favorise la responsabilité civique en permettant aux collectivités territoriales de concevoir et gérer le cadre de la vie locale.
 
Un système fédéral est renforcé par une constitution écrite précisant le partage des pouvoirs et des responsabilités entre les différents niveaux territoriaux.


« C’est au niveau local que réside l’énergie d’un peuple libre ;
les institutions locales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science, elles la mettent à la portée de tous »
A. De Tocqueville

On convient généralement que les collectivités locales sont mieux placées pour répondre aux besoins locaux et qu'il vaut mieux laisser à l'État fédéral la responsabilité de certains domaines, parmi lesquels on cite généralement à titre d'exemples la défense nationale, les traités internationaux, les budgets fédéraux et les services postaux.

Les arrêtés municipaux reflètent les préférences des populations locales quant à l'organisation des services publics locaux : c'est généralement au niveau local que sont organisés les services de police et d'incendie, que sont gérés les écoles primaires et les centres médicaux publics locaux et que sont prises les décisions relatives à la réglementation locale.
Les divers niveaux de pouvoirs publics d'un État fédéral (gouvernement fédéral, États, régions, ou cantons fédérés et collectivités territoriales) coopèrent sur les questions où les pouvoirs qui leurs sont conférés par la loi le prévoient. Le gouvernement national joue généralement un rôle de médiateur dans les conflits entre collectivités territoriales.

Dans un pays au territoire étendu, hétérogène sur le plan économique, les disparités de revenu et de protection sociale entre les États fédérés ou les régions peuvent être atténuées par l'État fédéral au moyen de politiques de redistribution du revenu.

Un système fédéral est réceptif et intégrateur. Les citoyens sont libres de se présenter à des charges électives aux niveaux territoriaux qui offrent à chacun le plus de postes de responsabilité et peut-être les meilleures chances d'être utile à sa communauté.
 
Le fédéralisme offre aux partis politiques de multiples possibilités de servir leurs électorats. Même si un parti ne détient pas la majorité au parlement national ou ne détient pas le pouvoir exécutif national, il peut avoir des responsabilités dans les collectivités territoriales.  


Aussi nombreux qu'ils sont, les systèmes fédéraux présentent en général les mêmes caractéristiques. L'Etat fédéral est une communauté d'Etats dont les rapports régissant les Etats fédérés entre eux et avec l'Etat fédéral sont contenus dans la constitution de celui-ci. Les caractéristiques et les principes de ce système sont consacrés par la doctrine et appliqué dans les Etats fédérés, et leur permettent une autogestion dans certain domaine nous examinerons ses principes et ses caractéristiques (section 1), ensuite nous parlerons des spécificités des systèmes fédéraux (section 2).

Section1 : Les caractéristiques et les principes du fédéralisme

A Les principes du fédéralisme
Le respect des principes d'autonomie, de participation et d'égalité des Etats est la condition sine qua non pour pouvoir parler d'un Etat fédéral. Ces principes sont consacrés explicitement par les constitutions fédérales des Etats.

a- le principe d'égalité
Le principe d'égalité est l'un des piliers du système fédérale, il garantie aux Etats membres une égalité de traitement entre tous les Etats membres sans aucune distinction liées à l'ancienneté ou le poids politique, démographique au sein de l'union. À l'intérieur du territoire fédéral, il rend possible l'unité dans la diversité. C'est-à-dire l'unité du territoire fédérale dans un vison global malgré les diversités et les particularités de chacun des Etats qui le compose.

b- le principe participation
La participation des Etat fédérés à la direction de la politique fédéral s'opère par leur participation au sein des instances fédérales chargées d'élaborer cette politique, et d'effectuer les révisons du pacte fédéral. Ce principe est une certaine garantie de leur implication à toutes modifications du traité qui leur confère leur droit. Le fait qu'il ait plusieurs dirigeants politiques (issus des Etats fédérés) associés à l'action du gouvernement fédéral rend cette action beaucoup plus transparente et intensifie la démocratie (séparation des pouvoirs, liberté et autonomie des institutions...) au sein de l'Etat fédéral. Ainsi les représentants des Etats fédérés pénètrent tout le système fédéral en vertu des dispositions de la constitution.

c- le principe d'autonomie
Parmi les principes précités, le principe d'autonomie est celui qui permet le développement des institutions, des normes juridiques propres au territoire de l'Etat fédéré. Cette autonomie est une autonomie de décisions, de gestion dans plusieurs domaines (fiscalité, police, éducation...) sans qu'aucune tutelle de l'Etat fédéral ne soit crainte. Les compétences entre l'Etat fédéral et les Etats fédérés sont réparties sur la base du principe de subsidiarité, ce qui empêche l'Etat fédéral d'intervenir dans les domaines qui ne sont pas les siens.
L'application du principe d'autonomie montre que le fédéralisme permet ainsi aux Etats de s'auto administrer largement dans le respect de leur spécificités, car en réalité, il s'agit d'Etats jouissant d'une souveraineté, certes réduite, mais réel, avec une identité nationale et culturelle propre. Cependant, une restriction existe concernant les Etat fédérés, afin de fortifier l'union, la constitution fédérale prévoit des clauses empêchant un Etat de sortir de l'union, cela dans le but de conserver les privilèges d'un vaste territoire (richesses naturelle, espace économique...).

B- Les caractéristiques du fédéralisme

a- L'association d'Etat
Tout d'abord, l'Etat fédéral est composé d'un certain nombre d'entités dont le nom varie : Etats fédérés (Etats-Unis), cantons (Suisse), Lander (Allemagne)... qui ont des apparences d'un Etat (constitution, des institutions étatiques, organisation politique...) mais qui sont privées de la souveraineté externe, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas de relation directe avec l'extérieur. Egalement, les compétences de l'Etat fédéré ne sont pas illimitées, car elles s'exercent dans le cadre fixé par la constitution fédérale.
C'est pour diverses considérations notamment économiques, politiques, culturelles, sécuritaires... que des Etats autrefois unitaires se sont constitués en fédération d'Etats, laissant ainsi derrière eux une partie de leur souveraineté au profit de l'Etat fédéral. La souveraineté est définie comme le droit d'exercer l'autorité politique sur une zone géographique donnée, c'est dans ce sens que les Etats fédérés partagent avec l'Etat fédéral la souveraineté et les compétences. Les Etats fédérés disposent d'une souveraineté interne qui entraîne une autonomie des institutions politiques (gouvernement, parlement...), des institutions administratives, et judiciaires. La souveraineté externe appartient à l'Etat fédéral, il garde ainsi le monopole des relations extérieures en matière diplomatique, commercial... Les Etats fédérés coexistent entre eux sans concurrence ni discrimination culturelle, politique ou économique comme c'est le cas dans les relations internationales. La naissance de l'Etat fédéral a donné lieux à une superposition d'Etat et surtout de gouvernement. En fait, le gouvernement fédéral et le gouvernement fédéré s'administrent et agissent de manière autonome, sans contrôle ni injonction externe.
Par contre, c'est grâce au principe de participation que les Etats fédérés concourent à l'élaboration des lois fédérales par le biais de leur représentant et de leurs partis politiques au parlement fédéral.
Il faudrait rappeler que le fédéralisme est né des diversités et de la pluralité des composantes du territoire héritées des structures féodales (principauté, duché, comté, villes libres...) en ce qui concerne l'Europe. Car à l'époque des empires, ces structures s'administraient de façon autonome. Généralement, les Etats fédéraux d'aujourd'hui sont d'abord passés par l'étape de la confédération d'Etats ; c'est le cas des Etats-Unis en 1776, la confédération Helvétique (suisse) en 1315, la confédération d'Allemagne du Nord en 1866. Contrairement au système fédéral, la confédération est une association d'Etat qui respecte la souveraineté internationale de ses membres et se limite aux domaines pour lesquels il a été crée.

b- Le partage du territoire et des compétences
Le territoire de l'Etat fédéral est constitué par l'ensemble des territoires des Etats fédérés. Comme nous l'avons précité le territoire est un élément constitutif de l'Etat. L'Etat fédéral par certaines de ses lois, et actions couvre l'ensemble de son territoire. Ce qui veux dire que le citoyen est à la fois soumis au droit élaboré par l'Etat fédéral et celui émanant de son état fédéré. Philippe Ardent constate que « le fédéralisme rapproche le pouvoir du citoyen. Mais il laisse entre les mains des autorités fédérées des attributions exercées dans l'Etat unitaire »
Le fédéralisme est particulièrement bien adapté dans les pays ayant un territoire peuplé par une diversité raciale, ethnique, culturelle, linguistique, et religieuse. La structure fédérale se caractérise surtout par l'existence d'un parlement bicaméral. L'une des chambres représente la population dans son ensemble, chaque Etat envoie des délégués (en nombre proportionnel de sa population). La seconde chambre est la chambre des états où chacun y siège, par le biais d'un représentant, sur un pied d'égalité avec les autres Etats indépendamment de sa population. Ces représentants veillent à la défense de leurs intérêts nationaux et font prévaloir leur droit de participation. En ce qui concerne la répartition des compétences, elles sont contenues dans la constitution fédérale. Les tendances dominantes de cette répartition montrent que l'Etat fédéral a l'armée sous son autorité et dispose en général du pouvoir de lever les impôts, et des compétences étendues dans les domaines du droit privé (statut familiale, commerce, banque, assurance...) sur tout le territoire. Pour la diffusion de la politique et des directives fédérales du gouvernement, des institutions fédérales veillent à l'application et le suivi de celles-ci. Elles concernent le domaine de la justice, les finances, la sécurité, les télécommunications, la fonction publique fédérale... sans pour autant empiéter dans les compétences des Etats fédérés.

C- l'autonomie constitutionnelle des Etats fédérés

L'Etat, étant une personne morale, il ne peut exister comme telle qu'en vertu d'un statut : c'est la constitution. Elle organise et définie le rôle et les compétences des entités territoriales et des institutions. L'acte fondateur de l'Etat fédéral consacre l'autonomie des Etats fédérés en leur octroyant l'autonomie financière, l'autonomie administrative, l'autonomie constitutionnelle et l'autonomie législative, c'est-à-dire un large champ d'action pour l'administration et la gestion, en théorie.
Chaque Etat fédéré a sa propre constitution, élaboré par son pouvoir constituant (assemblée constituante). Par cette constitution, l'Etat fédéré organise ses institutions et légifère dans les domaines qui lui ont été dévolus (implicitement ou explicitement) par la constitution fédérale, on parle d'une autonomie constitutionnelle matérielle. Cela s'inscrit dans les garanties juridiques concernant leur autonomie. Elles organisent leurs pouvoirs publics dans le respect de la constitution fédérale. Ceci dit, la constitution des Etats fédérés varie d'un Etat à un autre, l'organisation interne aussi y est conçue différemment que ce soit pour l'administration, la gestion ou le mode de scrutin. En principe, il n'y a pas de contrôle fédéral sur l'exercice des compétences des institutions ou d'autorité fédérées, les juges peuvent cependant leur imposer le respect des règles fédérales. Bien que les Etat fédérés soient dotés d'un pouvoir constituant qui leur donne la possibilité de créer des normes juridique s'appliquant seulement sur leur territoire, il reste que la suprématie de la loi fédérale est évidente et s'impose dès sa promulgation. Il abroge toutes les lois contraires : « le droit fédéral brise le droit des Etats ». Cependant, il existe deux modes de répartition des compétences :
-la constitution énumère le plus souvent les compétences attribuées à l'Etat fédéral, toutes les autres matières sont laissées au Etats fédérés. Exemple des Etats-Unis.
-parfois, au contraire, la constitution donne la liste des attributions confiées aux Etats fédérés. L'Etat fédéral peut intervenir dans les autres domaines. Exemple : Inde, Canada...
Il est fréquent, enfin, qu'en dehors des domaines réservés, la constitution prévoit des compétences concurrentes, avec une priorité de l'Etat fédéral sur l'Etat fédéré. Mais cette règle n'est pas générale pour tous les systèmes fédéraux. Cette formule est toutefois source de conflit délicat à trancher.

Section2 : spécificités des systèmes politiques fédéraux

On reconnaît des caractères identiques aux systèmes fédéraux tels que le bicaméralisme du parlement fédéral associant les Etats, ou ces principes sans lesquels on ne peut parler de fédéralisme en ce qui concerne la forme. Dans le fond, les systèmes fédéraux diffèrent d'un Etat à un autre, c'est le cas du système fédéral Allemand et du système fédéral Américain.
A le cas des systèmes Allemand et Américain
a- le système allemand
Au sortir de la seconde guerre mondiale, la création de la république fédérale D'Allemagne en 1947, est pour les alliés, une façon de pallier le retour d'un pouvoir central fort identique au régime Nazi. La loi fondamentale du 8 mai 1949 met d'avantage l'accent sur la participation des seize Lander (Etat fédéré) au pouvoir du Bund (L'Etat fédéral) que sur leur autonomie. Ils participent aux institutions du Bund, c'est-à-dire au parlement (Bundestag), et au gouvernement (Bundesrat fait des membres du parlement). Ils disposent d'organe exécutif, législatif et judiciaire comme tout Etats. Leur autonomie est relativement réduite et se limite dans la législation exclusive au domaine de la culture et l'éducation, par contre il exerce concurremment avec l'Etat fédéral sur les matières du droit civil, droit pénal, et la législation économique. Ils ont également une souveraineté en matière de finance puisqu'ils peuvent créer et percevoir de nouveaux impôts. Les autorités fédérée vont même jusqu'à signer des traités entre eux, et organiser des conférences ministérielles, par exemple la « conférence permanente des ministres de l'éducation » qui veille à l'harmonisation des politiques locales, et des équivalences des diplômes. Au niveau des institutions, une certaine homogénéité intellectuelle et politique est nécessaire entre l'Etat fédéral et les Lander, comme le consensus sur la définition de la démocratie en tant que principe fondamental, ou sur les principes de l'Etat de droit et de l'Etat social, car la loi fondamentale exige que les conditions de vie doivent être semblables sur toute l'Allemagne.

b- le système américain
Le système fédéral Américain quant à lui possède 50 Etats dont un est entièrement sous le régime fédéral (Washington DC, la capitale). Chacun des Etats fédérés diffèrent dans son organisation administrative, ses lois, et sa manière de rendre la justice ou d'organiser les élections, ils conservent ainsi leurs identités et leurs coutumes. L'exemple avec la peine de mort qui est pourtant reconnu et appliqué dans certain Etats fédérés (comme le Texas...) mais n'est pas appliquées dans d'autre en raison de leur disposition constitutionnelle, ou le fait que certains Etats ne prélèvent pas l'impôt sur les sociétés alors que d'autre le font, montre que les Etats ne sont pas soumis à une règle d'uniformisation comme dans d'autre système unitaire ou fédéral. L'Etat fédéral intervient toutefois de la même façon dans tous les Etats, en vertu des compétences énumérées par la constitution de 1787, par exemple sur le prélèvement des impôts directs, ou la mise en oeuvre de la politique fédérale sur le plan économique.
B la multiplicité des fédéralismes et reproches générales
On peut dire, par cette analyse, qu'il n'existe pas un système fédéral homogène et commun à tous les Etats fédéraux. Il y a autant de systèmes que d'Etats, de l'Inde aux Etats-Unis en passant par le Nigeria. Cependant, le fédéralisme présente quelques inconvénients. D'abord, l'expérience montre que les garanties juridiques accordées aux entités fédérées sont parfois bien fragiles et que des conflits éclatent entre ces Etats, les plus faibles ont du mal à faire respecter leur point de vue, l'égalité des Etats n'est que fictif, ou du moins en fonction de leur niveau de développement économique. En outre, l'évolution des Etats fédéraux va dans le sens du renforcement de l'Etat fédéral au détriment des Etats fédérés. La réduction de leur autonomie ne tient pas à des raisons politiques, à une volonté du gouvernement central de dessaisir d'une partie de leur pouvoir des partenaires devenus encombrant ou incommodes, elle résulte du constat que l'Etat fédéral est plus à même de résoudre les problèmes économiques et sociaux d'une société moderne modern placée dans un environnement international où la concurrence est la lois. En RFA et en Suisse par exemple, la constitution a été fréquemment révisée pour faire passer des compétences au profit de la fédération. Mais cette tendance n'est pas générale comme le montre le cas de l'éclatement de l'ex URSS et de la Yougoslavie, les problèmes politiques de la Belgique entre wallon et flamand (qui demandent une séparation). La mise en cause des principes idéologiques de cette union (le communisme dans le cas de l'ex URSS) fait apparaître l'union comme artificielle, et chaque composante cherche à acquérir son indépendance.
Nonobstant ces faiblesses, Le fédéralisme demeure une structure dynamique dont le fonctionnement et l'efficacité évolue à travers les différentes phases de sa construction, ce qui requière sans cesse des réformes constitutionnelles importantes.

Subsidiarité et fédéralisme

Le « fédéralisme » est l’opposé de la « subsidiarité ». Dans une société fédéraliste, l’acte de délégation part de l’individu particulier. Le fédéraliste affirme aussi qu’il y a une injustice lorsque les tâches ne sont pas déléguées. Car l’homme est effectivement un être social et ne peut exister que dans la communauté. Toutefois, la subsidiarité se distingue fondamentalement du principe du fédéralisme. Le fédéralisme part d’un individu, puisque aussi bien la conscience, que la force de jugement moral, ainsi que les expériences d’amour et de souffrance, se trouvent chez les individus. Par contre les groupes n’éprouvent aucune souffrance et ont d’autant moins de conscience morale. À l’opposé de cela, la subsidiarité part d’une puissance qui se trouve au-dessus des hommes individuels et qui, de son propre gré, crée un espace de mouvement pour les actions des niveaux inférieurs aussi bien que pour les individus.

L’élan fédéraliste se laisse relier sans plus à l’idéal démocratique. Plus encore : la démocratie directe et le fédéralisme sont les deux revers inséparables de la même médaille démocratique qui les englobe. Le concept de subsidiarité, au contraire, ne se laisse pas unir à la démocratie globale, puisqu’on part dans celui-ci d’une puissance existante, parce que donnée d’emblée. Avec la théorie de la subsidiarité, le modèle hiérarchiquement édifié de l’Église a été transposé dans l’État laïc. Dans le concept fédéraliste, l’être humain forme le niveau supérieur, car finalement ce sont les individus qui déterminent ce qui doit être délégué et à quel niveau cela doit l’être. Pour les partisans du principe de subsidiarité, le droit de décision repose dans l’État (qui est subordonné à vrai dire encore dans une perspective ecclésiastique à la puissance « divine »), tandis que les individus particuliers se situent au niveau le plus bas.

L’Église catholique n’a peut-être pas découvert le concept de « subsidiarité » – mais elle l’a pris en charge et l’a diffusé avec beaucoup de succès. Par exemple, l’idéologie de subsidiarité s’est fortement enracinée dans les cercles de l’UE. Dans ces milieux, on parle souvent d’une manière parfaitement ambiguë des directions bien précises (de l’individu vers la communauté et de la communauté vers l’individu), dans lesquelles s’effectuent les délégations des tâches, si bien qu’il en a résulté une interpénétration lourde de conséquences des deux concepts de « fédéralisme » et de « subsidiarité ». Le mot « subsidiarité » est actuellement employé par beaucoup de gens qui rêvent de l’idéal fédéraliste. Mais même pour les fédéralistes éclairés, la confusion des concepts a fréquemment des conséquences importantes. Souvent, ils oublient qu’une structure fédéraliste commence de manière logique à l’individu. Chez eux, l’argumentation en faveur du principe fédéraliste commence à l’un des niveaux sensiblement plus élevés, comme ceux des communautés ou de la société dans son ensemble.

Pour les niveaux qui se trouvent en dessous, ou pour l’individu lui-même, ils reprennent sans y penser le vieux concept de subsidiarité du Pape et de l’Église. De cette manière, l’argumentation en faveur du fédéralisme perd beaucoup de son attractivité et de sa consistance intérieure et la jonction logique du fédéralisme et de la démocratie directe est perdue.

Fédéralisme et démocratie directe
Pour le fédéraliste conséquent, l’individu représente le niveau le plus élevé. Nous avons mentionné deux raisons à une telle interprétation. D’un côté, le but de la politique consiste à limiter dans une mesure maximale la souffrance et l’antipathie qui proviennent des circonstances sociales. Comme la peine, en tant qu’expérience, ne concerne que les individus particuliers, et non des groupes ou des peuples entiers, il en résulte logiquement que l’individu se présente donc comme la plus haute autorité politique.

De l’autre, les décisions politiques sont toujours, au plus profond d’elles-mêmes, des décisions morales, ou selon le cas, des jugements de valeur. Seuls les individus possèdent une conscience morale et des facultés de jugement morales. Des groupes et la totalité du peuple, au contraire, ne connaissent aucune conscience morale. Même sous ce point de vue, la revendication est logique que l’individu doit être la plus haute autorité se manifestant.

Néanmoins, le fédéraliste n’est pas un égocentrique. Il est conscient que l’individu ne peut exister qu’au sein des réseaux sociaux, réellement humains et par conséquent être un individu réel. L’être humain se relie à d’autres êtres humains justement du fait qu’il est un être social.
Les hommes isolés ne constituent pas de communautés de droit, au sein desquelles diverses affaires peuvent être réglementées démocratiquement. Des problèmes déterminés ne se laissent pas décanter, il est vrai, au niveau d’un village, d’une ville, d’une vallée ou d’une région. C’est alors que les petites communautés peuvent s’unir pour en former une nouvelle, plus grande, qui devient alors compétente et qualifiée pour ces problèmes. Ce processus d’association (de mise en fédération) peut éventuellement se répéter jusqu’à ce que les affaires complètes soient traitées au niveau approprié.

On définit comme fédéralisme la structure qui résulte, lorsque des communautés plus petites s’associent réciproquement pour certaines affaires déterminées, afin de former une communauté plus grande, à laquelle est déléguée la compétence déterminée. Comme le transfert des tâches se produit du plus petit au plus grand niveau et que le niveau le plus petit est toujours libre de prendre la décision d’un transfert vers le niveau le plus global, cet acte de délégation pourrait être désavoué en principe à tout moment. Car le plus petit échelon est en même temps l’échelon le plus élevé. Et de cette façon, l’individu est à la fois le plan le plus petit et le plus élevé. En cela, les références au « haut » et au « bas » ne devraient plus être comprises au sens de hiérarchie administrative. Lorsque les communautés transfèrent une compétence à l’échelon de la province, celui-ci se situe « au-dessus » des communautés par sa compétence au sens technique de l’administration. Néanmoins, les communautés restent encore, selon le cas, l’échelon le plus élevé des citoyens, qui ont transféré leur compétence à la province et qui, en principe, peuvent la reprendre à tout moment.

Si l’on pense conséquemment à fond le concept fédéraliste, on en arrive donc à l’individu autonome, en tant que communauté à la fois la plus restreinte et la plus fondamentale. L’homme individuel est donc, en fin de compte, l’instance déléguante. C’est concevable dans la mesure où une décision positive se distingue toujours d’une décision négative par une union dynamique de souffrance et d’antipathie qui – comme nous l’avons vu – ne peuvent être vécues purement et simplement qu’au niveau de l’individu et jamais, cependant, par des communautés entières. Le fait que l’individu est l’instance supérieure, doit se refléter logiquement à tous les échelons d’une prise de décision en démocratie directe.

Jos Verhulst & Arjen Nijeboer,

Fédéralisme

De Wikiberal
 
Le fédéralisme est un concept politique et social qui renvoie aux pratiques institutionnelles des systèmes politiques fédéraux, c'est-à-dire une forme d'organisation politique et un corps de doctrines recouvrant une vision de la société. 

Fédéralisme, Fédération, État-Fédéral

Le fédéralisme est un concept des idées politiques recouvrant une vision de la société et une forme d'organisation politique. Une Fédération est cette forme d'organisation politique, car elle se conjugue avec diverses formes de gouvernement, dont la république fédérale (Suisse, États-Unis) mais surtout une institution politique, comme l'Union Européenne, autrement dit son mode de fonctionnement. La Fédération n'est pas un État et n'est donc pas un État-Fédéral comme peut-être la Belgique.

Fédération et confédération

La distinction entre une fédération et une confédération est délicate et probablement sans intérêt pratique, car ces associations politiques sont toujours uniques, différentes des autres associations ayant adopté un système fédéral ou confédéral. D'un point de vue juridique, une confédération d'États repose sur un traité international, alors qu'une fédération repose sur une constitution et une souveraineté. On peut considérer que les confédérations sont plus souples, laissant plus de liberté aux états confédérés (notamment sur la rupture du pacte d'association) notamment parce qu'elles limitent les représentations directes auprès des organes communs. Avec le temps et la légitimité progressivement acquise par les organes communs, les confédérations évoluent vers une fédération. Comme exemples de confédérations, on peut citer les cas américains et Suisse, avant l'adoption de constitutions fédérales.

La construction pratique du Fédéralisme

Les lointaines origines

Le fédéralisme a été pratiqué dans l'histoire par certains régimes politiques. Le mot "fédéralisme" vient du latin foedus, l'alliance, lui même dérivé de fides, la foi jurée.
Si Montesquieu voit dans l'Esprit des lois des exemples de républiques fédératives dans les cités de la Grèce antique, sociétés de sociétés, la polis réunissant des villages, et les cités elles-mêmes formant des confédérations, c'est en 1291 qu'est apparue la première forme moderne de fédéralisme lorsque plusieurs cantons suisses ont conclu un pacte défensif, à l'origine de la Confédération Helvétique.

Influence grandissante en Occident

Toutefois le fédéralisme au sens moderne du terme vient d'abord de la Suisse, puis des USA.
Le pacte défensif permanent entre les cantons d'Uri, Schwyz et Unterwald, conclut en 1291 est à l'origine de la Confédération helvétique. La Suisse adopte elle-même une constitution fédérale en 1848 après la guerre civile du Sonderbund dans laquelle les cantons libéraux, qui souhaitaient paradoxalement davantage de centralisation, l'emportèrent sur les conservateurs. Quand la Suisse adopta la constitution fédérale, la confédération était plutôt faible, et soutenir le fédéralisme visait à partager le pouvoir central entre cantons, donc un certain renforcement du pouvoir central, à l'inverse des conservateurs, qui défendaient en fédéralistes la souveraineté cantonale. C'est l'une des raisons de la polysémie du terme fédéralisme que l'on retrouve aussi aux États-Unis pour à peu près les mêmes raisons[1]. Toutefois, ce sont les conservateurs (qui étaient eux aussi fédéralistes) qui ont par la suite réussi à imposer la démocratie directe pour garantir l'indépendance du pouvoir cantonale avec l'approbation des cantons libéraux.
L'État fédéral moderne apparaît avec la Constitution des États-Unis en 1787 qui succède à la Confédération de 1777. Les pères fondateurs des États-Unis, dont James Madison appartenant aux célèbres Federalist Paper, ont su concilier les principes républicains avec les principes fédérales selon Hannah Arendt.
Le fédéralisme fut le nom donné en 1792 et 1793, au dessein qu'on prêtait aux Girondins[2] de former des département de la France en autant d'États égaux en droits et de les relier entre eux contre Paris pour détruire la prépondérance de la capitale. Malgré les troubles qui agitèrent à cette époque l'Ouest et le Midi, il ne parait pas que ce projet ait existé, ce qui explique le peu d'importance de nos jours pour la question libérale en France. De même, dans son ouvrage L'Ancien Régime et la Révolution, Tocqueville montre que la Révolution de 1789 ne constitue nullement une rupture dans l'Histoire de France. Selon lui, l'Ancien Régime et la révolution de 1789 s'inscrivent dans le processus de centralisme disqualifiant ainsi les réflexions théoriques et les applications sur le sujet.

Regain d'intérêt au XXe siècle

Après la fin de la seconde guerre mondiale, avec la construction Européenne, le fédéralisme en Europe en tant que philosophie politique a connu un renouveau au XXe siècle.
Aux États-Unis, par tradition, le Parti républicain s'est toujours opposé à l'extension des pouvoirs de l'État fédéral au détriment des États fédérés. Ronald Reagan partisan du "fédéralisme contractuel" de John C. Calhoun (opposé au "fédéralisme national")[3] pour rassurer une partie de son électorat, a souvent souhaité revenir au fédéralisme des Fouding Fathers et Federalist Papers de Hamilton et Madison qui aurait su fonder un fédéralisme capable de partager habilement le pouvoir politique entre les États. Toutefois, aux États-Unis, le Parti Démocrate et le Parti Républicain témoignent d'une grande dévotion pour le fédéralisme des pères fondateurs, considéré comme l'une des plus grandes originalités de la culture politique américaine.

Théorie du fédéralisme

Le fédéralisme a été soutenu par un grand nombres d'auteurs et de théoriciens libéraux. Citons particulièrement (classé par ordre alphabétique) : Emmanuel Kant, James Madison, Montesquieu, Alexis de Tocqueville, Victor Hugo...

La République Fédérale de Montesquieu

Théorie jusnaturaliste de Kant

Fédéralisme Étatique et anti-etatique

Le fédéralisme intégral, ou global est une vision du fédéralisme qui dépasse la seule théorie de l'État fédéral (dit fédéralisme « hamiltonien ») mais en fait une philosophie politique à part entière, dérivée du personnalisme mais aussi des écrits de Pierre-Joseph Proudhon, du syndicalisme révolutionnaire et du christianisme social. Parmi les principaux théoriciens du fédéralisme global se trouve Alexandre Marc ou Robert Aron, fondateurs d’Ordre Nouveau, et références intellectuelles de toute la génération « non-conformiste » des années trente. A.Marc recherche un équilibre entre universalisme et individualisme, entre autorité et liberté. Ses principes sont subsidiarité, autonomie, participation et coopération. Il s'oppose au jacobinisme et au nationalisme en contestant l'État-nation comme forme d'organisation politique[4].

Autres réceptions du Fédéralisme

L'application du fédéralisme

Types de Fédéralisme

Le fédéralisme intégral, ou global est une vision du fédéralisme qui dépasse la seule théorie de l'État fédéral (dit fédéralisme « hamiltonien ») mais en fait une philosophie politique à part entière, dérivée du personnalisme mais aussi des écrits de Pierre-Joseph Proudhon, du syndicalisme révolutionnaire et du christianisme social. Parmi les principaux théoriciens du fédéralisme global se trouve Alexandre Marc ou Robert Aron, fondateurs d’Ordre Nouveau, et références intellectuelles de toute la génération « non-conformiste » des années trente. A.Marc recherche un équilibre entre universalisme et individualisme, entre autorité et liberté. Ses principes sont subsidiarité, autonomie, participation et coopération. Il s'oppose au jacobinisme et au nationalisme en contestant l'État-nation comme forme d'organisation politique[5].
Le fédéralisme européen, ou la volonté de créer des "États-Unis d'Europe", a été soutenu par des hommes aussi divers que Victor Hugo et Aristide Briand, en passant par Denis de Rougemont ou Alexandre Marc et Altiero Spinelli. Le succès du fédéralisme européen d’après-guerre a aussi attiré des économistes libéraux comme Edmond Giscard d’Estaing, Maurice Allais, Wilhelm Röpke ou Daniel Serruys.
Le fédéralisme mondial vise à rechercher une gouvernance globale voire un gouvernement mondial fonctionnant selon les principes du fédéralisme. Des organisations agissent en ce sens comme World Federalist Movement, axé sur la réforme de l'ONU.

Organisation politique

En pratique, l'État fédéral contrôle les États fédérés, et vice versa. Les États participent aux décisions, mais collectivement et non individuellement : Sénat des États-Unis, Bundesrat d'Allemagne.
Un cas particulier est celui du fédéralisme belge, où les entités fédérées ne sont pas contrôlées par le pouvoir fédéral mais au même niveau que celui-ci, y compris pour les relations extérieures.
Une des principales caractéristiques des systèmes fédéraux est l'existence d'organes politiques importants associant les citoyens des états fédérés (Chambre basse), et non pas seulement les états (Chambre haute). Par exemple la Chambre des représentants des États-Unis, le Bundestag d'Allemagne et le Conseil national suisse.
Comprenant des collectivités internes et une communauté globale auxquelles sont attribuées des compétences distinctes, l'État fédéral est fondé sur une volonté de vivre ensemble à la majorité dans le domaine de ses compétences. La communauté globale est constituée en unité comme les collectivités internes et pour agir, s'incarne en un gouvernement fédéral.
Chaque collectivité est dotée de compétences, et d'une organisation propre définie par la constitution.
En général, les Affaires étrangères, la monnaie, la défense nationale, et les grandes lignes de l'économie sont du ressort de la fédération (ce sont les compétences dites régaliennes). L'enseignement, les affaires culturelles, la police, l'administration régionale sont du ressort des États fédérés.
Mais il peut apparaître des conflits entre états confédérés, ou entre la fédération et des états. La Suisse et les États-Unis ont ainsi connu de véritables guerres civiles, liées à des interprétations divergentes des obligations nées des traités créant ces (con-)fédérations.

États fédéraux

Les régimes fédéraux les plus connus sont : les États-Unis, le Canada, l'Allemagne, la Suisse (qui, malgré son nom de confédération helvétique est aujourd'hui une fédération, depuis la création en 1848 de l'État fédéral), la Belgique, le Mexique, l'Inde, la Russie.
Cependant, l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni sont des États décentralisés. Leur organisation territoriale tend cependant à s'apparenter au fédéralisme. La réforme constitutionnelle en cours en Italie a cependant pour objectif de créer une république fédérale.
Parmi les grands États de l'Union européenne, seule la France maintient une organisation unitaire exempte de tout fédéralisme mais tend à développer une décentralisation prudente. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a inscrit le caractère décentralisé et ses conséquences dans la Constitution.
L'Union européenne, est une organisation internationale mais comporte des éléments de fédéralisme dans son fonctionnement.
L'Organisation des Nations unies est seulement une association intergouvernementale, mais si on prend en compte l'ensemble des traités du même type (cherchant à associer tous les pays du monde), tels que l'OMC, le Tribunal Pénal International, le FMI, etc., on obtient un système qui ressemble à une confédération.
Sur le plan théorique, l'école du Choix Public s'intéresse de plus en plus au fédéralisme concurrentiel qui s'oppose au fédéralisme dual.

Organisations fédérales non étatiques

A noter qu'un type d'organisation fédérale, différent de celui des états fédéraux, fonctionnant sous forme de « pyramide inversée » (membres de base, sections locales et régionales, unions ou fédérations nationales et internationales) se retrouve dans diverses organisations associatives et coopératives :

Commentaires

Fédéralisme et libéralisme

Le fédéralisme est compatible avec une société libérale, et pourrait même être une forme d'organisation politique qui peut amener un pays vers plus de liberté. En effet, les états très centralisés comme la France ont des lourdeurs bureaucratiques qui se font bien plus ressentir, et un État parisianiste qui a une emprise forte sur les régions[6]. Un État fédéral, comme la Suisse ou le Canada, qui ont adopté ce système, sont beaucoup plus libéraux que la France.
Cependant, tous les libéraux ne partagent pas ce point de vue, certains peuvent aussi s'opposer au fédéralisme, et d'autres, comme Raymond Aron (à l'inverse de ses proches collègues tels Jean-Claude Casanova et de Jean Baechler) peuvent nourrir un sentiment beaucoup plus réservé sur les perspectives fédérales[7].
Néanmoins, un grand nombres d'auteurs, de théoriciens du fédéralisme, et de grands partisans du fédéralisme fut des libéraux. Citons particulièrement (classé par ordre alphabétique) : Emmanuel Kant, James Madison, Montesquieu, Alexis de Tocqueville, Victor Hugo...

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